Issu de lapetite bourgeoisie, il affirme sa vocation d'artiste contre sa famille. Ses dons en dessin le font admettre à seize ans à l'académie des Beaux-Arts de Vienne et il découvre bientôt d'autres horizons au contact de laSécession, de l'Atelier viennois et deGustav Klimt.Fin 1909, alors que son talent se révèle, il fonde un éphémère « groupe de l'Art nouveau » avec plusieurs peintres, musiciens et poètes — lui-même écrit des textes assezlyriques.
Dans un culteégotiste de sa « mission » artistique, Schiele fait du corps dévêtu son champ d'expression privilégié : corps d'adultes, à commencer par le sien, mais aussi d'enfants, ce qui lui vaut en 1912 quelques semaines de prison.Courant 1915, il quitte sa compagne et modèleWally Neuzil pour épouser, en marge d'autres liaisons, une jeune fille plus « convenable », Edith Harms. Affecté pour raisons de santé à l'arrière dufront, il traverse laguerre en peignant beaucoup, commence à vendre, à entrevoir l'aisance, et s'impose à la mort de Klimt en 1918 comme nouveau chef de file des artistes viennois. C'est alors qu'il succombe, ainsi que son épouse enceinte, à lagrippe espagnole.
Egon Schiele a produit environ 300 huiles surtoile et plus de 3 000 œuvres sur papier où ledessin se conjugue volontiers à l'aquarelle et à lagouache :natures mortes,paysages,portraits,allégories et surtoutautoportraits etnus féminins et masculins innombrables, aux postures ou détails parfois crus. Même si le trait aigu et la palette se sont adoucis en dix ans, l'ensemble frappe par son intensité graphique, ses contrastes, ses couleurs peu réalistes parfois morbides ; quant aux figures décharnées, désarticulées, comme flottant dans le vide, elles semblent incarner l'angoisse sexuelle ou existentielle, la solitude et même la souffrance, dans une œuvre empreinte de violence.
Il est en fait difficile d'annexer Schiele à un groupe. EntreArt nouveau etexpressionnisme, dégagé des normes de la représentation et menant sa quête en solitaire sans s'intéresser aux théories, il a exprimé de façon très personnelle sa sensibilité exacerbée tout en se faisant l'écho du désenchantement et des conflits latents d'une société en déclin. Acteur du renouveau artistique autrichien reconnu sinon apprécié de son vivant, il n'a pas été l'« artiste maudit » que la légende a voulu associer à sa vie marginale. Le traitement convulsif ou impudique de ses sujets n'en continue pas moins à surprendre un siècle après. Il est entré dans l'histoire de l'art moderne en peintre et dessinateur majeur, et certains créateurs se réfèrent à son œuvre dès la seconde moitié duXXe siècle.
Au-delà des témoignages, archives degaleries, documents familiaux ou administratifs, la courte vie d'Egon Schiele est également connue grâce à ses propres écrits : notations diverses et fragments autobiographiques rédigés dans une prose poétique, auxquels s'ajoutent de nombreuses lettres à des amis, amantes, collectionneurs, acheteurs[b], renseignent sur sa psychologie, sa vie et parfois son travail ou ses conceptions esthétiques[G 1]. Quant auJournal de prison publié en 1922, dû à son fervent défenseurArthur Roessler[F 1], il a contribué à fonder le mythe de l'artiste incompris victime des rigidités de son époque[G 2].
Adolf et Marie Schiele en 1893 avec, de gauche à droite, Egon, Melanie et Elvira.
Egon Leo Adolf Ludwig Schiele naît le dans lagare de Tulln, logement de fonction de son pèrechef de gare àTulln, au bord duDanube, à une trentaine de kilomètres en amont deVienne[F 2]. Seul fils survivant d'Adolf Schiele (1850-1905) et de Marie née Soukup (1862-1935), il a deux sœurs aînées, Elvira (1883-1893) et Melanie (1886-1974), mais préférera sa cadette, Gertrude dite Gerti (1894-1981). Son enfance est perturbée par ses échecs scolaires et les crises d'un père probablementsyphilitique, jusqu'à ce que, décevant les ambitions familiales mais réalisant une vocation très précoce, il aille se former à lapeinture dans la capitale.
Très liée à l'univers du rail, la famille Schiele y espère une carrière pour son unique descendant mâle.
Egon Schiele vient« d'un milieu exemplaire de l'Empire austro-hongrois à son déclin :catholique, conformiste et dévoué à l'État[G 3] ». Le grand-père Karl Schiele (1817-1862), ingénieur et architecte venu d'Allemagne[c], a construit laligne ferroviaire reliantPrague à laBavière, et Leopold Czihaczek (1842-1929), époux d'une sœur d'Adolf, est inspecteur des chemins de fer. Le grand-père maternel Johann Soukup, d'origine rurale, a travaillé sur une ligne de train enBohême-du-Sud et aurait étépromoteur immobilier : c'est à Krumau (actuelleČeský Krumlov) qu'Adolf Schiele rencontre vers 1880 sa fille Marie, qui devient sa femme. Les jeunes époux disposent d'une modeste fortune enactions de laCompagnie des chemins de fer de l'État autrichien, outre la position avantageuse que représente un emploi dans lafonction publique de ce pays bureaucratique[K 1],[G 4].
Train dessiné par Egon Schiele vers 1900, mine de plomb sur papier, coll. privée (détail).
Le séduisant Adolf aime arborer son uniforme de gala ou promener sa famille en attelage — son fils héritera de sa propension à dépenser sans compter[G 5].Tulln an der Donau est autournant du siècle un important nœud ferroviaire et, en l'absence d'autres distractions, l'enfant développe une passion pour lestrains[K 1] : il joue à lalocomotive, installe des circuits pour ses wagons miniatures[G 4] et dès dix ans, s'inspirant des croquis de son père, dessine des gares, des voyageurs ou des convois d'une remarquable précision[F 3] — adulte, il lui arrivera encore de jouer au train ou d'en imiter les différents bruits[G 4],[S 1]. Son père l'imagineingénieur dans ce domaine et s'irrite de sa prédilection pour ledessin — qui remonterait à ses dix-huit mois[K 1] — jusqu'à brûler un jour un de ses carnets[G 6].
Après l'école primaire, Tulln étant dépourvue d'établissement secondaire, Egon part en 1901 pourKrems an der Donau, où il apprécie plus le jardin de sa logeuse que la discipline ducollège[M 1]. L'année suivante ce sera leGymnasium de la ville deKlosterneuburg, où son père a pris une retraite anticipée pour raisons de santé. Egon accuse un gros retard scolaire, se renferme, manque des cours. Définitivement dégoûté de l'école, il ne réussit qu'en dessin, encalligraphie et, malgré une constitution fragile, en éducation physique[K 2],[S 2].
Bien qu'il l'affecte profondément, le décès de son père va en quelque sorte permettre à Schiele de réaliser sa vocation.
Egon Schiele en 1906.
L'ambiance familiale pâtit des troubles mentaux paternels[LV 1]. Comme maints bourgeois de son temps, Adolf Schiele a contracté avant son mariage unemaladie vénérienne, sans doute lasyphilis, ce qui pourrait expliquer que le couple ait perdu deux nourrissons et qu'uneencéphalite ait emporté Elvira à l'âge de dix ans[G 6]. En quelques années il est passé dephobies ou manies inoffensives, comme converser à table avec des hôtes imaginaires[F 4], à des accès de fureur imprévisibles : il aurait ainsi jeté au feu lestitres boursiers complétant sa pension. Il meurt deparalysie générale le1er janvier 1905, âgé de 55 ans[K 2],[G 7].
Egon semble avoir été lié à son père par une relation très forte[S 1]. Ce décès est« le premier et le grand drame de sa vie[G 7] » et, même s'il n'est pas certain que ce père idéalisé eût approuvé son projet de devenir peintre[G 3], il« nourrira toujours des sentiments d'affectueuse dévotion pour [s]a mémoire[M 1] ». Ses tout premiers autoportraits, endandy un peu imbu de sa personne, sont peut-être pour lui un moyennarcissique de compenser la perte du père dont il prétend prendre la place comme « homme de la maison »[S 2].
Plus qu'auprès de sa mère, qu'il juge froide et distante, l'adolescent trouve un réconfort dans la compagnie de ses deux sœurs ainsi qu'au sein de la nature, où il dessine et peint quelquesgouaches lumineuses[LV 1]. Tombée dans la gêne depuis son veuvage, Marie Schiele dépend en partie de son entourage masculin[K 2], notamment Leopold Czihaczek,tuteur du garçon. Egon, qui attend d’elle d'immenses sacrifices, ne lui sera guère reconnaissant d'avoir finalement soutenu sa vocation : il lui reprochera toujours de ne pas comprendre son art, tandis qu'elle ne lui pardonnera pas de s’y vouer égoïstement sans trop se soucier d'elle[F 5], et leurs rapports conflictuels donneront lieu à des représentations ambivalentes de la maternité[F 6],[S 3].
Durant ses trois années aux Beaux-Arts, Schiele reçoit sans plaisir un enseignement strict et conservateur.
Il loge d'abord dans l'appartement cossu de l'oncle Leopold, qui joue à présent lesmodèles et l'emmène à la campagne[G 8] ou auBurgtheater. Le jeune homme continue à déjeuner chez lui lorsque sa mère s'installe àVienne[K 4] puis lorsqu'il loue un studio-atelier miteux près duPrater,Kurzbauergasse 6[M 1]. Sa pauvreté contrarie ses envies d'élégance : il racontera qu'il devait non seulement fumer des mégots mais se confectionner des faux-cols en papier et arranger, rembourrer, user jusqu'à la corde les vieux habits de son oncle, chapeaux ou chaussures trop grands pour lui[F 7]. Dans cette ville qu'il n'aime pas, il est aussi déçu par ses études que par la routine « bourgeoise »[M 2]. Il peint beaucoup en dehors des cours, plus provocateur dans le choix de ses sujets (femme qui fume, par exemple) que dans sa manièrepostimpressionniste[F 8]. Lors d'un séjour àTrieste qui renforce encore leur affection mutuelle, sa petite sœur Gerti accepte de poser nue pour lui en cachette de leur mère[M 1],[G 7],[LV 1].
Inchangé depuis un siècle, l'enseignement à l'académie des beaux-arts de Vienne consiste la première année en un apprentissage du dessin très progressif (d'après plâtres à l'antique puis d'après nature,nus puisportraits, modèles masculins puis féminins, étude dudrapé puis de la composition[F 7]) et sous contraintes :crayon sans couleurs,craie sans crayon,rehauts obtenus par le blanc du papier, temps limité, etc. Les études conservées attestent des progrès — anatomie humaine[G 8],perspective[M 3] — comme de la démotivation du jeune Schiele :« [s]es nus et [s]es portraits académiques […] manquent étrangement d'émotion, et il est presque douloureux de voir le mal qu'il se donne pour en venir à bout », remarque l'historienne d'artJane Kallir, la plus grande spécialiste de son œuvre. Il n'obtient d'ailleurs que des mentions « passable »[SS 1],[K 5].
Nu féminin allongé, 1908, crayon et craie sur papier, Albertina.
Nu masculin penché en avant, vu de dos, 1908.
À l'automne 1907, l'élève aborde la théorie des couleurs et lachimie mais ses travaux en peinture, qu'il a peut-être partiellement détruits, sont plus difficiles à suivre : ses huiles surcarton aux empâtements typiques duStimmungsimpressionnismus (« impressionnisme d'humeur »,peinture sur le motif autrichienne d'avant 1900) n'expriment en tout cas pas grand-chose de sa personnalité[K 5]. À la rentrée suivante il passe sous l'autorité duportraitiste etpeintre d'histoireChristian Griepenkerl, directeur de l'École, farouche défenseur duclassicisme[F 7].
Le maître prend vite en aversion cet étudiant rebelle[d], tout en lui reconnaissant à contre-cœur un talent qu'il a contribué à consolider[SS 1] et qui se ressent par ailleurs du mouvement artistique ambiant duJugendstil. Si Schiele s'astreint à expédier un dessin par jour pour l'académie — minimum requis bien inférieur à son rythme de production personnel —, il ne la fréquente plus guère que pour disposer demodèles gratuits[K 6]. Il prend la tête d'un mouvement contestataire puis,diplôme en poche après un examen final médiocre[S 4], claque la porte entre avril etjuin 1909[F 9]. De ce carcan académique étouffant, Egon Schiele sort malgré tout doté« d'une technique qu'il saura transformer en instrument d'invention[G 8] ».
Au tournant duXXe siècle, l'Autriche-Hongrie est figée dans ses faiblesses.Monarque âgé, forces conservatrices, essor économique maisprolétariat misérable, pluralité culturelle en butte auxnationalismes[LV 2],[SS 2] : c'est la « Cacanie » deRobert Musil[G 3] dontKarl Kraus ouHermann Broch dénoncent eux aussi le vide moral. La capitale vit pourtant un âge d'or : sans remise en question politique ni sociale et avec les faveurs de la classe dominante, le bouillonnement intellectuel et artistique deVienne[V 1] en fait un foyer de modernité rival de Paris[V 2] où Schiele entame un parcours très personnel[SS 3].
Pour le jeune peintre, découvrir l'œuvre deGustav Klimt, la mouvance de laSécession viennoise et l'art moderne européen est une étape essentielle mais bientôt dépassée.
Il n'est pas exclu que Schiele, admiratif du« style plat et linéaire de Klimt[S 5] », ait reçu ses encouragements dès 1907[K 8],[1],[2]. Il le croise à coup sûr lors de la gigantesqueKunstschau de1908, exposition d'art internationale où les seize toiles du maître sont pour lui une illumination tandis que celles d’Oskar Kokoschka le frappent par leur violence iconoclaste[LV 3]. Reinhard Steiner[e] date de 1910 sa première rencontre personnelle avec Klimt qui, louant son génie du dessin[S 6] et devenant sonmentor[LV 4], aurait représenté pour lui une figure paternelle[K 8].
Dès1909 en tout cas, Schiele s'approprie en la transformant la manière de Klimt : ses portraits conservent la planéité et quelques éléments décoratifs mais les fonds se vident[K 9],[F 8]. Son activité graphique s'intensifie indépendamment des tableaux[M 3], il dessine pour laWerkstätte des cartes, des modèles de robes ou decostumes d'homme[M 1], et aurait collaboré avec Kokoschka à la décoration ducabaret Fledermaus[3].
Portrait du peintre Anton Peschka, 1909, huile et penture métallique sur toile, 110 × 100 cm, coll. privée.
Femme au chapeau noir (Gertrud Schiele), 1909, huile et peinture métallique sur toile, 100 × 100 cm, coll. privée.
Bravant l'interdiction faite aux étudiants d'exposer hors de l'académie, celui qui se proclame« le Klimt d'argent » participe à laKunstschau de 1909, dernière grande manifestation de l'avant-garde viennoise[K 10] où le public peut voir des tableaux deGauguin,Van Gogh,Munch,Vallotton,Bonnard,Matisse,Vlaminck… Les quatre toiles de Schiele passent inaperçues mais cette expérience l'enhardit. Il fonde avec d'anciens élèves de Griepenkerl — dontAnton Faistauer et surtoutAnton Peschka, son meilleur ami — laNeukunstgruppe, « groupe de l'Art nouveau » qui en décembre expose collectivement dans une galerie[G 9],[S 4] :Arthur Roessler, critique d'art pour un journalsocial-démocrate, y découvre Schiele avec enthousiasme[K 11] et le présente bientôt à des collectionneurs commeCarl Reininghaus, industriel, Oskar Reichel, médecin, Eduard Kosmak, éditeur d'art[F 1].
En quelques mois,fin 1909, Egon Schiele s'est trouvé[G 10], son talent a éclos[M 3] et il déclare, ce qui ne l'empêchera pas de le vénérer toute sa vie[S 7] :« J'ai fait le tour de Klimt. Aujourd'hui je puis dire que je n'ai plus rien à voir avec lui »[S 8],[3].
Autoportrait aux mains jointes sur la poitrine, 1910, gouache, aquarelle et fusain sur papier, 45 × 31 cm, musée d'art deZoug.
Egon Schiele affirme ses tendances expressionnistes comme sonégocentrisme exacerbé.
Dès leprintemps1910 il s'éloigne de laNeukunstgruppe, dont le manifeste rédigé par ses soins revendiquait l'autonomie de l'artiste[f] :« L'art reste toujours le même, il n'existe pas d'art nouveau. Il y a des nouveaux artistes […] mais très peu. Le nouvel artiste est et doit obligatoirement être lui-même, il doit être créateur et doit, sans intermédiaire, sans utiliser l'héritage du passé, construire absolument seul ses fondements. Alors seulement il est un artiste nouveau. Que chacun d'entre nous soit lui-même »[S 9],[G 11]. Il se voit enprophète investi d’une mission[K 12], l'artiste ayant pour lui un don de prescience :« Je suis devenu voyant », écrit-il avec des accentsrimbaldiens[G 12] un rien complaisants[S 10].
Cette année est pour Schiele un tournant décisif : il abandonne toute référence à Klimt et, notamment sous l'influence de son amiMax Oppenheimer, penche du côté de l'expressionnisme émergent[K 11]. Lapeinture à l'huile demeure son but mais ildessine énormément, croquis préparatoires ou œuvres à part entière[K 13], et affine sa technique d'aquarelle[F 12]. Cas rare dans l'histoire de l'art, Egon Schiele, ayant déjà acquis une extrême virtuosité, exprime au moment où il les vit des tourments adolescents[K 14] comme les conflits avec le monde adulte ou l'angoisse de la vie, de la sexualité, de la mort[K 15]. Très enclin à l'introspection, il recompose le monde et l'art à partir de lui-même, son corps et celui de ses modèles devenant un champ d'étude aux limites de lapathologie[G 13].
Face au nombre d’autoportraits de cette période, Jane Kallir parle d'« onanisme pictural[K 16] ». Cet« observateur maniaque de sa propre personne[S 11] » paraît en quête de lui-même[G 14] : sur certains tableaux il se dédouble, sur d'autres il peint seulement son visage, ses mains, ses jambes, ou des membres amputés, sur d'autres encore il est en pleineérection[S 12]. Ses autoportraits nus semblent enregistrer sespulsions à la manière d'unsismographe[K 17].Narcissisme[g], voireexhibitionnisme, efforts pour canaliser ses démons érotiques dans une société répressive : mais, comme dans ses lettres et poèmesésotériques, sa préoccupation majeure serait l'expérience de sonmoi, de sa spiritualité, de sonêtre au monde[S 13].
Autoportrait la main à la joue, 1910, gouache, aquarelle et fusain sur papier, 44,5 × 30,5 cm,Albertina.
Autoportrait nu à la grimace, 1910, crayon, fusain et gouache sur papier, 56 × 36,5 cm, Albertina.
Nu à genou, autoportrait, 1910, craie et aquarelle sur papier, 62,5 × 44,5 cm,musée Leopold.
Autoportrait se masturbant, 1911, crayon, gouache et aquarelle sur papier, 48 × 32 cm, Albertina.
Autoportrait, 1912, crayon, aquarelle et tempera sur papier, 46,5 × 31,5 cm, coll. privée.
La même crispation torturée se retrouve dans les nus dont l'hermaphrodisme (visages peu différenciés,pénis chétifs,vulves gonflées) pourrait traduire l'ambivalence sexuelle de l'artiste[K 16]. Celui-ci entame une exploration obsessionnelle des corps qui le conduit à exiger de sesmodèles des postures quasi acrobatiques. Il a des relations avec certaines des femmes qui posent pour lui[K 17] et un autre modèle féminin témoignera que, sans compter l'exhibition des parties intimes, poser pour lui n'était pas drôle car« il ne pensait qu'à ça »[G 15]. Son regard est-il fasciné et terrifié par sa découverte des femmes et d'une sexualité qui a coûté la vie à son père[K 16], ou bien d'une froideur descalpel[G 16] ? Il est en tout cas avéré qu'il a pu voir et dessiner librement des patientes enceintes et des nouveau-nés dans une cliniquegynécologique, avec l'aval de son directeur[M 5],[4],[G 16].
Ses portraits d'enfants des rues ont plus de naturel. Celui qui se dit« éternel enfant » a le contact facile avec eux[K 18] et convainc sans mal de poser nues pour lui des fillettes venues des quartiers misérables de Vienne[F 12], où laprostitution enfantine, « légitimée » par une majorité sexuelle à14 ans, est courante[G 17]. Pour ses premiersportraits de commande en revanche, aux airs demarionnettes hallucinées[LV 5],« seuls ses proches pouvaient accepter ces images qui sont autant les leurs que celles de lapsyché du peintre[G 18] », estime Jean-Louis Gaillemin[h] : certains les refusent, tels Reichel ou Kosmak[F 1].
Nu féminin, 1910, crayon, craie noire, aquarelle et gouache sur papier, 44 × 30,5 cm,Albertina.
Nouveau-né, 1910, fusain et aquarelle sur papier, 46 × 32 cm, coll. privée.
Deux fillettes accroupies, 1911, crayon, gouache et aquarelle sur papier japon, 43 × 32 cm, Albertina.
Demi-nu couché, 1911, crayon, gouache et aquarelle sur papier, 48 × 31,5 cm, coll. privée.
Frau mit schwarzer Schürze - Woman in black pinafore, 1911, Crayon, aquarelle et gouache, 48.6 x 32.4 cm, coll. privée.
Malgré un travail intense, ce sont des années de vaches maigres[SS 5]. Leopold Czihaczek abandonne tutelle et soutien financier en 1910[K 16] mais son neveu dépense beaucoup, tant pour ses vêtements ou ses loisirs — cinéma notamment — que pour son art. La structure dumécénat dans un pays où il n'y a pas demarchands d'art empêche, en outre, de se faire une clientèle en dehors des collectionneurs[K 11] — or Heinrich Benesch par exemple, inspecteur des chemins de fer qui admire Schiele depuis 1908, a peu de moyens[F 1],[i]. Ceci aussi a pu pousser Schiele vers le dessin et l'aquarelle : ils se vendent plus facilement[K 19]. Toujours est-il qu’en avril-mai1911 le public viennois, encore sensible aux séductions décorativessécessionnistes, boude sa première exposition personnelle à la très réputéegalerie Miethke[K 18],[G 19],[LV 6].
Fuyant Vienne pour la campagne sans renoncer à son habitude de faire poser des enfants, Schiele s'attire des ennuis.
Auprintemps 1910 il confie àAnton Peschka sa nostalgie de la nature et son dégoût de la capitale :« Comme tout est odieux ici. Tous les gens sont jaloux et faux. […] Tout est ombre, la ville est noire, tout n'est que truc et formule. Je veux être seul. Je veux rejoindre la forêt deBohême »[G 20].
C'est ce qu'il fait en passant l'été àKrumau, ville natale de sa mère, sur une boucle de laMoldau[j],[G 21]. Avec Peschka et un nouvel ami, Erwin Osen — plasticien etmime cherchant apparemment à profiter de sa candeur[F 14] —, il envisage même de fonder une petite colonie d'artistes[K 21]. Le groupe fait jaser par ses excentricités — costume blanc etmelon noir pour Egon par exemple[G 22] —, d'autant qu'un lycéen de18 ans qui s'affiche avec eux, Willy Lidl, est peut-être l'amant de Schiele[K 16]. Après un hiver àMeidling, celui-ci revient néanmoins se fixer à Krumau[LV 5].
Il s'est lancé dans desallégories sur le thème de la mère (enceinte, aveugle, morte)[K 22] et despaysages urbains qui dégagent une atmosphère étouffante et inquiétante[M 6],[G 23]. Pourtant, dans la maison qu'il a louée au bord du fleuve à flanc de coteau, Schiele éprouve pour la première fois de sa vie un bonheur sans mélange[G 24],[k] : il vit avec la discrèteWally Neuzil, âgée de17 ans, sans doute ancien modèle de Klimt ; Willy n'a peut-être pas encore été rapatrié àLinz par sa famille ; enfin défilent en permanence« toute une faune d'amis[F 14] » ainsi que les enfants du voisinage[G 25].
Fille nue aux cheveux noirs, 1910, crayon et aquarelle avec rehauts de blanc sur papier, 56 × 32,5 cm,Albertina.
Cependant l'union libre est très mal vue, Egon et Wally, qui ne vont pas à la messe[M 7], sont suspectés d'être des agitateurs « rouges », et le village finit par savoir que ses enfants posent pour le peintre[K 23]. Fin juillet, surpris en train de croquer une fillette nue dans son jardin, Schiele doit fuir le scandale[G 25],[LV 5]. Installé un mois plus tard àNeulengbach, il ne change pas son mode de vie, considérant qu'un artiste n'a pas à se soucier du qu'en-dira-t-on ni du fait qu'un bourg de province n'offre pas l'anonymat d'une capitale. Lesrumeurs vont à nouveau bon train[G 17] et enavril 1912 éclate une seconde affaire.
Tatjana von Mossig,13 ans, fille d'un officier de marine, s'est amourachée d'Egon et fugue chez lui un soir d'orage. Le couple embarrassé l'héberge pour la nuit et Wally la conduit le lendemain à Vienne puis, la jeune fille ne voulant plus aller chez sa grand-mère, l'emmène dormir à l'hôtel. Lorsqu'elles reviennent, le père de Tatjana a déjà déposé une plainte pourdétournement de mineur etviol. Durant l'enquête sont saisis quelque125 nus, dont un punaisé au mur, et le peintre est placé endétention provisoire à lamaison d'arrêt deSankt Pölten[K 24],[G 26]. Il y passe environ trois semaines durant lesquelles il exprime son désarroi par l'écriture et le dessin[M 5] : il crie au meurtre de l'art et de l'artiste[G 27] mais comprend qu'il aurait dû solliciter l'accord de leurs parents avant de réaliser ces dessins d'enfants à peinepubères qu'il qualifie lui-même d'« érotiques » et destine à un public particulier[G 28],[F 15].
Egon Schiele comparaît le 17 mai sous trois chefs d'inculpation :enlèvement de mineure, incitation à ladébauche,attentat à la pudeur et à lamorale[K 25]. Seul le dernier est finalement retenu, le problème n'étant pas de déterminer si ses œuvres relèvent de l'art ou de la simplepornographie, mais que des mineurs aient pu les voir : l'artiste est condamné à trois jours de prison en plus de la préventive[G 29]. Ses amis se réjouissent de cette courte peine en comparaison des six mois qu'il encourait[K 26], maisArthur Roessler va lui bâtir une réputation d'artistemartyr à partir de ses souvenirs de cellule et du fait que le juge aurait symboliquement brûlé un de ses dessins en salle d'audience[G 28],[LV 7].
S'il a pu mesurer durant cette épreuve la fidélité de Roessler, Benesch ou Wally, Schiele en sort très ébranlé[K 27],[4]. Lui qui a toujours aimé cela voyage durant l'été 1912 (Constance,Trieste)[K 28]. De retour à Vienne il loue,Hietzinger Hauptstrasse 101, un atelier qu'il ne lâchera plus[M 5] et qu’il décore comme toujours selon une sobre esthétique « Wiener Werkstätte » : meubles peints en noir, tissus colorés,jouets et objets folkloriques[G 30],[F 16], sans oublier l'accessoire essentiel à sa peinture qu'est son grand miroir en pied[K 29]. Il rêve à présent d'un nouveau départ[K 30].
Autoportrait à la lanterne chinoise, 1912, huile et gouache sur bois, 32 × 40 cm, musée Leopold.
L'unique orange était la seule lumière, 19-4-1912, aquarelle et crayon sur papier, 31,5 × 48 cm, Albertina.
Le succès de Schiele va croissant à partir de1912 et il participe à des expositions en Autriche comme à l'étranger. LaPremière Guerre mondiale n'interrompt pas son activité, mais sa production, plus riche en peintures, fluctue au gré de ses affectations à l’arrière du front[G 31]. Par ailleurs, moins rebelle que pénétré de sa mission créatrice, il intègre certaines normes sociales, ce que manifeste un soudain mariage « petit-bourgeois »[K 31]. Lagrippe espagnole l'emporte alors qu'il commençait à jouer un rôle clé dans la relève de l'art viennois[M 5].
Attisant le mépris de Schiele pour la « Cacanie », le drame de Neulengbach provoque néanmoins en lui un choc salutaire.
Le peintre se remet lentement de son expérience carcérale et exprime sa révolte contre l'ordre moral à travers des autoportraits en écorché vif[G 32]. De 1912 date aussiCardinal et Nonne (Caresse), qui parodieLe Baiser deGustav Klimt et est à la fois symbolique etsatirique : Schiele s'y représente en grand prêtre de l'art accompagné dans sa quête par Wally[K 28], et raille au passage lecatholicisme pesant sur l'Autriche-Hongrie[G 32].
L'affaire de Neulengbach a renforcé l'union de Schiele avec Wally bien que, tenant à sa liberté, il lui fasse garder son logement et déclarer par écrit qu'elle ne l'aime pas[K 32]. Il la peint souvent, avec plus de tendresse semble-t-il que plus tard son épouse[K 33]. Le scandale n'a pas arrangé ses rapports avec sa mère mais leurs échanges, où il joue encore au chef de famille, informent sur celle-ci : Melanie vit avec une femme, Gerti etAnton Peschka veulent se marier — ce qu'Egon accepte si mal qu'il tente de les séparer[K 34] —, Marie paraît à son fils inconsciente de son génie.« Sans nul doute je deviens le plus grand, le plus beau, le plus rare, pur et le plus accompli des fruits [qui] laissera derrière lui des êtres vivants éternels [ses œuvres] ; alors combien grande doit être ta joie de m'avoir engendré », lui écrit-il dans un élan d'exaltation[G 33] révélateur d'une vanité ingénue[SS 5],[S 14]. Il aime toujours à se mettre en scène, grimaçant devant son miroir ou l'objectif de son ami photographeAnton Josef Trčka[F 17].
Même s'il craint d'y perdre « sa vision », c'est-à-dire laposture introspective qui a jusqu'ici imprégné son œuvre[K 35], Schiele admet peu à peu que pour sa mission artistique même, il doit abandonner ce que Jane Kallir désigne comme sonsolipsisme et tenir compte de la sensibilité du public : il cesse de dessiner des enfants, atténue l'audace de sesnus[K 31],[G 34],[LV 8], reprend ses recherches allégoriques. Sans négliger le travail sur papier il transfère ses motifs dans lapeinture à l'huile tandis que son style devient moins aigu[F 18] : ses paysages se colorent, ses modèles féminins, plus mûrs, plus robustes, gagnent enmodelé[G 35].
Son emprisonnement lui a valu une certaine publicité et il rencontre d'autres collectionneurs :Franz Hauer, propriétaire d'unebrasserie, l'industrielAugust Lederer et son fils Erich qui devient un ami, ou encore l'amateur d'artHeinrich Böhler qui prend auprès de lui des cours de dessin et de peinture[K 36],[S 15]. L'intérêt pour son travail grandit, à Vienne et dans une moindre mesure enAllemagne : présent dès 1912 à la galerieHans Goltz deMunich aux côtés des artistes duCavalier bleu puis àCologne pour une manifestation duSonderbund, il envoie ses œuvres dans diverses villes allemandes[F 6], mais son exposition de l'été 1913 chez Goltz est un fiasco[K 37],[S 15]. Le début de la guerre n'affecte pas son activité et quelques-unes de ses œuvres sont montrées àRome,Bruxelles ouParis[F 6].
Ses problèmes d'argent tiennent tant à sa propre incurie qu'au conservatisme du public[K 38] : considérant que vivre au-dessus de ses moyens est typiquement autrichien[G 5], réduit parfois à coudre ensemble des morceaux de toile, menacé d'expulsion, il est capable de se brouiller avec un acheteur hésitant :« Quand on aime, on ne compte pas ! »Début 1914, il a 2 500couronnes de dettes (revenu annuel d'une famille modeste) et envisage un emploi de professeur ou decartographe[K 39]. Échappant en juillet à lamobilisation en raison d’une faiblesse cardiaque[K 38] et poussé par Roessler parce que c'est plus lucratif, il s'initie à lapointe sèche,« seule technique de gravure honnête et artistique » selon lui : au bout de deux mois il la maîtrise parfaitement mais l'abandonne, préférant employer son temps à peindre et dessiner[K 30],[S 16].
Du moins vend-il ses quelquesestampes et des dessins[K 38]. Il a reçu des commandes grâce à Klimt, correspond avec la revueDie Aktion et peut écrire à sa mère :« J'ai l'impression que je vais enfin sortir de cette existence précaire »[K 36].
Egon Schiele connaît une période moins productive lorsqu’il doit s’adapter à sa condition d'homme marié et de soldat.
Portrait d'Edith Schiele en robe rayée, 1915, huile sur toile, 180 × 110,5 cm,musée d'Art de La Haye.
Pense-t-il déjà « mariage de raison » à l'automne 1914, lorsqu'il essaie d'attirer par ses facéties l'attention de ses voisines d'en face ? Toujours est-il qu'il écrit le 10 décembre aux sœurs Harms, Adele (Ada) la brune et Edith la blonde, pour les inviter au cinéma,Wally Neuzil devant servir dechaperon[G 36],[F 19]. Il opte finalement pour la seconde, sa cadette de trois ans, dont il réussit à convaincre le père, ancien mécanicien devenu petit propriétaire, qui a donné à ses filles une éducation bourgeoise[F 20] et voit en tout artiste un êtrebohème immoral[K 40]. L'union est célébrée le17 juin 1915 selon leculte protestant des Harms, en l'absence de Marie Schiele et de façon précipitée car Egon, jugé entretemps apte au service non armé[l], doit rejoindre le 21 sagarnison àPrague[G 37],[F 22].
Il a revu une dernière fois Wally, qui a refusé sa proposition de passer chaque année des vacances ensemble[F 23]. Il réalise alors une grande toile allégorique dont ils sont les modèles et qu'il rebaptisera en 1917Mort et Jeune fille, apprenant que, engagée dans laCroix-Rouge, elle a succombé à lascarlatine sur lefront des Balkans[G 38].
Couple assis, 1915, crayon et gouache sur carton, 52 × 41 cm, Albertina.
En guise devoyage de noces Egon et Edith vont à Prague, où il est incorporé dans de rudes conditions à unrégiment de paysanstchèques. Elle s'installe à l'hôtel Paris mais ils ne peuvent que se parler à travers une grille[K 42]. Egon trouve ces premiers jours d'autant plus durs que, peu politisé mais anti-nationaliste et enviant les pays libéraux, il est un des rares artistes autrichiens à ne pas soutenir l'entrée dans leconflit ni l'effort de guerre[F 21],[K 43]. Il fait ses classes àNeuhaus et passe sespermissions à l'hôtel avec Edith. Celle-ci toutefois, peu préparée à une vie autonome, flirte avec un ancien ami puis avec unsous-officier : Egon s'avère extrêmement jaloux et possessif[G 39], d'autant qu'il la trouve moins dévouée que Wally[K 44]. Elle, quoique gênée de poser pour lui parce qu'elle doit ensuite vendre les dessins, voudrait lui interdire d'avoir d'autresmodèles[K 45].
Leur relation s'améliore lorsqu'il revient en août près de la capitale[F 21]. Envoyé enmai 1916 aucamp de prisonniers de guerre russes de Mühling, au nord de Vienne, il est promucaporal[M 8]. Un lieutenant lui procure un atelier et il loue une fermette avec Edith, mais celle-ci, isolée, s'y ennuie : chacun se renferme sur lui-même, leur entente n'étant sans doute pas assez profonde[K 46] — le tableauCouple assis, qui les représente tous deux vers ce moment-là, semble ainsi moins refléter l'ivresse amoureuse qu'une sorte d'angoisse commune[F 20],[G 40].
En dehors des dessins — quelques nus, des officiers russes, des paysages —, Schiele ne peint qu’une vingtaine de tableaux en deux ans, notamment des portraits de son beau-père, qu'il apprécie, et d'Edith, qu'il peine à animer : elle y a souvent l'air d'unepoupée bien sage[G 41],[F 20]. Les occasions d'exposer se raréfient en temps de guerre[K 47]. Le31 décembre1914 a été inaugurée à la galerie Arnot de Vienne une exposition personnelle dont Schiele a conçu l'affiche, un autoportrait enSaint Sébastien percé de flèches[M 5],[G 42]. Il participe ensuite à des manifestations organisées par laSécession viennoise et par celles deBerlin,Munich,Dresde[M 8],[F 21]. Sa période de révolte et de constante recherche formelle touche à sa fin[F 24].
Affecté àVienne même, Egon Schiele retrouve une intense activité artistique et acquiert une certaine notoriété, au moins dans le monde germanique.
Egon Schiele en 1918.
Enjanvier 1917 il obtient par relations d’être affecté au siège de l'Intendance militaire, dans le quartier centralMariahilf. Un supérieur bienveillant lui confie la mission de dessiner, en vue d'un rapport illustré, les bureaux et entrepôts de ravitaillement du pays : il séjourne notamment auTyrol[M 8],[F 21]. Son retour dans son atelier deHietzing et les loisirs que lui laisse l'armée le galvanisent :« Je veux tout recommencer à zéro. Il me semble que jusqu'ici je n'ai fait que fourbir mes armes », écrit-il àAnton Peschka qui entretemps a épousé Gerti et en a un fils[K 48],[G 43].
Egon Schiele se remet à dessiner desnus aux postures déroutantes ou des coupleslesbiens[G 34], dans un style plusnaturaliste délié de ses sentiments personnels[K 49]. Il reprend lapeinture de paysage, lesportraits, et poursuit ses projets de compositions allégoriques monumentales à partir de petits formats[K 50],[G 44], qui se vendent d'ailleurs mal[G 42]. L'année1917 est l'une des plus productives de sa carrière[K 48]. Reprenant aprèsAnton Faistauer la tête de laNeukunstgruppe, il a l'idée d'uneKunsthalle, vaste galerie d'art qui se ferait lieu de rencontre avec le public pour promouvoir les jeunes artistes et relever la culture autrichienne[G 30] : soutenu par Klimt,Josef Hoffmann ouArnold Schönberg, le projet avorte faute de financement[K 51].
Schiele fait de nouveau poser ses amis, les membres de sa famille, ainsi qu'Adele Harms, qui ressemble à sa sœur au point que leurs portraits se confondent[G 45] mais n'est, elle, pas du tout prude — elle affirmera avoir eu une liaison avec son beau-frère[K 52]. Il peint de moins en moins Edith, qui a un peu grossi et se plaint dans sonjournal intime d'être délaissée :« Il m'aime sûrement à sa façon... » Elle ne peut plus empêcher que son atelier[G 46] soit envahi comme celui de Klimt par« un harem de modèles[K 48] »,« sur lesquelles plane l'ombre jalouse de [la] jeune épouse[F 25] ». Egon Schiele devient un portraitiste d'hommes[G 47] assez recherché à Vienne[F 26]. LePortrait de la femme de l'artiste assise est acheté par la futureGalerie du Belvédère : cette commande officielle — la seule de son vivant — l'oblige par ailleurs à recouvrir en gris-brun les carreaux bariolés de la jupe[F 24].
Enfévrier1918, Schiele fait un portrait mortuaire deGustav Klimt et publie dans une revue son éloge funèbre. En mars, la49e exposition de laSécession viennoise est une consécration : occupant la salle centrale avec19 toiles et29 œuvres sur papier[SS 5],[F 25], il vend presque tout, ouvre une liste d'attente[K 53] et est salué par une partie de la presse spécialisée internationale[S 17]. Muté en avril aumusée de l'armée pour y monter des expositions, il n'a à souffrir que des rationnements durant la dernière année de guerre[F 25].
Sollicité de toutes parts (portraits, illustrations, décors de théâtre), il note dans son carnet quelque 120 séances de pose[F 25]. Ses revenus augmentent au point qu'il acquiert des œuvres d'autres artistes et loue en juillet un grand atelier,Wattmanngasse 6, non loin du précédent qui reste son appartement. Il apparaît surtout comme l'héritier naturel de Klimt et le nouveau chef de file et défenseur des artistes autrichiens : sur l'affiche de l'exposition il s'était d'ailleurs représenté présidant une de leur réunions en face de la chaise vide du maître défunt[K 54],[S 17],[G 48].
Portrait de la femme de l'artiste, assise, 1918, huile sur toile, 140 × 109 cm,Galerie du Belvédère.
Egon Schiele et sa femme, enceinte depuis avril et dont le journal se fait l'écho d'une solitude désormais acceptée, vivent dans des sphères différentes ; il la trompe tout en veillant sur elle et l'envoie durant l'été se reposer en Hongrie[K 55]. Le tableauCouple accroupi — exposé en mars et réintituléLa Famille après la mort du peintre — n'exprime pas plus un désir qu'un refus de paternité, mais plutôt une vision pessimiste de la condition humaine, par l'absence de communication entre les personnages[K 56],[m] : il est néanmoins« devenu le symbole de la vie fulgurante et tragique de Schiele[LV 9] ».
Fin octobre 1918, Edith contracte lagrippe espagnole, devenuepandémique. Le 27, Egon Schiele fait d'elle un dernier dessin et elle lui griffonne un message d'amour fou ; elle meurt le 28 au matin avec l'enfant qu'elle porte. Le lendemain, Peschka découvre son ami déjà malade grelottant dans son atelier et l'emmène chez les Harms où sa belle-mère le veille. Le 30 au soir, Egon Schiele reçoit une dernière visite de sa mère et de sa sœur aînée[K 55]. Il s’éteint le à 13 h puis est inhumé le aux côtés de sa femme dans le cimetière viennois d'Ober-Sankt-Veit[M 8].
Apprenant sur son lit de mort l'imminence de l'armistice, Egon Schiele aurait murmuré :« La guerre est finie et je dois partir. Mes œuvres seront montrées dans les musées du monde entier »[M 8],[n].
S'il a pu s'initier avant-guerre auxtechniques de l'estampe[K 30],[S 16], Egon Schiele demeure d'abord et avant tout un peintre et un dessinateur. Ses 300 tableaux, issus d'un long travail, et ses 3 000 œuvres sur papier, promptement exécutées, sont tous empreints des mêmes obsessions[K 57], et traités avec une intensité graphique qui transcende la classification pargenres[LV 10]. La singularité absolue de l'artiste autrichien — qui reste résolument en marge des tendances de son temps[SS 6] — réside dans la façon dont il bouleverse la représentation du corps, chargé de tensions comme d'érotisme ou torturé jusqu'à la laideur[1],[2]. Reflet d'un désenchantement sociétal et d'une crise dusujet, en ce début deXXe siècle, cette œuvre traversée d'angoisses intimes vise aussi l'universalité[LV 11].
Chambre de l'artiste à Neulangbach (Mon salon), 1911, huile sur bois, 40 × 31,5 cm, Musée de Vienne.
Après une adhésion fervente à l'élégance de l'Art nouveau[1], Schiele penche vers l'expressionnisme naissant. Désormais tendu entre ces deux pôles, il en épure les artifices esthétisants[M 3] pour extraire les moyens d'exprimer sa sensibilité à vif, sans cesser — ce qui le distingue d'unKirchner ou d'unGrosz — de voir dans laligne un élément d'harmonisation fondamental[F 28].
Baignant dans l'ère d'influence duJugendstil, Schiele emprunte d'abord à l'art nouveau « commercial » (affiches, illustrations), voire àToulouse-Lautrec[F 8], des contours simples, desaplats de couleurs, une bi-dimensionnalité où se confondent premier et second plan[K 6]. Désireux de mettre l'accent sur la surface picturale et l'esthétisme de laligne[S 7], il s'inspire ensuite des compositions de Gustav Klimt, dont son art serait selonSerge Lemoine une« exagération violente et maniérée[V 7] ». Figure moins érotisée, projetée dans un espace plus ouvert mais comme hostile : déjà saDanaé s'éloigne de celle de Klimt[LV 12].
Portrait de Gerti Schiele, 1909, huile, crayon et peinture métallique sur toile, 139 × 140 cm,Museum of Modern Art.La Hargneuse (Gerti S.), 1909, gouache, aquarelle et fusain avec rehauts de blanc sur papier, 43 × 31 cm, coll. privée.
LaKunstschau de 1908 — qui contribua à l'avènement de l'expressionnisme[LV 12] — révélait en effet un essoufflement de la tendance décorative et le besoin d’une peinture plus évocatrice[K 7]. Exploitant la tension entre aspect décoratif et profondeur humaine, Schiele s'écarte rapidement de la stylisation et inverse la tendance de son mentor : loin de saturer les fonds dans l'espèce d’« horror vacui » (horreur du vide) centrale chez Klimt[M 4],[LV 12], il en chasse quasiment tout motif pour redonner la primauté à l'humain[K 9]. Moins radicalement toutefois qu'Oskar Kokoschka, Schiele abandonne l’art nouveau vers1909 pour se concentrer sur la physionomie et la gestuelle du modèle[V 8].
Vers1910 son trait se fait plus anguleux, avec des ruptures expressives, et sa palette plus sombre voire irréaliste[S 19],[1] : dépouillement, désarticulation à la limite de lacaricature, mise en relief dusomatique caractérisent sesnus etautoportraits[M 3]. Cherchant l'émotion avant tout, Schiele utilise des rouges, des jaunes, des verts qui ne se rencontrent pas chez Kokoschka niOppenheimer mais dans lefauvisme français et l'expressionnisme allemand : or il ne les connaît pas forcément[K 11] — pas plus que lecubisme lorsqu'il géométrise ses formes en1913[K 58].
Schiele est donc principalement influencé par Klimt, jusque vers 1909-1910. Au-delà, il explore les mêmes thèmes que lui, tels les liens entre vie et mort[2], mais dans une orientation expressionniste[K 15] qui, indépendamment du dynamisme des couleurs, gomme l'aspect ornemental par un tracé incisif[F 30].
Même quand son style s'apaise à la veille de laguerre[F 18], son art s'expliquerait au fond toujours par une contradiction entre le désir klimtien de créer une surface décorative et celui d'« obtenir une intensité expressive extraordinaire »[V 9].
Étroitement corrélée à sa vie intérieure, l'évolution des moyens artistiques de Schiele a été fulgurante.
Il a toujours ambitionné« la ligne parfaite, le trait continu qui allie de façon inséparable rapidité et précision[K 6] » : en 1918 il exécute ses dessins presque d'un jet[K 54]. Les témoins ont vanté ses talents de dessinateur.Otto Benesch, fils de son premier mécène, évoque ainsi les séances de pose où quantité de dessins précédaient la réalisation d'un portrait :« Schiele dessinait rapidement, le crayon glissait comme conduit par la main d'un esprit, comme en se jouant, sur la surface blanche du papier. Il le tenait comme un peintre d'Extrême-Orient tient son pinceau. Il ne connaissait pas lagomme et, si le modèle bougeait, les nouvelles lignes s'ajoutaient aux anciennes avec la même sûreté »[G 50]. Son trait est synthétique et précis[5].
Trois gamins des rues, 1910, crayon sur papier, 44,5 × 31 cm,Albertina.
Autoportrait nu, 1916, crayon et gouache, 29,5 × 46 cm, Albertina.
Jeune fille sur le dos bras et jambes croisés, 1918, crayon sur papier, 44,5 × 29,5 cm, coll. privée.
Qu'il ait ou non connu les réflexions deVassily Kandinsky à ce sujet, Schiele travaille sa ligne pour la charger d'émotion, la brise pour en faire un support privilégié d’expressivité, de psychologie voire de spiritualité[S 19]. Le trait anguleux du début desannées 1910[K 59] cède progressivement à des contours plus ronds, plus voluptueux, agrémentés parfois de« déviations expressives[K 52] » ou de hachures et petites boucles transposées peut-être de lagravure[K 60].
« En l'espace de quelques années, note Gianfranco Malafarina[o], la ligne de Schiele a connu tous les avatars possibles », tantôt nerveuse et saccadée, tantôt dolente et frémissante[M 6]. Hormis entre 1911 et 1912 où le tracé à lamine de plomb très dure se voit à peine[K 59], les contours à la mine grasse sont appuyés. Ils marquent une frontière entre la planéité de la feuille et les volumes du sujet[K 58], que le peintre sculpte davantage les dernières années : il finit parombrer ses portraits aufusain d'une façon presque académique[K 54].
Dans ses dessins, Schiele use de l'aquarelle et de lagouache, plus maniable, parfois épaissie à lacolle pour forcer le contraste. Il est passé d'aplats juxtaposés avec de légers chevauchements à des transitions plus fondues, et il pratique également lelavis[K 61]. Dès1911 sa technique est au point : sur un papier lisse voire traité pour repousser l'eau, il travaille ses pigments en surface ; la feuille est compartimentée en zones colorées soignées chacune à part[K 62], certaines, comme les vêtements, étant comblées à grands coups debrosse plus ou moins visibles[K 18]. Sertir la figure d'unrehaut de blanc ou de pigment n'aura qu'un temps[F 31] ; mêlermine de plomb,craie,pastel,peinture à l'eau et même àl'huile durera jusqu'à la fin[F 12].
« Jamais il ne coloriait ses dessins devant le modèle, poursuitOtto Benesch, mais toujours par la suite, de mémoire[G 50]. » À partir de 1910, les couleurs acides ou discordantes s'atténuent au profit de bruns, noirs, bleus, violets foncés[K 61] n'excluant ni le blanc ni les tons vifs, ocres, orangés, rouges, verts, bleus, même pour les chairs[K 58]. Ce chromatisme peu soucieux de réalisme[M 4] dérive volontiers« vers le macabre, le morbide et l'agonie[5] ». De la veille à la fin de laguerre, la palette de Schiele, qui lui importe moins que la qualité sculpturale du dessin, s'assourdit[K 54],[F 32]. En peinture il pose la couleur par petites touches, utilise aussi laspatule, expérimente ladétrempe[M 3] comme leglacis[K 60].
« Si Schiele imitait au début dans ses tableaux les lavis limpides de ses aquarelles, ses œuvres sur papier acquièrent à partir de 1914 l'expressivité picturale de ses tableaux », estime Jane Kallir[K 60]. Son œuvre a évolué des lignes brisées et des formes agressives de la transgression vers une ligne fermée et des formes plus classiques : Malafarina compare son parcours à celui du« peintre maudit » qu'étaitAmedeo Modigliani[M 4] et W. G. Fischer ajoute que« dans la géographie artistique de l'époque, l'Autrichien Schiele tient une place entreErnst Ludwig Kirchner et Amedeo Modigliani, entre le Nord et le Sud, entre le style anguleux et dramatique de l'Allemand et les formes douces et mélodieuses de l'Italien[F 33] ».
À l'instar de ses sujets non vivants, ses figures contorsionnées sont comme suspendues et saisies enplongée.
Deux filles sur une couverture à franges, 1911, gouache, aquarelle, encre et mine de plomb, 56 × 36,5 cm, coll. privée.
Faisant table rase de laperspective linéaire en vigueur depuis laRenaissance et de l'illusion spatiale qu'elle induit, Schiele adopte sur ses sujets un point de vue surplombant inhabituel[F 34]. Lui qui rêve de survoler les villes tel unrapace privilégie également dans ses nus et ses portraits une vision proche de laperspective aérienne : àKrumau, il se rend sur la colline du château pour voir la ville et le fleuve ; dans son atelier, il monte souvent sur un escabeau pour dessiner de plus ou moins haut, sur un genou, ses modèles allongés par terre ou sur un sofa[F 35],[S 20]. Enfin il lui arrive de combiner vue plongeante,frontale et latérale quand il représente deux personnages, ou le même dans des positions différentes[F 36].
Nu au bonnet vert, 1914, crayon, aquarelle et gouache sur papier japon, 48,5 × 31 cm,Albertina.
En réaction au foisonnement ornemental de l'Art Nouveau et de Klimt en particulier, Egon Schiele simplifie l'arrière-plan, le réduisant à un fond anodin jusqu'à l'éliminer complètement[M 4]. Ses dessins laissent visible la couleur blanche oucrème du papier. Sur les toiles, le fond souvent gris clair d'avant 1910[G 51] devient ensuite plus sombre, indéterminé, ou se résume à une juxtaposition de surfaces colorées suggérant un décor[F 37] qui confine à l'abstraction[S 21].
« Schiele traite sévèrement ses modèles, les projette en une forme condensée sur le devant d'une scène sans repères, vide de tout accessoire[G 52] », ce qui leur confère, surtout quand ils sont nus, une sorte de vulnérabilité[K 9],[4]. L'impression de flottement fait que certains dessins pourraient aussi bien être tournés dans un autre sens[F 38].
À la différence de Klimt, Schiele pense silhouette et structure avant mise en couleur[V 8]. Tandis que les formats carrés des peintures appellent à centrer le sujet[S 21], les corps dessinés sont cadrés de façon particulière : décentrés, toujours susceptibles d'être tronqués (pieds, jambes, bras, haut de la tête…)[S 12],[F 39], ils sont inscrits comme de force dans les marges de l'espace de représentation dont des pans restent vides[4].
Cadrages excentrés, fond vacant, vue plongeante, simultanéité d'états non synchrones provoquent chez le spectateur un sentiment d'inachèvement ou de décalage par rapport au réel[F 40].
Dominés par lespaysages urbains, les motifs non humains de Schiele se fontmétaphores« de la tristesse et du caractère éphémère de l'existence[S 22] ».
Quatre arbres, 1917, huile sur toile, 140 × 110 cm,Belvédère.
« Le dessin de nature ne signifie rien pour moi, assure Egon Schiele, parce que je peins mieux les tableaux de mémoire » : il pratique peu lapeinture sur le motif mais garde de ses promenades des impressions visuelles qui nourrissent l'œuvre à l'atelier[G 53],[S 10]. Ses paysages et natures mortes, d'abord réalisés dans les divers styles coexistant au début duXXe siècle — impressionnisme tardif,postimpressionnisme,Art nouveau[F 29] —, glissent ensuite vers unanthropomorphisme plus ou moins symbolique[S 10].
L'artiste a toujours fui la métropole moderne et, à l'inverse desimpressionnistes, desfuturistes italiens ou d'unLudwig Meidner, n'en montre ni le trafic ni l'agitation[S 23]. Il préfère les bourgs duDanube ou de laMoldau[F 43], non sans les trouver déprimants. Désertes, bordées voire entourées d'une menaçante eau sombre, les fenêtres des maisons ouvrant sur des trous noirs[F 44] : cette représentation subjective des villes correspond à l'état affectif du peintre, à son sentiment que les choses meurent[S 24] ou que, emplies d'une vie cachée, elles existent indépendamment des hommes[F 45].
Loin de signifier une distance par rapport au motif, la perspective aérienne permettrait d'y projeter« les effroyables hôtes qui font soudain irruption dans l'âme de minuit de l'artiste », comme disait son ami le peintreAlbert Paris Gütersloh : ceux-ci font place durant les dernières années à des observations plus concrètes, linge qui sèche par exemple[S 25]. Un peu avant1914 et quoique toujours privés de personnages, les paysages urbains de Schiele semblent « se réveiller » et, débarrassés de toute dimension symbolique, arborent des couleurs pimpantes[G 54] ou servent de prétexte à des constructions très graphiques autour de verticales, horizontales et diagonales bien marquées[F 45].
Comme dans ses poèmes de jeunesse ou ceux de l'expressionnisteGeorg Trakl, Schiele privilégie l'automne pour sapeinture de paysage, souvent centrée sur des arbres[S 22] : chez lui,« l'expérience de la nature est toujoursélégiaque », avanceWolfgang Georg Fischer[F 46]. Dans une stylisation qui frise l'abstraction, il semble s'identifier aux éléments du paysage, évoquant d'ailleurs dans une lettre àFranz Hauer« les mouvements corporels des montagnes, de l'eau, des arbres et des fleurs » ainsi que leurs sentiments« de joie et de souffrance »[F 47]. Jusqu'à la fin, ses paysages moins réalistes que visionnaires demeurent très construits et plutôt mélancoliques, même lorsque la palette se réchauffe et que les formes s'adoucissent[S 22],[F 48].
Quant auxnatures mortes, Schiele en a peint très peu. Hormis quelques objets ou des coins de la prison deSankt Pölten, ce sont des fleurs, surtout destournesols, isolés et étiques comme ses arbres voire étêtés par le cadrage, dépourvus de la chaleur qu'ils peuvent avoir chezVan Gogh[F 46] : la manière dont les feuilles brunies pendent par exemple le long de la tige évoque des attitudes humaines ou quelque chose de mort[S 10].
Portrait d'Arthur Roessler, 1910, huile sur toile, 99,5 × 100 cm,musée de Vienne.
« La tension entre la gestuelle expressive et la fidélité de la représentation [paraît] une des caractéristiques essentielles de l'art duportrait chez Schiele[F 49]. »
Egon Schiele a d'abord peint ses sœurs, sa mère, son oncle, puis a élargi le cercle de ses modèles à ses amis artistes et aux critiques d'art ou collectionneurs s'intéressant à son travail — mais non aux célébrités viennoises comme le lui suggérait l'architecteOtto Wagner[F 42].
Arthur Roessler observe chez lui une indéfectible fascination pour les personnages ou gestes expressifs stylisés :marionnettes exotiques,pantomimes, danses deRuth Saint Denis[S 26]. Le portrait de Roessler lui-même, en1910, est ainsi structuré par un jeu de mouvements et directions contraires ; une forte tension intérieure émane du regard hypnotique de l'éditeur Eduard Kosmack ; une symbolique indécise — geste de protection ? mise à distance? — unit dans une certaine raideur Heinrich Benesch à son filsOtto[F 50]. De tels portraits posent la question de savoir« qui, du sujet ou de l'artiste, met véritablement son âme à nu[K 18] »[LV 13].
Cessant de s'identifier à ses modèles (masculins) après1912, Schiele témoigne d'une finesse de perception croissante, d'abord dans ses dessins puis dans les portraits de commande[K 63]. Il parvient à rendre les états d'âme des modèles à l'aide d'un nombre réduit de détails[F 49], attitudes, mimiques[S 27], même si par exemple Friederike Maria Beer, fille d'une amie de Klimt, paraît encore un peu désincarnée, suspendue en l'air telle un insecte dans sa robe de laWerkstätte[G 55]. Dans certains portraits, estimait Roessler, Schiele« était capable de retourner l'intériorité de l'homme vers l'extérieur ; on était horrifié de se confronter à la possible vision de ce qu'on avait soigneusement occulté »[F 51],[S 27].
Fille assise, de face, 1911, aquarelle et mine de plomb, 46,5 × 32 cm,Neue Pinakothek.
Double portrait (H. Benesch et son fils Otto), 1913, huile sur toile, 121 × 131 cm, musée Lentos deLinz.
Friederike Maria Beer, 1914, huile sur toile, 190 × 120,5 cm, coll. privée.
Vers 1917-1918, l'artiste cadre toujours ses personnages de façon serrée mais se réapproprie l'espace autour d'eux[G 47], parfois un décor censé les représenter, comme les livres amoncelés autour dubibliophileHugo Koller[F 26]. Dans le portrait de son ami Gütersloh, l'application vibratoire des couleurs annonçait peut-être un nouveau tournant esthétique dans la carrière de Schiele[F 49].
« Jamais les critères de la beauté nue, codifiés parWinckelmann et l'Académie, n'ont été à ce point bafoués[G 10]. »
Nu masculin assis vu de dos, v. 1910, aquarelle et fusain sur papier, coll. privée.
La nudité crue, privée du voile de lamythologie ou de l'histoire[S 28], non canalisée ni esthétisée par les canons classiques, scandalise encore beaucoup au début duXXe siècle[K 19]. Or, abandonnant l'Art nouveau qui célèbre lui aussi la beauté et la grâce, le peintre autrichien casse d'abord des images traditionnellement idéalisées avec ses dessins provocateurs de jeunesprolétaires, de couples homosexuels notammentlesbiens, de femmes enceintes et, dans un registreparodique, de nouveau-nés« homoncules d'une choquante laideur[F 42] ». Ses modèles féminins et masculins, y compris lui-même, ont l'air mal nourris ourachitiques[F 52] et leur physique volontiers asexué a pu faire parler d'« inféminité » à propos de ses nus féminins[G 16].
Jusque vers1914 et commeOskar Kokoschka, Egon Schiele dessine ou peint avec« la crudité d'une vivisection[G 15] » des visages émaciés déformés par des rictus et des corps dont la chair se raréfie : membres osseux, articulations noueuses, squelette affleurant sous la peau, brouillant la frontière entre intérieur et extérieur[6]. Si les hommes sont plus souvent vus de dos que les femmes, tous donnent l'impression de corps souffrants, brutalisés par leur posture, disloqués ou avec des moignons[G 56] : tandis que la ligne brisée leur confère une fragilité crispée[S 6], la vision plongeante augmente leur présence suggestive et le vide leur vulnérabilité[F 36]. Quant aux parties génitales, elles sont tantôt escamotées, ou suggérées par une note rouge, tantôt soulignées, exhibées au milieu de vêtements relevés et de chairs blanches, comme dans le tableauVue en rêve[G 17].
Sur les dessins, des surfaces quasi abstraites distinguées par la couleur s'opposent à la facture plus réaliste des parties corporelles[F 53], et les zones de chairs aux masses sombres des cheveux ou des vêtements[K 60].« Le recours sporadique et partiel à la couleur apparaît comme le lieu d'une autre brutalité infligée au corps », estimeBertrand Tillier, rappelant que la critique viennoise parlait de « pourriture » face aux teintes verdâtres ou sanguinolentes des débuts[5]. Dans les peintures de la fin, les corps se détachent sur un vague mobilier ou un drap froissé pareil à un tapis volant[F 34].
L'évolution des dernières années conduit le peintre à représenter des icônes plutôt que des femmes individualisées. Gagnant en réalisme, en épaisseur distincte de la personnalité de l'artiste, ses nus deviennent paradoxalement interchangeables[K 50],[G 47] : les modèles professionnelles ne se distinguent pas toujours des autres, ni Edith d'Adele Harms[G 45]. Pour Jane Kallir,« ce sont désormais les portraits qui sont pleinement animés tandis que les nus sont relégués dans un esthétisme éthéré[K 64] ».
Nu masculin assis (autoportrait), 1910, huile et gouache sur toile, 152,5 × 150 cm,musée Leopold.
Egon Schiele a laissé une centaine d'autoportraits dont des nus« aux allures de pantins désarticulés, aux chairs tuméfiées, se masturbant, [qui] n'ont aucun précédent dans l'art occidental[S 29] ».
Surchargés d'éléments expressifs, notamment de1910 à1913, ses autoportraits ne sont pas flattés[S 30] : d'une maigreur ascétique, le peintre se montre dans d'étranges contorsions, le visage hirsute, grimaçant ou encore affligé d'unstrabisme, clin d'œil probable à sonnom de famille,schielen signifiant « loucher » en allemand. Comme dans les portraits, sa quête de vérité impliquant une nudité impudique[4],[LV 14] n'a pas de rapportmimétique avec l'aspect réel[S 30]. Son corps poilu, plissé, marbré de couleurs fantasmatiques, ou tronqué quand il n'est pas à moitié coupé par le cadrage, n'illustre pas seulement son désir de contester l'idéalisation classique mais le fait que chez lui,« l'autoreprésentation [a] peu de choses à voir avec l'extériorité[S 12] ».
Autoportrait double, 1915, crayon et aquarelle sur papier, coll. privée.Eros, 1911, craie, gouache et aquarelle sur papier, 56 × 45,5 cm, coll. privée.
« Les poses les plus convulsives des autoportraits pourraient être analysées comme desorgasmes [et] la masturbation expliquerait aussi l'apparition du « double », seul manipulateur, seul responsable[G 59] ». C'est dans ce sens qu'Itzhak Goldberg se penche sur l'importance des mains[p] dans les tableaux et particulièrement les autoportraits nus de Schiele. Ceux-ci d'après lui« se présentent tantôt comme une démonstration ostentatoire et provocante de lamasturbation, un défi lancé à la société, tantôt comme la mise en scène d'une riche série de stratagèmes servant à empêcher la main d'entreprendre ces activités irrépressibles[V 10] » : le sujet projette alors ses mains loin de son corps ou tourne vers le spectateur un regard inquiet, comme pour se dédouaner d'agissements coupables[V 11].
Jean-Louis Gaillemin voit dans ces séries d'autoportraits une quête de soi volontairement inaboutie, une sorte d'expérimentation[G 57]. Reinhardt Steiner pense que Schiele cherche plutôt à y exprimer une force vitale ou spirituelle dont l'idée lui viendrait deFriedrich Nietzsche et duthéosophisme alors en vogue[S 12] :« Je suis si riche que je dois m'offrir aux autres », écrivait-t-il[S 13]. Quoi qu'il en soit, Jane Kallir leur trouve« un mélange de sincérité et d'affectation qui les empêche de tomber dans le sentimentalisme ou lemaniérisme[K 16] » tandis queWolfgang Georg Fischer conclut à une« pantomime du moi qui fait de lui un artiste unique parmi tous les autres artistes duXXe siècle[F 35] ».
Dès1910 et jusqu'à sa mort, Egon Schiele« imagine de grandes compositions allégoriques destinées à renouveler le rôle social de la peinture. Ce sera un échec[G 31] ».
Schiele devant la toileRencontre (cliché Anton Trčka).
Il se rappelle peut-être les toiles monumentales qui ont lancé la carrière de Klimt[K 22]. Il s'attribue surtout une réceptivité proche dumysticisme[S 32] et, valorisant lapeinture à l'huile, cherche à y traduire ses visions quasi religieuses. Depuis 1912 Schiele a gardé une vision de lui-même comme saint martyr victime desphilistins[K 28] : dansLes Ermites, hommage à Klimt, tous deux en robe debure semblent faire bloc sur un fond vide[G 60]. Ses compositions s'inscrivent comme celles d'unFerdinand Hodler dans une tradition« mystico-pathétique » héritée duXIXe siècle, qui voit en l'artiste unprophète voyant ou unmartyr : leur interprétation n'en est pas moins délicate, beaucoup ayant en outre disparu[S 21].
L'année1913 le voit se lancer dans des toiles empreintes d'une spiritualité obscure[K 65] : il aurait ambitionné une immense composition grandeur nature pour laquelle il multiplie des études d'hommes dont un cartouche calligraphié précise le caractère psychologique (Le Danseur,Combattant,Le Mélancolique) ouésotérique (Dévotion,Rédemption,Résurrection,Conversion,Celui qui appelle,La vérité fut dévoilée)[G 61].Carl Reininghaus est très intéressé mais ce travail reste inachevé : les toiles sont redécoupées, seule subsisteRencontre (Autoportrait avec un saint) devant laquelle Schiele se fait photographier en 1914 par son amiAnton Trčka[G 61].
Dans les années qui suivent, les grands formats carrés l'invitent à développer le sujet sur un mode emphatique ; des autoportraits se mêlent à des personnages dont le corps s'étoffe, dont les attitudes évoquent des extases ritualisées (Cardinal et Nonne,Les Ermites,Agonie)[S 32],[G 61]. Celles qui ont pour sujet la mère ou la naissance relèvent d'une thématiquesymboliste traitée de manière lugubre du fait des rapports entre Egon et Marie Schiele. Titres — Mère morte,Mère aveugle,Femme enceinte et la mort —, figures maternelles closes sur elles-mêmes, thème récurrent de lacécité, indiquent qu'il s'agit de maternité non pas heureuse mais « aveugle », c'est-à-dire sans amour, et liée au malheur[S 33],[K 34]. En même temps,« la mère qui porte et nourrit le génie de l'enfant devient […] la figure symbolique centrale d'une conception mystique qui fait de l'art unsacerdoce[LV 16] ».
Mère morte I, 1910, huile et mine de plomb sur bois, 32 × 26 cm,musée Leopold.
Si les dernières grandes toiles paraissent plus voluptueuses et moins sombres — Femme allongée se livrant au plaisir solitaire,Amants qui s'étreignent timidement —, le message derrière l'anecdote demeure énigmatique car elles sont coupées de leur finalité, sinon inachevées[G 44].
Dès1911 émergent au fond dans l'œuvre de Schiele trois thématiques interdépendantes et transversales : naissance, mortalité, transcendance de l'art[K 22],[LV 16]. Cela explique son goût pour l'allégorie mais passe avant tout par sa manière unique de traiter le corps humain, influencée moins par ses fantasmes — ce qui n'évacue pas les questions sur ses nus — que par son époque et une société dont il traduit assez consciemment faiblesses et obsessions.
Egon Schiele« s'est emparé du corps avec une rare violence[7] », la place dusexe dans son œuvre étant souvent mal comprise[S 13],[K 19].
Acte d'amour, 1915, crayon de couleur sur papier, 49,5 × 32 cm,musée Leopold.
Quoique s'abstenant de tout rapport physique avec ses modèlesmineures, il ne cache pas qu'elles le troublent[G 29] et larumeur lui prête la plus importante collection viennoise d'estampes japonaisespornographiques[S 16] : au vu de ses premiersnus, nombre de ses contemporains voient en lui un obsédé sexuelvoyeur etexhibitionniste. Si ces œuvres ont d'abord été le lieu d'expression de ses angoisses personnelles[G 62], une distanciation affective et stylistique après 1912 prouve en tout cas qu'il a intégré les normes sexuelles de son temps[K 34], et son ami Erich Lederer déclare :« De tous les hommes que j'ai connus […], Egon Schiele est un des plus normaux[SS 8]. »
« Mais où finit le nu et où commence l'érotique ? interroge J.-L. Gaillemin. Où l'artiste « voyant » devient-il voyeur[G 59]? » Depuis le début, le travail de Schiele sur les corps est indissociable de sa quête artistique[F 55], de ses expérimentations formelles sans lien nécessaire avec le sujet représenté[K 20],[S 12]. Contorsionnés jusqu'augrotesque, ces corps demeurent aux yeux de certains d'une chargeérotique intense[1],[2] tandis que d'autres jugent inverse l'effet de leur nudité torturée[8],[K 20],[S 34] :« ses nus n'ont absolument rien d'excitant », écrit J. Kallir, mais sont au contraire« souvent effrayants, dérangeants ou franchements laids »[K 19] ;« si ses nus sont ambigus, concède Gaillemin, ses « érotiques » sont d'une inquiétante froideur[G 59] » ; sensualité et érotisme« ne sont qu'esquissés, car leur effet est aussitôt nié », renchéritBertrand Tillier[5].
Femme allongée aux bas verts, 1917, gouache et crayon gras sur papier, 29,5 × 46 cm, coll. privée.
À travers une gestuelle au besoin exagérée, les nus de Schiele se font le véhicule privilégié d'une représentation de sentiments ou tendances universels, à commencer justement par les émotions etpulsions sexuelles[F 56]. La provocation vise les normes esthétiques imposées comme les interdits de la sociétéBelle Époque : obscène peut-être mais non voyeur[S 35], Schiele est un briseur detabous qui ose évoquer le sexe, lamasturbation ou l'homosexualité, masculines et féminines[F 57].
Or il en donne le plus souvent une image non pas jouissive ni sereine, mais inquiète, sans joie, marquée d'une composantenévrotique voire morbide[F 58],[V 13]. Ses modèles ont rarement l'air détendu ou épanoui — leurs poses contraintes étant justement d'après Steiner ce qui distingue le regard quasi clinique de Schiele de celui de Klimt, plus voyeur au sens où il invite le spectateur dans des scènes d'abandon intime[S 35]. Ses autoportraits donnent à voir unphallus triste et privé d'objet, qui trahit les obsessions comme le malaise coupable de l'homme civilisé[V 14]. Tillier rapproche de l'art du poèteHugo von Hofmannsthal cette aptitude peut-êtresado-masochiste à traquer les petits secrets honteux de l'individu[5].
De même que les mouvements de ses modèles seraient des fantasmagories,« ses nus et ses couples érotisés illustrent desfantasmes sexuels », noteFischer[F 59]. Les nus de Schiele,« tourmentés par les effets durefoulement sexuel, offrent des similitudes étonnantes avec les découvertes de lapsychanalyse » sur la puissance de l'inconscient, confirmeItzhak Goldberg après Jane Kallir[V 10], et la plupart des commentateurs d'évoquer les recherches deCharcot etFreud sur l'hystérie[S 36],[9]. Schiele a d'abord violé à sa façon le mêmetabou que ce dernier : lemythe de l'enfance asexuée qui avait pu permettre à unLewis Carroll de photographier en toute bonne conscience des petites filles plus ou moins dévêtues[K 24].
Gauche :DrPaul Richer,Études cliniques sur l'hystéro-épilepsie ou grande hystérie, 1881. Droite : Schiele,Fille à genou tête penchée, 1915, crayon et gouache sur papier, 32,5 × 48 cm, musée Leopold.
Explorant les ressources expressives de la physionomie jusqu'aux limites de lapathologie, Schiele a produit des dessins que Steiner rapproche, par leurs crispations spasmodiques ou extatiques, des dessins etsculpturesanatomiques duDrPaul Richer[S 37]. Il est d'ailleurs possible qu'il ait pu voir des photographies prises à l'Hôpital de la Salpêtrière lorsque Charcot mettait en scène ses malades[G 63].« Schiele n'a pas représenté des hystériques, précise leplasticienPhilippe Comar, il s'est servi de ce répertoire d'attitudes pour donner corps aux angoisses d'une époque[LV 17]. »
Ville morte III, 1911, huile sur bois, 37 × 30 cm,musée Leopold.
La brutalité traversant l'œuvre de Schiele est à comprendre comme une réaction à une société sclérosée qui étouffe l'individu[4].
Ses fonds vides dégagent une impression onirique rappelant l'intérêt de l'époque pour lerêve (Freud,Schnitzler, Hofmannsthal, Trakl)[F 38] mais, loin de l'univershédoniste de la Sécession viennoise, Egon Schiele repousse le voile ornemental qu'un Klimt, dans sa quête d'harmonie, tente de jeter sur la dureté des réalités sociales et le mal-être de laBelle Époque enAutriche-Hongrie[F 52],[S 7],[G 64].
La ville morte, thème très « fin de siècle » en Europe (Gabriele D'Annunzio,Georges Rodenbach), paraît dans la série desannées 1911-1912 le symbole« d'une époque en décomposition[F 60] »,« du déclin ou de dangers à venir[F 45] ». Par ailleurs, esthétique expressionniste de la fragmentation[F 61], rictus asymétriques, corps tétanisés atteignant autragique par leur dépouillement ou leur laideur incarneraient les souffrances de toute une société et participeraient à la dénonciation des conventionsbourgeoises[4],[LV 17]. Dans les portraits et surtout les autoportraits, le thème du double ainsi qu'une représentation infidèle au sensréaliste peuvent figurer« le déchirement moderne de la personne[S 30] » et renvoyer, comme chez Freud,Ernst Mach ouRobert Musil, à la crise du sujet, à une identité devenue problématique dans un monde désenchanté insaisissable[LV 11].
Moins rebelle par exemple qu'un Kokoschka, Egon Schiele n'est pas l'anarchiste qu'ont voulu voir de nombreux critiques[SS 8]. Il reflète l'esprit de l’avant-garde viennoise qui, sans vouloir révolutionner l’art de fond en comble, revendique plutôt une tradition qu’elle estime dévoyée par l’académisme[LV 6]. Dans le sillage de la Sécession, Schiele est convaincu que les arts sont seuls à même d'enrayer la décomposition culturelle et les tendances matérialistes de la civilisation occidentale, dont la vie moderne, la misère sociale puis l'horreur de laPremière Guerre mondiale lui paraissent les conséquences directes : il ne fait pas place à celles-ci dans son œuvre, non par nostalgie mais dans une sorte d'espoir de rédemption esthétique[S 38].
« La carrière naissante de Schiele, qui est tellement un produit de son temps, s'achève avec la période qui a permis son éclosion[K 50]. » Passant dusymbolisme allégorique de Klimt à un modernisme plus brutal, il achève la transition duXIXe au XXe siècle[K 14]. Dans un environnement plus novateur, peut-être aurait-il franchi le pas vers l'abstraction[F 53].
Prédicateur, 1913, gouache, aquarelle et crayon sur papier, 47 × 31 cm,musée Leopold.
Egon Schiele acquiert très tôt la conviction que l'art, et lui seul, peut vaincre la mort[K 22].
Il est possible qu'il ait d'abord trouvé dans l'art un moyen de s'affranchir des autorités et contraintes diverses qu'il supportait mal[SS 7]. Son œuvre n'en pose pas moins des questions existentielles sur la vie, l'amour, la souffrance, la mort[K 14].
Sa prédilection pour l'autoportrait peut s'expliquer parce que ce serait le seulgenre artistique« à même de toucher tous les domaines essentiels de l'existence humaine[S 39] ». Tout comme ses villes désertes et ses façades aveugles, les paysages de Schiele, ses arbres frêles, ses fleurs fanées offrent en marge de leur aspect décoratif une image de la condition humaine et de sa fragilité[K 13]. Ses enfants laids, ses mères mélancoliques dégagent une impression de totale solitude,« il les peint et les dessine comme s'il voulait signifier une fois pour toutes que son travail n'est pas de montrer l'homme dans sa splendeur, mais dans sa plus profonde misère[F 62] ».
Les voyants d'eux-mêmes II (L'Homme et la Mort), 1911, huile sur toile, 80,5 × 80 cm, musée Leopold.
« Je suis homme, j'aime la mort et j'aime la vie », écrit-il dans un de ses poèmes vers 1910-1911, et elles sont conjointes dans son œuvre. Si à l'instar d'Arthur Schnitzler ou d'Alfred Kubin, Schiele conçoit la vie comme une lente maladie mortelle[5], il éprouve face à elle et à la nature un élan que contrebalance son angoisse de s'y perdre, et traduit son ambivalence en corsetant cette surabondance d'énergie pulsionnelle« dans une sorte decamisole de force plastique »[G 65]. Roessler disait que dans ses nus il avait« peint la mort sous la peau »[F 51], persuadé que« toute chose est morte-vivante »[5],[F 63]. Et dans un autoportrait commeLes voyants d'eux-mêmes, le double figurant la mort paraît lui-même la regarder avec effroi tandis qu'il tente d'immobiliser le vivant[F 54]. Chaque tableau deviendrait dès lors« comme une conjuration de la mort par la réappropiration méticuleuse, timide, analytique, morcelée des corps » et de la nature[G 58]. L'œuvre est pour Schiele une incarnation véritable :« J'irai si loin, affirmait-il, qu'on sera saisi d'effroi devant chacune de mes œuvres d'art « vivantes »[4],[G 66]. »
« Par sa vie et son œuvre, Egon Schiele incarne de façon emblématique l'histoire d'un jeune homme qui accède à l'âge adulte et lutte inexorablement pour atteindre quelque chose qui ne cesse de lui échapper[K 66]. »« L'art de Schiele, estime Reinhard Steiner, ne propose aucune issue pour l'homme, qui reste une marionnette sans défense livrée au jeu omnipotent des forces de l'affect »[S 27].Philippe Comar pense aussi que« jamais une œuvre n'aura montré avec autant de force l'impossibilité de saisir la vérité humaine dans une âme et un corps unifiés[LV 17] ». Jane Kallir conclut néanmoins que« la précision objective et la profondeur philosophique, l'aspect personnel et la dimension universelle, le naturalisme et la spiritualité coexistent enfin organiquement dans ses dernières créations[K 14] ».
Il semble d'ailleurs qu'il projetait en 1918 — suite peut-être à une commande et préparant pour cela des études de femmes — un mausolée où des chambres emboîtées se seraient succédé sur les thèmes « existence terrestre », « mort », « vie éternelle »[K 64].
La reconnaissance d'Egon Schiele sur le plan international n'a pas été immédiate ni linéaire mais s'est faite d'abord dans lemonde anglo-saxon et surtout après laSeconde Guerre mondiale. L'esprit subversif émanant de ses corps torturés commence à hanter d'autres artistes dès lesannées 1960[LV 18]. S'il est présent dans les grands musées du monde,Vienne conservant les plus importantes collections publiques, la plupart de ses œuvres, désormais très cotées, appartiennent à des particuliers[G 67].
La consécration de Schiele comme artiste de premier plan a plus tardé en France que dans d'autres pays[V 2].
Le recensement chronologique de ses œuvres n'est pas simple. Elles sont généralement datées et signées, dans une sorte decartouche au graphisme changeant influencé par leJugendstil[M 8] : mais le peintre, qui ne leur donnait pas toujours de titre et les datait souvent de mémoire dans ses listes, se trompait à l'occasion. Des centaines defaux ont en outre commencé à se répandre, peut-être dès 1917-1918[LV 19], alors que certaines œuvres attestées par des documents ont été perdues. Plusieurs spécialistes se sont donc successivement attelés à descatalogues raisonnés :Otto Kallir en 1930 puis en 1966,Rudolf Leopold en 1972[M 6],Jane Kallir, petite-fille d'Otto, en 1990 — elle entreprend notamment de répertorier les dessins — puis derechef en 1998, leKallir Research Institute mettant son catalogue en ligne vingt ans plus tard[LV 20], après que lamaison d'éditionTaschen a publié en 2017 celui de Tobias G. Netter.
Signature d'un dessin, 1911.
Signature d'une huile, 1914.
Signature d'un dessin, 1917.
À sa mort, Egon Schiele est un peintre reconnu dans le monde germanique, mais plus pour ses dessins et aquarelles que pour ses huiles[K 19] — du moins en dehors deVienne où unportfolio de reproductions avait paru en 1917[K 67] et où il est régulièrement exposé dans lesannées 1920[F 64]. Pendant la période dunazisme, ses œuvres sont considérées comme de l'art dégénéré : si plusieurs collectionneursjuifs autrichiens émigrent avec une partie de leurs acquisitions, beaucoup d'œuvres de Schiele sont spoliées — ainsi du petitPortrait de Wally Neuzil peint sur bois en 1912 — ou détruites[LV 19]. Il faut attendre l'après-guerre pour qu'il soit de nouveau à l'affiche enAutriche, enAllemagne de l'Ouest, enSuisse, àLondres ainsi qu'auxÉtats-Unis[F 65].
En dehors deRudolf Leopold, dont les collections d'art moderne ont servi de base aumusée éponyme[G 67], le galeriste et historien d'artOtto Kallir (1894-1978) a joué un rôle essentiel pour la notoriété de Schiele dans puis en dehors de la sphère culturelle germanique. En 1923, il inaugure àVienne saNeue Galerie (« Galerie nouvelle »), située à proximité de lacathédrale Saint-Étienne (Stephansdom), par la première grande exposition posthume de toiles et dessins d'Egon Schiele, dont il dresse un premier inventaire en 1930. Contraint après l'Anschluss de quitter l'Autriche, il ouvre à Paris une galerie qu'il nomme « Saint-Étienne », rapidement transférée àNew York sous le nom deGalerie St. Etienne, et travaille dès 1939 à faire découvrir auxÉtats-Unis les œuvres de Schiele : grâce à lui elles commencent à entrer dans les musées américains au cours des années 1950 et à faire l'objet d'expositions durant la décennie suivante[LV 19].
En France, l'art autrichien est longtemps tenu pour essentiellement décoratif donc secondaire[V 2]. Jusque vers 1980, les musées nationaux ne possèdent aucun tableau de Schiele, ni même de Klimt, vu pourtant comme le « pape » de l'Art nouveau viennois[V 15]. L'exposition de 1986 auCentre Pompidou à Paris marque un tournant : sous la direction deJean Clair, cet événement intitulé « Vienne. 1880-1938 : naissance d'un siècle » n'expose que des artistes viennois, sans y mêler les avant-gardes françaises[V 16]. Vingt ans plus tard, l'exposition duGrand Palais « Vienne 1900 : Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka », dont le commissaire principal estSerge Lemoine, sort de l'ombre le peintre et décorateurKoloman Moser mais consacre surtout les trois autres comme une« sorte detriumvirat de la peinture à Vienne » de la fin duXIXe siècle à 1918[V 17] : avec 34 œuvres, Schiele est le plus représenté[10].
S'il demeure longtemps étudié avant tout pour ses sujets plus ou moins choquants (symboliques, sexuels, etc.)[V 7], l'exposition qui se tient à laFondation d'entreprise Louis-Vuitton, à Paris, pour le centenaire de sa mort, tente une approche formelle, technique de l'œuvre, autour de laligne, et non pargenres ou sujets[LV 10].
Nu debout aux bas rouges, 1914, crayon, aquarelle et gouache sur papier, 48 × 32 cm,musée Leopold.
Une quarantaine d'années après sa mort, sesnus impudiques et angoissés, traduisant son refus du carcan moralaustro-hongrois, ont une influence sur le mouvement rebelle de l'Actionnisme viennois, qui place le corps au cœur de sesperformances :« Le souvenir des corps douloureux d'Egon Schiele surgit dans les photos deRudolf Schwarzkogler (1940-1969), de même que dans les actions radicales deGünter Brus (né en 1938) », estime la critique d'art Annick Colonna-Césari[LV 18],[11]. Depuis les années 1980, diverses expositions aumusée Leopold ou aumusée des Beaux-Arts de Winterthour ont montré qu'à travers des moyens différents s'exprime« une même obsession du corps, un même goût de la provocation, une même interrogation existentielle » chez Schiele d'une part et d'autre part chez Schwarzkogler, Brus, laplasticienne féministeValie Export, la peintre néo-expressionnisteMaria Lassnig[LV 18], ou encore, pour les plus jeunes,Elke Krystufek et d'autres[LV 21].
Peut-être parce que s'y est tenue la première rétrospective Egon Schiele hors des frontières d'Autriche et d'Allemagne, c'est auxÉtats-Unis et dans une moindre mesure auRoyaume-Uni que son influence est la plus forte : les personnages grimaçants deFrancis Bacon s'inscrivent dans son sillage tandis que la photographeSherrie Levine s'approprie dix-huit de ses autoportraits dans son œuvreAfter Schiele (« Après Schiele »)[LV 21].Jean-Michel Basquiat ne s'est pas plus réclamé de lui queCy Twombly en son temps : mais il connaissait son travail, ce qui pousse la Fondation Vuitton à monter en 2018 en parallèle les expositions Schiele et Basquiat[LV 22]. L'artisteTracey Emin revendique, elle, cette filiation, et raconte avoir découvert Schiele grâce aux pochettes d'albums deDavid Bowie inspirées de certains autoportraits[LV 18]. Dans plusieurschorégraphies enfin, de Christian Ubl ou Léa Anderson, les mouvements des danseurs paraissent calqués sur les postures des modèles du peintre autrichien[LV 21].
Maison avec lessive colorée, Banlieue II, 1914, huile sur toile, 90 × 120 cm, coll. privée.
Les nus de Schiele continuent à heurter : en 2017, lors d'une campagne annonçant les manifestations prévues à Vienne pour le centenaire de sa mort, les municipalités deLondres,Cologne etHambourg exigent que les affiches reproduisant des nus, tels leNu masculin assis de 1910 ou leNu debout aux bas rouges de 1914, soient barrées d'un bandeau masquant les parties sexuelles et sur lequel est inscrit :« Sorry ! 100 years old but still too daring today ! » (« Désolé ! Vieux de 100 ans et pourtant encore trop osé pour aujourd'hui ! »)[12],[13].
La cote de Schiele n'en progresse pas moins depuis le début duXXIe siècle. À titre d'exemple, une huile de dimensions modestes, unBateau de pêche à Trieste datant de 1912, est estimé en 2019, avant sa mise en vente chezSotheby's, entre 6 et 8 millions delivres (entre 6 et 8,8 millions d'euros)[14], tandis qu'un petit dessin découvert par hasard dans undépôt-vente duQueens est évalué entre 100 000 et 200 000 dollars (90 000 à 180 000 euros)[15]. En 2011 déjà, afin de pouvoir conserver lePortrait de Walburga Neuzil (Wally) en indemnisant ses légitimes propriétaires à hauteur des 19 millions dedollars fixés à l'issue d'une longue bataille juridique, lemusée Leopold met en vente le paysageMaisons avec lessive colorée de 1914[LV 19] : le tableau part à plus de 32 millions dedollars (plus de 27 millions d'euros)[16],[17], battant le record de 22,4 millions de dollars (plus de 19 millions d'euros) atteint cinq ans avant par un autre, car les paysages de Schiele sont rares sur le marché[18],[19].
De nombreux tableaux de Schieleont été pillés par les nazis chez des collectionneurs juifs qui ont été tués pendant l'Holocauste ou forcés à l'exil. Des cas notables concernent les œuvres de Schiele provenant notamment des collections de Fritz Grünbaum[20],[21],[22], Karl Mayländer[23] et Heinrich Rieger[24],[25], ainsi que de Leah Bondi, contrainte à l'exil[26]. La base de données allemande sur l'art perdu (Lostart.de) recense 254 inscriptions pour Schiele[27].
Hormis les acquisitions des grands musées du monde, les plus importantes collections publiques d'œuvres d'Egon Schiele se trouvent dans les musées autrichiens, quatre àVienne, un àTulln an der Donau.
En plus des carnets decroquis et d'un gros fonds d'archives, laGraphische Sammlung Albertina, collection graphique de l'Albertina, rassemble plus de 150 dessins et aquarelles issus de ceux qu'avait commencé à acheter en 1917 la Galerie nationale de Vienne, complétés ensuite par des œuvres acquises sur les collections d'Arthur Roessler et Heinrich Benesch, ainsi que par des dons du fils d'August Lederer, Erich[G 67].
Lemusée Leopold est riche de plus de 40 huiles et 200 dessins de Schiele, réunis à partir de 1945 et durant près de quarante ans parRudolf Leopold, qui s'est attaché notamment à racheter celles desJuifs autrichiens ayant émigré à cause dunazisme.
LaGalerie du Belvédère possède en marge de son énorme fondsGustav Klimt des œuvres importantes de l'expressionnisme autrichien, dont un bon nombre de toiles parmi les plus célèbres de Schiele, tellesMort et Jeune fille,L'Étreinte,La Famille,Mère avec deux enfants ou lePortrait d'Otto Koller.
Quant aumusée de Vienne, ensemble de musées historiques de la capitale, il détient des œuvres provenant principalement de la collection d'Arthur Roessler, comme son portrait ou celui d'Otto Wagner, des natures mortes, etc.
Lemusée Egon Schiele enfin, inauguré en 1990 dans la ville natale de l'artiste, met surtout l'accent sur sa jeunesse et ses études à l'Académie des beaux-arts de Vienne, à travers des œuvres originales et des reproductions[G 68].
Tombe de Edith et Egon Schiele au cimetière d'Ober-Sankt-Veit.
Plaque commémorative sur la gare deTulln an der Donau où Schiele est né.
Le tribunal de Neulengbach transformé en lieu artistique.
Entrée du 114 Hietzinger Hauptstraße où Schiele avait son atelier viennois.
Moa, 1911, mine de plomb, gouache et aquarelle sur papier, 48 × 31 cm, coll. privée.
1919 : « Die Zeichnung : Egon Schiele »,Vienne, Gustav Nebehay Kunsthandlung. 1923 : « Egon Schiele », Vienne, Neue Galerie. 1925-1926 : « Egon Schiele », Vienne, Kunsthandlung Würthle. 1928 : « Gedächtnisausstelung Egon Schiele », Vienne, Neue Galerie et Hagenbund. 1939 : « L'Art autrichien »,Paris, Galerie Saint-Étienne ; « Egon Schiele »,New York,Galerie St. Etienne. 1945 : « Klimt, Schiele, Kokoschka », Vienne, Neue Galerie. 1948 :24eBiennale de Venise ; « Egon Schiele : Gedächtnisausstelung », Vienne,Graphische Sammlung Albertina ; « Egon Schiele : Gedächtnisausstelung zum 30. Todestag », Vienne, Neue Galerie. 1956 : « Egon Schiele :Bilder, Aquarelle, Zeichnungen, Grafik »,Berne, Gutekunst & Klipsetin. 1960 : « Egon Schiele » :Boston, Institute of Contemporary Art ; New York, Galerie St. Etienne ;Louisville (Kentucky),Speed Art Museum ;Pittsburgh, Carnegie Institute ;Minneapolis Institute of Art. 1964 : « Egon Schiele :Paintings, Watercolours and Drawings,Londres, Marlborough Fine Arts ; « Twenty-Fifth Anniversary Exhibition », New York, Galerie St. Etienne. 1965 : « Gustav Klimt & Egon Schiele », New York,Musée Solomon R. Guggenheim. 1967 : « 2e Internationale der Zeichnung »,Darmstadt,Mathildenhöhe. 1968 : « Gustav Klimt, Egon Schiele : « Zum Gedächtnisausstelung zum 50. Todestag », Vienne,Graphische Sammlung Albertina etmusée d'histoire de l'art ; « Egon Schiele :Leben und Werk », Vienne,Österreichische Galerie Belvedere ; « Egon Schiele :Gemälde » et « Egon Schiele (1890-1918) :Watercolours and Drawings », New York, Galerie St. Etienne. 1969 : « Egon Schiele :Drawings and Watercolours, 1909-1918 », Londres, Marlborough Fine Art. 1971 : « Egon Schieleand the Human Form : Drawings and Watercolours »,Des Moines Art Center. 1972 : « Egon Schiele :Oils, Watercolours and Graphic Work », Londres, Fischer Fine Art. 1975 : « Egon Schiele »,Munich,Haus der Kunst ; « Egon Schiele :Oils, Watercolours en Graphic Work », Londres, Fischer Fine Art. 1978 : « Egon Schiele as He Saw Himself », New York, Serge Sabasky Gallery. 1981 : « Experiment Weltuntergang : Wien um 1900 »,Kunsthalle de Hambourg ; « Egon Schiele :Zeichnungen und Aquarelle », musée historique de la ville de Vienne ;Linz, Neue Galerie ;Munich,Villa Stuck ;Hanovre,Kestnergesellschaft. 1985 : « Traum und Wirklichkeit », Vienne,Künstlerhaus (Maison des artistes). 1986 : « Otto Kallir-Nirenstein :Ein Wegbereiter österrreichischer Kunst », musée historique de la ville de Vienne ; « Vienne, 1880-1938. L'Apocalypse joyeuse », Paris,Centre Pompidou. 1989 : « Egon Schiele und seine Zeit : Österreichische Malerei und Zeichnungen von 1900 bis 1930, aus der Sammlung Leopold »,Kunsthaus de Zurich ; Vienne, Kunstforum ; Munich, Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung.
Wally à la blouse rouge, 1913, crayon, gouache et aquarelle sur papier, 32 × 48 cm,Neue Galerie.
↑Prononciation enallemand standard retranscrite phonémiquement selon la normeAPI.
↑La correspondance de Schiele est conservée à la bibliothèque de l'Albertina, à Vienne[G 1].
↑La famille Schiele compte en Allemagne du Nord des générations depasteurs, fonctionnaires, officiers ou médecins[F 2].
↑À peu près oublié en dehors de cela, Griepenkerl aurait eu tellement honte d'avoir été le professeur de Schiele qu'il l'aurait conjuré de ne le dire à personne[F 9].
↑R. Steiner est un historien de l'art spécialiste de Schiele en particulier (Notice BnF).
↑Ce texte remanié sort en 1914 dans la revue d'extrême-gaucheDie Aktion, qui défend l'expressionnisme[S 4] et publiera également des poèmes de Schiele[F 11].
↑Wolfgang Georg Fischer, spécialiste de Klimt, Kokoschka et surtout Schiele, parle même de« narcissisme dépassant de loin la normale[F 13] ».
↑Historien et critique d'art maître de conférence à la Sorbonne, J.-L. Gaillemin a co-fondé plusieurs revues artistiques (Notice BnF).
↑Heinrich Benesch a néanmoins rassemblé du vivant de l'artiste la plus importante collection de ses œuvres, fonds Schiele de l'Albertina[F 14].
↑Jane Kallir se demande s'il n'a pas dû prendre le large parce qu'une patiente de la clinique où il dessinait se disait enceinte de ses œuvres[K 20].
↑C'est paradoxalement l'époque où il est rejoint par ses fantômes familiaux, croyant ainsi voir son père à son chevet[G 23].
↑Les croquis préparatoires attestent que l’enfant lui posait problème dans la composition[G 49].
↑Selon W. G. Fischer, ses mots exacts auraient été :« Je veux que mes œuvres soient montrées dans le monde entier »[F 27].
↑Essayiste et critique d'art, G. Malafarina s'est intéressé notamment à l'expressionnisme (Notice BnF).
↑D'une façon générale chez Schiele, les mains, souvent énormes et comme hors de contrôle, échapperaient à l'instar des visages au rôle de communication qu'elles jouent en peinture depuis la Renaissance[V 12].
↑Robin Massonnaud, « Une inhabituelle huile sur toile de Egon Schiele en vente à Londres fin février »,Mieux vivre votre argent,(lire en ligne, consulté le).
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