L’eau-forte est unprocédé de gravure entaille-douce sur une plaque métallique (métal non ferreux : cuivre, zinc, laiton) à l’aide d’un mordant[1] chimique (unacide). L’artiste utilisant l’eau-forte est appelé aquafortiste. À l’origine, l’eau-forte était le nom donné à l’acide nitrique.« Cette appellation elle-même est celle de l’acide nitrique étendu d’eau : l’aqua-fortis des anciensalchimistes[2]. » Aujourd’hui, l’acide nitrique est remplacé par des mordants moins toxiques, tel leperchlorure de fer.
L’eau-forte est un procédé de taille indirecte (par morsure du métal par un acide), par opposition à la taille directe (à l’aide d’outils, tels burin ou pointe sèche).« En un sens général, l’eau-forte, qui est à la fois le procédé, lagravure sur métal et l’estampe obtenue par cette gravure, s’oppose aux autres procédés detaille-douce (ou gravure en creux), exécutés aux outils (burin,pointe sèche,manière noire) »[2].
Parmi les différents procédés d’eaux-fortes, on trouve l’aquatinte, lagravure au lavis ou lamanière de crayon. Toutes désignent une technique de gravure où l’image est creusée sur une plaque de métal à l’aide d’un acide. Elles diffèrent en revanche par les outils ou vernis à graver utilisés. Le principe est simple : sur la plaque de métal préalablement recouverte d’unvernis à graver, l’artiste dessine son motif à la pointe métallique. La plaque est ensuite placée dans un bain d’acide qui« mord » les zones à découvert et laisse intactes les parties protégées. Après nettoyage du vernis, la plaque est encrée et mise sous presse[3].
« Eau forte » désignait originellement l'acide nitrique, alors employé par les graveurs dans la réalisation des plaques de cuivre gravées, ou plutôt oxydées par cette substance. Par la suite, la technique, de même que les œuvres produites par cette technique, sont appelées du même nom. Aujourd'hui, le terme d'eau-forte ne désigne plus que la technique de gravure et les œuvres produites.
Elle est rapidement employée dès leMoyen Âge par les orfèvres arabes, en Espagne et à Damas. Dès la fin duXVe siècle,Daniel Hopfer,armurier, aurait été celui qui a appliqué cette technique dans le domaine de l’image imprimée.
Urs Graf,Femme baignant ses pieds, 1513. Cette œuvre est considérée comme la première eau-forte datée de l'Histoire[4].
De grands graveurs, commeUrs Graf (1485-1527, actif à Zurich et à Bâle) dès 1513, etAlbrecht Dürer (Nuremberg, 1471-1528), en 1515, sont parmi les premiers à exploiter cette technique pour ses caractéristiques propres.
« À partir des années 1530, elle trouve sa véritable voie avec Francesco Mazzola (Parme, 1503-Casal Maggiore, 1540) ditParmigianino ou Le Parmesan, qui s’empare de cette technique et en use avec un brio extraordinaire[2]. » L’eau-forte devient très rapidement le moyen d’expression favori des « peintres-graveurs ».
À l’origine, l’outil employé est une simple pointe, qui permet deseffets graphiques proches de ceux de laplume. Cependant, cette technique connaît une importante transformation au début duXVIIe siècle, grâce à trois innovations majeures dues àJacques Callot (Nancy, 1592-1635), graveurlorrain formé enItalie. Celui-ci découvre la possibilité d’utiliser l’« échoppe », outil proche duburin, présentant un profil triangulaire, qui permet des effets de variation dans la grosseur du trait et, donc, l’usage despleins et des déliés. Les possibilités graphiques s’en trouvent multipliées. Il abandonne également levernis mou, utilisé jusque-là, qui ne permettait pas au graveur de poser la main sur la plaque. Il lui substitue un vernis dur, utilisé par lesluthiers, qui donne ainsi une facilité d’exécution réellement analogue à celle dudessin. De plus, il met au point un procédé de morsure dite « à bains multiples », c'est-à-dire qu’il a l’idée de protéger certaines parties de la plaque après une première morsure, avant de la plonger à nouveau dans le bain corrosif. Cela lui permet de jouer sur l’épaisseur et la profondeur des tailles et de varier ainsi la ligne avec une grande précision.
Il ouvre ainsi la voie à un nouveau terrain d’expérimentation :Abraham Bosse (Tours, 1602-Paris, 1676), grâce à l’emploi d’un vernis plus mou, permet à l’eau-forte de rivaliser avec le travail des burinistes. Celui-ci est tout d’abord l’auteur duTraité des manières de graver en taille douce sur l’airain par le moyen des eaux fortes et des vernis durs et mols, publié en 1645, premier manuel pratique et théorique sur l’eau-forte. Il tente par ce biais de faire admettre la gravure comme art majeur, au même titre que la peinture, la sculpture ou l’architecture. Quelques années plus tard, en 1648, lorsque l’Académie royale de peinture et de sculpture est créée en France, il est le premier graveur à y être accepté et à y dispenser des cours au même titre que l’enseignement du dessin, de l’anatomie et de la théorie de l'art. Sous son impulsion, l’édit de Saint-Jean de Luz, en 1660, consacre la gravure comme art libre. L’eau-forte et toutes les autrestechniques de l’estampe sont désormais considérées comme un art à part entière, propre à rivaliser avec la peinture de chevalet et les autres arts figuratifs. La gravure à l’eau-forte et la gravure en général sont théorisées et reconnues.
Cela conduit les graveurs à distinguer la gravure d’invention et la gravure d’interprétation. Celle-ci fait alors écho aux travaux de Bosse. LeTraité des manières de graver, publié en 1645, était un manuel, néanmoins il annonçait les prémices de la théorisation de la gravure en tant qu’art, fondée sur la distinction entre leburin et l’eau-forte Abraham Bosse,Traité des manières de graver en taille douce[pas clair]. En reconnaissant la supériorité du burin sur l’eau-forte, Abraham Bosse accordait cependant à l’exécution une place supérieure à la seule expression de l’idée : si « l’invention » et « les beaux contours » faisaient certes la qualité d’une estampe à l’eau-forte, celle-ci ne pouvait rivaliser avec la « netteté » du burin. Abraham Bosse, qui favorisait la propreté du burin, n’avait pas manqué de souligner combien l’eau-forte était plus propice au dessein et à l’invention, ce qui devint plus concret par la suite[6].
Rembrandt (Leyde, 1606-Amsterdam, 1669) exploite la technique de l’eau-forte au maximum de ses possibilités, en adoptant la technique des bains multiples. Il s’intéresse au processus d’impression en testant divers types depapiers, d’encre et de techniques d’encrage.
La plaque de métal, généralement ducuivre, plus résistante aux nombreuses impressions, ou dezinc, plus malléable, est recouverte, sur la face destinée à être gravée, d’unvernis à graver (dur ou mou) résistant à la solution utilisée pourmordre et recouverte sur son dos, soit également d'un vernis, soit d'un film protecteur également résistant à cette solution.
Le graveur exécute sondessin à l’aide de différents outils, avec lesquels il retire le vernis aux endroits qui contiendront l'encre lors de l'impression. Le vernis doit être retiré en fines striures afin d'éviter les « crevés », des grandes zones sans vernis qui ne pourront pas retenir efficacement l'encre, lors de l'encrage de la plaque.
La plaque est ensuite plongée dans la solution mordante, adaptée au métal, comme un acide, de façon à creuser les zones dégagées. Le bain utilisé est plus ou moins dilué et le temps de morsure plus ou moins long, selon la profondeur de taille que l’on veut obtenir. On peut également jouer sur le choix du « mordant », afin d’obtenir des attaques plus ou moins franches, voire parvenir à certains effets : l’utilisation de fleur de soufre en suspension permet par exemple d’obtenir, par une attaque diffuse et peu profonde (punctiforme), des effets de brume.
Le vernis est ensuite retiré avec un solvant de typewhite spirit et la plaque encrée. L'encre doit être étalée sur l'ensemble de la plaque, et bien pénétrer dans les fentes. L’excès d'encre est soigneusement retiré en frottant délicatement et parallèlement à la plaque avec de latarlatane, afin de laisser de l'encre dans les entailles, mais de dégager celle présente sur les surfaces planes, non creusées, de la plaque. Certains utilisent également dupapier journal, puis dupapier de soie. La plaque est recouverte d'une feuille de papier gravure préalablement humidifiée, recouverte de langes et passée sous presse. Les rouleaux de lapresse à taille-douce vont appuyer fermement sur la feuille et permettre ainsi le transfert de l’encre. Le résultat final est inversé par rapport à l’image gravée sur la plaque.
Le procédé à l'eau-forte n’est donc pas seulement mécanique, mais aussi chimique. Le geste le rapproche de la technique du dessin, ce qui n’est pas le cas des techniques sèches. L’eau-forte a l’avantage d’être bien plus facile à mettre en œuvre que leburin, qui nécessite une formation longue. Surtout, elle permet une plus grande rapidité d’exécution.
La plaque peut être également retravaillée auburin ou à lapointe sèche, mêlant ainsi plusieurs techniques.
Leperchlorure de fer présente d'autres propriétés que l'acide nitrique ; son avantage, c'est qu'il creuse sans écarter les tailles, évitant que des traits dessinés fins et rapprochés se rapprochent en un seul gros trait[8]. Toutefois, le perchlorure de fer est coloré, rendant le liquide qui le contient opaque et rendant difficile de contrôler l'évolution de la matrice lors de sa plongée dans son bain[8]. De plus, cet acide réagit avec la plaque du métal, y déposant une couche d'oxyde de fer devant être régulièrement rincée[8].
↑AnnaBaydova, « Les estampes de l’école de Fontainebleau dans la collection de la BnF : avancée des connaissances à travers quelques études de cas »,Nouvelles de l’estampe,no 268,(ISSN0029-4888,lire en ligne, consulté le).