Culturellement la période est marquée par un foisonnement important, les très nombreuses productions marquent durablement et profondément laculture coréenne : l'écriturehangŭl est développée en1443, les couleurstanch'ŏng gagnent en popularité, et les céramiques de typepunch’ŏng atteignent une certaine apogée. Les lettrésyangban sont à l'origine d'une très grande production littéraire, scientifique et artistique, notamment dans ledomaine de la peinture. Une culture populaire s'affirme aussi en parallèle, d'où sont issus la peintureminhwa, la dansetalchum ou les chantspansori.
La lutte contre ces incursions étrangères fait émerger deux figures militaires,Ch'oe Yŏng etYi Sŏng-gye. Ceux-ci ne tardent pas à s'opposer lorsque ladynastie Ming cherche à reprendre le contrôle en1388 du nord de la péninsule. Alors queCh'oe Yŏng prend la tête d'une armée et entend envahir leLiaodong,Yi Sŏng-gye le seconde dans cette invasion, mais refuse de franchir lefleuve Yalou. Il utilise au contraire son armée contre le roiU et le dépose ainsi queCh'oe Yŏng. Il fait nommer par la suiteCh'ang en1388 puisKongyang l'année suivante, avant de prendre le pouvoir en son nom propre en1394[4]. Il fait déplacer la capitale à Hanyang (Séoul) en1394, pour la première fois de l'histoire du pays[5].
Concentration puis délitement du pouvoir de la dynastie
Le roiTaejo fait produire vingt-six portraits comme celui-ci (copie de 1872) qu'il fait afficher au travers du pays.Exemple de lettre datant de 1397, et fixant la rémunération d'un fonctionnaire à partir d'une terre.
Le roiYi Sŏng-gye, qui prend par la suite le nom de roi Taejo, commence son règne en1394, et prend appui sur des lettrés néo-confucéens commeChŏng To-jŏn et Cho Chun. Il cherche à mener à bien dans un premier temps uneréforme agraire pour saper la puissance des grandes familles aristocratiques et s'assurer le soutien du peuple[4]. Il fait brûler le registre identifiant les propriétaires des grandes propriétés en1390, et promulgue en1391 leKwajŏnpŏp qui fixe une nouvelle répartition des terres. L'État nationalise ainsi les terres des grandes familles, causant leur faillite. Les terres servant à assurer le financement des fonctionnaires sont limitées à la région duKyŏnggi, à proximité immédiate de la nouvelle capitale à Hanyang (Séoul), là où la surveillance est plus simple à établir. Dans le reste du pays, les terres sont exploitées directement par les paysans, qui reversent une taxe fixe. La réforme permet ainsi d'assurer au nouvel État des revenus importants et stables, tout en écartant les anciens pouvoirs et en s'assurant le soutien des paysans[5].
Le nouveau régime s'inspire du modèle chinois pour asseoir sa légitimité. Les rues de la capitale Hanyang suivent l'alignement des points cardinaux comme les villes chinoises, et le nouveau roi revendique unmandat céleste pour justifier le remplacement du régime précédent, conformément aux préceptesnéoconfucianistes. Des biens appartenant aux templesbouddhistes sont confisqués et redistribués aux soutiens du nouveau régime[6], et la présence de cette religion au sein de l’État est combattue. Un code de lois, leKyŏngje yukchŏn, est publié en1397 parChŏng To-jŏn, qui pose les jalons de l'organisation du nouveau régime et sert de base aux textes suivants[7]. Le récit historique duKoryŏ donne lieu à la publication de deux ouvrages d'histoire officielle, leKoryŏ-sa en1451 et leDongguk Tonggam en1485, qui visent à légitimer le nouveau régime[8]. Le nom du nouveau régime est adopté après consultation et approbation du régime chinois. Le nom de Hwaryŏng, lieu de naissance du roi Taejo, est écarté. Pour des raisons symboliques celui duroyaume de Joseon (dont leWiman Joseon), ayant existé environ 1500 ans auparavant et par la suite désigné sous le nom d'Ancien-Joseon (Gojoseon) est retenu[9].
Le pouvoir royal s'oppose régulièrement à des factions aristocratiques rivales, et plusieurs rois sont déposés et remplacés par un autre membre de la dynastie Yi. AinsiTaejo abdique en1398 et laisse son pouvoir à son fils,Chŏngjong ; mais celui-ci est déposé par son frèreTaejong qui règne de1400 à1418[10]. Si son successeurSejong le Grand règne de1418 à1450, deux rois se succèdent (Munjong puisTanjong) avant queSejo n'arrive au pouvoir au moyen d'un coup d'État. Sejo fait exécuter ou exiler des centaines d'opposants politiques pour affirmer son pouvoir, notamment lesSix lettrés martyrs en1456. Sa politique de mise au pas de l'aristocratie ne survit pas à son règne, et son successeurSŏngchong gouverne de1469 à1494 en se reposant assez largement sur cette élite.Yŏnsan'gun tente de revenir sur ce système, mais il est renversé en1506[11].
LesSŏwon — instituts néoconfucéens — ici celle de Sosu, la plus ancienne, se développent dans les campagnes du pays à partir de1545 et permettent l'essor desSarim, les factions de lettrés.
Les luttes de pouvoir ont aussi lieu entre factions aristocratiques rivales. Les roisSejo etSŏngchong prennent assez largement appui sur lesHun'gu, issus d'une faction nommée par le pouvoir en raison de ses mérites et des services rendus au roi. Cette faction utilise sa position dominante pour étendre son pouvoir et ses richesses. Cette concentration se fait au détriment de la paysannerie et le brigandage se développe — la figure du brigandIm Kkŏk-Chŏng est très populaire à l'époque[12]. Face aux Hun'gu, essentiellement issus de la capitale, commence à se dresser la faction desSarim, essentiellement issus des campagnes du royaume, qui appelle à des réformes[13]. Elle est le résultat de l'essor d'un réseau deSŏwon, académiesnéoconfucéennes, qui se développent dans les campagnes du pays à partir de1545[14]. LesSarim commencent à intégrer la bureaucratie centrale sous le règne deSŏngchong[13]. Ces luttes de pouvoir entre factions culminent avec plusieurspurges de lettrés coréens en1498,1504,1519, et1545, lors desquelles de nombreux hauts responsables de ces deux factions sont tour à tour écartés ou exécutés[15]. Ces rivalités entrainent l'émergence defactions politiques pendant la période Joseon, celles-ci perdurent au-delà duXVIe siècle[16].
Les quarante et un ans du règne deSŏnjo voient les premières factions de lettrés apparaitre, ainsi que les Japonais envahir le pays à plusieurs reprises lors de laguerre d'Imjin.
LesSarim s'imposent avec la purge de 1545. Le nombre de postes auxquels peuvent prétendre les lettrés reste cependant fixe, alors que les effectifs desSarim ne cessent de croitre. Ils se regroupent en factions rivales pour favoriser leurs carrières respectives. Au début du règne du roiSŏnjo (de1567 à1608) a lieu en1575 la séparation entre lafaction occidentale et lafaction orientale, en référence aux quartiers de Séoul où résident leurs leaders[17]. Cette dernière se divise à son tour entre factions rivales en1591 : lafaction méridionale et lafaction septentrionale. Des purges sanglantes marquent alors la vie politique du Chosŏn, même lors de guerre avec des pays voisins. L'une des plus violentes, larébellion de Chŏng Yŏrip, éclate en1589, trois ans avant l'invasion du pays par les Japonais[14].
Instabilité lors de la période de reconstruction après les invasions japonaises et mandchoues
Après lesinvasions japonaises de 1592 et 1598 — laguerre d'Imjin conduite par ledaimyoToyotomi Hideyoshi — et lesinvasions mandchoues de 1627 etde 1636, toutes repoussées, la reconstruction du pays est menée sous le règne deKwanghae-gun entre1608 et1623. Celui-ci prend appui sur un groupe issu de lafaction septentrionale. Il met en place des nouveaux registres pour répertorier les terres et la population, et permettre la collecte de taxes. Il poursuit aussi une politique étrangère visant à garantir la neutralité de la Corée, alors que la Chine desMing est peu à peu soumise par des Mandchous, les Jürchens de ladynastie des Jin postérieurs, lesquels parviennent à fonder en Chine même ladynastie Qing (1644 - 1912). Avant que les Ming ne s'effondrent, ce roi de Corée, Kwanghae-gun, est contraint par les lettrés coréens à envoyer une force de 13 000 soldats pour aider l'empire chinois. Après la défaite de cette troupe,Kwanghae-gun est démis par le groupe issu de lafaction septentrionale qui lui reproche son manque de soutien aux Ming[18].
Yi Kwal, qui a participé au renversement deKwanghae-gun au profit du roiInjo, lance une rébellion pour renverser le nouveau roi en et occupe Séoul. Ses troupes sont vaincues en mars, mais rejoignent celles desJin postérieurs et convainquent celles-ci d'attaquer Chosŏn[19].
Un système politique à l'équilibre entre factions rivales auXVIIIe siècle
La période qui fait suite aux invasions japonaises etJürchens de la Corée de 1627 et 1636 continue d'être marquée par la prédominance de certaines factions. Lafaction méridionale s'impose à partir de1674, puis est écartée du pouvoir par lafaction occidentale en1689. Cette dernière éclate entre deux nouvelles factions,Noron (ou anciens) etSoron (ou jeunes). LesNoron prennent l'ascendant[20].
La période qui couvre les quarante-cinq ans de règne deSukjong, de1675 à1720, ramène une certaine stabilité dans le pays. La frontière nord est renforcée militairement et une réforme fiscale permet d'améliorer la productivité agricole. Les discriminations dont souffre une partie de la population sont aussi réduites. Le régime est cependant affaibli politiquement par une crise étalée sur vingt ans et portant sur la succession royale. Tournant autour des figures de la reineInhyeon et de la concubine royaleJang Ok-jeong(en), cette crise voit les factions s'affronter au détriment de la légitimité royale[21].
Pendant le demi-siècle de son règne,Yŏngjo parvient à équilibrer l'influence des clans de lettrés tout en poussant plusieurs réformes.
Deux rois se succèdent, qui réussissent à ramener une certaine stabilité politique :Yŏngjo qui règne de1724 à1776, puis son petit-filsChŏngjo qui lui succède de1776 à1800. Ils parviennent à stabiliser le pouvoir entre les différentes factions en nommant, à parité, des représentants à celles-ci à différents postes clefs. Ils cherchent à incarner au mieux lamorale néoconfucéenne, en visant à présenter l'image des rois comme des personnes sages pour en faire les détenteurs légitimes d'unmandat céleste pour gouverner[20]. Cette politique ne parvient pas à faire baisser l'importance des lettrés à la cour, ces derniers restant, pour beaucoup de Coréens, la source de cette morale néoconfucéenne. De nouvelles factions continuent ainsi de se former au gré des évènements politiques[n 1],[22]. Les roisYŏngjo etChŏngjo parviennent néanmoins à réaliser plusieurs réformes qui favorisent le développement du pays. Les revenus de l'État s'accroissent grâce à plusieurs réformes fiscales, ce qui permet d'accroitre la puissance militaire coréenne. L'édition de nombreux livres est favorisée par la puissance royale, de manière à permettre la modernisation du pays dans de nombreux domaines[23].
Le système politique est de plus en plus critiqué par le courantSilhak (ou « études pratiques »), regroupement des lettrés qui pointent les dérives doctrinaires dunéoconfucianisme et proposent une approche plus concrète pour répondre aux défis de l'époque. La publication de l'encyclopédieChibong yusŏl parYi Su-gwang en1614 est souvent vue comme le point de départ de ce courant informel[24], et d'autres figures commeYi Ik, auteur de l'encyclopédieSŏngho saesŏl en1780 poursuivent ces critiques tout au long duXVIIIe siècle[25]. Le courantPukhak (ou « études du nord », en référence à la capitale chinoise) va conserver cette critique et ce besoin de modernisation en proposant, à nouveau, la Chine comme exemple à suivre. Yu Su-wŏn est considéré comme le pionnier de ce courant qui compte par ailleurs Hong Tae-yong,Pak Chi-wŏn etPak Che-ga[26].
La mort du roiChŏngjo en1800 ouvre un siècle où quatre rois accèdent au trône[n 2] alors qu'ils sont trop jeunes pour exercer directement le pouvoir[21].Sunjo, qui règne de1800 à1834, est couronné alors qu'il n'est âgé que de11 ans. C'estKim Cho-sun(en), du clan desKim d'Andong, que ladouairière nomme pour l’assister au pouvoir. Ce dernier profite de sa position politique pour favoriser le mariage de sa filleSunwon(en) avec le roi. Le petit-fils du roiSunjo,Hŏnjong, lui succède ensuite alors qu'il n'est âgé que de8 ans, et règne jusqu'à sa mort à21 ans sans avoir d'héritier. C'estCh'ŏlchong qui lui succède, issu d'une branche royale exilée sur l'île deKanghwa à la suite d'accusations de trahison. Ce roi meurt à seulement32 ans sans héritier mâle pour lui succéder. C'estKojong, âgé de12 ans, qui est choisi pour lui succéder[27],[23]. Des régences sont alors exercées, donnant lieu à une prise de contrôle par la belle-famille du roi, dite aussipolitique Sedo. Des familles aristocratiques puissantes accaparent ainsi des pans croissants du pouvoir : lesKim d'Andong de 1800 à 1834, puis les P'ungyang Cho après cette date[23],[27]. Des membres de la famille royale Yi sont même exécutés ou bannis pour avoir critiqué la politique mise en place par ces deux familles ; la famille royale n'a plus auXIXe siècle qu'un pouvoir de façade[23].
La confiscation du pouvoir par quelques familles aristocratiques entraine la désorganisation de l'État. La corruption se développe. L'accès à certaines responsabilités régionales ou locales se monnaye, et, une fois en place, les nouveaux responsables n'hésitent pas à augmenter illégalement les taxes collectées auprès des paysans pour couvrir leurs dépenses[28]. Le coût de ces dépenses repose alors sur les paysans, qui se révoltent à plusieurs reprises ou basculent dans le brigandage. En1812 une rébellion menée parHong Kyŏng-nae agite la province deP'yŏngan, et en1862 des troubles similaires éclatent dans celle deKyŏngsang[29]. Ces révoltes paysannes font émerger la personnalité deChoe Je-u, dont l'action prend un tour doctrinaire avec la création du mouvementcheondoïsme[30]. La capitale Séoul est, elle aussi, touchée par des agitations violentes en1833[31].
Les troubles ébranlent aussi la classe desyangban sur laquelle prend traditionnellement appui le régime. Des purges violentes touchent de nouveaux les lettrés en 1801 puis en 1839. Des yangban déclassés se joignent, ponctuellement, aux mouvements paysans, quand ils ne participent pas, par leurs écrits, à critiquer les dérives du système politique[31].
Essor des mouvements Kaehwa Sasang, Sŏhak, et Tonghak
Face aux crises qui agitent le système politique, plusieurs modèles de pensée connaissent une certaine popularité dans la Corée duXIXe siècle[29].
Un système informel deLumières à la coréenne, ouKaehwa Sasang, se concentre sur le modernisation du pays. Le penseurDasan cherche à opérer une synthèse entre lesSilhak (ou « études pratiques ») et lesPukhak (« études du nord » ou « études chinoises »), et publie plus de cinq cents travaux de nature encyclopédique[29].Yi Gyu-gyeong (Yi Kyu-gyŏng) conserve la même approche. Sŏ Yu-gu publie leImwŏn Simnyukchi en 1835 ; il se concentre sur l'agriculture, et propose des pistes de réforme. La géographie fait elle aussi l'objet de publications qui ouvrent la représentation du monde aux autres pays non asiatiques[32].
Le mouvementTonghak, ou « études de l'est », se développe à partir de la figure deCh'oe Che-U en opposition à l'influence des idées occidentales. Il oppose au catholicisme une synthèse d'idées issues duconfucianisme, dutaoïsme, dubouddhisme et duchamanisme coréen. Nationaliste, il refuse toute forme d'influence étrangère. Depuis cette approche religieuse, Ch'oe Che-U tire des enseignements sociaux qui attirent à lui de nombreux paysans. Le gouvernement ne tarde pas à le voir comme une menace, le fait exécuter en1864 et interdit ses idées. Celles-ci continuent cependant à se développer dans la population et à gagner une large assise populaire, au point d'aboutir àune grande révolte en 1894[35].
Le régentTaewŏn'gun, à gauche en 1883, et lareine Min, à droite (?)[n 3], portant une lourde perruque-cheveux, lagache, et un postiche laqué. Tous deux sont au centre des intrigues du pouvoir à la fin de l'époque Joseon.
Le régentTaewŏn'gun exerce le pouvoir de1864 à1873 pour le compte de son fils, le roiKojong. Son opposition à lareine Min structure la politique de la fin du siècle. Il poursuit plusieurs objectifs : exclure les grandes familles aristocratiques de la haute administration, lutter contre la corruption, insuffler des réformes administratives et réinstaurer le pouvoir de la famille royale. Il fait fermer la plupart des académies néoconfucianistesSŏwŏn en1871[36], et fait reconstruire le palais royal duKyŏngbokkung, en ruines depuis l'invasion japonaise de 1598. Très autoritaire, il parvient à accroitre les capacités de finances de l'État, ainsi que sa puissance militaire[37]. Partisan d'une position isolationniste, il doit faire face à l'expédition française de 1866 et à l'expédition américaine de 1871, qu'il revendique comme des victoires coréennes[38]. Il doit cependant laisser sa place à son fils en 1873, victime d'une révolution de palais menée par l'épouse de celui-ci, lareine Min[37].
Kojong monte sur le trône en 1873, épaulé par lareine Min. Contrairement à son père, il pense que la politique isolationniste n'est pas tenable[39]. Les Japonais contraignent ainsi la Corée à signer son premier traité d'ouverture, letraité de Kanghwa[40]. Il poursuit une politique de« voie orientale, machines occidentales » outongdo sŏgi pour moderniser l'administration du pays et son armée[41]. Plusieurs missions sont envoyées au Japon pour étudier comment le pays s'est modernisé et, en1881, une ambassade se rend auxÉtats-Unis[42]. Cette politique doit faire face à une grande opposition parmi les lettrés néoconfucéens. Unemutinerie éclate en 1881, qui incite la Chine et le Japon à intervenir directement sur le sol coréen et entraîne unetentative de coup d'État en 1884[43]. Malgré ces incidents, des réformes voient le jour dans la deuxième moitié des années 1880 touchant les sciences et technologies, l'éducation et la presse[44]. Un réseau électrique et un réseau de télégraphe commencent à être déployés à cette époque dans les grands centres urbains[45].
Le dernier roi de l'époque Joseon,Kojong, monte sur le trône en 1873 (ici en1884).
Une dernière série de réformes, lesréformes Kabo, sont lancées en1894 et1896. Alors que le régime de Chosŏn demande de l'aide à la Chine pour mater larévolte Tonghak de 1894, les Japonais utilisent ce prétexte pour envoyer, eux aussi, une force en Corée. Ils déclenchent ainsi lapremière guerre sino-japonaise[46]. Les Japonais fomentent alors un coup d'État et placent au pouvoirTaewŏn'gun. Sous la contrainte de l'armée japonaise, deux réformes sont imposées en 1894 et 1896, qui visent à moderniser de force le pays, en visant les intérêts politiques et économiques du Japon[47]. Lareine Min est finalement assassinée par les Japonais en1895 alors qu'un rapprochement avec laRussie pour contrer l'ingérence japonaise était envisagé[48].
AuXIVe siècle, le roiTaejo prend, dès le début de son règne, des mesures pour renforcer la puissance militaire de la Corée. Il doit faire face, en même temps, à des menaces venues du nord (peuplades nomades Jürchen) et du sud (pirates japonais). Le commandement de l'armée est centralisé, et les grandes familles n'ont plus le droit d'entretenir une armée privée ; seul l'État dispose des forces militaires. Les soldats professionnels doivent réussir un concours pour être recrutés, et laconscription sert de force d'appoint[49].
Les efforts diplomatiques de voisinage — en coréen :gyorin — les plus importants sont tournés vers la Chine de ladynastie Ming. Le pouvoir coréen cherche activement à mettre en place de bonnes relations avec son voisin. Les relations sont à l'origine tendues, le pouvoir chinois ne voyant pas d'un bon œil la politique que la Corée met en place vis-à-vis des populations Jürchen ; des ambassades venues de Corée sont même ponctuellement déclinées lors des premières décennies de relations. Le pouvoir coréen va jusqu'à laisser des princes royaux dans la capitale chinoise comme otages. Destributs sont versés à intervalles de plus en plus réguliers (tous les trois ans puis tous les ans, puis plusieurs fois par an)[50].
Au nord, une triple politique est mise en place vis-à-vis des Jürchen : des campagnes militaires sont lancées pour neutraliser les menaces militaires, les échanges commerciaux pacifiques sont favorisés et une assimilation aux populations coréennes est poursuivie : entre1431 et1447 de nombreux Coréens sont incités à s'installer le long du fleuveYalou. Six forts sont construits le long du fleuveTumen[51]. Plusieurs mesures sont prises pour combattre les pirates japonais. L'île deTsushima qui leur sert de base estattaquée par la flotte coréenne en 1419. Le pouvoir coréen offre aushogun Ashikaga un exemplaire duTripitaka Koreana pour l'inciter à combattre plus efficacement les pirates présents sur son sol. Des accords commerciaux sont aussi décidés pour rendre le commerce plus lucratif entre les deux pays, ce qui détourne certains responsables locaux des activités illégales qu'ils pratiquaient[51].
L'unification duJapon parToyotomi Hideyoshi incite ce dernier à envisager une invasion de laChine, de manière à distraire les chefs de guerre japonais des luttes de pouvoir internes. Toyotomi adresse au pouvoir coréen une demande pour qu'il laisse passer des troupes japonaises sur son territoire, de manière à attaquer la Chine, mais celui-ci refuse. En, une flotte de quelque 158 000 soldats japonais débarque près dePusan. Les troupes japonaises bien plus aguerries et mieux équipées que les troupes de Chosŏn progressent vite dans le pays[52]. La capitale Séoul est prise dès le mois de juin, alors que les membres du pouvoir ont pris la fuite. La Chine desMing ne se décide à intervenir qu'en, et détache le généralLi Rusong avec une force de 40 000 soldats. En mer, l'amiral coréenYi Sun-sin remporte plusieurs batailles cruciales qui coupent les troupes japonaises de leur approvisionnement par la mer. À terre, la situation est plus contrastée, et les troupes japonaises parviennent à repousser les tentatives des forces desMing et de Chosŏn pour reprendre Séoul[53]. En avril 1593, une trêve est signée entre les belligérants et les forces japonaises se retirent du pays[54].
Une seconde invasion est lancée en. 141 000 soldats japonais débarquent près dePusan. Devant faire face à des troupes mieux préparées à terre, ils ne progressent pas au-delà de la province deKyŏngsang. La flotte de Chosŏn subit une défaite majeure en. L'amiral coréenYi Sun-sin, qui avait été écarté des affaires à la suite d'intrigues à la cour, revient au commandement et remporte plusieurs batailles maritimes décisives : àMyong-Yang en octobre, puis àNo Ryang en décembre, où il perd la vie. La mort deToyotomi Hideyoshi, au Japon en août, scelle l'issue de la guerre et les troupes japonaises se retirent[55].
Au cours du conflit, les populations locales sont souvent massacrées par les troupes japonaises comme par les troupes Ming[55]. La guerre laisse derrière elle un pays ravagé et une confiance du peuple envers les élitesyangban très largement ébranlée. La mise à sac de Séoul et la destruction des registres de population entraînent l'émancipation de nombreux esclaves et, avec elle, la difficulté pour l'État de collecter les taxes[56].
LesJin postérieurs — desJürchens originaires de l'actuelle Mandchourie — envoient une force de 30 000 soldats pour attaquer la Corée en. Après plusieurs victoires rapides, les envoyés Jins rencontrent ceux de Chosŏn, et dès le mois d'avril un traité de paix est signé. Le gouvernement coréen poursuit cependant une politique pro-Ming les années suivantes, les lettrésnéoconfucéens se refusant à « trahir » ceux qu'ils perçoivent comme le régime chinois légitime[19]. Les Jins postérieurs s'érigent en 1636 endynastie Qing et adressent une ambassade au pouvoir Chosŏn. La nouvelle dynastie Qing exige que celui-ci reconnaisse son nouveau pouvoir en Chine, et la position de vassalité du régime de Chosŏn. Le roiInjo refuse de rencontrer l'ambassade, ainsi que d'approuver ses demandes[57].
L'empereur Qing,Huang Taiji, prend en personne la tête d'une force d'invasion de 100 000 soldats en, et met le siège devant Séoul. Si une partie de la famille royale se réfugie àKanghwa, le roiInjo est assiégé à la forteresse deNamhansansŏng et doit capituler dès le mois de février. Les Qing obtiennent que Chosŏn reconnaisse sa vassalité, et arrête tout contact avec les Ming. Plusieurs princes et lettrés coréens sont envoyés en Chine comme otages à la cour des Qing. Un climat de grande méfiance se met en place entre ce qui reste du pouvoir Ming et Chosŏn, jusqu'à la chute finale des Ming en1644[57].
Des relations internationales apaisées auXVIIIe siècle
La relation que Chosŏn entretient avec la Chine desQing présente quelques ambigüités. Les Coréens versent tous les ans un tribut à la nouvelle puissance, tout en les percevant comme des barbares usurpateurs, mais en légitimant le pouvoir royal coréen grâce à la reconnaissance de l'Empereur chinois. La prospérité économique et culturelle sous les empereurs QingKangxi (de1662 à1722) puisQianlong (de1736 à1796) réinstaure la Chine comme modèle pour certains lettrés coréens, qui se rendent souvent dans la capitale chinoise en accompagnant des ambassades. Ils en rapportent de nombreux livres, techniques, et idées[59]. Le régime coréen n'envoie pas moins de sept cents ambassades dans la Chine des Qing entre1644 et la fin duXIXe siècle, constituées en moyenne d'une trentaine d'officiels et de trois cents de leurs suivants[60]. Descarnets de voyage à Pékin ouYŏnhaengnok sont ainsi écrits par ces lettrés pour comparer les deux pays et inciter à mener des réformes en Corée[60]. La Chine des Ming demeure cependant dans l'esprit de la plupart des Coréens le seul modèle valable. Le calendrierutilisé sous les Ming continue d'être utilisé en Corée, et la mémoire de souverains Ming continue d'être honorée au début duXVIIIe siècle. Ceci rend lesQing méfiants envers la Corée de Chosŏn, et ils restreignent les échanges commerciaux et politiques avec ce pays[59].
Estampe japonaise présentant la mission diplomatique de1748 àEdo.
Les relations diplomatiques avec le Japon reprennent dès1600 et une première ambassade est adressée àTokugawa Ieyasu àEdo en1606. Un total de onze ambassades sont ainsi adressées entre1606 et1793[8]. La réciproque n'existe pas, le gouvernement de Chosŏn refusant aux Japonais le droit d'envoyer des ambassades à Séoul. Le commerce est autorisé seulement dans la ville dePusan, et les Japonais doivent résider dans un quartier à l'écart de la ville. Les marchands japonais y achètent quelques marchandises provenant de Chine ainsi que duginseng coréen[61]. Quelques récits de voyages permettent d'évaluer la perception qu'ont les visiteurs coréens du Japon. Si la maitrise des artisans et artistes japonais est souvent soulignée, tout comme la puissance de l'armée japonaise, les mœurs du pays sont jugées durement. Les rapports hommes-femmes, l'existence dequartiers dédiés à la prostitution, ou latolérance envers les homosexuels choquent les visiteurs coréens, qui les jugent contraires à la morale prônée par lenéoconfucianisme. La faible connaissance qu'ont les élites japonaises du néoconfucianisme est aussi régulièrement soulignée. Dès lors, les visiteurs coréens jugent les Japonais comme leur étant inférieurs, et le pays, semi-civilisé[62].
Les Européens tentent des contacts commerciaux avec la Corée au début duXIXe siècle. LeLord Amherst de lacompagnie britannique des Indes orientales tente en1832 d'ouvrir le commerce avec le pays, mais se voit débouté. Le HMSSamarang de laRoyal Navy réitère, avec le même insuccès, l'opération en1845. L'année suivante, une flotte française de trois navires dirigés parJean-Baptiste Cécille connait le même échec. En1854, deux navires russes tentent de force d'ouvrir des relations commerciales, mais sans succès[63].
Le pouvoir Chosŏn prend conscience du danger que représentent les Occidentaux via sa présence diplomatique dans la Chine des Qing. La victoire britannique lors de lapremière guerre de l'opium de1839 à1842, puis franco-britannique lors de laseconde guerre de l'opium de1858 à1860 démontre que l'ouverture forcée de la Chine se fait au seul avantage des puissances occidentales. L'Empire russe pousse dans le même temps son territoire jusqu'à la frontière coréenne dans lesannées 1860 : là encore, les demandes d'ouverture commerciales sont faites, et refusées par les Coréens. Enfin, les modalités d'ouverture du Japon au commerce avec les États-Unis sont aussi connues en Corée grâce aux échanges diplomatiques entre les deux pays[63].
L'ingérence étrangère commence à se faire sentir dans le pays par le biais du catholicisme. La premièrepersécution de catholiques en 1801 attire l'attention des autorités religieuses étrangères, alors que le pays compte à cette date environ 4 000 convertis. L'un d'eux, Hwang Sa-yŏng, adresse une lettre à l'évêque français de Pékin, lui demandant d'intercéder auprès du pape pour que des armées occidentales viennent protéger les catholiques coréens[64]. Troismissionnaires français pénètrent illégalement dans le pays en1836 et1837, ce qui donne lieu à un nouvel épisode de persécutions en1839. Ces exécutions attirent l'attention des puissances étrangères et servent de prétexte pour entrer dans le pays[65].
Entrée des puissances occidentales et réaction chinoise
Le régentTaewŏn'gun se montre plutôt tolérant au début de son exercice en1864, mais influencé par ses conseillers, il opte pour une attitude moins clémente ensuite. Malgré les mises en garde du pouvoir Qing en Chine, il lance une nouvelle vague de persécutions contre les catholiques en1866 et fait exécuter plusieurs missionnaires français. Uneexpédition française menée par l'amiral Roze entre alors dans le pays en octobre 1866. Forte d'une demi-douzaine de navires de guerre et d'une force de600 soldats, elle mouille devantSéoul et procède à un bombardement de la ville. Entretemps, des informations concernantle sort d'un navire marchand américain, leGénéral Sherman, arrivent aux troupes françaises qui, comme mesure de rétorsion, pillent un temple bouddhique sur l'île deKanghwa[66]. Les Américains demandent alors au pouvoir coréen l'autorisation de mener une enquête concernant le sort des marins américains duGénéral Sherman, mais, face à plusieurs refus, lancent eux aussiune opération militaire en 1871. Kanghwa est de nouveau pillée[67].
D'autres puissances européennes sont, elles aussi, présentes. En1868 un navire marchand allemand, leErnest Oppert profane la tombe du père du régentTaewŏn'gun dans le but d'utiliser ses ossements pour obtenir les droits commerciaux[67]. Des conventions diplomatiques sont signées avec la Russie en1884, avec l'Italie en1885 et avec la France en1886. Despresbytériens américains jouent par ailleurs un rôle important à la fin du siècle[68], mais ne reçoivent aucun appui du gouvernement américain, qui pour l'essentiel reste peu impliqué. La Russie l'est plus et, sur le conseil du diplomate allemandvon Möllendorff, envisage même en1885 de faire de la Corée un protectorat russe ; si le roiKojong se montre favorable à une certaine forme de soutien russe, ces derniers doivent renoncer après une démonstration de force britannique[69].
La Chine des Qing joue alors un rôle de conseil et d'inspiration dans la gestion des relations internationales de la Corée[70]. Le diplomateKim Hong-jip rencontre en1880 des officiels chinois qui lui conseillent de développer une alliance avec les États-Unis de manière à contrer l'influence russe dans la région. Untraité d'amitié est ainsi signé en1882. Les officiels chinois incitent par ailleurs la Corée à garder une attitude amicale vis-à-vis du Japon, jugé alors trop peu développé pour constituer une menace, et à moderniser son armée comme le fait au même moment la Chine[71]. La Chine s'interpose en 1882 lors de l'incident d'Imo en envoyant pour la première fois en plusieurs siècles une force armée enCorée alors que leJapon tente d'utiliser l'incident pour y envoyer ses propres troupes[72]. La Chine utilise la situation pour, elle aussi, signer un accord garantissant le commerce entre les deux pays[73]. Elle renforce son influence lors de la période1885–1894,Yuan Shikai étant alors consul et faisant fonction de conseil pour le gouvernement coréen[71].
Signe du déclin de l'influence chinoise, laYeongeunmun(en) qui marquait depuis1537 àSéoul la relation deSadae entre les deux pays est détruite en1895. Seule les deux fondations sont conservées, et elle est remplacée en1898 par une porte de l'indépendance qui opte pour un style occidental[74].
La Chine réussit ainsi à limiter l'ouverture d'ambassades coréennes à l'étranger, à l'exception de celles de Washington et de Tokyo, bloque plusieurs prêts de puissances étrangères en Corée et parvient à empêcher le voyage de Coréens à l'étranger, la coupant ainsi de l'arrivée de nouvelles idées étrangères. Ceci n'est pas sans déclencher un sentiment anti-chinois dans la population, et plusieurs émeutes antichinoises éclatent en1888 et1889 àSéoul[75]. Les défaites chinoises face aux forces occidentales etface au Japon en 1895 mettent fin à cette recherche d'influence[76].
Estampe japonaise illustrant l'incident de Kanghwa. Gravure de 1876La Corée, tiraillée entre le Japon et la Russie, dessin du journalbelgeLe Patriote Illustré. 1904
Les Japonais exercent une influence croissante sur la Corée de Chosŏn. Larestauration de Meiji de1868 pousse leJapon à sortir deson propre isolement. Le pouvoir coréen voit d'un très mauvais œil la prétention impériale du Japon ainsi que son adoption des idées et des technologies occidentales. Les lettres chargées d'annoncer la mise en place du nouveau pouvoir japonais sont même refusées[67]. Dans le même temps le Japon étend son contrôle auxRyūkyū,colonise Hokkaidō, et s'assure la maitrise d'une partie desKouriles. Dès1873 le pouvoir japonais envisage déjà de créer uncasus belli pour envahir la Corée. En, la canonnièreUn'yō est envoyée par les Japonais croiser le long des côtes coréennes, et provoque l'incident de Kanghwa. LeTraité de Ganghwa qui en résulte permet aux Japonais de commercer avec la Corée, et force le pays à cesser de reconnaitre sa situation de vassalité avec la Chine[70].
Plusieurs crises ont lieu les années suivantes, notamment l'incident d'Imo en1882 qui voit les troupes japonaises devenir plus nombreuses dans le pays[72]. Les Japonais font aussi jouer leur influence auprès de réformateurs et appuientune tentative de coup d'État en 1884. Si celui-ci est un échec, letraité négocié par la suite en 1885 permet au Japon de supprimer temporairement la présence militaire chinoise en Corée[77]. Celle-ci est définitivement obtenue à l'issue de laguerre sino-japonaise de 1894 à 1895[76]. Le Japon avance alors rapidement, en soutenant le coup d'État deTaewŏn'gun et la mise en place desréformes Kabo qui lui donnent une plus grande emprise sur la Corée[78]. L'assassinat de lareine Min en1895, soutenu par des Japonais, et le regain d'influence de laRussie marquent un relatif reflux temporaire du Japon dans le pays[79]. LaRussie fait alors jeu égal avec le Japon en termes d'influence entre1895 et1905, mais la défaite russe lors de laguerre russo-japonaise de 1905 finit d'asseoir la domination japonaise sur la péninsule. Letraité d'Eulsa transforme la Corée enprotectorat du Japon[80].
La politique de contrôle strict de ses frontières mise en place dès leXVIe siècle vaut à la Corée d'être décrite comme unroyaume ermite par les premiers Européens qui s'intéressent au pays. L'expression « royaume ermite » pour désigner le pays est ainsi utilisée dès1882 parWilliam Elliot Griffis dansCorea: The Hermit kingdom le premier livre publié aux États-Unis traitant de la Corée[81].
La politique mise en place par la Corée à cette époque ne diffère cependant pas de ce que les autres pays de la région mettent, eux aussi, en œuvre. La Chine sert alors de modèle de référence dans cette région de l'Asie, et la politique duHaijin suivie sous lesMing puis lesQing encadre de manière drastique le commerce extérieur (ports ouverts au commerce extérieur en nombre limité, interdiction de voyages à l'étranger…). C'est ce modèle qui est copié par le Japon pendant l'époque d'Edo avec la politique deSakoku[81], mais aussi par d'autres puissances locales comme leVietnam sous lerègne des Nguyễn, leSiam ou laBirmanie de laDynastie Konbaung[82].
Malgré ce contrôle strict, la Corée de Joseon n'est pas coupée de l'étranger. Elle fait importer de nombreux métaux du Japon via le port deBusan qui leur reste ouvert, et de nombreuses marchandises venant de l'étranger entrent dans le pays en transitant par la Chine. La pomme de terre, lapatate douce, lepiment, ou letabac sont introduits dans le pays à cette époque, tout comme de nombreuses connaissances sur la géographie, la médecine, ou les mathématiques[82].
Les historiens ont remis en cause les représentations antérieures qui décrivaient le pays comme un État fermé et coupé du monde, à l'instar de ce qui a été fait dans la compréhension de la politique deSakoku du Japon de l'époque d'Edo. Le relatif isolement du pays est expliqué à la fois par la politique de contrôle des frontières (commune en Asie à l'époque), mais aussi par l'éloignement du pays des grandes routes commerciales de l'époque, ainsi que par une certaine méfiance à l'égard de l'étranger, résultant des nombreuses invasions que le pays avait subies, toutes terriblement destructrices. Cet isolement n'a pas empêché le pays d'intégrer plusieurs apports venus de l'étranger pendant cette période[82].
Trône du Palais royal et paravent à six feuilles, Soleil, Lune, Cinq pics[83]. L. 2,70 m.Gyeongbokgung, palais royal.
Le roiYi Sŏng-gye instaure, lors de sa prise de pouvoir, unemonarchie héréditaire dans laquelle sa lignée, les Yi, détient le pouvoir. Il justifie sa prise de pouvoir en utilisant le concept chinois demandat du Ciel. La dynastie précédente qui règne lors de l'époqueKoryŏ, celle desWang, aurait perdu ce mandat en se comportant de manière immorale, et la prise de pouvoir par Taejo serait donc légitime[6]. Le roi détient, en théorie, unpouvoir autocratique, mais ne peut l'exercer réellement que lors de certaines nominations et lors des jugements pour trahison. Dans l'exercice quotidien de l'État, il est conseillé par des lettrésnéoconfucéens qui peuvent efficacement orienter ses décisions[84]. À ce titre le lettréChŏng To-jŏn joue un rôle majeur pour introduire les grands principes néoconfucéens au cœur de l'État au début de la dynastie, et organiser son administration[7]. Celle-ci se situe dans la continuité de celle mise en place lors duKoryŏ ; le changement de dynastie n'apparait pas comme une rupture dans la conduite des affaires de l'État[84].
Le Ŭijŏngbu, un Conseil d'État, constitue le sommet de l'administration du royaume. Il est composé de trois hauts fonctionnaires principaux et de quatre subalternes. Les décisions concernant les grandes orientations de l'État sont prises en commun, et une fois la décision prise elle est soumise à l'approbation du roi, qui la suit généralement[84]. Ce Conseil est souvent composé de personnes nommées par le roi pour service rendu au début de la dynastie ; ensuite les hauts-fonctionnairesrecrutés par le concours Kwagŏ prennent un poids de plus en plus important. Cette montée en puissance numérique des hauts-fonctionnaires au sein de l'institution se fait cependant au détriment du pouvoir de celle-ci[85].
Six ministères, calqués sur le modèle chinois desTrois départements et six ministères, regroupent les autres fonctions gouvernementales de l'État. Ils concernent le personnel (recrutement et nomination des fonctionnaires, …), le budget (fiscalité, cadastre…), les rites (rites, diplomatie, concours, culture…), la défense, la justice et le travail (infrastructures, mines, manufactures…)[84]. Chaque ministère a, à sa tête, un groupe de trois ou quatre ministres qui peuvent échanger directement avec le roi[86].
Lecensorat a pour but de surveiller le fonctionnement des autres institutions. Doté de pouvoirs importants, il peut enquêter sur les actions des fonctionnaires au sommet de l'État ou dans les territoires, mais aussi sur les actions du roi[87].
L'administration territoriale est réorganisée en1413 ethuit provinces sont créées. Le chiffre de huit est choisi pour des raisons symboliques (censé incarner un arbre, signe de croissance[n 4]), tout comme le nombre de subdivisions dans chaque province, fixé à un peu plus de 350 en référence au nombre de jours dans l'année[88].
Un gouverneur est directement nommé par le gouvernement pour chaque province, et son fonctionnement repose sur six départements dont les rôles sont calqués sur les six ministères du gouvernement[86]. Chaque province comporte environ 350 subdivisions, chacune dirigée par un magistrat qui représente l'État. Ce magistrat dirige un conseil local, composé en grande partie deyangban, fonctionnaires qui représentent les intérêts locaux. Chaque conseil local est supervisé par un haut-fonctionnaire à Séoul qui a la tâche de s'assurer que ceux-ci font bien primer les intérêts de l'État sur les intérêts locaux[88].
Ces différents représentants locaux du pouvoir sont nommés pour des durées limitées de manière à éviter les problèmes de corruption — un an pour un gouverneur, cinq ans pour un magistrat local — et aucun n'est nommé dans sa province d'origine[88]. Ces principes sont calqués sur ceux qui régissent lesmandarins chinois.
L'État de Joseon recrute les personnes travaillant pour lui au travers de plusieurs concours, selon le modèle desexamens impériaux déjà pratiqués enChine. Se voulant égalitaires, en suivant les préceptes néo-confucéens, ces concours sont ouverts à tous, à l'exception de certaines des classes les plus subalternes comme celle desnobi, de quasi-esclaves[89]. Le temps nécessaire à leur préparation en fait cependant l'apanage presque exclusif de la classe desyangban[90]. Le statut social que confère l'appartenance à cette bureaucratie est important, et confère en retour de nombreux privilèges sociaux, ce qui fait évoluer ce groupe entre une « bureaucratie aristocratique » et une « aristocratie bureaucratique ». Au sein de cette nouvelle aristocratie émergentde nombreux clans, ce qui est l'origine de nombreuses crises internes au régime. Ainsi selon Isabelle Sancho :« La bureaucratie coréenne de Chosŏn, constituée dans sa majeure partie par des aristocrates, servait à maintenir des hiérarchies au sein de l'aristocratie dont le statut était sans cesse à redéfinir. Elle permit également de réguler continuellement l'équilibre des pouvoirs entre les différentes factions, entre le roi et ses ministres, et enfin entre l'aristocratie et le reste de la société. Les concours de recrutement constituaient le processus de légitimation des élites mais participaient aussi au maintien du prestige du souverain[91]. »
Concours exceptionnel organisé en1795 à l'occasion d'une visite de huit jours du roiJeongjo sur la tombe de son père.
Des examens subalternes, lessokwa ousama, sont organisés au niveau des différentes provinces. Ceux-ci n'offrent pas de postes dans l'administration, mais apportent des droits, comme l'exemption de service militaire, ou l'éligibilité à certaines fonctions locales. La réussite à ces examens est aussi un prérequis pour pouvoir se présenter à des examens plus importants, comme lestaekwa oumunkwa, ou intégrer l'académie nationale, laSungkyunkwan. Lors de ces examens, les candidats sont amenés à commenter lesClassiques chinois, ou à composer un texte en prose sur un sujet et un style fixés lors de chaque examen[92].
Les examens supérieurs, lestaekwa oumunkwa, sont les plus difficiles, et ouvrent les portes de la haute fonction publique. Ils peuvent être passés par les lauréats des examens inférieurs, mais la plupart de ces lauréats échouent. Ces examens sont organisés une fois tous les trois ans, et comportent trois étapes : d'abord des examens ont lieu dans chaque province, puis à Séoul, et enfin au palais royal devant le roi. Les33 lauréats reçoivent le diplôme des mains du roi. Vers la fin de la période Joseon, des examens exceptionnels sont de plus en plus souvent organisés pour recruter en dehors de l'intervalle des trois ans. Lors de ces examens, les candidats sont amenés à commenter lesClassiques chinois, ou à composer un mémoire sur un sujet déterminé[89].
L'État recrute aussi par concours, lemu-kwa, au sein de l'armée, et selon des modalités proches (concours tous les trois ans). Un autre concours, lechap-kwa, existe aussi pour le recrutement de spécialistes techniques (traduction, médecine, astronomie, droit) et obéit à la même périodicité. Ces deux derniers concours sont souvent délaissés par lesyangban, et souvent passés par leschungin[93].
Un recrutement par recommandation, ouChongŏ, existe en parallèle. Ce procédé permet à des hauts-fonctionnaires ou des hauts-gradés de l'armée, une fois tous les trois ans, de proposer trois personnes au ministère du Personnel. Ces personnes recommandées peuvent être recrutées directement, ou subir des examens complémentaires. Cette méthode de recrutement reste marginale comparée à celle des examens, mais permet de combler des manques dans l'administration. Certains lettrés commeJo Gwang-jo préconisent même de généraliser ce type de recrutement[94].
Officier et son cheval gardant la tombe du roiSeongjong, vers1495.
Le régime de Joseon met en place une armée nationale dès son instauration, et réalise une politique de lutte contre les armées privées. En1400 le roiTaejong interdit, d'ailleurs, les armées privées. Une armée basée sur laconscription est instaurée ; si la plupart de hommes du royaume y sont éligibles, des exceptions sont prévues pour les officiels du régime ainsi que les étudiants[95]. Chaque homme de 16 à60 ans doit ainsi servir deux ou trois mois tous les ans, ou servir à des tâches de soutien. Ils sont encadrés par des militaires de carrière, qui sont recrutés par voie de concours. Le roiSejo met en place en1457 une nouvelle organisation de l'armée en cinq zones géographiques (nord, sud, est, ouest et centre), et chaque province dispose de deux centres de commandement, un pour l'armée de terre et l'autre pour la marine. Plus d'une centaine de citadelles sont aussi construites à cette époque. Ce système connait un affaiblissement tout au long duXVe siècle et duXVIe siècle[96]. Les lettrés néo-confucéens portent peu d'intérêt à l'armée, et les recrues issues du bas peuple y sont souvent maltraitées. Le système de conscription saisonnier produit, finalement, des troupes mal entrainées et peu disciplinées[50]. Peu avant le début desinvasions japonaises de 1592 et 1597, cette armée est dans un état qui alerte certains lettrés, commeYi I, qui pousse pour la constitution d'une armée de 100 000 hommes professionnels[96].
Après letraité de Ganghwa de1876, le régime de Joseon est contraint de s'ouvrir, et face aux menaces internationales quelques timides réformes sont engagées[100]. Quelques conseillers étrangers sont recrutés, et quelques unités de l'armée modernisées, mais ces initiatives du pouvoir sont mal vues par les conservateurs[100]. Les autres unités de l'armée ne sont parfois pas payées pendant plusieurs mois, et le mécontentement éclate lors de lamutinerie d'Imo en1882. La période de trouble qui s'ensuit empêche toute modernisation de l'armée jusqu'à la fin de la période[72].
Le système judiciaire mis en place au début de l'époque Joseon repose sur le code de lois instauré par ladynastie des Ming, leGrand code des Ming. Ce dernier impose cinq types de peines en fonction de la gravité de la faute : coups de bâton (en bois léger), coups de bâton (en bois dur), servitude, bannissement, peine de mort. Chacune de ces peines peut faire l'objet d'une gradation (nombre de coups de bâton, servitude plus ou moins longue ou incluant un internement en prison[101]. La peine de mort peut être administrée selon plusieurs procédés (pendaison, décapitation…) et le corps du condamné traité de différentes manières (exposition de la tête à la vue du public pendant des semaines, enterrement ou non du corps…) selon la gravité de la faute. Le ministère chargé de la Justice est la principale administration chargée de cette activité, mais d'autres ministères comme celui de la défense, lecensorat ou les administrations provinciales peuvent aussi intervenir dans ce domaine[102]. La durée de l'instruction dépend de la peine visée. Elle est de30 jours maximum si la peine de mort peut être encourue, de20 jours pour un exil, et de10 jours pour des coups de bâton. La prison n'est utilisée que pour garder les prévenus le temps de l'instruction, et la peine est exécutée lors de la sortie de prison[103]. La torture est souvent utilisée pendant l'instruction par les magistrats pour obtenir des aveux, mais la modalité de celle-ci dépend du rang social du prévenu. Les enfants et les vieillards en sont exempts, et pour les crimes les moins sérieux, les classes privilégiées et les femmes peuvent aussi en être exemptées, parfois en contrepartie d'un paiement en espèces[104].
Le système judiciaire connait une évolution importante à partir du milieu duXVIIIe siècle. Sous les règnes deYŏngjo et deChŏngjo, les abus que connait le système deviennent l'objet de préoccupations sociales et politiques. Les méthodes de torture les plus violentes sont interdites, et plusieurs mesures sont prises de manière à éviter les condamnations injustes qui peuvent toucher le bas peuple[104]. La formation des officiels est aussi améliorée, et plusieurs livres sont édités pour encadrer leurs pratiques, à commencer par leGrand code des Ming qui est largement édité et distribué dans les administrations judiciaires. LeMuwonnok publié en1796 est un manuel demédecine légale qui explique aux enquêteurs comment analyser un corps pour en tirer des preuves. LeJeollyul tongbo publié en 1786 est un guide qui permet de mieux comprendre le fonctionnement du système légal du pays, et leHeumhyul jeonchik, publié en 1777, détaille les méthodes et les outils utilisables pour appliquer les peines. Descenseurs royaux sont aussi envoyés plus régulièrement dans le pays pour enquêter sur les potentiels dysfonctionnements du système[105].
La société de Joseon est organisée en quatre grandes classes sociales. Lesyangban constituent la petite élite dirigeante. Leschungin regroupent quelques spécialistes ayant passé des concours techniques. Le gros de la société est composée de la classe dessangmin, qui regroupe les paysans, les marchands et les artisans. Lesch'ŏnmin, presque le tiers de la population, regroupent pour 95 % des esclaves, ainsi que des intouchables,baekjeong[106]. Les grandes familles de l'époqueGoryeo (Koryŏ) restent puissantes pour la plupart, certains des promoteurs du nouveau régime provenant même parfois de leurs rangs et se retrouvant dans la classe desyangban[107]. Si les fondations égalitaristesnéoconfucéennes permettent l'accès aux charges importantes à tous, les concours de recrutement des fonctionnaires mettent l'accent sur la maitrise de textes classiques (Quatre livres et Cinq classiques) dont l'enseignement peut prendre des années, et seuls les riches peuvent financer la formation de leurs enfants[89]. Les familles de yangban fournissent l'essentiel des cadres de l'État et jouent un rôle central dans les arts[108]. Le rang d'esclave s'hérite, et constitue une base importante de l'économie de la péninsule. À la fin duXVe siècle, l'État est propriétaire à lui seul de quelque 350 000 esclaves[109].
La structure sociale de Joseon connait une évolution notable vers la fin duXVIIIe siècle. Un certain appauvrissement desyangban pousse une partie d'entre eux à user de leurs titres pour obtenir des mariages avec des familles socialement moins élevées, mais économiquement plus riches. Ceci a pour effet d'élargir la base sociale des yangban. Dans le même temps, l'enrichissement de certains propriétaires terriens leur permet d'acquérir des titres qui leur donnent accès à cette classe. Enfin, l'usage de faux documents comme desarbres de familles commence à se développer pour obtenir ce genre de reconnaissance. Dans une ville commeDaegu, le nombre de yangban passe de 9,2 % de la population à 70,2 % de la population entre les années 1690 et lesannées 1850[110]. À l'opposé de la société, les esclaves connaissent eux aussi une évolution importante de leur statut. Ceux qui travaillent pour l’État peuvent obtenir leur émancipation s'ils se montrent valeureux dans l'armée, ou s'ils rachètent leur liberté. En1801 les registres qui référencent les esclaves de l'État sont détruits et ils obtiennent de cette manière leur liberté. Le système perdure cependant dans les administrations régionales et chez les particuliers[110].
LesHopae sont instaurées par le régime en1413, sorte de papiers d'identité obligatoires qui permettent de contrôler plus efficacement la population. D'aspect différents en fonction des classes sociales, elles permettent de réguler la collecte des impôts et d'autres obligations[10]. AuXVe siècle se généralisent des livrets de famille, ouChokpo, dans lesquels sont consignés les naissances, mariages et décès, qui permettent de tracer la lignée d'une famille[111].
Portrait deSin Saimdang, (1504 – 1551) peintre, calligraphe et poétesse ; idéal féminin dans le modèle néoconfucéen de Chosŏn.
La condition de la femme connait un net recul lors de la période, sous l'influence dunéoconfucianisme[112]. Limités à l'origine à la classe des yangban, certains préceptes néo-confucéens se diffusent au reste de la société[113]. L'accent est mis sur l'obéissance des femmes aux hommes[112]. Si la séparation entre hommes et femmes n'est pas possible pour les paysans qui travaillent dans les champs, l'idée de la subordination de la femme à l'homme se transmet au travers d'institutions comme la pratique duculte des ancêtres : celle-ci insiste sur la primauté des ancêtres du patriarche de la famille[113].
L'éducation des enfants est très tôt genrée, les filles apprenant dès l'âge de6 ans les bases de la gestion du foyer, et plus tard comment devenir une bonne épouse, s'adapter à la vie avec sa belle-famille[113]. Les femmes sont exclues de l'héritage à partir duXVIIe siècle, et l'architecture des maisons s'adapte pour les restreindre à certaines pièces de l'habitation[114]. Le port d'un couteau de suicide rituel, leP'aedo, se répand à partir de l'aristocratie, censé être utilisé pour défendre sa vertu[115]. À ce titre,Sin Saimdang, mère du lettréYi I incarne à l'époque l'idéal de la femme dans le modèle néoconfucéen[116].
Dans la classe des yangban, la femme peut cependant atteindre un certain rang dans la société, en fonction du rang de son époux ou de son fils. En cas de décès de son époux et de son beau-père, elle peut aussi être responsable des choix de la famille sur les mariages, les adoptions, ou les questions d'héritage. Au début de l'époque Joseon, ses propriétés sont respectées même après le mariage, mais ce droit s'estompe à partir duXVIIIe siècle[117]. Le divorce est possible, bien que très rarement accordé par les autorités, et les conditions sont beaucoup plus faciles à réunir si cette demande est faite par l'époux que par l'épouse[118].
PrêtresseMudang.
Quelques exceptions, aux marges de la société, voient les femmes occuper des places de pouvoir. LesMudang, prêtresses duchamanisme coréen, continuent d'occuper une place centrale dans cette religion, d'ailleurs toujours vivace, aujourd'hui, dans les campagnes. Leskisaeng occupent un rôle dans le domaine des arts. Souvent issues de familles d'esclaves, et recrutées pour leur physique, elles sont entrainées à la maitrise de l'écriture, à la musique ou au chant — comme lepansori — dans le but de divertir les yangban. Elles peuvent occuper des rôles stratégiques à la cour, et ainsi obtenir une certaine influence. Certaines commeHwang Jini ouNongae(en) parviennent même à gagner une très grande renommée en raison de leurs mérites artistiques ou moraux[119].
La population de la Corée au début de l'époque Joseon est évaluée à 5,5 millions d'habitants en1393. Sa démographie se caractérise, lors de la période, par un taux élevée de natalité, mais aussi un taux élevé de mortalité. La croissance de la population reste ainsi très faible, et en grande partie déterminée par des épisodes de surmortalité ponctuels comme les invasions, les épidémies et les disettes. La population dépasse le seuil des 10 millions d'habitants probablement vers1511 et connait un pic vers 11,6 millions d'habitants en1543, avant de décroitre en raison deguerre d'Imjin de1592 à1598, puis les invasions Jurchende 1627 etde 1636. La population tombe alors vers 10,7 millions d'habitants vers1642, puis connait une hausse régulière pour atteindre un second pic de 18,27 millions d'habitants vers1744. Les difficultés économiques du pays ramènent la population vers 16,63 millions d'habitants vers1843, avant que la population ne reparte à la hausse pour atteindre environ 17,42 millions d'habitants en1910[120].
Vers la fin duXVIIIe siècle Hanseong (Séoul) atteint les 200 000 habitants[121], et presque 300 000 habitants si on compte les villes portuaires de l'embouchure dufleuve Han. La capitale reste de loin la plus grande ville du pays, mais reste bien plus petite que d'autres villes de cette partie de l'Asie. Au Japon,Edo est quatre fois plus grande à la même époque, et d'autres villes commeKyoto etOsaka sont elles aussi plus peuplées que Séoul[122]. Quatre villes coréennes comptent entre 20 000 et 30 000 habitants vers la fin duXVIIIe siècle (P'yŏngyang,Kaesŏng,Chŏnju etSangju), et une dizaine d'autres atteignent les 10 000 habitants[122].
Le christianisme commence à toucher la Corée à la fin duXVIIIe siècle par le bais desmissions présentes en Chine. Si les maitrises techniques et artistiques détenues par les missionnaires peuvent impressionner des lettrés envoyés en Chine commeYi Ik, les valeurs prônées par cette religion sont alors vues avec dédain (place accordée aux miracles, célibat...). Ceci n'empêche pas quelques yangban commeYi Seung-hun(en) de se convertir, ou encore certaines personnes dans l'entourage deJeong Yak-yong. En1785 le christianisme est condamné comme hérésie par le roiJeongjo, ce qui n'empêche pas la communauté chrétienne de croitre jusqu'à environ 4 000 membres en1801[64] puis 9 000 dans les années 1830. Elle commence cependant à êtretouchée par des persécutions en1801,1839,1846, et1866. Le nombre de convertis est alors estimé à environ 20 000. Si le nombre de chrétiens reste très limité, leur existence joue un rôle majeur dans l'intervention de puissances étrangères dans le pays[65].
Quelque 200 variétés d'alcools sont connues lors de l'époque Joseon, qui sont principalement de trois types :takju (riz brassé non raffiné),cheongju (riz brassé raffiné), etsoju (rizdistillé)[130]. Lesoju, du fait de son plus haut degré d'alcool qui sert de conservateur, est souvent bu l'été, et parfois utilisé comme médicament[131]. La production d'alcool est à plusieurs reprises ponctuellement interdite, en raison de la production de riz jugée insuffisante (et pour éviter des famines), ou pour éviter les troubles causés par l'alcoolisme[132]. Les peines encourues par les contrevenants ou les responsables politiques n'appliquant pas assez sévèrement ces interdictions sont lourdes, pouvant aller jusqu'à des bannissements[133].
La consommation dede thé, en Corée, populaire jusqu'à l'ère Koryŏ, décline très fortement. D'autres boissons lui sont préférées, et ce changement de consommation est sans doute motivé pour des raisons financières (des taxes élevées sur le thé) ou religieuses (la consommation de thé est très liée à la pratique du bouddhisme)[134]. La consommation detabac se développe à la même époque, la plante étant introduite dans le pays à la fin duXVIe siècle ou au début duXVIIe siècle[135]. Sa consommation se généralise assez rapidement, et donne lieu au développement d'une culture autour de sa consommation, qui devient un marqueur social[136].
C'est à cette époque que la nourriture épicée se popularise en Corée, avec l'introduction de piments arrivés duNouveau Monde, utilisés, entre autres, avec dukimchi[122].
L'agriculture reste la base de la société et connait certaines évolutions. Le fin de l'époqueKoryŏ, qui avait été secouée par des troubles, ramène de nombreux paysans sur leurs terres. Ceux qui ont fui lors de l'invasion des Turbans rouges en1360 et les raids de piratesWakō remettent en cultures les terres laissées enjachère. Ces paysans en profitent pour gagner de nouvelles terres à la base des coteaux de montagnes, et sur les zones côtières, et ce mouvement de gains de nouvelles terres agricoles gagne l'intérieur du pays auXVIe siècle[137]. Au total, la surface de terres agricoles taxables passe de 930 000 kyŏl au début duXVe siècle à 1 700 000 kyŏl au milieu duXVIe siècle[n 5],[49]. La physionomie des terres exploitées connait aussi une évolution. La plupart des terres arables auXVe siècle reste concentrée à 60 % dans trois provinces du sud (Chungcheong,Jeolla, etGyeongsang) et dans leGyeonggi ; l'agriculture se fait à 80 % sur desterres sèches à l'échelle du pays, et les 20 % restant dans desrizières, ces dernières étant à 60 % dans les trois provinces du sud et leGyeonggi. Les rizières se développent progressivement grâce à des travaux d'irrigation pour atteindre 30 % de la surface cultivée à la fin de la période Joseon[138].
Un premier manuel d'enseignement agricole, leNongsa chiksǒl, est publié en1430, montrant l'intérêt des lettrés néo-confucéens et des élites locales pour développer la production agricole[49].
SousTaejong etSejong on tente de développer l'usage de la monnaie avec la frappe de nouvelles pièces de monnaie et demonnaie papier, oujeohwa, mais le peuple n'accorde pas une grande confiance à celles-ci, et continue de privilégier le troc de denrées utiles[142].
Une économie qui reste dépendante de l'agriculture auXVIIIe siècle
L'État est réticent à développer les mines, craignant que trop de paysans se détournent de leurs activités. Lariziculture continue, en effet, sa modernisation. La mise en service, puis l'usage de nombreuses retenues d'eau permet, jusqu'au début duXIXe siècle, l'essor de la culture dans des rizières inondées[99]. Lescultures associées permettent aux paysans de diversifier leurs productions[121]. Dans ce contexte, l'État modernise son système de taxes au cours duXVIIIe siècle, et met en place letaedongpŏp : cet impôt permet de payer les taxes sous forme de riz et de monnaies, mais aussi de vêtements de coton, alors que letroc reste une pratique encore habituelle[143]. L'État généralise l'usage de greniers à grains qui permettent de lutter contre les famines, mais aussi de toucher des intérêts lors de la revente[99].
La collecte des taxes en nature n'incite pas à l'usage de monnaie, et la fermeture du pays au commerce international limite les opportunités de développement commercial. Les infrastructures de transport sont peu développées, et les marchandises sont souvent transportées à dos d'homme. Une partie de ce manque d'intérêt pour le commerce découle du modèlenéoconfucéen, qui voit les commerçants comme une classe sociale inférieure. Le commerce est vu comme une activité non productive qui détourne le peuple des activités productives comme l'agriculture[147]. La situation s'améliore au cours duXVIIIe siècle, letaedongpŏp permettant à l'État d'acheter plus de denrées aux marchands, permettant ainsi leur essor[148]. Les règles contraignantes encadrant la profession sont peu à peu levées et, en1791, les monopoles que certains marchands possèdent à Séoul sont supprimés. La Corée reste cependant en retard comparée aux autres pays de la région[149].
AuXIXe siècle l'agriculture connait un certain déclin de sa productivité. Les loyers perçus par les propriétaires baissent tout au long du siècle[150]. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution. La déforestation qui a accompagné l'essor démographique des siècles précédents a dégradé durablement l'environnement[151]. Et comme la Corée subit des hivers très froids avec des gelées qui fragilisent les roches, et de très fortes pluies d'été, souvent destyphons apportés par la mousson ; ainsi l'érosion des sols s'est intensifiée sur cette période. En conséquence, le réseau des 27 000 barrages et retenues d'eau, mis en place antérieurement, est fortement dégradé par les sols et rochers charriés à la suite de glissements de terrain, si bien qu'il est, pour moitié, hors service en1910. En aval de ces installations, les crues se font plus nombreuses, détruisant une partie des rizières[151].
Le commerce entre dans une phase de contraction. Les importations de soie venant de Chine s'accroissent, notamment après la libéralisation de ce commerce à partir de1834, aggravant labalance commerciale de la Corée. De larges quantités d'argent sont alors envoyées en Chine pour payer les marchandises, et quittent alors le circuit commercial domestique. Dans le même temps, les exportations vers le Japon se contractent. Celui-ci a développé sa propre industrie de la soie, et produit son propre ginseng, rendant superflues les importations depuis la Corée. Ceci a une influence sur la tenue des marchés locaux dont le nombre décroit, et ce repli est plus important dans les lieux à proximité des ports de commerce en relation avec le Japon[152].
Le prix des denrées alimentaires, comme le riz, connait à la fois une hausse importante à partir de1830, mais aussi une fragmentation importante : les prix divergent fortement et de plus en plus entre différentes régions, ce qui indique l'effondrement de certains circuits commerciaux. Ainsi entre les villes deYŏngam etKyŏngju, lecoefficient de corrélation passe de 0.941 sur la période1738–1765, à 0.659 pour la période1779–1816, et à 0.627 de1820 à1854, avant de tomber à 0.230 sur la période allant de1855 à1882[152]. Dans le même temps, le réseau de greniers à riz administrés par l'État commence à péricliter, passant d'un stockage total de10 millions desŏk à la fin duXVIIIe siècle à 4,5 millions en1862. Ce repli a une influence lourde sur la volatilité des prix, mais aussi sur les revenus de l'État — celui-ci prête alors ce riz aux agriculteurs, mais contre intérêt[153]. L'État connait aussi une difficulté grandissante pour instaurer des restrictions sur l'usage du riz. Si jusqu'en1830 l'interdiction de la production et de la consommation d'alcool est efficacement mise en place lors des famines, après cette date la plupart des interdictions sont de moins en moins appliquées, et après 1882 ce type de restriction disparait[154].
Deux modèles deTangochŏn frappés à la fin de la période Joseon.
La politique monétaire coréenne entraine aussi une importanteinflation dans la seconde moitié duXIXe siècle, notamment par la frappe de pièces deTangbaekchŏn en1866, puis deTangochŏn à partir de1883, émises pour permettre à l'État de faire face à ses dépenses. La perte de pouvoir d'achat qui en résulte touche durement les habitants des villes, et participe à l'agitation populaire que traverse cette époque[146].
L'écriturehangŭl (hangeul), créée en1443 et dont l'usage est proclamé en1446, marque le début de la période. Elle est conçue par un groupe de lettrés à la demande du roiSejong[155]. Si le système d'écriture chinois continue à être utilisé par lesYangban et dans l'administration et reste le plus prestigieux, le hangŭl permet l'essor d'une littérature populaire et est utilisé en particulier par les femmes[156]. Bien plus simple d'apprentissage, il est utilisé pour diffuser dans la population les idées défendues par le régime. Sous les roisSejong etSejo de nombreuses traductions en hangŭl sont ainsi entreprises, comme leYongbiŏch'ŏnga, réciteulogique de la nouvelle lignée royale. LeWŏrin Sŏkpo reprend des épisodes de lavie du Bouddha Siddhartha Gautama. Des manuels militaires ou d'agriculture sont aussi adaptés dans ce système d'écriture auXVIe siècle, tout comme des classiques néo-confucéens comme lesCinq Classiques chinois[157].
Lalittérature coréenne connait un regain de dynamisme. LesSijo, poèmes courts, sont populaires chez lesYangban, mais peuvent être écrits par des Coréens, quelle que soit leur origine sociale. Similaires dans leur forme auJueju(en), chinois et auxTanka japonais, ils se composent de trois lignes de quinze syllabes chacune, et chaque ligne est scindée en deux par une pause. Ils mettent l'accent sur lesallitérations et sur lesrimes. Plusieurs milliers de cessijo du début de l'époque Joseon ont été conservés et ceux composés parHwang Chini, unekisaeng du début duXVIe siècle, sont restés parmi les plus célèbres[158]. Des poèmes plus longs, lesKasa marquent l'époque, en particulier ceux de Chŏng Ch’ŏl et de Hŏ Nansŏrhŏn. Des centaines de romans, le plus souvent anonymes, datent aussi de cette période. Des nouvelles inspirées du style chinoisChuanqi, mettant l'accent sur l'étrange et le surnaturel, sont très populaires commeLes Contes du mont de la Tortue d'or deKim Si-seup[159], ou leP’aegean chapki de O Suk-kwŏn.La Légende de Hong Gildong[160], publiée vers1603, est un des classiques de cette époque, tout comme leRêve de neuf nuages deKim Manjung, considéré comme le premier roman écrit enhangŭl[161].
Lapeinture coréenne duXVe siècle est assez bien représentée, aujourd'hui, par ces lettrés qui ont eu une certaine renommée en raison de leurs peintures, commeKang Hŭian (les textes gardent le souvenir de ses « paysages », « fleurs de prunier », « bambous » et de ses « fleurs, plantes et insectes ») ouAn Kyŏn, pour ses peintures de paysages dont ce « Lettré qui contemple l'eau », proche de l'école Zhe de peinture chinoise. Très peu de leurs peintures ont survécu. Ces lettrés sont, d'ailleurs, considérés aujourd'hui comme des peintres amateurs, plus reconnus pour leur poésie et leur calligraphie, qu'eux-mêmes tenaient en plus grande estime que leurs peintures. Ils suivaient ainsi les valeurs néo-confucéennes. Par ailleurs, des peintres de la cour, professionnels mais ayant une bonne formation de peintres et une certaine culture, sont rémunérés dès cette époque. Un bureau dédié à cette peinture et rattaché au ministère des rites est créé à Séoul et permet le financement de ces professionnels, qui sont recrutés par voie de concours. D'autres professionnels réalisent des peintures bouddhistes, bannières ouTaenghwa[162].
Bannière bouddhiste déployée, Patrimoine culturel tangible de SéoulNo 363.
La céramique de typePunch’ŏng s'impose entre les années 1390 et 1590. Elle reprend les matériaux utilisés par la poterie Goryeo mais la couvertecéladon disparaît des commandes royales dès que la porcelaine blanche est maîtrisée. La nouvelle céramique incisée et gravée, bien moins luxueuse qu'à la période Goryeo car d'un décor simplifié, est encore réservée à la cour. La tradition des décors aux tout petits motifs estampés se poursuit, au début, pour la cour. Ensuite, et pour le peuple, les décors tracés présentent des formes épurées, tracées rapidement au pinceau ou incisées. Les teintes, blanchâtres, se distinguent descéramiques chinoises de l'époque Ming aux couleurs souvent beaucoup plus vives. Le centre de la production est àGwangju et des ateliers contrôlés par l'État y assurent le gros de la production. La demande est telle que ces ateliers doivent régulièrement déménager pour rester à proximité des forêts, nécessaires au fonctionnement de leurs fours[164].
Ces céramiques au style très épuré deviennent populaires au Japon depuis cette époque. De nombreux potiers coréens sont d'ailleurs exilés au Japon pendant laguerre Imjin. Ils ont joué un rôle important dans le développement desgrès de Karatsu[165] et, au-delà, à la naissance de la porcelaine japonaise[164],[166],[167].
Bol à thé, stylePunch’ŏng, seconde phase, populaire.
Bouteille à motifs de feuilles, stylePunch’ŏng, seconde phase, populaire.
L'architecture du début de l'époque Joseon ne se démarque que peu de ses modèles antérieurs, extrême-orientaux, principalement chinois[168]. Néanmoins, trois éléments significatifs se distinguent du voisin chinois. D'abord, en raison des tremblements de terre fréquents en Corée, le systèmechinois « poteau-poutre-console »[169] est doté d'une base de poteau sculptée,geurengijil, pour épouser étroitement les reliefs de leurs bases en pierre, choisies pour l'empêcher de glisser lors d'une secousse tellurique. Par ailleurs, comme les hivers sont très froids et les étés très chauds et humides, l'habitation coréenne est dotée d'un chauffage par le sol,ondol, et d'une banquette surélevée planchéiée[170],maru. Enfin la lumière est tamisée et le courant d'air atténué mais toujours présent grâce à un système declaire-voie en bois et feuilles de papier,changhoji[171].
Fondations et cheminées d'unondol d'une maison aisée dans le style d'époque Joseon.
Ouverture munie d'unchanghoji. Intérieur d'unehanok de Séoul dans un style datant de la période Joseon
Vue externe d'unchanghoji (à gauche), demeure d'unyangban, àAndong, région rurale à l'époque Joseon.
La pièce de réception de travail,sarangbang, au début de l'époque Joseon. Reconstitution, British Museum
Cependant,le plan de la ville de Séoul avec son quadrillage régulier est directement inspiré de celui de la capitale impériale chinoise. Les palais royaux comme leKyŏngbokkung optent pour un plan symétrique et font face au Sud. Les bâtiments officiels sont des structures en bois, surmontées de toits courbes couverts de tuiles vernissées, àglaçures colorées. Ils se démarquent des modes antérieures par l'usage de ces couleurs vives (rouge, bleu, jaune, blanc et vert) selon la modetanch'ŏng[164]. Les maisons d'aristocrates et les palais disposent souvent de jardins, comme le jardin Piwŏn du palaisChangdeokgung ; contrairement aux jardins chinois et japonais de la même époque, ces jardins coréens mettent l'accent sur le caractère sauvage de la nature et optent pour un style plus rustique[158].
LeXVIIIe siècle est une période de grand foisonnement culturel en Corée. Une culture perçue comme spécifiquement coréenne s'affirme avec vigueur. Le modèle chinois semble supplanté depuis qu'une dynastie étrangère dirige ce pays, alors qu'il a longtemps servi de référence à suivre. La culture de la dynastie Chosŏn alors émancipée de sa tutelle chinoise fait figure de seule représentante d'une certaine forme de raffinement parmi les lettrés du pays[58].
La littérature se détourne en partie de ses modèles chinois. La pratique duhangŭl est plus courante, bien que lesYangban continuent de lui préférer l'écriture chinoise. Des thématiques se popularisent. L'héroïsation des personnes ayant résisté aux invasions étrangères donne lieu à une littérature spécifique, mettant en avant des personnes comme le généralIm Kyŏng-ŏp, et la littérature de romans donne lieu à des écrits commeLe chant de Chunyang. Le poème de typesijo voit sa forme se libéraliser ensasŏl sijo, tout en se démocratisant parmi la population[149]. Une littérature satirique prenant pour cible le conservatisme desYangban voir le jour, et des auteurs commePak Chi-wŏn ou encoreChŏng Yag-yong en sont les principaux représentants. Une littérature féminine, bien qu'encore marginale, fait émerger certains noms commeHŏ Nansŏrhŏn[174] ou lakisaengHwang Chini ; plusieurs thématiques lui sont propres, comme les guides moraux transmis de mère en fille, ou les thématiques liées à la cour et aux amours courtois comme dans leKyech'uk ilgi ou leInhyeon wanghu jeon[175].
D'autres peintres, commeSin Yun-bok (Hyewon),Kim Tŭk-sin, etKim Hong-do optent pour des thèmes propres à la Corée, comme des scènes de la vie courante en Corée, sous forme d'album, aux feuilles de papier ou de soie.Sin Yun-bok (v.1758-après 1813), peint ainsi des scènes montrant des femmes servant du vin ou flirtant avec des Yangban ; jugés contraires aux bonnes mœurs néo confucéennes, elles lui valent le renvoi de l'Académie de peinture.Kim Hong-do (1745 - v. 1806-1818), peintre professionnel employé par la cour, a une production plus éclectique : scènes de vies campagnardes, portraits, scènes de montagnes ou motifs animaliers. Il peint sur tous supports, du paravent au rouleau vertical ou sur album. Kim Hong-do a réalisé des peintures de cour, comme des processions, mais il a travaillé aussi pour desyangban et desjungin (la classe moyenne), et même pour un marchand de sel, un certain Kim Hantae (1762-1823). Il s'agit, alors d'une peinture dite « populaire », commercialisée. Avec la fin duXVIIIe et le début du XIXe siècle des échanges entre personnes de statuts différents se produisent de plus en plus souvent[179]. La peinture décorative, réalisée par des peintres professionnels et des peintres de la cour qui sont trop peu payés et, pour cette raison, se tournent vers des commandes venues de la classe moyenne supérieure. Cette peinture décorative est en grande partie constituée de paravents, nécessitant plus ou moins de travail, soit afin de déployer un luxe de procédés savants et de détails illusionnistes, soit afin de produire, avec une stylisation originale, un effet décoratif puissant. Dans les deux cas il s'agit de rappeler la culture des lettrés. Cette peinture décorative était considérée comme relevant des arts populaires,Minhwa, jusqu'à la fin duXXe siècle. Leur étude, récente, soulève le problème de l'usage du concept deMinhwa, hérité du début du modernisme[180].
Minhwa au motif du tigre et du couple de pies. Papier collé sur une porte d'un village folklorique (minsokchon)
À côté des lettrés qui pratiquent la peinture - non commercialisée , seulement échangée ou offerte en cadeau - et ces peintres qui pratiquent une peinture décorative, d'autres peintres, professionnels eux aussi, répondent à des commandes destinées aux cultes ou à des commandes privées, depuis le roi jusqu'aux gens bien plus modestes en passant par la classe moyenne supérieure. Cette peinture populaire,Minhwa, connait un certain dynamisme depuis leXVIIIe siècle. Elle est identifiée comme telle et nomméeMinhwa par l'artiste japonaisSōetsu Yanagi (1889-1961) dans les années 1920[181]. Cependant, une grande partie de cette production, n'ayant jamais été protégée, est aujourd'hui très rare. Elle est peinte, le plus souvent, avec des couleurs beaucoup plus vives que la peinture de lettrés (à l'encre et couleurs légères). Ces peintures traitent de thèmes liés aux croyances populaires (comme lechamanisme[182] ou le bouddhisme), ou aux rites (nouvel an, anniversaire). Par exemple, l'image du tigre était considérée comme protectrice contre les démons et, pour cet usage, collée sur la porte des habitations au nouvel an coréen,Seollal[183]. Enfin, la mode de peintures érotiques - commecelle attribuée à Sin Yun-bok (1758-après 1813) - apparaît à cette époque, souvent réalisées sous anonymat par des peintres connus[178].
Tigre sous un pin.Kim Hong-do (Danwon) (1745-1806, ou 1816, voire 1818). Encre et couleurs légères sur soie. H. 90,4 cm.Musée d'art Ho-Am
Fête au village.Kim Hong-do. Feuille de paravent, vers 1768. Encre et couleurs légères sur soie, H 108 cm.Musée Guimet
Kim Tŭk-sin (1754-1822). Vues des quatre saisons. Les huit vues de la confluence des rivièresXiao etXiang (affluent du Yangzi). Paravent à huit panneaux. Encre et couleurs sur papier. Musée Guimet.
D'autres arts vivants perdurent ou émergent. LeTalchum, danse populaire utilisant des masques, se renouvèle et revêt une dimension de contestation sociale en s'en prenant à l'occasion auxYangban. Son existence est attestée dès leroyaume de Silla, mais sa popularité sous l'ère Joseon en fait l'une des formes d'expression artistique les plus typiques de la vie rurale. Les masques faits de bois obéissent à un code couleur bien déterminé (rouge pour représenter les hommes jeunes, blanc pour représenter les femmes jeunes...), et les représentations sont jouées par de petites troupes lors des fêtes saisonnières (Nouvel An lunaire (Seollal), fête des récoltes (Chuseok), etc.). La forme duPansori, histoires chantées, commence à apparaitre duXVIIIe siècle, initialement dans laprovince de Chŏlla. Leurs récits trouvent leur origine dans des contes populaires qui sont embellis pour susciter l'intérêt du public. Si l'existence d'une douzaine de ces récits sont attestés à l'époque, seuls six ont été transmis jusqu'à nos jours. Ils sont joués par un chanteur accompagné d'un joueur de tambour. Les chants peuvent durer huit heures, mais la plupart du temps le chanteur ne joue que des extraits[185].
La période voit l'éclosion de plusieurs écoles de pensée qui visent à moderniser le pays, alors que l'application de plus en plus dogmatique dunéoconfucianisme commence à montrer des signes de vieillissement dans la société[186]. Trois facteurs principaux expliquent cette recherche de nouveaux modèles : la prise de conscience des faiblesses de l’État coréen (matérialisé par lesinvasions japonaises etJurchens), le rejet desnombreuses intrigues à la cour (cause despurges de lettrés), et enfin la prise de conscience de l'incapacité dunéoconfucianisme à apporter des solutions (en particulier dans les domaines sociaux, économiques, et politiques)[187].
Le courantSilhak (ou « études pratiques ») se porte vers la mise en œuvre de techniques nouvelles, et non exclusivement sur des savoirs abstraits. La publication de l'encyclopédie en 20 volumesChibong yusŏl parYi Su-kwang en1614 est, d'ailleurs, souvent vue comme le point de départ de ce courant informel[186], et d'autres figures de ce mouvement commeYi Ik (auteur de l'encyclopédieSŏngho saesŏl en1780),Yu Hyeong-won, ouJeong Yak-yong poursuivent ces critiques tout au long duXVIIIe siècle. Tout en restant dans une approchenéo-confucianiste, ils proposent de moderniser le pays en se concentrant sur la manière dont certains savoirs techniques peuvent profiter à tous. Leurs travaux portent ainsi sur la politique, l'économie, la géographie, l'agriculture, et les sciences de la vie[25]. De manière similaire auxphysiocrates, ils postulent qu'une société agraire modernisée peut servir de base à un État plus fort. Ils souffrent cependant d'une certaine marginalité politique qui empêche leurs idées de connaitre un écho dans les cercles de pouvoir, et, finalement, leurs propositions de réformes sont toutes repoussées[188].
Le courantPukhak (ou « études du nord », en référence à la capitale chinoise) conserve cette critique et ce besoin de modernisation en proposant la Chine comme exemple à suivre. Yu Su-wŏn[189] est considéré comme le pionnier de ce courant qui émerge au milieu duXVIIIe siècle, et qui compte par ailleurs Hong Tae-yong,Pak Chi-wŏn ou encorePak Che-ga. Ils visent davantage une modernisation de l'agriculture pour permettre une hausse de sa productivité, et ainsi servir de base au développement du commerce et des activités manufacturières[26].
Les sciences bénéficient des visites de diplomates coréens dans la Chine desMing (1368-1644). Ils entrent en contact avec lesmissionnaires jésuites qui y sont présents eux aussi, et prennent connaissance de nombreuses avancées scientifiques occidentales.Jeong Duwon(en) en particulier retourne en Corée en1631 avec un mousquet, un télescope, une horloge et des livres d'astronomie écrits parMatteo Ricci. Une carte du monde réalisée par ce dernier était déjà entrée en Corée dès1603. LePrince héritier Sohyeon(en) fréquenteAdam Schall à Pékin lors de ses années passées dans la capitale chinoise comme otage, et fait parvenir en Corée de nombreux traités scientifiques occidentaux. Des navigateurs occidentaux commeJan Janse Weltevree (en1628) ouHendrik Hamel (en1653) font aussi naufrage sur les côtes coréennes et contribuent à diffuser certains savoir-faire dans la péninsule. Cette arrivée de sciences occidentales permet à des penseurs locaux commeKim Yuk(en) ouJeong Yak-yong de diffuser, dans une certaine mesure, ces connaissances. Au début duXIXe siècle cet intérêt pour les connaissances d'origine occidentale subit un coup d'arrêt après les premières répressions contre le christianisme[190]. Mais, en général, les lettrés n'avaient que peu d'intérêt pour les techniques et l'usage de savoirs appliqués, comme latypographie métallique mise au point en 1403, qui restèrent confinés à des cadeaux prestigieux destinés à de hauts fonctionnaires[191].
À partir de 1700 on assiste à une recrudescence de particuliers qui se mettent à écrire des Histoires de la Corée[192]. La connaissance de l'histoire du pays et de sa géographie progressent ainsi avec la publication de plusieurs ouvrages. LeDongsa Gangmok(en) deAn Chŏng-bok est une des premières tentatives d'un historien ne dépendant pas de l'État de produire une histoire du pays, depuis la figure mythique deTangun jusqu'à la chute duGoryeo. L'initiative est copiée parHan Ch'i-yun qui produit laHaedong yŏksa sur la même période historique. En prenant comme origine la figure deTangun et non celle deGija Joseon, ils contribuent à ancrer l'idée selon laquelle la création de Corée n'est pas la conséquence du développement de la Chine, mais possède une origine propre et distincte de la celle de son voisin chinois. Le début de la période Joseon sert de sujet à laYŏllyŏsil kisul deYi Kŭng-ik, et la période duParhae est le sujet de laParhae ko de Yu Tŭk-kong[193].
La géographie connait un surplus d'intérêt dans le milieu des lettrés, à la suite de la publication parYi Chung-hwan(en) duTaengni-ji en1751, dans lequel l'auteur associe à un traitement géographique des descriptions sociales et historiques correspondant aux populations locales. Ce travail précurseur influence les travaux suivants deJeong Yak-yong et Sin Kyŏng-jun[194]. Ce dernier publie, ainsi, lesToro ko etSansu ko (qui ont comme sujets respectifs les routes, les montagnes et les rivières). Chŏng Sang-gi (1678-1752), un autre géographe de la période, produit la carte de Corée la plus complète de son époque, laTongguk chido vers 1730[193].
Les publications, qui sont connues et que l'on mentionne ici, ont eu très probablement une diffusion extrêmement limitée[191].
Dans le domaine de la peinture,Chang Sŭng-ŏp (1843-1897) marque cette forme artistique à l'époque. Un lettré commeKim Chǒng-hǔi renouvelle la calligraphie en y développant le style Ch'usa, et s'illustre dans ses peintures d'orchidées[197]. Leschaekgeori, ou peintures sur paravent représentant des bibliothèques, sont un sujet qui marque la peinture de l'époque. Depuis au moins l'époque des Song, les lettrés chinois avaient la coutume de rassembler tout un matériel de calligraphe et de collectionner non seulement des peintures et de belles céramiques, mais aussi des roches aux formes et couleurs peu communes et d'autres objets parmi des fleurs en pots ou dans des vases. D'autre part, la représentation de l'espace entrompe-l'œil était pratiquée aussi bien à Rome qu'en Chine. Les peintres dechaekgori ne font rien d'autre, ils n'emploient pas la perspective linéaire, ici : de multiples points de fuite et une perspective isométrique. Les paravents àchaekgori représentent tout ce qui caractérise la bibliothèque du parfait lettré, avec une certaine fantaisie et un goût du rapprochement dont le sens nous échappe aujourd'hui[198]. Popularisé par le roiJeongjo lors de son règne de1776 à1800, ce type de peinture est l'un des sujets sur lesquels les peintres voulant travailler pour l'État sont évalués entre1784 et1879[199].
La production littéraire reste dynamique. Lepansori — récit chanté, au rythme du tambour — connait une forme d'âge d'or, à la fois sous l'impulsion de théoriciens et de collecteurs commeShin Jae-hyo, mais aussi d'artistes commeJin Chae-seon qui parviennent à le faire accéder au rang de forme artistique de premier plan[204]. Lessijo restent populaires pendant cette période[197]. Signe d'une certaine évolution de la société, une nouvelle littérature vise à valoriser les personnages historiques méritants, mais de faible extraction.Jo Hui-ryong(en) publie ainsi en1844 uneHistoire non officielle de Hosan qui popularise les vies d'artistes, de médecins, de moines, de militaires, ou encore de lettrés régionaux. Ce livre sert d'inspiration àYu Jaegeon(ko) qui publie en1862 un recueil de quelque trois cents biographies du même type[204].
La culture populaire de l'époque connait un nouveau dynamisme, aidée par le développement d'un certain commerce. La diffusion des idées et des pratiques culturelles s'en trouve facilitée, et une certaine uniformisation s'opère. Les écoles communales permettent une alphabétisation encore limitée des paysans[81].
Un mouvement d'adoption des technologies occidentales, outongdo sŏgi, gagne le pays dans le dernier quart duXIXe siècle. UnBureau de la culture et de l'information(ko) est créé en1883, qui commence la même année à publier leHanseong sunbo(en), premier quotidien du pays. Des écoles financées par l'État sont fondées pour enseigner les langues étrangères (laTongmun haksa en1883) et les savoirs occidentaux (laYukyŏng kongwŏn en1886) ; des spécialistes étrangers sont recrutés pour y enseigner[44] (initialement américains commeHomer Hulbert ou Dalzell Adelbert Bunker, puis britanniques). Des missionnaires américains fondent plusieurs écoles privées à la même époque, commeHorace Grant Underwood(en),Henry Appenzeller(en) ou encoreMary F. Scranton qui fondent l'école (plus tard université) Ewha. Elles servent de support à leurprosélytisme, tout en enseignant les avancées scientifiques occidentales. Un autre missionnaire,Horace Newton Allen(en), joue un rôle central dans l'ouverture du premier hôpital moderne du pays en1885, leChejungwon(en). La première ligne de télégraphe entre Séoul etIncheon est inaugurée en1885, puis relie la capitale àBusan en1888 puis àWonsan en1891[45]. Le palaisKyŏngbokkung est illuminé grâce à des ampoules électriques pour la première fois en1887. La portée de cette politique d'introduction de technologies venant de l'Occident reste cependant limitée, et est la source d'ingérences étrangères croissantes dans les affaires du pays[206].
LeKyŏngbokkung est illuminé grâce à l'électricité pour la première fois en1887.
Cette supposée stagnation est remise en cause après la libération du pays en1945. Les historiens marxistes commePaek Nam-Un se rangent derrière l'orthodoxie marxiste de l'époque qui découpe le développement des sociétés en cinq grandes étapes, et met en avant plusieurs évolutions du pays pour contredire le prétendu immobilisme de l'ère Joseon[212]. Les historiens nationalistes du Sud, commeYi Ki-baek, remettent aussi en cause cette approche, mettant en avant le développement économique marqué à partir duXVIIe siècle. Un livre publié par ce dernier en 1967,Kuksa sillon, s'impose comme manuel historique de référence lors des deux décennies suivantes[213]. Le mouvement de démocratisation de laCorée du sud à partir de la fin desannées 1970 fait émerger un courant historiographique,Minjung, qui reflète les préoccupations démocratiques de l'époque, se concentre sur les modes de vie des Coréens de l'époque Joseon et sur leurs antagonismes sociaux (unelutte des classes). Tout en s'opposant au point de vue nationaliste, cette historiographieMinjung tend à montrer que l'époque Joseon connaissait des développements internes importants[214].
Cette théorie du développement interne est, elle aussi, mise en cause à partir du début duXXIe siècle par différentes écoles. L'essor de l'histoire culturelle tend à remettre en cause les conclusions de l’historiographie Minjung, en montrant le caractère trop limité de ses outils d'analyse, etles limites de son analyse, restreinte à certains domaines. La modernisation de l'histoire économique tend à montrer que le dynamisme de certaines phases de l'époque Joseon était bien plus limité, et que le véritable essor économique du pays ne commence qu'avec la période coloniale[215]. Cette dernière approche est notamment portée par un historien proche de lanouvelle droite,Lee Young-hoon[216].
L'origine sociale des soutiens du régime lors de sa création fait l'objet de débats[215].Yi Seonggye prend appui au début de son règne sur des lettrés néo-confucéens, lesyangban, pour contrer l'influence dubouddhisme en Corée. Le fait que ces lettrés soient issus, ou non, des familles aristocratiques déjà présentes au sein de la hiérarchie bouddhiste reste discuté actuellement. L'historienYi Tae-jin(ko) à partir desannées 1980 soutient que ces lettrés proviennent d'une nouvelle classe de petits et moyens propriétaires terriens que la modernisation de l'agriculture a enrichis. Il met en avant qu'un nombre plus important d'officiels du nouveau régime provient de trois provinces du pays connues pour l'importance de leurs productions agricoles. Cette thèse est cependant débattue, car, d'une part, la continuité du pouvoir de certaines familles entre les milieux bouddhistes et néo-confucéens est établie mais, d'autre part, la plupart des registres de cadastre de cette époque ancienne sont perdus, empêchant de trancher le débat[217].
La question de lapériodisation de cette époque est aussi source de débats. Une approche, basée sur l'histoire agricole du pays, divise cette époque en deux phases, séparées l'une de l'autre par les invasions japonaises puis mandchoues. L'importation de nouvelles techniques depuis la Chine permet aux paysans d'améliorer la productivité de leurs champs, ce qui alimente l'essor de marchés dans le pays. Cette périodisation a été l'approche dominante jusqu'auxannées 1980. Une autre approche basée sur l'histoire politique émerge alors et propose une division de cette époque en trois grandes phases, reflets des luttes de pouvoir au sommet de l'État[218]. Cette approche propose une première période allant de1392 à1506, marquée par la prédominance desfonctionnaires érudits ousadaebu sur le régime. Une seconde période, allant de1506 à1720, serait marquée par la domination deslettrésSarim, à laquelle une dernière période allant de1720 à1873 succèderait, marquée par la domination de la famille royale, puis des belles-familles. Les soutiens de cette périodisation en trois temps reprochent à la périodisation en deux temps de donner trop de poids à des facteurs externes comme les invasions, alors que celles-ci n'ont pas remis en cause les fondamentaux du régime[219]. La périodisation en trois temps reste cependant hésitante sur la fin du régime, certains historiens prenant comme période terminale lesannées 1860 et le début des ingérences étrangères, là où d'autres intègrent l'Empire coréen[220].
La période Joseon est initialement vue très négativement par l'ensemble de la population dans les années qui suivent sa fin. Le néoconfucianisme, qui avait été le fondement du régime, est rejeté par cette population et il est vu comme ayant été la source du déclin et le principal obstacle à la modernisation du pays. Cette perception est, de plus, renforcée par l'occupant japonais, qui présente cette période comme arriérée de manière à mieux justifier sa présence pour moderniser le pays[221]. Cette période bénéficie cependant de l'existence de deux personnalités vers lesquelles les premiers indépendantistes se tournent pour susciter un sentiment patriotique chez leurs contemporains. Leroi Sejong, créateur de l'alphabethangeul, est mis en avant dès1926, quand la maison d'édition Sinminsa,Société de la langue coréenne, organise plusieurs évènements pour marquer le480e anniversaire de la création du hangeul - préfiguration duJour du hangeul mis en place après la Libération. L'amiralYi Sun-sin bénéficie, quant à lui, de son rôle dans la défaite du Japon lors de laguerre d'Imjin et fait office de figure antijaponaise majeure. L'historienShin Chae-ho publie dès1908 un livre biographique vantant ses mérites, et en1931 lors d'une des toutes premièresopérations de protection patrimoniale, une levée de fonds est organisée au niveau national pour acheter les terres où se situe alors sa tombe et y élever un mémorial[222]. L'image de la période reste cependant principalement négative pendant toute lapériode de la colonisation, et lors des années qui suivent laGuerre de Corée[223].
Leroi Sejong apparait sur les billets de banque de Corée du sud à partir de1960, signe d'un début de réhabilitation de la période Joseon.
Une certaine revalorisation de la période sous les mandats du dictateurPark Chung-hee commence à se matérialiser au Sud[223]. Plusieurs sites patrimoniaux de cette période sont classés en1963, dont certains palais et des lieux en rapport avec le penseur néoconfucéenJeong Yak-yong et l'amiralYi Sun-sin. Plusieurs palais, détruits par l'occupant japonais, commencent à être reconstruits dès le milieu desannées 1960[224]. La communication du régime met en avant très activement les figures deYi Sun-sin et duroi Sejong, le premier pour incarner un certain idéal du citoyen militaire (le service militaire est obligatoire, et le pays en conflit ouvert avecson voisin du nord), le second pour incarner les vertus intellectuelles et industrieuses que le régime attend de ses citoyens[225].
Vue aérienne duGyeongbokgung en1965, avec le bâtiment de l'administration coloniale japonaise encore présent. La reconstruction de ce palais de la période Joseon est entamée dans lesannées 1990.
Une nouvelle phase de réhabilitation de Joseon émerge lors de ladémocratisation de la Corée du sud dans lesannées 1980. La perte de vitesse de la théorie de la stagnation, d'une part, et la réussite économique desQuatre dragons asiatiques, d’autre part, tendent à démontrer que lenéoconfucianisme n'est pas un obstacle à la modernisation d'un pays. Un excès d'occidentalisation est même parfois présenté comme à la source de certains problèmes du pays — comme lacrise économique asiatique[226]. La popularité du mouvementMinjung permet de remettre au goût du jour certaines pratiques populaires issues de la période Joseon. Des salons de thé traditionnels ouvrent dans certains quartiers de Séoul dans lesannées 1980, legaeryang hanbok, sorte dehanbok modernisé, voit le jour, et la musique populaire de cette période découvre la forme dusamulnori[227]. Plusieurs films ouséries télévisées se déroulant lors de cette période — commeLa Chanteuse de pansori sorti en1993 ouTears of the Dragon(en) diffusée de1996 à1998 — rencontrent un succès considérable auprès du public local, permettant de rendre cette période très familière aux Coréens[228]. La question de la restauration du patrimoine de l'époque Joseon devient centrale avec le projet de reconstruction du palais duGyeongbokgung à Séoul sous la présidence deRoh Tae-woo ; celle-ci doit s'accompagner de la destruction de l'ancien siège de l'administration coloniale japonaise. Largement soutenue par la population, la destruction du bâtiment colonial est réalisée de1995 à1997[229].
Cet article est partiellement ou en totalité issu de l'article intitulé « Histoire de la Corée »(voirla liste des auteurs). Article traduit et considérablement augmenté.
↑Deux nouvelles factions se forment après la décision du roiYŏngjo de faire exécuter le prince héritierSado alors que ce dernier présente des signes de démence.
↑« Étiquetée comme "Une femme de chambre à la cour de l'empereur de Corée", mais également considérée par beaucoup comme étant Myeongseong » (la reine Min) : légende dans le livre qui reproduit cette photographie : "The passing of Korea", par Hulbert, Homer Bezaleel (1863-1949), 1906, p. 183.
↑La langue écrite chinoise est, à cette époque la seule pratiquée dans l'administration : lanumérologie chinoise est aussi à considérer, "le chiffre 8 (八, bā) étant considéré comme favorable parce qu'il se prononce de la même manière que le mot chinois 发 (fa), qui signifie « richesse » ou « prospérité » ".
↑Si les chiffres restent peu fiables, de nombreuses terres étant cachées aux collecteurs d'impôts, les chiffres indiquent néanmoins une progression importante de la surface cultivée totale.
↑Par les armées chinoises présentes en Corée lors de laguerre Imjin, puis par les commerçants japonais qui en utilisent pour payer leurs importations.
↑Soleil, Lune, Cinq pics (Irworobongdo) : thème d'origine taoïste, que l'on rencontre souvent dans la peinture de cour et dans la peinture populaire. Placé derrière le trône -eojwa - du roiJane Portal, 2000,p. 146.
↑Marie Laureillard et Vincent Durand-Dastès,« L’univers fantasmagorique dans le Geumo sinhwa (Nouveaux Contes du mont de la Tortue d’or) de Kim Si‑seup (1435-1493) », dansFantômes dans l'Extrême-Orient d'hier et d'aujourd'hui, Presses de l'INALCO,coll. « Asie(s) »,(ISBN978-2-85831-261-0,SUDOC225031310,lire en ligne).
Isabelle Sancho,« Les concours de recrutement des fonctionnaires dans la Corée de Chosŏn (1392-1910): les paradoxes d'une méritocratie », dans Société des Agrégés de l'Université,Les concours, un modèle à la française ?,(SUDOC258753676,lire en ligne),p. 70-88
La version du 16 novembre 2023 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.