
Drogman est le terme utilisé en Orient pour désigner uninterprète. Ce mot, utilisé entre lesXIIe et XXe siècles, désignait à la fois les interprètes au service desEuropéens chargés des relations avec leProche etMoyen-Orient et lesfonctionnaires au service de l'administration ottomane, souvent d'originegrecque. Il en existait plusieurs classes, assumant toujours des fonctions detraduction, mais parfois aussi dechargé de mission, négociateur,intermédiaire. Le mot n'est cependant plus utilisé.
Le mot vient de l'hébreu תורגמן (« traducteur, interprète ») et de l'arabeترجمان,tourdjoumânc.-à-d. « traducteur », qui a aussi donné en français « truchement », par le biais de laracine sémitiquetrgm, et se trouve aussi à l'origine dupatronymeTordjman[1].
L'étymologie detourdjoumân pourrait remonter au mottargumannum (« interprète »)[1] présent dans les tablettescunéiformesakkadiennes deKültepe/Kanesh (Kayseri) au début duIIe millénaire avant notre ère[1]. Il dériverait du verbehittitetarkummai- (« annoncer, traduire »)[1].La racine signifiant « interprète » existe aussi enkartvèle (géorgien notamment), sous la formetardjimin ainsi qu'enarménien sous la formetargman : on ne peut donc pas exclure qu'il s'agisse d'unmot voyageur utilisé (un même terme participant à plusieurs langues) dont l'origine pourrait tout aussi bien êtresémitique qu'indo-européenne,hourrite ou même kartvèle, c'est-à-dire l'une des familles linguistiques anciennement présentes sur les rivages orientaux de lamer Noire et autour dulac de Van (voirUrartu).[réf. nécessaire]

Cette fonction a son origine historique dans lescroisades et les besoins desÉtats latins dePalestine[2].
Au service des puissances occidentales, ils accompagnaient lesdiplomates et les négociants dans leurs relations avec les Orientaux. Ils résidaient auprès de l'ambassade ou dans lesconsulats.
Certaines familles deConstantinople monopolisaient les postes de drogmans dans la capitale et dans les échelles duLevant. De véritables dynasties dejeunes de langues, de drogmans et de diplomates se sont formées, tels lesChabert,Amico,Crutta,Dantan,Deval,Fleurat,Fonton,Fornetti,Pisani,Roboly,Salvago,Tarsia,Testa,Timoni ouWiet.
Arnold von Harff, chevalier allemand du15e siècle voyageant en Orient entre 1496 et 1499, décrit ainsi son drogman, qu'il avait recruté àVenise et qu'il dénommait Maitre Vincent, qui était un ancienchrétienconverti à l'islam :
« Il connaissait de nombreuses langues, le latin, le lombard, l'espagnol, le wende, le grec, le turc, un excellent arabe, [...] Je devais le payer 2 ducats par mois, en plus de la nourriture et de la boisson, et 100 ducats en cadeau. En contrepartie, il devait me conduire de Venise au Caire, en continuant jusqu'à Sainte-Catherine, et à travers toutes les terres païennes jusqu'à Jérusalem. Item, dès que j'ai conclu mon contrat avec lui, il est parti acheter toutes les fournitures dont nous aurions besoin pur le voyage en galée. »
De plus, ce Maitre Vincent réussit à déguiser plusieurs fois Arnold von Harff en Sarrasin, pour lui permettre de visiter des lieux interdits aux chrétiens. -[3].

Dans le systèmeconsulaire français, ils étaient nommés par le roi parmi les élèves drogmans employés en Orient. Les élèves drogmans étaient nommés par arrêté duministre des Affaires étrangères et choisis parmi les élèves de l'École des jeunes de langues. Ces élèves drogmans employés au Levant et lesjeunes de langues entretenus àParis ne dépassaient pas le nombre de 12.
En 1626, lesCapucins français ont repris une initiative de larépublique de Venise qui envoyait de jeunes Vénitiens étudier à Constantinople, lesGiovani di lingua, et ont créé à Constantinople une école qui enseignait le français, le turc, le latin, l'italien et le grec vulgaire. Grâce à cette école a été constitué le premier noyau de drogmans au service de la France. En 1669,Jean-Baptiste Colbert a créé à Constantinople une école de drogmans, l'école desJeunes de langue. AuXVIIIe siècle on a demandé à ces étudiants de traduire en français des textes de toute nature pour la Bibliothèque du Roi[5].
Avant laRévolution française on confiait rarement la fonction de drogman à des Français. Ce système confiant à des mercenaires les intérêts diplomatiques de la France a conduit à des trahisons de secrets diplomatiques pendant la Révolution[6].
Ces fonctionnaires étaient souvent recrutés au sein de la communautéphanariote.
Le fonctionnaire chargé des relations diplomatiquesottomanes àConstantinople était appelé « drogman dela Porte » ou « Grand drogman » ou « drogman du Divan ». La fonction fut créée en 1669 afin de remplacer les différents traducteurs utilisés jusqu'alors par un interprète unique, qui occupa ainsi une position privilégiée en tant qu'intermédiaire entre le gouvernement et les puissances occidentales. Le premier Grand dragoman futPanagiótis Nikoússios.
Le titulaire était un collaborateur de l'amiral de la flotte ottomane, lecapitan pacha, auquel étaient attribués les revenus de la plupart desîles de l'Égée. Il jouait donc un rôle d'intermédiaire entre le capitan pacha et la flotte (en grande partie composée deGrecs), mais aussi entre celui-ci et ses administrés, et pouvait gérer la levée des impôts. La revente des postes administratifs dépendant de la Flotte (gouvernance des îles par exemple) et les profits liés à cette position privilégiée rendaient la charge très lucrative.
Dans lesprincipautés danubiennes, chrétiennes mais vassales desOttomans, cetoffice est devenu ledragoman, synonyme d'ambassadeur, placé sous l'autorité duspătar, chef de la garde princière, dérivé dugrecσπαθάριος - spatharios,prétorien impérial byzantin.
La fonction de drogman àChypre est établie audébut de la domination ottomane. Cette fonction est abolie en1821 lors de laRévolution grecque.
Les drogmans avaient un rôle d'intermédiaire entre lePacha et la population de l'île. Ils représentaient donc la plus importante autorité politique après le pouvoir ottoman. Durant les premières années de la domination ottomane, la fonction était assurée par des étrangers ou des Francs parlant grec, avant qu'elle ne revienne à des Chypriotes grecs orthodoxes.
Le plus célèbre des drogmans chypriotes estHadjigeorgakis Kornesios (en), qui fut exécuté par les Ottomans en1809.
Lors de lacolonisation de l'Amérique etde l'Afrique, on appelaittruchements les interprètes qui servaient d'intermédiaires avec les peuplesautochtones. Le terme est une déformation française de l’arabetourdjoumân qui a donnédrogman.
Les marchands européens avaient pris l'habitude, lors de leurs expéditions, de laisser de jeunesmatelots parmi les peuples des côtes africaines et américaines pour qu'ils puissent apprendre les langues locales et rassembler des informations sur les autochtones. LesFrançais eurent recours à des truchements enFloride, avec notamment François de La Caille etPierre Gambie[7]. Plus au nord, enNouvelle-France,Étienne Brûlé,Nicolas Perrot etNicolas Marsolet ont aussi joué ce rôle.
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