Le seuldreadnought encore existant, l'USS Texas, lancé en 1912.
Ledreadnought (enanglais abréviation dewhich dreads nought, « qui ne redoute rien ») est le type prédominant decuirassé duXXe siècle. Il tire son nom du navire de guerrebritanniqueHMS Dreadnought, lancé en1906, qui présentait deux caractéristiques nouvelles pour l'époque : sonartillerie principale n'était que d'un seulcalibre (all-big-gun) et il était propulsé par un système révolutionnaire deturbine à vapeur. Son impact fut si grand que les cuirassés construits après lui reprirent ces caractéristiques et furent appelés desdreadnoughts. Ceux construits avant furent appeléspré-dreadnoughts.
L'idée de n'équiper les navires que d'un seulcalibre pour l'armement principal était étudiée depuis plusieurs années. LaMarine impériale japonaise avait commencé à travailler sur ce concept en1904, mais était restée à une conception plus conventionnelle. LaMarine américaine était également en train de construire des cuirassés à canons de type unique. Labataille de Tsushima, en1905, où les navires russes à bout de souffle furent tous coulés à grande distance par les plus gros canons des navires japonais, fut le déclencheur de la décision britannique d'accélérer les choses. Aussi les Britanniques mirent-ils secrètement en chantier la même année le HMSDreadnought, premier exemplaire de ce nouveau type de navire à l'artillerie « all-big-gun », ce qui signifie littéralement « tout en gros canons », pour le lancer en1906 et l'achever dans l'année. L'apparition de ce bateau relança une nouvellecourse à l'armement, principalement entre leRoyaume-Uni et l'Empire allemand mais avec des répercussions dans le monde entier. Cette nouvelle classe de navire surclasse tous les types de navires préexistants et du même coup rend obsolète les nombreux cuirassés de laRoyal Navy.
Le terme « dreadnought » pouvait aussi inclure lescroiseurs de bataille, type de navire dont les caractéristiques sont similaires à celles du cuirassé mais avec un blindage plus léger, et une plus grande vitesse.
Le passage vers une artillerie monocalibre offrait un avantage en matière de puissance de feu et de portée. Les nouveaux canons de 305 mm avaient une meilleure portée et étaient plus puissants que les canons de 254 ou de 234 mm[5]. Certains historiens considèrent également que cela a amélioré le contrôle de tir ; à longue portée, les canons visent en se fiant aux gerbes produites lorsque les obus tombent à l'eau lors des salves, et il était presque impossible de distinguer les gerbes faites par les différents calibres. L'importance de ce point sur l'évolution de l'artillerie navale reste sujet à controverse[6],[7].
Au début des années 1900, les amiraux britanniques et américains s'attendaient à ce que les futurs cuirassés commencent leur engagement à longue portée du fait de l'amélioration de la portée destorpilles[9]. En 1903, l'US Navy commanda une torpille efficace à 4 000 mètres[10]. Les deux nations conclurent que l'engagement devrait se faire à plus longue distance[10],[11]. En 1900,John Arbuthnot Fisher, commandant de la flotte en Méditerranée, ordonna que l'entraînement au tir se déroule à une distance de 5 500 mètres avec des canons de 152 mm[11]. En 1904, leNaval War College étudia les effets sur les tactiques navales de torpilles ayant une portée de 7 000 mètres[10].
La portée des canons légers et moyens était limitée et la précision diminuait fortement à longue distance[b]. À longue distance, l'avantage de la cadence de tir diminuait également ; la précision des tirs dépendait de l'endroit où tombaient les obus de la précédente salve d'où la nécessité de pouvoir distinguer la salve en question[1].
Les premiersdreadnoughts américains furent les deux navires de laclasse South Carolina. Leurs plans détaillés furent terminés en juillet-novembre 1905 et approuvés le 23 novembre 1905[23]. Cependant, leur construction fut lente et ils ne furent lancés qu'en décembre 1906, après leDreadnought[24].
Les concepteurs desdreadnoughts ont cherché à assembler les meilleures caractéristiques (vitesse, protection et armement) tout en essayant de conserver une taille et un coût raisonnables. La caractéristique principale desdreadnoughts consistait en un armement lourd et uniforme mais également en un fort blindage en forme de ceinture au niveau de la ligne de flottaison.
La conséquence inévitable de cette demande pour une vitesse, une puissance de feu et un blindage supérieur était l'accroissement dudéplacement du navire et donc son coût. Letraité de Washington de 1922 imposa une limite pour le déplacement des cuirassés qui était fixée à 35 000 tonnes. Cependant, de nombreux navires dépassaient cette limite même si officiellement leurs déplacements étaient inférieurs. Le retrait du Japon en 1936 et la Seconde Guerre mondiale rendirent ce traité caduc[25].
Un plan duHMSBellerophon de 1907 montrant la disposition de l'armement sur les premiersdreadnoughts britanniques. La batterie principale est répartie en tourelles doubles dont deux sont disposées sur les flancs. L'armement secondaire est réparti sur les superstructures.
Lesdreadnoughts possédaient également un armement léger. Les premiers d'entre eux possédaient un armement secondaire composé de canons très légers destinés à repousser lesvedettes-torpilleur. Cependant, l'amélioration des torpilles et desdestroyers qui les tirent a provoqué un accroissement de la puissance de feu de l'armement secondaire. À partir de la fin de la Première Guerre mondiale, lesdreadnoughts reçurent une artillerie anti-aérienne composée de canons de faibles calibres mais à tirs rapides[27].
Lesdreadnoughts possédaient souvent des tubes lance-torpilles. En théorie, une ligne de cuirassés pouvait tirer une salve de torpilles sur une ligne de cuirassés adverse progressant parallèlement à elle. En pratique, très peu de torpilles réussissaient à atteindre leur cible et elles pouvaient provoquer une dangereuse explosion si elles étaient touchées[28].
L'efficacité de l'artillerie dépend en partie de la disposition de ses tourelles. LeDreadnought et les cuirassés britanniques qui suivirent possédaient cinq tourelles : une à l'avant, deux à l'arrière disposées dans l'axe du navire et deux tourelles, une de chaque bord. Cela permet à trois tourelles de tirer vers l'avant, en chasse, et à quatre de tirer sur les côtés. Les classes allemandesNassau etHelgoland adoptèrent une configuration « hexagonale » avec une tourelle à l'avant et à l'arrière et deux de chaque côté. Ainsi, on pouvait installer davantage de canons, mais il y en avait autant qui pouvaient tirer vers l'avant et sur les bords que sur leDreadnought[29].
De fait, il y eut de nombreuses expérimentations sur la disposition des tourelles. Sur leHMS Neptune, les Britanniques décalèrent les tourelles latérales et aménagèrent des ouvertures dans les superstructures de manière que tous les canons puissent tirer une même bordée. Cette idée fut reprise par les Allemands avec laclasse Kaiser. Cependant, le souffle du tir risquait d'endommager les superstructures alentour et cela créait des contraintes considérables sur la structure du navire[30].
Si toutes les tourelles se trouvaient au centre du navire, les contraintes sur la structure du navire seraient plus faibles. Cette disposition permettrait également à toutes les tourelles de tirer latéralement même si les canons pointant vers l'arrière et vers l'avant étaient moins nombreux. Cela signifiait également que le navire devait être plus long ce qui posa problème aux concepteurs ; En effet, un navire plus long nécessite davantage de blindage pour une protection équivalente et les soutes à munitions sont situées à l'emplacement des chaudières et des turbines[31]. Pour ces raisons, leHMS Agincourt (1913), qui détenait le record de canons embarqués : 14 canons de 305 mm en sept tourelles centrales, ne fut pas considéré comme un succès[32].
La disposition qui devint finalement le standard fut une disposition où une ou deux tourelles étaient surélevées pour pouvoir tirer au-dessus d'une tourelle immédiatement devant elle. L'US Navy fut la première à l'adopter en 1906 mais les autres marines furent plus lentes. En effet, cette disposition n'était pas exempte de défauts. Au départ, on s'inquiétait de l'impact du souffle sur la tourelle inférieure. De plus, une surélévation des tourelles fait monter le centre de gravité du navire ce qui réduit sa stabilité. Néanmoins, cette disposition offrait la meilleure puissance de feu pour un nombre donné de canons et fut finalement mondialement adoptée[30].
Initialement, tous lesdreadnoughts possédaient des tourelles doubles. Cependant, une solution au problème de la disposition des tourelles était d'installer trois ou quatre canons par tourelle. Moins de tourelles permettrait de réduire la longueur du navire ou d'offrir plus de place aux machineries. D'un autre côté, si l'adversaire réussissait à détruire une tourelle, la puissance de feu du navire serait fortement réduite. Les ondes de choc provoquées par le tir interfèrent avec les autres canons de la tourelle ce qui réduit la cadence de tir. La première nation à adopter les tourelles triples fut l'Italie avec laclasse Dante Alighieri, rapidement suivie par laclasse Gangut russe[33], laclasse Tegetthoff austro-hongroise et laclasse Nevada américaine. LaRoyal Navy n'adopta la tourelle triple qu'après la Première Guerre mondiale avec laclasse Nelson. Les classesKing George V britannique etRichelieu française utilisaient des tourelles quadruples.
Au lieu d'augmenter le nombre de canons par navire, il est possible d'accroître la puissance de feu de chaque canon. Cela peut être fait en augmentant lecalibre du canon et donc le poids du projectile, ou en allongeant le canon pour augmenter lavitesse initiale de l'obus. Chacune de ces méthodes permet d'augmenter la portée et la puissance de pénétration du projectile[34].
Les deux méthodes présentent des avantages et des inconvénients. Par exemple, l'accroissement de la vitesse initiale accroît l'usure du canon ce qui réduit sa précision. À l'époque, cela était tellement problématique que l'US Navy a réfléchi en 1910 à la possibilité d'arrêter les tirs d'entraînement pour ralentir l'usure de ses canons[35]. On peut distinguer deux inconvénients majeurs des canons lourds : ceux-ci et les tourelles pèsent plus lourd et les obus, plus lourds et imposants, doivent être tirés avec un angle plus important pour une même portée, ce qui affecte la conception des tourelles. Cependant, les obus plus lourds sont moins soumis à la résistance de l'air et conservent une plus grande capacité de pénétration à longue portée[36].
LeTraité de Washington limita le calibre des canons à 410 mm[39]. Les seuls navires à enfreindre cette limite furent les cuirassés japonais de laclasse Yamato, construits à partir de 1937 (après le retrait du Japon du Traité) qui possédaient des canons de 457 mm[40]. De nombreuses conceptions datant de la Seconde Guerre mondiale prévoyaient des armements colossaux. Les cuirassés allemands de la classe H prévus pour 1944 devaient disposer de canons de 508 mm et il existe des preuves qu'Hitler prévoyait des canons de 609 mm[41]. De même, la classe Super-Yamato japonaise prévoyait des canons de 508 mm[42]. Aucun de ces projets ne dépassa le stade des études très préliminaires.
Les premiersdreadnoughts ne disposaient que d'un armement secondaire très léger destiné à la défense contre lestorpilleurs. LeDreadnought emportait 22 canons de 12 livres. Ceux-ci pouvaient tirer 15 coups à la minute[43]. À cette époque, les marines s'attendaient à ce que les torpilleurs attaquent séparément du reste de la flotte. Par conséquent, l'armement secondaire et les artilleurs n'étaient pas protégés contre le souffle des canons principaux. Les canons légers étaient placés dans des positions non fortifiées en hauteur pour maximiser le champ de tir[44].
Dans le cas duHMS Dreadnought, certains canons légers étaient positionnés au-dessus des tourelles
Au cours des années qui suivirent, ledestroyer commença à devenir une vraie menace ; plus grand, mieux armé et blindé, il est plus dur à détruire qu'un torpilleur. Or, on considérait qu'un destroyer devait être détruit avec un seul tir de l'artillerie principale. De plus, le destroyer est conçu pour attaquer en même temps que le reste de la flotte, il fallait donc protéger les canons légers contre les éclats et le souffle des canons principaux. Sur la classe allemandeNassau, les navires emportaient 12 canons de 150 mm et 16 canons de 88 mm. Ces canons étaient installés dans desbarbettes ou dans descasemates sur le pont principal. La Royal Navy améliora son armement secondaire avec des canons de 100 mm puis 150 mm, qui devint l'armement secondaire standard à la veille de la Seconde Guerre mondiale[45].
Les batteries secondaires avaient également d'autres rôles. On espérait que les obus de calibre intermédiaire pourraient détruire les systèmes de tir desdreadnoughts adverses. De même, elles pouvaient servir à dissuader les croiseurs d'attaquer un cuirassé endommagé[46].
Dans l'ensemble, l'armement secondaire se révéla insatisfaisant. Un destroyer ne pouvait être stoppé par un tir de canon léger. De même, la bataille du Jutland a montré que l'artillerie lourde n'arrivait pas à toucher un destroyer. Les barbettes placées bas dans la coque se révélèrent sensibles aux inondations et furent progressivement supprimées. Ainsi, la seule manière sûre de protéger undreadnought contre les attaques dedestroyers et de torpilleurs était de l'escorter avec son propre groupe de destroyers. Après la Première Guerre mondiale, l'artillerie secondaire fut positionnée sur les ponts supérieurs autour des superstructures. Cela permettait d'avoir un bon champ de tir et une bonne protection sans les inconvénients des barbettes. À partir des années 1920-1930, l'artillerie secondaire se destina à la défense anti-aérienne[47].
Section duHMS Bellerophon (1907) montrant la structure défensive d'undreadnought avec son blindage très épais protégeant les tourelles, les magasins et les machineries. On peut également remarquer les compartiments étanches destinés à empêcher le navire de sombrer.
La plupart du déplacement d'undreadnought était la conséquence des plaques d'acier de son blindage. Les concepteurs passèrent beaucoup de temps à concevoir la meilleure protection possible contre des armes très variées. Cependant, on ne pouvait consacrer trop de poids au blindage sans réduire les performances en matière de vitesse, de puissance de feu ou de stabilité[48].
La majeure partie du blindage dudreadnought se concentrait autour de la citadelle centrale. La ceinture blindée commençait juste devant la tourelle avant et se terminait juste derrière la tourelle arrière. Le 'toit' de la ceinture blindée était formé par le pont blindé. La citadelle centrale abritait les chaudières, les machines et les magasins pour l'armement principal. La destruction d'un seul de ces systèmes handicaperait gravement voire détruirait le navire. Le 'fond' était formé par la coque et n'était pas blindé[49].
Tandis que, dans tous les cuirassés, le blindage le plus épais était réservé à la citadelle centrale, certaines marines ajoutèrent une ceinture blindée plus légère aux extrémités du navire. Ce blindage 'fuselé' fut utilisé dans la plupart des marines européennes. Cet arrangement permettait d'offrir un blindage à une plus grande partie du navire ; Dans les tout-premiersdreadnoughts, lorsque les obus hautement explosifs étaient la menace principale, cela fut utile. Cependant, la ceinture principale se réduisait à une fine bande au-dessus de la ligne de flottaison ; certaines flottes réalisèrent que lorsque leurs cuirassés étaient à pleine charge, cette ceinture blindée était entièrement submergée[51]. La solution à ce problème fut un blindage 'tout-ou-rien' développé par l'US Navy. La ceinture blindée était haute et épaisse mais les extrémités du navire étaient complètement dépourvues de blindage. Ce type de conception offrait une meilleure protection lors des engagements à longue distance et fut adopté par les autres marines après la Première Guerre mondiale[52].
Durant l'évolution dudreadnought, le blindage évolua pour faire face aux menaces venant du haut comme les obus plongeants ou les bombes larguées par les avions. Les dernières réalisations possédaient un pont fortement blindé[53]. Ainsi leYamato disposait d'une ceinture blindée de 410 mm et d'un pont blindé d'une épaisseur de 260 mm[54].
Lesdreadnoughts disposaient de nombreux compartiments étanches. Si la coque était percée par un obus, unemine marine, une torpille ou une collision, en théorie, les compartiments étanches seraient inondés mais le navire ne coulerait pas. Pour renforcer cette précaution, de nombreuxdreadnoughts ne possédaient pas d'écoutilles entre ces différents compartiments ; ainsi, même en cas de trou 'surprise', le navire ne serait pas menacé. Cependant, l'étanchéité n'était jamais complète et l'inondation pouvait malgré tout se propager[55].
La plus importante évolution dans la protection fut le développement du saillant anti-torpille et de la ceinture anti-torpille, tous deux destinés à protéger le navire des torpilles et des mines. Ceux-ci consistaient en une excroissance de la coque remplie d'eau destinée à absorber le choc causé par la torpille ou la mine tout en protégeant la structure du navire[56].
Lesdreadnoughts étaient propulsés par deux, trois ou quatrehélices[57]. LeDreadnought et tous lesdreadnoughts britanniques possédaient des turbines à vapeur. Cependant, les premières générations dedreadnoughts construites par les autres marines utilisaient des machines à vapeur à triple expansion plus lentes qui étaient la norme sur les pré-dreadnoughts[58].
Les turbines offraient plus depuissance que les machines à vapeur similaires pour le même encombrement[59],[60]. Ceci, associé avec les garanties offertes par son inventeurCharles Algernon Parsons persuada la Royal Navy d'en utiliser sur leDreadnought[60]. D'autre part, les turbines ont l'avantage d'être plus fiables et plus propres que les machines similaires[61].
Les turbines n'étaient pas exemptes de défauts. À la vitesse de croisière, plus lente que la vitesse maximale, les turbines étaient nettement plus gourmandes en charbon. Ceci était particulièrement important pour les marines qui avaient besoin d'un long rayon d'action pour leurs navires telle que l'US Navy qui, dans le cas d'une guerre, devait traverser le Pacifique pour engager les Japonais aux Philippines[62].
En 1908, l'US Navy réalisa des essais avec les turbines sur l'USS North Dakota mais ne fut pas entièrement convaincue jusqu'à la classe Pennsylvania en 1916. Lors de la construction des classes intermédiaires, certains navires reçurent des turbines tandis que d'autres utilisèrent des machines à triple expansion de vapeur.
Les inconvénients des turbines furent finalement surmontés. La solution largement adoptée fut la turbine équipée de réducteurs de vitesse (sorte de « boîte de vitesses ») qui permettait de réduire la vitesse de rotation des hélices et donc d'améliorer l'efficacité énergétique en supprimant le phénomène decavitation. Cependant, cette solution nécessitait une grande précision d'où des problèmes pour la mettre en place[63].
Une autre solution fut la propulsion turbo-électrique où la turbine générait de l'électricité qui permettait d'entraîner les hélices. Cette solution fut privilégiée par l'US Navy qui l'utilisa pour tous sesdreadnoughts de 1915 à 1922. Cette méthode avait un coût réduit, une puissance satisfaisante et un faible encombrement. Cependant, cette machinerie était lourde et la partie électrique était sensible à l'eau[e].
Les turbines ne furent jamais complètement remplacées dans la conception des cuirassés. Lesmoteurs Diesel furent finalement adoptés par de nombreuses marines car ils possédaient une très bonne endurance et un faible encombrement horizontal. Cependant, ils étaient plus lourds, plus encombrants verticalement, moins puissants et considérés comme peu fiables[64],[65].
La première génération dedreadnoughts utilisait la chauffe aucharbon pour alimenter les chaudières qui fournissent de la vapeur aux turbines. Le charbon était utilisé depuis les tout premiers navires à vapeur mais il présentait des inconvénients. Embarquer le charbon dans les soutes et l'amener dans les chaudières demandait énormément de travail. Les chaudières s'encrassaient à cause de la suie. La combustion du charbon dégageait une épaisse fumée noire pouvant indiquer la position de la flotte. De plus, le charbon était très encombrant avec un faible pouvoir calorifique. Il était en revanche inerte et pouvait être utilisé dans le dispositif de protection du navire[66].
L'utilisation de la chauffe au mazout avait de nombreux avantages pour les architectes navals et les officiers. Le mazout produisait moins de fumée, ce qui rendait la flotte moins visible. Il pouvait alimenter directement les chaudières sans l'aide d'un ouvrier comme pour le chargement du charbon. Le mazout a également un pouvoir calorifique deux fois plus élevé que le charbon. Ainsi les chaudières peuvent être plus petites et les navires disposent d'un plus grand rayon d'action[66].
Le pétrole présentait également des problèmes comme le pompage du pétrole visqueux[67]. Cependant, le principal problème était que, à l'exception des États-Unis, toutes les nations devaient importer leur pétrole. De nombreuses marines adoptèrent des chaudières pouvant utiliser du charbon associé à des gouttelettes de pétrole ; les cuirassés britanniques ainsi équipés pouvaient atteindre 60 % de leur puissance maximale uniquement avec du pétrole[68].
Les États-Unis étaient un producteur majeur de pétrole, et l'US Navy fut la première à adopter la chauffe au mazout en 1910[69]. Sous l'impulsion de Fisher, le Royaume-Uni décida en 1912 de généraliser la chauffe au mazout sur la classe Queen Elizabeth. Les autres marines importantes conservèrent une propulsion mixte mazout-charbon jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale[70].
Les dreadnoughts furent développés dans le cadre d'une course aux armements maritimes internationale qui avait débuté dans les années 1890. LaRoyal Navy possédait le plus grand nombre de pré-dreadnoughts, loin devant les autres puissances maritimes[71]. Ainsi, la décision de lancer leDreadnought fut critiquée car, en rendant obsolète les anciens cuirassés, l'avantage britannique fut considérablement réduit[72],[73]. Cependant, d'autres nations avaient commencé à développer ce type de navire comme le Japon avec la classe Satsuma et les États-Unis avec la classe South Carolina. En prenant la première place dans la construction dedreadnoughts, le Royaume-Uni s'assurait que sa domination sur les mers du globe allait continuer[74].
La course aux armements s'accéléra, mettant en péril les finances des états qui y participèrent. Les premiersdreadnoughts n'étaient pas plus chers que les derniers pré-dreadnoughts mais ce coût allait augmenter[f]. Les cuirassés étaient un élément essentiel de la puissance navale malgré leur prix. Chaque cuirassé était une démonstration de prestige et de puissance vis-à-vis des autres nations maritimes tout comme le sont aujourd'hui les armes nucléaires[75]. L'Allemagne, la France, la Russie, l'Italie, le Japon et l'Autriche-Hongrie lancèrent des programmes de construction et des puissances secondaires comme l'Empire Ottoman, l'Argentine, le Brésil et le Chili commandèrent desdreadnoughts aux chantiers navals américains et britanniques[76].
La course aux armements entre l'Allemagne et le Royaume-Uni
La construction duDreadnought coïncida avec l'accroissement de la tension entre le Royaume-Uni et l'Allemagne. Cette dernière avait commencé à construire une grande flotte de guerre à partir des années 1890 dont le but clairement avoué était de remettre en cause la suprématie britannique. Après la signature de l'Entente cordiale entre le Royaume-Uni et la France en 1904, il devint évident que le principal adversaire maritime du Royaume-Uni serait l'Allemagne qui, sous l'influence d'Alfred von Tirpitz, construisait une importante flotte de guerre. Cette rivalité allait donner naissance aux deux plus grandes flottes dedreadnoughts de l'avant-guerre[77].
La première réaction allemande auDreadnought fut laclasse Nassau lancée en 1907. Celle-ci fut suivie par laclasse Helgoland en 1909. Associées à deuxcroiseurs de bataille, ces classes offrirent à l'Allemagne un total de dix cuirassés modernes construits ou en cours de construction en 1909. Bien que les navires britanniques soient un peu plus rapides et plus puissants que leurs homologues allemands, le ratio de 6:5 qui s'établit était loin du ratio de 2:1 que la Royal Navy voulait maintenir[78].
En 1909, le parlement britannique autorisa le lancement de quatre nouveaux cuirassés espérant amener l'Allemagne à négocier un traité sur le nombre de cuirassés. Si aucune solution n'était trouvée, quatre navires supplémentaires seraient construits en 1910. Ces constructions, associées à des réformes sociales, provoquèrent une crise constitutionnelle en 1909-1910. En 1910, huit cuirassés étaient en construction dont ceux de laclasse Orion. Dans le même temps, l'Allemagne ne lança la construction que de trois cuirassés, offrant à la Royal Navy une supériorité de 22 à 13. La volonté britannique démontrée par son programme de construction a conduit les Allemands à rechercher une issue négociée à la course aux armements. Bien que l'objectif britannique d'une avance de 60 % sur l'Allemagne était assez proche de l'objectif de Tirpitz qui souhaitait l'amener à 50 %, les pourparlers échouèrent sur la question de savoir si les croiseurs de bataille duCommonwealth devaient être inclus dans le nombre, ainsi que sur les questions non-maritimes comme les exigences allemandes pour la reconnaissance de sa possession de l'Alsace-Lorraine[79].
La course s'accéléra en 1910 et 1911 lorsque l'Allemagne lança quatre cuirassés par an contre cinq pour le Royaume-Uni. La tension atteignit son paroxysme après la promulgation par l'Allemagne de la loi navale de 1912. Celle-ci proposait la construction d'une flotte de 33 cuirassés et croiseurs de bataille afin d'obtenir la supériorité numérique dans les eaux européennes. De plus, lesalliés de l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie, construisaient respectivement quatre et deuxdreadnoughts, sachant que l'Italie en possédait déjà deux. Contre de telles menaces, la Royal Navy n'était plus en mesure de protéger les intérêts britanniques. Le Royaume-Uni devait choisir entre construire de nouveaux cuirassés, se retirer de Méditerranée ou chercher une alliance avec la France. De nouvelles constructions étaient irréalisables car les réformes mettant en place uneprotection sociale prenaient une part importante du budget. Se retirer de Méditerranée aurait signifié une perte d'influence considérable, affaiblissant la diplomatie britannique dans la région ainsi que l'Empire britannique dans son ensemble. La seule solution acceptable, et recommandée par le Premier Lord de l'AmirautéWinston Churchill, était de trouver un accord avec la France. Celle-ci aurait la responsabilité de la Méditerranée tandis que le Royaume-Uni protégerait les côtes du nord de la France. Malgré l'opposition de certains parlementaires britanniques, la Royal Navy s'organisa sur cette base en 1912[80].
En dépit de ses importantes conséquences stratégiques, la loi navale de 1912 ne modifia pas vraiment l'équilibre des forces. Le Royaume-Uni répondit en lançant la construction de dix super-dreadnoughts en 1912 et 1913, dont les classesQueen Elizabeth etRevenge qui représentaient une nouvelle étape en matière de puissance de feu, de protection et de vitesse tandis que l'Allemagne n'en lança que cinq, préférant se concentrer sur l'armée de terre[81].
Laclasse South Carolina fut la première classe dedreadnoughts à être réalisée par un rival du Royaume-Uni. La conception de cette classe avait même débuté avant celle duDreadnought. Bien qu'il existe des rumeurs selon lesquelles la conception de la classe South Carolina aurait été influencée par des contacts informels avec des officiers de la Royal Navy[82], les navires américains étaient très différents.
Les deux cuirassés de la classe Delaware furent les premiersdreadnoughts américains à atteindre la vitesse desdreadnoughts britanniques. L'US Navy continua à agrandir sa flotte de guerre, lançant environ deux navires par an jusqu'en 1920. Elle continua à privilégier les moteurs à pistons comme solution de remplacement de la turbine à vapeur jusqu'à laclasse Nevada en 1912. D'un côté, cela démontre une approche prudente de la construction navale et de l'autre cela indique une préférence de l'endurance sur la vitesse maximale[88].
Après leur victoire lors de laguerre russo-japonaise de 1904-1905, les Japonais s'inquiétèrent de la possibilité d'un conflit avec les États-Unis. Le théoricienSatō Tetsutarō développa une doctrine selon laquelle le Japon devait posséder une flotte égale à 70 % de l'US Navy. Cela devait permettre à laMarine japonaise de remporter deux victoires décisives, la première contre laflotte du Pacifique, la seconde contre laflotte de l'Atlantique qui serait inévitablement envoyée en renfort[89].
Comparée aux autres grandes puissances navales, la France fut lente à adopter le concept dedreadnought préférant terminer laclasse Danton de pré-dreadnoughts. La France fut seulement la onzième nation à entrer dans la course avec laclasse Courbet en septembre 1910[91]. Dans les estimations navales de 1911,Paul Bénazet déclara qu'entre 1896 et 1911, la France était passée de la deuxième à la quatrième place du classement des plus grandes flottes de guerre du monde. Cependant, l'alliance avec la Grande-Bretagne fit que ces forces réduites étaient plus que suffisantes pour répondre aux besoins français[50].
La flotte italienne avait reçu des propositions de Cuniberti pour un navire de type « all-big-gun » bien avant que leDreadnought ne soit lancé, mais il fallut attendre 1909 pour que l'Italie construise son premierdreadnought. La construction du cuirasséDante Alighieri fut initiée à cause des rumeurs sur la construction d'undreadnought par l'Autriche-Hongrie. Cinq autres cuirassés des classesConte di Cavour etAndrea Doria furent commandés pour maintenir son avance sur l'Autriche-Hongrie. Laclasse Francesco Caracciolo, elle, fut annulée par le déclenchement de la Première Guerre mondiale puis l'entrée en guerre de l'Italie en 1915. Tous ces navires restèrent le cœur de laMarine italienne jusqu'à la Seconde Guerre mondiale[92].
En janvier 1909, les amiraux austro-hongrois firent circuler un document appelant à la création d'une flotte de quatredreadnoughts. Cependant, la crise constitutionnelle fit qu'aucune construction ne fut approuvée. Malgré tout, deux quilles dedreadnoughts furent posées sur des bases spéculatives et furent ensuite approuvées. Finalement, laclasse Tegetthoff comporta quatre navires qui devaient être épaulés par quatre autres cuirassés de laclasse Ersatz Monarch mais ceux-ci furent annulés par le déclenchement de la Première Guerre mondiale[93].
En juin 1909, laMarine impériale de Russie lança la construction de quatre cuirassés de laclasse Gangut destinés à laFlotte de la Baltique et de trois autres de laclasse Impératrice Maria destinés à laFlotte de la mer Noire en octobre 1911. Sur sept navires, un seul fut terminé en moins de quatre ans et les navires de la classe Gangut étaient « obsolètes et dépassés » dès leur mise en service[94],[95]. Issus de la confusion qui suivit le désastre de Tsushima, les navires russes souffraient de la faiblesse de leurs canons et de leurs blindages. Par de nombreux aspects, ils se rapprochaient plus des croiseurs de bataille que desdreadnoughts[94],[96].
L'Espagne commanda trois navires de laclasse España dont le premier fut construit en 1909. Ceux-ci furent les plus petitsdreadnoughts jamais construits. La construction fut réalisée en Espagne mais avec l'assistance britannique ; par exemple, la construction du troisième navire, leJaime I, prit neuf ans à cause du retard dans la livraison de matériel critique, particulièrement l'armement, par le Royaume-Uni[97],[98].
Le cuirassé brésilienMinas Gerais en 1910 peu de temps après son lancement.
Le Brésil fut la troisième nation à posséder undreadnought[82] Cependant, lesdreadnoughts brésiliens furent construits en Grande-Bretagne ; trois pré-dreadnoughts dont la construction avait commencé furent annulés en faveur d'une conception plus avancée[99]. En effet, des plans prévoyaient undreadnought équipé d'une batterie principale plus puissante que n'importe quel autre cuirassé existant soit douze canons de 305 mm[100]. Le cuirasséMinas Gerais fut lancé parArmstrong Whitworth àElswick le 17 avril 1907 suivi par sonsister-ship, leSão Paolo lancé 13 jours plus tard parVickers àBarrow-in-Furness[101]. Bien que de nombreux journaux européens et américains spéculèrent que ces navires allaient être réquisitionnés par l'une des puissances navales dès la fin de leur construction, ils entrèrent en service dans laMarine brésilienne en 1910[100],[101].
Les Pays-Bas décidèrent en 1912 de remplacer leur flotte de pré-dreadnoughts par une flotte moderne comportant au moins cinqdreadnoughts. Des disputes constantes sur la conception et les lentes décisions politiques firent que les navires ne furent pas commandés avant l'été 1914, lorsque le déclenchement de la Première Guerre mondiale mit fin à ce plan ambitieux[102],[103].
L'Empire Ottoman passa commande de deuxdreadnoughts aux chantiers navals britanniques qui furent saisis par le Royaume-Uni lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Les naviresReshadiye etSultan Osman I devinrent respectivement lesHMS Erin etHMS Agincourt. En revanche, l'Allemagne offrit les croiseursSMS Goeben etSMS Breslau. Cela fut un facteur important dans la décision ottomane de rejoindre lesEmpires centraux[104].
La Grèce passa commande d'undreadnought auprès de l'Allemagne mais la construction fut arrêtée après le déclenchement des hostilités. En 1914, elle acheta deuxpré-dreadnoughts aux États-Unis qui devinrent les cuirassésKilkis etLimnos au sein de la Marine grecque[105].
Moins de cinq années après le lancement duDreadnought, une nouvelle génération de « super-dreadnoughts » plus puissante fut construite. Laclasse Orion est souvent considérée comme la première classe de super-dreadnoughts. Le terme « super » provient de l'augmentation de 2 000 tonnes du déplacement associée à l'installation de canons de 343 mm au centre du navire doublant ainsi la puissance de la bordée[106].
Les super-dreadnoughts furent rapidement adoptés par d'autres nations. La classe américaineNew York lancée en 1911 emportait descanons de 356 mm qui devinrent le standard. Ce calibre fut également utilisé par les classes japonaisesFusō etIse. La classeNagato fut la première à utiliser des canons de calibre supérieur à 381 mm, étant équipée de canons de 410 mm et faisant d'elle la classe équipée des plus gros canons au monde jusqu'à l'arrivée de la classeYamato. En France, les navires de la classe Courbet furent suivis par ceux de laclasse Bretagne équipés de canons de 340 mm ; cinq autres navires de laclasse Normandie furent annulés en 1914[107]. Lesdreadnoughts brésiliens déclenchèrent une course aux armements de petite échelle en Amérique du Sud lorsque le Chili et l'Argentine commandèrent chacun deux super-dreadnoughts aux chantiers navals américains et britanniques. Les cuirassés argentinsARA Rivadavia etARA Moreno possédaient le même armement que lesdreadnoughts brésiliens mais ils étaient plus lourds et mieux blindés. Les deux cuirassés commandés par le Chili furent achetés par le Royaume-Uni lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale. Seul l'Almirante Latorre fut finalement racheté par le Chili en 1920[108],[109].
Les super-dreadnoughts américains, commençant avec laclasse Nevada, furent conçus pour des engagements à longue distance et prenant en compte le danger des obus arrivant par le haut. Ils furent lancés en 1912, quatre années avant que labataille du Jutland n'apprenne aux marines européennes les dangers des trajectoires paraboliques. Le blindage 'tout-ou-rien' est une caractéristique majeure de ces navires. Cette conception prouva son efficacité pendant labataille navale de Guadalcanal en 1942. Malgré 26 impacts d'obus de gros calibres, l'USS South Dakota gravement endommagé put s'échapper, sa ceinture blindée garante de la flottabilité demeurant intacte[112].
LeHMS Audacious en train de couler après avoir touché unemine, octobre 1914
La Première Guerre mondiale fut presque une déception pour les grandes flottes dedreadnoughts. En effet, il n'y eut pas de confrontation décisive entre deux flottes modernes comme ce fut le cas durant labataille de Tsushima. Le rôle des cuirassés fut marginal par rapport aux combats terrestres en France et en Russie mais également dans le cadre de labataille de l'Atlantique[113].
Grâce à la géographie, la Royal Navy pouvait facilement bloquer laHochseeflotte allemande dans la mer du Nord mais sans pouvoir vaincre la supériorité allemande en mer Baltique. Les deux camps savaient qu'à cause du plus grand nombre de cuirassés britanniques, un engagement total entraînerait la victoire de la Royal Navy. La stratégie allemande était donc de provoquer une bataille en des termes favorables : soit en poussant une partie de laGrand Fleet à combattre seule, soit en provoquant une confrontation à proximité des côtes allemandes où les champs de mines, les torpilleurs et les sous-marins pourraient participer à la bataille[114].
Durant les deux premières années, le conflit en mer du Nord se limita à des escarmouches entre des croiseurs comme durant les batailles duHeligoland ou duDogger Bank et à des raids sur les côtes britanniques. Pendant l'été 1916, une nouvelle tentative pour attirer la flotte britannique provoqua la confrontation des deux flottes : labataille du Jutland. La bataille fut indécise mais, stratégiquement, ce fut une victoire britannique car laHochseeflotte ne mena plus aucune mission militaire jusqu'à la fin de la guerre[115].
Sur les autres théâtres navals, il n'y eut pas non plus de bataille décisive. Dans lamer Noire, il n'y eut que des escarmouches entre les cuirassés russes et turcs. Enmer Baltique, les actions se limitèrent à l'assaut de convois et au mouillage de mines[116]. L'Adriatique fut en quelque sorte le miroir de la mer du Nord : la flotte austro-hongroise était bloquée par les navires français et britanniques. Le manque de charbon fit que les cuirassés italiens et austro-hongrois restèrent au port durant la quasi-totalité de la guerre. En Méditerranée, les cuirassés furent utilisés pour le soutien du débarquement amphibie de labataille des Dardanelles[117].
La guerre a également montré la vulnérabilité des cuirassés face à des armes beaucoup moins chères. En septembre 1914, la menace desU-Boote fut démontrée par une série d'attaques sur les croiseurs britanniques, en particulier la destruction de trois vieux croiseurs par le sous-marinSM U-9 en moins d'une heure. Le naufrage duHMS Audacious touché par une mine montra également la menace que celles-ci posaient. Les pertes chez les croiseurs et les destroyers britanniques causées par les U-Boots provoquèrent une panique grandissante de la Royal Navy par rapport à la vulnérabilité de ses cuirassés[118].
Du côté allemand, la flotte était décidée à ne pas livrer bataille aux Britanniques sans l'aide des sous-marins. Or, ceux-ci avaient pour mission la destruction des convois. La flotte est donc restée au port jusqu'à l'armistice[119]. D'autres théâtres maritimes montrèrent que lesdreadnoughts étaient menacés par des petits navires. Les deuxdreadnoughts austro-hongrois perdus en 1918 furent coulés par des torpilleurs et desnageurs de combat.
La Première Guerre mondiale a largement stoppé la course aux armements cuirassés car les fonds et les ressources étaient détournés vers d'autres priorités. Les fonderies qui fabriquaient l'artillerie navale furent reconverties pour la fabrication d'artillerie terrestre et les chantiers navals furent submergés par les commandes de navires légers. Les puissances navales secondaires engagées dans la guerre, la France, la Russie, l'Autriche-Hongrie et l'Italie, stoppèrent complètement la construction dedreadnoughts. Le Royaume-Uni et l'Allemagne poursuivirent leurs programmes de construction mais à un rythme plus faible[120].
En Grande-Bretagne, le moratoire gouvernemental sur la construction de cuirassés et le retour de Fisher à l'Amirauté provoquèrent un regain d'intérêt pour le croiseur de bataille. Les navires des classes Revenge et Queen Elizabeth furent terminés mais les deux derniers cuirassés de la classe Revenge furent transformés en tant que croiseurs de bataille de laclasse Renown. Fisher fit également construire une classe extrême, laclasse Courageous, très rapide et très bien armée, mais très peu protégée, appelée « grands croiseurs légers » pour contourner une décision du Cabinet à l'encontre des nouveaux grands navires. La folie de Fisher pour la vitesse culmina avec l'HMS Incomparable qui aurait pu atteindre65km/h[121].
En Allemagne, deux navires de la classe d'avant-guerreBayern furent lentement terminés mais les autres étaient encore inachevés à la fin de la guerre. LeSMS Hindenburg, commandé avant guerre, fut terminé en 1917. Laclasse Mackensen fut également commencée mais jamais achevée[122].
Malgré l'accalmie dans la construction navale durant la Première Guerre mondiale, les années 1919-1922 virent grandir la menace d'une nouvelle course aux armements navals entre les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni. Labataille du Jutland eut une grande influence sur la conception des nouveaux cuirassés. Les croiseurs de bataille de laclasse Admiral furent les premiers à bénéficier de ses enseignements. L'Amirauté britannique fut finalement convaincue que les croiseurs de bataille peu blindés étaient très vulnérables. Par conséquent, les navires de la classe Admiral reçurent un blindage plus épais faisant passer le déplacement à 42 000 tonnes. Cependant, cette initiative provoqua une nouvelle course avec le Japon et les États-Unis. La loi navale de 1916 autorisait la construction de 156 nouveaux navires dont dix cuirassés et six croiseurs de bataille destinés à l'US Navy. Pour la première fois, les États-Unis s'attaquaient à la domination britannique[123]. Ce programme commença lentement (en particulier pour tirer les leçons du Jutland) et ne fut pas entièrement réalisé. Cependant, les classesColorado etLexington surpassaient les classes Queen Elizabeth et Admiral britanniques en utilisant des canons de 406 mm[124].
La situation se compliqua en 1919 lorsqueWoodrow Wilson proposa une nouvelle extension de l'US Navy comprenant dix cuirassés et six croiseurs de bataille en plus de ceux prévus par le programme naval de 1916. En réponse, laDiète du Japon accepta la réalisation de la flotte huit-huit, incorporant quatre autres cuirassés[125]. Ces navires de laclasse Kii atteindraient 43 000 tonnes. La génération suivante, laclasse Numéro 13 aurait utilisé des canons de 456 mm[126].
Le Royaume-Uni, ruiné par la guerre, faisait face à la perspective d'être dépassé par les États-Unis et le Japon. Aucun navire n'avait été lancé depuis ceux de la classe Admiral et parmi ceux-là, seul leHMS Hood était terminé. En juin 1919, le plan de l'Amirauté était de construire une flotte de 33 cuirassés et de huit croiseurs de bataille, qui pourraient être construits et entretenus pour 171 millions de livres par an (environ 5,83 milliards de livres actuelles), or seulement 84 millions de livres étaient disponibles. L'Amirauté demanda ensuite, comme minimum absolu, huit nouveaux cuirassés[127]. Ceux-ci auraient été issus des classesG3 etN3[128]. L'Allemagne ne participa pas à cette compétition. La plupart desdreadnought allemands furentsabordés àScapa Flow en 1919.
Au lieu de se lancer dans des programmes de construction ruineux, les grandes puissances navales signèrent letraité de Washington en 1922. Le traité établit une liste de navires incluant la plupart desdreadnoughts les plus anciens et quasiment tous les cuirassés en construction. Ceux-ci devaient être détruits ou mis hors-service. Il instaura également une 'vacance de la construction' durant laquelle aucun nouveau cuirassé ou croiseur de bataille ne devait être construit. Les navires qui survécurent au traité, dont les plus modernes des super-dreadnoughts, formèrent le cœur de la force navale des années 1920 et 1930 et, après modernisation, participèrent à la Seconde Guerre mondiale[129].
À partir de ce moment, le motdreadnought fut moins utilisé. La plupart des pré-dreadnoughts furent détruits ou transformés en batteries flottantes après la Première Guerre mondiale[g]. Néanmoins, les cuirassés de la Seconde Guerre mondiale sont parfois appelésdreadnought.
Le groupe deheavy metal,Sabaton a dédié la chansonDreadnought aux navires de types Dreadnought ainsi qu'aux bâtiments ayant combattu durant labataille du Jutland.
↑À courte portée, l'obus suit une trajectoire quasiment rectiligne et les canons peuvent être pointés directement sur l'ennemi. Sur les navires de guerre, cela est compliqué par leroulis du navire. À longue portée, le canonnier doit incliner son canon pour que l'obus suive unetrajectoire parabolique. Cela nécessite au préalable l'évaluation correcte de la distance de la cible, ce qui à l'époque était problématique. (Friedman 1978,p. 99)
↑Les projectiles légers ont un faible ratio masse sur surface frontale, ce qui signifie qu'ils sont plus vite ralentis par la résistance de l'air.
↑À partir de 1904, l'artillerie avait fait de tels progrès que des tirs décisifs pouvaient être réalisés à longue distance. Cette conclusion fut confirmée par les batailles de laguerre russo-japonaise mais les plans pour des navires avec une artillerie uniformément lourde existaient déjà auparavant, basés sur des tests faits en temps de paix. (Friedman 1985,p. 52)
↑Friedman note par exemple la perte totale de puissance de la propulsion turbo-électrique de l'USS Saratoga après l'impact d'une seule torpille lors de la Seconde Guerre mondiale. (Friedman 1985,p. 126–8)
↑Seize pré-dreadnoughts participèrent à la Seconde Guerre mondiale en tant que batterie flottante ou navire-école. Deux cuirassés allemands, leSMS Schlesien et leSMS Schleswig-Holstein offrirent un appui-feu en mer Baltique.