
LesDraft Riots (enfrançais :émeutes de laconscription), que l'on nomme à l'époqueDraft Week[1] (en français : « semaine de la conscription ») sont deviolentes émeutes qui se déroulent àNew York du au, après l'adoption par leCongrès des États-Unis de nouvelles lois sur la conscription. Les hommes réquisitionnés sont envoyés sur les champs de bataille de laguerre de Sécession, qui se déroule entre1861 et1865. Ces émeutes sont les plus importantes insurrections civiles que l'histoire américaine ait connues, en dehors de la guerre de Sécession elle-même[2]. Pour reprendre le contrôle de la ville, le présidentAbraham Lincoln est contraint d'envoyer plusieurs régiments de milice et de volontaires. Les émeutiers se comptent par milliers et bien qu'ils ne représentent pas la majorité, de nombreuses personnes arrêtées ont des noms d'origineirlandaise, selon les listes compilées par Adrian Cook dans son œuvreThe Armies of the Streets. En outre, des émeutes de moindre importance éclatent aussi dans d'autres villes à la même époque.
À l'origine conçues pour exprimer le mécontentement de la population vis-à-vis des lois de conscription, elles tournent rapidement aupogrom racial et de nombreux Noirs sont assassinés dans les rues. Le désordre dans la ville est tel que legénéralJohn E. Wool déclare le : « Laloi martiale devrait être proclamée, mais je ne dispose pas des forces nécessaires pour la faire respecter. »[3],[N 1] L'armée parvient enfin à maîtriser la foule après trois jours de troubles, grâce à l'artillerie etbaïonnette au canon, mais seulement après que de nombreux immeubles ont été saccagés ou détruits, parmi lesquels de nombreuses habitations, un orphelinat pour noirs et même le musée consacré àPhineas Taylor Barnum.


Lorsque laguerre de Sécession débute en avril1861, les New-Yorkais se rallient rapidement à la cause de l'Union. Un rassemblement massif a lieu àUnion Square où sont présents entre 100 000 et 250 000 hommes[4]. QuandAbraham Lincoln lance un appel pour le recrutement de 75 000 volontaires afin de rejoindre l'armée et venir à bout de la sécession, 8 000 New-Yorkais se portent volontaires dans les dix jours[4]. Les forces de l'Union paient un lourd tribut lors de lapremière bataille de Bull Run en juillet 1861, y compris celles originaires de la ville de New York, entraînant une nette baisse d'enthousiasme et d'optimisme[4]. Une importante faction desdémocrates de New York, connue sous le nom deCopperheads, s'oppose à la guerre et est favorable à une paix négociée[5]. Legouverneur de New YorkHoratio Seymour est élu en1862, sur un programme électoral pacifiste[6].
À la suite de l'enlisement de la guerre, une pénurie de soldats se fait sentir au sein des rangs de l'Union. Dans ce contexte, le, leCongrès des États-Unis adopte la première loi deconscription de son histoire, qui autorise leprésident à faire appel aux citoyens âgés de18 à 35 ans, pour une durée limitée à trois ans de service militaire[7]. Les démocratesCopperheads, favorables à la paix, sont consternés par la nouvelle. Ils sont opposés à toute forme de service national, et en particulier à une clause qui stipule que les hommes appelés peuvent être exemptés deconscription s'ils s'acquittent d'une somme de 300 $ ou fournissent un remplaçant, que l'on nomme « taxe d'exemption », ce que les pauvres ne peuvent se permettre, créant ainsi des inégalités face à la conscription[8]. Cette mesure est tournée en dérision sous la forme du300 dollar man (l'homme à 300 dollars). Formellement, cependant, ces lois visent avant tout à attirer des volontaires et, en fait, peu d'hommes sont enrôlés de force[9].

Dans la pratique, les hommes forment des clubs. Si l'un de ses membres du club est appelé, les autres membres se cotisent pour payer la « taxe d'exemption ». Indépendamment de l'intention de cette taxe de 300 $ (somme considérable pour l'époque), qui est à la fois un moyen de fournir les fonds nécessaires pour la guerre et de permettre aux fils des familles les plus aisées de ne pas partir au combat (ce qui s'appela par la suitedraft evasion), elle amène progressivement les classes moyennes et ouvrières à considérer que la guerre est devenue une « guerre de riches faite par les pauvres »[10].
Le premier tirage au sort de noms a lieu le samedi, sans incident. Les noms sont inscrits sur des petits morceaux de papier, placés dans une boîte, puis tirés un par un. Les noms tirés sont principalement ceux d'ouvriers qui ont été publiés dans les journaux[7]. Bien que les émeutes de New York ne commencent pas à ce moment, elles éclatent dans d'autres villes, impliquant des adversaires de la conscription, notamment àBuffalo, le[11]. Des spéculations sur une réaction similaire à la conscription à New York se développent. Ces évènements coïncident avec les tentatives duTammany Hall (base duparti démocrate deNew York), qui souhaite faire des immigrantsirlandais des citoyens américains, pour qu'ils puissent participer aux élections locales. C'est alors que de nombreux immigrants réalisent que la citoyenneté ne leur apporte pas qu'un droit de vote, mais aussi le devoir de se battre pour leur nouveau pays. Ainsi, parmi les184 émeutiers qui ont pu être identifiés, 117 sont nés enIrlande, 40 auxÉtats-Unis et 27 dans d'autres pays d'Europe.

Le second tirage au sort a lieu le lundi, dix jours après la victoire de l'Union à labataille de Gettysburg. Le matin, à10 heures, une foule furieuse composée de500 hommes emmenés par laBlack Joke Fire Engine Company 33[N 2],[12], attaque le bureau de l'assistant duProvost Marshal du Neuvième District, à l'angle de laTroisième Avenue et de la47th Street, où la conscription se déroule[13]. La foule commence à lancer de gros pavés à travers les fenêtres, puis à casser les portes et enfin détruire le bâtiment[14]. Parmi les émeutiers, des travailleursirlandais, s'opposent également augradualisme politique, ils n'acceptent pas d'être mis en concurrence avec des esclaves émancipés pour obtenir un emploi.

Lamilice d'État de New York est absente, elle a été envoyée enPennsylvanie pour renforcer lestroupes de l'Union, laissant à la seule police le soin de faire face aux évènements[14]. Le chef de la police,John Kennedy, se rend sur place le lundi pour examiner la situation. Bien qu'il ne soit pas en uniforme, il est reconnu par les émeutiers qui l'attaquent. Kennedy est abandonné à demi conscient, il a le visage meurtri et tailladé, un œil blessé, les lèvres enflées, sa main coupée et son corps couvert de sang et d'ecchymoses[15]. Les policiers contre-attaquent avec leursgourdins etrevolvers, chargeant la foule, mais celle-ci les maîtrise[7]. Lapolice de New York est dans l'impossibilité d'apaiser les troubles, les policiers étant trop inférieurs en nombre vis-à-vis des émeutiers. Leur tâche consiste surtout à limiter les dégâts et à secourir ceux qui peuvent l'être. Ils parviennent cependant à maintenir les émeutes hors deLower Manhattan, en dessous d'Union Square[16]. Les immigrants et autres habitants du quartierBloody6th Ward près du port ne participent pas aux émeutes car ils ont vécu suffisamment de violences à cause desgangs entre les années 1830 et 1850[17].

Le Bull's Head Hotel de la44th Street, qui refuse de servir de l'alcool, est incendié. La résidence du maire sur laCinquième Avenue, les postes de police du Cinquième et Huitième Districts, et d'autres bâtiments sont attaqués puis incendiés. Le siège du journal à tendancerépublicaine, leNew-York Tribune est lui aussi attaqué. La foule est refoulée par le personnel duNew York Tribune qui est équipé de deuxmitrailleuses Gatling[18]. Les compagnies de pompiers sont mobilisées, mais certains sapeurs-pompiers sont favorables aux émeutiers, car ils ont eux aussi été mis sur les listes d'enrôlement le samedi[7]. Plus tard dans l'après-midi, les autorités tirent sur un homme et le tuent alors que les émeutiers s'attaquent à l'arsenal situé à l'angle de laDeuxième Avenue et21st Street[13].
LesAfro-Américains deviennent lesboucs émissaires et les victimes désignées de la colère des émeutiers. De nombreux immigrants et les pauvres voient les esclaves noirs affranchis comme des concurrents pour décrocher les rares emplois disponibles et les Afro-Américains sont considérés comme la cause première de la guerre fratricide qui oppose le Nord et le Sud. Ceux qui ont le malheur de tomber entre les mains des émeutiers sont battus, torturés et parfois tués. Un Noir est ainsi attaqué par une foule de400 hommes armés de gourdins et de pavés. Il est pendu à un arbre puis brûlé[13]. LeColored Orphan Asylum (orphelinat pour enfants noirs) qui offre un abri à des centaines d'enfants, est attaqué par la foule. La police parvient cependant à protéger l'orphelinat suffisamment longtemps pour permettre aux enfants de prendre la fuite[7].
De fortes pluies tombent dans la nuit du lundi, aidant ainsi à contrôler les incendies et renvoyant les émeutiers chez eux. Cependant, la foule se rassemble à nouveau le lendemain. La vie économique de la cité s'arrête, les ouvriers ayant rejoint les manifestants. Les émeutiers commencent à s'en prendre aux maisons de républicains notables dont celle de l’activisteabolitionnisteAbigail Hopper Gibbons[19].
LegouverneurHoratio Seymour arrive le mardi et fait un discours à l’hôtel de ville de New York où il tente de calmer la foule en proclamant que la loi sur la conscription est inconstitutionnelle. Le généralJohn E. Wool fait venir environ 800 soldats duport de New York et de l’Académie militaire de West Point. Il ordonne également aux milices de revenir à New York[7].

La situation s'améliore le mercredi, lorsque l'adjoint duProvost Marshal Robert Nugent reçoit l'ordre de son supérieur, lecolonelJames Barnet Fry, de mettre fin à l'émeute. Comme cette information est reprise par les journaux, certains manifestants restent prudemment chez eux. Certaines milices commencent à revenir en ville et emploient des vigoureuses mesures à l'encontre du reste des émeutiers[7].
L'ordre commence à revenir le jeudi lors du retour, après une marche forcée, de nouvelles troupes fédérales, dont le152nd New York Volunteers, le26th Michigan Volunteers, le30th Indiana Volunteers et le7th Regiment New York State Militia deFrederick. En outre, le gouverneur ajoute dans la mêlée le74e et le65e régiment de la milice de l'État de New York, qui n'était pas en service fédéral et une partie du20th Independent Battery, New York Volunteer Artillery deFort Schuyler àThroggs Neck. Dès le 16 juillet, il y a plusieurs milliers de soldats fédéraux en ville[3]. Un dernier affrontement a lieu le jeudi soir à proximité deGramercy Park, entraînant la mort de nombreux émeutiers[7].

Le nombre exact de victimes est inconnu, mais selon l'historienJames M. McPherson, au moins 120 hommes sont tués durant les émeutes[20]. Selon les estimations, au moins 2 000 hommes sont blessés. Les dommages causés par les émeutes s'élèveraient quant à eux à environ un million dedollars[21]. L'historien Samuel Morison écrit que les émeutes sont « l'équivalent d'une victoire des Confédérés »[21]. Le département du trésor de la ville indemnise par la suite environ un quart du montant des dommages. Cinquante bâtiments, dont deux églises protestantes sont complètement détruits après avoir été incendiés. Le, les tirages au sort de conscription reprennent sans qu'on ait à déplorer de nouveaux incidents. On enrôle beaucoup moins d'hommes que ne le craignait la population : sur les 750 000 conscrits du pays, seuls 45 000 partent effectivement au combat[9].

Alors que les émeutes impliquent principalement la classe ouvrière, les New-Yorkais moyens et la classe dirigeante sont divisés en ce qui concerne la conscription elle-même et l'usage du pouvoir fédéral ou de laloi martiale afin de l'imposer[22]. De nombreux richeshommes d'affairesdémocrates tentent de faire proclamer la conscriptioninconstitutionnelle. Les démocrates duTammany ne souhaitent pas eux-mêmes voir la conscription proclamée inconstitutionnelle, mais souhaitent plutôt aider les pauvres à payer leur taxe d'exemption[23].
L'immense soutien de New York à la cause de l'Union se poursuit ensuite mais un peu à contrecœur. À la fin de la guerre, plus de 200 000 soldats, marins et miliciens ont été enrôlés dans la ville. 20 000 d'entre eux sont morts durant la guerre. Les brigades Irish et Excelsior, originaires de la cité, font partie des cinq brigades de l’armée de l’Union à avoir subi les plus lourdes pertes au combat pendant la guerre. Si l'on inclut les pertes à Bull Run, aucun régiment d’infanterie de l’Union n’a connu autant de pertes que le69e régiment desFighting Irish de New York. Bien que leurs faits d'armes soient peu mis en avant par les historiens modernes, les plus de centMedal of Honor reçues rappellent leur bravoure au combat[24].

Les émeutes de la conscription sont omniprésentes dans les romansOn Secret Service deJohn Jakes (2000) etParadise Alley deKevin Baker (2002).
Lacomédie musicaleMaggie Flynn jouée àBroadway en1968 est mise en scène dans l’orphelinat pour enfants noirs qui fut assiégé durant l’émeute. Dans le romansteampunkLa Machine à différences (1990) deWilliam Gibson et deBruce Sterling, les lecteurs apprennent que les émeutes (lors d'uneguerre de Sécession finalement gagnée par lesÉtats confédérés) se terminent par la création d'unecommune deManhattan (comme celle de laCommune de Paris), dirigée parKarl Marx. Dans le romanuchroniqueGrant Comes East deNewt Gingrich, les émeutes sont dépeintes comme bien plus graves qu'elles ne le furent en réalité, car ce livre est la suite de son précédent roman où la Confédération remporte la victoire lors de labataille de Gettysburg.
Le filmGangs of New York deMartin Scorsese (2002) se déroule à l'époque des émeutes mais ne dépeint pas de manière absolument fidèle les événements qui se sont alors déroulés[25]. Il tente plutôt de décrire « la naissance de Manhattan et la manière dont les différentes vagues d'immigrants ont façonné l'évolution de la ville de New York »[26],[N 3]. Selon le journaliste et écrivain Pete Hamill : « Les voyous irlandais établirent alors un lien entre criminalité et politique à New York, qui allait durer plus d'un siècle. »[25],[N 4]
Pour labande dessinée, on peut citerÉmeutes à New York, un album desTuniques bleues paru en 2002.
Le romanNew York, d'Edward Rutherfurd, relate ces émeutes à travers le point de vue des différents personnages. L'un des personnages, Hetty Master, contribue à l'évasion des enfants duColored Orphan Asylum, et assiste au lynchage d'un Irlandais qui a voulu l'aider. Un autre, Hudson, un ancien esclave du Sud, est pendu à un arbre et brûlé. Edward Rutherfurd décrit ces émeutes avec beaucoup de précision, mêlant fiction et Histoire.
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