Après une enfance difficile, il est élève d'une école d'officiers et se lie avec lemouvement progressiste de Saint-Pétersbourg. Arrêté en avril 1849, il est condamné à mort, mais, après unsimulacre d'exécution, est finalement déporté dans un bagne situé à Omsk (extrême-ouest de laSibérie) où il passe quatre ans. Redevenu sous-lieutenant, il démissionne en 1859 et s'engage complètement dans l'écriture.Épileptique, joueur couvert dedettes et d'un caractère sombre, Dostoïevski fuit ses créanciers et mène enEurope une vie d'errance au cours de laquelle il abandonne toutes ses convictionssocialistes et progressistes, devenant un partisan convaincu de l'Empire russe et de lareligion orthodoxe. À l'opposé de ses contemporainsLéon Tolstoï,Ivan Tourgueniev etIvan Gontcharov, l'activité d'écriture de Dostoïevski fut semée de difficultés matérielles constantes. Il trouve durant les dix dernières années de sa vie une stabilité matérielle et une reconnaissance dans tout le pays.
Écrivain admiré à la suite de la publication deCrime et Châtiment (1866) et deL'Idiot (1869), il publie ensuite ses deux œuvres les plus abouties :Les Démons (1871) etLes Frères Karamazov (1880). Ses œuvres ne sont pas desromans à thèse, mais plutôt des œuvrespolyphoniques où s'opposent idées et points de vue multiples, à travers des personnages qui se construisent eux-mêmes, au travers de leurs actes et de leurs interactions sociales.
Lesromans de Dostoïevski sont parfois qualifiés de « métaphysiques » : les questions dulibre arbitre, de l'existence deDieu, ou la figure duChrist sont au cœur de sa réflexion angoissée. Au travers d'une variété de thèmes relatifs à lanature, à lareligion, Dostoïevski s'attache à la description de l'homme et de sacondition dans l'atmosphère sociale et politique de la Russie duXIXe siècle.
Hôpital Mariinski de Moscou, à proximité duquel Dostoïevski a passé son enfance.
Fiodor Dostoïevski grandit dans la maison familiale située dans l'enceinte de l'hôpital des pauvres de Mariinsky, dans un quartier populaire à la périphérie de Moscou[6]. Dostoïevski rencontrait les patients, en bas de l'échelle sociale russe, lorsqu'il jouait dans les jardins de l'hôpital[7].
Dostoïevski est initié très jeune à la littérature. À l'âge de trois ans, il lit des sagas héroïques, des contes de fées et des légendes contées par sa nourrice, Alena Frolovna, une figure influente dans son éducation et son attrait pour la fiction[8]. À quatre ans, sa mère utilise laBible pour lui apprendre à lire et à écrire[9]. Ses parents l'introduisent à un large éventail littéraire, notamment les écrivains russesKaramzine,Pouchkine etDerjavine ; aux œuvres romantiques deSchiller etGoethe ; aux contes héroïques deMiguel de Cervantes etWalter Scott ; et auxpoèmes épiques[10],[11]. Malgré l'attitude de son père dure et sévère[12],[13], Dostoïevski rapporte que son imagination a été vivifiée par les lectures nocturnes de ses parents[7].
Il lit avec ferveur le russeNicolas Gogol,Shakespeare,Goethe,Victor Hugo, et surtoutSchiller, auteur déterminant dans sa vocation d'écrivain :« Lorsque j'avais dix ans, je vis à Moscou, une représentation desBrigands de Schiller avec Motchalov, et je vous affirme que l'énorme impression que je subis alors exerça une féconde influence sur mon univers spirituel »[9].
Bien que Dostoïevski ait une constitution physique délicate, ses parents le décrivent comme impétueux et têtu[14]. En 1833, le père de Dostoïevski, profondément religieux, l'envoie dans un internat français puis à l'internat Tchermak[15],[16].
En, leur père Mikhaïl, qui y voit probablement les avantages d'une prise en charge financière par l'État de l'éducation, envoie ses deux fils aînés au pensionnat K. F. Kostomarov[17] àSaint-Pétersbourg pour les préparer à entrer à l'École Centrale des Ingénieurs militaires[18]. Les deux frères Dostoïevski, sans dons ni goût pour la vie de soldat[19], espéraient pouvoir étudier et pratiquer la littérature[N 5].
Mais leur père considérait que cela ne leur permettrait pas de gagner leur vie et fit prévaloir son point de vue pour qu'ils entrent à l'école d'ingénieur qui leur garantissait un meilleur avenir financier. En septembre de la même année, la mère de Fiodor Dostoïevski meurt detuberculose ; Dostoïevski n'a que16 ans[20], et cet évènement éclate l'unité de la famille Dostoïevski[19].
Dostoïevski entre à l'École en, son frère Mikhaïl se voit refuser l'admission pour des raisons de santé et est envoyé dans une académie àReval (aujourd'hui Tallinn, enEstonie)[21],[22].
Il doit redoubler son année en raison de ses piètres résultats dans les domaines sportifs et militaires. Tant bien que mal, il effectue sa scolarité dans l'indigence, n'ayant parfois pas de quoi se nourrir, car son oncle (qui l'accueille) refuse de lui envoyer suffisamment d'argent. C'est un élève taciturne, au regard mystérieusement mélancolique, qui ne s'intègre pas bien à l'école[15]. Comme dans ses précédents internats, il ne se sent pas à sa place parmi ses 120 camarades aristocratiques. Son caractère solitaire et religieux lui apporte tout de même le respect de ses camarades de classe et lui vaut le surnom de « MoinePhotius »[23],[24]. Il méprise lematérialisme et lecarriérisme de ses camarades. Cela se refléta plus tard dans certaines de ses œuvres, notammentL'Adolescent[25],[11].
Selon une rumeur forgée par un riche voisin, P. P. Hotjaïncev, qui lorgnait les terres du village de Darovoïe, Mikhaïl Dostoïevski aurait été tué le par lesserfs de Darovoïe, excédés par les mauvais traitements que leur faisait subir leur maître[26],[27]. En réalité, il meurt victime d'une crise d'apoplexie, comme le confirme sonautopsie. Selon la tradition familiale, la nouvelle de la mort de son père tué par ses serfs est l'occasion d'une crise nerveuse, qui pourrait bien être une premièrecrise d'épilepsie[28],[29]. Cette légende familiale, renforcée par le diagnostic deSigmund Freud[30] selon lequel cette attaque épileptique était« une autopunition pour le souhait de mort contre le père haï », est aujourd'hui remise en question par certains ou étudiée sous d'autres angles[31], Dostoïevski ayant probablement eu sa première crise d'épilepsie en 1850 àOmsk[32],[33],[N 6].
Après la mort de son père, Dostoïevski poursuit ses études, et obtient le grade d'élève-ingénieur, lui permettant de vivre hors de l'École des Ingénieurs[34]. Il rend visite à son frère Mikhaïl à Reval et fréquente régulièrement les salles de concerts, d'opéras, de théâtres et de ballets. C'est à cette période qu'il est initié au jeu par deux de ses amis[35],[24].
En1842, Fiodor Dostoïevski est nommé sous-lieutenant et entre en tant quedessinateur au département des plans de campagne de la direction du Génie à Saint-Pétersbourg, emploi qui l'ennuie profondément[36].
À l'été1844, il démissionne à22 ans pour se consacrer à son premier roman,Les Pauvres Gens. Porté aux nues par le poèteNikolaï Nekrassov et l'influent critiqueVissarion Belinski, le roman est publié en janvier1846 et connaît un succès public certain. Dostoïevski se retrouve alors propulsé au rang de« nouveauGogol » et se pavane dans les cercles mondains de Saint-Pétersbourg[39].
Bientôt, l'élite commence à railler son manque de tenue, son air abattu.Ivan Tourgueniev publie unesatire en vers, où il le qualifie de« chevalier à la triste figure » et d'« aimable fanfaron »[40],[41]. C'est lors d'une de ces soirées que l'écrivain connaît vraisemblablement une première crise d'épilepsie (non diagnostiquée comme telle)[42]. Sa disgrâce est accélérée par la publication de ses romans suivants,Le Double etLa Logeuse, qui ne rencontrent pas le succès escompté[43].
À peu près à la même époque, Dostoïevski découvre lesocialisme à travers les écrits des penseurs françaisFourier,Cabet,Proudhon etSaint-Simon. Sa relation avec Belinski lui permet d'élargir ses connaissances en philosophie du socialisme. Il est attiré par sa logique, son sens de la justice et sa préoccupation pour les démunis et les défavorisés. Cependant, sa foi orthodoxe russe et ses sensibilités religieuses ne peuvent s'accorder avec l'athéisme, l'utilitarisme et lematérialisme scientifique de Belinski[44]. Dostoïevski s'éloigne progressivement de lui et de ses associés[45],[46].
Portait de Dostoïevski, vers 1847.
Depuis ou, il fréquente leCercle fouriériste de Mikhaïl Petrachevski, un fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères, qui combat l'absolutisme deNicolasIer[47]. Il n'adhère pas à un système en particulier (ses opinions se seraient orientées vers un mysticismeslavophile), mais cherche à maintenir une présence dans les milieux intellectuelsprogressistes pétersbourgeois. Il ne fréquente pas ces cercles pour fomenter de réelles actions révolutionnaires, mais pour discuter d'idées nouvelles et surtout parler de l'avenir de laRussie[48]. Cette même année, il connaît une première crise nerveuse, à26 ans[49].
Le, à sept heures du matin, par une température de moins vingt degrés, les accusés sont amenés sur les lieux par plusieurs fourgons, devant une foule d'environ trois mille curieux[54]. Trois poteaux ont été plantés devant le régiment. Les condamnés se revoient pour la première fois et s'embrassent. Ils doivent être tués par groupes de trois, Dostoïevski est au côté dePlechtcheïev etDourov[55]. L'exécution est en fait unsimulacre : à l'instant même de la fusillade, un courrier à cheval traverse la place et délivre une lettre de l'empereur commuant la peine endéportation dans unbagne àOmsk enSibérie[56]. Dostoïevski décrit cette expérience dansL'Idiot, narré par son héros leprince Mychkine, dont il tire les implications philosophiques et spirituelles[57].
Leonid Grossman voit dans cet épisode tragique l'origine du revirement idéologique de Dostoïevski, constaté à plusieurs reprises à partir de son séjour au bagne d'Omsk. Plus tard, dans une lettre à Apollon Maïkov du, Dostoïevski reconnaît explicitement avoir« trahi ses anciennes convictions »[58].
En, les premiers chapitres deNétotchka Nezvanova, un roman que Dostoïevski prépare depuis, sont publiés dans lesAnnales. Ce travail est mis en pause par son bannissement, et Dostoïevski ne terminera pas ce roman[59].
Le condamné Dostoïevski est mis aux fers. Le convoi part pour la Sibérie le jour de Noël et passe parTver,Nijni Novgorod,Kazan,Perm et enfinTobolsk, où il arrive le. Dostoïevski dissuade un de ses compagnons d'infortune de se suicider. À Tobolsk, les prisonniers reçoivent la visite de plusieurs épouses desdécabristes condamnés en qui avaient accompagné leurs maris en exil[60]. Nathalie Fonvizine remet à Dostoïevski uneBible dont il ne se séparera jamais[61].
Le, Dostoïevski arrive àOmsk (Souvenirs de la maison des morts)[62]. En sa qualité denoble, certaines punitions et certains mauvais traitements lui sont épargnés[63], ce qui lui vaut d'être détesté par les autres détenus. Le médecin du camp le prend en sympathie et lui accorde des séjours à l'infirmerie, où il participe aussi aux soins des autres malades, prenant notamment le temps de les réconforter et d'écouter leurs histoires[64]. En, le nouveau commandant de la forteresse, M. de Grave (d'origine française), sollicite pour lui une réduction de peine et la suppression des fers, pour bonne conduite[65].NicolasIer refuse la requête[65].
Dans les baraquements, il partage sa vie avec des forçats de droit commun. Il écrit dans sa correspondance :« Je n'ai pas perdu mon temps : j'ai appris à bien connaître le peuple russe, comme peut-être peu le connaissent[réf. souhaitée] ». L'intellectuel de salon qu'il était commence alors son évolution :« J'étais coupable, j'en ai pleine conscience… J'ai été condamné légalement et en bonne justice… Ma longue expérience, pénible, douloureuse, m'a rendu ma lucidité… C'est ma croix, je l'ai méritée… Le bagne m'a beaucoup pris et beaucoup inculqué.[réf. souhaitée] » Il rencontre au bagne« les hommes les plus richement doués, les plus forts de tout notre peuple…[réf. souhaitée] », et se rapproche ainsi du « peuple russe » orthodoxe, rapprochement qui nourrira plus tard sonslavophilisme[66].
Cette période déterminante trouvera écho dans plusieurs passages importants de ses livres ultérieurs, dont l'épilogue deCrime et Châtiment[67].
Sa peine se termine le et Dostoïevski est affecté comme simple soldat dans un régiment deSemipalatinsk enSibérie[68]. Il demande à son frèreMikhaïl de l'aider financièrement et de lui envoyer des livres deVico,Guizot,Ranke,Hegel etKant[69].
Après deux mois de vie de caserne, Dostoïevski obtient le privilège rarissime de pouvoir habiter en ville. Il fréquente lesnotables locaux et y fait la connaissance d'un petit fonctionnaire, Alexandre Ivanovitch Issaïev, et de sa jeune épouse poitrinaire,Maria Dimitrievna[70]. Trompé par l'intérêt charitable et sans doute purement mondain que lui porte la jeune femme, qu'il prend aussitôt pour de l'amour, Dostoïevski tente de la faire quitter son mari et de l'épouser[71]. Sa condition de banni ne joue pas en sa faveur. L'écrivain entreprend alors toutes sortes de démarches auprès de l'empereur en vue d'obtenir unegrâce (laguerre de Crimée vient de commencer). Les milieux littéraires pétersbourgeois se moquent de l'obséquiosité du« révolutionnaire » Dostoïevski[72].
Cependant, la situation personnelle de Dostoïevski s'améliore grandement avec la nomination dubaron Wrangel commeprocureur deSemipalatinsk. Son ode sur le couronnement lui vaut d'être promu, le, aspirant, premier grade d'officier[73]. Les frasques d'Alexandre Ivanovitch Issaïev ont conduit sa famille dans la pauvreté, et Dostoïevski cherche à leur venir en aide. Il parvient à faire nommer Alexandre Ivanovitch comme inspecteur des débits de boissons à mille kilomètres de Semipalatinsk. Malgré la mort de l'encombrant mari au mois d'août 1855, la situation amoureuse de l'écrivain ne s'améliore pas car un autre homme lui dispute les faveurs de Maria Dimitrievna, l'instituteur local Nicolas Borisovitch Vergounov. Après de nombreux atermoiements de sa « fiancée », Dostoïevski épouse enfin Maria Dmitrievna Issaïeva le dans la ville deKouznetsk, enSibérie. Après le mariage, Dostoïevski poursuit son voyage en compagnie de sa nouvelle épouse, versBarnaoul, où il est atteint par une crise d'épilepsie qui ébranle fortement Maria, puis Semipalatinsk[74].
Première page de la revueL'Époque des frères Dostoïevski (1864).
En1859, il obtient sa retraite commesous-lieutenant et l’autorisation de rentrer vivre à Saint-Pétersbourg, sous la surveillance de la police secrète. C'est la fin de dix années de souffrance, et la renaissance de l'homme[77]. Il renoue alors avec les libéraux et fonde avec son frèreMikhaïl une revue modérée etnationaliste,Le Temps, où paraît notammentSouvenirs de la maison des morts en1861 etHumiliés et offensés[78],[79],[80]. Cette revue est interdite en, car un article publié, à propos de l'insurrection polonaise, est jugé trop contestataire par lacensure. Pour la remplacer, les deux frères fondent la revueL'Époque, mais qui rencontre moins de succès[N 8],[81],[82].
L'arrivée au pouvoir du nouvel empereurAlexandre II en1855 a amené de nombreuses réformes en Russie, comme l'abolition duservage en 1861. Malgré ces ouvertures politiques, des mouvements révolutionnaires violents émergent, ce qui inquiète beaucoup Dostoïevski. Il commence déjà à polémiquer de plus en plus sévèrement avec lessocialistes[N 9] qui considèrent l'homme comme raisonnablement et« fondamentalement bon » et que lascience le conduit obligatoirement vers la lumière. Dostoïevski raille sa« sainteté la chimie »[réf. nécessaire].
Dostoïevski effectue un nouveau voyage en Europe d’août à, où il rencontre à ParisApollinaria Souslova, qui devient sa maîtresse. Dostoïesvki manque d'être ruiné aux jeux deWiesbaden etBaden-Baden[85],[86].
Il revoit la jeuneApollinaria Souslova, qui refuse sa demande en mariage. Il est malade, couvert de dettes et doit fournir de quoi vivre à la veuve et aux enfants de son frère qu'il a adoptés. Au, pour échapper à ses créanciers, il voyage en Allemagne, en Suisse (il séjourne àGenève, où il vit la naissance puis la mort trois mois plus tard de sa première fille Sophie[N 10]) et en Italie (Milan,Florence), désespéré, tente une nouvelle fois sa chance à laroulette. On trouve des échos de sa passion maladive du jeu dansLe Joueur (1866) etL'Adolescent (1875). Il publie en parallèle sonJournal d'un écrivain[réf. nécessaire].
Ces années d'errance et de troubles marquent profondément Dostoïevski. Son aversion pour l'Europe et la démocratie grandit. Selon Dostoïevski, l'égalité démocratique n'efface pas la violence des rapports humains mais l'exacerbe au contraire. En outre, en détruisant Dieu et lamonarchie, l'homme crée selon lui un monde dominé par lematérialisme, l'individualisme et l'égoïsme. Sa pensée le conduit alors à revenir dans le giron de l'Église orthodoxe et à développer sous forme de roman unephilosophie de la religionorthodoxe[87].
Plaque commémorative en l'honneur de Dostoïevski, àBaden-Baden.
Dostoïevski retourne àSaint-Pétersbourg à la mi-septembre et promet à son éditeur qu'il termineraitLe Joueur en novembre — dont il n'a pas débuté la rédaction. L'un des amis de Dostoïevski, Milyukov, lui conseille d'embaucher une secrétaire. Dostoïevski contacte le sténographe Pavel Olkhin qui lui a recommandé son élève,Anna Grigorievna Snitkina, alors âgée de vingt ans. Sa sténographie permet à Dostoïevski de terminer la rédaction duJoueur le, après26 jours de travail[90],[91].
Dostoïevski épouse, contre l'avis de sa famille, Anna Grigorievna Snitkina dans laCathédrale de la Trinité, à Saint-Pétersbourg seulement quelques mois après, le. Les revenus des romans précédents, dontCrime et Châtiment, ne couvrent pas leurs dettes, obligeant Anna à vendre ses objets de valeur. Le, ils entreprennent un voyage de noce en Allemagne avec l'argent de la vente. Ils séjournent à Berlin et visitent laGemäldegalerie Alte Meister deDresde, puis voyagent àFrancfort,Darmstadt,Heidelberg etKarlsruhe. Ils passent cinq semaines àBaden-Baden, où Dostoïevski se dispute avecTourgueniev et perd encore beaucoup d'argent à la roulette[92],[93]. Le couple se rend àGenève en août de la même année[94].
Dostoïevski commenceL'Idiot àGenève, dont la rédaction est recommencée une fois, et est terminée à grand peine en[95],[96],[97]. Leur premier enfant, Sophia, nait à Genève le 5 mars 1868, mais meurt depneumonie trois mois plus tard[98]. Sophie est enterrée auCimetière des Rois[N 11],[99].
En, la famille Dostoïevski quitte Genève et part pourMilan et s'installe en novembre àFlorence. Anna donne naissance à leur deuxième fille,Lioubov, le à Dresde. Grâce à l'esprit pratique et à la volonté de son épouse, la situation du ménage s'améliore considérablement. Dostoïevski finit par renoncer aujeu[N 12].
La famille rentre à Saint-Pétersbourg le, marquant la fin d'une lune de miel (initialement prévue pour trois mois) qui a duré plus de quatre ans[100],[101].
À son retour en Russie, la famille fait face à plusieurs déconvenues. Pavel Issaïev, Pacha, le fils de la première épouse de Dostoïevski, exige de lui qu'il continue à l'entretenir, et a vendu la moitié de la bibliothèque que l'écrivain lui avait confiée pendant les années d'absence[102]. Ce ne sont pas les seules pertes, un certain nombre d'effets que la famille avait confiés à des proches ont été égarés, cassés ou vendus par erreur[103]. Leur fils Fiodor naît le[104]. La famille s'installe dans un quatre pièces au 15 rue Serpoukhovskaïa, et les Dostoïevski achètent à crédit des meubles qui leur donnent enfin l'impression d'être chez eux[103].
Au début de, la famille passe plusieurs mois à lastation thermaleStaraïa Roussa. Durant cette période, le travail de Dostoïevski est retardé par d'une part le décès de la sœur d'Anna, dutyphus ou dupaludisme[111], et d'autre part le développement d'un abcès à la gorge d'Anna[112],[113]. La famille rentre à Saint-Pétersbourg fin septembre[114].
Son romanLes Démons est inspiré d'un fait divers tragique : l'assassinat par les siens d'un des membres du groupe révolutionnaire deSerge Netchaïev[115]. Il est publié en par laSociété d'édition Dostoïevski, fondée par Dostoïevski et son épouse. Au même moment, un manque de fonds pousse Dostoïevski à accepter l'offre du princeVladimir Mechtcherski de devenir rédacteur en chef de la revueLe Citoyen, pour un salaire de 3 000 roubles par an, et à y publier leJournal d'un écrivain[116],[113],[117]. D'abord ravi de retrouver une revue[117], il déchante : la charge de travail énorme pèse sur sa santé et l'empêche d'écrire, les rapports quotidiens avec les auteurs sont souvent pénibles, et le prince Mechtcherski l'irrite de plus en plus[118]. Finalement, deux évènements survenus début 1874 lui offrent une porte de sortie. Le, c'est d'abord une admonestation du ministère de l'intérieur, concernant la publication d'une phrase deBismarck offensante pour les russes, qui le convainc tout à fait de se mettre en quête d'autres revenus, puis de démissionner[118]. Il n'a pas à chercher longtemps, puisque début avril, il reçoit une offre inattendue deNikolaï Nekrassov, l'ami d'il y a trente ans, celui qui l'avait lancé en littérature du temps desPauvres Gens. Celui-ci dirige maintenant la revue desAnnales de la patrie, où il lui propose de publier son prochain roman, à un tarif supérieur à ce qu'il touchait auCitoyen[118]. Avec l'accord de sa femme, qui gère pour lui les affaires d'argent de la famille, Dostoïevski accepte[119].
Sa santé commence à se détériorer, et on lui conseille de suivre une cure hors du pays. ÀEms enAllemagne, un médecin lui diagnostique uncatarrhe. Durant son séjour, il commenceL'Adolescent, et envoie quelques passages auxAnnales de la Patrie ; il terminera sa rédaction un an plus tard. Il retourne à Saint-Pétersbourg fin juillet[120],[121].
Sous l'impulsion d'Anna, ils passent l'hiver 1874 à Staraïa Roussa pour permettre à Dostoïevski de se reposer. Son fils Alexeï y nait. À la mi-septembre, la famille retourne à Saint-Pétersbourg[122],[123].
Au début de1876, Dostoïevski poursuit sonJournal. Le livre comprend de nombreux essais et quelques nouvelles sur la société, la religion, la politique et l'éthique. La collection se vend deux fois plus que ses livres précédents. Dostoïevski reçoit plus de lettres de lecteurs que jamais auparavant et des personnes de tous âges et de toutes professions lui rendent visite. Avec l'aide du frère d'Anna, la famille achète unedatcha à Staraïa Roussa. Au cours de l’, Dostoïevski recommence à souffrir d’essoufflement. Il se rend à Ems pour la troisième fois et on lui a dit qu'il peut vivre encore 15 ans s'il déménageait dans un climat plus sain. À son retour en Russie, l'empereurAlexandre II ordonne à Dostoïevski de visiter son palais pour lui présenter leJournal et lui demande d'éduquer ses fils, Sergueï et Paul. Il est un invité fréquent dans plusieurs salons de Saint-Pétersbourg et rencontre de nombreuses personnalités, dont la comtesseSophie Tolstoï,Iakov Polonski,Serge Witte,Alexeï Souvorine,Anton Rubinstein etIlia Répine[124],[125].
Son œuvre romanesque s'achève en1880 parLes Frères Karamazov qu'il publie à l'âge de59 ans. Cette œuvre incarne l'apogée de l'art de Dostoïevski[128]. Le roman synthétise ses deux plus grands thèmes de réflexion : la force irrationnelle de lapassion et l'existence deDieu[129]. Ce livre connaît un succès certain et assoit la place de Dostoïevski parmi les grands écrivains russes[130].
En, sonDiscours sur Pouchkine, où il évoque sa vision sur le rôle de la Russie dans le monde, fait de lui unhéros national acclamé tant par la jeunesse, les femmes russes que par ses anciens ennemis (Ivan Tourgueniev au premier rang). Certains critiques lui ont reproché sa fervente poursuite de l'idée russe, comme le politologue libéral Alexander Gradovsky[131], ou le penseur conservateurConstantin Léontiev dans son essaiSur l'amour universel[132]. Les attaques ont conduit à une nouvelle détérioration de son état d'esprit et de santé[133],[134].
« C'est cette parabole de la transgression, du repentir et du pardon qu'il souhaitait laisser comme dernier héritage à ses enfants. Elle pourrait être considérée comme sa propre compréhension du sens de sa vie et du message de son œuvre[137]. »
Sesobsèques nationales ont lieu le et sont suivies par trente mille personnes[138],[N 14]. Il est enterré aucimetière Tikhvine à Saint-Pétersbourg. À la fin de sa vie, Dostoïevski est un ferventcroyant et abandonne l'agnosticisme de ses premières années. Sur sa pierre tombale est cité un verset duNouveau Testament :« En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais, s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Jean 12,24)[135],[139].
Au vu de la vie et des personnages de Fiodor Dostoïevski, il est tentant d'en transposer le caractère sombre et tourmenté au caractère de l'auteur. En effet, dès son enfance, ce dernier connaît, auprès des malades de l'hôpital des pauvres de Mariinsky, la maladie et la mort. Sa mère décède alors qu'il n'a que quinze ans ; son père est décrit comme tyrannique et froid et décède brutalement trois ans plus tard[28]. Les brefs témoignages que l'on a de son passage à l'internat de Saint-Petersbourg le décrivent comme« taciturne », au« teint pâle et maladif »[140]. Ces traits ont été parfois exagérés ou surinterprétés par ses biographes[141],[31]. Dans son analyse desFrères Karamazov,Dostoïevski et le parricide,Freud distingue ainsi quatre caractéristiques communément attribué à l'homme :« l'écrivain, le névrosé, le moraliste et le pécheur ». Il s'attache à montrer la difficulté de toute entreprise de réduction de la personnalité complexe de Dostoïesvki en quelques traits[142].
D'autre part, il est tentant d'identifier l'auteur au héros deL'Adolescent, enfant bâtard placé chez des étrangers où il grandit sans amour et est souvent humilié, dans une haine mêlée d’attirance envers sa famille et spécialement son père. D'autres rapports complexes entre père et fils peuvent être chez lesFrères Karamazov,Nétotchka Nezvanova,Les Pauvres gens ou encoreLa Logeuse. Mais alors pourquoi identifier Dostoïesvki enIvan plutôt qu'enAlexis Karamazov ; enStavroguine plutôt qu'en leprince Mychkine ? La personnalité et les idées de Dostoïesvki se reflètent dans l'ensemble de ses œuvres et de ses personnages[143].
C'est à travers son œuvre romanesque prise dans son ensemble et non dans les paroles de ses personnages qu'il faut chercher cette pensée, principalement d'ordreontologique, voireanthropologique. C'est aussi à travers sonJournal et sa correspondance que transparaissent certaines de ses pensées et attitudes. Encore faut-il prendre garde au ton polémique que peut prendre sonJournal et au destinataire de certaines lettres[144].
Dostoïevski se qualifiait lui-même d'épileptique, maladie qu'on lui constata au bagne d'Omsk et àBarnaoul[49]. Dostoïevski tient un carnet où sont détaillés l'heure, les symptômes et les conséquences de l'attaque[145]. Ses attaques sévères sont accompagnées de pertes de conscience, de contractions musculaires et d'un abattement consécutif. Cet état rend impossible le travail de l'écrivain pendant parfois une semaine[145]. Ces crises sont précédées d'un bref instant d'extase que Dostoïevski décrit dansL'Idiot par les mots du prince Mychkine :
« Son cerveau lui semblait prendre feu… une tension subite de toutes ses énergies… un sens vital décuplé… le cerveau, le cœur d'une lumière extraordinaire… ses troubles, doutes inquiétudes apprises, fondus dans une quiétude supérieure faite de joie et d'espérance, limpide, harmonieuse, plein d'intelligence de la cause finale…[146] »
Dès1846, Dostoïevski est très préoccupé de sa santé et sa future femmeAnna Dostoïevskaïa le sera tout autant[147]. Cependant, la nature de ces troubles nerveux reste floue pour l'écrivain et son entourage avant le diagnostique médical de 1950. Cela rend Dostoïevski sensible aux conséquences de cette « maladie étrange, morale » et hypocondriaque[50].
Par ailleurs, Dostoïevski est d'un caractère nerveux. Les mémoires d'Anna Dostoïevskaïa font état d'excès de jalousie ou de violence. On sait qu'il a connu l'addiction auxjeux d'argents. L'écrivain le sait, lui-même se dit« ridicule et infect », il en tire un matériau littéraire important dans la construction de certains des personnages de ses romans, voire des thèmes abordés commeLe Joueur à propos de la séduction du jeu[148].
Son caractère privé contraste toutefois avec son attitude dans le monde, où Dostoïevski se montre la plupart du temps sociable et généreux[148]. Ayant gagné de grandes sommes au casino, Dostoïevski n'hésite pas à faire preuve d'une grande générosité avec son entourage. Il endossa les dettes de son frère Mikhaïl, et entretint dix ans après la mort de ce dernier la veuve et ses enfants[149].
Il connait l'instabilité matérielle en tant qu'étudiant et écrivain, avant la stabilité familiale. Alors, Dostoïevski se montre être un père aimant, voire dévoué, et tendre envers ses enfants[150].Paul Claudel réconcilie cet aspect contradictoire de l'homme à la nature trouble, selon lui« Dostoïevski [est] quelqu'un qui a cette chose si rare chez les écrivains : le cœur… il a souffert, il a aimé. »[151]
La dimension sociale que prennent des œuvres commeCrime et Châtiment ouNétotchka Nezvanova, mais aussi explicite dans ses carnets, donne un aperçu de l'engagement moral de l'auteur. Il fut toute sa vie un observateur assidu de l'évolution politique, économique, morale et sociale de la Russie. Pendantses séjours en Europe, il lit encore les quotidiens russes[148].
Lorsque l'on cherche à définir la pensée de Dostoïevski, on se heurte d'emblée à une difficulté : son œuvre romanesque comporte très peu d'interventions directes de l'auteur comme on en trouve souvent dans les romans duXIXe siècle[144]. Ce ne sont pas des « romans à thèse », mais des romans où s'opposent de façon dialectique des points de vue différents. Ainsi, dansLes Frères Karamazov, Aliocha le croyant s'oppose à Ivan le sceptique, mais l'auteur fait de chacun un personnage cohérent et touchant. Rien ne serait donc plus trompeur que de prêter à Dostoïevski les opinions de ses personnages. C'est avec la plus grande prudence qu'il faut lire les citations extraites de son œuvre romanesque[144].
Il existe bien une pensée originale chez Dostoïevski, notamment au vu de son influence sur de nombreux philosophes tels queNietzsche,André Suarès,Albert Camus[N 15], lesexistentialistes[152],René Girard[153], ou encore sur la psychologie[154]. À ce sujet,Freud écrit un articleDostoïevski et le parricide. Cependant, il ne s'agit pas de dégager un système philosophique de l'ensemble de son œuvre. Au contraire, l'écrivain fuyait l'abstraction et a rarement tenté d'organiser sa pensée. Tout au plus peut-on esquisser le cadre dans lequel se sont formées les problématiques : ce cadre est chrétien, mais d'une pensée« frémissante de vie et de liberté »[155].
De plus, la proximité de la pensée de Dostoïevski avec l'existentialisme est telle qu'on a pu le compter parmi les fondateurs de ce courant philosophique, au même titre queKierkegaard[156]. En effet, ses personnages se construisent au travers de leurs rapports dialectiques à autrui, de leurs actes ou de leurs interactions sociales, par imitation ou opposition. Il montre également la part d'angoisse associée au libre arbitre (voir par exemple l'apologue duGrand Inquisiteur dansLes Frères Karamazov).
Le jeune Dostoïevski aimait lire l'Histoire de l'empire de Russie deNikolaï Karamzine, monumental travail historique desannées 1820 faisant l'éloge duconservatisme et de l'indépendance russe, idées dont s'emparera l'écrivain dans sa vie. Avant son arrestation et sonenvoi au bagne pour participation auCercle de Petrachevski en, Dostoïevski note :« Rien ne m'a jamais été plus ridicule que l'idée d'un gouvernement républicain en Russie. » Dans une édition de 1881 de sonJournal, Dostoïevski écrit que l'empereur et le peuple doivent former une unité :« Pour le peuple, l'empereur n'est pas une puissance extérieure, ni le pouvoir d'un quelconque conquérant… mais le pouvoir de tout le peuple, un pouvoir unificateur d'un peuple désirant[157]. »
Dans lesannées 1840, Dostoïevski fait la rencontre du critiqueVissarion Belinski, qui prône alors unathéisme feuerbachien. Belinski, alors libéral, écarte la personne du Christ qu'il considère comme un gueux prisé par le peuple. Il entraîne Dostoïevski un moment avec lui : il note dans sonJournal« J'ai perdu le Christ dans la maison paternelle. » Mais Dostoïevski conçoit la figure du Christ populaire qui s'écarte de celle des Évangiles. Il ne fait pas la distinction entre lesordres pascaliens de la chair, de l'esprit et de la charité. Il se sépare de Belinski ; c'est le début du développement de la pensée politique de l'écrivain russe[158]. Pour autant, il n'est pas aisé de situer politiquement Dostoïevski : en tant que chrétien, il rejette le socialisme athée ; en tant que conservateur, il rejette la destruction des institutions ; enfin, en tant que pacifiste, il rejette toute méthode violente ou révolutionnaire[60],[159]. Ce dernier point l'éloigne ducercle Petrachevski. Il reproche en outre au socialisme athée, qu'il qualifie de « fourmilière », le manque d'esprit, l'absence d'un rapport à l'âme, et une tendance à la réaction plutôt qu'à la proposition ou à la création politique[160].
Selon Dostoïevski, la société démocratique dans laquelle la Russie est brutalement projetée au cours desannées 1850 ne fait que rendre les conflits plus violents. Elle promet en effet à chacun un égal droit à la réussite et à la gloire : serfs affranchis, petits fonctionnaires, étudiants pauvres se sentent à égalité avec les nobles ou les grands bourgeois. Inévitablement, les obstacles et les rigidités sociales engendrent alors frustrations et amertume (cf.Les Carnets du sous-sol)[161]. C'est d'ailleurs le point de départ du concept deressentiment chez Nietzsche. Pour le philosophe russeLéon Chestov, Dostoïevski se rapproche de Nietzsche« en ce que leurs œuvres contiennent non pas une réponse mais une question : peuvent-ils encore concevoir quelque espoir, ceux qui ont repoussé la science et la morale ? Autrement dit : la philosophie de la tragédie est-elle possible ? » Léon Chestov avance que les romans métaphysiques de Dostoïevski sont une réponse àLa Critique de la raison pure et de la science positive deKant[162].
Bien qu'étant critique duservage, Dostoïevski est sceptique quant à la création d'uneconstitution, concept qu'il considérait comme sans rapport avec l'histoire de la Russie. Plutôt qu'une« une constitution asservirait simplement le peuple », il aspire à la suppression dusystème féodal et une réduction des inégalités entre la paysannerie et les classes aisées. Prenant pour support l'histoire politique de la France[163], il juge que la démocratie et l'oligarchie sont de mauvais systèmes politiques. Son utopie est une Russie christianisée où« si tout le monde était activement chrétien, aucune question sociale ne se poserait… S'ils étaient chrétiens, tout serait réglé »[164]. Dans lesannées 1860, il découvre lePotchvennitchestvo, un mouvement similaire auslavophilisme en ce sens qu'il rejette la culture européenne et certains mouvements philosophiques contemporains, tels que lenihilisme et lematérialisme. LePotchvennitchestvo diffère du slavophilisme en ce qu'il vise à établir, non une Russie isolée, mais un État ouvert sur le modèle de la Russie dePierre le Grand[164].
Dans son article incompletSocialisme et christianisme, Dostoïevski affirmait que la civilisation (« la deuxième étape dans l'histoire de l'humanité ») s'est dégradée en s'orientant vers lelibéralisme et perdant lafoi en Dieu[165]. La « crise » religieuse et morale que traversait selon lui l'Europe occidentale est conséquence de la collision entre les intérêts communautaires et individuels où la survie et le narcissisme prenaient le pas sur la compassion et l'unité[157].
En cela, Dostoïevski distingue trois« idées énormes du monde » répandues à son époque : lecatholicisme romain, leprotestantisme et l'orthodoxie russe. Selon lui, le catholicisme, qui prolonge la traditionimpériale romaine, est devenu antichrétien et proto-socialiste. L'idée du Christ est abandonnée par l'Église[166],[167]. D'autre part, le protestantisme perd de son pouvoir et de sa spiritualité de lui-même dans un mouvement inéluctable[167].
Ses dernières années restent marquées par des discours enflammés sur l'âme et le peuple russes ainsi que sur la supériorité du « génie russe » sur les autres nations[168]. Il attribue un rôlemessianique au peuple russe, seul peuple capable de comprendre tous les autres et d'avoir ses spécificités nationales. Il considère l’orthodoxie (russe) comme la forme idéale du christianisme. Sa« conviction passionnée », c'est que le peuple russe a pour mission d'apporter le bonheur à l'humanité[166],[169]. Il est plein d'une admiration pour letsar Alexandre II et vois dans la monarchie le salut pour la Russie d'une nouvelle nation moderne[169].
De nombreux personnages de l'œuvre de Dostoïevski, comme les Juifs, ont été décrits suivant des stéréotypes négatifs[170]. Dans une lettre de à Arkady Kovner, un juif qui avait accusé Dostoïevski d'antisémitisme, il répond ainsi :
« Je ne suis pas du tout un ennemi des Juifs et je ne l'ai jamais été. Mais comme vous le dites, son existence de quarante siècles prouve que cette tribu a une vitalité exceptionnelle […] comment ne pas se trouver, ne serait-ce que partiellement, en désaccord avec la population indigène – la tribu russe[171] ? »
Dostoïevski se tient à une idéologiepanslave soutenue entre autres à cause desoccupations ottomanes d'Europe de l'Est. L'écrivain soutient l’héritage chrétien orthodoxe commun, qu'il considère à la fois comme unificateur et salvateur[60].
Pages de couverture duNouveau Testament que Dostoïevski apporta en prison.
Dostoïevski est élevé dans une famillechrétienne orthodoxe[172] ; il fréquente l'Évangile dès son plus jeune âge[173],[174]. Un diacre de l'hôpital lui a donné une instruction religieuse[175]. Parmi ses souvenirs d'enfance les plus précieux se trouve sa récitation, alors qu'il« était encore presque un enfant » des passages duLivre de Job aux malades[176].Plus tard, une Bible sera toujours placée en évidence sur son bureau (et est depuis conservée auMusée Dostoïevski à Saint-Petersbourg) ; ainsi qu'une reproduction deLa Madone Sixtine de Raphaël qu'il a vue à Dresde en 1862.[réf. nécessaire]
Il témoigne d'une grande sensibilité à la question de l'expérience religieuse jusqu'à la fin de sa vie. Il écrit par exemple, le, à sa femmeAnna Dostoïevskaïa :« je lis leLivre de Job et je plonge dans une extase maladive : je m'arrête de lire et marche de long en large à travers la pièce pendant une heure, au bord des larmes[177]. » À propos du tableau deLa Madone Sixtine, Anna rapporte dans sesMémoires :« Que de fois j'ai trouvé Fiodor Mikhaïlovitch pendant la dernière année de sa vie debout devant ce grand tableau, en proie à un attendrissement si profond qu'il ne m'entendait pas entrer »[178].
À travers la littérature d'Hoffmann,Balzac,Eugène Sue etGoethe, Dostoïevski crée son système de croyance propre, similaire ausectarianisme russe et auxvieux-croyants[179]. Après l'épisode de son arrestation, dusimulacre d'exécution et de son emprisonnement, il se concentre intensément sur la figure duChrist et sur leNouveau Testament, le seul ouvrage autorisé en prison[180]. Dans une lettre de adressée à la femme qui lui avait envoyé le Nouveau Testament, Dostoïevski écrit qu'il est et restera« un enfant de l'incrédulité et du doute jusqu'à la tombe ». Il écrit :« même si l'on me démontrait que la vérité se trouve en dehors du Christ, je choisirais le Christ plutôt que la vérité »[181].
Cependant ses rapports à sa propre croyance sont délicats. Deux personnages du romanLes Démons peuvent éclairer l'ambivalence dostoïevskienne de la foi et de la croyance. D'une part, il y a l'athéisme pénétré du personnage de Kirilov :« Dieu est la souffrance de la peur de la mort. […] Il n'existe pas, mais Il est. » (I, III, 8) qui se tient à« l'avant-dernier échelon qui précède la foi parfaite ». D'autre part, se trouve à l'opposé le personnage de Chatov. À la question de Stavroguine de savoir s'il croit en Dieu, Chatov répond[182] (II, I, 7):
« – Je crois à la Russie, je crois à son orthodoxie… Je crois au corps du Christ… Je crois que le second avènement aura lieu en Russie… Je crois, balbutia Chatov hors de lui.– Et en Dieu ? En Dieu ?– Je… croirai en Dieu. »
La foi et l'incroyance relèvent d'une même volonté d'approcher les questions fondamentales de l'œuvre de Dostoïevski. Mais là où la première procède par une certitude religieuse qui est celle du cœur, l'autre parvient à la vérité par la recherche de preuves[183].
C'est lors de son passage au bagne que se développe la force spirituelle de Dostoïevski. Il écrit dans une correspondance :« Je te jure que je ne perdrai pas espoir et garderai purs mon esprit et mon cœur… Je dois vivre… Ces années ne seront pas stériles. » Au fond de son enfer, il rencontre leChrist, et sa foi renouvelée va désormais le guider dans sa vie privée, dans sa vie d'écrivain et dans sa vie politique :« … il n'est rien de plus beau, de plus profond, de plus sympathique, de plus raisonnable, de plus viril et de plus parfait que le Christ… Désormais, je n'écrirai plus d'âneries »[184].
L'attitude religieuse de Dostoïevski est hésitante, partagée entre la transcendance d'un Dieu – métaphysique, lointain – et l'immanence d'un Christ – intelligible et concret[185]. L'orthodoxie russe du siècle de Fiodor Dostoïevski ne fait pas de préférence entre les figures deDieu et duChrist. Or la personne du Christ a pour l'écrivain bien plus de poids que celle du Dieu, comme certains des extraits précédents le montrent. Les définitions que donne Dostoïevski de ces deux entités sont confuses :
« La nature de Dieu est directement opposée à la nature de l'homme. […] C'est une synthèse de tout l'être, se contemplant elle-même dans l'infinie diversité, dans l'analyse. La doctrine des matérialistes : inertie universelle et mécanisme de la matière, c'est la mort. La doctrine de la véritable philosophie, c'est l'abolition de l'inertie, c'est-à-dire la pensée comme centre et synthèse de l'univers et de sa forme apparente, et l'abolition de la matière, c'est-à-dire Dieu, c'est-à-dire la vie éternelle »[186].
« Le Christ a été de toute éternité l'idéal vers lequel tend, vers lequel doit tendre l'homme selon la loi de la nature. […] Après l'apparition en tant qu'idéal incarné de l'homme, le Christ est entier tout entier dans l'humanité et l'homme aspire à se transformer en le moi du Christ comme en son idéal. »[187]
Il ne tranchera jamais la question de déterminer le rapport du Christ à Dieu, il sait avec douleur qu'il ne pourra jamais le savoir. Le commentateur Louis Allain avance deux certitudes qu'a soutenues Dostoïevski. Premièrement celle de l'existence de Dieu ; secondement que le Christ est le garant du salut de l'humanité[187].
Parallèlement à la croyance de l'homme en Dieu, Dostoïevski attache une grande importance à la croyance en l'immortalité de l'homme. Deux textes fondamentaux traitent de ce thème : laMéditation (1864) écrit au chevet du corps deMarie Dmitrievna, première épouse de Dostoïevski, et une lettre à N. P. Peterson (1878) sur la« résurrection des morts »[188]. Ces textes distinguent deux formes d'immortalités : celle de l'âme après leJugement dernier au sein du Christ, et une immortalité historique« au stade final de l'humanité » que le Christ achève. Chaque individu se confond dans le développement de l'humanité, et Dostoïevski de préciser dans laMéditation qu'après le Jugement dernier, nous« serons des êtres en fusion perpétuelle avec tout, en contractant point d'union charnelle. Alors tout aura pleine conscience et connaissance de soi, à jamais. »[189].
Dans ses dernières années, Dostoïevski ajoute à sa réflexion le projet de la« résurrection des morts », c'est-à-dire le projet immédiat de chaque vivant de rétablir la justice avec les morts en les faisant ressusciter. Certes il manque à l'homme le savoir scientifique et spirituel pour y parvenir ; mais telle est la tâche de l'homme idéal. Ce faisant, l'homme se montre un être collectif, voir confondu à l'humanité entière. On lit ainsi dans les brouillons desFrères Karamazov :
« Transfert de l'amour. Il n'a pas oublié non plus ceux-là. Croyance que nous renaîtrons et que nous nous retrouverons tous dans l'harmonie universelle […]La résurrection des ancêtres dépend de nous. »
Cet intérêt pour la question de l'immortalité closLes Frères Karamazov avec la réponse d'Alexis :
« – Karamazov, s'écria Kolia, est-ce vrai, ce que dit la religion, que nous ressusciterons un jour [...]
— Oui, nous ressusciterons, nous nous reverrons tous et nous nous raconterons joyeusement tout ce qui se sera passé, dit Aliocha, mi-rieur, mi enthousiaste. »
Ses premières œuvres mettent l'accent sur leréalisme et lenaturalisme, ainsi que sur des questions sociales telles que les rapports entre classes économiques.Des éléments defiction« un explorateur d'idées »[pas clair][191], grandement affecté par les événements sociopolitiques survenus de son vivant.Après sa sortie de prison, son style d'écriture s'est éloigné de ce qu'Apollon Grigoriev nomme le« naturalisme sentimental » de ses œuvres antérieures, et s'est davantage préoccupé de la dramatisation de thèmespsychologiques etphilosophiques.[réf. nécessaire]
Les traductions d'Eugénie Grandet de Balzac et deLa Dernière Aldini de Sand diffèrent des traductions standards. Sa traduction du roman de Balzac est ponctuée d'omissions et de paraphrases, peut-être dues à sa connaissance rudimentaire du français ou de sa précipitation[192]. Il utilise un registre littéraire sombre, comme « lugubre » pour traduire « pâle » ou « froid », et des adjectifs sensationnels, comme « horrible » et « mystérieux ». La traduction deLa Dernière Aldini ne fut jamais achevée car une autre traduction avait été publiée en 1837[193]. Il abandonna également son travail surMathilde d'Eugène Sue, faute de fonds suffisants[194].
Le premier roman de Dostoïevski,Les Pauvres Gens, est unroman épistolaire dépeignant la relation entre le vieux fonctionnaire Macaire Diévouchkine et la jeune couturière Varvara Dobroselova, une parente éloignée. Leur correspondance révèle l'adoration tendre et sentimentale de Diévouchkine pour Varvara alors qu'ils sont aux prises avec les problèmes déroutants et parfois déchirants que leur impose leur humble position sociale. Le roman fut un succès, décrit comme« le premierroman social de Russie »[195] parVissarion Belinski, en raison de sa représentation sympathique des personnes pauvres et opprimées[196]. L'œuvre suivante de Dostoïevski,Le Double, est opposée à la fois par sa forme et par son style auxPauvres Gens. Contrairement au premier roman,Le Double n'a pas été bien reçu par la critique, qui a pointé sa logorrhée et la structure complexe[197],[198].
Les nouvelles que Dostoïevski a écrites avant son emprisonnement explorent des thèmes similaires auxPauvres Gens et auDouble[199]. Le narrateur desNuits blanches, un jeune homme souffrant de solitude, rencontre une jeune femme et en tombe amoureux. Le texte est empreint d'un riche répertoire musical, d'ironie, et d'un« pathétique chaleureux ». Les trois premières parties de son roman inachevéNétotchka Nezvanova racontent les épreuves et les tribulations de Nétotchka, belle-fille d'un violoniste, tandis que dansUn sapin de Noël et un mariage, Dostoïevski s'essaie à la satire sociale[200].
Après sa sortie de prison, Dostoïevski s'est davantage préoccupé d'élucider des thèmes psychologiques et philosophiques ; son style littéraire s'éloigne du« naturalisme sentimental » que l'on retrouve dans ses premiers romans[201]. Bien qu'il ait passé quatre ans en prison dans des conditions éprouvantes, il tire de ces années deux œuvres humoristiques : la nouvelleLe Rêve de l'oncle et le romanLe Bourg de Stépantchikovo et sa population[202]. LesSouvenirs de la maison des morts constituent la description — quoique romancée — des quatre années que Dostoïevski passa au bagne d'Omsk, et traitent des thèmes religieux. Des personnages des troisreligions abrahamiques — le judaïsme, l'islam et le christianisme — y apparaissent, et bien que le personnage juif Isay Fomich et les personnages affiliés à l'Église orthodoxe orientale et aux vieux croyants soient représentés en mal, les musulmans Nurra et Aley duDaghestan sont représentés en bien. Aley est ensuite éduqué en lisant la Bible et montre une fascination pour le messagealtruiste duSermon sur la montagne du Christ, qu'il considère comme la philosophie idéale[203].
Le romanLes Carnets du sous-sol, écrit en partie en prison, est son premier livrelaïque. Dostoïevski insiste plus tard sur sa réticence à supprimer les thèmes religieux du livre[204].
Le chercheurVictor Terras(es) émet l'hypothèse que l'inquiétude de Dostoïevski envers les opprimés aprèsLes Carnets est« motivée moins par la compassion que par une curiosité malsaine pour les recoins les plus sombres de la psyché humaine […], que par un esprit pervers attiré pour les états malades de l'esprit humain […], par le plaisir sadique d'observer la souffrance humaine »[205]. Le romanHumiliés et offensés est également laïque ; ce n'est qu'à la fin des années 1860, à partir de la publication deCrime et Châtiment, que les thèmes religieux de Dostoïevski refont surface[203].
Les ouvrages publiés par Dostoïevski dans les années 1870 explorent la capacité de manipulation de l’être humain. Les nouvellesLe mari éternel etLa douce décrivent la relation entre un homme et une femme mariés, le premier relatant la manipulation d'un mari par sa femme ; le second la réciproque.Le Rêve d'un homme ridicule élève le thème de la manipulation de l'individu à un niveaumétaphysique[206]. Le philosophe Strakhov décrit Dostoïevski comme« un grand penseur et visionnaire… un dialecticien de génie, l'un des plus grands métaphysiciens de Russie »[207].
Les thèmes abordés dans l'œuvre de Fiodor Dostoïevski ont trait aux relations de l'homme avec lui-même ; avec les autres hommes ; et enfin avec Dieu. Cela amène l'auteur à traiter de sujets variés tels que lesuicide, lapauvreté, lacondition humaine ou encore lamoralité et l'immoralité. Dostoïevski est profondémentchrétien orthodoxe et les thèmes religieux parcourent l'ensemble de ses œuvres, en particulier celles écrites après sa sortie de prison en 1854.
L'une des caractéristiques les plus frappantes des romans de Dostoïevski est l'outrance des personnages et des situations. On rencontre ainsi des débauchés nihilistes, des femmes fatales, des mères prostituant leurs enfants, des alcooliques invétérés, de nombreux personnages à la limite de la folie (mégalomanie, délire de persécution, sadisme…), mais aussi des « saints » incarnant l'idéal chrétien, tel lestarets Zosima (Les Frères Karamazov) ou le prince Mychkine (L'Idiot). Toute une palette de figures se décline ainsi, allant du personnage démoniaque, comme Rogojine, au fol-en-Christ comme le prince Mychkine. Mais les opposés s'attirent malgré tout et la somme des excès ne peut aboutir qu'à une destruction totale[208].Les meurtres, les ruines soudaines, les mariages annulés, les maladies mortelles, les suicides se succèdent, parfois à la limite de la vraisemblance. L'intensité de ces scènes est encore relevée par l'utilisation de la narration à la première personne (Le Joueur,L'Adolescent,Humiliés et Offensés entre autres) ou par l'utilisation du dialogue.[réf. nécessaire]
Les personnages de Dostoïevski ont en outre la particularité d'évoluer au cours du roman, et souvent radicalement, tel leRaskolnikov deCrime et Châtiment ou Arkadi Dolgorouki dansL'Adolescent. Ce trait marque une profonde rupture avec la tradition littéraire qui privilégie l'unité et la cohérence des personnages et ouvre vers la modernité littéraire.[réf. nécessaire]
Manuscrit desDémons, parsemé de croquis d'habitations et d'un portrait d'homme.
Selon son ami le critiqueNikolaï Strakhov, Dostoïevski a« toute son attention dirigée vers les gens, et il ne saisit que leur nature et leur caractère » ; il est« intéressé par les gens, les gens exclusivement, avec leur état d'âme, avec la façon dont ils vivent, leurs sentiments et leurs pensées ». Le philosopheNicolas Berdiaev dit de l'écrivain qu'il« n'est pas un artiste réaliste, il est un expérimentateur, un créateur d'une métaphysique expérimentale de la nature humaine. Ses personnages vivent dans un monde illimité et irréaliste ». Ainsi, Dostoïevski révèle une nouvellescience mystique de l'homme[209].
Lors de son passage au bagne se développe la force spirituelle de Dostoïevski : il y découvre leChrist[184]. Il ne s'endurcit pas, il ne se révolte pas et accepte les révélations qui lui arrivent peu à peu sur la Russie, le peuple russe, la monarchie russe et la religion. Mais cette découverte du Christ n'empêche pas l'écrivain de laisser croyants et athées s'opposer librement dans ses œuvres[184].
À cet égard, Kirilov, personnage desDémons, imagine que Jésus mourant ne s'est pas retrouvé au Paradis :« Les lois de la nature, dit l'ingénieur, ont fait vivre le Christ au milieu du mensonge et mourir pour un mensonge ». Ce qui fait dire àAlbert Camus analysant l'œuvre de Dostoïevski, que« Jésus incarne bien tout le drame humain. Il est l'homme parfait, étant celui qui a réalisé la condition la plus absurde. Il n'est pas le Dieu-homme, mais l'homme-dieu. Et comme lui, chacun de nous peut être crucifié et dupé — l'est dans une certaine mesure. »[211]
La question du Christ, et de l'existence de Dieu, est en fait au cœur de sa réflexion, ainsi que Dostoïevski lui-même l'affirme, parlant desKaramazov :« La question principale qui sera poursuivie dans toutes les parties de ce livre est celle même dont j'ai souffert consciemment ou inconsciemment toute ma vie : l'existence de Dieu »[212].
Les personnages de Dostoïevski saisissent parfois trop tard que la liberté sans bornes peut devenir dangereuse pour eux-mêmes et pour les autres hommes. Dans son essai sur l'écrivain russe,André Gide note la proximité de l'« idée » que poursuivent ces personnages audémon, une« dépréciation évangélique »[213].
Durant toute sa vie et d'un intérêt croissant avec l'âge, Dostoïevski fut tourmenté par leproblème du mal. Plus qu'un thème de méditation, il était fasciné par cette énigme et la concevait comme une mine d'expérimentation majeure. Presque toute l'œuvre de Dostoïevski en est imprégnée, et son étude culmine dans le romanLes Frères Karamazov[214]. Le mal et l'amour sont les seuls vecteurs de signification et d'authenticité dans le monde ; l'un et l'autre s'écartent de tout cadre rationnel et apportent un élément transcendant dans le monde[215].
Un passage essentiel de la pensée de Dostoïevski est laLégende duGrand Inquisiteur au chapitre 5 de la deuxième partiedes Frères Karamazov, où le Grand Inquisiteur, qui ne croit plus en Dieu, offre aux hommes d'échanger leur liberté contre le bonheur terrestre.Nicolas Berdiaev y voit une explication prémonitoire du« socialisme athée et matérialiste »[216]:« S'il n'y a pas de Vérité, pas de Pensée, il ne reste plus qu'un seul concept élevé, la sympathie à l'égard de la masse des hommes, le désir de leur faire goûter un bonheur irréfléchi dans le court instant de la vie terrestre. » Pour Berdiaev, c'est le principe de l'Antéchrist, où« le mal apparaît sous l'aspect du bien. ».
Corrélativement, lesuicide est un thème récurrent des écrits de Dostoïevski. Les années 1860 et 1880 sont marquées par unepériode de suicides en Russie, et de nombreux auteurs russes contemporains ont écrit sur le suicide. Les suicidés et les meurtriers de Dostoïevski sont la plupart du temps incroyants ou tendent vers l'incrédulité :Rodion Raskolnikov dansCrime et Châtiment, Hippolyte dansL'Idiot, Kirilov et Stavroguine dansLes Démons, etIvan Karamazov etPavel Smerdiakov dansLes Frères Karamazov. L'incrédulité en Dieu et en l'immortalité, et l'influence de philosophies contemporaines telles que lepositivisme et lematérialisme sont des facteurs notables du développement des tendances suicidaires des personnages, bien que Dostoïevski considère lui-même lacroyance en Dieu et en l'immortalité comme nécessaire à l'existence humaine[217],[218].
L'une des idées fortes de Dostoïevski est l'existence chez tout être humain d'un besoin inné d'imitation. Le thème de l'imitation est récurrent dans son œuvre, qu'il s'agisse d'un personnage historique (NapoléonIer dansCrime et Châtiment,James de Rothschild dansL'Adolescent) ou d'un autre personnage romanesque (Le Double,Nétotchka Nezvanova,L'Éternel Mari, etc.). Ce besoin d'imitation porte en lui une tension entre admiration et rivalité qui peut dégénérer en fusion passionnelle comme en haine acharnée. C'est en repérant ce thème dans l'œuvre de Dostoïevski (et d'autres auteurs parmi lesquelsCervantes,Stendhal etProust) queRené Girard élabora son concept dedésir mimétique, développé d'abord dansMensonge romantique et Vérité romanesque (1961), puis dans toute son œuvre. Pour Dostoïevski (comme pour Girard), seule l'imitation duChrist, du fait de sa nature à la fois divine et humaine, sublime et humble, peut conduire à une société juste et sans violence.[réf. nécessaire]
Enfin, l'utilisation de l'espace et du temps par Dostoïevski est analysée par lephilologueVladimir Toporov. Toporov relève l'atmosphère de tension à la lecture deCrime et Châtiment, qui est renforcée par la répétition de mots spécifiques, comme « vdrug » (soudain) qui apparaît560 fois dans l'édition russe[219]. Les œuvres de Dostoïevski font usage de nombres précis (« à deux pas… », « deux routes à droite »), ainsi que des quantités hautes et arrondies (100, 1000, 10000). Des critiques, tels que Donald Fanger[62], Roman Katsman ou Boris Kondratiev[63] nomment ce procédé lamythopoéique.
Portrait parVassili Perov (1872), Dostoïevski manifeste une apparente concentration.
Avant de devenir écrivain, Dostoïevski est dès l'adolescence un lecteur passionné. On trouve ainsi une évocation du bonheur de la lecture dansNétotchka Nezvanova. Il a une excellente connaissance de la littérature européenne de son temps ; il lit le français et l'allemand[220] ;Byron,Balzac,Dickens,Victor Hugo,E. T. A. Hoffmann figurent parmi ses auteurs favoris. Dans ses premières années, il est également volontiers lecteur de romans populaires, notamment des feuilletonistes françaisEugène Sue ouPaul de Kock.
Balzac a toutefois une influence déterminante sur l'écrivain russe, qui traduit dèsEugénie Grandet, dont il s'inspire pour son premier roman,Les Pauvres Gens.Bienstock voit en Balzac une source d'inspiration de Dostoïevski, tant dans la forme (on retrouve dansLes Pauvres Gens des expressions du père deLa Comédie humaine) que dans le fond[221].
C'est aussi chez ses prédécesseurs russesPouchkine etGogol qu'il puise une part de son inspiration littéraire, notamment le mélange des stylesréaliste,grotesque etépique, caractéristique de cette tradition.
Il montre également un grand intérêt pour le théâtre (Racine,Shakespeare,Schiller,Molière en particulier). De fait, ses romans se présentent fréquemment comme des suites de scènes dramatiques presque entièrement dialoguées. On rencontre également des dispositifs classiques du théâtre tels que lequiproquo ou le témoin caché.
À cette passion pour la lecture s'ajoute celle pour lacritique littéraire et pour le débat d'idées en général. Dans lesSouvenirs de la maison des morts, le narrateur relate l'émotion intense qu'il ressent lorsqu'il parvient à se procurer pour la première fois depuis de nombreuses années une revue littéraire. Les allusions à la littérature contemporaine parsèment l'œuvre de Dostoïevski, sous forme de parodie, d'attaque directe ou implicite, notamment contre leromantisme.
Cependant, il est notable que Dostoïevski ait conservé son indépendance intellectuelle et stylistique. Dostoïevski tire grand profit de ses lectures tout en poursuivant son idée, l'idée chrétienne. Un certainslavophilisme lui vient deKaramzine ;Schiller lui donne les joies du « rêve » et duromantisme allemand ; deWalter Scott il tire une idée de la beauté et du bien ; deDickens etSand, une certaine forme duroman social[220].
Bien que parfois décrit comme unréaliste littéraire, caractérisé par la représentation de la vie contemporaine dans sa réalité quotidienne, Dostoïevski se considérait comme un« réaliste fantastique »[205]. Selon Léonid Grossman, Dostoïevski veut« introduire l'extraordinaire au plus profond du commun, fusionner […] le sublime avec le grotesque, et pousser les images et les phénomènes de la réalité quotidienne jusqu'aux limites du fantastique »[222]. Dostoïevski approche des problèmes philosophiques et sociaux par les techniques du roman d'aventures comme moyen de« tester l'idée et l'homme de l'idée »[223]. Les personnages sont réunis dans des situations extraordinaires pour provoquer et mesurer les idées philosophiques qui les dominent[224]. PourMikhaïl Bakhtine, « l'idée » est au cœur de la poétique de Dostoïevski, qui invente alors le romanpolyphonique, dans lequel de multiples « idées-voix » coexistent et se concurrencent. C'est cela, selon Bakhtine, qui a rendu possible la coexistence de genres distincts au sein d'un tout[223].
Une place considérable est dévolue aux dialogues. C'est ainsi que le critique russeMikhaïl Bakhtine a été amené à définir le concept dedialogisme pour caractériser le style romanesque de Dostoïevski. Le roman dostoïevskien se présente comme une confrontation des points de vue « existentiels » des différents personnages, qui s'expriment dans des styles différents. Leburlesque peut ainsi côtoyer letragique, et lesentimentalisme, lecynisme. Dostoïevski apporte un soin particulier au réalisme des dialogues, en utilisant notamment des expressions populaires, des digressions, des interruptions.
Chacun des personnages se définit par rapport aux autres, par imitation ou par opposition. De nombreux romans (souvent burlesques) sont bâtis sur les relations d'amour et de haine entre deux personnages très semblables ou complémentaires :Le Double, mais aussiLe Bourg de Stépantchikovo et sa population ouL'Éternel Mari. On trouve également de longues scènes impliquant des discussions houleuses entre de nombreux personnages (L'Idiot ouLes Démons). Mais Dostoïevski est également l'un des premiers à présenter des romans sous forme demonologue (Les Carnets du sous-sol,La Douce,L'Adolescent). Même dans ces monologues, le principe dialogique est à l'œuvre : le narrateur s'adresse à un public imaginaire, répond à ses objections, cherche à le séduire ou à le défier.
La confrontation des points de vue entraîne une grande variété des styles, d'une œuvre à l'autre, mais aussi au sein d'un même texte. Des épisodes grotesques ou bouffons sont intercalés au milieu de scènes dramatiques (Le Bourg de Stépantchikovo et sa population), comme dans les pièces deShakespeare. On notera enfin les caractéristiques propres à la publication sous forme de feuilleton : foisonnement des intrigues, digressions, mais aussi incohérences, caractéristiques que l'on peut retrouver dans d'autres œuvres contemporaines telles queLa Maison d'Âpre-Vent deDickens ouLa Foire aux vanités deThackeray.
Dostoïevski n'a pas été le fondateur de son propre système philosophique, mais a été fortement influencé par une partie de la philosophie occidentale allemande. Il n'a pas eu de formation spécialisée en la matière et a choisi la littérature comme champ d'action dans sa vie[225]. Il n'en reste pas moins que l'œuvre de cet écrivain et publiciste contient les idées fondamentales de la philosophie russe classique qui s'est formée dans la seconde moitié duXIXe siècle. Le philosophe russeMikhaïl Masline écrit :« La vision du monde de Dostoïevski est de type existentialiste, une philosophie de l'existence humaine »[152].
Les œuvres de Dostoïevski étaient souvent qualifiées de « philosophiques », bien qu'il ne se considère pas comme philosophe mais plutôt comme« faible en philosophie »[226]. Selon Strakhov,« Fiodor Mikhaïlovitch aime les questions portant sur l'essence des choses et les limites de la connaissance. »[226] Son ami proche, le philosophe et théologienVladimir Soloviev, estime que Dostoïevski est« plus un sage et un artiste qu'un penseur logique et cohérent »[73]. Son irrationalisme est étudié dansIrrational Man: A Study in Existential Philosophy deWilliam Barrett et dansExistentialism from Dostoevsky to Sartre deWalter Kaufmann[227].
Dostoïevski est considéré comme l'un des romanciers les plus grands et les plus influents de l'Âge d'or de la littérature russe[228]. De multiples écrivains et penseurs lui ont rendu hommage :Léon Tolstoï admirait plusieurs œuvres de Dostoïevski, en particulier lesSouvenirs de la maison des morts, en lequel il voit un art religieux exalté, inspiré par une foi profonde et un amour de l'humanité[229],[230].Albert Einstein a qualifié Dostoïevski de« grand écrivain religieux » qui explore« le mystère de l'existence spirituelle »[231].Sigmund Freud place Dostoïevski juste derrièreShakespeare en tant qu'écrivain créatif[232],[233]. De même,Virginia Woolf écrit :« Hors de Shakespeare, il n'y a pas de lecture plus passionnante. »[234]Friedrich Nietzsche écrit que« Dostoïevski est la seule personne qui m'ait appris quelque chose en psychologie. »"[235]. PourMikhaïl Bakhtine, Dostoïevski invente le romanpolyphonique, dans lequel de multiples « idées-voix » coexistent et se concurrencent[223].
Dans son ouvrage posthumeParis est une fête,Ernest Hemingway écrit qu'il y a chez Dostoïevski« des choses crédibles et improbables, mais certaines semblent si vraies qu'elles vous transforment à mesure que vous les lisez : la fragilité et la folie, la méchanceté et la sainteté, et la folie du jeu. »[236]James Joyce souligne que« [Dostoïevski] est l'homme qui, plus que tout autre, a façonné et intensifié la prose moderne jusqu'à sa forme actuelle. C'est sa puissance explosive qui a brisé le roman victorien ; les livres sans imagination, ni violence »[237].Franz Kafka fait de Dostoïevski son« parent de sang »[238] ;Les Frères Karamazov etCrime et Châtiment ont tous deux profondément influencéLe Procès[239]. Les écrivains associés à des mouvements culturels tels que lesurréalisme, l'existentialisme et lesBeats reconnaissent Dostoïevski comme une influence majeure[240]. Il est considéré comme un précurseur dusymbolisme russe[241], de l'expressionnisme[242], ou encore de lapsychanalyse[243].
En1956, un timbre-poste vert olive dédié à Dostoïevski est émis en Union soviétique, avec un tirage de 1 000 exemplaires[244]. Unmusée Dostoïevski ouvre ses portes le 12 novembre 1971 dans l'appartement pétersbourgeois où il a écrit ses premier et dernier romans[245]. Uneplanète mineure ((3453) Dostoevsky) et uncratère de Mercure sont nommés en son honneur.
L'œuvre de Dostoïevski n'a pas toujours reçu un accueil positif. Certains critiques, tels queNikolaï Dobrolioubov,Ivan Bounine ouVladimir Nabokov considéraient ses écrits comme excessivement psychologiques et philosophiques plutôt qu'artistiques. Certains pointent les intrigues chaotiques et désorganisées ; d'autres, commeTourgueniev, ont critiqué le naturalisme et la psychologisation excessifs.
Le poète et critique écossaisEdwin Muir a émis des réserves quant à la qualité des personnages de Dostoïevski, notant que« l'étrangeté des personnages de Dostoïevski, dont il a été souligné l'aspect uniquement « pathologique », sont en réalité représentés plus clairement que n'importe quelle figure de la littérature imaginative. »[249]
Les livres de Dostoïevski ont été traduits dans plus de170 langues[250]. Les œuvres de Dostoïevski ont été adaptées ou transposées de très nombreuses fois sur scène et à l'écran. La princesse Varvara Dmitrevna Obolenskaya a été parmi les premières à proposer une mise en scène deCrime et Châtiment. Dostoïevski n'a pas refusé l'autorisation, mais l'a déconseillé, estimant que« chaque art correspond à une forme de pensées poétiques, de sorte qu'une idée ne peut pas être exprimée sous une autre forme. ». Il pensait qu'un seul épisode pouvait être dramatisé, ou qu'une idée pouvait être reprise et incorporée dans une intrigue distincte[251]. Selon le critique Alexander Burry, certaines des adaptations les plus réussies sont les opérasLe joueur deProkofiev, etDe la maison des morts deLeoš Janáček, et les filmsL'Idiot (1951) d'Akira Kurosawa etLes Possédés (1988) d'Andrzej Wajda[252].
Après larévolution russe de 1917, des passages des livres de Dostoïevski furent parfois raccourcis, et deux livres furent censurés :Les Démons et leJournal d'un écrivain[253],[254].Selon l'historien Boris Ilizarov, Staline a lu plusieurs fois Les Frères Karamazov de Dostoïevski[255].
L'œuvre romanesque de Dostoïevski est constituée de seize romans, dix-sept nouvelles, et cinq traductions. La plupart de ses romans ont été publiés commeroman-feuilleton dans des revues et journaux russes, dontLe Messager russe,Le Temps ouL'Époque. Par ailleurs, Dostoïesvki est l'auteur d'un grand nombre d'articles et de plusieurs poèmes. Enfin, la connaissance de projets de roman jamais écrits nous est connu.
↑Dans leJournal d'un écrivain, Dostoïevski rappelle comment sur le chemin de Saint-Pétersbourg avec son frère« ils ne rêvaient que de poésie et de poètes ».« J'avais constamment à l'esprit la composition d'un roman sur la vie vénitienne »(Достоевский Ф. М. «Дневник писателя». 1876 год. Январь. Гл. 3. § 1)
↑Un crime de sang étouffé par la famille de la victime elle-même pour des raisons économiques - châtier les coupables reviendrait à se priver du capital servile - est pourtant courant et rapporté dans des circonstances très similaires, par exemple, parAlexandre Radichtchev en 1790 déjà, dans sonVoyage de Pétersbourg à Moscou.
↑La question de l'éventuelle « trahison » et celle de sa collaboration avec les autorités est restée ouverte.
↑Le Temps connut un succès immédiat avec plus de 4 000 abonnés, avant d'être dissout le par le régime tsariste.Vremia et son successeurL'Époque exprimeront la philosophie du mouvement conservateur etslavophilePotchvennitchestvo, soutenu par Dostoïevski à partir des années de bagne.
↑Il écrira plus tard que« le socialiste chrétien est plus dangereux que le socialiste athée » dansLes Frères Karamazov (1877).
↑Leur fille Sophie est morte àGenève en1868, âgée de trois mois, et est ensevelie aucimetière des Rois. Fiodor et Anna Dostoïevski eurent encore trois enfants, une filleLioubov Dostoïevskaïa (en 1869) puis deux fils Fiodor (1871) et Alexeï (1875).
↑La tombe est par la suite enlevée ; en 1986, laSociété Internationale Dostoïevski fait don d'une plaque commémorative en l'honneur de Sophia.
↑DansL'Homme révolté, Camus intègre et critique les idées de Dostoïevski dans sa proprephilosophie de l'absurde et de la révolte à l'aide des romansLes Démons etLes Frères Karamazov. On lit ainsi dansl'Homme révolté :
« C'est chez Dostoïevski que j'ai trouvé le plus complètement ce que je cherchais: l'image des conflits de l'homme occidental avec sa condition spirituelle et sociale. »
↑Texte supprimé par l'auteur dans l'édition de1860. Source : Fédor Dostoïevski,Récits, chroniques et polémiques, note de Gustave Aucouturierp. 1 689,Bibliothèque de la Pléiade.
(ru)Andreï Dostoïevski,Воспоминания Андрея Михайловича Достоевского [« Mémoires d'Andrei Mikhaïlovitch Dostoïevski »], Изд-во писателей в Ленинграде,, 426 p.(lire en ligne) Mémoires de son frère cadet Andreï Dostoïevski.
Léon Chestov,La Philosophie de la tragédie, Dostoïevski et Nietzsche, Paris, Éditions J. Shiffrin, Éditions de la Pléiade, — rééd. Paris, Flammarion, 1966, traduction et préface (Lecture de Chestov) parBoris de Schlœzer ; rééd. Paris, Le Bruit du temps, 2012.
Même titre, trad. J.-B. Pontalis, en coll. avec C. Heim et L. Weibel,in S. Freud,Résultats, idées, problèmes II, Paris,P.U.F., 1985p. 161-179
Jean Drouilly,La pensée politique et religieuse de Dostoïevski, Paris, Librairie des cinq continents,, 501 p.
Juliette Hassine, « Correspondance des arts : Rembrandt-Dostoïevski dans l'Europe du vingtième siècle (In memoriam Jo Yoshida) »,Department Bulletin Paper, Kyoto University Research Information Repository,,p. 253-278(DOI10.14989/138068)
Alexis Klimov,Dostoïevski ou la connaissance périlleuse (présentation, choix de textes, bibliographie), Paris, Seghers,
Walter Laqueur,Histoire des droites en Russie. Des centuries noires aux nouveaux extrémistes, Michalon,(ISBN2841860086).
Daniel S. Larangé,Récit et foi chez Fédor M. Dostoïevski. Contribution narratologique et théologique aux « Notes d'un souterrain » (1864) (critiques littéraires), Paris-Turin-Budapest, L'Harmattan,(ISBN9782747518451,OCLC49225034)
André Levinson,La Vie pathétique de Dostoïevski, Paris, Plon,
Jacques Madaule,Le Christianisme de Dostoïevski, Bloud & Gay,
Vladimir Marinov,La Figure du crime chez Dostoïevski, Paris, PUF,(ISBN2-13-043173-9).
Nicolas Milochevitch,Dostoïevski penseur, L'Âge d'homme,(ISBN2-82-512154-1).