Anciennement appeléeGerbi ouZerbi, l'île aurait été traversée parUlysse. LesCarthaginois y fondent plusieurs comptoirs, lesRomains y construisent plusieurs villes et y développent l'agriculture et le commerce portuaire. Passée successivement sous dominationvandale,byzantine,arabe,ottomane, puisfrançaise, Djerba est devenue depuis lesannées 1960 une destination touristique populaire. Elle demeure marquée à la fois par la persistance de l'un des derniersparlers berbères tunisiens, letamazight de Djerba, l'adhésion à l'ibadisme d'une partie de sa population musulmane et la présence d'une importantecommunauté juive dont la tradition fait remonter la venue à la destruction duTemple de Salomon par l'empereurNabuchodonosor II en 586 av. J.-C.
Djerba est connue depuis l'Antiquité par la tradition qui fait d'elle l'île desLotophages décrite dans l'Odyssée d'Homère, ce qui lui vaut d'être souvent appeléeLotophagitis (dugrec ancienΛωτοφαγῖτις ouΛωτοφάγων νῆσος).
« C'est vers la fin de la période romaine qu'on rencontre pour la première fois le nom de Gerba ou Girba, donné à une ville située sur l'emplacement actuel de Houmt Souk (capitale de l'île). Auparavant, auIIe siècleapr. J.-C.,Ptolémée avait déjà mentionné le nom de Gerra, sans doutelapsus calami de Gerba. C'est en faitAurelius Victor qui le premier parle de Girba lorsqu'il nous apprend que cette ville a eu l'honneur de donner le jour à deux empereurs romains. Jusque-là, l'île avait connu bien d'autres noms au cours de l'Antiquité[3]. »
Le nom véritable de l'île, connu des Grecs depuis Ératosthène, qui s'était intéressé à elle à cause du périple d'Ulysse, est Méninx ou Ménis, un nom sans doute d'originelibyco-berbère, qui est aussi celui de l'une de ses villes principales, située près d'El Kantara, où une chaussée romaine reliait l'île au continent, barrant l'entrée dans le golfe de Boughrara[4].
L'île[note 2], qui dépend administrativement dugouvernorat de Médenine, est située par la route à environ 500 kilomètres de Tunis (contre environ 330 kilomètres àvol d'oiseau) et à plus de 100 kilomètres de Gabès.
De part et d'autre, deux avancées ducontinent rapprochent Jorf d'Ajim à l'ouest etZarzis d'El Kantara à l'est. Vers le large, l'extension de la plage deMezraya (Sidi Mahrez) forme unepresqu'île,Ras R'mal, qui est l'un des sites touristiques importants de l'île. La superficie de l'île est voisine de 514 km2. Vue par image satellite, elle présente la forme d'unemolaire géante avec ses trois racines : lespéninsules d'Ajim, de Ras Terbella et de Bine El Oudiane[5] ; sa plus grande longueur est de 29,5 kilomètres et sa plus grande largeur de 29 kilomètres[6]. Sescôtes, qui s'étendent sur 125 kilomètres, présentent un tracé très irrégulier. Les trois péninsules marquent les points les plus rapprochés du continent dont l'île est séparée par lecanal d'Ajim, large de deux kilomètres[7], et celui d'El Kantara, large de six kilomètres. Le canal d'Ajim accueille deuxîlots appelés Elgataia Kbira et Elgataia Sghira.
Plage sur l'île de Djerba.
Jadis rattachée au continent, Djerba s'apparente beaucoup par la régularité de satopographie et de sastructure géologique au relief tabulaire qui marque lelittoral méridional de la Tunisie[6]. L'île est plate, l'altitude moyenne y étant de 20 mètres et son point culminant, Dhahret Guellala, s'élevant dans sa partie méridionale à 53 mètres[6]. À ce niveau, l'île est traversée par un accident topographique majeur (15 mètres dedénivellation sur 15 kilomètres de long). La topographie en escalier alterne des secteurs élevés et d'autres endépression dont la surface est modelée par unemorphologiedunaire[6].
Le littoral est caractérisé par des côtes basses, lesplages, en grande majorité sablonneuses, s'étendant principalement entre Ras R'mal et Borj El Kastil.Gustave Flaubert nomme Djerba « Île aux Sables d'Or » à cause de leur sable fin et doré[8]. L'eau douce est rare et il n'existe aucun cours d'eau. Djerba est entourée de hauts fonds — labathymétrie à proximité de l'île est presque toujours inférieure à −10 m et l'isobathe de −5 m n'apparaît qu'au-delà d'une dizaine de kilomètres des côtes méridionale et septentrionale[6] — toutefois perturbés au large de la côte méridionale par l'existence d'un certain nombre d'oueds (courants marins) qui sillonnent les canaux d'Ajim et d'El Kantara, les profondeurs dépassant à certains endroits les 20 mètres[6].
« À Sfax, l'hiver vous aura quittés ; à Gabès vous trouverez le printemps ; à Tozeur l'été ; et à Djerba vous découvrirez la cinquième saison. Mais oui Monsieur, la cinquième saison, ce climat spécial à l'île de Djerba, si étrange, fait de sécheresse extrême, de brise marine, de fraîcheur et de rosées nocturnes, de quelque chose de rationnel, de tempéré en tout[9]. »
Gustave Flaubert fait décrire àMathos, dans le chapitre IX de son romanSalammbô, cette« île couverte de poudre d'or, de verdure et d'oiseaux, où les citronniers sont hauts comme des cèdres [...] où l'air est si doux qu'il empêche de mourir »[10]. Son climat lui vaut d'ailleurs le surnom de Djerba la douce[11].
En ce qui concerne lesprécipitations, Djerba est la plus arrosée (248,8 millimètres) de toutes les régions au sud deSfax, la moyenne des jours pluvieux atteignant quarante jours par an[6]. Plus de 60 % des précipitations se concentrent entre les mois de septembre et décembre avec un maximum en octobre (28 % du total annuel)[6].
Néanmoins, l'essentiel de la pluviométrie annuelle peut se répartir sur trois à quatreaverses seulement[6]. Lasaison sèche débute en avril et l'été voit rarement la pluie tomber. L'humidité et larosée nocturne sont deux facteurs vitaux pour laflore de l'île. Suivant lessaisons, Djerba connaît desvents dominants de directions différentes. De novembre à mars, ce sont les vents d'ouest qui dominent avant d'être remplacés de mars à la mi-juin par lesirocco, vent chaud s'accompagnant souvent detourbillons depoussière[6]. Avec l'arrivée de l'été dominent les vents d'est, porteurs de fraîcheur.
Dès l'Antiquité, les historiens mentionnent Djerba qu'ils identifient à la première île où, dans l'Odyssée,Homère fait échouerUlysse et ses compagnons, égarés en mer de retour de laguerre de Troie (vers1185av. J.-C.)[12] ; pour avoir goûté aulotos,« fruit doux comme le miel qui plonge tous ceux qui en dégustent dans les délices d'un bienheureux oubli qui efface tous les soucis de l'existence », Ulysse,« que ce fruit miraculeux aurait plongé dans une heureuse amnésie »[13], a peine à quitter l'île desLotophages (mangeurs de lotos)[14].
« On y fait beaucoup d'huile, qu'on tire de l'olivier sauvage ; l'île produit d'ailleurs beaucoup de fruits, de blé, d'orge, la terre est fertile[8]. »
D'après Gsell, à l'époque,« Djerba dépendait certainement de Carthage ». Les Carthaginois fondent plusieurs comptoirs, le plus important étantMeninx, sur la côte sud-est de l'île, qu'ils transforment en haut lieu d'échanges dubassin méditerranéen, y aménageant desports pour leurs embarcations et l'utilisant comme escale dans leurs parcours de la Méditerranée[19]. Outre la culture de l'olivier, l'île carthaginoise abrite plusieurs ateliers depoterie, plusieurs pêcheries, et développe lateinture depourpre à base demurex, qui fait la renommée de l'île[12]. Important relais vers le continent africain, Djerba connaît ainsi plus d'un demi-millénaire de prospérité avec les Carthaginois.
Mausolée de Bourgou à Midoun.Baptistère d'El Kantara.
Cependant,« ce n'est qu'en l'an 6 ap. J.–C., après la phase des protectorats sur les princes berbères, lesreges inservientes, que débute la colonisation directe dans la zone syrtique »[21]. On sait que l'île compte alors deux villes : Meninx et Thoar. Elle abrite par la suite trois centres urbains principaux. L'un d'entre eux, dont le nom moderne estHenchir Bourgou, a été découvert à proximité deMidoun, au centre de l'île : on y trouve les vestiges — appelés « Roches de Bourgou » — d'une grande ville datant duIVe siècle av. J.-C., marqués par la présence depoteries abondantes et d'un imposantmausolée appartenant probablement à un membre d'une famille royalenumide. Un deuxième centre, sur la côte sud-est, est un site de production decolorants à base demurex, cité parPline l'Ancien comme occupant le second rang dans ce domaine derrière la cité deTyr : de substantielles quantités demarbre coloré découvertes sur place témoignent de sa richesse. Le troisième centre important, probablement l'ancienne Haribus, se trouve sur la côte méridionale à proximité du village deGuellala.
Deuxempereurs romains,Trébonien Galle et son filsVolusien, sont natifs de Djerba. Un décret romain de l'an254, peu après leur mort, mentionne l'île dans l'expressionCreati in insula Meninge quae nunc Girba dicitur : c'est la première trace connue de l'utilisation du nom de Girba[22]. Au milieu duIIIe siècle, unebasilique est construite dans ce qui est alors l'évêché de Girba. Deux desévêques de l'île ont laissé leur nom dans l'histoire : Monnulus et Vincent, qui assistent respectivement auxconciles deCarthage de255 et de525[23]. Les ruines de leurcathédrale peuvent être identifiées près d'El Kantara, dans le Sud-Ouest de l'île, d'où provient un beaubaptistère cruciforme conservé aumusée national du Bardo àTunis[3].
Après les Romains, Djerba est occupée par lesVandales (439-533), puis par lesByzantins (533-665). C'est en665 qu'elle tombe aux mains desArabes dirigés par Ruwayfa ibn Thâbit Al Ansari, un compagnon du prophèteMahomet, pendant la campagne deByzacène commandée par Muawiya Ben Hudaydj. L'île est alors le témoin de luttes entre factionsmusulmanes et se rallie finalement au parti deskharidjites[26].
En, profitant de la situation troublée de l'Ifriqiya[30], les troupesnormandes duroyaume de Sicile s'emparent de l'île qui tombe sous la domination du roiRoger II de Sicile, puis de son fils et successeurGuillaume le Mauvais. En, les Djerbiens se rebellent mais les Normands écrasent leur révolte dans le sang ; seule la conquêtealmohade, en1160, parvient à les chasser de Djerba et du littoral tunisien.
Durant l'automne, l'amiral aragonaisRoger de Lauria prend possession de l'île et y installe un domaine placé sous la suzeraineté duSaint-Siège[31] ; l'archipel desKerkennah est joint à sa seigneurie en. En, il fait construire, près de l'antique Meninx, uneforteresse appeléeCastelló et plus tardBorj El Kastil ouBorj El Gastil. À sa mort en, il est remplacé par ses fils Roger (1305-1310) et Charles (1310) puis par Francis-Roger (1310). La famille ne parvenant pas à maîtriser les tentatives de soulèvement des Djerbiens et les attaques desHafsides, cède ses droits au roiFrédéric II de Sicile qui nommeRamon Muntaner comme gouverneur en[32] alors qu'unefamine sévit durant des mois, poussant à la révolte les habitants qui reçoivent l'aide des Tunisiens du continent. Muntaner administre l'île jusqu'en et c'est le sultan hafsideAbû Yahyâ Abû Bakr al-Mutawakkil qui reprend l'île aux Aragonais aux environs de1335[33].
S'ils abandonnent Djerba pendant leur guerre contre les Castillans (1334-1335), les Aragonais sous le commandement deManfredi III Chiaromonte la reprennent en1388, avec l'aide d'une flottegénoise[34], mais ne la conservent que jusqu'à la fin de l'année[35]. Denouvelles attaques de la flotte d'Alphonse V d'Aragon[36], en et[37], sont repoussées avec l'aide du souverain hafsideAbû Fâris `Abd al-`Azîz al-Mutawakkil. Les musulmans construisent une forteresse dans le Nord de l'île, à côté des ruines de l'antique Girba, qu'ils appellentBorj El Kebir. La ville deHoumt Souk se développe aux alentours.
En, les Djerbiens se révoltent contre le sultan hafside Abû `Umar `Uthmân et prennent le contrôle de la chaussée romaine qui relie l'île au continent. Les luttes internes entreWahbiya etNakkara, deux factions des ibadites, qui dominent respectivement le Nord-Ouest et le Sud-Est de Djerba, n'arrêtent cependant pas le progrès économique de l'île. Les habitants paient alors untribut au souverain mais restent indépendants. Pendant l'époque ziride, des tribus arabes nomades envahissent la Tunisie mais Djerba échappe à leur contrôle[38].
Vers, Djerba passe sousinfluence ottomane : lecorsaire ottomanArudj Barberousse obtient du souverain hafside le contrôle de l'île[39], qui devient la base de la dizaine de navires de son escadre. En, les troupes du royaume d'Espagne, sous le commandement dePedro Navarro, attaquent Djerba pour y établir une forteresse qui appuierait les conquêtes d'Oran,Bougie,Alger etTripoli ; elles subissent cependant une défaite[40]. En, l'île est pillée par les Génois.
Borj El Kebir de Houmt Souk en 1599.
Djerba est finalement placée sous souveraineté espagnole, de[41] à et de à, mais sans occupation durable. Elle redevient une base temporaire pourKhayr ad-Din Barberousse et, de 1524 à 1551, l'une des principales bases des corsaires ottomans etnord-africains conduits par l'amiralDragut.
En avril, lors d'une expédition organisée par les chevaliers de Malte et le vice-roi de Naples contre lui, Dragut est bloqué dans un canal djerbien par les galères du GénoisAndrea Doria mais parvient à leur échapper[42],[43]. Une flotte européenne, principalement composée de navires espagnols,napolitains, siciliens etmaltais, sous la direction de Juan Luis de la Cerda,duc de Medinaceli, occupe à son tour l'île en1560 pour l'aménager en base d'opération contreTripoli[44],[42]. C'est dans ce contexte de rivalité pour le contrôle de la Méditerranée qu'unebataille navale oppose au large de l'île, du 9 au, cette flotte à la flotte ottomane menée par Piyale Pacha et Dragut. Les Ottomans coulent trente navires chrétiens et font 5 000 prisonniers le15 mai ; la petite garnison chrétienne de Djerba est exterminée après une farouche défense et ses ossements amoncelés en une pyramide, la Tour des crânes, qui subsiste jusqu'en[42],[45]. Cette expédition est l'un des événements militaires et politiques les plus marquants duXVIe siècle[46].
À partir duXVIIIe siècle, lemalékisme se répand sur l'île aux côtés de l'ibadisme tandis que la langue berbère perd peu à peu du terrain face à l'arabe. Durant ce même siècle on assiste à des incursions de la part desnomadesOuerghemma etAccaras provenant de la région de laDjeffara. En et, lapeste fait ravage avant de revenir en. En, Djerba est pillée durant cinquante-huit jours par un aventurier nommé Ali Burghul puis, en, à nouveau attaquée par des nomades de la région deZarzis. Cette même année sont relevées une nouvelleépidémie de peste et une révolte. En,AhmedIer Bey interdit l'esclavage[50] : l'acte affecte l'économie de l'île qui est alors, avecGabès, l'un des principaux centres tunisiens du commerce des esclaves alimenté par lescaravanes venues desoasis deGhadamès et deGhat. Ce trafic se déplace par la suite vers Tripoli.
Djerba reste sous domination ottomane jusqu'en1881, date à laquelle la Tunisie passe sousprotectorat français à la suite du bombardement de l'île[51] et de son occupation militaire :
« Le 28 juillet 1881, les troupes françaises occupentBorj El Kebir, à Houmt Souk, et y restent jusqu'en 1890, date à laquelle l'administration de l'île passe à l'autorité civile[52]. »
En, la Tunisie accède à l'indépendance et Djerba devient unedélégation dépendant dugouvernorat de Médenine. Toutefois, comme le principal adversaire politique du présidentHabib Bourguiba pendant la lutte pour l'indépendance,Salah Ben Youssef, en était originaire, l'île est négligée pendant plusieurs années sur le plan des infrastructures. Alors que dans le reste du pays des hôpitaux, lycées et routes sont construits même dans de petites localités, Djerba doit attendre les années1970 et1980 pour en être dotée. Elle n'est pas ungouvernorat alors que des régions beaucoup moins peuplées le sont devenues. Entre et, en raison des conditions économiques défavorables engendrées par une réforme étatique des structures commerciales, des milliers de Djerbiens s'expatrient (de 5 000 à 6 000 chefs de famille)[53] et gagnent l'Europe — laFrance pour 80 % d'entre eux ; plus de la moitié de ces derniers s'installent dans la régionparisienne. Les localités de Sedouikech, Guellala et Ajim se vident de la quasi-totalité de leurpopulation active[53].
Le visage de Djerba a beaucoup changé depuis lesannées 1960 : zone hôtelière, extension de l'aéroport et des zones urbanisées — de simples hameaux devenant de véritables localités —, élargissement des routes ou encore installation de pylônes électriques[54]. Seules certaines portions de l'intérieur de l'île sont restées presque intactes, de même qu'une partie de la côte méridionale.
En mars, certaines rues d'Ajim sont transformées afin de servir de décor, les2 et3 avril, au tournage deStar Wars. Des rues de la ville de Mos Eisley, sur la planèteTatooine, sont ainsi représentées. À quatorze kilomètres au nord, lemarabout de Sidi Jemour sert lui aussi de décor pour Mos Eisley et pour Anchorhead, ancien centre minier de la planète.
Le, unattentat est commis contre lasynagogue de la Ghriba. Un camion bourré d'explosifs saute à proximité de cette dernière : 21 personnes sont tuées, dont quatorzeAllemands, cinq Tunisiens et deuxFrançais, et d'autres blessées. Le gouvernement tunisien parle d'un accident mais les experts suggèrent rapidement un attentat, revendiqué par la suite parAl-Qaïda. La communauté juive de l'île compte alors environ 700 personnes, alors qu'elle se chiffrait à 4 300 en[55].
Le, le gouvernement tunisien propose Djerba pour un classement sur la liste dupatrimoine mondial de l'Unesco[56], qui devient effectif le[57].
Le, un membre de lagarde nationaleouvre le feu dans la synagogue de la Ghriba, au moment du pèlerinage annuel, et fait quatre morts, dont deux autres gardes nationaux et des fidèles, ainsi qu'une dizaine de blessés. Il est abattu par un membre des forces de l'ordre[58].
Les Djerbiens, ayant eu à subir des attaques répétées venant de la mer tout au long de leur histoire, se sont éloignés des côtes et dispersés dans lacampagne à l'intérieur de l'île[59]. Le bâti traditionnel est donc, en général, isolé et dispersé ; il se structure selon une organisation hiérarchique de l'espace basée sur lemenzel, terme signifiant « maison » enarabe littéral et décrivant les espaces résidentiels et fonctionnels dans lesquels vivent les familles. Celui-ci constitue la cellule de base de l'habitat fédéré autour de lamosquée[60].
Paysage typique de la campagne djerbienne.
La campagne djerbienne frappe par son silence, souligné par plusieurs visiteurs célèbres, dontSimone de Beauvoir pour qui« c'est l'endroit le plus silencieux du monde »[61].
Le développement du tourisme sur l'île dès lesannées 1960 a toutefois engendré une modification dans l'organisation traditionnelle de l'espace, phénomène qui a comme amoindri l'espace central au profit d'une partie des côtes[7]. Beaucoup de champs ont été abandonnés : une enquête de estime déjà à 7 000hectares la superficie des terres enfriche sur un total de 39 000 hectares cultivables, soit près du cinquième du potentiel agricole ; les menzels abandonnés ou en ruine sont alors nombreux[62]. En effet, les jeunes préfèrent des activités moins pénibles et plus lucratives que l'agriculture[63] et la main d'œuvre locale représente un coût que le rendement agricole ne justifie que dans de rares cas (en présence de nappes d'eau douce ou à basse salinité). Le centre reste donc marginalisé économiquement et à l'écart des principales voies de communication, même si plusieurs routes ont été goudronnées au cours desannées 1990 et si le phénomène n'est pas propre à Djerba. Néanmoins, cette partie centrale tend à être partiellement revalorisée par les habitants qui y construisent des résidences principales de typepavillonnaire[7].
Le menzel est formé d'une ou de plusieurs unités d'habitation (houch) entourées devergers et dechamps, auxquelles peuvent s'ajouteratelier detissage,greniers ou huilerie (souvent souterraine)[64] et pourvues d'un nombre variable depuits ou deciternes. Entouré de hautes levées de terre (tabia), il est organisé selon un principe défensif[60]. D'une façon générale, lehouch abrite trois générations[65]. Il prend une forme carrée ou rectangulaire et ne comporte pas de fenêtres sur l'extérieur, celles-ci ouvrant normalement sur la cour intérieure[66]. Autour de la cour, s'articulent deux à quatre pièces plus ou moins grandes qui peuvent se diviser au moyen de cloisons internes, de portes ou de simples rideaux (kella) et comprendre dessedda oudoukkana (alcôves en général surélevées utilisées commechambre à coucher), desmagsoura (petites chambres) et desmesthan (petitessalles d'eau sansWC).
Autrefois, les garçons qui se mariaient obtenaient leur propre pièce dans lehouch parental. Laskifa, située à l'entrée, est la pièce qui réunit les habitants et sert à recevoir les voisins et les visiteurs les moins importants. Pour les visiteurs de marque, les familles aisées disposent en général d'unmakhzin dhiafa indépendant ou rattaché auhouch et donnant souvent sur l'extérieur[67]. Il y a également, pour la cuisine et la toilette, lekhouss (construction en tronc et branches de palmier)[68], lematbakh (cuisine), lehouch el bir —puits à eau en général saumâtre qui sert aux travaux ménagers hormis lalessive — et leknif oumihadh (WC). Dans certaines localités, à ces pièces s'ajoute uneghorfa (seule pièce avec de petites fenêtres donnant sur l'extérieur), qui sert pendant la saison chaude de chambre à coucher[69] ; surélevée, on y accède par un escalier intérieur raide et sans rampe. L'utilisation de voûtes et de coupoles est très courante et permettrait de lutter contre la chaleur. L'ameublement est en général simple et austère : des matelas souvent posés directement sur des nattes (h'sira) ou sur des estrades ou banquettes en maçonnerie (sedda oudoukkana), des coffres ou de grosses jarres[68] pour ranger lelinge, desmarfaa (sorte de portemanteaux), dessofra oumida, sorte de tables à manger basses où l'on mangeait assis, les jambes croisées, sur des nattes ou des matelas bas appelésgaada. Les réserves alimentaires étaient conservées dans de grosses jarres enterre cuite (khabia,tass ouzir) fabriquées depuis des siècles dans le village deGuellala[70],[note 3]. La grande majorité de la vaisselle djerbienne provient également de ce même village.
Vue extérieure d'un menzel traditionnel.
Compte tenu de la faiblepluviométrie (moins de 250 mm par an) et de la rareté de l'eau potable, les Djerbiens ont pris l'habitude de construire desciternes qu'ils appellentfeskia oufesghia[68] — en général souterraines, de forme rectangulaire ou carrée et situées à l'extérieur duhouch — et desmajen oumajel — qui prennent la forme d'une grande carafe évasée construite le plus souvent dans la cour intérieure duhouch — pour la collecte deseaux de pluie[note 4]. Lesmajen et lesfeskia reçoivent l'eau de pluie recueillie sur les toits des habitations, leurs terrasses ou cours, espaces passés à lachaux vive (jir) tous les ans avant lasaison humide afin de garantir une certainehygiène. Ce système de collecte d'eau pluviale existait déjà à Djerba à l'époque romaine, de grandes citernes ayant été découvertes à Meninx. En, on a estimé à près de 1 000 000 m2 la surface totale des impluviums à Djerba[71].
Les couleurs dominantes des habitations djerbiennes sont le blanc vif pour les murs et les toits, lebleu ciel ou plus rarement le vert bouteille pour les portes et fenêtres. D'autres couleurs ont commencé à apparaître depuis l'installation d'habitants venus de l'extérieur de l'île (en majorité du Sud et du Centre-Ouest de la Tunisie) et la construction de maisons« de prestige » par les Djerbiens immigrés[73]. Sur l'île, il est interdit de construire plus de deux étages au-dessus du rez-de-chaussée et du sous-sol, ce qui a permis de préserver une certaine harmonie architecturale.
Jemaâ Louta à Sedouikech.Plaque commémorative sur Jemaâ El Bessi.Jemaâ Fadhloun.
À Houmt Souk, il existe plusieursfondouks à l'architecture particulière[74] réunis dans l'ancien quartier maltais (entre lamosquée des Turcs, l'église catholique et l'actuelle rue de Bizerte) et dont certains ont été transformés en petits hôtels ou auberges. Il existait des fondouks chrétiens à Djerba depuis leXIVe siècle[75].
Les mosquées ibadites ont une architecture particulière[80] et il n'est par exemple pas possible d'accéder auminaret sans passer par la salle de prière. Cette architecture est parfois un mélange entre les spécificités locales de l'île et l'influence d'autres styles ; c'est le cas de Jemaâ El Bessi, construite auXVIIIe siècle et dont les fondateurs auraient cherché à reproduire quelques spécificités de l'architecture ottomane. D'autre part, certaines mosquées sont souterraines : à quelques kilomètres deSedouikech, en direction d'El Kantara, se trouve l'une d'entre elles, Jemaâ Louta, qui daterait duXIIe ou duXIIIe siècle[81] et où les ibadites se réfugiaient pour pratiquer leur culte. Entourée d'une oliveraie (dont les revenus servaient souvent de source de financement pour l'entretien et la gestion de la mosquée), elle s'ouvre par un escalier très raide et étroit qui conduit dans la chambre principale ; à côté se trouve un grand réservoir qui alimente unpuits, également souterrain. Une autre se trouve sur la route d'Ajim. N'étant plus utilisées pour le culte, ces mosquées souterraines peuvent être visitées librement.
Héritage duMoyen Âge, des forts parsèment les côtes de Djerba, témoins de son passé mouvementé. Plusieurs de ces bâtiments de l'époque médiévale ont été démantelés.
Murailles du Borj El Kebir à Houmt Souk.
Le plus grand monument historique de l'île encore en état est leBorj El Kebir, appelé aussi Borj El Ghazi Mustapha ou fort espagnol. Situé sur la côte au nord de Houmt Souk, sa construction sur les ruines de l'ancienne cité de Girba (actuelle Houmt Souk) a été ordonnée par lesultan hafside de Tunis pour abriter sa garnison vers[84] puis agrandi aux environs de. Le, à la suite d'une défaite, lecheikh Messaoud, placé à la tête de l'île, le remet au vice-roi de Sicile, Juan de la Cerda, qui ne le conserve pas longtemps : le fort est assiégé entre le11 mai et le29 juillet par le corsaireDragut appuyé par Piyale Pacha, l'assaut faisant entre 5 000 et 6 000 morts. Lecaïd Ghazi Mustapha Bey, installé par Dragut pour faire de l'île une base navale[85], achève entre et les travaux entrepris par l'expédition de Juan de la Cerda, en y ajoutant notamment des appartements et une petite mosquée. Les autorités tunisiennes déclarent le fort monument historique le[86] ; il est ensuite restauré et transformé en musée[85]. Il abrite actuellement deuxzaouïas : Sidi Saad et Ghazi Mustapha, dédiée à Ghazi Mustapha Bey. Il s'agit de nos jours d'unchâteau fort« de 68 mètres de longueur et 53 mètres de largeur, les murailles[sont] hautes d'environ 10 mètres et d'une épaisseur variant entre 1,20 à 1,50 mètre »[87], autrefois muni depont-levis et entouré d'un grandfossé.
Une forteresse entourée par la mer entre Terbella et El Kantara, appeléeBorj El Agrab[91], dispose encore de fondations solides mais de dimensions plus modestes. Construite sur les traces d'un précédent fort[92], sur un plan de forme circulaire découpé en trois petites pièces, elle a été restaurée et occupée pendant des décennies par les Siciliens et les Espagnols, en particulier le CatalanRamon Muntaner[92]. Unelégende l'entoure : elle aurait été construite par un prince djerbien, dont l'unique enfant élevé ici pour le protéger meurt à la suite de piqûres d'unscorpion dissimulé dans une corbeille de fruits[93].
Borj Jilij est construit parAliIer Pacha en et achevé parHammouda Pacha en, qui se situe à la pointe nord-ouest de l'île, non loin de l'aéroport et de Mellita. Il a été restauré à plusieurs reprises et se trouve placé sous le contrôle de l'armée tunisienne[94].
Les habitants de Djerba, les Djerbiens, sont en au nombre de 163 726[1], répartis sur troisdélégations qui correspondent à troismunicipalités aux fonctions très différentes[7] :
Djerba - Houmt Souk, la ville deHoumt Souk étant considérée comme la « capitale » de l'île avec 42 992 habitants (75 904 habitants pour l'ensemble de la municipalité) ;
Djerba - Midoun, la ville deMidoun qui constitue le centre le plus proche des activités touristiques comptant 39 138 habitants (63 528 pour l'ensemble de la municipalité) ;
Djerba - Ajim, la ville d'Ajim, plus en retrait par rapport à la dynamique insulaire, comptant 15 114 habitants (24 294 habitants pour l'ensemble de la municipalité).
Les habitants de l'île sont principalementarabophones, mais comptent aussi une importante composanteberbérophone (Kutamas, Nefzas, Hawwaras, etc.). La partie sud de l'île est occupée par des populations villageoises d'origineberbère comme à Robbanna, Wersighen,Sedouikech,Ajim etGuellala où le parler traditionnel est letamazight, également appelé icichelha, langue aux consonances explosives où lalettre « t » revient presque à chaque mot[note 5]. La tradition berbérophone est maintenue surtout par les femmes[97],[98]. Sur le plan religieux se distingue une petite et très anciennecommunauté juive« pétrifiée dans les traditions hébraïques les plus anciennes »[99], lesquelles la disent issue des exilés deJérusalem. Elle a vécu en vase clos pendant des siècles[99].
Une communauté d'originearabe se serait installée à Djerba lors de l'invasion desHilaliens[100]. La population arabophone et musulmane de l'île compte aussi une importante composantenoire (environ 10 % des Djerbiens[101],[note 6]), d'origine principalement soudanaise, installée surtout à Arkou, non loin deMidoun. Une communauté originaire du sud de la Tunisie (région deBeni Khedache) vit dans son propre quartier à Houmt Souk, Houmet Ejjoumaâ ou Chouarikh, et s'habille différemment des autres Djerbiens (en particulier les femmes)[note 7]. Dans son livre intituléDjerba, l'île des Lotophages,Salah-Eddine Tlatli dresse le tableau d'une cohabitation paisible entre des communautés cloisonnées :
« Ainsi, dans cette île-carrefour, les populations berbères, judéo-berbères, arabes, africaines islamisées, nègres, quelques Turcs et même de vieux pêcheurs maltais se sont donné rendez-vous et ont vécu en bons termes mais sans se mélanger. La barrière religieuse, malgré la proximité des races, a constitué un obstacle quasi-infranchissable et les mariages, par leur caractère endogamique, ont permis de maintenir une certaine homogénéité ethnique[102]. »
Reprenant la classification de la population de Berbérie orientale dressée au début duXXe siècle parLucien Bertholon etErnest Chantre[103],Charles-André Julien parle du type de Djerba comme de« petite taille,brachycéphale, mésorhinien, à cheveux bruns, yeux foncés, peaubistre et pigment jaunâtre »[104]. Quant à Salah-Eddine Tlatli[105], citant Bertholon, il dépeint les« caractères ethniques » des Djerbiens« qui définissent un type humain à part en Afrique du Nord [...] La forme de leur crâne et leur taille : un crâne globuleux, massif, laissant à découvert un front bombé, limité par d'épais sourcils et des bosses pariétales accusées [...] Le corps est assez petit, trapu, musclé, avec de larges épaules [...] contraste avec les populations voisines. Les israélites ont des crânes plus allongés d'où la conclusion qu'il ne s'agit pas de Djerbiens judaïsés »[106]. Sur ce dernier point, plusieurs études génétiques menées sur la population de l'île[107],[108],[109] concluent dans le même sens en montrant que le patrimoine génétique des Juifs de Djerba se distingue nettement de celui de leurs voisins arabes et berbères. Les résultats indiquent en revanche« une très faible différenciation génétique entre les échantillons arabe et berbère qui peuvent être considérés, d'un point de vue génétique, comme une seule population »[108].
La population nombreuse et l'insuffisance des ressources locales, à l'origine de crises liées le plus souvent à de mauvaisesrécoltes, ont contribué à la mise en place d'unprocessus migratoire initialement saisonnier et temporaire, mais devenu petit à petit structurel et définitif[60]. La grande majorité des Djerbiens qui quittent leur île travaillent dans lecommerce en raison de la position stratégique de leur lieu d'origine. Même si la plupart d'entre eux restent dans un premier temps en Tunisie, où ils détiennent une position dominante dans le commerce alimentaire et de détail[60], depuis les réformes du ministreAhmed Ben Salah dans lesannées 1960, qui ont regroupé le commerce de détail encoopératives, les Djerbiens émigrent majoritairement enEurope et plus spécifiquement dans l'agglomérationparisienne[60],[53]. L'argent rapatrié par les Djerbiens vivant à l'étranger joue un rôle important dans l'économie de l'île[53]. En sens inverse, la migration sur l'île des Tunisiens du continent (majoritairement originaires des gouvernorats du sud et du centre-ouest du pays) s'est progressivement accrue et ceux-ci représentent désormais près de 45 % des habitants et 60 % des actifs[60]. Dans ce contexte, ils concurrencent progressivement les natifs de Djerba sur lemarché de l'emploi insulaire.
Compte tenu de l'espace limité, des maigres ressources de l'île et de la rigueur du rite ibadite, la tradition populaire veut que le Djerbien soit généralement connu comme un travailleur discipliné, rigoureux, parcimonieux[65] et bon gestionnaire, de caractère plutôt réservé, calme et poli. Dans les familles ibadites, le fils même adulte ne fumait pas devant ses parents et la grand-mère gérait la famille d'une main de fer, ses fils, belles-filles et petits-enfants lui devant obéissance. Frères et associés allaient faire du commerce à l'extérieur de l'île à tour de rôle[110] afin que quelques hommes adultes restent travailler la terre avec les femmes, les enfants et les hommes âgés[111].
C'est l'islamsunnite deritemalékite qui prédomine en Tunisie, bien qu'il existe une petite communauté pratiquant le rite sunnitehanéfite[112]. Tel n'est guère le cas à Djerba où une grande partie de la population berbère se rattache à l'ibadisme, une branche dukharidjisme. L'islam kharidjite refuse aux hommes, même aucalife, le droit d'interpréter les textes sacrés et préconise, outre un strict respect de ceux-ci, une vie sobre et une égalité parfaite entre tous les musulmans[22] :
« Le kharijisme a subsisté dans deux communautés berbères auMzab en Algérie et à Djerba, ils ne sont jamais entrés en lutte ouverte avec les orthodoxes qui les entourent[113]. »
En fait, il a existé deux groupes d'ibadites rivaux à Djerba : lesWahbiya (partisans du souverainrostémide de confession ibadite `Abd al-Wahhab) et lesNakkara (dont la plus grande partie s'est finalement convertie au malékisme[114]) se sont affrontés entre lesVIIIe et XIVe siècles pour la domination de l'île[115].
Mosquée des Turcs à Houmt Souk.
Cette distinction n'est plus effective de nos jours et les appellations « wahabites » (deWahbiya) et « ibadites » se confondent. Les ibadites de Djerba, rétifs au pouvoir central dubey, affirmaient leur autonomie en formant des alliances avec ceux deTripolitaine et du sud de l'Algérie (Ghardaïa). Fréquemment, ils refusaient le paiement des impôts et se soulevaient. Aussi l'introduction du sunnisme et du rite malékite sur l'île a-t-elle été encouragée par le pouvoir beylical, d'abord dans la localité de Houmt Souk au travers de l'action d'érudits et de théologiens venus de l'extérieur de l'île, comme Sidi Bouakkazine, Sidi Aloulou, Sidi Brahim El Jemni ou Sidi Abou Baker Ezzitouni[116]. Ceci pourrait expliquer l'existence d'un certain antagonisme entre habitants ibadites d'identité berbère et habitants de rite malékite[117]. En pratique, il existe entre eux quelques différences dans le rituel de laprière[115],[80].
L'île abrite également une petitecommunauté juive qui comptait autrefois plusieurs dizaines de milliers d'individus, spécialisés en majorité dans desmétiers artisanaux (bijouterie, cordonnerie, couture, etc.) mais pratiquant également le commerce. Elle y vit depuis des siècles en bonne entente avec la majoritémusulmane malgré le déclin démographique engendré par l'émigration vers Israël dès et vers laFrance après (indépendance de la Tunisie), (crise de Bizerte) et (guerre des Six Jours). Lasynagogue de la Ghriba, située dans le village d'Erriadh (Hara Sghira, à neuf kilomètres au sud de Houmt Souk), est très ancienne et très célèbre. D'après lesrabbins djerbiens,« les Juifs arrivés sur l'île auraient apporté avec eux certains manuscrits desTables de la Loi qu'ils auraient sauvé des ruines duTemple de Jérusalem détruit parNabuchodonosor et même certaines pierres du Temple sur lesquelles ils auraient bâti le sanctuaire »[118]. Cette synagogue attire tous les ans, trois semaines après laPâque juive, des pèlerins venus du monde entier mais surtout d'Europe et d'Afrique du Nord, qui« transportent en procession sur leurs épaules, hors de la synagogue, les Tables de la Loi, sous un lourdbaldaquin multicolore qu'ils promènent »[118] aux alentours. Plusieurs autres petites synagogues se trouvent à la Hara Kbira, principal quartier juif de l'île situé à Houmt Souk.
Lasuperstition et ses mystères, comme les méfaits de l'envie et lemauvais œil d'origineberbère font l'objet d'un grand nombre decroyances populaires[121] longtemps répandues sur l'île, comme dans le reste de la Tunisie. Certaines portent sur les jours et les nombres : ainsi les Djerbiens ont longtemps considéré le mercredi comme une journée néfaste pendant laquelle il ne fallait rien entreprendre, pas même unmariage ou la visite d'un malade. Lechiffre cinq et ses multiples sont prononcés pour éloigner le mauvais sort ou les influences négatives, d'où la popularité de lakhamsa ou main de Fatima[122]. Le septième jour est quant à lui un jour faste célébré après une naissance ou un mariage, de même que le quarantième jour après une naissance ou un décès. D'autres croyances sont bien vivaces : il se dit toujours que cela porte malheur de compter les gens et que superposer seschaussures en les enlevant ou en les rangeant est un signe précurseur de voyage ; si en revanche, les chaussures se renversent, il faut tout de suite les retourner sinonSatan (echitan) fait sa prière dessus.
De nombreuses croyances sont liées à la nourriture. Lepoisson est considéré comme unporte-bonheur et une protection contre le mauvais œil[123] : de même que lakhamsa il est représenté sur les bijoux[122] et utilisé couramment dans la décoration des intérieurs ; un petit bijou représentant un poisson est accroché presque systématiquement aux habits des nouveau-nés. Naguère, lepain, vénéré, n'était jamais jeté avec les ordures : si l'on devait en laisser un morceau, il fallait d'abord l'embrasser puis le poser dans un endroit propre, de préférence surélevé, afin qu'un pauvre ou un animal pût le trouver propre ; on racontait qu'en observant lalune, on pouvait y voir une femme pendue par lespaupières pour avoir touché son enfant avec un morceau de pain.
Croyances et légendes peuvent souvent paraître le résultat d'une sagesse populaire soucieuse de préserver l'honneur et la paix des familles. Ainsi, on trouvait encore dans les années 1950-1960 des cas de disparitions attribués à unekhiala, comme celle de Hammam El Ghoula[124],fantôme d'une très belle femme qui apparaît à ses victimes, les ensorcelle et les emporte pour les libérer sains et saufs après un ou plusieurs jours, en principe sans aucun souvenir. Était-ce une façon de justifier des fugues ? De même, l'expatriation massive des hommes de Djerba laisse comprendre que pendant des générations ils aient continué d'admettre qu'unfœtus puisse être porté par la mère pendant plusieurs années et naître en l'absence du père (erraged)[111]. On croyait également que les âmes des morts rôdaient autour descimetières durant la nuit et pendant les heures les plus chaudes de la journée. C'est pendant ces mêmes heures, racontait-on aux enfants, qu'une vieille et méchante femme (azouzat el gaila) attrapait ceux qu'elle trouvait dans la rue et les dévorait. Les enfants étaient également terrifiés à l'idée d'être attrapés par l'un de ces « messieurs » à la recherche de victimes porteuses de signes particuliers, dont le sacrifice leur permettrait de trouver un trésor enfoui.
Jemaâ Sidi Salem Essatouri.
Des légendes entourent certainesmosquées comme Sidi Zitouni — appelé aussiKoubet El Kheiel, « dôme du fantôme »[116] — et Jemaâ El Guellal àHoumt Souk, mais aussi Sidi Zikri[125] et bien d'autres. On raconte ainsi que Sidi Satouri, paysan modeste, possédait un lopin de terre isolé et difficile à travailler. Après une journée de dur labeur, il s'arrête en pleine route pour faire sa prière lorsqu'un riche cortège de mariage tente de l'interrompre, en vain. Sa prière achevée, il se rend compte que le cortège a été pétrifié sur place[126]. De retour au village, il raconte son aventure aux villageois qui, incrédules, se rendent sur place et, voyant le cortège transformé en pierres, considèrent Sidi Satouri comme unsaint et édifient sur le lieu de son aventure une mosquée qui porte son nom, Jemaâ Sidi Salem Essatouri[22].
La légende des Sallaouta, installés dans la région deMezraya, raconte que ceux-ci décidèrent de construire une mosquée, choisirent l'emplacement et commencèrent à en creuser les fondations. Le lendemain, revenant vers leur chantier, ils aperçurent sur une hauteur un pilier enmarbre de douzepans qu'aucune main humaine n'aurait pu placer à cet endroit. Ils virent là un signe divin, ajoutèrent trois colonnes de pierre et du mortier et bâtirent la mosquée appelée Jemaâ Sellaouati[22].
Beaucoup d'autres croyances sont associées à de saints personnages comme Lalla Thala qui guérirait dutrachome et aiderait à trouver l'âme sœur[127], Sidi Marcil (saint Marcel) qui soignerait la stérilité des femmes[90] ou Maamouret Aghir qui guérirait les maladies de la peau et rapprocherait les amoureux séparés[89].
Djerba possède des traditions d'une grande richesse[128] : la multitude des bijoux[129] (longtemps le métier de bijoutier fut l'exclusivité des Djerbiens juifs) et des costumes traditionnels, jusqu'auxchapeaux caractéristiques de certains villages commeGuellala etSedouikech[130], une gastronomie variant d'un lieu à l'autre et les particularités de sa musique (longtemps exécutée par des musiciens et chanteurs en majorité noirs[131]) sont à l'image de la diversité de la population de l'île, de ses langues et de ses rites.
Plusieurs traditions entourent les temps forts ducalendrier musulman et tout particulièrement leramadan. Ainsi, chez certains Djerbiensibadites la jeune fille quijeûne pour la première fois (en principe dès lapuberté) est reçue à dîner pendant tout le mois par ses parents et amis et reçoit des cadeaux destinés à sontrousseau de mariage (coupons de tissu, draps, etc.).
Certaines coutumes font intervenir deux personnages traditionnels, en général incarnés par des Djerbiens noirs. Le premier, letengam, a pour rôle de réveiller les habitants pendant les nuits du ramadan, pour le dernier repas avant le début du jeûne quotidien. Il y a sur l'île plusieurstengam qui sillonnent les villages et vont de maison en maison en battant leurtabl et en chantantgoumou le s'hourkoum. Le quinzième jour de ce même mois, les Djerbiens les attendent pour leur offrirzlabias etf'tair (largesbeignets). Ils repassent le jour de l'Aïd el-Fitr pour recevoir de l'argent[note 8].
Quant au second, appeléboussadia[note 9], c'est un personnage typiquement africain portant masque et peaux d'animaux ornées de petits miroirs et de rubans multicolores. Il passe de maison en maison, souvent accompagné d'un enfant habillé comme lui, pour chanter et danser au son de petitescymbales en fer de forme ovale. Ce spectacle constitue une distraction pour laquelle les gens lui offrent de l'argent. Entre les années 1960 et 1990, leboussadia est devenu une attraction plus touristique que populaire mais la situation évolue et ce personnage réapparait de plus en plus devant les maisons.
Certaines traditions ont pratiquement disparu, comme celle desmoussem, journées qui revenaient plusieurs fois par an et au cours desquelles on se devait de porter un repas de viande ou de poisson aux mosquées[132] ou aux voisins les plus pauvres. D'autres se maintiennent, parmi lesquelles la plus connue est le mariage traditionnel.
La gastronomie djerbienne plutôt frugale varie toutefois d'une localité à l'autre, même si lacuisson à la vapeur qui aurait déjà eu la préférence des anciensBerbères y prédomine. Ainsi, pour le couscous djerbien, lasemoule est-elle cuite à la vapeur de même que le poisson ou laviande et les légumes assaisonnés d'épices[133]. On utilise alors uncouscoussier enterre cuite à deux étages, typique de l'île, appelékeskess bou rouhine. Leriz djerbien est également cuit à la vapeur : viande,foie et légumes sont émincés, assaisonnés et mélangés au riz légèrement trempé à l'avance, l'ensemble étant ensuite cuit à la vapeur. Plusieurs variétés de farines decéréales et delégumes secs (orge, sorgho,blé, lentilles,pois chiches, fenugrec, etc.) assaisonnées d'épices et d'herbes appeléesbsissa sont préparées et conservées pour être consommées naturelles, salées ou sucrées avec de l'huile d'olive, des fruits ou légumes frais, desdattes ou desfigues séchées.
Les Djerbiens sont aussi friands de poissons, depoulpes (frais ou séchés[137]), deseiches et decalmars ; ces derniers farcis d'herbes permettent de préparer un plat de couscous ou de riz. Lesouzaf[133],[138] constituent uncondiment de choix, en particulier dans la préparation dumchelouech bil ouzaf[139] et dumesfouf djerbien (couscous peu arrosé de sauce, bien épicé et riche en herbes dont leyazoul ougazoul)[note 10] ou dus'der (soupe de semoule).
Le séchage de la viande est pratiqué sur toute l'île : la viande coupée en tranches fines (kadid) est assaisonnée desel et enduite d'huile (afin d'en éloigner lesmouches), séchée ausoleil puis bouillie dans l'huile d'olive (m'selli), conservée (d'hane) et utilisée pour la préparation de plats typiques[140]. Laglaia, viande cuite conservée dans de lagraisse de mouton et assaisonnée decurcuma, de sel et depoivre, peut également se conserver pendant un ou deux mois ; elle s'accommode notamment avec destomates, poivrons etœufs et se mange avec du pain ou une bouillie épaisse de farine d'orge (bazine ouiche) ou de blé (assida).
Lapâtisserie traditionnelle djerbienne est quant à elle relativement pauvre. Les boissons typiques sont lelegmi (sève de palmier qui se transforme envin de palme dans la journée compte tenu d'unefermentation naturelle très rapide) et lel'ban (lait fermenté oupetit-lait). Lethé vert à lamenthe ou lethé noir parfumé aux feuilles d'une variété degéranium (atr'cha) se boit bien sucré, aussi bien après qu'entre les repas.
La musique djerbienne traditionnelle se fonde essentiellement sur lespercussions avec ladarbouka (petit instrument utilisé par les hommes et les femmes) et letabl[141] (grand tambour cylindrique lourd à porter, utilisé exclusivement par les hommes[note 11]) ainsi qu'uninstrument à vent autrefois nomméghita et de plus en plus appelézoukra ouzurna, utilisé uniquement par les hommes. Les rythmes sont généralement lents et mélodieux ; l'un d'entre eux, lachala, est spécifique à l'île[142]. Lemezoued a été introduit sur l'île plus récemment, avec notamment les chanteurs Hbib Jbali et Mahfoudh Tanish.
Groupe de musiciens djerbiens.
Le chant à thème occupe une place de choix : les chansons racontent généralement une histoire romantique, le plus souvent triste et nostalgique ; les paroles sont parfois osées, surtout lorsqu'il s'agit d'histoires d'amour. Beaucoup de paroliers sont des femmes, ce qui pourrait s'expliquer par le fait que traditionnellement, alors que l'homme s'expatriait pour faire du commerce, la femme restait sur l'île, loin de son conjoint, pour s'occuper de la terre, des enfants et des personnes âgées.
Le rythme de la danse folklorique djerbienne est différent de celui de la plupart des autres danses folkloriques tunisiennes ; il est plutôt lent et se danse généralement les pieds à plat sur le sol alors qu'ailleurs en Tunisie le rythme est souvent rapide et se danse en demi-pointes. Legougou, danse folklorique de la communauté d'originesubsaharienne présente dans l'île depuis plusieurs générations[131] et qui dispose de son propre patron (Sidi Sâad), s'effectue quant à lui avec des bâtons et accompagné de chants et de tabl, commençant par un rythme lent qui s'accélère progressivement pour finir par des mouvements endiablés[143].
Les distractions étant rares, lesmariages, qui se célèbrent surtout en été, sont attendus en particulier chez les malékites pour lesquels ils sont une occasion de défoulement, notamment pour les femmes. Chez les Djerbiens de rite ibadite, les mariages sont plus austères, souvent sans danse, voire sans musique[144]. Jusqu'à récemment, les différents groupes ethniques et religieux ne se mariaient pas entre eux alors que leurs relations étaient affables : le mariageendogame a été pendant des siècles le plus commun sur l'île et le reste toujours dans les campagnes[140].
Hejba.Mains d'une mariée djerbienne.
Le mariage traditionnel se célèbre sur plusieurs jours et compte plusieurs cérémonies[145],[146]. Dans la ville de Houmt Souk, lahejba est la première d'entre elles : c'est alors que ladot est remise au père de la mariée. Le paiement d'une dot par le futur époux ou sa famille à celle de la future épouse est l'une des conditions du mariage musulman. AuMoyen-Orient, elle comprend deux parties : l'une payée au moment du mariage, appeléemokkadam, et l'autre appeléemoakhar, la plus importante et payée en cas dedivorce.
En Tunisie au contraire, la dot est normalement payée en entier au moment du mariage ; à Djerba, elle sert pour préparer le trousseau de la mariée (vêtements et linge, couvertures de laine et matelas notamment). Elle est d'autant plus élevée que la jeune fille est jolie et issue d'une famille importante[147].
Après l'indépendance de la Tunisie en1956, une grande campagne a été menée pour réduire la dot à une somme symbolique et, au début desannées 1960, des Djerbiennes se marient avec une dot symbolique d'undinar. À partir de lahejba, la future mariée cesse de sortir de chez elle pendant un certain temps (une semaine à un mois, voire plus), en grande partie pour se protéger du Soleil[148], la peau blanche étant l'un des principaux critères de beauté à Djerba. Par ailleurs, plusieurszaouïas sont visitées, où des bougies sont allumées.
Mais c'est durant la semaine même du mariage que cérémonies et festivités se multiplient. Les familles des futurs époux organisent des festivités séparées et ce n'est qu'à l'aube de la septième journée qu'elles se rencontrent pour fêter ensemble le dernier jour, traditionnellement un vendredi. Les cérémonies pour femmes sont animées par des musiciennes et, en général, les hommes n'y accèdent pas. En revanche, les femmes, autrefois majoritairementvoilées, peuvent accéder aux soirées musicales organisées pour les hommes. En plus des musiciens locaux, jadis noirs le plus souvent[141], les Djerbiens font appel à ceux des îlesKerkennah, dont le folklore est proche du leur[149], et parfois à ceux deGhomrassen, appeléstoualeb. Les invités apportent en cadeau des œufs frais[note 12] et de l'argent aux mères des futurs époux. Note est prise de ces cadeaux — que l'on appellehourem ouhaouram — afin qu'au moins l'équivalent soit offert en retour.
ÀHoumt Souk, à l'occasion du premier des sept jours du mariage, les invitations (tahdhir) sont lancées par l'intermédiaire de « dames de compagnie » (haddharat) habillées, maquillées et parées debijoux ; les familles visitées leur offrent à manger ainsi que de l'argent. Ce même jour, lazammita[150],[151] du mariage est préparée au son de chants traditionnels et deyouyous.
Marié célébré par ses amis le soir de lahenna kbira.
D'autres festivités suivent, dont lahenna sghira, le quatrième jour du mariage : des enfants de familles proches, habillés en adultes (les fillettes maquillées et parées de bijoux traditionnels), sont reçus par les parents de la future mariée ; ils apportent, dissimulée dans duhenné en feuilles, une bague qu'un petit garçon enfile à l'annulaire de la jeune fille. Sa famille leur offre à manger, ainsi que des cadeaux et des œufs durs colorés. La soirée est dédiée à la cérémonie de latatrifa : après les chants et les danses, une proche parente du futur marié applique du henné à sa promise, au rythme de chants traditionnels et de youyous et à la lumière de bougies tenues par de jeunes épouses (appeléessaddarat), parées d'habits et de bijoux réservés aux mariées.
Le lendemain soir a lieu lahenna kbira. Chez le futur marié, unyahni[note 13] est servi aux invités. Des cadeaux sont envoyés à sa future épouse : un couffin de produits de maquillage traditionnels (gouffat el henna), de l'encens, des bijoux, unr'dé[note 14] qu'elle portera pour lajeloua et unbeskri[note 15] sont amenés, en principe, àcheval par un homme adulte, de préférence noir, accompagné de proches parentes du futur marié. Pendant ce temps, celui-ci se laisse habiller par ses amis à la lumière des bougies et au son de la musique.
Une cérémonie particulière à l'île et qui aurait des originespaïennes, laberboura, a alors lieu : le futur époux, abrité par unbeskri et accompagné de ses proches parentes et de ses amis, rend une visite rituelle à un olivier d'où il détache un rameau avec lequel il frappe symboliquement les célibataires présents[152]. Le jour suivant, le contrat de mariage est signé et une cérémonie de coiffure, lebambar, a lieu chez la mariée. Par le passé, sur ses cheveux coiffés en fines tresses rassemblées en deux tresses principales tombant le long du visage, des pièces d'or rondes appeléesmahboub[153],[154] étaient appliquées[155]. Avant lebambar, les parents de la mariée offrent unyahni à leurs invités. Après une soirée de musique et de danse, la mariée est portée chez son mari à dos dechameau, dans lajehfa (sorte debaldaquin orné de tentures)[156], accompagnée de ses invités et de musiciens en costume traditionnel dansant et jouant dutabl et de laghita[141], suivie de son trousseau porté par d'autres chameaux[157],[158]. Unefantasia (course de chevaux) est parfois organisée lors du parcours[159], ou un spectacle dezgara, danse-combat entre deux hommes armés desabres. Dans certaines localités, la mariée ne doit arriver chez son époux qu'à l'aube pour ledkhoul (la nuit de noces). Les deux époux se partagent un œuf dur et une jarre est brisée quand ils s'isolent. Dans certains villages ce moment est précédé du rituel duderdek : la mariée entrée dans la chambre à coucher pousse la porte pour empêcher le marié de l'y rejoindre.
Mariée durant la cérémonie de lajeloua.
Lajeloua a lieu le lendemain et consiste en un après-midi de chants et de danses animé par des musiciennes traditionnelles, en majorité noires, appeléeschouachan. En fin d'après-midi, habillée enr'dé, parée de bijoux[note 16] et le visage couvert d'un grand foulard, leboundi[note 17], la mariée est portée sur un coffre (autrefois réservé à son trousseau) par son frère aîné. Face au soleil se déroule alors un rituel au cours duquel son visage est montré par intervalles aux invités par lazaiana (la maquilleuse, en principe noire) qui baisse et soulève leboundi au rythme des youyous, la nouvelle épouse gardant les yeux fermés. Pièces demonnaie etbonbons sont lancés par les frères et oncles de la mariée qui se succèdent à sa gauche sur le coffre, alors que lazaiana se tient à sa droite. Le tout s'achève au coucher du soleil, lorsque le marié tourne sept fois leboundi sur la tête de sa femme puis le retourne sur l'autre face. Le troisième jour après le mariage (ethalath), les parents de la mariée rendent visite à leur fille. Le contenu d'un grand couffin de fruits secs et de bonbons typiques de l'île[160] (gouffat ezraraa) est partagé entre les deux familles. La dernière cérémonie (essboua) a lieu quatre jours après. La mariée peut alors attacher pour la première fois sonbeskri avec une broche centrale, au lieu des deux qu'elle a portées sur les côtés depuis le commencement du mariage. Elle enjambe un récipient contenant dupoisson frais et travaille lasemoule pour lecouscous au poisson (cousksi el khouatem) qui sera offert aux invités (rappelons qu'à Djerba le poisson conjure lemauvais œil[123]).
Ce jour-là, le marié invite les parents et amis masculins qui auront le droit de rencontrer sa femme à l'avenir. Ceux-ci baisent la main de la mariée et lui offrent de l'argent.
Les Djerbiens ont entretenu avec leur environnement des rapports spécifiques avant l'essor touristique et le revirement que vit l'île depuis la fin duxxe siècle.
Les centaines de milliers depalmiers dattiers de l'île représentent un élément très important pour la population qui en utilise toutes les parties[161],[162] : lespalmes sont employées envannerie[note 18] et pour les barrières despêcheries fixes[163]. Leur partie supérieure sert aussi debalai[note 19]. La nervure (ou rachis) des palmes encore vertes, leur partie dure, est utilisée pour fabriquer unjeu de société appelésigue[note 20] ainsi qu'à la confection debrochettes pour lesbarbecues. Cette nervure est également employée par les pêcheurs pour la confection des nasses[164]. Lorsqu'elles sont sèches, les palmes servent decombustible : la partie terminale, qui brûle rapidement, est utilisée pour faire partir le feu et la partie proche du stipe comme bois de combustion. Les palmes entières entraient dans la construction des enclos pour animaux (zriba), des huttes qui servaient autrefois d'habitation aux plus pauvres ou comme abris pour lescuisines externes[68] et lestoilettes, voire deskhoss où les habitants se réunissaient[165]. Elles sont employées à présent pour faire desparasols sur lesplages.
Le tronc du palmier coupé en deux dans le sens de la longueur (sannour) est utilisable pour lacharpente du menzel et constitue la plupart des poutres des anciennes habitations et des ateliers de tissage[70],[65]. Il servait aussi à la fabrication de certains instruments des vieux pressoirs à huile. Les régimes, une fois débarrassés des fruits qu'ils portent, sont utilisés comme balais pour les cours sablonneuses et les alentours du menzel. Ils sont également employés par les pêcheurs pour confectionner des cordages et enfiler lepoisson vendu à la criée. Lecœur de palmier, appeléjammar, constitue un entremets et la sève (legmi) est bue fraîche le matin ou fermentée, commevin de palme.
Lesdattes, dont l'île produit plusieurs variétés, sont consommées aussi bien fraîches que séchées. On en fait également desconfitures, on les farcit depâte d'amande et on les utilise elles-mêmes pour farcir des gâteaux comme lemakroud. Elles constituaient un élément fondamental dans le régime alimentaire des Djerbiens. Les habitants de confession juive les utilisent en outre pour la fabrication d'unalcool appeléboukha (qui se fait aussi à partir defigues)[166]. Leurs noyaux étaient concassés et utilisés dans l'alimentation deschameaux. L'ensemble de ces utilisations explique le nom donné au palmier dans le parler berbère de Djerba :taghalett, qui signifie « la précieuse »[167].
La place qu'occupe l'olivier, connu à Djerba depuis des millénaires[168], n'est guère moindre et desrites (berboura) sont encore célébrés autour de lui pendant les cérémonies demariage aussi bien que decirconcision[152]. Tout comme pour le palmier, les Djerbiens font un usage multiple de toutes les parties de l'arbre : les fruits sont utilisés pour l'extraction de l'huile d'olive qui sert dans l'alimentation et lacosmétique (en particulier pour le soin descheveux) ainsi que dans lapharmacologie traditionnelle. Par ailleurs, lorsque les Djerbiens visitent leszaouïas, ils font souvent des offrandes d'huile d'olive. Elle était aussi employée pour l'éclairage (mosbah oulampes à huile) et pour allumer le feu (f'tilat zit oumèche).
Huiles usagées et déchets d'huile servaient pour la confection desavon artisanal[169]. Lesolives sont aussi conservées pour usage alimentaire — plusieurs procédés sont utilisés dont le séchage, la salaison et la saumure — et les noyaux broyés et utilisés dans l'alimentation dubétail, en même temps que les restes des olives pressées. Les feuilles de l'olivier (ainsi que celles des autres arbres fruitiers) sont séchées et servent également à l'alimentation du bétail[63], en particulier deschèvres et desmoutons[63]. Les Djerbiens en font aussi un usage médicinal (notamment destisanes contre lediabète). Les branchages secs sont utilisés comme combustible et les troncs pour la confection d'objets en bois d'olivier.
L'orge constituait l'aliment de base des Djerbiens, sous diverses formes :zammita (poudre d'orge aromatisée),malthoutha (couscous d'orge),kesra (galettes d'orge),bazine (pudding d'orge),h'sou (soupe defarine d'orge),d'chicha,pain,crêpes et gâteaux d'orge sont consommés sur l'île depuis des millénaires. Lapaille est utilisée pour l'alimentation du bétail qui peut avoir exceptionnellement droit au grain, par exemple pour engraisser le mouton de l'Aïd al-Adha. Legrenadier est aussi une ressource végétale familière aux habitants de Djerba qui utilisent son fruit en totalité, y compris l'écorce employée autannage des peaux. Les feuilles servaient pour l'alimentation du bétail et les branchages secs comme combustible.
Les Djerbiens ne jetaient presque rien : les épluchures defigues de Barbarie, demelons, depastèques, decourges ainsi que celles deslégumes avec leurs feuilles (carottes ouradis) étaient coupées en petits morceaux et utilisées pour l'alimentation du bétail. Lespépins non consommés par les humains — les Djerbiens sont friands de ceux de courge et detournesol — sont aussi donnés aux animaux. Lesroses, certainsgéraniums (atr'cha) et lesfleurs d'oranger sont distillés et utilisés en cuisine, surtout dans lesdesserts, ainsi que par la cosmétique ou la pharmacologie traditionnelles. Lesécorces d'oranges sont quant à elles séchées, pilées et utilisées pour aromatisercafé et gâteaux. Ainsi les Djerbiens opéraient-ils unrecyclage systématique des restes ménagers, les quelques déchets non utilisables étant déposés dans une grosse fosse creusée à l'extrémité duchamp ou duverger et couverte de sable une fois remplie.
Pour l'alimentation de leurs animaux, les Djerbiens ramassaient l'herbe duprintemps, la conservaient pour la saison sèche[63] et broyaient et traitaient tous les restes alimentaires difficiles à consommer tels quels. Tous les branchages secs, voire lescrottes de chameaux, étaient systématiquement ramassés, conservés et utilisés comme combustible. Les restes de linge et habits usés étaient coupés dans le sens de la longueur et utilisés pour la fabrication de nattes (klim ch'laleg). Les écorces d'amandes servaient pour la fabrication d'uneteinture traditionnelle pour cheveux (mardouma). Les restes depapiers (journaux, vieux cahiers, etc.) étaient vendus au poids. Lavaisselle se faisait avec l'eau du puits (en général saumâtre) et du sable, de l'argile ou une herbe grasse qui pousse spontanément, appeléegassoul. Lecuivre était nettoyé avec de lacendre et la peau decitrons pressés. L'eau de vaisselle servait pour arroser les grenadiers et autres plantes supportant l'eau saumâtre. Lekaolin et l'argile verte (disponibles à Guellala) étaient utilisés en cosmétique (bain de cheveux et masques pour visage et corps), de même que d'autres produits naturels comme lefenugrec, lemiel, la farine depois chiche, le blanc et le jaune d'œuf, l'huile d'amande, etc.
Jusqu'auxannées 1970, il était interdit d'introduire des bouteilles enplastique sur l'île et l'usage des sachets en plastique était rare, les Djerbiens se rendant au marché avec leurs couffins s'ils y allaient à pied et leurzembil s'ils y allaient à dos d'âne ou de mulet. Avec le tourisme, les bouteilles en plastique ont été autorisées et l'usage des sachets et emballages en plastique s'est généralisé, sans parler desboîtes de conserve en métal ou en plastique ; il est devenu commun de voir les bords de route jonchés de ce genre de déchets et ce même en pleine campagne. La structure même de l'habitat est en train de changer : on assiste à la transformation de Midoun en vraie ville et à la naissance d'autres agglomérations, comme Ouled Amor qui comptait à peine quelques maisons jusqu'auxannées 1980 et Sidi Zaid où il n'y avait pratiquement pas de constructions hormis lazaouïa. Des habitations et des locaux de commerce ont commencé à pousser comme des champignons le long des côtes qui n'étaient peuplées que de palmiers, cactus, agaves, aloès et figuiers de Barbarie. La composition de la population, l'habillement, le langage et les mœurs sont en train de changer.
Djerba organise plusieurs festivals tout au long de l'année. Ils sont notamment destinés à faire découvrir les multiples facettes de la société djerbienne.
Le Festival international Djerba Ulysse (juillet-août)[173] invite des musiciens et des groupes de théâtre et organise parallèlement des activités et des animations pour faire connaître et valoriser le patrimoine local. Dans le même but, le Festival de la poterie deGuellala propose un programme culturel qui permet de faire découvrir les créations des potiers de ce village, situé dans le Sud de l'île.
Le Festival des musiques des îles du monde et du film insulaire accueille des groupes de musiciens et de chanteurs venant de diverses îles à travers le monde ; des projections de films documentaires à caractère insulaire sont également au programme. Le comité culturel deHoumt Souk et la maison de la culture Férid-Ghazi organisent le Festival Farhat-Yamoun de théâtre et d'arts scéniques.
Le Festival de plongée et de voile traditionnelle, qui se tient chaque été dans la ville d'Ajim, est un événement à la fois culturel et sportif qui fait découvrir la méthode deplongée des pêcheurs d'éponges et organise des courses defelouques et d'autres compétitions de sports nautiques.
On peut mentionner également le Festival du film historique et mythologique (juillet-août), la régate deplanche à voile (septembre) et le Festival desmarionnettes (novembre)[173].
À partir de l'été 2014, sous l'impulsion deMehdi Ben Cheikh, les murs des maisons du village d'Erriadh sont recouverts de fresques réalisées par des artistes internationaux dans le cadre d'une manifestation d'art urbain baptiséeDjerbahood[176],[177],[178].
L'économie de Djerba est traditionnellement« mixte, fondée sur la complémentarité des ressources du sol, de la mer et de l'artisanat [...] l'agriculteur peut être pêcheur ou artisan une partie de l'année »[179] voire de la journée tout en étant commerçant[180]. Toutefois, le Djerbien est avant tout un commerçant prêt à quitter son île natale pour mener son activité commerciale. En effet, dès lesannées 1940, seuls 4 % de l'ensemble des négociants djerbiens sont installés sur l'île. René Stablo indique que parmi les« 6 444 musulmans se livrant au commerce, 6 198, soit 96 %, tiennent boutique dans le bassin méditerranéen depuis le littoral atlantique jusqu'aux rives du Bosphore [...] Ils sont épiciers, merciers, marchands de tissus, de couvertures, de chéchias, de poteries, cafetiers, coiffeurs, etc. »[181]. En, on a estimé à 1 067 412dinars tunisiens l'apport des Djerbiens vivant hors de l'île, soit 42 % de l'ensemble de la valeur des productions et services djerbiens, l'agriculture en représentant 17 %[8]. En, on situe l'apport des Djerbiens vivant à l'étranger entre 20 et 25 millions de dinars par an[182] alors que les ressources dérivées de l'agriculture ne représentent plus qu'entre 2 et 4 % des ressources globales de l'île, celles des activités touristiques se montant à 20 fois plus[110].
Djerba dispose d'une vingtaine de kilomètres deplagessablonneuses, situées surtout à l'extrémité orientale de l'île[7], qui ont pousséGustave Flaubert à la surnommer « l'île aux Sables d'Or ». Les plus belles se trouvent au nord-est (Sidi Hacchani, Sidi Mahrez et Sidi Bakkour), à l'est (entre Sidi Garrous et Aghir), au sud (près de Guellala) et à l'ouest (Sidi Jmour)[5]. Jusqu'au début desannées 1950, elles ne sont fréquentées que durant les visites (ziarra)[183] que les habitants rendent auxmarabouts[184]. Toutefois, avec l'arrivée duClub Med en et le développement dutourisme dès lesannées 1960 (construction du premierhôtel important en[7]), ces plages sont de plus en plus fréquentées. L'État tunisien est alors l'acteur principal par ses investissements comme par les avantages fiscaux et financiers consentis aux établissements touristiques[60] qui sont pour la plupart construits sur la côte orientale de l'île.
Vers, l'activité touristique prend des proportions insoupçonnables à l'origine[54] et, dans lesannées 1980, le tourisme prend véritablement son essor pour devenir la principale activité économique de l'île. Les espaces permettent la construction de grandes unités hôtelières dont le taux d'occupation moyen atteint 68 % en, plaçant Djerba en seconde position parmi les sites touristiques tunisiens[60].
En, le parc hôtelier offre 49 147 lits pour neuf millions de nuitées (8 300 lits en, 14 409 en 1987 et 39 000 en), répartis dans 135 hôtels (contre 48 en[7]) ; le taux de fidélité des clients (ceux qui y séjournent à plusieurs reprises) avoisine 45 %[185]. Le secteur emploie quelque 76 000 personnes[185], soit trois fois plus qu'en 1987, même si le nombre d'emplois directs ne correspond qu'à quelque 15 000 postes de travail souvent précaires car saisonniers[60].
En, la zone touristique s'étend sur plus de vingt kilomètres entre Aghir au sud et Houmt Souk au nord. Néanmoins, un grand nombre de lits n'est utilisé que durant l'été et les prix trop bas induits par laconcurrence ne permettant pas une bonne maintenance, le parc hôtelier vieillit, entraînant un tassement de la clientèle[60]. Pour maintenir et développer l'activité, les acteurs locaux sont favorables à un enrichissement de l'offre par la création d'activités nouvelles (terrain de golf,casino,musée,thalassothérapie ou encoreparc d'attractions). Parmi les activités disponibles figurent letennis ainsi que d'autres sports, tandis que plusieurs stations nautiques proposentski nautique,motomarine,parachute ascensionnel ou simplepédalo. Unbowling a ouvert ses portes non loin duterrain de golf.
L'économie de l'île repose également sur l'agriculture et son climat permet la culture de nombreuxoliviers, dont les familles d'agriculteurs récoltent les fruits enautomne, degrenadiers, depalmiers-dattiers[note 24], defiguiers, depommiers, d'amandiers, defiguiers de Barbarie aux fruits épineux, qui bordent routes et champs, de lavigne, delégumes et de certainescéréales. Les revenus des palmiers et des oliviers représentent à eux seuls 64 % du total des productions agricoles. On recense en, 497 000 oliviers, alors qu'il n'y en avait que 394 500 en, mais aussi 52 000 oliviers sauvages ouzabbous[186] qui, devenus à la mode, commencent à être arrachés pour être transplantés hors de l'île ; on trouve cependant encore des oliviers millénaires à Djerba[168].
Au sein du menzel, la famille a en général un ou deuxchiens de garde, un ou plusieurschats qui se chargent de protéger legrenier contre lessouris[68], quelquespoules pour lesœufs et laviande et quelques chèvres et moutons pour lelait, lepetit-lait (l'ban), le lait caillé (rayeb), lefromage (rigouta etjebna), la viande, lalaine ou les peaux. Elle possède aussi unâne ou unmulet et éventuellement unecharrette ainsi qu'un chameau pour le travail de la terre (labour etirrigation) et le transport des biens et des personnes.
Pommier deMezraya, connu pour son fort parfum.Puits actionné par un dromadaire.
S'il en a les moyens, le Djerbien possède unesenia,verger d'arbres fruitiers irrigué et clôturé mais ne comportant pas en général d'habitation. Le plus souvent cependant, il possède unjnan, verger non irrigué, unpotager et un champ pour produire ses proprescéréales (blé dans les zones d'eau douce, orge, sorgho et lentilles sur le reste de l'île). Un autre type d'exploitation agricole est lafrawa, plantée d'oliviers. Avant lesannées 1960, le Djerbien vivait souvent en autarcie presque totale et n'achetait aumarché que le minimum nécessaire : sel, sucre, thé et café[note 25], certaines épices et quelques autres articles.
Pour l'irrigation traditionnelle, c'est la canalisation diteseguia qui est utilisée : l'eau est déversée dans un grand bassin par undelou (outre en cuir) qui plonge dans le puits au moyen d'une corde tirée le plus souvent par un chameau[187], la course en pente de l'animal correspondant à la profondeur du puits[188] ; le champ est divisé en petits carrés (jadouel) délimités par destalus de sable (sarout) ; de petites ouvertures y sont pratiquées pour laisser passer l'eau ruisselant de laseguia[66]. Une fois lejadouel plein d'eau, l'ouverture est refermée et l'eau dirigée vers lejadouel suivant.
L'eau souterraine est le plus souvent saumâtre et ne permet que certaines cultures (orge, sorgho et lentilles) et la fertilité des champs dépend aussi bien de l'ardeur au travail du propriétaire et de sa famille que de la qualité (niveau de salinité) des eaux d'irrigation. Les champs sont le plus souvent délimités à l'extérieur par de hautes levées de terre appeléestabia, surmontées decactus ou de figuier de Barbarie, voire d'agave ou d'aloès. Elles servent certes à abriter les menzels des regards mais surtout à protéger les enclos contre l'érosion éolienne[189].
Vers, on comptait à Djerba 520 000 palmiers, 375 000 oliviers, 160 000 arbres fruitiers divers (pommiers, poiriers, figuiers, pêchers, orangers, citronniers, abricotiers, grenadiers, amandiers, etc.) et 650 000 pieds devigne. Il n'existait pas de vraipâturage et l'élevage était assez réduit[190]. En, 31 % de la population adulte vivait des activités agricoles, proportion tombée à 25 % en puis à 17 % en[191]. Ce taux est encore plus bas de nos jours. La culture sousserres en plastique et l'arrosage au goutte-à-goutte ont fait leur apparition de même que l'élevage devaches laitières (près de 500 en[63]).
Traditionnellement, les femmes de Djerba peuvent pratiquer l'agriculture et l'artisanat mais contrairement à celles des îlesKerkennah, elles ne participent jamais à la pêche qui est une spécialité des habitantsibadites de certains villages, d'Ajim àSedouikech. Une méthode assez particulière, lazriba oucharfia (pêcherie fixe)[135], est très pratiquée et il est commun de voir dans la mer, au nord et à l'ouest de l'île, des haies ou des cloisons depalmes enfoncées dans la vase des hauts fonds pour arrêter le poisson et le diriger vers lesnasses. En, environ 1 300 hommes (à peu près 10 % de la population adulte masculine) vivaient de la pêche en utilisant près de 600 barques et 130 pêcheries fixes. En, le nombre des barques était descendu à 507 unités et celui des pêcheries fixes à 85, pour 1 274 pêcheurs[193], alors qu'en, pour une quinzaine de pêcheries fixes, le nombre de pêcheurs s'établit à environ 2 470 personnes[194], soit une réduction sensible de leur part dans la population active si l'on considère l'accroissement démographique durant la période. Si 4 378 tonnes de poisson ont été commercialisées en, cette vente est tombée à environ 3 000 tonnes en[195]. Les embarcations les plus fréquentes sont lesloudes, à la blanche voilure grecque, utilisées pour la pêche du poisson, leskamakis àvoile latine de couleur rouge tirant sur l'orangé, lavergue fixée obliquement en son milieu à l'extrémité dumât unique et court, étant réservées aux pêcheurs d'éponge[196]. Toutefois des chalutiers ont fait leur apparition dans les hauts-fonds[164].
Afin d'assurer la sécurité des navires, plusieursphares s'élèvent le long des côtes de Djerba, dont le plus haut de l'île (et de l'Afrique du Nord) est une tour de 54 mètres construite sur une formation rocheuse haute de 20 mètres[197]. Situé à Taguermess, sur la côte nord-est de l'île, il surplombe unesebkha alimentée en eau de mer lors de lamarée haute. Construit vers, il possède unsémaphore d'une portée de 32milles marins[197].
Un deuxième phare, le premier installé sur Djerba, est celui de Borj Jilij, à la pointe nord-ouest de l'île, non loin de l'aéroport ; il est inauguré vers la fin duXVIe siècle à l'emplacement d'un ancien fortin dénommé par les Espagnols Tour de Valgarnera[198]. Un troisième phare se trouve à Aghir sur la côte sud-est. Il en existe plusieurs autres, dont ceux des ports d'Ajim et de Houmt Souk.
L'artisanat, en particulier le travail de lalaine, du lavage au cardage en passant par le filage et letissage[199], a depuis des générations joué un rôle primordial dans la vie économique et sociale de l'île et constitué une source de revenus importante pour les Djerbiens des deux sexes. L'architecture desateliers de tissage est typique de Djerba[200] : semi-enterrés afin de préserver l'humidité ainsi qu'une certaine température, ils se signalent par leur fronton triangulaire. On comptait en 428 ateliers et 2 524 tisserands, ce dernier nombre tombant à environ 1 600 en et 1299 en. S'y ajoutent les laveuses, cardeuses et fileuses de laine (en principe toujours des femmes) ainsi que lesteinturiers dont l'activité dans l'île remonte à l'époque punique[201]. La couverture djerbienne appeléefarracha oufarrachia était célèbre et recherchée. L'activité de tissage deshoulis encoton,laine ousoie naturelle ainsi que deskadrouns,k'baia,kachabia,wazras etburnous (habits masculins en laine) joue également un rôle important.
Lapoterie deGuellala remonte au moins à l'époque romaine. Ses productions sont principalement utilitaires mais peuvent aussi être décoratives. Parlant des potiers,Georges Duhamel écrit dans lesannées 1920 :
« J'ai cherché des poètes. J'ai trouvé des potiers. Nul métier ne fait mieux penser à Dieu, à Dieu qui forma l'homme du limon de la terre [...] Sur tous les chemins de Djerba, entre les remblais sablonneux, crêtés de petits agaves pourpres, circulent des chameaux, portant un faix énorme et vain : la grosse grappe de jarres sonores[202]... »
Labijouterie (or etargent) reste aussi une activité lucrative importante. Les bijoutiers de Houmt Souk excellent ainsi dans la production debijoux enargent émaillé ou à filigrane d'or[203]. Lavannerie — dont la matière première est constituée des jeunesfeuilles de palmiers — était également une source de revenu importante, en particulier pour les personnes âgées. Aujourd'hui, lessacs, couffins (koffa) etchapeaux (appelésm'dhalla oudhallala selon les villages) restent des articles vendus aussi bien aux habitants de l'île qu'aux touristes. Les artisans confectionnent aussi les cordages et les nasses des pêcheurs. La natterie (tissage dujonc) est également une activité présente sur l'île, surtout dans la localité de Fatou, non loin de Houmt Souk. La broderie, pratiquée presque exclusivement par des femmes, et en particulier celle des habits traditionnels, fait vivre encore de nos jours un nombre important de familles.
L'artisanat a pris des formes diverses et a connu un essor considérable avec le développement du tourisme, en particulier dans la fabrication destapis.
Chaussée romaine bitumée reliant Djerba au continent.
L'île est reliée du côté sud au continent par unpont de 7,5 kilomètres de long[7] et d'environ 10 mètres de large. Son tracé, qui remonterait à la fin duIIIe siècle av. J.-C., serait l'œuvre des Carthaginois. L'ouvrage est modifié par les Romains qui l'appellentpons zita et le percent à certains endroits pour y installer desfoulons[204]. Le pont (enarabeEl Kantara, qui est également le nom actuel de la localité où débute la chaussée) est submergé par la mer puis en grande partie détruit vers1551, lors des conflits entreDragut et les Espagnols.
Au cours des siècles, ungué appeléTrik Ejjmaal (route desdromadaires) est établi près des ruines de la chaussée romaine et sert au passage deschameliers. C'est sur son emplacement qu'a été construite en, puis améliorée en et à plusieurs reprises par la suite, la route qui rattache l'île au continent africain[205]. Cette voie, goudronnée pour la première fois sous leprotectorat français, permet également d'acheminer de l'eau douce. En effet l'île ne possède que de raressources, principalement localisées àMahboubine (où l'eau est pompée à 80 mètres de profondeur), Oued Ezz'bib et Oualegh. Les deuxpipelines qui parcourent la voie assurent ainsi un approvisionnement sans lequel le tourisme serait impensable[note 27]. Une autre liaison avec le continent est assurée à partir d'Ajim, au sud-ouest de l'île, par desbacs qui mènent au village de Jorf en une quinzaine de minutes.
Plusieurs routes goudronnées sillonnent l'île, dont unevoie rapide menant à l'aéroport, construite dans lesannées 2000. Le réseau detransports publics est plutôt limité et, en l'absence de véhicule personnel, letaxi reste le meilleur moyen de locomotion. Il est également possible de louer des vélos et des vélomoteurs, pratiques sur des distances limitées mais parfois dangereux compte tenu de l'étroitesse de la plupart des routes.
Aérogare de l'aéroport.
Unaéroport international relie l'île aux autresaéroports du pays et à la majorité des grandes destinations aériennes d'Europe et duMoyen-Orient. Cette infrastructure, ébauchée dans lesannées 1950 à la pointe nord-ouest de l'île à Mellita, est agrandie en, en vue de la mise en service d'une nouvelle gare de fret en[206], et voit sa capacité doubler en.
À côté des hôpitaux publics, plusieurs cliniques privées ont été construites au cours desannées 1990 et les établissements scolaires se sont multipliés. Un théâtre en plein air, construit en àHoumt Souk, abrite les grandes manifestations culturelles comme celles du Festival international Djerba Ulysse. Il existe plusieursstades de football, dont ceux de Houmt Souk, de Midoun et d'Ajim qui accueillent respectivement l'Association sportive de Djerba, l'Espoir sportif de Jerba Midoun et l'Union sportive de Djerba-Ajim. Djerba dispose également d'unterrain de golf situé non loin du complexe hôtelier Dar Djerba et du phare de Taguermess.
↑Également appelé « petite Syrte », par opposition augolfe de Syrte ou « grande Syrte » qui se trouve le long de la côte deLibye.
↑Depuis l'époque romaine, un pont a existé sur la chaussée à environ un kilomètre d'El Kantara (remplacé en 2006 par un pont moderne de 160 mètres de longueur). Ceci fait que Djerba est une île.
↑Ce genre de poteries était déjà utilisé par les Romains pour l'exportation de l'huile d'olive de Djerba vers Rome.
↑Les personnes aisées construisaient desfeskia destinées à l'usage des pauvres (ess'bil). Desfeskia et desmajen étaient aussi construits dans les mosquées et les zaouïas et des cordes étaient portées en offrande afin de permettre aux pauvres et aux personnes de passage d'accéder à l'eau potable.
↑Ainsi l'olivier se dittazemmourt, le palmiertaghla, la vignetizimourin, le figuiertametchif, l'orgetamzin, etc.
↑Lesmariages entre noirs et blancs étaient exceptionnels et restent encore rares même s'ils sont de plus en plus acceptés.
↑Cette communauté possède ses propres traditions (mariages traditionnels, célébration de l'Achoura, etc.), les hommes pratiquant principalement, par le passé, les métiers de boucher et de marchand de fruits et légumes.
↑Cette tradition est restée intacte. Le même personnage existe dans d'autres régions de Tunisie, où il est appelébout'bila, ainsi qu'en Égypte où on le nommemessaharati.
↑La légende populaire djerbienne raconte qu'un père noir, dont la fillette prénommée Saadia avait été enlevée, se mit à sa recherche déguisé et masqué, allant de village en village en chantant et dansant de façon à attirer les enfants dans l'espoir de retrouver la sienne parmi les petits spectateurs.
↑Le nom de cette herbe varie selon la localité et appartient à la famille de l'ail. Elle pousse à l'état naturel au printemps et se voit vendue au bord des routes, principalement par les enfants.
↑Ce même instrument existe ailleurs en Tunisie mais il est en général de dimensions plus réduites que le tabl djerbien.
↑Régulièrement utilisés tout au long du mariage, des œufs durs colorés sont notamment envoyés aux amis et connaissances pour annoncer le mariage.
↑Plat préparé à base de sauce tomate avec de la viande, des oignons, des pommes de terre, de la courge, des pois chiches et des raisins secs.
↑Houli spécial, confectionné avec des rubans de couleurs diverses à dominance rouge foncé, qui se transmet de mère en fille.
↑Habit traditionnel en coton tissé à la main et brodé de soie naturelle et de fil d'argent doré. Il est généralement de couleurbleu marine dans la zone de Midoun etbordeaux dans celle de Houmt Souk. Son coût peut facilement dépasser 500 dinars tunisiens.
↑Ces bijoux lui couvrent la tête, la poitrine, les mains et les avant-bras et s'accompagnent d'unkholkhal (gros bracelet) aux chevilles.
↑Le boundi est un grand foulard de couleur turquoise ou bleu ciel d'un côté, rose de l'autre et brodé de fil d'argent.
↑La partie la plus jeune et la plus souple est utilisée pour les chapeaux de femme traditionnels, qui peuvent atteindre des prix élevés pour le pouvoir d'achat local. Dans certains villages comme Guellala, ces chapeaux sont portés même le soir et peuvent être protégés par un foulard contre l'humidité nocturne. Les palmes permettent également la confection d'autres articles de vannerie comme les couffins et lescartables.
↑On superpose deux parties de palmes vertes avec lesquelles on balaie les surfaces en maçonnerie.
↑Il se joue particulièrement pendant la saison du pèlerinage à La Mecque.
↑Le bassin accueillant 400 spécimens ramenés de Madagascar et d'Afrique du Sud s'étend sur 20 000 m2.
↑Ouvert au trafic civil en 1970, il existait déjà sous le protectorat français comme aéroport militaire et a été constamment agrandi depuis.
↑L'île ne possédait qu'une soixantaine de kilomètres goudronnés avant 1960.
↑Lesr'tab,lemci etmatata sont des variétés appréciées par les Djerbiens et consommées principalement en saison alors que letemri est conservé et consommé tout au long de l'année.
↑Quand ses moyens ne lui permettaient pas de consommer du café pur, il le mélangeait avec des pois chiches ou de l'orge grillés, l'écorce d'orange pilée servant comme arôme.
↑Les Djerbiens ont plusieurs noms pour désigner les différentes espèces de mulets :bouri,ouraghi etmaazoul.
↑80 % de l'eau est destinée à la zone touristique contre seulement 20 % pour le reste de l'île.
↑« À Djerba, un membre de la garde nationale tunisienne ouvre le feu dans la synagogue de la Ghriba et fait quatre morts, dont un Français »,Le Monde,(ISSN0395-2037,lire en ligne, consulté le).
↑L'origine de Sidi Jmour remonterait à l'époque punique et celle de son nom à celui de la divinité carthaginoise de la mer, Aegemouri, selonTmarzizet 1997,p. 182.
↑(ar) Abderrahmane El Moudden,Abdelhamid Hénia et Abderrahim Benhadda,الكتابات التاريخية في المغارب: الهوية، الذاكرة والاسطوغرافيا [« Écritures de l'histoire du Maghreb : identité, mémoire et historiographie »], Rabat, Publications de la faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat,, 177 p.(ISBN978-9981-59-126-4),p. 47.
↑Ces Djerbiens noirs sont en grande partie les descendants d'anciens esclaves et portent généralement le nom des familles auxquelles appartenaient leurs ancêtres d'aprèsTmarzizet 1997,p. 75 et 83.
↑Il s'agit d'un plat constitué principalement d'orge grillé, de coriandre, d'anis vert et de fenouil moulu et dilué dans l'eau avec du sucre selonHabiba Naffati et Ambroise Queffélec, « Zommit, zommita, zemmita, zammita »,Le français en Afrique,no 18,,p. 429(lire en ligne[PDF], consulté le).
Ameur Oueslati, « Les îles de la côte orientale de la Tunisie : des caractéristiques de leur évolution géomorphologique récente et de leur intérêt pour l’étude géoarchéologique de l’évolution des paysages et de la vulnérabilité aux variations positives du niveau marin »,Dynamiques environnementales,no 38,,p. 188–211(ISSN1968-469X et2534-4358,DOI10.4000/dynenviron.746,lire en ligne, consulté le).
René Stablo,Les Djerbiens : une communauté arabo-berbère dans une île de l'Afrique française, Tunis, SAPI,, 164 p.(lire en ligne).
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