1973–1985
| Statut | République (De jure) Dictature militaire (De facto) |
|---|---|
| Capitale | Montevideo |
| Langue(s) | Espagnol |
| Monnaie | Peso uruguayen |
| 27 juin 1973 | Coup d'État |
|---|---|
| 1er mars 1985 | Transition à ladémocratie |
| 1973-1976 (Premier) | Juan María Bordaberry |
|---|---|
| 1981-1985 (Dernier) | Gregorio Álvarez |
Ladictature militaire de l'Uruguay commença avec le coup d'État du. Après l'échec duplébiscite de 1980, les militaires entamèrent une relative ouverture politique, qui conduit finalement aux premièresélections démocratiques (en) en1984.
Avec unprisonnier politique pour450 habitants[1], soit environ « 6 000 détenus »[2] – certainesONG parlent de 15 000 détenus[3] –, dont au moins 67 enfants[4], dans un pays de moins de3 millions d'habitants, l'Uruguay a connu sous ce régime, qui a participé à la « guerre sale » généralisée sur le continent, une des pires répressions politiques au monde. Cent seize morts (assassinés, morts en détention et « suicides ») et cent soixante-douzedisparitions forcées (la dernière en 1984) ont été recensés jusqu'à présent[2]. Latorture, généralisée, s'appliquait aussi aux enfants et aux femmes enceintes[4]. Tout comme enArgentine, il y eut des bébés volés aux prisonniers politiques et adoptés par les familles des militaires et des policiers[4] (dont celui de la belle-fille du poète argentinJuan Gelman[5]).
La montée desmilitaires et de la répression précéda toutefois le coup d'État et commença dès lesmedidas prontas de seguridad (es), des mesures d'exception proclamées à partir de juin1968 par le gouvernementcolorado deJorge Pacheco Areco, qui établissaient lacensure et permettaient la détention sans inculpation. À partir de juin1970, la guérilla desTupamaros fut soumise auxtribunaux militaires, tandis que lesescadrons de la mort ont ainsi agi, sous l'autorité de l'État, dès avant lesélections de novembre 1971, lorsque leFront large (coalition de gauche) s'est présenté. Le premier cas d'un enfant fait prisonnier politique a été enregistré dès 1970, le dernier en1976[4].
Après les élections, entachée de fraudes organisées par ladictature brésilienne et sous l'œil duprésident Nixon[6], qui mirent au pouvoir le dauphin de Pacheco,Juan María Bordaberry, celui-ci poursuivit la politique répressive de son prédécesseur, tout en démantelant l'appareil de contrôle des prix et des salaires qu'il avait mis en place. Cette libéralisation de l'économie relança l'inflation à un taux annuel de 100 %. En février 1973, Bordaberry tenta de reprendre le contrôle sur l'armée en essayant de changer de ministre de la Défense, mais l'accord de Boiso Lanza (es) le soumit à un Conseil de sécurité nationale. Le généralpro-nazi[réf. nécessaire]Mario Aguerrondo, fondateur de laLoge des lieutenants d'Artigas dont un grand nombre des membres furent nommés généraux sous la dictature, fut l'un des adversaires majeurs de Bordaberry lors de cette crise.

Le, l'armée dissout le Congrès et le remplace par un Conseil de l'État, tout en maintenantJuan María Bordaberry (Parti colorado) dans ses fonctions. Ce dernier suspend la Constitution et établit un régime dictatorial sous haute surveillance de l'armée, s'auto-proclamantProceso de reconstrucción nacional (« Processus de reconstruction nationale » ; un terme analogue fut adopté par lajunte argentine de 1976-1983)[7]. Le, la confédération syndicale de laCNT fut dissoute, ce qui ne l'empêcha pas de proclamer unegrève générale, qui échoua à empêcher le putsch. Legénéral Seregni, président duFront large, est arrêté et incarcéré dans les jours qui suivent, aux côtés du généralVíctor Licandro et d'un colonel, qui ne seront libérés qu'au début desannées 1980.
Ainsi, les services de sécurité uruguayens coopéraient avec leurs homologues latino-américains dans ce qui sera formalisé, en novembre1975, sous le nom d'opération Condor. De nombreux opposants politiques uruguayens furent ainsi assassinés en Argentine, y compris avant lecoup d'État de mars 1976 ; le sous-chef de la police fédérale argentine,Alberto Villar, par ailleurs cofondateur de laTriple A, était ainsi leur correspondant en Argentine[8]. Après mars1976, les opposants uruguayens passèrent par lecentre clandestin de détention Automotores Orletti et le garage El Olimpo avant d'être assassinés en Uruguay. 76 cas dedisparitions forcées d'Uruguayens ont ainsi été répertoriés en Argentine et en Uruguay en 1976[9], 56 l'année suivante[9].
Par ailleurs, la direction de la guérilla desTupamaros (MLN-T), hommes et femmes (jusqu'en 1976 pour ces dernières), est maintenue en otage dans des casernes militaires, prête à être exécutée à toute action de la guérilla. Outre les Tupamaros, les militants duFront large en général font l'objet de la répression politique.
Entre le 27 juin 1973 et décembre 1973, 196 personnes furent arrêtées et inculpées de « subversion »[9] ; 432 en1974[9] ; 320 en1977[9], etc. Cent syndicalistes furent arrêtés en 1977[9]. Les femmes prisonnières politiques sont souvent violées pendant leur détention[10].
Le régimelibéralise massivement l’économie et s'attaque au « coût du travail », décrit comme excessif[11].

Bordaberry généralise aussi lacensure, déjà mise en œuvre sousJorge Pacheco Areco depuis lesmedidas prontas de seguridad (es) de juin 1968, en éliminant des bibliothèques nombre de livres d'auteurs tels queJuan Carlos Onetti (emprisonné en 1974 puis expulsé pour avoir participé à un jury organisé par l'hebdoMarcha[2]),Mario Benedetti,Federico García Lorca,Pablo Neruda,Antonio Machado, ouBrecht etFreud.
Lecarnaval deMontevideo, les concerts et les spectacles étaient l'objet d'une commission de censure[2], tandis que de nombreux artistes furent proscrits, arrêtés et/ou expulsés, dont les chanteursAlfredo Zitarrosa,Aníbal Sampayo,Daniel Viglietti,Joan Manuel Serrat, l'actriceChina Zorrilla, le dramaturgeAtahualpa del Cioppo (es), etc. ; et allant jusqu'à interdire les cassettes du chanteur detangoCarlos Gardel, ses textes évoquant trop le monde ouvrier[1], ou encoreLe Parrain II deCoppola, en raison des scènes tournées àCuba[2],Jesus Christ Superstar ouVivre libre[2]. Le Centre jésuite deJuan Luis Segundo, unthéologien de la libération, fut fermé, sa revue étant censurée dès 1974.
Cela conduisit nombre d'artistes et d'intellectuels à s'exiler (voirexilés uruguayens). L'ambassade mexicaine hébergea ainsi, entre 1975 et 1976, 300 candidats à l'asile politique[2]. Ce sont au total 500 000 Uruguayens qui connaitront l'exil[12].
En mai 1976, les parlementairesZelmar Michelini etHéctor Gutiérrez Ruiz furent assassinés àBuenos Aires, en même temps qu'uncommuniste etdeux Tupamaros, dans une opération conjointe des services uruguayens et argentins. L'assassinat, présenté comme une « vengeance » des Tupamaros à l'égard des « traîtres », visait à empêcher la constitution d'un front commun contre la dictature, l'Union artiguiste de libération (UAL), qui intégrait depuis 1974 la fractionNuevo Tiempo du MLN-T avec le fondateur de l'Union populaire (prédécesseur du Front large)Enrique Erro, Michelini, lesGroupes d'action unificatrice (GAU) et l'Agrupación de Militantes Socialistas (AMS).
Erro fut arrêté par le régime d'Isabel Perón (droitepéroniste), apprenant en prison l'assassinat de Michelini et Gutiérrez, puis expulsé en novembre 1976. Exilé enEurope, il signa en 1977, aux côtés d'Hugo Cores (Parti pour la victoire du peuple, PVP), deJosé Díaz et d'Enrique Rodríguez, l'appel visant à créer un Front antidictatorial afin d'unir toutes les forces de ladiaspora uruguayenne contre la dictature.
D'octobre 1975 à juin 1976, leParti communiste uruguayen (PCU) et leParti pour la victoire du peuple (PVP) ont été visés par l'« opération Morgan », qui ciblait les militantscommunistes présents en Uruguay et enArgentine[9]. Dirigée au début par laDNII, elle fut mise en œuvre par l'OCOA et la divisionno 1 de l'armée, commandée par le généralEsteban Cristi[9]. Toutes les parties de l'armée ainsi que la police y participèrent, le commandement en chef étant pleinement informé[13].
Cette opération fit de nombreuses victimes. Des centaines de militants furent arrêtés et transférés dans des centres clandestins de détention, comme les300 Carlos, laTablada ou laBase Aérienne Capitaine Juan Manuel Boiso Lanza, où ils étaient interrogés ettorturés[9]. L'enseignanteElena Quinteros fut par exempleséquestrée et assassinée dans le cadre de cette opération, après son enlèvement le 26 juin 1976[9]. On peut également citer le militant syndicaliste et communisteOmar Paitta, enlevé en 1981 et mort à la suite des tortures subies au centre de détention deLa Tablada[14]. Au total, l'opération Morgan, dont des aspects continuèrent jusqu'en 1984, aboutit à la torture de milliers de détenus, y compris des mineurs, à 23disparitions forcées, 23 morts au cours de torture, un assassinat enArgentine (Raúl Feldman, tué lors d'une opération de laTriple A) et 6 décès en prison[13].
L'opération Morgan se poursuivait en surveillance généralisée (« centres de travail, coopératives, facultés, lycées, clubs sportifs, centres culturels, groupes de réflexioncatholiques et centres artistiques », selon un rapport récent[13]). Les prêches des églises et les usagers des bibliothèques étaient ainsi espionnés[2].
La confédération syndicaleCNT et la FEUU (Fédération des étudiants universitaires d'Uruguay (es)) furent aussi sujets à cette surveillance accompagnée d'arrestations et de torture[13]. L'opération Morgan connut cinq grandes phases d'activités (octobre 1975-juin 1976 ; mai-septembre 1977 ; février- ; fin 1981-début et)[13], la premièredisparition forcée ayant lieu en 1974 et la dernière en 1984[13].
Le, Bordaberry est renversé parAlberto Demicheli, président du Conseil de l'État qui est lui-même écarté parAparicio Méndez le de la même année.
En, l'armée souhaite se légitimer en organisant unplébiscite visant à réformer la Constitution, lequel est rejeté par 57,2 % de la population le, ce qui marque un tournant dans la vie politique du pays. La réforme constitutionnelle était approuvée par l'Union colorada et battliste (es) dePacheco Areco, ce qui lui coûta des voix aux élections primaires de au sein duParti colorado.

Gregorio Álvarez Armelino prend le pouvoir le et a lentement repris le dialogue avec les partis politiques, organisant unetransition démocratique tout en continuant à réprimer les mouvements sociaux (la dernière disparition forcée datant de 1984).
Des élections internes furent organisées en 1982 dans les partis autorisés (colorado,blanco etUnion civique), et remportées par les secteurs de l'opposition à la dictature. Les syndicats clandestins se sont réorganisés, formant laPIT, puis, le, les principales forces politiques du pays (colorados etblancos) ainsi que leFront large et l'Union civique organisèrent l'Acte de l'Obélisque (es), manifestation rassemblant 400 000 personnes àMontevideo et des milliers en province, en vue de réclamer l'organisation d'élections libres. Les mobilisations en faveur desdroits de l'homme grandissaient, avec la participation active duSERPAJ, auquel appartenait l'avocate socialisteAzucena Berruti. Contre l'avis duParti colorado, dont son chefJulio María Sanguinetti, la confédération syndicalePIT organisa, avec leSERPAJ, la fédération de coopérativesFucvam (Federacíon Uruguay de Cooperativas de Viviendas por Ayuda Mutua) et le syndicat étudiant de l'Asceep (Asociación Social y Cultural de Estudiantes de la Enseñanza Pública) unegrève générale le pour réclamer le retour de la démocratie, ce qui mena à une tentative du régime de dissoudre la PIT par décret[15].
Après des négociations secrètes entre les partis autorisés et les militaires, lepacte du Club Naval (es) du ouvrit la voie auxélections de novembre 1984 (es), remportées par le candidatcolorado,Julio María Sanguinetti, élu avec un peu plus de 31 % des voix, contre 29 % pourAlberto Zumarán (es) (blanco) et 21 % pourJuan José Crottogini (es) (Front large). Le président du Front large,Líber Seregni, ainsi que leblancoWilson Ferreira (es) n'avaient pas eu le droit de se présenter. L'autre candidatcolorado,Pacheco Areco, eut moins d'un quart des voix au sein du Parti colorado, contre plus de 75 % pour María Sanguinetti (voirley de lemas). Sanguinetti avait assuré aux militaires que même les plus hauts responsables ne seraient pas poursuivis.
LeConseil de sécurité nationale (es) fut abrogé en avril1986. Uneloi d'amnistie fut votée en décembre 1986, et confirmée lors d'un référendum pour son abrogation, d'abord en 1989 puis lors desélections générales de 2009. Celle-ci subordonne toute poursuite judiciaire à l'autorisation de l'exécutif.
L'armée est restée influente sur la scène politique jusqu'auxannées 2000, et certains secteurs (Arsenio Bargo, les généraux Manuel Fernández,Núñez, Luis Abraham et Yamandú Sequeira) continuent à revendiquer la dictature voire la mémoire du général fascisantMario Oscar Aguerrondo, fondateur de la loge clandestine d'extrême-droite desLieutenants d'Artigas[7].
Ce n'est qu'avec l'arrivée de la gauche au pouvoir, lors de l'élection à la présidence, en2004, deTabaré Vazquez (PS-Front large), que l'exécutif autorisa les poursuites contre les militaires impliqués dans les violations desdroits de l'homme. Par ailleurs, legouvernement Vazquez a engagé une équipe d'anthropologues et de légistes et a ordonné en novembre2005 à l'armée de coopérer dans la recherche desdesaparecidos. Toutefois, en raison du silence voire des indications erronées données par les militaires, seuls deux corps sur une centaine dedesaparecidos ont pu être exhumés durant le mandat de Vazquez[16].
En revanche, plusieurs hauts militaires ont été condamnés. Ainsi, legénéral Álvarez a été condamné en octobre2009 à 25 ans de prison pourdisparitions forcées et assassinats[17]. Un mois plus tard, le photographe de la police Nelson Bardesio et Pedro Freitas ont été condamnés pour l'assassinat en août 1971 de l'étudiant Héctor Castagnetto, l'arrêt reconnaissant que lesescadrons de la mort dont ils faisaient partie agissaient sous la responsabilité des gouvernements constitutionnels de l'époque, d'abord celui deJorge Pacheco Areco puis celui deBordaberry[18]. montra que leur groupe était lié au sous-commissaire de policeHugo Campos Hermida (en)[18], qui aurait participé à l'assassinat, en mai 1976, des parlementairesZelmar Michelini etHéctor Gutiérrez àBuenos Aires[19], ainsi qu'à ladisparition forcée des nièces du poète argentinJuan Gelman[19].
Le chef du SID (Service d'intelligence de la Défense), le colonel Rodríguez Buratti, s'est suicidé en2006, mettant un terme à son procès pour la disparition forcée d'Adalberto Soba, militant duParti pour la victoire du peuple (PVP)[20]. Toutefois, d'autres membres du SID, dont le colonelJosé Nino Gavazzo, chef de la branche uruguayenne de l'opération Condor[21], et également impliqué dans la disparition de la belle-fille deJuan Gelman, a été condamné dans le cadre du procès sur le second vol, qui désigne le transfert illégal de détenus ducentre clandestin de détention du garage Orletti en Argentine vers le centre de la SID, en Uruguay (situé sur les actuels locaux duCentro de Altos Estudios Nacionales duMinistère de la Défense (es))[20].
En 2006, l'ex-dictateurJuan María Bordaberry a été inculpé et mis endétention provisoire, étant accusé d'« attentat à laConstitution » ainsi que decrimes contre l'humanité, étant le responsable présumé, avec le chancelierJuan Carlos Blanco Estradé (es)(es), également inculpé, desdisparitions forcées et de latorture de milliers d'opposants. Les deux font l'objet d'enquêtes concernant l'assassinat deMichelini et d'Héctor Gutiérrez ainsi que desTupamarosRosario Barredo et William Whitelaw et du militantcommuniste assassinés en 1976. En décembre 2006, un autre magistrat l'a aussi inculpé de ladisparition forcée d'une dizaine de personnes (crime imprescriptible). Bordaberry a depuis bénéficié d'une assignation à résidence. Le,Mariana Mota prononce une sentence condamnant l'ancien président Juan María Bordaberry comme « co-auteur » d'une attaque contre la Constitution, dedisparitions forcées de personnes et d'assassinats politiques de onze citoyens uruguayens[22].