Ladictature des colonels (grec moderne :Δικτατορία των Συνταγματαρχών) est le nom donné aupouvoir politique en place enGrèce du au. Elle est parfois aussi appeléedictature du 21 avril (Δικτατορία της 21ης Απριλίου). Après, elle est parfois simplement évoquée avec le terme de « junte » (χούντα) ou « junte des colonels » (Χούντα των Συνταγματαρχών).
Une partie de l’électorat craint une nouvelle guerre civile et, en1963, les élections législatives sont remportées par l’Union du centre deGeorges Papandréou, vieux routier de la scène politique grecque, qui a été ministre de l’Éducation du gouvernement d'Elefthérios Venizélos, opposant à la dictature deMetaxas, puis chef du gouvernement en exil du roiGeorges II, àAlexandrie en1944.
Fort de sa victoire (53 % des voix), Papandréou décide d’épurer l’armée, et notamment l’état-major.
Théâtre d'Épidaure. Photo prise en juillet 1965 avant une représentation. Des militaires entourent la scène et parcourent les gradins.
En juillet1965, le jeune roiConstantin II pousseGeórgios Papandréou à la démission[1],[2] sous la pression de l’état-major de l’armée, après la tentative du Premier ministre de se placer à la tête du ministère de la Défense.
Ce renversement de l'Union du centre (EKE) fut possible parce que plusieurs membres du parti de Georges Papandréou, dontKonstantínos Mitsotákis etStéfanos Stefanópoulos, firent sécession. On parla d’« apostasie »[3], avec un nombre considérable des nouveaux élus qui cherchaient à exercer le pouvoir pour leur propre compte. On assista alors à toute une série de gouvernements plus ou moins éphémères entre juillet1965 et avril1967.
Papandréou etPanagiótis Kanellópoulos, dirigeants de l’EKE et de l’Union nationale radicale (ERE, parti jusque-là majoritaire), tentèrent de trouver un accord pour sortir de la crise qui menaçait de se prolonger : l’idée était de former un gouvernement qui expédierait lesaffaires courantes et organiserait de nouvelles élections.
Cette solution ne put être mise en place à cause du coup d’État des colonels.
Dans ce contexte survient lecoup d'État des colonels, le. Des officiers emmenés par le colonelGeórgios Papadópoulos prennent le contrôle avec leurs régiments de la capitaleAthènes. Ils font arrêter les principales personnalités politiques et obligent le roi à suspendre laconstitution[4].
Un gouvernement constitué d'officiers et dirigé par le colonel Papadópoulos est ensuite mis en place. En décembre1967, le roi Constantin II tente de reprendre la main par uncontre-coup d’État avec le soutien de généraux démocrates. Son échec l’oblige à s’exiler avec sa famille àRome[4],[5].
Lamonarchie grecque demeure cependant jusqu’en1973 la forme officielle de l’État, les dirigeants successifs de la junte s’attribuant le titre derégents.
Pour conserver et consolider leur pouvoir, les colonels cherchent à éliminer, y compris physiquement, toute forme d’opposition et de contestation. Dès le début du coup d’État, des personnalités politiques, principalement de gauche, mais aussi deslibéraux et de simples défenseurs desdroits de l’Homme, sont persécutés. Nombre de militaires et de fonctionnaires sont révoqués afin de permettre aux colonels de disposer d’instruments de gouvernement idéologiquement conformes aux « principes du régime »[6].
Les opposants politiques sont placés en résidence surveillée, emprisonnés, déportés[7] sur des îles désertes de l’Égée, mais aussi parfoistorturés[8]. LeParti communiste grec (KKE) est interdit.
Des gouvernements plus ou moins fantoches se succèdent afin de laisser croire qu’une vie politique continue à exister et que le pouvoir n’est pas détenu par les seuls colonels et principalement par Papadópoulos. La dictature exalte le passé antique dans les stades par des fêtes inspirées par les péplums, tout en déclarant instaurer un ordre moral chrétien, asséné par le slogan« Grèce des Grecs chrétiens ». Les minijupes et les cheveux longs sont interdits : cela ne gêne que fort peu de Grecs, mais nuit gravement au tourisme. Malgré lacensure, de nombreuses manifestations contre le régime ont lieu et l’humour populaire brocarde le côté archaïque, simpliste et grotesque du régime[9],[10].
1968 est une année difficile pour la dictature.Aléxandros Panagoúlis tente d’assassiner le colonelPapadópoulos. Il est condamné à mort. Une très forte mobilisation de l’opinion publique internationale permet d’éviter son exécution. Les obsèques de Geórgios Papandréou, décédé en résidence surveillée, sont l’occasion de grandes manifestations contre le régime. À l’étranger aussi, les Grecs en exil politique organisent des manifestations contre la dictature. En1969, la Grèce quitte leConseil de l'Europe, après que laCommission européenne des droits de l'Homme a constaté degraves violations. Dès1967, l’accord d'association qui liait la Grèce à laCommunauté européenne avait été suspendu.
Les événements duPolitechnion sont non seulement une révolte étudiante mais une révolte populaire : dans la rue se trouvaient des gens de toutes les conditions. Le 17 novembre, les dictateurs font marcher les chars sur l’université. La répression fait plus de cent morts[10]. La crise chypriote, à l’été1974 provoque la chute de la junte militaire grecque.
Lors ducoup d’État du, l’EOKA B, une organisation paramilitaire chypriote grecque soutenue par le chef de la dictatureDimítrios Ioannídis, renverseMgrMakarios et tente d’instaurer une dictature à Chypre sur le modèle de celle des colonels grecs. En réaction à cette rupture du fragile équilibre qui existait entre les communautés grecque et turque, cinq jours plus tard, le 20 juillet, lestroupes turques envahissent le Nord de l’île conduisant à lapartition de Chypre en deux États, dont celui du nord ne fut reconnu par aucun pays du monde, excepté laTurquie.
En juillet1974,Konstantínos Karamanlís est nommé Premier ministre d’ungouvernement d’union nationale. Malgré l’instabilité et le danger de la situation politique, il agit promptement pour relâcher la tension entre la Grèce et la Turquie qui étaient au bord de la guerre en raison de lapartition de Chypre. Il lance également le processus de transition de la dictature militaire vers unedémocratiepluraliste.
L’historien Dimitris Kousouris souligne cependant qu’« à la chute des colonels, il y a pratiquement une impunité généralisée. L’épuration de l’appareil d’État est très partielle, et à l’exception de quelques procès, la structure est restée intacte ». Des personnalités issues de la dictature rejoignent des formations de la droite républicaine, telles que le partiNouvelle Démocratie[11].
Les difficultés politiques liées à la dictature puis l’arrivée de la télévision portèrent un coup presque fatal aucinéma grec. En1968, il y eut, record absolu, 137 millions d’entrées au cinéma dans le pays (soit 15 entrées par habitant) ; 70 millions en1973 et 39 millions en1977. EnAttique, en1969, il y avait 347 salles de cinéma et 541 cinémas en plein air ; en1974, il ne restait que 260 salles et 330 cinémas de plein air. Les ventes de tickets de cinéma baissèrent de 10 % sur l’ensemble du pays entre1968 et1971 ; surtout, elles baissèrent de 20 % àAthènes ; la chute pour les films grecs était de 30 %. Le cinéma national s’effaçait face au cinéma étranger, en fait surtoutaméricain etitalien[12],[13],[14]. En1974, les spectateurs n’étaient plus qu’un million et demi à fréquenter les salles de cinéma qui projetaient une quarantaine de films grecs[15].
À ses débuts, latélévision grecque n’émit que dans la région d’Athènes en1966-1968. Dès ces années, la fréquentation des cinémas baissa de 5 % en moyenne tandis qu’elle continuait à progresser dans le reste du pays. Le régime des colonels favorisa le développement de la télévision et la mise en place de programmes de qualité afin de fidéliser le téléspectateur, tout en interdisant ou censurant de nombreuses œuvres, littéraires ou musicales[16]. Dans ce but, la télévision entreprit de diffuser et rediffuser les grandes comédies du cinéma populaire des deux décennies précédentes. L’idée était de garder la population grecque chez elle et d’éviter qu’elle se réunît et discutât, aussi bien dans la salle de cinéma que dans la file d’attente[12],[17]. Dans le même but, la Fédération nationale des ciné-clubs fut démantelée[18].
↑Notamment les généraux en retraite: «Ioannis Yennimatas, Christos Papadatos, Georges Tsichlis, généraux de corps d'armée en retraite, Constantin Papageorgiou, général de division en retraite, Dimitrios Papadopoulos et Antonios Bouras, généraux de brigade en retraite, Marios Stavridis et Georges Psallidas, commodores en retraite, Dimitrios Papageorgiou, colonel d'aviation en retraite, Panayotis Diakoumakos, général de corps aérien en retraite» (A.F.P., 29 mai 1969).
↑Un exemple : « Quel est le point commun entre un citoyen italien et un citoyen grec ?Les deux peuvent critiquer Papadópoulos. Et quelle est la différence ?L’italien peut continuer le lendemain ! »
↑Marta Ruiz Galbete, « « Cinéma : série Z » : les premiers thrillers politiques en France et l’avant-garde critique des années 1970 »,La culture progressiste à l’époque de la guerre froide,ILCEA,no 16,(lire en ligne)