Ledictateur (enlatin classique :dictātǒr,-ōris, masculin) est, durant laRépublique romaine, un magistrat extraordinaire qui détient les pleins pouvoirs (imperium) pour un mandat qui ne peut, à l'origine, excéder six mois. Selon la tradition, la fonction aurait été instituée en501av. J.-C. pour répondre à unesituation d'urgence militaire, mais on pense qu'unmagister populi (littéralement « maître du peuple ») existe déjà sous laRoyauté.
La dictature évolua tout au long de la République jusqu'aux dictatures exceptionnelles deSylla etCésar qui s'affranchissent des limitations originelles et s'octroient des pouvoirs démesurés. La dictature est abolie parMarc Antoine, dès l'assassinat de Jules César.
À l'époque royale, lorsque le roi ne peut pas quitter Rome et mener l'armée en campagne lui-même, il nomme unmagister populi à qui il confie temporairement le commandement de l'armée[a 1],[a 2],[9]. Ce « maître du peuple » est peut-être déjà assisté par unmagister equitum, un « maître de la cavalerie »[10].
Dans de nombreusescités latines, c'est un dictateur qui a succédé à l'ancienne royauté après que le roi ait été renversé. Le magistrat qui dirige laLigue latine, confédération que forment les principales villes duLatium, porte également le titre de dictateur (dictator Latinus)[11].
Pour gérer une situation d'urgence le plus efficacement possible, après un désastre militaire ou durant une crise politique interne par exemple, les Romains instaurent dès la première décennie de la République une magistrature extraordinaire : la dictature. Le dictateur est nommé par un des deuxconsuls en exercice après que leSénat a approuvé le principe de la dictature. Le consul le désigne pendant la nuit qui suit la décision du Sénat, afin d'éviter lesauspices défavorables[12], au cours d'unedictio cérémonielle. Le dictateur nouvellement nommé, généralement choisi parmi les anciens consuls, désigne un assistant, lemaître de cavalerie (magister equitum), sorte de chef d'état-major[13],[12].
Les deux missions du dictateur, d'ordre civil ou militaire, revêtent la même importance aux yeux des Romains.Cicéron[a 3], puis plus tard l'empereurClaude dont le discours durant lequel il aborde ce sujet a été conservé par l'intermédiaire de latable de Lyon[a 4], associent étroitement ces deux missions qui justifient selon eux l'instauration d'une dictature[14].
Les sources antiques mentionnent des exemples de nominations de dictateur sans que Rome ne traverse nécessairement une période de dangers militaires[15]. La nomination d'un dictateur peut en effet se révéler indispensable pour des urgences civiles comme la tenue descomices en l'absence de consuls ou pour mener à bien certains rites, comme la cérémonie du plantage d'un clou exécutée en331av. J.-C. par un dictateur[a 5].
« [...] comme les antiques traditions des annales rapportaient qu'autrefois, lors des sécessions de la plèbe, le dictateur avait planté un clou, et que cette solennité expiatoire avait ramené à la raison les esprits des hommes aliénés par la discorde, on s'empressa de créer un dictateur pour planter le clou. On créa Cnaeus Quinctilius, qui nomma Lucius Valerius maître de la cavalerie. Le clou planté, ils abdiquèrent leurs fonctions. »
En263av. J.-C., c'est de nouveau un dictateur,Cnaeus Fulvius Maximus Centumalus avec le titre dedictator clavi figendi causa, qui s'occupe de la cérémonie[a 6]. SelonTite-Live, le déroulement de cette cérémonie passe des consuls à un dictateur parce que ce dernier dispose d'unimperium de plus haut niveau (quia maius imperium erat) mais cette explication ne paraît pas suffisante pour expliquer l'apparition de telles dictatures sur les Fastes[16].
Une fois désigné, le dictateur reçoit les pleins pouvoirs (imperium) en promulguant sa proprelex de imperio par l'intermédiaire descomices curiates qu'il a convoqué et qu'il préside, signe que le dictateur romain se voit octroyer un certain niveau d'auspicium par le simple fait d'avoir été désigné[13]. Les consuls et les autresmagistrats demeurent en exercice mais leurs pouvoirs lui sont subordonnés[17],[12].
L'étendue des pouvoirs du dictateur n'est cependant pas claire, les sources antiques, trop vagues sur ce sujet, ne permettent pas de s'en faire une idée précise[18]. Les auteurs antiques, commeTite-Live etCicéron, reconnaissent dans les pouvoirs consulaires l'imperium et l'auspicium des rois de Rome (summum imperum). Il est difficile de croire qu'un dictateur puisse avoir des pouvoirs encore plus étendus. Toutefois, sans le préciser directement, certains passages de l'Histoire romaine de Tite-Live impliquent que le dictateur dispose de pouvoirs plus importants que lapotestas royale[16]. Selon Cicéron, dans un passage de son traitéDe legibus, le dictateur possède le même niveau d'imperium que les deux consuls réunis (idem iuris)[19]. Enfin, l'empereur Claude, qui s'appuie probablement sur les œuvres des auteurs précédents, évoque lui aussi des pouvoirs plus importants (ou plus efficaces selon la traduction[20]) que ceux des consuls (imperium valentius). Selon ce principe, le dictateur recevrait unimperium absolu[21]. Ainsi, l'imperium militiae dont il dispose est valable même à l'intérieur des limites dupomerium[12],[22]. Les auteurs duIer siècle av. J.-C. et duIer siècleapr. J.-C. ont pu être influencés dans leurs analyses par les dictatures de Sylla puis de César qui prennent une forme inédite. En effet, ces derniers ont réinstauré cette magistrature extraordinaire qui n'avait plus été utilisée depuis plus d'un siècle. Le rôle originel de la dictature avait été oublié ou déformé et les pouvoirs octroyés ont pu être exagérés au profit des nouveaux dictateurs[18].
Sous la République, les consuls sont escortés par douzelicteurs porteurs desfasces, symbole de leurimperium et de leur droit decoercition capitale[23]. Cependant, à Rome, seul un des deux consuls (consul maior) est accompagné de licteurs porteurs defasces, l'autre est accompagné d'unaccensus suivi de licteurs porteurs de faisceaux factices. Cette disposition alterne entre les consuls chaque mois (chaque jour si les deux consuls commandent la même armée hors de Rome), respectant ainsi la limite des douzefasces de l'époque royale dans lepomerium[20]. SelonPolybe, cette limite ne concernerait pas le dictateur qui serait escorté de vingt-quatre licteurs comme si les licteurs de chaque consul lui étaient attribués[21], rappelant la nature royale de ses pouvoirs[11]. Toutefois Tite-Live précise qu'une telle escorte n'apparaît qu'à l'époque de Sylla, précisant que cela n'avait jamais été vu auparavant dans Rome. Le dictateur devait donc être accompagné de douze licteurs quand il se déplace dans Rome, dans l'enceinte dupomerium (domi), mais de vingt-quatre licteurs lorsqu'il est en campagne militaire à l'extérieur de Rome (militiae). Sylla aurait alors été le premier dictateur non pas à s'entourer de vingt-quatre licteurs, mais à apparaître dans les limites dupomerium accompagné de vingt-quatre licteurs porteurs defasces[24].
Pour conserver en apparence le principe républicain de collégialité des magistratures, le dictateur romain doit obligatoirement désigner unmaître de cavalerie. Il est libre de désigner la personne de son choix[12]. Mais même si le dictateur s'adjoint un auxiliaire, le maître de cavalerie reste le subordonné du dictateur et non son égal comme le sont les consuls l'un pour l'autre et dans les faits, le principe de la collégialité s'efface provisoirement[15].
Selon la tradition, le droit d'appel au peuple (provocatio ad populum) qui constitue pour les magistrats ordinaires une restriction du pouvoir de coercition capitale ne s'appliquerait pas aux décisions du dictateur. De plus, aucun autre magistrat n'est en mesure de bloquer ses actions par son veto[13]. Pour compenser ses pouvoirs quasi-illimités qui pourraient se révéler dangereux si le dictateur s'en sert pour se maintenir au pouvoir, l'exercice de la dictature ne peut excéder six mois. Cette durée pourrait correspondre à l'origine à la durée moyenne d'une campagne militaire étant donné que la dictature, d'après les sources antiques, est d'abord instituée pour répondre à une menace militaire sérieuse[25],[a 7]. Arrivés au bout de leurs mandats, même si la mission qui leur a été confiée n'est pas remplie, le dictateur et son maître de cavalerie doivent abdiquer[12],[21].
En368 av. J.-C. apparaît dans les fastes un dictateur qualifié deseditionis sedendae et rei gerundae causa, c'est-à-dire dont la mission est de mettre un terme à la sédition et de prendre en main le gouvernement de l’État. Après367 av. J.-C., par trois fois un dictateur en vient à faire voter une loi destinée à apaiser les tensions sociales : en342 av. J.-C. avec le vote de laLex Valeria militaris, en339 av. J.-C. avec le vote de laLex Publilia Philonis et en286 av. J.-C. avec le vote de laLex Hortensia à la suite de lasécession de la plèbe[26].
La dictature est régulièrement utilisée jusqu'à la fin duIIIe siècle av. J.-C. où elle finit par tomber en désuétude. Elle n'est plus utilisée qu’exceptionnellement durant ladeuxième guerre punique,Rome étant désormais à l'abri de toute menace directe. De plus, la présence permanente à Rome d'unpréteur urbain permet qu'unmagistrat doté de l'imperium assure la tenue descomices. Enfin, le rituel du plantage de clou tombe dans l'oubli. Après202 av. J.-C., il n'y a plus de dictateur nommé à Rome[12].
En décembre82 av. J.-C.,Sylla se fait nommer dictateur par uninterroi, mais pour un rôle tout à fait différent des dictateurs précédents. Ce rôle est défini par lalex Valeria, conçue et votée pour la circonstance : entreprendre une réforme en profondeur desinstitutions romaines. Sylla est nommédictator legibus scribendis et rei publicae constituendae, soit « dictateur chargé de rédiger les lois et d’organiser l’État ». Sa dictature est donc très différente des précédentes car elle est sans limite de temps et se rapproche du pouvoir législatif desdecemviri des années451 à449 av. J.-C. De plus, leconsulat n'est pas suspendu durant cette dictature[27]. Sylla abdique spontanément en81 av. J.-C. au bout de six mois, après avoir mis en place ses réformes, étant cependant élu consul pour l'année à venir.
Fritz Bandel,Die römischen Diktaturen, Breslau, Korn, 1910 ; réédition par L. Labruna, Naples, Jovene, 1987.
Yann Rivière, « Le dictateur romain, un magistrat presque ordinaire »,L’Histoire, 483, mai 2021. Lire en ligne : https://www.lhistoire.fr/le-dictateur-romain-un-magistrat-presque-ordinaire
Christian-Georges Schwentzel, « Dictateur romain »,Publictionnaire, 2021. Lire en ligne : http://publictionnaire.huma-num.fr/notice/dictateur-romain/
DominiqueBriquel,« Les difficiles débuts de la liberté », dans François Hinard (dir.),Histoire romaine. Tome I, Des origines à Auguste,, 1080 p.(ISBN978-2-213-03194-1),p. 131-161
AndréMagdelain, « Provocatio ad populum »,Jus imperium auctoritas. Études de droit romain, Rome, École Française de Rome,,p. 567-588(lire en ligne)