Né avant l'an53 av. J.-C., année de l'expédition deCrassus contre lesParthes[1], il vient àRome en30-[2], sans doute encore jeune car il déclare qu'il doit àRome son éducation (παιδεία /paideía)[3]. Il s'y mêle à une société cultivée, formée de Grecs établis dans la capitale de l'Empire (Caecilius de Calé Acté,Démétrius de Magnésie,Zénon le Grammairien, Ammæus…), puis de Romains de moyenne condition (Cn. Pompeius, sans doute un affranchi lettré issu de la maison du grandPompée), enfin de plusieurs membres de l'aristocratie (Rufus Melitius, dont le fils fut son élève, l'historienLucius Aelius Tubero, et d'autres encore). Il enseigne la littérature grecque, en tout cas comme précepteur privé, mais rien ne prouve qu'il ait tenu école à proprement parler. Il publie plusieurs ouvrages. Le seul repère chronologique qu'on ait après son arrivée àRome est la rédaction de la préface desAntiquités romaines : vingt-deux ans après[4], donc en On ignore la date de sa mort (sans doute peu de temps après).
Il est surtout célèbre pour son grand ouvragehistoriographique, intituléHistoire ancienne de Rome (ouAntiquités romaines, en grecῬωμαϊκὴ Ἀρχαιολογία /Rhōmaïkḕ Arkhaiología). Il était à l'origine constitué de vingt livres et faisait le récit chronologique des débuts de la puissance romaine depuis les origines légendaires (l'Italie pré-romaine, objet du livre I après la préface, § 9-90) jusqu'au déclenchement de lapremière guerre punique (264 av. J.-C.), qui marque le commencement desHistoires dePolybe, Denys s'étant fixé pour sujet de raconter les événements antérieurs à celle-ci. De ces vingt livres il nous reste les onze premiers (le livre XI étant incomplet), c'est-à-dire le récit jusqu'en (ce qui est aussi la matière des trois premiers livres et du début du quatrième deTite-Live). Pour les neuf livres suivants (443 -264 av. J.-C.), il n'en reste que des fragments contenus dans deux anthologies thématiques (Sur les ambassades etSur les vertus et les vices) de l'empereur byzantinConstantin Porphyrogénète.
Dans la préface (I, § 1-8), l'auteur célèbre la grandeur sans précédent deRome et exprime sa gratitude envers elle (§ 6 : « remercier le mieux que je le puisse cette cité pour l'éducation et les autres avantages dont j'y ai joui depuis que j'y réside »). Il y cite ses sources, qui sont des historiographes romains anciens ou contemporains : lesOrigines deCaton l'Ancien, lesAnnales deFabius Pictor, celles deGnaeus Gellius, celles deCalpurnius Piso Frugi, celles deValerius Antias, celles deCaius Licinius Macer, l'Histoire deLucius Aelius Tubero, « et beaucoup d'autres ».
Dans cet ouvrage, Denys a comme objectifs de rattacher les origines de Rome à laGrèce antique et d'exposer comment la cité romaine, unepolis idéale, devint le centre du monde. Ce faisant, il contribue à une réécriture du passé romain idéalisé dans la perspective impériale augustéenne. Il devient, par la suite, une source importante pour les écrivains grecs postérieurs qui ont traité de l'histoire romaine :Plutarque,Appien etDion Cassius l'ont utilisé.
En I, 74, Denys fait un point sur les questions de datation, et sur les rapports entre les dates de l'histoire romaine et celles de l'histoire grecque (le nombre d'années entre laguerre de Troie et lafondation de Rome), et il signale qu'il avait écrit un traité à part sur ces questions, où il défendait le système adopté parÉratosthène dans saChronographie. Ce traité est cité parClément d'Alexandrie dans sesStromata, et il est mentionné par laSouda.
À côté de ces ouvrages historiques, Denys d'Halicarnasse est avant tout unrhéteur, c'est-à-dire notamment un historien de la littérature grecque, rôle auquel ses thèses sur l'origine grecque de Rome l'ont longtemps cantonné chez les historiens modernes. Ses autres ouvrages de ce domaine parvenus jusqu'à nous sont les suivants :
lesÉtudes sur les anciens orateurs (Περὶ τῶν ἀρχαίων ῥητόρων ὑπομνηματισμοί /perì tôn archaíôn rhêtórôn upomnêmatismoí), consacrées à l'origine à sixorateurs attiques, répartis en deux générations (d'abordLysias,Isocrate etIsée ; ensuiteDémosthène,Hypéride etEschine) ; il ne nous reste que la première partie ; chaque étude comprend la biographie de l'orateur, la définition de son style, sa manière de composer les discours, enfin un choix d'extraits ; la préface est un manifeste passionné contre larhétorique « asiatique », contre laquelle il défend l'atticisme ;
uneÉtude surDinarque, publiée après les précédentes ;
unTraité de l'arrangement des mots (Περὶ συνθέσεως ὀνομάτων /perì sunthéseôs onomátôn), dédié à son jeune élève Rufus Melitius, qui se présente comme la première partie d'une théorie du style (la seconde partie devait être consacrée au choix des mots,Περὶ ἐκλογῆς ὀνομάτων) ; c'est une étude très précise sur le style des écrivains grecs, avec un grand nombre de citations précieuses (entre autres un hymne deSappho àAphrodite et une partie d'undithyrambe dePindare) ;
un traitéSur la force du style deDémosthène (Περὶ τῆς λεκτικῆς Δημοσθένους δεινότητος /perì tễs lektikễs dêmosthénous deinótêtos), qui devait être complété par un autreSur la force des idées et de la composition chezDémosthène (Περὶ τῆς πραγματικῆς Δημοσθένους δεινότητος /perì tễs pragmatikễs dêmosthénous deinótêtos), tentative de démonstration de l'idée de l'auteur queDémosthène est le plus grand prosateur grec, supérieur àThucydide et àPlaton qui avaient aussi leurs partisans ;
un traitéSur l'imitation (Περὶ μιμήσεως /perì mimêseôs), sur la nécessité de l'imitation méthodique des grands écrivains ; il n'en reste que trois morceaux, à savoir la préface, une série de jugements sur le style des grands historiens (Hérodote,Thucydide,Xénophon,Philistos etThéopompe), et une autre série de jugements qui nous est parvenue sous une forme abrégée sous le titreJugements sur les anciens (Ἀρχαίων κρίσις /archaíôn krísis) ;
une étudeSur le caractère deThucydide (Περὶ τοῦ Θουκυδίδου χαρακτῆρος /perì toū thoukudídou charaktễros).
En outre, Denys avait écrit un traitéSur la philosophie politique (auquel il fait allusion,Caract. de Thuc., § 2), et un autreSur les figures (dont parleQuintilien, IX, 89). Le traitéSur le choix des mots paraît avoir bel et bien été écrit, car il est cité par lescholiaste d'Hermogène de Tarse. LaRhétorique que nous possédons sous le nom de Denys d'Halicarnasse n'est qu'une compilation d'extraits de différents auteurs, dont peut-être aucun n'est vraiment de Denys.
On conserve d'autre part trois lettres de Denys portant sur des sujets d'histoire littéraire : deux adressées à Ammæus (l'une pour prouver que laRhétorique d'Aristote est postérieure aux discours deDémosthène, l'autre sur les particularités du style deThucydide), et une à Cn. Pompeius (contenant des jugements littéraires surPlaton et plusieurs historiens).
Traité de l'arrangement des mots (Περὶ συνθέσεως ὀνομάτων ; De compositione verborum), traité rédigé à l'intention d'un étudiant en rhétorique
Sur l'imitation (Περὶ μιμήσεως ; De imitatione), traité en trois livres, dont nous n'avons conservé que des fragments des deux premiers, un épitome du livre II et une longue citation du livre II insérée par Denys lui-même dans la deuxième partie de saLettre à Pompée Géminos
Orateurs antiques (Περὶ τῶν ἀρχαίων ῥητόρων ὑπομνηματισμοί ; De antiquis oratoribus), œuvre critique en deux livres :
Le premier,Orateurs anciens, qui nous est parvenu entièrement, est composé de trois études distinctes consacrées respectivement à Lysias, Isocrate et Isée, précédées d'un prologue
Sur l'orateur Dinarque (Περὶ Δεινάρχου ; De Dinarcho), traité consacré à l'orateur Dinarque, qui serait un appendice auxOrateurs antiques
Chronologies grecques et romaines
Examen de Thucydide
Première lettre à Ammée (Πρὸς Ἀμμαῖον ἐπιστολὴ ἀ' ; Ad Ammaeum : I), lettre polémique sur Démosthène et Aristote
Seconde lettre à Ammée, sur Thucydide
Lettre à Pompée Géminos (Πρὸς Πομπήιον Γέμινον ἐπιστολή ; Epistula ad Pompeium Geminum), lettre sur le style de Platon, dont la deuxième partie contient une longue citation du L. II du traitéDe l'imitation du même auteur
Texte complet en français en deux volumes (format PDF) :[1] et[2]Les antiquites romaines de Denys d'Halicarnasse, traduites du grec parGabriel François Le Jay, tome 1 et 2 sur Google livres.
Denys d’Halicarnasse, historien de l’Italie. Étude des fragments des livres XIV-XX, Table ronde d’Aix-en-Provence, 28 avril 1999, dansPallas, 53,2000.
Anouk Delcourt,Lecture des Antiquités romaines de Denys d'Halicarnasse. Un historien entre deux mondes, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2005.
Valérie Fromentin, « La définition de l'histoire comme "mélange" dans le prologue desAntiquités romaines de Denys d'Halicarnasse (I, 8,3) », dansPallas, 39/1993. Denys d'Halicarnasse historien des origines de Rome. pp. 177-192.TRI, 1993, p. 177-192.
Valérie Fromentin, « Denys d'Halicarnasse, historien grec de Rome », dansHistoire et historiographie dans l'Antiquité. Actes du 11e colloque de la Villa Kérylos à Beaulieu-sur-Mer les 13 & 14 octobre 2000(= Cahiers de la Villa Kérylos, 11), Paris, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 2001, p. 123-142.
Emilio Gabba,Dionysius and the History of Archaic Rome, Berkeley-Los Angeles-Oxford, University of California Press, 1991.
Stavroula Kefallonitis, « LesAntiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, un laboratoire d’histoire », dans Frédéric Le Blay (dir.),Transmettre les savoirs dans l’Antiquité grecque et romaine, actes du colloque international Doctrinarum disciplina, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 63-77.
Stavroula Kefallonitis, « La politique comme art musical selon Denys d'Halicarnasse », dans Sibylle Emerit, Sylvain Perrot, Alexandre Vincent,De la cacophonie à la musique. La perception du son dans les sociétés antiques, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, coll. « Bibliothèque d’étude » 180, 2022, p. 251-271.
Mélina Lévy, « Bibliographie sélective des agrégations de lettres classiques, grammaire et lettres modernes : Denys d’Halicarnasse,Les Antiquités romaines, livre I »,L'information littéraire, 58, 2006/3 (en ligne).
Paul Marius Martin, « Le dessein de Denys d’Halicarnasse dans lesAntiquités Romaines et sa conception de l’histoire à travers sa préface du livre 1 »,Caesarodunum, 4, 1969, p. 197-209.