Denis de Paris (Dionysius en latin), dénommé dans toute la chrétienté médiévalesaint Denis, est unsaint tutélaire à la vie légendaire[1] et lepremier évêque de Paris. La cité se nomme alorsLutèce. Il est aussi le patron d'un prestigieuxmonastère homonyme, qui accueille de riches fondations royales à partir du règne deDagobertIer, et garde depuis ce temps mérovingien les tombes de rois de France. Cette institution monastique devient grâce aux vastes donations et attributions des premiers Carolingiens un des plus riches centres religieux de l'Occident chrétien autour de l'an 800.
Hilduin,abbé de Saint-Denis, a puissamment transformé la figure de son saint patron par saPassio sancti Dionysii rédigée entre 835 et 840. Non content de l'assimiler àDenis l'Aréopagite, moine promoteur intellectuel du mysticisme chrétien, il accroît son prestige miraculeux en admettant les légendes decéphalophorie lumineuse.
Denis et ses compagnonsÉleuthère etRustique chargés d'évangéliser la Gaule vinrent vers Lutèce où le préfet romain Fesceninus les fit arrêter dans une carrière du faubourg Saint-Jacques (lieu de lapremière station de leur martyre). Les lieux où Saint-Denis a célébré l'office dans l'île de la Cité, où sont édifiées leséglises Saint-Étienne-des-Grés etSaint-Benoît-le-Bétourné, sont lesdeuxième et troisième stations du martyre. Saint-Denis fut incarcéré à la prison de Glaucus, emplacement de la futureéglise Saint-Denis-de-la-Chartre,quatrième station, torturé et mis sur le gril à la pointe amont de l'île de la Cité, emplacement de la futureéglise Saint-Denis-du-Pas,cinquième station, condamné à être décapité au temple de Mercure au sommet de la butte Montmartre.
Denis ramassa sa tête continua à monter conduit par un ange. Il s'arrêta au sommet pour laver son chef à une source située à l'emplacement de l'actuelsquare Suzanne-Buisson puis descendit le versant nord et expira après un parcours de 6 kilomètres où une veuve, Catulla, l'inhuma :septième station.
Plus tardsainte Geneviève fit élever à cet endroit une basilique, celle de Saint-Denis[2] .
Le nom de saint Denis, lié à unmausolée du Bas-Empire, apparaît vers 520 dans la littérature avec laVie de sainte Geneviève. Lasainte femme témoigne de sa dévotion envers l'évêque martyr, son père dans la foi. Elle obtient du clergé parisien l'érection d'une église sur sa tombe au « vicus Catulliacus », situé à huit kilomètres au nord de laSeine, à l'emplacement de l'actuelle basilique Saint-Denis,rue Catulienne[note 2]. Elle se rendait également et souvent dans une église de la Cité dont il était le titulaire.
Un demi-siècle plus tard, leMartyrologe hiéronymien mentionne la déposition de saint Denis et de ses compagnons au9 octobre. Le poète et écrivain latinsaint Venance Fortunat atteste la diffusion de son culte jusqu'àBordeaux.
Dans les mêmes années, l'historienGrégoire de Tours raconte que vers 250 le pape de Rome avait envoyé Denis en Gaule avec six autres évêques pour y porter l'Évangile. Denis se fixa àLutèce, où il ne tarda pas à être mis à mort par Fescennius Sisinnius, gouverneur romain de la province. Il subit vraisemblablement le martyre soit sous la persécution deDèce (250-275) soit plus tardivement.
La décollation des trois saints Denis, Rustique et Éleuthère, au tympan du portail nord de labasilique Saint-Denis, France.
Près du lieu-mausolée où reposaient après 320 les restes du premier évêque de Paris, une église est édifiée, entourée de tombes aristocratiques. Une abbaye est fondée auVIIe siècle et ce centre doté d'une basilique devient vite prestigieux grâce aux largesses royales à partir deDagobert, lequel choisit d’agrandir le sanctuaire et d'y être inhumé. L'abbaye, institution religieuse royale et centre administratif deRegnum francorum, ayant la charge d'une constellation d'églises, contribue au rayonnement de son saint patron en le dotant d'une merveilleuse légende[note 3].
D'après lesVies de saint Denis, écrites à l'époquecarolingienne et faisant suite à l'invention de l'abbé de Saint-Denis,Hilduin, Denis et sesdiacres, saint Eleuthère et saint Rustique, incarcérés dans l'île de Lutèce, empruntent les chemins qui seront nommésrue Montmartre,rue du Faubourg-Montmartre etrue des Martyrs, pour gagner labutte Montmartre où ils sont décapités. Denis décapité, traversantMontmartre, aurait ensuite marché vers le nord pendant six kilomètres[4], sa tête sous le bras, jusqu'à un lieu qui s'appelle aujourd'huiSaint-Denis. À la fin de son trajet, il donne sa tête à une femme pieuse originaire de la noblesse romaine et nommée Catulla, puis s'écroule. Il est enseveli à cet endroit précis et Catulla y fit édifier unebasilique en son honneur.
Le récit parle également de ses deux compagnons, le prêtreRustique et le diacre Éleuthère, ainsi que du portement de tête du saint après sadécapitation depuisMontmartre jusqu'à Saint-Denis. Les martyrs étant habituellement représentés avec l'objet de leur supplice, il se peut que la légende carolingienne soit issue d'un oubli de cette spécificité iconographique.
La tradition a peu à peu fait croître la renommée de saint Denis qui a ensuite été confondu avecDenys l'Aréopagite, puis avec lePseudo-Denys l'Aréopagite qui vécut à la fin duIVe siècle, auteur de traités réputés et prisés desPères de l’Église (La Hiérarchie céleste,La Hiérarchie ecclésiastique,La Théologie mystique,Les Noms divins)[5]. La vie légendaire de Denis de Paris emprunte aux deux autres Denys, comme on le découvre dans les noms employés parJacques de Voragine, tel celui de Damaris, que l'on retrouve dans desActes de Paul apocryphes à propos de Denys l'Aréopagite[6]. Cette tradition remonte aussi à l'abbé Hilduin. Le prestige aidant, elle a été maintenue par les abbés successeurs, convaincus de la bonne foi de leurs prédécesseurs. L'abbéSuger auXIIe siècle aurait fait même fabriquer des faux[réf. nécessaire], pour des raisons politiques, afin d'imposer l'idée que saint Denis ait pu assister aux sermons desaint Paul. La confusion en un seul et même saint de ces trois Denis perdura jusqu'au milieu duXXe siècle[7].
Saint Denis, parJean Bourdichon.Horae ad usum Parisiensem, v. 1480, BnF.Retable de saint Denis, Dernière communion et martyre de saint Denis, 1416,Henri Bellechose.
Saint Denis, le plus célèbre des saints « céphalophores »[8], est souvent représenté portant sa tête, iconographie fréquente des martyrs décapités. Selon d'anciens récits, le saint se serait relevé, aurait ramassé sa tête, et aurait marché jusqu'au lieu de sa sépulture[9]. Outre la tête coupée, il est reconnaissable grâce à ses attributs, lamitre et les chaînes[8]. La façade de lacathédrale Notre-Dame de Paris en offre un exemple au piédroit du portail de la Vierge.
La peinture deLéon Bonnat auPanthéon de Paris est évoquée parMichel Serres dans une section de son livreHominescence, à l'appui de son utilisation de la figure du saint portant sa tête comme allégorie-métaphore de son contemporain, qui a très souvent posé à côté de lui une tête à laquelle a été déléguée la charge de la mémorisation et du calcul – sonmicro-ordinateur ; le sujet proprement dit — libéré — pouvant s'adonner à une créativité nouvelle[10].
Saint très populaire dont la fête le9 octobre tombe pendant une période de récolte, il fait l'objet de nombreux dictons :
« À la Saint-Denis, le laboureur se réjouit », « À la Saint-Denis, ramasse les fruits[note 4] », « À la Saint-Denis, bonne sèmerie[note 5] », « À la Saint-Denis, bécasses en tout pays »,
« Beau temps à la Saint-Denis, hiver pourri[note 6] », « Beau temps à la Saint-Denis, l'hiver sera bientôt fini », « Le laboureur se réjouit s'il pleut à la Saint-Denis, car tout l'hiver sera pluie ».
« S'il pleut à la Saint-Denis, la rivière sort neuf fois de son lit », « S'il pleut à la Saint-Denis, l'hiver sera humide et sans glace ».
« Le jour de la Saint-Denis, le vent se marie à minuit[note 7] », « À la Saint-Denis, l'hiver fait son nid », « Ai lai Saint-Denis l'hivré court par les chemis[note 8] ».
« Regarde bien avant et après la Saint-Denis les jours. Si tu vois qu'il gèle blanc, les vieux assurent que toujours le semblable temps tu revois pendant un, deux ou trois mois »[11].