Undelta est un type d'embouchure descours d'eau, caractérisé par la séparation du cours d'eau en plusieursdéfluents. Les deltas n'occupent qu'environ 0,65 % de la surface des terres mais en 2023 ils abritent environ 4,5 % de la population mondiale et sont à l'origine de plus de 6 % duPIB mondial[1].
Dans certaines conditions liées à la turbulence de la mer et à la quantité d'alluvions charriées par le cours d'eau, il peut se former un amas de dépôts. Ceux-ci divisent le cours d'eau en plusieurs bras dont le tracé avec lacôte est souventtriangulaire, ressemblant à la lettregrecque Δ (Delta), d'où son nom. La première division du cours d'eau à l'entrée du delta est appelé l'apex. Par extension, on parle parfois de Delta d'étang ou de lac[2].
L'activité alluvionnaire intense amène la forme même du delta à changer au cours du temps.
Il existe deux grands types de delta : de type Gilbert, et marins. Le delta de type Gilbert est le plus courant et le plus simple. Il possède un éventail abrupt et des dépôtssédimentaires basaux, frontaux et sur les sommets. Les deltas marins sont plus complexes dans leur architecture, car ils possèdent une partie deltaïque aérienne et une sous-marine.
Plusieurs facteurs influent normalement sur la configuration des deltas, ainsi que sur la disposition et les qualités physico-chimiques de leurs dépôts ou leur écologie : ce sont d'abord la quantité et la turbidité des eaux du fleuve et la saisonnalité ou la régularité des apports, lagéomorphologie initiale de la zone côtière concernée et la nature des influences marines (courants, houle). Dans le temps, les transgressions marines ou la baisse du niveau des océans en période glaciaire, ou des glissements dufond marin en bordure deplateau continental, des évènements sismiques (tsunamis) peuvent aussi remodeler ou modifier la configuration de ces deltas.
Lespétroliers ont constaté que le rendement de leursforages et la qualité dupétrole varient beaucoup selon qu'ils sont situés dans les dépôts avant-côte, dans les dépôts deprogradation d'un ancien delta, ou dans ses dépôts internes. Ils varient aussi selon l'ancienne configuration du delta, notamment selon son exposition aux vents et auxhoules de mer dans lepaléoenvironnement qui était alors en place. Un delta où les courants d'eau douce ralentissent fortement et qui est abrité des houles etcourants marins accumule plus de matières organiques fines. L'étude de la formation géo-morphologique des anciens deltas dans leurs paléoenvironnement a donc suscité un grand intérêt de la part de l'industrie pétrolière et gazière car une grande partie deshydrocarburesfossiles aujourd'hui exploités ont pour origine lamatière organique accumulée dans certains deltas fossiles de l'Ordovicien auMiocène (dans legolfe du Mexique par exemple)[3]. Ils ont donc été étudiés en tant quegîtes pétrolifères etpuits de carbone. Les deltas les plus pétrolifères étaient calmes et présentent des séquences verticales et latérales proches de celles observées dans des lacs, lagunes ou dans des mers presque fermées[3].
L'équivalent d'un delta marin peut se former quand un cours d'eau arrive dans unlac, comme celui duRhin dans lelac de Constance où l'on peut observer un phénomène (plus rare, qui existe aussi dans certains deltas marin) : les eaux turbides plongent sous les eaux claires pour sédimenter en profondeur[3].
De1929 à1941 la destruction par les hommes d'un ruban naturel d'embâcles de bois (pluricentenaire et s'étendant sur 75 km de long en amont de l'estuaire) a provoqué une subite augmentation de l'érosion des berges duColorado texan, et de laturbidité de l'eau. Le delta a vu sa surface multipliée par 140 en un peu plus de 10 ans ; il a colmaté le fleuve et une lagune et a ruiné lesarmateurs qui avaient ainsi voulu rendre le fleuve plus ouvert à lanavigation fluviale[3].
Dans certains conditions, dont à la suite d'activités humaines, un delta peut se former très rapidement : Jr Wadsworth a ainsi décrit[4] la formation très accélérée d'un delta (de1929 à1941 devant l'estuaire du fleuvetexanColorado : Les berges du cours inférieur de ce fleuve étaient antérieurement fortement protégées de l'érosion hydrique par la présence d'un important ruban d'embâcle debois flotté (embâcles signalés par les géographes et explorateurs dès leXVIIe siècle)[3]. Cet embâcle protégeait les berges sur 75 km environ. Mais de1925 à1929, afin de faciliter letransport maritime et fluvial, il a été décidé de rendre la rivière plus navigable (et d'exploiter ce bois). D'importants travaux ont été conduits pour totalement supprimer les dépôts de bois flottés. Il s'en est immédiatement suivi une spectaculaireérosion des berges et une augmentation de la turbidité du cours d'eau : ce delta qui ne couvrait que 20 ha (45acres en1908 d'après les documents, en 1941 avait enseveli 7098 hectares ; ruinant lesarmateurs qui avaient demandé la suppression des embâcles de bois flottés. Le phénomène se serait encore prolongé si l'on n'avait creusé un canal débouchant directement dans le golfe du Mexique où la houle et les courants dedérive littorale dispersent une grande partie de ces sédiments d'origine fluviatile, en augmentant la turbidité de l'eau[3].
L'étude des deltas fossiles peut aussi apporter des informations sur les anciens bassins versants car on retrouve dans les deltas des éléments minéraux qui proviennent de hautes montagnes et de substrats géologiques aujourd’hui disparus.
Les deltas qui atteignent un plan d'eau, généralement unemer mais aussi unlac de grande dimension, se classent en trois grandes catégories en fonction de leur morphologie qui dépend de plusieurs facteurs[5] :
ceux à dominance fluviale : ils adoptent une forme lobée ou allongée, les chenaux rectilignes sont bordés de levées (exemple :Mississippi,fleuve Jaune)[5] ;
ceux à dominance de lamarée : les bouches ont une forme évasée et les chenaux sontméandriformes (exemples :Fly,Mékong)[5] ;
ceux à dominance de lahoule : le nombre de chenaux est réduit et leurs embouchures sont entourées de cordonsdunaires (exemple :Rhône,Sénégal,Danube,Nil)[5].
Les morphologies intermédiaires à des degrés divers sont les plus répandues[5].
Certains deltas ne se forment pas à l'arrivée de la rivière sur une étendue d'eau. Ils sont alors qualifiés d'« intérieurs » et peuvent avoir plusieurs origines :
soit ledénivelé fait que le cours d'eau se ramifie en un delta mais l'aridité de la région ne permet pas la formation d'un lac. L'intégralité de l'eau peut s'évaporer ou s'infiltrer comme dans le cas dudelta de l'Okavango auBotswana ou une partie de l'eau peut reconstituer la rivière qui poursuit sa route comme dans le cas dudelta intérieur du Niger auMali ;
soit le cours d'eau se jette dans une ancienne étendue d'eau littorale au point de la combler, les différents chenaux finissant par se réunir pour reformer le cours d'eau qui se jette dans l'étendue d'eau principale après un bref parcours. Ils sont qualifiés de « deltas inversés » car la forme du delta est inversée par rapport au cours de la rivière. C'est le cas dudelta commun entre la Sacramento et la San Joaquin auxÉtats-Unis ou encore de l'embouchure duTage auPortugal dont lamer de Paille est en cours de comblement.
Dans certains cas exceptionnels, un delta se forme à la confluence de deux cours d'eau. C'est le cas enArgentine avec lerío Diamante qui se jette dans lerío Desaguadero sous la forme d'un petit delta.
La majorité des deltas dans le monde sont en rétrécissement. Les activités humaines, l’augmentation du nombre de barrages dans lesbassins hydrographiques, l’exploitation intensive desnappes phréatiques ou des réserves decombustibles fossiles y sont pour beaucoup[6]. La construction de milliers de barrages dans le bassin duMississippi[7] a réduit de moitié le flux de sédiments dans la partie en aval du fleuve, ce qui a causé une perte de 25 % de la superficie des terres humides du delta dans les derniers siècles[8]. Dans le cas dufleuve Pô enItalie, l’extraction intensive duméthane sous le delta au milieu duXXe siècle a causé unesubsidence pouvant aller jusqu’à 3 mètres par endroits. En 2009, la grande majorité du delta se retrouvait sous leniveau de la mer. Les terres doivent maintenant être protégées des inondations par desdigues et des stations de pompage[9]. De plus, les projections pour la hausse du niveau global des océans sont de 30 à 122 cm entre 2014 et 2100[10], alors qu'une hausse de 44 cm en 2070 suffirait pour faire augmenter de 50 % la superficie des zones deltaïques à risque d'inondation à la fin duXXIe siècle[6].
Dans certains systèmes, le rétrécissement des deltas a eu pour effet de changer la composition des espèces de plantes qui s’y retrouvaient. Certaines espèces tolèrent mieux les environnements plus ou moins salins et/ou inondés, entraînant une différence dans les taux de survie selon les conditions créées[11],[12],[13]. Une diminution de labiodiversité est parfois associée à ce phénomène[13]. Dans certains cas, le changement de composition a mené à une déstabilisation des sols du système[11], affectant ainsi la protection côtière[14],[15],[11].
Le rétrécissement de deltas a aussi eu un impact sur la productivité de certaines zones de pêche, notamment causée par la perte defrayères[16], l’eutrophisation des eaux et les changements de composition d’espèces associés[17], ainsi que la perte d’habitat[18].
Là où le courant ralentit et au gré de phénomènes de bioconcentration et de sédimentation, des "poches" de sédiments pollués peuvent apparaître, plus ou moins remobilisés lors destempêtes,curages etcrues saisonnières, voire lors d'actions dechalutage. En France, le projet « CAROL » (Camargue-Rhône-Languedoc) a ainsi mis en évidence[19] des poches desédiments trèsradioactifs au droit de l’embouchure du grandRhône, contaminés par ducésium 137, fixé sur des sédiments.
↑Graffouillère M., 2001,Les deltas d’étang : une étude limnologique à différentes échelles. Mémoire de DEA, Université de Limoges, 84 p
↑abcde etf[Pinot 1969] Jean-Pierre Pinot, « L'ossature géologique des deltas, d'après le colloque de Houston » (compte-rendu),Annales de Géographie,vol. 78,no 430,,p. 703-704(lire en ligne [surpersee]).
↑Wadsworth Jr AH (1966)Historical deltation of the Colorado river, Texas ; Houston Geological Society, Book/Publication Deltas in Their Geologic Framework (résumé
↑a etbAlainTamisier et PatrickGrillas, « A review of habitat changes in the camargue: An assessment of the effects of the loss of biological diversity on the wintering waterfowl community »,Biological Conservation,vol. 70,no 1,,p. 39–47(DOI10.1016/0006-3207(94)90297-6,lire en ligne, consulté le)
↑Rapport final du projet Carol par l'Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, consulté le 21 juillet 2005. Voir aussi B. Lansard, 2005.Distribution et remobilisation du plutonium dans les sédiments du prodelta du Rhône (Méditerranée nord-occidentale). Thèse de doctorat, université Aix-Marseille 2. Rapport SESURE 2005-12, 180 p.