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| Nationalité | Polonais, français |
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Les Vivres des morts pour les vivants(d),Les inaptes au travail |
David Olère, né le àVarsovie enPologne et mort le àNoisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis, France), est unpeintre etsculpteurfrançais duXXe siècle.
Ayant quitté sa Pologne natale pour devenir peintre et sculpteur en France, il estnaturalisé français et réalise notamment plusieursaffiches de cinéma. LaSeconde Guerre mondiale fait cependant irruption dans l’existence de ceJuif polonais qui est déporté au camp d’Auschwitz-Birkenau de 1943 jusqu'en 1945. Employé dans une équipe deSonderkommando chargée du traitement des cadavres deschambres à gaz, il parvient à échapper aux purges effectuées pour ne pas laisser de témoin, car ses dessins sont fort appréciés de ses gardiensSS. Il devient donc, après la guerre, un témoin visuel de premier plan de l’expérienceconcentrationnaire et duprocédé d’extermination, qu’il ne cesse de représenter par ledessin, lapeinture et lasculpture.
David Olère naît dans une famille juive deVarsovie d'un pèremédecin et d'une mèresage-femme[1],[2]. Il montre un talent précoce pour la peinture et entre à13 ans à l'école des Beaux-Arts de Varsovie, en dépit de son jeune âge et dunumerus clausus à l'encontre desJuifs[3]. À seize ans, il expose desgravures sur bois dans des musées et des galeries deDantzig et deBerlin.
Il obtient unebourse et quitte la Pologne à 16 ans pourDantzig puis Berlin enAllemagne, trois ans plus tard. Il y est engagé en 1921 par le réalisateurErnst Lubitsch à l'Europäische Film Allianz[4] comme peintre,maquettiste etdécorateur de studio.
Olère vit également àMunich et àHeidelberg avant d'émigrer àParis en 1928 et de s'installer àMontparnasse. Il fréquente de nombreux artistes qui reconnaissent son talent et travaille commeaffichiste et décorateur à laParamount ; on lui doit notamment les affiches des filmsLes Misérables ouTartarin de Tarascon de 1934[5],[3], et pour les studios Pathé[6]. Il enseigne également à l'académie de la Grande Chaumière (Paris VIe).
Il épouse en 1930 unemodiste parisienne, Juliette Ventura, dont il a un fils,Alexandre (1930-2010)[3],[6]. Il est naturalisé français en 1937, sous le nom de « David Olère » qui francise son nom de naissance « Oler »[3].
David Olère est mobilisé en 1939 au134e régiment d'infanterie deLons-le-Saunier[7] Après sadémobilisation, il perd son emploi, la Paramount fermant ses portes, et il est astreint austatut des Juifs du 3 octobre 1940, instauré par lerégime de Vichy : sa nationalité lui est retirée ce même mois, il lui est interdit de travailler dans le cinéma et enzone occupée, il doit de se faire recenser, porter uneétoile jaune et la mention « Juif » figure sur la pièce d’identité[5],[3].
Le, il est arrêté par lapolice française dumaréchal Pétain lors d'unerafle à domicile enSeine-et-Oise[8]. Le 2 mars, il est déporté deDrancy versAuschwitz avec mille autres Juifs, par leconvoi n° 49[1]. De ce transport, Olère fait partie des 119 personnes sélectionnées pour le travail - seulement 6 survivront[6] - alors que les 881 autres, hommes femmes et enfants, sont gazées peu après leur arrivée[9],[3]. Comme les autres, il est dépouillé de tous ses biens, rasé,tatoué, revêtu d'un pyjama rayé, il va apprendre à marcherzu fünf (en rang par cinq)[3].

Matricule 106144, il est choisi pour faire partie duSonderkommando, le « commando spécial » dont le rôle principal est de sortir les corps deschambres à gaz et de récupérer sur les cadavres tout objet de valeur avant de les charger dans lesfours crématoires, travaillant d'abord au Bunker 2 puis au Crématorium III[10],[9]. Il est en premier lieu creuseur de fosses servant defosses communes de crémation, alors à proximité des Bunkers, avant d'être unHäftling (détenu) principalement rattaché au K III, se trouvant à l’extrémité droite de la voie ferrée, pendant les 20 mois de son calvaire auSonderkommando[3].
Les membres desSonderkommandos, bien que relativement mieux traités que les autres prisonniers du camp, étaient régulièrement gazés eux-mêmes pour éviter des révélations et témoignages gênants sur le processus d'extermination à l'œuvre àAuschwitz-Birkenau. Olère et ses compagnons d'infortune travaillent sous l'autorité et souvent lesadisme de différents SS qui se succèdent aux crématoires et qu'il représentera dans ses dessins d'après-guerre :Johann Gorges (1900-1971),Rottenführer à son arrivée à Birkenau etUnterscharführer (sous-officier de faible grade) à sa sortie ; Herbert avec le grade deHauptscharführer ; l'OberscharführerErich Muhsfeldt (1913-1947), arrivant ducamp de Majdanek, directeur à Birkenau les K II et III en juin 44 avant de devenir le chef de l’ensemble des crématoires ; l'OberscharführerPeter Voss (1897-1976), chef des crématoires jusqu’en mai 44 puis des K IV et V ;O. Moll qui se délecte des tortures perverses qu'il pratique sur les détenus[3].
Le talent de dessinateur d'Olère retenant l'intérêt des SS, David Olère échappe à la mort programmée encalligraphiant et décorant de dessins les lettres envoyées par les SS à leur famille[8],[11]. Malgré son statut d'artiste, il reste unHäftling duSonderkommando à qui il arrive d’être envoyé dans les différentes parties des différents crématoires, selon les besoins en main d’œuvre[3].
Il retient de nombreux lieux, moments et expériences du camp, confirmés par les divers témoignages qui seront trouvés par la suite (photographies de SS, manuscrits enterrés d'autres membres deSonderkommando, témoignages de survivants). Parlant leyiddish, lepolonais, le varsovien, le russe, lefrançais, l'anglais et l'allemand - « atout important, voire essentiel pour accroître les chances de survie dans le camp »[3], il sert également d'interprète auxAllemands qui, sentant la défaite poindre, n'hésitent pas à capter les nouvelles deLondres diffusées par laBBC[6]. Il y apprend lalibération de Paris etde Strasbourg.
David Olère réussit, comme d'autres membres du dernier groupe deSonderkommando, à se mêler aux autres prisonniers du camp lors de l'évacuation de Birkenau (Auschwitz II) et d'Auschwitz, le. Il prend alors part à lamarche de la mort dans la neige, avec 65 000 autres déportés d'Auschwitz, jusqu'aucamp autrichien de Mauthausen - à 500 kilomètres de là[6] - puis le camp annexes deMelk où il est affecté au travail dans les mines et fait cinq tentatives d'évasion infructueuses, et au camp d'Ebensee enAutriche[9],[12],[6].
Il n'est libéré par l'armée americaine que le 6 mai, après la fuite des SS[3],[9]. Affaibli et traumatisé pour longtemps, il retourne alors à Paris, retrouve sa femme et son fils qui étaient cachés, et apprend ensuite que toute sa famille polonaise a été exterminée à Varsovie[12],[6].
Revenu àNoisy-le-Grand, il reprend son métier d'affichiste et, dans son atelier-jardin, Olère nourrit son art (dessins, peintures et sculptures) dans une perspective de témoignage de ce qu'il a vu en enfer. C'est son seul moyen de supporter l'horreur vécue et sa seule motivation à survivre et ne pas sombrer dans la folie qu'il frôle souvent[6],[12]. Dans la mesure où « aucune photographie n'existe de l'intérieur des bâtiments où femmes, enfants et vieillards étaient amenés à entrer dans de fausses salles de douche avant que n'y soit vaporisé le terribleZyklon B... utilisé par les nazis pour les tuer », les œuvres graphiques d'Olère « complètent les témoignages des rares Sonderkommandos (une centaine au total pour l'ensemble des camps de mise à mort) à ne pas avoir été exécutés par leurs tortionnaires », et sont considérées comme un témoignage visuel de première importance[12],[6]. Elles sont exposés dans de grands musées[12].
Un documentaire de Jean Boussuge intitulé « Non-retour ou la mémoire volée »[13],[14] lui est dédié, en 1981 où il est filmé chez lui[5].
Il meurt en 1985, selon son filsAlexandre, épouvanté par la naissance des thèsesnégationnistes, qui n'hésitent pas à mettre son propre témoignage en doute.
Après lui, sa veuve et son fils continuent à informer le monde sur l'univers d'Auschwitz et honorer les victimes en se souvenant de leur souffrance par le biais de ses œuvres[8],[7].
Olère est le seul artiste à avoir travaillé comme membre duSonderkommando et à avoir survécu[9]. «Hanté par les scènes atroces auxquelles il a assisté, il consacre sa vie après-guerre, en France, à les reproduire de mémoire »[15]. Dès sa libération, il dessine, peint ou sculpte ; son œuvre s'étend ainsi de 1945 à 1962. Au début, David Olère ne produit que des dessins (témoignage-documentaire) pour passer à peinture à l'huile sur toile (témoignage-allégorie) quelques années plus tard[3]. « Le travail de David Olère est à la fois d’une grande valeur artistique et d’une grande valeur informative grâce à son incroyable précision jusque dans les détails »[3]. Il l'intituleMemento[6].
Sa soixantaine de dessins d'Auschwitz, produits dès 1946[3],[6], sont parfois les seuls documents visuels restants et ont une valeur documentaire exceptionnelle, particulièrement ceux représentant les chambres à gaz, les fours crématoires et leurs victimes[5],[7]. Aussi, lorsque des photographies d'époque faites par des SS ou des plans sont trouvés plus tard, par exemple de la salle desfours ou des bâtiments du crématoire, il s'avère qu'ils sont superposables aux dessins d'Olère, qui grâce à samémoire photographique, sont d'une « précision d'architecte »[5],[3]. Olère fournit par exemple des plans en coupe de ces installations, détruites sur ordrenazi peu avant l'évacuation du camp, afin d'expliquer comment fonctionnaient ces usines de mort[7]. Bien qu'appelé à dessiner pour des SS, il ne pouvait pas réaliser de croquis sur place[8].
Olère se représente parfois dans ses dessins, témoin fantomatique identifiable par son matricule 106144, notamment sur l'un d'entre eux en train de réaliser unemarine sur un abat-jour de peau. Outre des scènes d'arrivée à Auschwitz comme son dessin en couleurs ternes représentant une famille épuisée et hagarde, intituléParisiens à Birkenau Auschwitz[3], des scènes de sélection (Selektion, en allemand) et de gazage, concernant des groupes ou des individus, il montre dans son travail les mines après l'évacuation de Birkenau, ou encore des scènes de prière, ayant rapidement croqué uneétoile de David et une figure deJésus sur du papier d'emballage pour ses camarades de baraque lors du dernier hiver passé à Auschwitz. Un dessin représente Juifs etchrétiens priant côte à côte pendant qu'un prisonnier fait le guet, cette activité étant comme beaucoup d'autres interdite[3]. Un autre dessin,Les Inaptes au travail, réalisé après 1945, renvoie au funeste destin des déportés ne pouvant travailler. Certaines de ses œuvres illustrent le témoignage de l'écrivainShlomo Venezia (recueilli en 2006[16]), sur son expérience concentrationnaire, leSonderkommando et la révolte de ce dernier.
En 1952, Olère réaliseLes Vivres des morts pour les vivants[17]. Cettehuile sur carton mesurant 102 × 76 cm est exposée aumusée de l'Holocauste à New York aux États-Unis. Le tableau, réalisé peu après laSeconde Guerre mondiale, montre un mouvementexpressionniste ; ce courant artistique duXXe siècle cherche à exprimer des émotions et des sentiments[18].
Après la guerre, ses œuvres ne semblent intéresser personne dans un premier temps[5]. « Les peintures sont souvent crues et répulsives, les scènes horribles semblent repousser le public plutôt que de l'attirer. Pourtant, son œuvre ne représente que la vérité, un objectif que les meilleurs artistes aspirent à atteindre »[7].
David Olère prend sa retraite d'artiste en 1962[8].
Ses œuvres sont parfois exposées de son vivant et après sa mort notamment auMusée des Invalides, auGrand Palais (1982) et auMémorial de la Shoah (1995 et 2005 dans une exposition intitulée « Au Cœur de l’Enfer ») à Paris, auMusée juif de New York, au Musée deBerkeley, àChicago ou enRussie[12],[5], également àYad Vashem àJérusalem (en 1997) mais le plus souvent, elles restent confidentielles dans les archives des musées[5]. Sa peinture d'1m30 x 1m60 réalisée en 1960, considérée comme l'une de ses œuvres majeures et intituléeGazage, est donnée à un musée new-yorkais mais n’est pas exposée pour autant[3]. Dix-huit de ses tableaux sont offerts auMuseum of Jewish Heritage de New York et un au musée de la résistance deChampigny-sur-Marne (1989), seul tableau exposé en France où il avait choisi de vivre[5].
« La soixantaine de dessins qu'il effectue entre 1945 et 1949, et qui représentent les effroyables visions qui le hantaient, est aujourd'hui conservée entre la France (au Mémorial de la Shoah) et Israël (à Yad Vashem et au musée des Combattants du ghetto dukibboutzLohamei HaGeta'ot) »[6].
En 1989,Jean-Claude Pressac publie son ouvrage de référenceAuschwitz: Technique and Operation of the Gas Chambers, en s'étant appuyé notamment sur les archives dumusée d'Auschwitz-Birkenau en Pologne et sur l'œuvre d'Olère[6].
À contre-emploi, des œuvres d'Olère servent de défense dans le procès endiffamation du négationniste de la ShoahDavid Irving contre l'historienneDeborah Lipstadt qui devait prouver que les chambres à gaz avaient existé, en 2000[19],[11],[20].