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Le nom de Dalmatie provient de la tribu antique desDalmates, apparentée auxIllyriens et auxPannoniens[2], dont la cité principale était la ville deDelminium, à proximité de l'actuelle ville deTomislavgrad, enBosnie-Herzégovine. Toutefois, l'étymologie du nom est toujours discutée. Selon l'opinion des linguistesalbanaisprotochronistes, « Dalmatie » viendrait d'un mot illyrien que l'on retrouverait aujourd'hui dans l'albanaisdelmë, signifiant « mouton », à supposer que l'albanais soit effectivement issu des dialectes illyriens. D'autres linguistes affirment que laromanisation des Illyriens, pendant la dominationromaine (qui dure ici près de mille ans, de-219 jusqu'auVIIe siècle en comptant l'Empire romain d'Orient), a abouti à l'apparition dudalmate, unelangue romane aujourd'hui disparue, tandis que l'albanais, lui, proviendrait dusubstratthraco-dace, non romanisé et non illyrien, des langues paléo-balkaniques[3].
En -229 et -228, laflotte romaine combat les pirates illyriens qui s’abritent dans les multiples îles de cette région, et à partir de -219, lesRomains prennent le contrôle de la côte dalmate pour garantir leur sécurité en mer Adriatique.
En -168, le consul romainPaul Émile le Macédonien bat leroyaume de Macédoine et ses alliés les rois Illyriens. Les Romains prennent le contrôle de la Dalmatie, pour s’assurer une route terrestre permanente vers la Macédoine et la Grèce. En revanche, ils n’allèrent pas très profondément dans le territoire illyrien, etJules César, proconsul des Gaules et de l’Illyrie à partir de -58, dirige ses légions vers laGaule.
Entre -13 et -9, lesRomains commandés parTibère font la conquête de l'Illyrie jusqu'auDanube. Tibère doit intervenir à nouveau entre les années 6 et 9 pour réduire une révolte des Illyriens au cours d’une guerre difficile, engageant pas moins de15 légions et autant d’auxiliaires, soit un effectif considérable compris entre 150 000 et 180 000 soldats. Après sa victoire, l’Illyrie est divisée en deuxprovinces : la Dalmatie et laPannonie.
En raison de la présence de deuxlégions, l'ancienneprovince sénatoriale de Dalmatie est réorganisée en l’an 10 en uneprovince impériale, avec comme capitaleSalonae (Salone, aux importants vestiges archéologiques romains : puissants remparts, thermes, basilique). D'autres villes romaines furent prospères : Tarsatica (Trsat, au sud deRijeka),Iader (Zadar, où sont encore visibles les vestiges du forum romain),Narona,Burnum. Les mines d’or et d’argent contribuent à la prospérité de la Dalmatie.
Même après le départ deslégions vers les provinces frontalières du Danube,Pannonie etMésie, la Dalmatie conserva son statut de province impériale confiée à un ancien consul. Par exemple,Lucius Plotius Pegasus est gouverneur de la province sousVespasien. La Dalmatie conserve une garnison auxiliaire qui renforcée durant le règne deMarc Aurèle. Celle-ci semble avoir été touchée à cette époque par des phénomènes de brigandages.Didius Julianus, futur empereur et alors gouverneur, aurait mené des opérations contre les brigands vers 175–178. Son importance stratégique s'était aussi réaffirmée puisque les Barbares avaient traversé les provinces frontières pour parvenir en Italie. À partir duIIe siècle, l'urbanisation, laromanisation puis lachristianisation des Illyres progressent, et la région devient une place importante de l'empire, constituant, avec laRhétie et leNorique la liaison incontournable entre l'Italie et les frontièresdanubiennes.
Le remodelage des provinces sous latétrarchie conserva la Dalmatie en une seule province. Son contrôle est fréquemment disputé entre les empereurs régnant sur les parties occidentale et orientale de l’Empire Romain. Lors de l’ultime division de l’Empire romain en 395, la Dalmatie est rattachée à l’Empire romain d'Occident.
Depuis la fin duIVe siècle et jusqu'à la fin duVIIe siècle, enEurope, prend place la période des « Grandes Invasions ». Elle se définit par de nombreux mouvements migratoires de populations se déplaçant de l’est vers l’ouest, et du nord vers le sud. En Dalmatie, et dans les régions limitrophes, cette période marque l’établissement successif desLombards, desAvars, puis desSlaves.
LesLombards, population germanique, s'installent auVIe siècle enPannonie (la grande plaine pannonienne se situe autour de la Hongrie actuelle et englobe notamment le nord de la Croatie) enItalie. Puis lesAvars, population nomade originaire de l’Altaï (en Russie actuelle) remplacent dès 568 lesLombards et s'installent enPannonie. Enfin lesSlaves, population originaire du nord de la mer Noire, arrivent en Dalmatie certainement au début duVIIe siècle.
Ces différentes populations sont donc amenées à coexister avec lesDalmates, qui sont des populations locales dont les langages proviennent d'une latinisation progressive des dialectesillyriens. Les Dalmates, souvent appelés « Romains » dans les sources de l'époque (en raison de leur culture romanisée), vivent alors principalement dans les cités du bord de la mer Adriatique, et gardent des liens étroits avec l'Empire romain d'Orient[6].
Conflits entre populations locales (Dalmates) et étrangères (Avars)
Vue aérienne de la ville de Split. La ville s'est donc développée à l'intérieur des remparts du palais de Dioclétien.
LesAvars, qui progressivement dominent la plupart des villes de Dalmatie au début duVIIe siècle, poussent les populationsromanes (Dalmates) vers le littoral. En effet, la destruction de la cité dalmate deSalone (historiquement la capitale de la Dalmatie) par lesAvars en 615 a contraint ses habitants à se réfugier à l'intérieur et autour dupalais de Dioclétien — évènement fondateur de la ville deSpalato (Split)[7].
Depuis leIVe siècle, des hordes venues d’Asie (Huns,Avars, Obres, Ouïgours, et plus tard lesMagyars) sont amenées à traverser le territoire d'origine des Slaves (nord de la Mer Noire) et à mener des opérations tantôt pacifiques ou violentes, qui provoquent des brassages, des séparations, et des migrations chez les populations slaves. De sorte que l’on observe, dès leVIe siècle, desflux migratoires slaves en direction de l’Europe centrale et desBalkans[9].
L'arrivée des Croates sur les rives de l'Adriatique.
Parmi lesSlaves d'Europe, lesHrobates deGalicie se séparent enBjalohrobates (ou « Croates blancs », qui restent sur place et participent à l’ethnogenèse desPolonais et desRusyns (Ruthènes)) etČernohrobates (ou « Croates noirs », qui descendent vers le sud-ouest et, en 640, apparaissent enPannonie). Il s'agit en tout cas ce récit que nous donne Constantin VII auXe siècle : aucune autre source vient avérer ces informations[7].
Illustration reproduisant les fonts baptismaux duknez Višeslav, vers 800. Monument conservé au musée archéologique de Split, Croatie.
Mais il n’en reste pas moins que le début de lachristianisation croate peut être située au moins à partir du début duIXe siècle — comme tendent à le montrer lesfonts baptismaux du prince Višeslav datant de cette époque. En effet, cette fontaine baptismale viendrait vers 800 commémorer le baptême duknez Višeslav. Certains chercheurs ont toutefois exprimé des doutes sur son authenticité[11].
En outre, un témoignage deConstantin VII Porphyrogénète nous informe que lesSlaves de Dalmatie ont commencé à être christianisés « au temps de leur prince Porinos », après la mort d'un personnage nommé « Kotzillis » (Kocel ?). Or ce personnage a pu être assimilé àCadolah (mort en 819)[1].
On a donc un fort mouvement de christianisation du territoire dalmate auIXe siècle, ce qui lui permet par l’intermédiaire deRome, de progressivement intégrer lachrétientéoccidentale et d'éviter son déchirement entre les puissances franques et byzantines. L'accélération de la christianisation va de pair avec l'émergence d'entités politiques plus complexes.
Ce mouvement commence dans la décennie 790 qui aboutit en 796 par la victoire du roiPépin d’Italie (fils deCharlemagne) sur le second Khaganat avar. En 799,Charlemagne envahit la Dalmatie, la contestant auxByzantins, et la conquiert définitivement en 803. La victoire carolingienne sur lesAvars (en 803), situés alors enPannonie ne signifie pas la disparition desAvars, mais seulement marque la fin de leur pouvoir politique en Dalmatie.
En 819, l'Empire carolingien envoie une armée contre une rébellion (rébellion de Ljudevit) menée parLjudevit Posavski, qui était un duc vassal en territoire dePannonie inférieure (entre laDrava et laSava) - mais la répression militaire de la révolte est un échec. On assiste donc à une crise du maintien politique de la marche carolingienne en Dalmatie. En 822, les troupes deLjudevit sont vaincues par le margrave du FrioulBalderic[12].
Toutefois en 826 lesBulgares prennent le contrôle du sud-est de laPannonie, et mettent en échec le margraveBaldéric, qui est évincé de sa fonction en 828.
À partir de 828, l’Empire carolingien administre une réorganisation de lamarche du Frioul et se désintéresse progressivement de la Dalmatie, ce qui donne donc l'opportunité aux différents duchés « croates » d’obtenir une autonomie relative[1].
Naissance de l'identité croate et émergence d'un État croate autonome (IXe – Xe siècles)
De nombreux Vénitiens s'installent durant cette période dans les ports et les îles de la Dalmatie et levénitien y remplace progressivement ledalmate. Venise ne perd définitivement la Dalmatie qu'avec sa propre indépendance, lors de sa conquête parBonaparte en 1797. Toutefois, sous le régime vénitien, lalangue croate a pu se développer en Dalmatie (y compris dans les îles) au même titre que l'italien, et des écoles, des publications y ont vu le jour. La languedalmate, en revanche, n'était pas enseignée et a fini par disparaître.
Sous le nom deroyaume de Dalmatie, la province est rattachée directement à l'administration de Vienne. L'Autriche, plus encore que Venise, y favorise le développement de la culture croate, d'autant qu'elle y voit un moyen de limiter l'irrédentisme des Italiens de la côte. En1816 la présence italienne dans la région était estimée à 20 %, en1865 elle n’était plus que de 12,5 %[13].
Par letraité de Rapallo en 1920, à la suite de la défaite des puissances centrales dans laPremière Guerre mondiale, la Dalmatie, à l'exception de la ville deZadar (Zara) et de l'île deLastovo (Lagosta), cédées à l'Italie, fut incluse avec le reste de laCroatie dans leroyaume des Serbes, Croates et Slovènes, rebaptisé un peu plus tardroyaume de Yougoslavie. Pendant laSeconde Guerre mondiale, lesItaliens ont annexé de1941 à1943 certaines autres îles et une partie de la Dalmatie continentale, formant ungouvernorat de Dalmatie : un traité laisse le reste du territoire dalmate à l'État indépendant de Croatie d'Ante Pavelić, qui le contrôle en totalité après octobre1943, à l'exception de la région de Zadar. En 1944–1945 lespartisans yougoslaves reprennent la Dalmatie auxOustachis d'Ante Pavelić. Entre 1945 et 1950, la minorité italienne est expulsée vers l'Italie (environ 30 000 personnes dont 20 000 de la ville deZadar). En moins de dix ans la présence italienne en Dalmatie est pratiquement éradiquée. Après cettepurification ethnique il ne reste aujourd'hui dans toute la Dalmatie que quelques centaines d'Italiens, derniers témoins d'une présence romane plus que millénaire.
En 1991, après que laCroatie a déclaré son indépendance vis-à-vis de larépublique fédérative socialiste de Yougoslavie, la région redevient un champ de bataille entre indépendantistes croates et pro-yougoslaves serbes : la flotte yougoslave fait leblocus des côtes et bombarde les ports. Lesiège de Dubrovnik, d'octobre 1991 à mai 1992, cause à la ville des dommages considérables. La flotte yougoslave doit cependant ensuite se regrouper àKotor, qui dépend de la république deMonténégro, fidèle à la Fédération. Mais une partie des unités, aux équipages majoritairement croates, se mutinent et préfèrent rejoindre la Croatie.
Le àKnin, sous l'impulsion du colonelRatko Mladić nommé dans ce but dans cette ville, lesSerbes, majoritaires en Dalmatie du nord, déclarent vouloir rester Yougoslaves et refusent que la Dalmatie du nord intègre la république de Croatie. Ils barrent les routes, coupant la liaison terrestre entre la Croatie du nord et le reste de la Dalmatie : c'est la « révolution des Rondins ». Lorsque la nouvelle police croate tente de dégager les routes, l'armée yougoslave (JNA) ouvre le feu contre elle. En1991, les dirigeants serbes, alors dirigés parMilan Babić, expulsent les habitants croates (non sans violences) du nord de la Dalmatie, et le rattachent à larépublique serbe de Krajina autoproclamée, dont ils font de Knin la capitale. Ils légitiment cette proclamation par l'appartenance de la Krajina, à l'époque autrichienne, auxconfins militaires des Habsbourg, à majorité serbe (bien que la Dalmatie et Knin n'en aient pas fait partie[14]). Encerclée par l'Armée de la république de Croatie et par les troupes duConseil croate de défense deBosnie-Herzégovine (HVO), la république serbe de Krajina tombe (non sans morts) au cours d'une offensive menée en1994-1995. Le, Knin tombe aux mains de l'armée et de la police croates lors de l'opération Tempête (encroate,Oluja). Les habitants croates peuvent regagner leurs foyers, tandis que ce sont cette fois les Serbes — plus de 250 000 — qui sont chassés et qui se replient enrépublique serbe de Bosnie.
Après1996 commence une période de reconstruction qui, à partir de2000, permet un développement essentiellement axé sur letourisme, qui n'est pas sans effet sur les ressources en eau ethalieutiques, sur laqualité des eaux et la préservation des paysages.
Les ressources de la Dalmatie sont l'industrie (constructions navales, métallurgie), ainsi que l'agriculture et la pêche, en déclin, tandis que dans les îles et sur la côte, le tourisme prend au contraire une très grande ampleur, avec un rythme de construction très rapide et des prix qui ne cessent de grimper.
Le mathématicien et astronomeRoger Josip Bošković (1711–1787), né à Raguse (Dubrovnik), a fait ses premières études dans cette ville mais la plus grande partie de sa carrière s'est déroulée à l'étranger.
Lebrudet, soupe ou ragoût de poisson, est un plat fréquemment préparé sur toute la côte adriatique croate, mais particulièrement apprécié en Dalmatie, dans les régions de Zadar, de Šibenik et de Split[16].
↑Eqrem Çabej,Eric Hamp, Georgiev, Kortlandt,Walter Porzig, Sergent et d'autreslinguistes considèrent, dans une perspectivepaléolinguistique ouphylogénétique, que le proto-albanais s'est formé sur unfond thraco-illyrien vers leVIe siècle, à l'intérieur des terres, subissant un début deromanisation encore sensible dans la langue moderne, tandis que lesemprunts les plus anciens de l'albanais auxlangues romanes proviennent dudiasystème roman oriental et non de l'illyro-roman qui était la langue romane anciennement parlée enIllyrie après la disparition de l'illyrien (pendant l'occupation romaine, l'illyro-roman a remplacé l'illyrien à la manière dugallo-roman remplaçant leceltique enGaule). Comme les lieux albanais ayant conservé leur appellation antique ont évolué selon deslois phonétiques propres auxlangues slaves et que l'albanais a emprunté tout son vocabulaire maritime aulatin et augrec, ces auteurs pensent que les ancêtres des Albanais ont vécu à l'est de l'actuelle Albanie et que des régions côtières de ce pays (thème du Dyrrhacheion) étaient initialement gréco-latines. De nos jours, l'existence enalbanais de mots empruntés auroman oriental balkanique et en roumain de mots de substrat apparentés à des mots albanais corrobore cette manière de voir.
↑Natale Vadori,Italia Illyrica sive glossarium italicorum exonymorum Illyriae, Moesiae Traciaeque ovvero glossario degli esonimi italiani di Illiria, Mesia e Tracia, ed. Ellerani, San Vito al Tagliamento 2012, p. 472,(ISBN978-88-85339-29-3).