Ledéfrichement (oudéfrichage) est la destruction naturelle (glaciations quaternaires, tempêtes, gel, incendies : défrichement naturel)[1] ou humaine (défrichementanthropique) d'espaces boisés, deforêts (ou étymologiquement) de « friche », quand il s'agit de mettre fin à l'état boisé, généralement pour convertir la parcelle forestière en un autre usage (cultures, prairies, vignes, habitat…). La friche désigne ici — au sens ancien du terme — uneforêt en début derégénération naturelle, un taillis ou unelande, etc. Il se fait parcoupe rase suivi dedessouchage, ou par le feu[2]. Sa définition juridique est en France[3]« toute opération volontaire ayant pour effet de détruire l'état boisé d'un terrain et de mettre fin à sa destination forestière ».
Les premiers défrichements significatifs remontent, au moins enEurope, au milieu duNéolithique et ils pourraient être bien antérieurs dans certaines zones deChine,Mésopotamie,Moyen-Orient.
QuandJules César envahit laGaule, il y a un peu plus de 2 000 ans, il ne se dit gêné par la forêt qu'en « Belgique » (zone qui correspondrait aujourd’hui auxPays-Bas, à l'actuelle Belgique et au Nord et à l'Est de la France).
Les auteurs et chroniqueurs anciens évoquent maints exemples de déboisements qu'ils jugent excessif généralement engendrés par les besoins du pouvoir (construction depalais, de vastes enclos…) et desguerres ;
DeSésostrisIer àMehmet II, l'urbanisation progressive, la mise en culture et en terrain d'élevage de l'Anatolie se sont faites conjointement à une succession de guerres et de reconstructions, respectivement très destructrices de forêts puis consommatrices de bois ;
Ces terres sont déjà jugées en grande partie déboisées parStrabon, lequel décrit par exemple à propos de l'Assyrie comment on continue de déboiser les montagnes pour les besoins des villes :« Dans le golfe d'Adramythium estAntrandos, située au-dessous de la montagne que l'on appelle du nom d'Alexandrie ; vient ensuiteOEspanius, lechantier de la forêt d'Ida ; c'est là que l'on descend le bois que l'on coupe sur une montagne, pour le débiter à ceux qui en ont besoin. Astyra est aussi censée appartenir à laMysie ; à cinquante stades, dans l'intérieur des terres, estThebé déserte, qui, suivantHomère, était sousPlacos couverte de forêts ; cependant, on n'y trouve plus ni l'endroit nommé Placos ouPlax, ni aucune forêt, quoiqu'elle soit dans le voisinage de l'Ida. Thebé est à environ soixante-dix stades d'Astyra, à soixante d'Andréisa, mais ces noms ne désignent plus que des lieux déserts ou mal peuplés, ou des fleuves qui ne sont que des »[5].« En remontant l'Euphrate, depuis son embouchure, jusqu'àBabylone, a on a à droite et à gauche un pays bien habité de plus de « trois mille stades d'étendue. Babylone est en grande partie déserte, vu la rareté des bois de charpente, les poutres et « les piliers des édifices particuliers sont en bois de palmier, toutes les maisons elles-mêmes sont voûtées, à cause du manque de bois de charpente, car le pays est en grande partie couvert de taillis n'ayant d'autres futaies que le palmier ».
XerxèsIer pour rejoindre laThrace et l'Attique doit traverser laLycaonie aujourd’hui aride, mais qu'Hérodote ne décrit pas comme telle. Par contre selon lui, l'armée de Xerxès était si grande (un million sept cent mille hommes selon Hérodote, plus vraisemblablement 250 000 hommes selon des historiens modernes) qu'elle absorbait les ressources des pays qu'elle traversait, jusqu'à l'eau des petites rivières.
SelonProcope de Césarée[6],JustinienIer fit abattre les forêts et détruire les joncs du torrent appelé Draco, qui coule à côté de l'ancienneHélénopolis. Elles n'ont jamais repoussé dans cette partie de laBithynie.
LaGrèce antique,« en raison d'une civilisation avancée, était déjà en partie déboisée du temps des Romains ; néanmoins, il lui en reste encore dans la proportion de 17 % de la superficie totale. Les îles deChio, deCrète et surtout deZante qualifiée par Homère d'« île aux Forêts », sont maintenant toutes déboisées » notait Becquerel.
Larégion de la Palestine et en particulier la contrée deChanaan décrite par laBible hébraïque, comme le pays le plus fertile de l'univers s'est désertifiée, peut-être à la suite de la destruction de ses forêts. De même pour les forêts decèdres du Liban également décrites par la Bible ;« avec la multiplicité de mes chariots, je suis monté sur le haut des montagnes ; sur le sommet du Liban, j'ai abattu les superbes cèdres et les plus beaux des sapins, j'ai pénétré jusqu'à l'extrémité de ses limites et de sa forêt. » peut on lire au chapitre IV, du livre des Rois, mais il ne reste qu'un sol aride là où poussait jadis laforêt d'Éphraim ; lieu d'une bataille avec lesÉphraïmites, que les textes ont mémorisé (« L'armée marcha dans un combat contre Israël, et la bataille fut donnée dans la forêt d'Éphraim »[8]).
Les chroniqueurs nous disent que lors dusiège de Tyr, leLiban fournit àAlexandre le Grand le bois nécessaire à la construction d'une digue et de tours qu'il fit construire pour prendre la ville (Quinte-Curce).
D'autres forêts, ayant pu avoir existé, sont présentes dans la Bible dont celles de Kharethes et de Khoreha
Jules Oppert, lors d'une expédition scientifique en Mésopotamie, décrit laBabylonie comme suit[9] ; du haut de la colline d'Abraham on jouit d'une« belle vue de la plaine tout entière de Babylone ; tout autour, on aperçoit des eaux stagnantes d'Harkeh, d'Hindijeh et les marais derrière lesquels s'abritent les Arabes quand ils sont en guerre avec les Turcs. Depuis le Tell Harheh (tumulus de l'incendie) juste qu'au Birs-nimroud s'étend une plaine, qui est quelquefois inondée jusqu'à une certaine distance de cette colline. Au nord de l'Abou-zouïcap commencent les marais ; dans une partie, l'eau est toujours stagnante ; dans l'autre plus solide, qui n'arrête pas la marche des voyageurs, il pousse des plantes, surtout des papyrus; la plaine fertile de Kaabouri s'étend de ces marais jusqu'àKerbela ». Les marais étaient autrefois plus proches de Babylone, mais l'Euphrate semble avoir progressivement perdu son eau ;« Cet état de choses paraît être dû au déboisement des montagnes de l'Arménie ».
Plusieurs zones aujourd’hui sahariennes et désertiques abritaient des zones humides et une riche faune, et probablement quelques zones boisées. La part de l'Homme dans leur régression est encore mal comprise.
La déforestation de l'Afrique de l'Est (là où existaient des forêts) date au moins de l'époque biblique.
Les forêts de rivages ont presque toutes été abattues de la Libye jusqu'aux ruines de Carthage.
Selon Becquerel,« Quoiqu'on n'ait aucune preuve directe que l'Égypte fut boisée jadis, on ne peut croire queMemphis etThèbes qui ne présentent plus que des ruines au milieu de déserts de sable, et où l'on ne trouve plus que quelques palmiers isolés, fussent dépourvues de toute végétation forestière ».
L'Empire romain après avoir rapidement consommé une grande partie des forêts italiennes, s'est reporté sur d'autres pays, et notamment sur la forêt d'Espagne (pour les besoins de la métallurgie notamment). L'Italie n'a conservé que de faibles reliques des forêts décrites par des historiens et chroniqueurs romains, dont la célèbreforêt Ciminienne et les forêtsMœsia et laforêt d'Albe ou encore la forêt d'Aricie, où l'armée dePosthumius fut entièrement détruite, a disparu.Naples, l'ancienneCampanie ont aussi perdu les forêts qui selon les anciens y poussaient, tout comme la Sicile. Seule laSardaigne conservait encore auXIXe siècle un sixième de sa superficie boisée, et la Corse, mais avec un boisement demaquis souvent chétif et dégradé par les incendies et les défrichements.
Quand les Romains partirent deMassilia pour conquérir les Gaules, ils trouvèrent de vastes étendues de bois, s'étendant à l'ouest jusque dans les Cévennes[10].
Selon Jules César, lesGaulois sont un peuple agricole, mais leur pays n'en renferme pas moins un nombre considérable de forêts, de lacs, de marais et de marécages qui rendent difficiles les communications entre les diverses parties de cette vaste contrée. Pour pénétrer dans les Gaules avec ses armées, et y établir ses campements César dit être régulièrement obligé de faire desabattis.
Depuis, il y a eu peu de période de paix, et le progrès technique agricole et la démographie n'ont pas cessé (hormis durant lagrande peste) de faire reculer la forêt, parfois au profit de landes à bruyères ou de marécages.
Selon les textes de Jules César, le défrichement était déjà bien avancé dans le Sud et Sud-Ouest de la Gaule quand il y est arrivé.
Les défrichements médiévaux semblent avoir eu comme principales causes ou facteurs de facilitation :
l'amélioration du réseau routier à partir des voies romaines ;
les progrès techniques (utilisation croissante d'outils enfer) qui ont facilité le drainage et la destruction de forêts ;
une image assez négative des forêts et des zones humides qu'elles abritaient souvent. Les moines et leurs abbayes pratiquent l'essartage (ousartage) et le drainage, et ils les encouragent, souvent dans le cadre d'un accord (ditcontrat de pariage) passé entre un ecclésiastique et un seigneur propriétaire qui fournit une terre à déboiser. L'accord comprend souvent la construction d'une chapelle ou d'une église. Les forêts étant souvent refuge pour les populations difficiles à contrôler ou à évangéliser, le pouvoir politique et religieux ne la protègent pas, hormis pour les chasses royales ou impériales ;
une période de stabilité géopolitique et agricole : quand les défrichements sont à leur maximum, vers l'an mille, ils s'inscrivent dans une période où les invasions sur le territoirefranc ont cessé et où les conditions climatiques se sont améliorées.
Cette « ère des grands défrichements » (expression deMarc Bloch[11]) qui est ouverte dans la plupart des régions à partir de 1050, semble avoir ralenti au milieu duXIIe siècle par exemple enNormandie et dans le Haut-Poitou et plus tardivement dans le Bassin parisien (vers 1230-1250) ainsi que dans les plaines germaniques (vers 1340). Ils n'ont néanmoins jamais cessé jusqu'à une période récente (sauf durant quelques décennies dans plusieurs régions ravagées par lapeste noire ou laguerre de Cent Ans). Les défrichements monastiques médiévaux sont globalement mineurs, concernant essentiellement des espaces que les communautés rurales n’ont pas ouvert du fait de terrains difficiles, les cisterciens privilégiant notamment les fonds bourbeux et les vallées humides pour y installer despâturages au sein de forêts dont l'ombrage des arbres profite au bétail[12]. Les communautés paysannes sont confrontées à une première rupture de l'équilibre agro-sylvo-pastoral vers 1300[13]. En raison du manque de prés, la surcharge pastorale est compensée par l'assolement triennal et lavaine pâture sur leschaumes et lesjachères et, dans les paroisses les mieux dotées, sur les terrains usagers[14].
La statistique des forêts de1791 donnait un total de9 589 869ha de forêt en France[15], alors que celle de 1840 donne les chiffres suivants pour la France métropolitaine[15] :
À cette époque les cahiers de doléance du tiers-État et de nombreux courriers ou rapports des administrations forestières ou de préfets de départements montrent que nombre d'acteurs ont clairement conscience des dégâts collatéraux induits par ces défrichements.
Au milieu duXIXe siècle, c'est laGrande-Bretagne qui dans l'Europe d'alors est la plus déboisée, alors que laSuède est la plus boisée, la France étant classée selonBecquerel dans une position médiane entre ces deux extrêmes[15].
Les statistiques françaises de1840 donnent pour la France métropolitaine 21 729 102 hectares depâtis, pâturages. Si l'on retranche de cette superficie5 774 745 hectares de prairies naturelles et artificielles il reste donc15 954 357 hectares ou 30,2 % de la superficie totale de la France enjachères, pâtures et pâtis, étendue considérable qui est à la disposition de l'agriculture, mais comme le pressentBecquerel,« il arrivera un temps, en raison de l'accroissement de population, où il n'existera plus de jachères, ni de landes cultivables »[15].
Le recensement de 1850 (publié parLe Moniteur, mars 1851) donne (mais avec un mode de calcul et de classification différent)[15] :
Lalégislation défrichement à proprement parler est en France contenue dans le livre III du Code forestier. Le code de l’urbanisme contient le régime des « espaces boisés classés » (art. L. 130-1 et suiv.) qui complète le code forestier par des règles d’autorisation de coupe qui peuvent ne concerner qu’un seul arbre ; alors que le code forestier n’est applicable qu’à partir d’une surface variant par département et pouvant être comprise entre 0,5 et 4 ha (art. L. 311-2, c. for.). Il n'en reste pas moins que la législation du code forestier est le principal rempart contre le changement de destination dessols, la conversion du sol forestier en sol à bâtir apportant souvent une plus-value considérable qui est à l’origine depuis plusieurs décennies de très nombreux défrichements en France auXXe siècle.
Elles sont encore difficiles à mesurer pour la Préhistoire et l'Antiquité, mais des animaux forestiers comme l'élan, lescervidés, lebison, lelynx, lecastor en ont inévitablement souffert. Le régime des eaux également.
Largement amorcée autour de l’An mille sinon plus tôt, la domination du sol par l’homme atteint sa phase culminante entre 1100 – 1125 et 1250 – 1275 pour l’essentiel de l’Europe du nord-ouest, se poursuit jusqu’en 1300 outre-Rhin, fléchit dès 1200 en zone méditerranée. Nouvelle difficulté de la recherche : si nous ne manquons pas d’« actes de défrichements » (un document sur trois en Picardie entre 1150 et 1180), les formes les plus fréquentes, […], ont été des initiatives individuelles ou, à tout le moins, des opérations modestes ne nécessitant pas d’acte écrit[19].
L'abolition des privilèges et le partage des bois et prés communaux encourage à cette époque de nombreux riverains à se servir anarchiquement dans ce qui reste de la forêt antique, restes qui sont rapidement dévastés, parfois brûlés pour en revendre la cendre comme engrais, quand on n’y prend pas également l’humus pour le mettre sur les champs. Les paysans vont en nombre se servir en forêt au point qu’il serait dangereux de s'y opposer estime le préfet de l’Ariège. Le député (et membre du comité d'agriculture)Jean-Baptiste Rougier de La Bergerie a réuni et vainement relayé auprès de l’Assemblée les vives réclamations remontées par les administrateurs de presque tous les départements concernant les effets dramatiques du déboisement, sur l’agriculture, le régime des eaux, l'érosion, le climat et la santé, ou sur l’Économie. Ils prédisent une grave crise sociale, agricole, économique et dirions nous aujourd’hui « écologique » si rien n’est fait pour stopper l’arasement et le défrichement de forêts. Nombre de ces documents ont été réunis par Rougier de la Bergerie dans son ouvrageDes Forêts de la France publié en 1817[20].
Ainsi, rapporte égalementA.C. Becquerel[21], dès l'an II ducalendrier révolutionnaire, les administrateurs de départements constatent un pillage des forêts et alertent leministre de l'Intérieur et/ou les députés sur les dévastations de leurs forêts, notant que les défrichements entrainaient de brutaux changements de température, multipliaient et aggravait les inondations et sécheresse, faisaient manquer des récoltes.
Dans le département de l'Isère, les fonctionnaires dudistrict de Grenoble se plaignent de défrichements portés si loin« que chaquepluie cause des désastres. Les montagnes n'offrent que des rochers nus ; les rivières coulent plus rapidement ; leurs lits s'élargissent, et ils sont étroits dans lescrues subites. Les rivières n'ont plus un volume d'eau constant ; elles charrient desdécombres, obstruent la navigation et préparent un fâcheux ordre de choses. Il y a infiniment moins de sources; des cantons sont privés de la culture des oliviers dont ils jouissaient autrefois, et il n'y a plus d'irrigations dans le temps où elles seraient nécessaires »[21]. Le préfet de l'Isère demande urgemment une loi interdisant le défrichement des montagnes dont les flancs sont inclinés de plus de 35 degrés[21].
Dans laDrôme (1793)« ÀSaint-Romans on coupe ou on arrache partout les arbres pour défricher. ÀValence et àCrest il n'y a presque plus de bois ; les revers des montagnes sont sillonnés par des millions de ravins. ÀMontélimar, les bois des communaux sont pelés, et les forêts nationales (../..) sont dans le plus grand épuisement »[21].
Dans leGard, les administrateurs, de hauts fonctionnaires, l'ingénieur en chef et des agronomes scandalisés alertent de même ;« On brûle les bois de haute futaie pour y semer dublé. On détruit les bois jusque sur les revers des montagnes du nord, et maintsincendies on détruit des bois ». M. Mons évalue alors la perte causée par seuls les torrents duVistre et duVidourle à un million de francs (de l'époque).« On a ensemencé jusqu'à trois fois et inutilement la plaine. Les débordements perdent tous les blés, et souvent à la veille de la moisson. Les bois sont devenus rares en raison de la fureur des défrichements. Les forêts ne sont plus que de vastes garrigues. (../..) Le Gard s'élève aujourd’hui jusqu'à 18 ou 20 pieds et détruit tout dans sa course »[21]. Leschèvres font aussi de gros dégâts ; une pétition signée en1793 par plus de 300 propriétaires disait à la commission d'agriculture que« plus des trois quarts desoliviers ont péri par le froid excessif de l'hiver... Il sera impossible de songer à la « reproduction de ces arbres, si l'on tolère le parcours des chèvres et des bestiaux ». Ils ajoutent que« les forêts et les plantations arrêtent l'impétuosité des vents du nord… Ces immenses forêts, qui nous en garantissaient autrefois, sont abattues, et la perte prochaine de nos oliviers en sera la suite inévitable. (../..) Nos montagnes ne sont que des rochers ; les bois disparaissent depuis vingt ans ; la culture à bras dans les vacants a fait descendre la terre, il ne reste plus qu'untuf. Qu'on juge de la déprédation quand nos montagnes ont un pied de pente partoise »[21].
EnLozère (1794), selon l'administration départementale[22],« Les habitants, semblables aux sauvages, défrichent des terrains d'une valeur inappréciable... Par une frénésie plus coupable, ils détruisent sur les pentes les arbres qui pourraient les conserver et les embellir ; et, pour la jouissance d'un moment, ils perdent à jamais leur pays (../..) Le dépérissement deschâtaigniers augmente graduellement, à mesure que l'on s'approche des montagnes duLozère et duLaigoul, qui dominent lesCévennes ; jadis elles étaient couvertes d'épaisses forêts qui servaient d'abri aux châtaigniers contre les vents du nord. (../..) Lesmonts d'Auvergne, plus élevés que ceux de la Lozère, et qui formaient un second rempart à la zone des châtaigniers, ont aussi été dépouillés, et donnent aujourd’hui un libre passage à une bise glaciale qui détruit l'espérance du cultivateur (../..) Les habitants des causses (plaines hautes) manquent de bois; on ne voit plus un buisson sur les plateaux autrefois impénétrables... Il y a moins d'eau de source, et dans un pays haut, près de la mer, on y manque souvent d'eau pour les hommes et les animaux. (../..) Les fonderies épuisent les forêts (../..) Les habitants les défrichent ; les charbonniers en profitent, et les troupeaux voyageurs achèvent de détruire la reproduction »[21].
EnAriège, (1795).« On va par troupes dans les bois ; on vend lesfagots et le peuple en fait un métier. Il serait dangereux de s'y opposer »[21].
Dans lesPyrénées-Orientales, dans une proclamation imprimée et affichée, l'administration centrale disait contre les défrichements :« Les cailloux des monts, entraînés par les eaux, encombrent les lits des rivières et les font déborder. Nos superbes forêts de Céret et de Prades sont détruites. Il n'y aura bientôt plus de bois de chauffage; les bois taillis ne peuvent suffire aux forges, et la rigueur des saisons a fait périr une quantité d'oliviers »[21].
Dans lesBasses-Pyrénées, le préfet Ramond déplorait que« sur quinze ou vingtlieues carrées, on ne voit plus d'arbres ayant 5 ou 6 mètres de haut; les plateaux sont sans arbres, et la population voisine de l'Espagne, depuis le commencement du siècle, n'a cessé de diminuer et de reculer par le manque de combustible »[21].
EnHaute-Garonne,« on défriche les sommets des montagnes ; on arrache les arbres, et ces arbres et ces montagnes nous préservaient des frimas, en ce qu'ils servaient d'abris aux vallons, où prospéraient lesvignobles et les oliviers… les pluies entraînent la terre ; il n'y reste plus qu'un tuf stérile, et alors plus de dépaissance pour les bestiaux, plus d'abris et plus de récoltes ; On a vu périr en Languedoc les oliviers sur des collines où ils avaient constamment prospéré ; et déjà, dans les pays de plaine, il y a moins de bestiaux et de grains »[21].
Dans leGers, deux sociétés populaires alertent ainsi la Convention :« Les débordements sont désastreux, les eaux descendent des collines nues ; laSave, cette année, a débordé douze fois et rouillé les prairies ; ce qui cause de meurtrièresépizooties »[21].
DansDépartement du Mont-Blanc (en1796), les administrateurs alertent le conseil d'agriculture :« Nos montagnes et nos collines, jadis couvertes de bois, n'offrent plus, par les défrichements, que des rocs décharnés et des terres incultes. Chaque année, maintenant, nous éprouvons des sécheresses extrêmes ; les plaines cultivées sont périodiquement inondées et couvertes de gravier. Pour l'espoir d'une ou deux récoltes, les habitants réduisent en landes stériles des terres propres aux bois. Les chèvres sont ici plus nombreuses que les habitants »[21].
EnHaute-Loire, le département se sent menacé d'une prochaine« disette de bois »[21].
EnSaône-et-Loire,« Les défrichements sont portés au dernier degré, une disette prochaine est à craindre »[21].
EnRhône-et-Loire, selon les administrateurs,« Dans un siècle, lemerrain ne pourra suffire à contenir les vins ; on abat partout les futaies »[21].
Dans leRhône ;« Deux forêts nationales ont été vendues (Saint-Rome etBassiége), l'adjudicataire les a fait défricher; l'administration a voulu s'y opposer, le ministre a soutenu l'adjudicataire ».
Dans leDoubs,« Le partage desbois communaux a fait abattre partout les arbres, même sur les monts et dans les rochers »[21].
EnMoselle, les administrateurs dudistrict de Bitche n'ont plus d'autorité sur la population défricheuse ;« Les habitants, de leur chef, ont abattu et défriché près de 1,6oo arpents » et l’administration centrale abonde :« Les habitants d'Autborne et deSaremberg, en masse, ont défriché plus de 150 arpents de forêts, et tout brûlé sur place… On en a vendu lescendres »[21].
Dans lesVosges, l'administration s'inquiète que dans les montagnes épuisées, dégradées et se dégarnissant ; les nouveaux défrichements faisant suite aux partages des bois communaux aggravent les coups de vent« qui y déracinent de toutes parts les plus beaux arbres qui y sont restés »[21].
Dans leHaut-Rhin (1791), un professeur d'histoire naturelle craint aussi des effets sanitaires au déboisement :« Les forêts abattues, tant dans les plaines que sur les montagnes, ont changé le climat, ont ouvert des passages aux vents, qui font périr les fleurs des arbres et des vignes, changent les pluies en ondées, les montagnes en rochers stériles, les plaines en champs brûlants, et l'influence qu'elles ont sur la santé de l'homme n'est peut-être pas moins grande »[21].
Dans leNord, selon les administrateurs du département,« L'abatis des bois est à son comble, et on les défriche ; il n'est pas debois national (anciens biens de l'église ou d'émigrés[23], nationalisés par la Révolution) qui ne devienne la proie desspéculateurs ; le payement en est à peine effectué, qu'ils sont couverts d'ouvriers qui les rasent »[21].
EnCôte-d'Or,« Il y a une manie continuelle d'essarter et de défricher. II n'y a plus de futaie, et on va manquer demerrains pour envaisseler lesvins de Bourgogne etde Champagne. Bientôt, il ne sera plus possible de livrer les sels aux Suisses dans des tonneaux »[21].
Dans lePas-de-Calais et dans leNord, la préfecture se plaint qu’« il y a partout un grand abatis de bois, et cela présage une grande disette »[21].
EnDordogne,« desréquisitions pour l'armée ont fait abattre de grandes parties de forêts, qui ont aussitôt été défrichées »[21].
Dans leFinistère,« Les acquéreurs debois nationaux intentent des procès à ceux qui ne défrichent pas comme eux (../..) On ne brûle plus dans certaines contrées que des landes, des genêts et desfientes de vache. ÀRoscoff, on arrache les arbresfruitiers pour brûler »[21].
EnSeine-et-Marne,« On a laissé vendre et défricher les bois de Pennemont et d'Henry, près deMeaux »[21].
LeConsulat édicte le 16 nivôse an IX uneloi organique sur une nouvelle organisation forestière qui, selon Becquerel,« fit quelque bien sans arrêter toutefois la dévastation et le défrichement des forêts, qui continuaient encore en 1804, quand parurent par son ordre des extraits de statistiques des départements ».
Au tout début duXIXe siècle, la situation ne s'est pas améliorée : Le Play (polytechnicien formé par l'école des mines et classé parmi lessociologuespaternalistes y voit un désastre social : ainsi écrit-il en 1901 :« La destruction des forêts de montagne, alors même qu'elle se justifie par l'intérêt du propriétaire, et un vrai désastre pour la population, le climat, le régime des eaux et l'exploitation des mines ; le mal n'a même plus de compensation quand le produit du défrichement est gaspillé avec une destination immorale »[24].
Peu après (en 1804) le général Sordiez (en tant que préfet des Basses-Pyrénées) écrit :« Le manque de bois semble faire une nécessité de faire des plantations, et particulièrement d'une espèce de chêne qu'on nomme le tauzy. Le défaut de bois a fait abandonner dans les montagnes de Baigorry une mine de fer spathique, dite mine d'acier, une forge et une fonderie. (../..) Les ressources que les forêts offraient à la marine ont sensiblement diminué. Les montagnes se dépouillent, et leurs cimes dépourvues de bois n'absorbent plus les eaux, celles-ci glissent sur une surface nue qu'elles sillonnent, se réunissent en grande masse et causent les plus grands ravages. (../..) On est d'ailleurs généralement convenu de l'influence des forêts sur l'atmosphère : l'agriculture, le commerce, les manufactures et la salubrité se réunissent pour prescrire de les repeupler promptement »[25].
Quelles sont les traces des grands défrichements ?
Elle a conservé le souvenir de ces grands déboisements :Essarts,les Essarts (sens général), réduits à-sart,Sart, sars (nord de la France et Belgique)[26], variante-xard, Xard (est) ;-tuit,Thuit (Normandie)[27],les Rots, le Rot, le Roti(l), le Routil (nord de la France) ;Artigue,Artigues, Artigat, Lartigue, Artigue- (sud-ouest)[28],[29] ;Sauveterre,Santerre.
Les typesRhodes, Rœulx, Rœux, Rouhe, Ruitz remontent au germaniqueruda, riuti « défrichement »[30].
Certains noms de villagesalsaciens etlorrains se terminant par -rode,-rott révèlent des actions de défrichements.
Les toponymes enSaint- témoignent dans certains cas, lorsqu'ils sont concentrés dans une même région, des actions d'essartage menés par les grandes abbayes, notamment bénédictines.
Pour les historiens, les sources les plus riches sont les textes (par exemple leschartes de défrichements), que peuvent notamment compléter les apports de lapaléobotanique, l'analyse despollens et descharbons de bois.
Ce type de défrichement est le fait d'ermites, de charbonniers et depaysans qui agissent de manière spontanée et isolée. Ce phénomène est très difficile à décrire faute de sources suffisantes. Il se pratique par grignotement progressif et régulier de la forêt, à la marge des terres cultivées. On estime cependant qu'il contribue pour une part importante aux grands défrichements.
À l'initiative desseigneurs et des villes (en Italie par exemple), de nouvelles terres agricoles sont mises en valeur : il faut alors couper et brûler la forêt qui souvent entoure le village (écobuage). Le seigneur laïc ou ecclésiastique pourra ainsi prélever de nouvellesredevances sur les nouvelles terres. Parfois, un seigneur laïc s'associe avec un seigneur ecclésiastique (abbé, évêque) pour créer de nouveaux terroirs : ils signent un contrat de pariage ou deparéage ;
Les moines, à la recherche de lieux en marge du monde « civilisé » ont été à l'origine de nombreux défrichements durant tout le Moyen Âge : dès leIXe siècle, enAuvergne, la fondation de l'abbaye de la Chaise-Dieu fait reculer la forêt avec la création de clairières. Lescisterciens, en particulier, défrichent de nombreuses terres : les « granges » sont des systèmes d'exploitation agricole confiés au travail des frèresconvers, qui ne sont pas astreints aux obligations spirituelles des autres moines.
Les défrichements ont aussi accompagné les opérations de colonisation en Europe : la colonisation germanique vers l'Est du continent a été assurée en partie grâce aux hôtes : ce sont des paysans qui s'implantent dans une nouvelle région, auxquels le seigneur donne une terre à défricher. Le seigneur promet des avantages aux nouveaux venus, comme des redevances limitées et l'exemption descorvées. Lors de laReconquista (reconquête chrétienne sur l'Espagne musulmane), de grands défrichements eurent lieu pour installer la nouvelle population.
Mis en évidence parPierre Toubert, d’abord dans leLatium puis en Languedoc, il désigne l'habitat perché méditerranéen autour d'un château et d'une église. Les terres cultivées s'organisent en auréoles concentriques autour du village.
Dans des régions à sols pauvres (îles Britanniques, Massif Armoricain, Allemagne du Nord) lebocage témoigne d'un certain individualisme agraire et d'un moyen de restaurer et conserver des sols initialement épuisés par les premiers labours sur de pauvresessarts. On y pratique notamment ou surtout l'élevage. La présence d'un bocage ne signifie pas que des forêts proches ne soient passurexploitées voire pillées.
La plupart des pays ont mis en place, parfois depuis plusieurs siècles ou millénaires des régimes d'autorisation de défrichement, afin de limiter les risques dedéforestation totale ou de surexploitation des forêts.
En France, ces autorisations sont délivrées par les préfets et instruites par le ministère de l'Agriculture via lesDDTM (services déconcentrés).
Une page dédiée à la mise en œuvre de cette règlementation forestière est accessible ici :Législation défrichement.
↑Claudy Jolivet, Laurent Augusto, Pierre Trichet, Dominique Arrouays (chapitre « De la sylviculture traditionnelle à la ligniculture »), « les sols du massif forestier des Landes de Gascogne : formation, histoire, propriétés et variabilité spatiale »,Revue forestière française,vol. LIX,no 1,,p. 15(lire en ligne, consulté le)
↑Un défrichement se différencie d'une coupe forestière : dans le premier cas, l'opération interrompt la continuité forestière ; dans le second cas, elle ne change pas la vocation forestière du sol.
↑« Les nobles s'inquiètent du recul des forêts, qui sont leur territoire de chasse ; la réduction des terrains de pâture, friches et broussailles dresse les communautés paysannes et monastiques les unes contre les autres ; la régénération de certaines espèces d'arbres, les chênes en particulier, à une époque où le bois est le matériau indispensable à la construction des maisons, des chariots, des outils, des armes, des navires, ainsi qu'au chauffage, alimentant un commerce actif, ne manque pas d'inquiéter ». CfGeorges Minois,Histoire du Moyen Âge, Place des éditeurs,(lire en ligne), n.p..
↑L'administration départementale fait imprimer et diffuser un mémoire pour mieux faire connaitre ses inquiétudes et ses doléances, dont au ministre de l'intérieur, aux députés et aux habitants
↑biens dits deseconde origine, confisqués ou séquestrés dès 1792 à des individus déclarés ennemis de la Révolution (émigrés et fugitifs mais aussi leurs parents) ainsi que certains ecclésiastiques déportés ou réfractaires, les personnes mises hors la loi ou condamnés à mort pour des motifs politiques, les ressortissants des pays ennemis
↑Le Play (1901);La Réforme sociale en France, Tours, Mame, 1901, huitième éd. tome II,p. 110
↑Åse Kari H. Wagner,Les noms de lieux issus de l'implantation scandinave en Normandie : le cas des noms en -tuit, inLes fondations scandinaves en occident et les débuts du duché de Normandie, actes publiés sous la direction dePierre Bauduin[1]
Jean-Jacques Dubois, 1989,Espaces et milieux forestiers dans le Nord de la France. Étude de biogéographie historique. Thèse d’État, université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2 vol., 1 023 pages
Ferault C., 2019, Les landes en Mayenne : un état instable issu des défrichements, étroitement associé aux systèmes agricoles d'antan, Colloque Académie du Maine, 16 novembre, à paraître dans "Cahiers du Maine" n°28, consultable sur www.academie-agriculture.fr