Manifestation pour la décroissance dans les rues deLeipzig (Allemagne) en septembre 2014.L'image de l'escargot revient fréquemment chez les décroissants pour symboliser la nécessité selon eux de mettre un terme à ce qu'ils considèrent comme un « culte de lacompétitivité » entretenu par les partisans de lacroissance économique.
Selon les partisans de la décroissance, le productivisme a trois conséquences négatives : des dysfonctionnements de l'économie (chômage de masse,précarité, etc.), l'aliénation au travail (stress,harcèlement psychologique, multiplication desaccidents, etc.) et lapollution, responsable de la détérioration desécosystèmes et de l'extinction de l'Holocène. L'action de l'homme sur la planète a en effet fait entrer celle-ci dans ce que certains scientifiques considèrent comme une nouvelleépoque géologique, appelée l'Anthropocène (qui aurait succédé à l'Holocène), et cette action menacerait l'espèce humaine elle-même. L'objectif de la décroissance est de cesser de faire de la croissance un objectif.
Partant de l'axiome selon lequel, dans un monde fini, une croissance illimitée est impossible[1], les « décroissants » (ou « objecteurs de croissance », même si certains considèrent ces deux dénominations comme différentes) se prononcent pour une éthique de lasimplicité volontaire. Concrètement, ils invitent à réviser lesindicateurs économiques de production de richesse, en premier lieu lePIB, et à repenser la place dutravail dans la vie, pour éviter qu'il ne soitaliénant, et celle de l'économie, de sorte à réduire les dépenses énergétiques et ainsi l'empreinte écologique. Leur critique s'inscrit dans la continuité de celle duproductivisme, amorcée durant les années 1930 et qui dépasse celle ducapitalisme et celle de lasociété de consommation, menée pendant les années 1960.
Depuis 2001, l'adjectif « soutenable » est souvent accolé au mot « décroissance » pour mieux le faire apparaître comme l'alternative au concept dudéveloppement durable, qui bénéficie d'une plus grande reconnaissance auprès de la classepolitique et desindustriels mais que certains décroissants qualifient de « faux ami »[3], voire d'« imposture », tandis que d'autres considèrent simplement qu'il est trop tard pour le mettre en œuvre[4].
En avril 1968, un groupe de diplomates, universitaires, industriels et membres de lasociété civile, désireux de penser l'avenir du monde sur le long terme, s'est rassemblé sous le nom deClub de Rome. En 1970, il a passé commande d'un rapport auprès d'un groupe de chercheurs duMassachusetts Institute of Technology, mené parDennis Meadows.
IntituléThe Limits to Growth (Les Limites à la croissance), le premier rapport, ditrapport Meadows, (il y en aura trois en tout) sert de véritable déclencheur au mouvement de la décroissance. Il est publié en mars 1972, trois mois à peine avant la premièreConférence des Nations unies sur l'environnement, àStockholm (qui se déroule du 5 au 16 juin). On parle alors de croissance zéro. Il constitue en effet la première étude conséquente soulignant les dangers engendrés par lasociété de consommation. Traduit en trente langues, il est édité à douze millions d'exemplaires[5].
Le 19 juin paraît un numéro hors-série duNouvel Observateur intitulé « La dernière chance de la Terre » et tiré à 200 000 exemplaires, dans lequel le rapport est largement commenté. Y participent, entre autres,André Gorz (sous le pseudonyme de Michel Bosquet),Théodore Monod etEdgar Morin. Michel Bosquet parle de la nécessaire réduction de la consommation.
IntituléSortir de l'ère du gaspillage : demain, un second rapport est publié (un troisième rapport parait en 2004 :Review of Limits to Growth: The 30-Year Update[10] ; il est traduit en français en 2012 sous le titre :Les limites à la croissance (dans un monde fini) : Le rapport Meadows, 30 ans après[11]). Lesrapports Meadows ne sont pas au sens strict des textes fondateurs de la décroissance car ils défendent la « croissance zéro »[12]. Ces textes sont cependant les premières études présentant officiellement l'aggravation des dérèglements planétaires (pollution, pénuries de matières premières, destruction des écosystèmes, etc.) comme la résultante de l'idéologie croissantiste.
La même année en France, l'écologie fait son apparition sur l'échiquier politique lors de l'élection présidentielle en France (René Dumont est candidat mais ne recueille que 1,32% des votes).Bernard Charbonneau publie dansFoi et Vie un article intitulé « Coûts de la croissance, gains de la décroissance »[13].
André Gorz rassemble ses articles dans l'ouvrageÉcologie et politique. L'auteur fait le constat que le développement capitaliste implique la destruction des ressources et du milieu et que seule une politique de décroissance économique (des pays à la fois les plus riches et les plus pollueurs) peut enrayer ce processus. À partir de 1972, il utilise couramment le terme de « décroissance » pour désigner son projet écologiste. Il dénonce en même temps les dangers d'une prise en compte des contraintes écologistes par le capitalisme qui profiterait ainsi de l'extension de son emprise aux domaines nouveaux de l'économie dite « verte » (recyclage, traitement des déchets et de l'eau, énergies non fossiles, produits immatériels, services à la personne, etc.). Ses thèses s'appuient en particulier sur les analyses de Georgescu-Roegen etBarry Commoner[14].
Jacques Grinevald rassemble et traduit plusieurs articles (dont les plus anciens remontent à 1971) de l'économiste et mathématicien américain d'origine roumaineNicholas Georgescu-Roegen dans un ouvrage qui fait aujourd'hui référence :Demain la décroissance. Entropie, écologie, économie[16],[17]. De fait, Georgescu-Roegen est considéré comme l'inventeur du concept de décroissance[18] (sans toutefois ne jamais employer le terme) et son principal théoricien[19].
Georgescu-Roegen tente un rapprochement entre l'économie en général et un principe physique. Il estime que le modèle économiquenéoclassique est fondé sur le paradigme de lamécanique newtonienne[20] et ne prend pas en compte les phénomènes de dégradation de l'énergie et de la matière. Il pense pouvoir fonder quant à lui son modèle économique sur ledeuxième principe de la thermodynamique et la notion d'entropie selon lequel, par le biais des différents processus de production, la matière et l'énergie se dégradent de manière irréversible. Est ainsi mis en exergue l'exemple des matières premières utilisées pour la construction des ordinateurs qui sont fragmentées et disséminées à travers toute la planète, rendant pratiquement impossible la reconstitution des minerais d'origine. Quant à l'énergie utilisée pour leur fabrication, elle est dissipée en chaleur[21].
Serge Latouche publieFaut-il refuser le développement ?. L'auteur avance que toutes les théories économiques sont en déroute, la pensée néolibérale ne fonctionne qu'en termes de comptabilité nationale, le socialisme est vidé de tout contenu.« La question est donc celle d'une alternative […] au « développementisme » imposé au monde par l'Occident »[24].
Albert Jacquard, dansVoici le temps du monde fini, analyse comment la pensée techno-scientifique influence de plus en plus lesconceptions du monde, notamment les modèles économiques, et émet une thèse : plus la science et la technique démontrent le caractère limité desressources naturelles et moins, paradoxalement, les responsables politiques et économiques semblent en tenir compte :« avec des moyens techniques et militaires qui sont ceux d'aujourd'hui, l'humanité continue à penser, donc à agir, en suivant des types de raisonnement qui datent duMoyen Âge »[25].
Dominique Méda publieLe travail. Une valeur en voie de disparition. Dans cet ouvrage, l'auteure fait la genèse du concept de travail et s'interroge dans les derniers chapitres sur les rapports entre travail et richesse[26].
Gilbert Rist publieLe développement : histoire d'une croyance occidentale dans lequel l'auteur analyse la notion de développement depuis Aristote jusqu’à la crise de 2008 dans la dernière version revue et augmentée[27].
AuxÉtats-Unis paraitBeyond Growth: The Economics of Sustainable Development, de l'économisteHerman Daly, qui se positionne dans la lignée des travaux deNicholas Georgescu-Roegen (ouvrage non traduit)[28].
DansQu'est-ce que la richesse ?,Dominique Méda s'interroge sur ce qu'est la richesse d'une société et remet en cause le fait que lePIB constituerait une représentation adéquate de celle-ci. Cherchant à comprendre qui a pu instaurer une telle identité entre richesse et production, elle fait la genèse de ce processus en repartant du coup de force deThomas Malthus, en revenant sur l'invention de la comptabilité nationale et sur les premiers critiques de la croissance et du PIB. Elle expose les principales critiques que l'on peut faire au PIB et la réaction des comptables nationaux. Elle propose de déterminer collectivement de nouveaux indicateurs et de substituer à la recherche de croissance le processus de civilisation. L'ouvrage reparaît en 2008 sous le titreAu-delà du PIB. Pour une autre mesure de la richesse. Considéré parJean Gadrey comme l'ouvrage pionnier en France sur la critique de la croissance, cet ouvrage ouvre une série de coopérations et de travaux communs menés notamment par Jean Gadrey,Florence Jany-Catrice, Dominique Méda et les membres du Forum pour d'autres indicateurs de richesse[29] qui revendiquent plutôt le terme de post-croissance (l'absence de toute référence au PIB) que celui de décroissance.
En juillet, Bruno Clémentin etVincent Cheynet imaginent le concept de « décroissance soutenable » pour l’opposer au « développement durable » afin d’engager un débat public. Selon le témoignage deSerge Latouche[31] :« Il y avait un contexte latent qui lui était favorable, le mot est arrivé au bon moment. En fait, cela s'est fait à l'occasion d'un appel à contribution de la revueS!lence, dont un numéro devait avoir pour thème « Il est peut-être temps de relancer le motdécroissance ». Bruno Clémentin et Vincent Cheynet, ses initiateurs, insistaient sur le mot « relancer » [et] considéraient [...] que dans la notion de décroissance résidait une idée non seulement importante, mais qui faisait son chemin. »
Michel Bernard, Vincent Cheynet et Bruno Clémentin coordonnent l'ouvrage collectifObjectif décroissance[34].
Serge Latouche publieDécoloniser l'imaginaire :« Promettre la richesse en produisant de la pauvreté est absurde. Le modèle occidental de développement est arrivé à un stade critique. Ses effets négatifs sur la plus grande partie de l'humanité et sur l'environnement sont évidents. Il est nécessaire de le freiner, de le ralentir, voire de l'arrêter avant que des luttes, des cataclysmes ou des guerres ne se déclenchent. Partout dans le monde apparaissent les îlots d'une nouvelle pensée créative qui aspire à une vie sociale et économique plus équilibrée et plus juste. Cette critique du développement bouscule nos certitudes et remet en question la pensée et la pratique économiques de l'Occident »[35].
En septembre, à l'Hôtel de ville de Lyon, se tient le premier colloque international sur la décroissance soutenable : plus de200 participants viennent deFrance, deSuisse et d'Italie[36].
En mars est créé le journalLa Décroissance. Bimestriel, il devient mensuel à partir de 2007[37].
En France,Les Verts formalisent une position favorable à la notion de décroissance, nuancée par le concept de « décroissance sélective et équitable »[38].
En juillet,François Schneider entreprend un tour de France d'un an sur un âne pour diffuser les idées de la décroissance[39].
Le réseauRete per la decrescita est lancé enItalie[40].
Du 7 juin au 3 juillet a lieu la Marche pour la décroissance de Lyon àMagny-Cours. Les participants demandent la suppression duGrand Prix automobile de France deFormule 1, qu'ils considèrent comme un symbole d'une société de gaspillage[42].
La revueEntropia est créée. Son premier numéro est intituléDécroissance et politique[44].
Jean Gadrey etFlorence Jany-Catrice publientLes nouveaux indicateurs de richesse qui rassemble l'ensemble des critiques duPIB ainsi qu'une revue raisonnée des principaux indicateurs de richesse[45].
Serge Latouche publieLe Pari de la décroissance :« L'objet de cet ouvrage est de montrer que si un changement radical est une nécessité absolue, le choix volontaire d'une société de décroissance est un pari qui vaut la peine d'être tenté pour éviter un recul brutal et dramatique »[46].
Jean-Pierre Tertrais publieDu développement à la décroissance. L'ouvrage reprend la notion altermondialiste d'alternative :« Alors que beaucoup ne soupçonnent encore ni la nature profonde ni l'ampleur du « développement », cette notion touche déjà à sa fin. C'est en effet sur ses ruines que certains envisagent de construire une autre société »[47].
En juillet est créé leMouvement québécois pour une décroissance conviviale[52].
Paul Ariès créeLe Sarkophage, bimestriel antiproductiviste et anticapitaliste qui fusionne en 2013 avec le trimestrielLes Zindigné(e)s pour devenir le mensuelLes Zindigné(e)s, revue altermondialiste favorable à la décroissance[53].
LeMovimento per la decrescita felice est lancé enItalie[40].
L’Entesa per decreixemente est lancé enCatalogne[40].
Bernard Christophe, professeur émérite en sciences de gestion de l’université de Picardie Jules Verne, publieL'entreprise et la décroissance soutenable, dans lequel il étudie les conséquences de la décroissance pour l'entreprise, et comment elle peut être résiliente[54].
Vincent Cheynet publieLe choc de la décroissance :« Alors que 20 % des humains s'accaparent plus de 80 % des ressources naturelles de la planète, que les capacités de celle-ci à absorber les pollutions que nous émettons ont largement été dépassées et que les ressources fossiles s'épuisent, avons-nous encore le choix, dans les pays riches, entre croissance et décroissance ? »[55].
Dominique Méda publieAu-delà du PIB. Pour une autre mesure de la richesse[57].
Le collectif Forum pour d'autres indicateurs de richesse (FAIR) est créé et est l'interlocuteur « société civile » de la Commission Stiglitz/Sen/Fitoussi étudiant la mesure des performances économiques et du progrès social[58]. Le collectif critiquera la première version du rapport[59].
Paul Ariès publieDésobéir et grandir. L'auteur appelle à « la « croissance » de l'imaginaire et des liens sociaux, afin de s'offrir collectivement une vie qui ne soit pas plus opulente, mais plus libre, plus signifiante et, finalement, plus humaine » (note de l'éditeur)[60].
LeParti pour la décroissance participe aux élections européennes et fonde l'Association d'Objecteurs de Croissance (AdOC)[61].
En octobre est créé enBelgique le Mouvement politique des objecteurs de croissance[62].
Plusieurs ouvrages sont publiés sur le thème de la décroissance :
Jean Gadrey,Adieu à la croissance : l'auteur affirme que les discours faisant valoir la croissance comme la solution à tous les maux constituent en fait une idéologie mortifère,« un facteur de crise, une menace pour la planète »[63];
L'Institut Momentum, dont l'objectif est d'« œuvrer à un nouvel imaginaire social » en vue de démystifier l'idéologie productiviste et d'en démontrer le caractère mortifère, est créé[71].
Isabelle Cassiers publie avec quatorze universitaires et acteurs de terrainRedéfinir la prospérité auxEditions de l'Aube[72].
Paul Ariès publieLa simplicité volontaire contre le mythe de l'abondance (La Découverte)[73].
En France, le mouvement de la décroissance connait ses premières divisions. En effet, leParti pour la décroissance se désolidarise du journalLa Décroissance :« Contrairement à ce qu’il stipule dans sa propre charte, le mensuel a tendance à user de son nom générique pour amener à croire qu’il fait consensus au sein de l’Objection de Croissance. Certes, (il) a sa liberté d’expression. Mais […] cette liberté masque une prise de pouvoir, un penchant à s’exprimer au nom des autres »[74].
En septembre est crééMoins ! Journal romand d'écologie politique[75].
Agnès Sinaï et d'autres chercheurs publient un ouvrage collectif,Penser la décroissance, Politiques de l'Anthropocène, aux Presses de Sciences Po[76].
La collection « Les précurseurs de la décroissance », aux éditionsLe Passager clandestin, est publiée jusqu'en 2015, avec 14 titres[77].Serge Latouche en est le coordinateur[78].
Dans son encycliqueLaudato si', lepape François dénonce le « paradigme technocratique dominant » et prononce entre autres ces mots :« La technologie, liée aux secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes, de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un problème en en créant un autre. […] L'heure est venue d'accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d'autres parties »[80].
Le concept de décroissance soulève de multiples questionnements. Les plus nombreux concernent lacrise écologique planétaire car c'est au travers de leur impact sur l'environnement que les effets de l'industrialisation sont les plus spectaculaires.
Épuisement desressources énergétiques :pétrole (pic pétrolier mondial arrivant entre 2006[83] et 2040 selon les prévisions des compagnies et des gouvernements[84], ou qui serait déjà passé en 2005 selon Colin Campbell de l'ASPO), gaz (70 ans),uranium (entre 50 et220 ans)[85],[86],charbon (200 ans[87], au rythme actuel de consommation) ;
Augmentation des coûts d'extraction des ressources.
Un certain nombre de décroissants qualifient de « simpliste » les positions de Rifkin, notamment sa théorie sur latroisième révolution industrielle[94] :« La thèse de la Troisième Révolution industrielle et tous ceux qui vantent le capitalisme numérique restent enfermés dans une vision simpliste des technologies et de leurs effets. Ils oublient de penser les rapports de pouvoir, les inégalités sociales, les modes de fonctionnement de ces « macrosystèmes » comme les enjeux de l’autonomie des techniques et des techno-sciences, sans parler de la finitude des ressources et de l’ampleur des ravages écologiques réels de ce capitalisme soi-disant immatériel »[95].
Les partisans de la décroissance reprochent auproduit intérieur brut (PIB) de se focaliser sur le quantitatif sans intégrer le qualitatif : il repose exclusivement sur des valeurs de marché et ne tient pas compte du bien-être des populations ni de l'état des écosystèmes. De surcroît, les décroissants reprochent au PIB de ne pas rendre compte de l'épuisement du stock des matières premières et de ne pas intégrer les dépenses occasionnées par la destruction dubiotope[96]. Ils privilégient d'autres indicateurs, tels que l'Indice de développement humain, l'empreinte écologique ou l'indice de santé sociale.
Les partisans de la décroissance affirment que la recherche d’une évaluation de l’évolution des richesses, liée aussi bien à des besoins politiques que scientifiques, a conduit les économistes à créer des indicateurs ne prenant en compte que les aspects mesurables des richesses qui sont unifiées à travers leur équivalence monétaire. Les tenants de la décroissance arguent que la mesure duPIB est une mesure abstraite ne prenant pas en compte le bien-être des populations ni la pérennité des écosystèmes.
En effet, de nombreux éléments de la richesse ne sont pas pris en compte dans la mesure du PIB : lesressources naturelles, mais aussi les loisirs non marchands, les activités sociales et politiques qui représentent des déterminants importants de la qualité de vie perçue. Réciproquement, certaines activités sont prises en compte dans la mesure du PIB, qui sont pourtant généralement perçues comme n'allant pas dans le sens de« l'utilité et la jouissance de l'espèce humaine »[97]. L'exemple souvent repris dans la littérature sur la décroissance est l'exemple économique classique, critiqué parFrédéric Bastiat dans sonsophisme de la vitre cassée, mis en lumière parJohn Maynard Keynes[98] et repris parJean Gadrey et Florence Jany-Catrice[99].
De ces décalages entre le concept de richesse et sa représentation par le PIB, il peut résulter des critiques sur les moyens de mesure de la richesse plutôt qu'à la notion de croissance elle-même. Elles ne forment cependant pas l'intégralité des approches discutées dans le cadre de la décroissance puisque d'autres sont fondées sur la critique, à la fois plus radicale et plus générale, de l'« invention de l'économie »[100]. Une partie de la mouvance de la décroissance propose de « sortir de l’économie »[101] et remet en cause les catégories de base de l’économie : les « besoins », les « ressources », la « rareté », la « valeur », la « richesse », etc.
Alors que l'écologie est au cœur de leur mobilisation, les décroissants se démarquent du concept de « développement durable », consacré en 1987 dans leRapport Brundtland et qui constitue selon eux unoxymore, voire une imposture. Pour Thierry Noël, candidat en 2015 aux élections législatives et proche des mouvements en faveur de la décroissance,« affirmer être de gauche ou prôner une quelconque écologie politique sans êtreantiproductiviste n'est qu'une mystification »[102]. D'autres tenants de la décroissance font valoir que l'expression « développement durable »« devrait à elle seule susciter [la] perplexité, sinon [le] scepticisme » et font observer que les industriels américains et français ont très vite adhéré à ce concept et y ont vu« un accélérateur de croissance pour les entreprises » (slogan du Medef en 2009)[103],[104].
Certains tenants de la décroissance envisagent une croissance pour les zones peu développées et les communautés et individus les plus pauvres, mais considèrent que le processus n'est pas « durable ». Un développement durable impliquerait de toujours différencier le développement qualitatif et humain (le développement du bien-être, scolaire, culturel et de règles de fonctionnement communautaires harmonieuses, etc.) des aspects matériels limités par leur consommation de ressource. Labiodiversité doit être préservée. Le développement devient alors nécessairement un « écodéveloppement » plus respectueux de l'environnement et de l'Homme (d'où les idées émergentes dehaute qualité environnementale et d'écocertification plus ou moins bien appliquées selon les cas). Pour atteindre ce but :
Il faut préserver les populations d'une conjoncture mondiale de fin des ressources vitales. La relocalisation des économies (priorité à la production et à la consommation locales et à la réduction des transports motorisés) en est un des moyens proposés.
Il est nécessaire de faire profiter les zones pauvres des meilleurestechniques et stratégies en matière d'efficacité énergétique et écologique.
Des idées récemment reformulées, mais qui étaient embryonnaires dans l'écodéveloppement d'Ignacy Sachs ou deRené Dumont puis deRené Passet sont la notion de « remboursement de ladette écologique », voire d'une dette sociale, et une réduction partagée et équitable de l'empreinte écologique, dans une vision de développement solidaire.
Exploitation des ressources des pays dits du Sud au profit de ceux dits du Nord, ressources énergétiques et minières, et ressources agricoles (cultures fourragères au détriment des cultures vivrières). Circuit économique parfois considéré comme « néocolonial » ou « post-colonial ». Selon certaines extrapolations il faudrait entre trois et huit planètes Terre pour que la population mondiale puisse vivre à la manière d'un Européen[105].
Répartition inéquitable de l'accès aux ressources et aux richesses produites dans les pays développés, et entre les pays développés et les pays en voie de développement.
Déclin d'autres explications de la crise écologique, telles que le marxisme. Le fait que les pays se réclamant du marxisme ne protégeaient pas mieux la planète que les autres pays menait à la conclusion que le marxisme était incapable de proposer une solution à la crise écologique.
Certains militants de la décroissance reprennent les thèses deJacques Ellul,Günther Anders etIvan Illich. Ils ne visent pas la technique ou les machines en elles-mêmes mais le « mythe » duprogrès technique et son fondement, la« recherche en toute chose du moyen absolument le plus efficace », quête qu'eux-mêmes considèrent comme l'expression de lavolonté de puissance[107]. Le sociologueAlain Gras[108], l'économiste Hélène Tordjman[109] et l'historien François Jarrige[110], membres de l'association Technologos, font partie de cette mouvance.
Jacques Grinevald, puisAlain Gras (qui tient une tribune dans le journalLa Décroissance) affirment que les sociétés modernes se sont engagées dans une impasse quand elles ont fondé l'économie sur lemoteur thermique[111]. Un second niveau a été atteint selon eux quand elles se sont placées sous la dépendance dupétrole, au début duXXe siècle. En un peu plus d'un siècle, avancent-ils, les humains ont pillé une partie considérable de l'énergie fossile qui s'était accumulée dans les sous-sols au fil des âges géologiques. Pour autant, ils considèrent les « technologies vertes » comme une nouvelle« fuite en avant technologique » : censées remédier aux problèmes, elles perpétuent la prédation des ressources naturelles. Ainsi les métaux nouvellement utilisés – cobalt, indium, gallium, etc. et lesterres rares – lanthanides… - exigent la destruction d'immenses zones. Lepic pétrolier n'est qu'un aspect de la situation, des pics de production seront bientôt franchis avec lescomposants électroniques, avertit l'ingénieurPhilippe Bihouix[112], qui se prononce pour un abandon destechniques de pointe (« high-tech ») au bénéfice de ce qu'il appelle, par goût de la contradiction, leslow-tech[113]. Selon lui, il faut mettre un terme au mythe de l’innovation : les produits ne doivent pas être « nouveaux » mais simples, durables, recyclables, fabriqués en quantité nécessaire et suffisante, diffusés dans un périmètre limité (pour éviter les dépenses liées au transport) et surtout répondre à des besoins vitaux et non superflus.
Totalement en marge de ce courant, voire à contre-courant, d'autres militants cherchent à traduire l'idée de décroissance dans un cadre institutionnel, voire dans une optiquepartidaire tout en reconnaissant l'extrême difficulté à le faire en l'état des choses. Latouche considère que cette inscription dans le champ politique ne peut s'opérer qu'au prix d'une « décolonisation de l'imaginaire », passant elle-même par une démystification radicale de la société deconsommation[114]. Parmi ces acteurs figureYves Cochet (ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire en 2001-2002), qui tente en 2004 d'introduire l'idée de décroissance au sein de son parti (Les Verts), puis auprès de la nation, en 2007, lorsqu'il est candidat à l'élection présidentielle, enfin auprès de l'Assemblée nationale, en octobre 2008[115].« On n'a pas à choisir si l'on est pour ou contre la décroissance, elle est inéluctable, elle arrivera qu'on le veuille ou non », résume-t-il[116]. Estimant qu'aucune radicalité ne peut émerger d'un parti écologiste, certains militants fondent leur propre parti en 2006, leParti pour la décroissance, sans toutefois remporter de succès significatif dans l'opinion.
Selon Simon Persico,« le marxisme, la social-démocratie ou le libéralisme sont ancrés […] dans l'éthique expansionniste ». Cela concourt selon lui à expliquer les difficultés à adopter des mesures telles que lataxe poids lourds ou la fermeture de lacentrale nucléaire de Fessenheim[117].
Leparti politique françaisGénération écologie adhère au projet politique de la décroissance et de respect des limites planétaires, et dénonce les dérives de l'extractivisme, du productivisme et du consumérisme, qui affectent à la fois le climat et la biodiversité, et la société (de la frustration à la violence produits par les inégalités sociales).Delphine Batho présente le projet de la décroissance lors de la primaire des écologistes de 2021 et finit en troisième position.
Les objecteurs de croissance axent leurs revendications sur une conception du monde dépassant largement les cadres de l'économie et des critères marchands[118] ; en premier lieu une reconsidération radicale de la place du travail.
Ce modèle se développe en premier à l'échelle local. Apparaissent des initiatives locales qui s'inscrivent dans une démarche décroissante telles que lesassociations pour le maintien d'une agriculture paysanne, qui sont une alternative à l'industrie agro-alimentaire et qui illustrent ce queSerge Latouche nomme la « sortie de l'économie »[119], c'est-à-dire la transformation du rapport client-fournisseur en un lien relocalisé de coproduction et de cogestion. Ainsi, au sein desassociations pour le maintien d'une agriculture paysanne la valorisation des produits (fruits et légumes) ne dépend pas de laloi de l'offre et de la demande. La relation entre le producteur et les adhérents est une relation d'entraide et de soutien qui dépasse le cadre économique du simple rapport marchand[120].
Les décroissants dénoncent le matraquagepublicitaire. Définissant la publicité comme le premier instrument depropagande du productivisme, ils critiquent non seulement les avalanches de prospectus dans les boîtes aux lettres (source d'un gaspillage de papier phénoménal) mais la multiplication des panneaux géants dans les villes, qui défigurent les paysages et imposent une culture marchande, notamment aux jeunes générations,a priori moins critiques que leurs ainées.
Mais c'est en 1977, en Californie, que lemouvement antipublicitaire émerge véritablement, avec leBillboard Liberation Front[121]. Celui-ci essaime en Australie en 1983 ; ensuite en France, avec lesHumains associés et leurs campagnes d'affichage de contre-publicité humaniste (en 1987) ; puis auCanada, via le magazineAdbusters, qui promeut toutes sortes de campagnes antipub (en 1989).
À partir de 1999, en France, parait la revue annuelleCasseurs de pub (en fait un dossier annuel joint au journal mensuelLa Décroissance). En 2002, dans son livreNo Logo,Naomi Klein s'attaque au diktat des marques mais son propos s'inscrit davantage dans le cadre d'une critique ducapitalisme que d'une analyse des fondements duproductivisme[122]. En 2003, le terme « antipub » devient une appellation médiatisée enFrance, après des actions spectaculaires menées à l'encontre de l'affichage publicitaire dans lemétro parisien durant l'automne.
Alors qu'au-delà des distances et des époques, dans une remarquable convergence, les philosophies antiques et les religions prônaient un idéal de dépouillement et de frugalité, par un renversement de valeurs, c'est maintenant la goinfrerie qui est élevée au rang de haute vertu[123]. De normale, la simplicité est devenue subversive[124].
La plupart des décroissants dénonçant dans l'idéologie de la croissance uneconception du monde utilitariste marchande lui opposent une approche désintéressée, fondée, sinon sur l'ascèse, du moins sur lasimplicité volontaire, et rejetant tout ce qui évoque la notion de puissance, principalement l'argent, lepouvoir politique (notamment l'État) et les outils sophistiqués[125][source insuffisante].
Pour de nombreux économistes, libéraux ou keynésiens, lacroissance économique est perçue positivement. La croissance économique permettrait notamment, si la richesse créée était correctement distribuée, une amélioration duniveau de vie des ménages défini comme la quantité et la qualité des biens qu'ils peuvent consommer. Laloi d'Okun indique également qu'elle permettrait empiriquement une baisse duchômage. Par ailleurs, une corrélation entre la qualité des systèmes de santé et l'espérance de vie d'une part et lePIB par habitant d'autre part est empiriquement observable[126]. À l'inverse, les épisodes de décroissance économique sont perçus négativement et qualifiés derécession économique. Pour le chercheur Wim Naudé, le monde connaît déjà une décroissance, qui a des effets négatifs sur l'innovation, les migrants et le bien-être économique[127].
Si un petit nombre d'économistes contestent la réalité même de l'épuisement des ressources naturelles, la plupart contestent avant tout la réponse proposée par la décroissance à ce défi, et estiment que la décroissance n'est ni nécessaire ni souhaitable pour y faire face.
Selon les économistesRobert Solow etJoseph E. Stiglitz (récompensés par le« Prix Nobel » d'économie en 1987 et 2001), répondant aux travaux deNicholas Georgescu-Roegen, lecapital et le travail peuvent se substituer aux ressources naturelles que ce soit directement ou indirectement dans la production, assurant la pérennité de la croissance ou tout du moins un développement durable[128].
Un des présupposés essentiels de la décroissance est que le monde manquera de matières premières et qu'il faut donc réduire la production afin d'en limiter l'usage. Cette façon de poser le problème est critiquée parRobert Solow. Selon lui, se demander quelle quantité de tel ou tel produit nous pouvons nous permettre d’utiliser est « une façon étroite et préjudiciable de poser la question »[129]. Ce qui est important, c'est lecapital humain, la capacité des personnes à inventer de nouvelles solutions :« Il est très facile de substituer d'autres facteurs aux ressources naturelles, il n'y a donc pas de « problème » de principe. Le monde peut, en fait, se débrouiller sans ressource naturelle, donc l'épuisement n'est qu'un événement, pas une catastrophe ». Toutefois Solow est partiellement revenu sur ce point de vue en déclarant qu'« il est possible que les États-Unis et l'Europe se rendent compte que […] soit la croissance continue sera trop destructrice pour l'environnement et qu'ils sont trop dépendants de ressources naturelles rares, soit ils feraient mieux d'utiliser l'augmentation de la productivité sous forme de loisirs »[130].
L'économiste et statisticienBjørn Lomborg, favorable à l'exploitation des énergies fossiles et défavorable au développement des énergies renouvelables, va plus loin et accuse les partisans de la décroissance d'irresponsabilité en faisant selon lui l'apologie d'une société primitive. Lomborg écrit ainsi :« Si notre société, qui a épuisé le pétrole et le charbon, a simultanément mis au point un nombre considérable de connaissances, de capital et de moyens techniques afin d’être en mesure d’utiliser d’autres sources d’énergie à moindre frais, c’est un acte plus responsable que de laisser l’énergie fossile sous la terre telle quelle »[131].
Certains opposants à la décroissance l'assimilent à une forme de néo-malthusianisme économique[132], ou à une résurgence de formes antérieures dumalthusianisme sous-tendant que la croissance est conditionnée par l'exploitation des ressources, les thèses « anti-malthusiennes » prônant au contraire que l'exploitation des ressources dépend du développement économique. Ainsi, l'économiste du développement et géographeSylvie Brunel considère que le succès de la décroissance et du développement durable participe d'une « résurgence du malthusianisme »[133]. Selon elle, le monde n'est pas près de manquer de ressources,« des réserves de production considérables existent, autant en augmentant les rendements […] qu'en étendant les surfaces cultivées […]. La planète est parfaitement capable de nourrir une population qui ne doublera plus jamais. Elle est en réalité loin d'avoir atteint sa « capacité de charge » »[134].
À l'inverse des prévisions sur l'épuisement des ressources énergétiques,Daniel Yergin, spécialiste américain de l'énergie, considère que, grâce aux réserves et auprogrès technique,« le monde n'est pas près de manquer de pétrole »[137]. Toutefois le géologueMarion King Hubbert, qui a étudié le phénomène dupic pétrolier et a donné son nom au modèle appelé « pic de Hubbert », annonça avec justesse en 1956 que la déplétion pétrolière commencerait en 1970 aux États-Unis[138]. Hormis les pays producteurs de pétrole duMoyen-Orient, pratiquement tous les autres pays producteurs ont dépassé leur pic de production de pétrole conventionnel[139].
Une des principales critiques opposées à la décroissance par ses détracteurs est que les classes bourgeoises des pays développés, sous couvert de protéger l'environnement, souhaiteraient en fait empêcher les pays dits « en développement » d'emprunter le même chemin économique que les pays occidentaux. L'économiste du développement et géographeSylvie Brunel estime ainsi que les mouvements de développement durable et de décroissance sont nés dans l'affolement des années 1970 face à la montée de la population du Tiers Monde. Elle ajoute :« la peur du nombre suscite des prévisions catastrophiques »[140]. Elle considère qu'en est sortie une politique qui a stigmatisé les pauvres, accusés de« dilapider les ressources de la planète »[141]. Selon Sylvie Brunel, le développement des pays du Nord permet, entre autres, de tirer celui des pays du Sud. Avec son raisonnement, faire décroître les pays développés aurait donc des conséquences négatives pour les pays en développement qui perdraient des marchés pour exporter leurs matières premières, leurs produits manufacturés et leurs services.
SelonSerge Latouche, il n'est pas question de décroissance pour les pays les plus pauvres, mais seulement d'emprunter le bon chemin de leur développement[142],[143] vers une société de « décroissance choisie ».
À la marge, un courant de pensée estime que leXXIe siècle sera celui de lanoosphère[144], où la principale ressource sera l'information et la culture. Par exemple les partisans de lasociété de l'information, considèrent que l'humanité est entrée dans une nouvelle ère technologique, et qu'il est désormais possible, grâce à l'informatique et aux télécommunications, de créer de la richesse (i.e. de la croissance) en produisant desservices et de l'information. Cette production « immatérielle » est considérée comme non-polluante, ce qui permet à certains penseurs (notammentJoël de Rosnay ouBernard Benhamou) d'affirmer qu'il est possible de générer de la croissance sans produire de déchets.
SelonBertrand Piccard, qui a le premier effectué un tour du monde avec un avion solaire, la décroissance n'est pas tenable sur le plan psychologique, comme l'a montré la crise du Covid-19. Les émissions de CO2 ont certes chuté de 6,7 % entre 2019 et 2020, mais au prix de faillites d'entreprises et de suppressions d'emplois, entraînant autant d'effets négatifs sur le plan psychologique. C'est pourquoi, entre la croissance quantitative du PIB et la décroissance, il prône une troisième voie, qu'il appelle lacroissance qualitative. Il a identifié pour cela plus de 1 000 solutions innovantes qui à la fois préservent l'environnement et sont rentables économiquement[145]. Les plus de 1 000 solutions sont disponibles sur le site de la fondation Solar Impulse[146].
Le concept économique de la décroissance est fondé sur l'hypothèse que produire toujours plus implique de consommer de plus en plus d'énergie ou de matières premières, tout en diminuant la main-d'œuvre pour la remplacer par des machines. Cette analyse a toutefois été contestée par l'économisteJoseph Schumpeter en 1911. Dans son ouvrageThéorie de l’évolution économique, il estime que la technique et leprogrès technique permettent de produire plus avec moins, y compris dans le domaine des services. C'est que l'on appelledestruction créatrice, c'est-à-dire disparition de secteurs d'activité conjointement à la création de nouvelles activités économiques : toute innovation technologique importante entraîne un processus de destruction créatrice.
L'une des critiques qu'on pourrait apporter aux théories économistes classiques est qu'elles sont découplées des contingences matérielles, comme les matériaux, les déchets ou les dommages écologiques. Un secteur d'activité peut disparaître, mais pas les déchets que ce secteur a créé.
Résolution des problèmes environnementaux par la science
Diagramme indiquant l'évolution de l'intensité énergétique des grandes économies mondiales depuis 1980.
Certains penseurs estiment que les progrès de la science permettront de résoudre les problèmes énergétiques et liés à l'élimination des déchets. Ainsi, le géochimiste et homme politiqueClaude Allègre écrit en 2007 à propos de la décroissance :« Or, c’est exactement le contraire qui est souhaitable pour développer l’écologie. Il faut en faire le moteur d’une croissance vigoureuse, un élément essentiel du progrès économique et social ! »[147]. Allègre considère que la décroissance conduirait à imposer une réduction de la croissance des pays pauvres[148].
Il affirme[réf. nécessaire] que l'évolution de l'intensité énergétique des grandes économies mondiales a fortement baissé depuis vingt ans (cf. graphe), « bien que plus lentement » que la croissance du PIB. Par exemple, les activités derecherche et développement dans le domaine de l'énergie nucléaire pourraient fournir des solutions de substitution face à laprobable pénurie de pétrole. À plus long terme, les partisans de lafusion nucléaire prédisent que les réacteurs de typeITER seront des sources d'énergie quasiment inépuisables et peu polluantes. L'économisteTim Jackson distingue pourtant dans son ouvrageProsperity without Growth les notions de « découplage relatif » (baisse d'énergie nécessaire par produit) et « découplage absolu » (baisse en consommation totale d'énergie par un secteur) et indique que la consommation absolue en énergie continue à augmenter en dépit des améliorations technologiques (voir aussiélasticité énergétique).
L'intensité énergétique est un des facteurs de l'identité de Kaya, qui tend à démontrer, comme l'explique par exempleJean-Marc Jancovici[149], que soit la décroissance économique, soit la décroissance de la population sont indispensables pour éviter la catastrophe écologique.
Par ailleurs, la décroissance implique une baisse globale de la consommation énergétique, ce qui ne contredit pas la recherche d'énergies nouvelles, moins polluantes.
L'économiste roumainNicholas Georgescu-Roegen a fondé sa « théorie bioéconomique » sur une interprétation de la seconde loi de la thermodynamique pour s'opposer à une croissance matérielle et énergétique illimitée, invitant à une décroissance économique. Le psychanalyste Jean Zin estime que cette analogie contredit l'analyse scientifique des phénomènes d'émergence et denéguentropie qui affectent lessystèmes dynamiques complexes tels que l'organisation sociale humaine[150].
Le phénomène de néguentropie se passe sur une durée de temps qui dépasse largement le siècle, voire le millénaire. Ce phénomène paraît donc négligeable pour l'épuisement des ressources auXXIe siècle.
Arnaud Montebourg, ministre français de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique en 2014.
L'ensemble des partis politiques ont délaissé des questions de fond telle que lavaleur-travail. La question de laréduction du temps de travail est traitée dans une perspective comptable[non neutre]. LeParti socialiste français reste attaché à la doctrine productiviste, au motif que la croissance est créatrice d'emplois. Éludant également la question du remplacement des emplois par larobotique, le parti s'oppose aux arguments deszadistes, notamment àNotre-Dame-des-Landes et auBarrage de Sivens. Lagauche antilibérale réduit le thème de la croissance à la question de son partage sans la remettre elle-même en cause[non neutre]. Au sein desVerts, la question de la décroissance divise les militants, les positions d'Yves Cochet restant à la marge.
On n'y fait pas la différence entre la croissance d'une production et celle qui vise à augmenter les bénéfices des entreprises (construire un hôpital ou un porte-avions génère de la croissance)[non neutre]. Ils considèrent que c'est le contrôle de la production qui peut permettre un développement social et écologique, non sa quantité dans l'absolu. Les militants deLutte ouvrière[151] et duParti communiste français[152], notamment, reprochent aux militants de la décroissance de ne pas s'en prendre directement aux dirigeants du capitalisme et de culpabiliser les travailleurs en remettant en cause la notion même depouvoir d'achat, qu'ils considèrent comme indépassable. Cette critique est contrecarrée parSerge Latouche, qui affirme que l'« on pourrait paradoxalement présenter la décroissance comme un projet radicalement marxiste. Que le marxisme (et peut-être Marx lui-même) aurait trahi. La croissance n’est, en effet, que le nom « vulgaire » de ce que Marx a analysé comme accumulation illimitée de capital, source de toutes les impasses et injustices du capitalisme »[153].
Tout en reconnaissant un « effet pédagogique » à la mise en avant du concept de décroissance et la justesse de sa mise en cause dudéveloppement durable,Jean Zin voit dans le courant décroissant « un certain volontarisme idéaliste » et « une surévaluation du politique alors que les forces sociales qui seraient nécessaires manquent absolument »[154].
L'« effet rebond », couramment utilisé en économie de l'énergie, décrit l'effet d'une amélioration d'efficacité de l'utilisation d'une ressource sur sa demande : si l'efficacité d'utilisation augmente d'1 %, la consommation diminue dans une proportion bien moindre, et peut même augmenter dans certains cas. Certains partisans de la décroissance postulent un « effet rebond » systématique : selon eux, tout progrès technique, toute amélioration de productivité, au lieu de diminuer la consommation de matières premières et d'énergie, conduirait au contraire à produire beaucoup plus, donc à consommer davantage[155]. La théorie économique a étudié ce phénomène dès leXIXe siècle. Les travaux de l'économiste anglaisWilliam Stanley Jevons ont ainsi donné naissance auparadoxe de Jevons. En 1980, cette question a été reprise de manière indépendante par les économistes Khazoom et Brookes dont les travaux sont à la base dupostulat de Khazzoom-Brookes. Ce postulat globalise deux types d'effets, des effetsmicroéconomiques — sur le comportement des consommateurs ou des producteurs individuels — et des effetsmacroéconomiques — sur le fonctionnement général de l'économie. Si les premiers entraînent généralement un effet rebond nettement inférieur à l'économie réalisée, les seconds induisent, selon le postulat, un rebond supérieur à cette économie. Ces constats sont compatibles aussi bien avec la théorie économique qu'avec les observations[156]. Il n'en reste pas moins que le postulat de Khazzoom-Brookes fait l'objet de débats[157].
Par exemple, dans le cas du charbon étudié par Jevons, l'invention parJames Watt d'une machine à vapeur plus économe en charbon n'a pas eu pour effet de réduire la consommation de charbon en Angleterre[158]. En effet, cette invention qui permettait de produire autant d'énergie pour une consommation de charbon plus faible, a en fait permis de produire plus d'énergie sans augmenter les coûts. Il en est résulté une augmentation de la consommation de charbon. Ainsi, Jevons montre par cet exemple que les progrès techniques visant à réduire la consommation d'une ressource ne permettent pas forcément d'atteindre cet objectif du fait d'uneffet pervers, l'effet rebond.
Répondant au principe sus-évoqué,François Schneider introduit le concept d'effet débond qui, sur le plan individuel, passerait par une acceptation d'un mode de vie personnel en harmonie avec unesimplicité volontaire : autrement dit, les gains de productivité doivent être investis en temps gagné pour des loisirs non « consommateurs » de ressources pour la planète, et non pas réinvestis par « effet rebond » pour accélérer cette consommation[réf. souhaitée]. La réduction du temps de travail est un de ces actes volontaires qui correspondent à l'effet débond.
Les militants de la décroissance proposent par conséquent des solutions qu'ils considèrent comme pratiques et rationnelles pour réduire autant que possible toute forme de gaspillage ou de dépendance énergétique.
Le concept de décroissance soutenable[159] fait référence audéveloppement durable. Il en reprend l'objectif, qui est de« répondre aux besoins des générations actuelles, sans pour autant compromettre la capacité desgénérations futures à répondre à leurs propres besoins ».
Les tenants de la « décroissance soutenable » ajoutent que cet objectif ne peut correspondre qu'à une diminution de l'empreinte écologique collective et individuelle dans les situations où le seuil de durabilité est dépassé. Cela conduit à la nécessité politique d'organiser, voire d'imposer les changements requis. Le terme « soutenable » traduit alors le souhait que les politiques engagées ne provoquent pas d'effondrement catastrophique de la société[160].
La décroissance équitable regroupe les objecteurs de croissance qui souhaitent concilier les contraintes environnementales avec le souci de justice sociale par un retour au politique. Ces militants se sont retrouvés en 2006 lors des États Généraux de la décroissance équitable à Lyon. Ils comptent aussi parmi les organisateurs du contre-Grenelle de l'environnement.
Ces militants sont souvent adeptes durevenu de base inconditionnel et durevenu maximal autorisé.Paul Ariès est l'un des principaux théoriciens de ce courant avec sa proposition de nouveau paradigme de gratuité de l'usage et de renchérissement du mésusage. Ces thèses sont notamment développées dans les journauxLa Décroissance etLe Sarkophage.
Le concept de « croissance économique par la décroissance matérielle »[161] — dans un contexte d'ingénierie deproduits matériels — est fondée sur la notion de « décroissance matérielle » définie comme l'emploi :
de moins d'énergie et de travail mécanique (mesurés enjoules) en phase de conception de produit — c'est-à-dire « faire mieux avec moins d'énergie » ;
de moins dematériau et de matière (mesurés enkilogrammes) en phase de fabrication de produit — c'est-à-dire « faire mieux avec moins de matière » ;
de moins dechimie et de pollution (mesurées enparticules nocives) en phase d'exploitation de produit — c'est-à-dire « faire mieux avec moins de pollution » ;
de moins d'empreinte et de déchets ultimes (mesurés en kilogrammes) en phase de recyclage de produit — c'est-à-dire « faire mieux avec moins de déchets »,
pour aboutir à un produit matérieléco-conçu — c'est-à-dire écologique et économique — et à la notion de « croissance économique frugale » résultant notamment :
de nombreux consommateurs demandant à acheter un nouveau produit éco-conçu, performant (c'est-à-dire en énergie, en matériaux, en propreté, en déchets) etrobuste (c'est-à-dire durable),
de la rareté de l'offre par manque deconcurrents capables de mobiliser autant de connaissances innovantes et d'intelligence en éco-conception,
d'une création devaleur économique résultant d'une forte demande de produits onéreux et préférés des clients.
Un sondage Odoxa réalisé en septembre 2015, avant laCOP21, révèle que 34 % des 15-30 ans estiment qu’il faut « changer totalement notre mode de vie et prôner la décroissance »[162].
Selon un sondage Odoxa réalisé en décembre 2019 et mai 2020, les Français se disent favorables à 67 % à la décroissance, définie comme« la réduction de la production de biens et de services pour préserver l'environnement et le bien-être de l'humanité »[163].
« Le mot « décroissance » fait très peur. On croit qu'on va chuter, régresser. Mais, de toute façon, les Européens régressent déjà. Notre niveau de vie baisse. À partir de là, soit on le subit totalement et on continue de fantasmer un monde qui ne sera plus le nôtre, soit on le prend de façon positive et on décide de changer de style de vie et de s'orienter vers des choses plus intéressantes. Il faut tout refaire en plus petit, même si c'est très exigeant. »
« Il est pour moi, comme pour beaucoup d'autres, évident qu'affirmer être de gauche ou prôner une quelconque écologie politique sans êtreantiproductiviste n'est qu'une mystification. »
« La décroissance c'est le seul moyen qu'on ait trouvé pour contrecarrer un autre slogan mystificateur lancé par une bande de criminels en cols blancs […] ledéveloppement durable. »
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S!lence a publié dès 1993 un premier dossier intitulé « Le temps de la décroissance », puis s'est spécialisée sur cette question et fait paraître de nouveaux dossiers sur cette thématique environ trois à quatre fois par an depuis février 2002. Le livreObjectif décroissance (2003) rassemble des articles publiés dansS!lence
Les Zindigné(e)s, journal des gauches antiproductrices et objectrices de croissance
Consommer à en mourir : vivez, prospérez, consommez ! La crise du consumérisme (Titre original :Shop 'Til You Drop, The Crisis of Consumerism) documentaire de Gene Brockhoff, Media Education Foundation (États-Unis) etRadio Canada (2010)
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Cet article compare des théories de Steady State Economics, comparables à la décroissance soutenable, avec celles de la décroissance française.
↑P. Serrafero,De l'innovation à la routine en conception éco-performante ou de la confrontation des idées pour le client à la vérité de l'ingénieur, Éco-conception, conception et innovation, Revue Marché et Organisations, Éditions L’Harmattan,pp. 51-64.
↑Huit volumes ont paru dans cette collection :Cornelius Castoriadis ou l’autonomie radicale par Serge Latouche ;André Gorz : pour une pensée de l’écosocialisme par Françoise Gollain ;Léon Tolstoï contre le fantasme de toute-puissance par Renaud Garcia;Jean Giono pour une révolution à hauteur d’hommes par Édouard Schaelchli ;Lanza del Vasto ou l’expérimentation communautaire par Frédéric Rognon ;Charles Fourier ou la pensée en contre-marche par Chantal Guillaume ;Jacques Ellul contre le totalitarisme technicien par Serge Latouche ;Épicure ou l'économie du bonheur par Étienne Helmer
↑abcdef etgLéa Dang,Huit précurseurs de la décroissance, in « Décroissance : Réinventer l'abondance », hors-sérieSocialter, 29 janvier 2025,lire en ligne.