Lacriminologie est l'étude de la nature, des causes, du développement et du contrôle criminel à la fois d'un point de vue individuel et social. C'est un champinterdisciplinaire qui étudie le phénomène criminel et qui fait appel à de nombreuses disciplines allant de lapsychologie, audroit en passant par lasociologie (en particulier dans le domaine de la sociologie de la délinquance ) ou l'économie. Le champ de recherche criminologique couvre les incidences, les formes, les causes et les conséquences du crime autant que la régulation sociale et institutionnelle de la réaction au crime. Enseignée dans desuniversités, elle est parfois désignée par les vocables « sciences criminelles » en français, ou « criminal studies » en anglais et le spécialiste en criminologie se nomme criminologue. Le phénomène criminel, toutefois, peut aussi bien englober tout ce qui est relatif ou qui constitue un crime que ce qui est relatif à la répression, à la sanction du crime, à ce qui conçoit un crime, à l'étiologie du crime ou encore ce qui est considéré comme délinquant. Son caractère scientifique est controversé.
Platon,Aristote et plus tardSaint Thomas d'Aquin se sont intéressés au crime et au criminel. La constitution d'unediscipline scientifique indépendante prenant comme objectif principal l'étude du criminel, du crime et de la réaction sociale qui y est attachée ne s'est pas faite sans difficultés (cette question fait d'ailleurs toujours débat). À ce propos, il est intéressant de remarquer, comme le fait
Au-delà de ces questions determinologie, il reste difficile de déterminer avec précision la date de naissance de la criminologie, chaque auteur[Lesquels ?] semblant « choisir » la date qui correspond le mieux à sa conception même de la discipline[1]. Il est toutefois possible d'identifier quelques grands mouvements qu'a connu le sujet.
Cesare Beccaria (1738-1794) etJeremy Bentham (1748-1832), principaux représentants de l'École classique, ne mènent pas leurs réflexions dans le sens de la constitution d'une discipline criminologique à part entière. Cependant, s'inscrivant dans une réflexion sur lecrime et sa prévention, ils peuvent être considérés non seulement comme des penseurs dudroit pénal mais également comme des précurseurs de la criminologie et de lapolitique criminelle. Cesare Beccaria expose ainsi saphilosophie politique et juridique dans son ouvrage majeur intituléDes délits et des peines (1764). L'auteur y développe la notion de responsabilité individuelle, delibre arbitre et deprophylaxie sociale. Il y exprime également ce que l'on appelle aujourd'hui leprincipe de légalité[Note 1], s'y oppose à lapeine de mort et à latorture, y prône la prévention plutôt que la répression et désigne l'éducation comme meilleur moyen de lutte contre ladélinquance.
Un autre penseur de ce courant estJeremy Bentham, inventeur de la notion depanoptique[3] (architecture en forme d'étoile utilisée pour les prisons) et père de laphilosophie utilitariste. Cette conception pose que chaque individu recherche le plaisir et tente d'éviter la peine. Il calcule donc chacune de ses actions en fonction de ce couple coût (peine) / bénéfice (plaisir). En partant de ce principe, J. Bentham met en avant la fonction dissuasive de la peine dans son ouvrage intituléThéorie des peines et des récompenses (1811).
Enrico Ferri, un étudiant de Lombroso, a cru que l'environnement social ainsi que les facteurs biologiques jouaient un rôle prédominant et que l'accumulation de tous ces facteurs rendaient le criminel irresponsable de ses actes car hors de sa volonté. Les criminologues ont depuis rejeté les théories biologiques de Lombroso. Cette école s'est enrichie des apports de lamédecine, de labiologie et de l'anthropologie.
Les noms dePhilippe Pinel (1745-1826) et deJean-Étienne Esquirol (1772-1840) sont davantage associés aux débuts de lapsychiatrie plutôt qu'à ceux de la criminologie. En effet, les comportements délinquants ne sont évidemment pas l'objet principal de la psychiatrie mais sont de fait entrés dans le champ de ses observations, notamment sous l'angle de l'évaluation de laresponsabilité pénale[5].
P. Pinel tout d'abord travaille ainsi à distinguer différentes formes d'aliénations (en se basant sur l'observation destroubles dont ses patients sont atteints) et élabore l'une des premièresclassifications des maladies mentales. Parmi lespathologies ainsi isolées, P. Pinel décrit lamanie. Il souligne laviolence des crises maniaques[6] et explique que ledélire n'est pas systématique. Il décrit la manie sans délire de la façon suivante :« Elle est continue, ou marquée par des accès périodiques. Nulle altération sensible dans les fonctions de l’entendement, la perception, le jugement, l’imagination, la mémoire, etc., mais perversion dans les fonctions affectives, impulsion aveugle à des actes de violence, ou même d’une fureur sanguinaire, sans qu’on puisse assigner aucune idée dominante, aucune illusion de l’imagination qui soit la cause déterminante de ces funestes penchants[7]. » P. Pinel défend enfin l'idée de la guérison possible des manies, guérison qui nécessite un traitement moral dans un cadre institutionnel adapté[8].
J.-É. Esquirol, élève dePhilippe Pinel, poursuit l'œuvre de celui-ci et isole, en partant de lamélancolie décrite par son maître, l'entiténosologique des monomanies. Elles se caractérisent par undélire partiel, ne touchant au début qu'un seul (ou un nombre restreint) d'idées[9]. J.-É. Esquirol inscrit les monomanies dans le prolongement despassions humaines, constituant une forme d'exagération qui échappe au contrôle de l'individu. C'est dans le cadre des monomanies qu'il fera entrer dans le domaine de lamaladie mentale des comportements conduisant jusque-là leurs auteurs davantage devant unjuge que devant unmédecin. Il décrit en effet la monomanie homicide comme« un délire partiel, caractérisé par une impulsion plus ou moins violente au meurtre[10]. »
P. Pinel puis J.-É. Esquirol provoquent ainsi plus ou moins directement de nombreux débats sur la question de laresponsabilité pénale des criminels.
Crâne phrénologique
Franz Joseph Gall (1758-1828) est unmédecin allemand qui a concentré son travail sur l'étude ducerveau. S'il commence par travailler sur les liens entre lamatière grise et lasubstance blanche, il développe par la suite une théorie localisationiste selon laquelle les facultés mentales sont liées spécifiquement à certaines parties du cerveau. Il poursuit sur cette voie et, d'après des observations faites notamment sur ses étudiants, en déduit que la forme du crâne est influencée par le développement des zones cérébrales qu'il contient. Il fait donc un lien direct entre lamorphologie du crâne et les traits de caractères, ouvrant la voie aux futurs travaux deCesare Lombroso sur le criminel né. Si la question deslocalisations corticales reste encore aujourd'hui importante dans l'étude du cerveau, laphrénologie et les recherches sur un lien supposé entre anatomie ducrâne et traits depersonnalité seront quant à elles vite abandonnées[11].
André-Michel Guerry (1802-1866) pour laFrance etAdolphe Quételet (1796-1874) pour laBelgique, sont considérés comme les fondateurs de la statistique morale[Note 2]. Ils sont en effet parmi les premiers à s'intéresser auxstatistiques des crimes et délits. Leurs études sur la consistance numérique des crimes suscitèrent une large discussion entreliberté etdéterminisme social. Tout au long de sa carrière, A.-M. Guerry s'intéressa par exemple à la recherche de relations entre variables sociales et morales. Il remarqua la grande régularité des taux decriminalité et desuicide à travers les époques, ce qui lui laissa entrevoir que les actions humaines étaient peut-être régies par des lois plus générales, semblables à celles qui régissent laphysique.Leurs travaux constituent l'une des prémices de la criminologie ainsi que de lasociologie.
La première école de police scientifique est fondée enSuisse, en 1909, parRodolphe Archibald Reiss : il s'agit de l'Institut de police scientifique de l'Université de Lausanne[12],[13]. Photographe talentueux, Rodolphe Archibald Reiss a tiré parti de sa passion pour doter les sciences criminelles de nouveaux outils d’analyse. Sur invitation du gouvernement serbe il examina les crimes de guerre commis pendant la Première Guerre mondiale et participa à la conférence de paix de 1919.
À l'origine, dans la moitié duXIXe siècle, la criminologie est d'abord un discours sur lecrime et lacriminalité, ce qui en fait un des premiers champs d'étude de la sociologie. Mais, comme depuis lesiècle des Lumières, d'une part des juristes s'intéressent au sort que l'on doit réserver aux délinquants (voirBeccaria,Faustin Hélie), d'autre part des médecins cherchent à comprendre et à traiter l'esprit criminel (voirPinel), très rapidement la criminologie s'est développée dans la direction de la compréhension du criminel (voirLombroso,Ferri,Lacassagne,Dallemagne) et un peu plus tard celle de savictime.
C'est ainsi que depuis la fin duXIXe siècle, on peut dire que la criminologie au sens large est la science dont l'objet polymorphe est constitué par tout ce qui touche le phénomène criminel, soit aux premiers chefs le crime, la criminalité, le criminel et sa victime, mais aussi et par extension la prévention du crime, la réaction sociale face au crime, la place des victimes dans le processus criminel, les instances de lutte contre le crime, le contrôle de la délinquance , l'étude de la violence physique ou morale, etc. Sur ce vaste et multiple objet, la criminologie a eu du mal à développer son monopole méthodologique et son autonomie scientifique. Dès son origine, elle a été tiraillée par des mouvements tantôt centripètes tantôt centrifuges. Les premiers ont favorisé le passage des disciplines mères à une science autonome ; on a vu, par exemple, la sociologie criminelle devenir la criminologie sociologique, la psychologie criminelle se transformer en criminologie psychologique, la biologie criminelle se muer en bio-criminologie. Mais, à l'inverse, surtout à la fin duXXe siècle, on a vu croître la tendance au développement de disciplines spécialisées telles que lavictimologie, les sciences policières, lapolémologie, la génétique criminelle, leprofilage criminel, etc.
La criminologie n’est pas unescience dure, et son caractère scientifique ne fait pas consensus: elle est soit considérée comme unescience humaine, soit comme unepseudoscience[14].
Le positivisme sociologique considère que des facteurs sociologiques comme la pauvreté, le fait d'être membre d'unesous-culture (subculture) ou d'avoir reçu un niveau d'éducation peu élevé peuvent prédisposer au crime.Adolphe Quételet utilisa l'analyse de données statistiques pour renforcer la relation entre le crime et les facteurs sociologiques. Il se rendit compte que l'âge, le genre, la pauvreté, l'éducation et la consommation d'alcool et de produits stupéfiant étaient des facteurs très importants liés au phénomène criminel. Rawson W. Rawson utilisa la statistique criminelle pour suggérer un lien entre la densité de la population et le nombre des crimes, ainsi il considère que les grandes villes sont un environnement favorable au phénomène criminel.Joseph Fletcher etJoseph Glyde présentèrent une publication à la Statistical Society of London sur leurs études au sujet du crime et de sa répartition. Henry Mayhew utilisa une méthode empirique et une approche ethnographique pour aborder les questions sociales et la pauvreté entre citoyens londoniens ayant du travail et ceux vivant dans la pauvreté.Émile Durkheim estime que le crime est un phénomène inévitable, inhérent à toute société humaine quelle que soit la redistribution des richesses ou les différences sociales.
Le crime peut se perpétrer à travers un groupe. L'acte criminel peut être appris et se justifier lors de certaines circonstances spécifiques. L’interaction avec d'autres personnes antisociales est un facteur majeur du phénomène criminel. Le comportement criminel se répète et devient chronique s'il est renforcé. Quand une sous-culture criminelle existe, de type gangs de rue ou mafia, de nombreux individus s'associent pour commettre des crimes et le taux de criminalité augmente dans des zones géographiques spécifiques.
Depuis Lombroso, la criminologie promeut des théories et pratiques pseudoscientifiques liées à l’eugénisme, comme laphrénologie et laphysiognomonie[18]. Une autre exemple est lemythe duchromosome du crime, qui témoigne de biais sexistes dans la criminologie[19]. AuXXIe siècle, un courant naît aux États-Unis revendiquant un renouveau de la« criminologie biosociale », se présentant comme une remise en cause courageuse, idéologique et de droite de l’abandon des théories de Lombroso[20]. Cette renaissance s’explique par les motivations carriéristes d’universitaires en position défavorables au sein d’un champ académique sans légitimité scientifique[21], qui trouvent par là un moyen de profiter de la fascination médiatique pour les théories biologiques de la criminalité[20].
Le comportement agressif a été associé à des anomalies des trois principaux systèmes de régulation biologiques et physiologiques que sont lesystème de la sérotonine, lesystème des catécholamines et l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. Les anomalies de ces systèmes sont également connus pour être induits par lestress, que ce soit un stress aigu sévère ou un stress chronique de faible ou moyenne intensité[22].
En s'appuyant sur l'ouvrageCrime and Human Nature du criminologueJames Q. Wilson(en) écrit avecRichard Herrnstein,Laurent Lemasson rappelle que les chercheurs semblent s'accorder sur deux critères biologiques ayant une influence sur la criminalité : l'âge et le sexe. Il distingue, par ailleurs, en s'appuyant sur les recherches récentes, trois corrélations supplémentaires possibles entre biologie et criminalité[23] : la présence des gènesMAOA etHTR2B chez une part importante de criminels[24] ; un fonctionnement anormal des régions frontales et temporales du cerveau[25] ; enfin un état de sous-excitation physiologique chez les criminels multirécidivistes[26].
À l'inverse de cette tendance à privilégier des critères purement biologiques pour appréhender le phénomène criminelJean Pradel souligne l'importance d'en appeler à la rigueur scientifique : « Procédant de façon méthodique Tony Ferri commence par définir les notions de crime, de criminalité et de criminologie. Si les deux premiers termes sont classiquement définis sans qu'il soit nécessaire de revenir là-dessus, le troisième est plein de difficultés »[27].
Les théories biologiques du crime demeurent très controversées et ne font pas l'objet d'un consensus au sein de la communauté scientifique, que ce soit s'agissant de l'action des gènes[28] ou du cerveau[29].
EnFrance, la criminologie est principalement enseignée à l'université, mais pas comme une discipline indépendante. Une chaire de criminologie est créée au Conservatoire National des Arts et Métiers en 2009. En, la Conférence Nationale de Criminologie, une mission universitaire commandée par le gouvernementSarkozy, remet un rapport définissant cette discipline comme« l'étude scientifique du phénomène criminel et des réponses que la société apporte ou pourrait apporter », proposant un état des lieux de l'enseignement et formulant des recommandations[30]. En effet, la criminologie n’ayant jamais constitué une unité disciplinaire, elle est particulièrement dépendante des financements publics ponctuels, de plus en plus importants depuis le début duXXIe siècle, qui compromettent la neutralité des méthodes et des résultats[31].
Au Québec, la criminologie est enseignée comme une discipline dessciences sociales depuis 1960, année de fondation de l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Elle est, depuis les années 1990, également enseignée à l'Université Laval à Québec. Cette formation mène à l’obtention de diplômes des trois cycles universitaires et peut aussi mener au titre de criminologue si l'individu devient membre de l'Ordre Professionnel des Criminologues du Québec (OPCQ).
↑« Nullum crimen nulla poena sine lege » (en français :« Pas de crime, pas de punition sans loi ») aujourd’hui qualifié de principe de légalité, la formule ne sera forgée que plus tard (par P. J. A. von Feuerbach). De plus l'idée avait déjà été formulée (sans doute pour la première fois parThomas Hobbes), mais C. Beccaria lui donne une importance inédite.
↑On pourra lire notamment l'Essai sur la statistique morale de la France (Lire en ligne) d'A.-M. Guerry (1833) ouSur la statistique morale et les principes qui doivent en former la base d'A. Quetelet (1848).
↑« La folie partielle n'a pas toujours pour caractère l'altération de l'intelligence ; quelquefois les facultés affectives sont seules lésées ; quelquefois on n'observe de désordre que dans les actions. C'est ce que les auteurs ont appeléfolie raisonnante »in J.-É. Esquirol, Des maladies mentales : considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal, 1838, tome 2,p. 791.Lire en ligne
↑Motion adoptée le 21 mars 2012 par la Commission permanente du CNU et votée en Assemblée générale (149 voix pour, 0 contre, 2 abstentions).Texte en ligne.
↑Arrêté du 6 août 2012 modifiant l'arrêté du 2 mai 1995 fixant la liste des groupes et des sections ainsi que le nombre des membres de chaque section du Conseil national des universités.
↑Conférence Nationale de Criminologie,Rapport établi pour madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Sur la faisabilité, la mise en place et le développement des études, recherches et formations en criminologie,, 87 p.(lire en ligne[PDF]),p. 14.
Jean-Pierre Bouchard, « La criminologie est-elle une discipline à part entière ? Can criminology be considered as a discipline in its own right ? »,L’Évolution Psychiatrique, 2013, 78, p. 343-349.
ChristianDebuyst,« Les Savoirs psychiatriques sur le crime : De Pinel (1801) à Morel (1857) », dans Christian Debuyst, Françoise Digneffe, Jean-Michel Labadie et Alvaro P. Pires,Histoire des savoirs sur le crime et la peine : Tome 1. Des savoirs diffus à la notion de criminel-né,Éditions Larcier,coll. « Crimen »,, 399 p.(ISBN9782804430016),p. 229-314
Tony Ferri,La criminologie ou la nouvelle sciencepénitentiaire. Théorie et pratique de la criminologie appliquée, préface deJean Pradel, Éditions Fyp, 2020, 251 p.(ISBN978-2364052017)
Tony Ferri,Notre société sous contrôle. Un processus d'enfermement, Paris, Éditions Libre et Solidaire, 2022,224 p.(ISBN978-2372631266)
[Pires 1998] Alvaro P.Pires,« La Criminologie d'hier et d'aujourd'hui », dans Christian Debuyst, Françoise Digneffe, Jean-Michel Labadie et Alvaro P. Pires,Histoire des savoirs sur le crime et la peine : Tome 1. Des savoirs diffus à la notion de criminel-né,Éditions Larcier,coll. « Crimen »,, 399 p.(ISBN9782804430016,lire en ligne),p. 13-67
Patrick Tort, « L’histoire naturelle du crime : Le débat entre les écoles italienne et française d’anthropologie criminelle. Lombroso, Lacassagne, Tarde », dansLa Raison classificatoire, Paris, Aubier, 1989, p. 469-535.