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| Lieu | Palais royal deBucarest (Roumanie) |
| Résultat | Fin de la dictature du maréchalAntonescu ; Rétablissement de laconstitution roumaine de 1923 ; Retournement de laRoumanie contre les forces de l'Axe ; Armistice avec lesAlliés. |
Lecoup d'Étatroumain du est un épisode de laSeconde Guerre mondiale. Organisé par larésistance roumaine sous l'égide du roiMichelIer, il permet de renverser le dictateurIon Antonescu, de mettre fin à lacollaboration duroyaume de Roumanie avec les forces de l'Axe et de faire entrer le pays dans le camp desAlliés. En effet, malgré l'avancée de l'Armée rouge sur lefront de l'Est et sonentrée en Roumanie en mars 1944, Ion Antonescu refusait de rompre son alliance avec leTroisième Reich.
Début 1944 l'opposition roumaine à la dictature du maréchal Antonescu (formée par les partisagrarien,libéral,social-démocrate etcommuniste) forme en juin 1944 une coalition nommée« Bloc national démocrate » qui, avec le roi MichelIer, vise à renverser leConducător[N 1], à déclarer la guerre à l'Axe et à retourner l'ensemble de l'armée roumaine contre l'Allemagne nazie (jusque-là seules deux divisions intégrées à l'Armée rouge, « Tudor Vladimirescu » et « Horia-Cloșca-Crișan », combattaient contre les nazis). De longues tractations officieuses ont lieu avec les Alliés occidentaux àAnkara (laTurquie est neutre) par l'intermédiaire du princeBarbu Știrbei, et avec l'Union soviétique àStockholm (laSuède aussi est neutre) par l'intermédiaire deNeagu Djuvara, diplomate roumain qui négocie sous l'égide de l'ambassadeur Frederic Nanu unarmistice avec l'ambassadrice soviétiqueAlexandra Kollontaï.
L'offensive soviétique sur Iași et Chișinău enMoldavie, le, avait semé assez de panique dans l'état-major roumain pour qu'Ion Antonescu perde le soutien de l'armée : le, le roi convoque donc le maréchal pour une entrevue aupalais royal, le destitue et le fait arrêter, nomme un nouveau gouvernement composé de militaires et d'hommes politiques pro-Alliés et annonce à la radio le renversement d'Antonescu, la demande d'armistice avec les Alliés et la déclaration de guerre à l'Allemagne nazie et à laHongrie. Pour l'armistice,Staline fit tarder sa réponse jusqu'au afin de permettre à l'Armée rouge d'occuper entièrement la Roumanie en s'emparant de tout le matériel de l'armée roumaine qui avait reçu l'ordre de ne pas se défendre.
Dans les heures et les jours qui suivent, les forces duTroisième Reich, commandées par le généralJohannes Frießner, tentent de prendre le contrôle de la capitale roumaine et destabiliser le front le long d'une ligne fortifiée située sur lesCarpates orientales, leSiret et le bas-Danube, mais ce plan échoue car les forces roumaines parviennent à repousser les troupes de l'Axe hors de leur pays et, début septembre, il ne reste plus d'unité allemande importante sur le territoire. L'Armée rouge est à Bucarest le et le véritable maître de la Roumanie jusqu'au coup d'État. L'ambassadeur allemandManfred Freiherr von Killinger se suicide pour ne pas être capturé par les soviétiques. Malgré l'entrée en guerre de la Roumanie contre leTroisième Reich le et la signature de l'armistice du avec les Alliés, l'occupation de la Roumanie par l'Union soviétique estcelle d'un « pays impérialiste ennemi » et l'URSS, représentée à Bucarest parAndreï Vychinski, intervient directement dans les affaires du pays au point d'organiser un nouveau coup d'État le. Celui-ci impose ungouvernement communiste, lequel débouche le par la proclamation de laRépublique populaire roumaine.

Convaincu de l'impossibilité d'une victoireallemande après ladéfaite de l'Axe à Stalingrad, et alors que l'Armée rouge est déjà en Roumanie du nord-est depuis mars 1944 (Première offensive Iași-Chișinău), lemaréchal Aontonescu, qu'une presse aux ordres qualifie de « Pétain roumain »[1] et deConducător (« guide ») tolère, à partir de 1943, les prises de contact de son bras droit, le vice-Premier ministreMihai Antonescu (simplehomonyme) avec lesAlliés occidentaux[2],[3]. Dès le départ, ces contacts sont compromis par la volonté desAnglo-Américains d'obtenir une reddition inconditionnelle de la part de laRoumanie[2] et par le scepticisme des Britanniques[4], qui ne misent pas sur Antonescu mais envoient à Bucarest lamissionAutonomous pour négocier avec l'opposition, notamment l'entourage deIuliu Maniu. La stabilisation dufront de l'Est après l'offensive Dniepr-Carpates et l'arrêt provisoire de l'avancée soviétique le mettent finalement un terme à ces premières négociations, Antonescu reprenant espoir dans la capacité des forces de l'Axe à freiner l'ennemi[4].
En juin 1944, l'aggravation de la situation militaire allemande, avec ladéroute duGroupe d'armées Centre enBiélorussie, leDébarquement de Normandie[5] et l'échec relatif desmissiles V1, obligent cependant leConducător à admettre la nécessité de traiter avec l'ensemble des Alliés, y compris les Soviétiques[3]. Moscou se montrant disposée à imposer des conditions moins strictes pour obtenir la paix, les Roumains imaginent pouvoir améliorer les conditions de l'armistice en menant des négociations parallèles auCaire (avec les trois puissances alliées) et à Stockholm (avec les seuls Soviétiques). Antonescu et Maniu essaient ainsi, chacun de son côté, d'obtenir des garanties pour que leur pays ne devienne pas unétat communiste après la guerre[2].
De leur côté, les Allemands suspectent à juste titre Bucarest de chercher à se retourner contre eux. Le,Adolf Hitler convoque donc le maréchal Antonescu dans son quartier général deRastenburg[6]. La rencontre est tendue, d'autant que leFührer refuse de répondre aux demandes de renforts du dictateur roumain et menace le pays de « représaillesà la polonaise » en cas de défection, convainquant Antonescu de la nécessité de rester dans l'orbite de Berlin[7],[8]. Pour leConducător, l'objectif final reste en effet de poursuivre le combat contre les Soviétiques[7] et commeWinston Churchill avait affirmé devant lesCommunes le 2 août qu'il ne soutiendrait jamais la Roumanie contre l'URSS[9], Antonescu n'a d'autre choix que l'alliance avec le Reich. Il refuse donc de répondre à la proposition que Moscou lui a adressée en juin[8]. Toutefois, il envoie le 12 août de nouveaux émissaires àIstanbul pour faire aux Anglo-Américains de nouvelles propositions de paix, assorties d'avantages économiques pour l'Après-guerre[6]. Mais les conditions d'armistice par lesquelles lui répondent les Alliés poussent leConducător à rester fidèle à l'Allemagne[3],[10],[11].
Pendant cette période, Antonescu déclare au généralHeinz Guderian qu'un complot contre sa personne, similaire àcelui subi par Hitler le 20 juillet 1944, est impossible. Pourtant, à cette époque, le projet de coup d'État est déjà en marche et des généraux roumains conspirent contre le maréchal avec l'opposition[12] car le refus d'Antonescu de renoncer à l'alliance allemande détermine le roiMichelIer de Roumanie et l'opposition à mettre en œuvre son renversement[11],[13].

Les tractations entre l'ancien Premier ministreIuliu Maniu et les dirigeants communistes roumains avaient commencé à l'automne 1943, et une coalition de partis opposés à la dictature du maréchalIon Antonescu se forme en juin 1944. Elle inclut leParti national paysan de Maniu, leParti national libéral, leParti social démocrate (en) et leParti communiste roumain, minuscule mais très influent du fait de la puissance soviétique. Cette coalition, qui reçoit le nom de « Bloc national démocrate »[10],[14],[15],[16],[17], n'est en réalité qu'un accord pragmatique entre des forces qui ne se font pas confiance mais qui sont toutes résolues à renverser leConducător, signer unarmistice immédiat avec lesAlliés et se retourner contre les forces de l'Axe[10],[16],[14]. Les nationaux-paysans et les libéraux souhaitent en effet rétablir lerégime parlementaire antérieur à ladictature carliste mise en place parCarol II en 1938. Les mouvements de gauche (unis, depuis avril, dans une alliance qui profite surtout aux communistes[18]) quant à eux visent l'instauration d'unÉtat communiste[19]. Cependant, dans les réunions clandestines pour coordonner les opérations militaires postérieures au renversement d'Antonescu, les communistes ont l'avantage de fournir les francs-tireurs partisans nécessaires aux opérations[18].
Le, Iuliu Maniu informe ses représentants auCaire de la création du « Bloc national démocrate » et leur demande d'obtenir des Alliés l'envoi, en Roumanie, de trois brigades et le début des bombardements de laHongrie et de laBulgarie afin d'éviter l'écrasement rapide du royaume par l'Axe après le renversement d'Antonescu[7],[15],[20]. Maniu promet, en échange, d'ouvrir le territoire roumain à l'Armée rouge, ce qui était l'une des exigences des Alliés[7]. Cependant, malgré cela, les envoyés de Maniu n'obtiennent aucune réponse de la part des Alliés[8],[21]. En effet, Britanniques et Américains se montrent prêts à accepter la proposition mais ils sont bloqués par le représentant soviétique, dont le gouvernement reste silencieux. Au même moment, l'ambassadrice soviétique à StockholmAlexandra Kollontaï est en pleine négociation de paix avec l'ambassadeur roumain Frederic Nanu, représentant Antonescu, politiquement condamné, et l'URSS se montre peu encline à traiter avec Maniu qui a la sympathie des occidentaux[20]. Dans ces conditions, la date du, initialement prévue par les conspirateurs pour organiser le coup d'État, est retardée[8],[21].
Il est difficile de reconstituer dans quelle mesure les responsables politiques et militaires allemands présents enRoumanie ont conscience de l'intensité et de l'ampleur de l'opposition à leur domination. L'ambassadeur allemandManfred Freiherr von Killinger, maîtrede facto de la Roumanie, se méfie de plus en plus d'Ion Antonescu et suggère même aux autorités duReich de le remplacer par un nouveau gouvernement plus docile, tout en gardant sur le trône le roiMichelIer, alors que celui-ci est au centre des conspirations anti-allemandes[12]. En fait, les dignitaires nazis sont convaincus de leur emprise sur Bucarest et considèrent que toute tentative de trahison serait facilement réprimée par les forces allemandes[22].
Adolf Hitler ayant été convaincu de la loyauté d'Antonescu lors de leur rencontre du, refuse d'envoyer des renforts en Roumanie et s'oppose au transfert de la4eSS Polizei Panzergrenadier Division deBelgrade vers Bucarest[12]. Le 21 août, leFührer écarte, en les qualifiant de « rumeurs infondées », les informations que laLuftwaffe lui transmet concernant l'imminence d'un coup d'État contre lePétain roumain (comme Antonescu se plaisait à se qualifier)[22]. Ainsi, la veille du coup d'état royal, une réunion du haut-commandement allemand concernant la situation militaire dans lesBalkans n'évoque même pas la situation de la Roumanie[22],[23], alors qu'unenouvelle offensive soviétique enMoldavie a commencé le 20 août. Le commandement allemand est très cloisonné en Roumanie, ce qui complique la réaction du Reich face à un soulèvement[12]. Les chefs de laLuftwaffe telAlexander Holle qui voient leur carburant et des pièces de rechange « disparaître », s'attendent à un « coup de poignard dans le dos », alors que le généralJohannes Frießner qui commande laWehrmacht a confiance dans la puissance de ses 677 000 hommes en Roumanie, sans compter lesunités SS présentes sur sol roumain[24].
Les services secrets roumains ayant collecté, pour le compte dumaréchal Antonescu, des informations concernant la localisation des unités allemandes déployées dans le pays, le roiMichelIer et le généralConstantin Sănătescu parviennent à y avoir accès grâce à la collaboration de membres de l'état-major. Durant leurs préparatifs, le souverain et son bras droit échouent, en revanche, à obtenir la participation concrète des hauts gradés déployés sur le front qui allèguent la présence de nombreuses unités allemandes intercalées entre les leurs, pour rejeter le projet de putsch anti-allemand prévu en juillet[10]. Par conséquent, tout au long du mois de juillet, les militaires les plus actifs dans la conspiration (le généralConstantin Sănătescu à la Cour, les responsables militaires de Bucarest et ceux de la région dePloiești) augmentent le nombre d'unités roumaines présentes dans la capitale. Ils cherchent ainsi à compenser le handicap initial roumain face aux Allemands[25]. Pour négocier directement sur place avec les conspirateurs, unemission clandestine inter-Alliée nomméeAutonomous duSOE fut parachutée à Bucarest où le généralConstantin Sănătescu lui fournit un appartement discret et des moyens de communication[26].


Le, alors que lamission alliée « Autonomous » duSOE est àBucarest[27],[28],Mihai Antonescu sollicite la médiation de laTurquie pour obtenir unarmistice avec laGrande-Bretagne et lesÉtats-Unis[9]. Au même moment, les Soviétiques lancent uneseconde offensive Iași-Chișinău contre les forces de l'Axe[8],[9],[21],[29]. LeDeuxième et leTroisième front ukrainien éperonnent les défenses germano-roumaines dans le but d'atteindre leDanube inférieur et lesCarpates[30]. Les conspirateurs, qui n'ont reçu de Moscou aucune réponse à leur demande de soutien militaire, comprennent qu'ils vont devoir agir vite[25].
Le maréchal Antonescu se rend sur lefront pour y constater l'étendue des dégâts. Il constate alors que, non seulement l'Armée rouge menace de rompre les défenses germano-roumaines et d'occuper l'ensemble de laRoumanie, mais que ce sont les unités allemandes, et non les Roumaines, qui offrent la plus grande résistance à l'avancée soviétique. Désormais convaincu de l'impossibilité de stopper l'assaut soviétique, le maréchal rentre à toute vitesse à Bucarest pour informer les Allemands et le roi de la gravité de la situation militaire[29], qui affaiblit le soutien que les armées lui fournissait[31].
La nuit du 21 août, Ion Antonescu demande à l'ambassadeurManfred von Killinger via le représentant économique duReich,Carl August Clodius (de), d'employer toutes les réserves allemandes pour soutenir le front[32],[33] et, lors du conseil des ministres extraordinaire qu'il organise dans la matinée du 22, fait connaître au gouvernement roumain son intention de poursuivre la lutte aux côtés de l'Allemagne nazie[34]. Le 23 août au matin, il limoge les générauxGheorghe Avramescu (ro) etPetre Dumitrescu accusés d'avoir ouvert le front aux Soviétiques, et les remplace par l'un de ses fidèles :Ilie Șteflea (ro).
Laseconde offensive Iași-Chișinău oblige les conspirateurs à accélérer le mouvement et crée assez de panique dans l'état-major pour désolidariser d'Antonescu la plupart des généraux[29]. Le 20 août,MichelIer et les militaires conjurés, de retour deSinaia après l'annonce de l'attaque soviétique, fixent la date du putsch au 26 août[8],[21]. Le plan du monarque consiste à inviter Ion etMihai Antonescu à déjeuner et à les limoger au cas où ils refuseraient de négocier avec lesAlliés. Après la destitution du « Pétain roumain » et de son bras droit, le roi formerait un nouveau gouvernement composé de membres de l'opposition, qui demanderait l'armistice aux Alliés et exigerait le retrait des Allemands de Roumanie[8]. Réunis secrètement dans la nuit du 21 août, les membres de l'opposition donnent leur accord au souverain pour la date du 26 puis ils entrent dans la clandestinité[8],[21],[23]. Cependant, l'annonce du maréchal Antonescu qu'il regagnera le front le 24[35] contraint le roi à décider d'avancer la date au 23[25],[29].

Le soir du 22 août, Mihai Antonescu propose auConducător de solliciter enfin l'armistice aux Alliés, suggestion que ce dernier ne rejette pas[35],[36]. Le vice-Premier ministre envoie donc l'attachéNeagu Djuvara àStockholm, pour informer l'ambassadeur roumain Frederic Nanu que le gouvernement accepte la proposition d'armistice soviétique. Cependant, le message ne parvient à la capitale suédoise que le 24 août[33],[35],[36]. Le vice-Premier ministre fixe par ailleurs un rendez-vous entre le roi et le maréchal à 15h00, sans que ce dernier lui ait donné son accord.Gheorghe I. Brătianu se rend donc auprès du « Pétain roumain » pour obtenir qu'il se rende à l'audience avec le souverain[36],[37].
Le 23 août à 9h00, le colonel Dragomir, chef d'état-major de laIVe Armée roumaine, téléphone àConstantin Sănătescu pour l'informer de l'incapacité des forces roumaines à ralentir l'avancée soviétique, ce qui convainc un peu plus les conspirateurs de la nécessité d'agir très rapidement[38]. De son côté, après avoir promis aux leaders de l'oppositionIuliu Maniu etDinu Brătianu de solliciter un armistice auprès des Alliés dans la matinée[38], le Ion Antonescu envisage la possibilité d'un retrait des forces roumaines au sud de laMoldavie sur la ligne fortifiéeCarpates-Focșani-Danube afin d'y poursuivre les combats[39].
À midi, leConducător, ayant reçu des informations toujours plus préoccupantes concernant la situation militaire, décide de retourner sur le front le soir même[36],[40]. Soutenu par l'épouse du maréchal[36], le vice-Premier ministre Mihai Antonescu tente alors de le convaincre de se rendre à l'invitation du souverain avant de partir[40]. Le « Pétain roumain » finit par accepter le rendez-vous avec MichelIer, mais seulement à la condition qu'Iuliu Maniu et Dinu Brătianu s'engagent par écrit à soutenir sa demande d'armistice aux Alliés[33],[36],[37] pendant qu'il résisterait au sud de laMoldavie tout en négociant l'armistice avec les Soviétiques et en informant les Allemands de ses intentions afin de se réserver la possibilité de quitter Bucarest pour passer à l'Ouest avec l'aide des Allemands en cas d'échec[25],[33]. Pendant ce temps, le roi essaie en vain de localiser les membres de l'opposition passés dans la clandestinité, pour les informer de son intention d'arrêter Antonescu durant l'audience de l'après-midi, et Gheorghe Brătianu échoue lui aussi à trouver Maniu et son oncle pour leur demander l'appui que le maréchal exige d'eux. Cette incapacité à trouver les chefs de l'opposition irrite le maréchal, qui décide de repousser l'entrevue avec le monarque[36],[37].
Face à l'intransigeance duConducător,Mihai Antonescu se rend seul à l'entrevue fixée avec le roi[36],[37]. Le généralConstantin Sănătescu téléphone alors au maréchal pour le convaincre de ne pas défierMichelIer dans un tel moment de crise. Convaincu par cet argument, leConducător accepte finalement de se rendre au palais royal[41],[42] malgré son mépris pour le souverain[40]. Il arrive au palais à 16h00 et expose au monarque la situation militaire et ses projets. MichelIer lui demande de les simplifier en demandant immédiatement l'armistice et en abandonnant toute idée de résistance afin de convaincre lesAlliés de la bonne volonté roumaine. LeConducător s'y oppose catégoriquement[40],[41],[42],[29],[38],[43] et le roi, après s'être retiré un instant pour aviser ses collaborateurs de son intention, le démet aussitôt de ses fonctions[41],[42].

MichelIer ordonne ensuite à sa garde d'arrêter le maréchal Antonescu et le vice-Premier ministre[44], qui sont enfermés dans une pièce du palais vers 17h00[41],[45]. Dans les heures qui suivent, le souverain fait également arrêter d'autres partisans duConducător, qui sont appelés au palais royal sous le prétexte d'un conseil extraordinaire[29],[44],[45]. Le monarque rétablit en outre laconstitution de 1923[45] et nomme un nouveau gouvernement avec, à sa tête, le général Sănătescu[29],[38],[41],[42],[43],[44],[45]. Les autres membres du cabinet sont tous des militaires ou des hommes politiques affiliés au Bloc national[38],[41],[44],[43],[45],[46].
Vers 18h30, les conspirateurs mettent à exécution leurs plans contre les Allemands. Dans un premier temps, ils isolent le quartier général allemand de Bucarest en coupant ses lignes téléphoniques[45]. Puis, des unités roumaines occupent les points stratégiques de la capitale[44]. Pendant ce temps, le chef des services secrets roumains, un fidèle d'Antonescu qui ne s'est pas rendu au palais royal au moment où on l'y convoquait, communique aux Allemands ses doutes sur un probable coup d'État, et vers 20h00, l'ambassadeurvon Killinger fait irruption au palais royal pour tenter d'intimider le souverain. MichelIer et son nouveau Premier ministre Sănătescu ne cèdent pas aux menaces et lui « conseillent vivement »[N 2] de « retirer les troupes allemandes du pays pour leur éviter d'être attaquées par l'armée roumaine »[45]. Vers 21h00, un groupe decommunistes arrive à son tour au palais pour transférer les deux Antonescu en lieu sûr en attendant leur extradition vers URSS (l'une des conditions d'armistice)[N 3],[43],[44],[47].
À 22h00, MichelIer fait une déclaration radiodiffusée durant laquelle il annonce la rupture des relations diplomatiques avec leTroisième Reich et la demande d'armistice avec les Alliés[38],[48]. Il y ajoute sa détermination à récupérer laTransylvanie du Nord, attribuée à laHongrie par leDeuxième arbitrage de Vienne de 1940[43],[44],[45],[46]. Dans le même temps, le Premier ministre Sănătescu ordonne aux représentants roumains présents auCaire d'accepter les conditions d'armistice présentées par les Alliés le 12 avril[46],[49]. Vers 23h00, le généralGheorghe Mihail (ro), nouveau chef de l'état-major roumain, ordonne à ses unités d'expulser les forces allemandes du pays et d'empêcher celles-ci de se concentrer dans les Carpates[30],[50]. Peu de temps après, le monarque abandonne la capitale pour se réfugier dans les montagnes et éviter d'être capturé au cas où les Allemands parviendraient à s'emparer de Bucarest[51].
Le coup d'État royal prend les autorités allemandes totalement de court[22],[43],[46],[49]. Le commandant des unités duReich présent sur lefront roumain recommande donc un repli immédiat de ses forces enHongrie maisAdolf Hitler ordonne l'occupation de Bucarest et l'installation d'un nouveau gouvernement plus fidèle au régime nazi[46],[49],[52],[53].

En Roumanie même, deux des principaux commandants allemands en poste àBucarest rencontrent, dans la nuit du 23 au 24 août, le Premier ministreConstantin Sănătescu qui leur réitère ses exigences de retrait[45]. L'un d'eux, le généralAlfred Gerstenberg (de), responsable de laLuftwaffe[12], demande alors l'autorisation de se retirer avec ses hommes àPloiești pour organiser l'évacuation[45]. Cependant, une fois sur les lieux, le militaire décide de ne pas honorer sa promesse mais de suivre les ordres d'Hitler et d'écraser la capitale roumaine[45],[53]. De fait, plusieurs unités allemandes originaires dufront, de Ploiești et même deYougoslavie sont concentrées au nord de Bucarest afin de s'en emparer[54]. Au même moment, pourtant, les Roumains contrôlent presque entièrement leur capitale, et cela depuis la nuit du 23 août[55]. Tout au long des journées des 24, 25 et 26, ils parviennent en outre à en éliminer les dernières poches de résistance allemande grâce à l'intervention de l'armée et devolontaires civils[50],[55].Manfred Freiherr von Killinger, ancien ambassadeur nazi ayant gouvernéde facto la Roumanie jusqu'à son remplacement parCarl August Clodius (de) dont il devient le conseiller, s'est réfugié dans une résidence discrète et isolée de Săftica près de Bucarest, en compagnie de sa secrétaire. Le lendemain du coup d'état, le colonel roumain Eugen Cristescu et le général Constantin Tobescu l'y rejoignent et lui proposent une fois de plus la retraite sans combats de l'armée allemande de Roumanie, commandée parJohannes Frießner. Von Killinger refuse et les Roumains le font prisonnier et l'assignent à résidence. Apprenant que l'URSS, nouvelle puissance tutélaire de la Roumanie, exigeait de Bucarest que lui soient livrés tous les prisonniers allemands faits par les Roumains, Manfred von Killinger se suicidera le 2 septembre 1944[43],[49].
Une première tentative allemande pour reprendre le contrôle de Bucarest se déroule tôt dans la matinée du 24 août, avec l'intervention de la5. Flak-Division, mais c'est un échec du fait de l'âpre résistance des forces roumaines[49]. Quelques heures plus tard, une offensive terrestre dirigée par le général Gerstenberg qui vise à forcer l'entrée de la capitale depuis le nord ne donne pas plus de résultat. Enfin, d'autres assauts menés par des unités moins nombreuses venues d'autres directions échouent à leur tour. Par conséquent, Gerstenberg tente d'obtenir la reddition de Bucarest en la soumettant à d'intenses bombardements aériens[56]. Aux alentours de 11 h 00 du matin, 150 avions allemands pilonnent ainsi la ville[49], ce qui aboutit notamment à la destruction partielle dupalais royal mais pas à l'écrasement des forces roumaines[43]. Par ailleurs, leFührer qui n'oublie pas le volet politique, fait parachuter à Bucarest un commandoWaffen-SS dirigé parAndreas Schmidt, unsaxon transylvain, gendre deGottlob Berger, pour anéantir lamission inter-alliée du SOE « Autonomous » et libérer le maréchal Antonescu afin de le remettre au pouvoir[57]. La mission échoue, Schmidt et son commando sont capturés et, comme tous les prisonniers allemands, y compris ceux originaires de lacommunauté allemande de Roumanie, il sera remis aux Soviétiques conformément aux décisions du gouvernement allié deConstantin Sănătescu[58]. Hitler fait également appel au chef de laGarde de ferHoria Sima, emprisonné en Allemagne après satentative de putsch contre Antonescu en 1941[N 4], qui forme uncabinet fantoche àVienne le 24 août[59]. Ce nouveau gouvernement imaginé fin décembre 1943 par les nazis, n'obtient aucun soutien en Roumanie et ne parvient pas à constituer une alternative au régime deMichelIer[60].

Les attaques allemandes se poursuivent dans les jours suivants et causent de gros dégâts au centre de la capitale[56]. Mais, trop peu nombreuses et soumises auxbombardements américains et au harcèlement des Roumains, les forces duReich doivent commencer à se retirer dans la matinée du 28 août, même si une partie d'entre elles est encerclée au sud dePloiești[5],[46]. De durs combats se déroulent ensuite, jusqu'à la fin du mois d'août, autour de cette cité et de la vallée dePrahova, importante région pétrolifère et industrielle : ils aboutissent également à la victoire des troupes roumaines[61]. Ces événements accélèrent la déclaration de guerre formelle de la Roumanie à l'Allemagne, qui est officialisée le 26 août[62].

Le retournement de laRoumanie conduit à la reddition de ce qui reste des deux armées roumaines combattant lesSoviétiques sur lePrut et facilite ainsi l'encerclement de la6e armée allemande durant laseconde offensive Iași-Chișinău[23]. Le retrait roumain ouvre par ailleurs le delta duDanube et les portes desCarpates à l'Armée rouge, ce qui rend plus aisée son avancée vers laHongrie, laYougoslavie et laBulgarie[23],[63]. De fait, l'armée allemande se montre incapable de stabiliser le front le long des Carpates, comme elle l'avait prévu[63],[64], ce qui contribue à abattre son système défensif sur le flanc sud[23],[65].
Le haut-commandement soviétique ayant rejeté la demande deConstantin Sănătescu de limiter l'occupation de la Roumanie par l'Union soviétique à laMoldavie et laDobroudja pour permettre aux forces roumaines d'expulser seules les dernières unités allemandes[66], les troupes soviétiques entrent dans Bucarest le[5],[46],[66].Communistes inclus, l'armée et la classe politique roumaines font preuve de loyauté enversMichelIer et aucune personnalité ne fait le choix de soutenir l'armée allemande ouIon Antonescu[41],[43],[45],[52],[62].
En France,Le Figaro du vendredi 25 août 1944 annonce qu’Antonescu se serait enfui en Allemagne[67], alors qu'en réalité il fut livré aux Soviétiques comme ceux-ci l'exigèrent, puis fut détenu en URSS durant un an (le temps que lescommunistes roumains prennent le pouvoir) et enfin ramené en Roumanie, jugé et exécuté pour crimes de guerre[51]. En moins de trois semaines, il ne reste plus aucun combattant allemand en Roumanie et, un mois plus tard, laTransylvanie est libérée des forces germano-hongroises qui l'occupaient[68].
Début septembre, leReich ne possède plus aucune unité importante en territoire roumain[62],[69] et, huit jours après le putsch royal, 5 000 soldats allemands sont morts et 56 000 autres ont été faits prisonniers avec leur matériel au cours de combats contre les forces roumaines[70]. Au total, l'Allemagne nazie perd, sur le sol roumain, près d'un demi-million d'hommes dans sa lutte contre les Soviétiques et les Roumains. Après l'abandon de Bucarest, Berlin se trouve en outre privé d'importantes réserves de nourriture et de pétrole[63].
L'espoir du roiMichelIer de faire reconnaître la Roumanie comme « co-belligérante » desAlliés, à l'exemple deCharles de Gaulle et de laFrance libre, est déçu : ce statut ne lui est pas reconnu, alors qu'il est accordé à des pays comme laTurquie ou leVenezuela qui ne sont intervenus contre l'Allemagne qu'à un mois ou 15 jours de la fin. En effet, l'importance de l'engagement roumain contre l'URSS et lescrimes commis par l'armée roumaine sont vivement reprochés au pays : le régime Antonescu est considéré comme représentatif par les Alliés, bien qu'il soit issu d'uncoup d'État et non d'une décision parlementaire comme leRégime de Vichy.
C'est pourquoi l'Armée rouge se comporte à son tour enoccupante malgré la signature de l'armistice entre la Roumanie et les Alliés le[71]. Les Soviétiques s'immiscent dans la vie politique roumaine et minent la coalition formée autour de Sănătescu, jusqu'à obtenir la mise en place d'un gouvernement pro-communiste avecPetru Groza le[68]. Toutefois, la contribution roumaine du côté allié (et le fait que legouvernement fasciste hongrois deFerenc Szálasi soit resté fidèle à l'Axe jusqu'au bout) vaut à la Roumanie de récupérer laTransylvanie du nord autraité de paix de Paris de1947[72].

Alan Brooke, alors chef de l'état-major britannique, a estimé que par le coup d'état du 23 août 1944, la Roumanie a ouvert à l'Armée rouge les portes desBalkans, contraint laWehrmacht à s'en retirer, raccourci la guerre en Europe de six mois et épargné des centaines de milliers de vies[73]. Le général allemandJohannes Frießner, alors commandant duGroupe d'armées Sud décrit les mêmes faits[74] pour les déplorer en tant quetrahison des Roumains[75]. Les défenseurs d'Ion Antonescu considèrent le coup d'État du roi Michel comme unetragique erreur, affirmant que si le roi avait attendu un mois ou deux de plus que ce soit le maréchal lui-même qui demande l'armistice, les Alliés occidentaux se seraient avancés plus profondément vers l'Est de l'Europe, réduisant d'autant lazone d'influence soviétique[76]. Mais ce point de vue ne prend pas en compte le fait qu'à ce moment, laseconde offensive Iași-Chișinău était déjà en cours depuis trois jours, rendant inéluctable l'invasion rapide de la Roumanie par l'Union soviétique, et pas comme co-belligérant Allié (cas de la Pologne) ni même comme pays ennemi ayant déposé les armes en attendant l'armistice (ce qui fut le cas, ainsi qu'en Bulgarie), mais comme pays ennemi (cas de la Hongrie et de l'Allemagne nazie), l'exposant ainsi aupire traitement. Quoi qu'il en soit, à laconférence inter-Alliée „Tolstoi” de Moscou en octobre 1944, la délimitation des zones d'influence en Europe n'a tenu aucun compte de l'attitude de ces différents pays (laconférence de Yalta ne faisant qu'entériner ces délimitations) et du point de viegéographique, même si les armées occidentales avaient pénétré davantage enEurope centrale, elles n'auraient pas atteint la Roumanie qui, étant le plus oriental de tous les « pays de l'Est », ne pouvait être que le premier conquis et occupé par les Soviétiques[77].
Comme toute l'Europe de l'Est, la Roumanie avait perdu ses dernières chances d'éviter l'occupation soviétique dès l'hiver 1943, à laconférence de Téhéran, où Winston Churchill qui négociait en position de faiblesse, a dû , pour garder laGrèce dans la zone d'influence britannique, renoncer aux prétentions britanniques sur les autres pays est-européens[78], car, après que lesItaliens se soient retirés duDodécanèse (automne 1943), les Britanniques, privés de tout soutien américain, avaient subi unelourde défaite dans cet archipel égéen et ainsi perdu la possibilité de débarquer dans lesBalkans[79]. Dans le refus américain de soutenir les Britanniques de ce côté, le rôle-clef a été tenu par le principal conseiller, à ce moment, duprésident Roosevelt :Harry Hopkins[80] qui a tant favorisé l'extension de l'Union soviétique en Europe de l'Est, qu'il a été soupçonné d'avoir été unagent d'influence soviétique piloté par l'agent duNKVD Ishak Ashmerov[81]. Dans cette période cruciale où s'inscrit le coup d'état roumain du 23 août 1944, Churchill ne fut pas seulement affaibli par les Américains, mais aussi manipulé par les « Cinq de Cambridge », agents soviétiques qui dirigeaient les services de renseignement britanniques et qui le convainquirent que l'Europe orientale était, pour l'Occident, une cause perdue d'avance[82].
Les défenseurs d'Ion Antonescu affirment aussi que le sort du « Pétain roumain » (comme il se qualifiait lui-même) aurait été injuste en comparaison de celui du maréchal finlandaisCarl Mannerheim qui, après la guerre, a été considéré comme un héros dans son pays[83], mais ce point de vue passe sous silence le fait que Mannerheim a limité son offensive contre l'URSS à laCarélieperdue en 1940 sans même tenter de conquérirMourmansk comme le lui demandaient les Allemands, n'a jamais ordonné à l'armée finlandaise de tuer des civils et a finalement préservé l'indépendance de son pays, tandis qu'Antonescu, loin de se contenter de reprendre aux Soviétiques lesprovinces roumaines perdues en 1940, a envoyé l'armée roumaine au massacre jusqu'àStalingrad, a accusétous les Juifs indistinctement d'être des „agents du bolchévisme, ennemis de la nation”, a ordonné à l'armée roumaine deles exterminer[84] et n'a pas préservé son pays de l'invasion soviétique commencée sous sa gouvernance par laseconde offensive Iași-Chișinău : ce n'est pas à Carl Mannerheim qu'Ion Antonescu est comparable, mais plutôt au maréchal françaisPhilippe Pétain[85].
Après la guerre, le coup d'état du réalisé par le« Bloc national démocrate » comprenant leMichelIer et les partisagrarien,libéral ousocial-démocrate, ainsi que lechangement d'alliance de la Roumanie furent largement passés sous silence dans l'historiographie occidentale grand public, qui présente l'entrée des Soviétiques dans lesBalkans en août-septembre1944 comme la simple conséquence de laseconde offensive Iași-Chișinău menée par les générauxRodion Malinovski etFiodor Tolboukhine. C'est le cas de la quasi-totalité des manuels scolaires et des documentaires télévisuels comme la série « La Seconde Guerre mondiale en couleur » de Nick Davidson (8e épisode), mais aussi d'ouvrages plus spécialisés tel l'ouvrage de Pat McTaggartRed Storm in Romania[86].
En Roumanie même, durant les 45 années de ladictature communiste (-) l'historiographie présente le (devenu fête nationale du régime communiste) comme une « révolution prolétarienne des paysans, ouvriers et soldats roumains sous la direction éclairée duParti communiste roumain » renversant le la « tyrannie fasciste et impérialiste de la monarchie bourgeoise-latifundiaire servante de l'Allemagne hitlérienne » (tirania fascistă și imperialistă a monarhiei burghezo-moșierești, slugă a Germaniei hitleriste). Ce n'est qu'après lachute de la dictature en 1989 que les historiens retrouvent leur liberté d'étudier et leur accès aux archives, rétablissant, mais dans un contexte d'indifférence croissante pour le passé, la réalité des événements[87].