Laconversion religieuse est le changement dereligion d'un individu ou d'un groupe d'individus. La conversion peut être obtenue par la contrainte dans le cas d'uneconversion forcée. Elle peut également avoir pour but d'obtenir un avantage comme l'obtention d'untitre de noblesse ou unmariage. Enfin, elle peut être l'aboutissement d'un cheminement personnel où descroyances religieuses, nouvelles ou anciennes, supplantent d'autres conceptions. L'individu décide alors de suivre une voie, et souvent abandonne ses habitudes et ses idées antérieures. Il rejoint un courant ou un groupe censé transmettre et pratiquer ces nouvelles valeurs. La conversion a une dimension fortementspirituelle, et peut relever d'une aspiration profonde voire ancienne ou, plus rarement, d'uneillumination d'ordremystique.
Dans un sens plus large, la conversion peut aussi désigner le retour aux valeurs originelles d'un engagement antérieur, donc sans changement de religion (ainsi celle dePascal consignée par lui le)[1] mais qui va prendre un contenu différent selon la tradition dans laquelle elle se situe[2].
Le bouddhisme, le christianisme et l'islam sont des religionsprosélytes qui visent à la conversion d'autrui ; cela consiste à « faire connaître sa pensée, ses croyances religieuses pour rallier à sa foi de nouveaux adeptes »[3].
Le motlatin,conversio a traduit le termegrecépistrophé qui désigne d'abord l'acte physique de revenir sur ses pas, désigne ensuite un changement d'attitude au profit des valeurs ancestrales, avec uneconnotation positive ; le mot évolue ensuite vers le choix d'un système de pensée à un autre[4].
Dans la tradition judaïque, le termeshub que l'on retrouve dans laBible implique la rencontre de l'homme avec Dieu et la conclusion d'un pacte avec lui qui n'exclut pas la réciprocité, c'est-à-dire la « conversion de Dieu à l'homme »[4],[5].
En latin,conversio, à partir de son sens premier de transformation des choses, désigne un changement mental chez l'individu[4].
Enfrançais, laconversion est selon leLittré, l'« action de tirer les âmes hors d'une religion qu'on croit fausse pour les faire entrer dans une religion qu'on croit vraie ». La conversion personnelle est donc le fait « d'entrer dans une religion qu'on croit vraie ».
D'aprèsVan Der Leeuw, toutes les religions antiques sont des religions d'équilibre[6] : aux rites qui constituent un mode d'échange entre les divinités et l'homme ne correspond pas une expérience intérieure. Les religions antiques sont, en ce sens, tolérantes, et ne revendiquent pas la totalité de la vie intérieure des adeptes. Pour la même raison, elles admettent à leurs côtés d'autres cultes et d'autres rites. Même si la propagation de mouvements religieux comme lescultes dionysiaques donnent lieu à des phénomènes extrêmes, de nature extatique où l'initié est possédé par le dieu, il n'y a pas de conversion totale et exclusive[7].
Chaque religion propose à l'admiration et à l'émulation des figures qui ont vécu des conversions particulièrement émouvantes ou retentissantes ; certains de ces personnages ont d'ailleurs contribué à la propagation de leur religion.
C'est le cas, pour lebouddhisme, de laconversion du roi Ashoka deux siècles (268 av. J.-C.) après l'Illumination duBouddha historique.Ashoka a fait apposer sur toute l'étendue de son royaume indien des stèles où il relate sa propre conversion au bouddhisme, et la transformation morale qui s’est opérée chez tous ses sujets à la suite de sonillumination. Il fit du bouddhisme une religion officielle, et contribua ainsi fortement à son premier essor. Cela incitePierre Hadot à distinguer la conversion au bouddhisme des phénomènes de diffusion des autres religions de l'antiquité[7].
Pour lechristianisme, laconversion de Paul est un thème bien connu des historiens de l'art, par l'interprétation dramatique qu'elle permet. Elle a aussi sans aucun doute eu un effet d'amplification du message deJésus-Christ au-delà des communautés juives. Laconversion d'Augustin, qui avait mené une vie dissolue, racontée dans sesConfessions,a inspiré par la suite nombre de « retours à la religion » chez les chrétiens de toutes les époques, et notammentchez les Jansénistes[réf. nécessaire].
La conversion de l'empereur romainConstantinIer en312, fils d'une chrétienne,Hélène, entraîne progressivement lachristianisation de l'Empire romain[8]. Le taux de conversion des quelque 70 millions d'habitants de l'Empire fait débat et varie selon les auteurs et les régions entre 5 et 20 %[9].
Ainsi, les États, les Églises ou d'autres groupes qui s'en sont réclamés ont mené de véritables campagnes de conversion. Elles ont pu recourir aux pressions sociales ou économiques (protestants en France), à la violence (Inquisition sur lesconversos juifs et lesmoriscos (musulmans) voués au bûcher,Premières Nations en Amérique), voire à une obligation légale (par exemple, ledécret de l'Alhambra pour lesJuifs en Espagne)[10].
Les Marranes par Moshe Maimon, 1893
Dans lemonde juif qui a donc connu d'innombrables conversions à la religion dominante des États où les Juifs habitaient et où ils se réfugiaient, principalement lecatholicisme et l'islam, souvent quand le seul choix était « le baptême ou la mort », la conversion ou une vie de persécutions, on appellera :
Le judaïsme étant une religionuniverselle, la conversion n'y est généralement pas encouragée, bien qu'elle existe depuis l'origine, tel qu'indiqué dans laBible[13] et jusqu'à nos jours[14]. L'universalisme du judaïsme s'entend à travers la « sanctification du Nom de Dieu » mais également dans son déploiement à travers le christianisme qui s'en réclame et l'islam, les deux en ayant adopté des fondements[15].
La conversion est souvent évoquée dans leNouveau Testament et est un thème d'une grande importance dans la plupart des branches duchristianisme, religionprosélyte visant ainsi à la conversion[16],[3].
Dans leprotestantismemultitudiniste comme chez lesévangéliques, la conversion est d'abord vue comme un acte defoi (ou de confiance) vis-à-vis de Dieu, qui s'accompagne d'une repentance par rapport à son mode de vie antérieur et de l'engagement d'une nouvelle vie fondée sur l'obéissance aux commandements duChrist, donc de signes visibles dans certains courants mais pas nécessairement, dont fait aussi partie la participation à la vie de la communauté chrétienne. Les églises évangéliques accordent une forte importance au passage de chacun par cette expérience personnelle[22].
Lebaptême sanctionne en principe cette étape, mais il est possible de vivre une expérience de conversion après le baptême, notamment bien sûr dans le cas des églises pédobaptistes (qui baptisent les nourrissons et non les adultes).
Dans son entretien avecJean-Paul Ribes au sujet de son livreLa Force du bouddhisme,Jean-Claude Carrière remarque :« Ce qui vous permet définitivement de conclure à l'authenticité d'un maître bouddhiste, c'est qu'il ne vous dira jamais : « Venez à moi, convertissez-vous » ». Il ajoute« Ledalaï-lama va plus loin : « Ne vous convertissez pas », affirme-t-il, vous avez tout ce qu'il vous faut là où vous êtes, sachez vous en servir. Prenez dans le bouddhisme ce qui vous sert à devenir meilleurs. Si vous voulez aller plus loin, devenir moine ou nonne, c'est possible. Mais il faudra faire les choses sérieusement. Étudier une dizaine d'années, prononcer une centaine de vœux, apprendre le tibétain et le sanskrit, etc. »[23].
Le phénomène de conversion peut être étudié à l'échelle individuelle, et dans ce cas, il relève de lapsychologie, ou à l'échelle du groupe et il relève de lasociologie ou de l'anthropologie. Les conversions de groupes humains peuvent à leur tour être étudiées dans une perspectivehistorique. Une religion particulière, enfin, peut donner un sensthéologique à la conversion.
Pierre Hadot, professeur auCollège de France, a mené une analyse poussée du phénomène de conversion, distinguant undouble mouvement contradictoire entre un retour aux sources, à une situation originelle supposée pure et parfaite, et au contraire la projection de soi dans un ordre nouveau, une renaissance qui répare les défauts initiaux. Dans cette ambivalence, « l’idée de conversion représente une des notions constitutives de la conscience occidentale » ; « on peut se représenter toute l’histoire de l’Occident comme un effort sans cesse renouvelé pour perfectionner les techniques de conversion »[7], la conversion étant alors vue comme un mouvement de progrès fait de retours en arrière et de ruptures innovantes.
D’un autre point de vue, la conversion n’implique pas toujours une transformation radicale. Les personnes concernées distinguent toujours l’avant et l’après conversion, mais analysée plus largement, la conversion n’entraîne pas nécessairement un changement majeur sur le plan desontologies. Plutôt, la conversion peut être vue comme un phénomène de transition, où tant des changements sont constatés, comme en optant pour certaines pratiques plutôt que d'autres et en ayant recours à de nouveaux imaginaires, tout en maintenant certaines continuités. Ainsi, l'identité n'est pas forcément transformée[24].
LaDéclaration universelle des droits de l'homme adoptée par lesNations unies définit la conversion religieuse comme l'un desdroits humains :« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction […] » (article 18). Cette affirmation fait cependant l'objet de controverses, certains groupes interdisant ou restreignant la conversion religieuse.
LePacte international relatif aux droits civils et politiques, conçu par le Comité des droits de l'homme des Nations unies sur la base de la Déclaration universelle des droits de l'homme, établit de plus que« personne ne peut faire l'objet de mesures coercitives visant à restreindre sa liberté d'avoir ou d'adopter la religion ou la croyance de son choix » (article 18.2). Le Comité des droits de l'homme a publié en 1993 un commentaire au sujet de cet article : « Le Comité fait observer que la liberté "d'avoir ou d'adopter" une religion ou une croyance implique nécessairement la liberté de choisir une religion ou une croyance, mais aussi le droit de passer d'une religion à une autre, ou d'abandonner une religion pour des conceptions athées […] L'article 18.2 interdit toute mesure coercitive qui irait à l'encontre du droit d'avoir ou d'adopter une religion ou une croyance, y compris la menace de faire usage de la force physique ou de sanctions pénales pour contraindre des non-croyants à adhérer à des croyances religieuses ou à une confession particulière, pour les amener à abjurer leur religion ou leurs croyances, ou pour les convertir » (CCPR/C/21/Rev.1/Add.4, commentaire d'ordre général numéro. 22).
Inès Bouguerra, « Essai de modélisation trialectique de la conversion religieuse »,Nouvelles perspectives en sciences sociales,vol. 16,no 1,,p. 83-108(lire en ligne)
Pour en savoir plus sur les études anthropologiques sur les conversions Laugrand[24] a dressé une liste d'auteurs à lire, dont en voici une sélection par thème de recherche :
Jack Goody,Marc Augé ou T.O. Beidelman : changements sociaux reliés à la conversion et aux prophétismes/mouvements religieux
Comaroff et Comaroff[25]: « colonisation de la conscience », sur le rôle actif des prosélytes de la mission et la dimension hégémonique de la modernité et du colonialisme
Mary[26],[27] et Meyer[28] : nouvelles identités africaines christianisées tendant vers le syncrétisme et vers le bricolage religieux
Barker[29] : notion d'invention de la tradition, pour saisir la transformation des institutions et des valeurs morales, la conversion comme nouvelle identité
Yona Ghertman,Une identité juive en devenir, la conversion au judaïsme, 2015, éditions Lichma
Harkin et Kan[30] : la conversion des peuples autochtones en Amérique du Nord
↑Conversion deRuth laMoabite (« Ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu »), ancêtre duroi David ainsi que celle desJébuséens sous son règne. LeMidrash affirme aussi queJethro aurait été le premier prosélyte juif.
↑« La compassion de Dieu est sans fin et il veut que chacun soit "rectifié" et racheté. LaRédemption viendra parce que laCommunauté d'Israël grandira et que de plus en plus de gens vont la rejoindre au service de Dieu. C'est pourquoiJacob dit àSiméon et àLévi : “Que mon âme n'entre pas dans leur conspiration” (Genèse 49: 6) (faisant référence aux rébellions deKorah et deZimri). Chaque âme qui rejoint la sainte communauté (juive) l’améliore, mais la discorde et la rébellion rabaissent la communauté et diminuent ses chances de rédemption (Likoutey Halakhot VI,p. 54-28a). En revanche, la bénédiction que Jacob a donnée àJuda fait allusion aux batailles qu’il mènera pour répandre la sainteté « jusqu’à la venue deShiloh » (Genèse 49: 10) - pour Les enseignements de Juda feront en sorte que ceux qui sont éloignés de Dieu s’approchent, même les convertis » (Likutey Halakhot VI, p. 29a-58)
↑Par exemple dans l’Évangile selon Matthieu, chapitre 18, verset 3 :« Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux » ou dans lesActes des Apôtres, chapitre 3, verset 19 :« Repentez-vous donc et convertissez-vous, pour que vos péchés soient effacés… » (traduction Louis Segond)
↑a etbMeyer, B. (1996), « Modernity and Enchantment: The Image of the Devil in Popular African Christianity ». In P. Van der Veer (ed.)Conversion to Modernities, New York, Routledge,p. 199–230.
↑Jorgensen, D. (2005), « Third Wave Evangelism and the Politics of the Global in Papua New Guinea: Spiritual Warfare and the Recreation of Place in Telefolmin »,Oceania, 75,p. 444–461.
↑Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux(Paris), Malogne-Fer,Gwendoline., Groupe Religions, sociétés, laïcité(Paris) et Impr. Corletnumérique),Anthropologie du christianisme en Océanie, L'Harmattan,, 193 p.(ISBN978-2-296-08143-7 et2296081436,OCLC470942760)
Frédérique Desbuissons,Frédéric Gugelot et Marie-Claude Genet-Delacroix (dir.),Les Conversions comme formes et figures de la métamorphose. Mutations et transferts culturels, L'Harmattan, 2002
Mohamed Christophe Bilek, Article (référence originale) : « Les convertis issus de l'islam et l'avenir religieux de l'Europe » dont un des livres est titréAllah cet inconnu, de Mohamed Rahouna, éditions Qabel, 9 novembre 2012(ISBN9782953874433)
Laugrand Frédéric (2018) "Conversion", inAnthropen.org, Paris, Éditions des archives contemporaines.
Thomas Lienhard, Isabelle Poutrin (dir.), Pouvoir politique et conversion religieuse. 1. Normes et mots, Rome, École française de Rome, Collection de l'École française de Rome 542, 2017 (version enligne), 2018 (version papier).https://books.openedition.org/efr/3400