Laconcurrence est la rivalité entre plusieursagents économiques pour acquérir desparts de marché sur un même marché, en vendant des biens identiques ou similaires. La concurrence est ainsi une compétition entre des producteurs, d'ordinaire desentreprises, pour capter lademande émanant desconsommateurs.
La concurrence est la mise en compétition d'agents économiques en vue de la fourniture de biens et de services sur un marché. La concurrence renvoie ainsi à une rivalité dans la conduite d'affaires commerciales. Un marché peut être plus ou moins concurrentiel selon que les agents économiques sont plus ou moins libres d'y entrer et de produire et vendre des biens[1].
La concurrence fait l'objet d'une politique dédiée, qui est lapolitique de la concurrence, et dont l'objectif est d'assurer que les marchés soient structurés et organisés de telle manière qu'ils n'empêchent pas de nouvelles entreprises de produire ou des entreprises déjà installées d'être injustement bloquées dans leurs activités[1].
Le consensus économique est que la concurrence est favorable à la croissance, à l'innovation et à la productivité d'une économie[1]. Une étude séminale de 1996 montre, sur un échantillon de 670 entreprises britanniques, que les entreprises présentes dans les secteurs les plus compétitifs ont eu un taux de croissance de leur productivité 3,8 à 4,6 fois plus élevé que celles des secteurs les moins concurrentiels[2]. LeFonds monétaire international montre en 2010 que les entreprises qui subissent peu la concurrence ont une moindreproductivité globale des facteurs[3]. Ainsi, les pays dotés d'une législation solide en matière de concurrence ont une croissance de 2 % à 3 % plus élevée que les pays qui n'en ont pas[4].
A contrario, les entreprises qui ont un monopole ou une domination quasiment sans partage ont moins d'incitation à innover (effet de laurier), à moins qu'elles craignent l'irruption d'un nouveau compétiteur (théorie des marchés contestables)[1].
Toutefois, le rapport entre intensité concurrentielle et croissance n'est pas univoque. Dès 1967,Frederic M. Scherer soutient que la croissance devient négativement affectée par une hausse de la concurrence au-delà d'un certain niveau[5].Philippe Aghion etPeter Howitt créent en 1992 un modèle montrant qu'une intensité concurrentielle forte désincite les entreprises à investir, car elles savent alors que leurs innovations seront copiées rapidement, réduisant le gain espéré[1]. Aghion et ses co-auteurs montrent sur des données empiriques, en 2005, qu'une concurrence modérée et la lutte contre les monopoles produisent une situation de marché propice à l'innovation et aux gains de productivité[6].
Adam Smith dans laRichesse des Nations insiste sur deux aspects de la concurrence : sa plus ou moins grande intensité a une influence sur le prix[7], elle contribue à faire baisser les profits. En théorie, dans le cadre de la concurrence pure et parfaite (modèle théorisé par les classiques), les prix continuent à baisser jusqu'au moment où les profits seront nuls[8]. « L’accroissement des capitaux en augmentant la concurrence, doit nécessairement réduire les profits »[9]. Il reproche aux politiquesmercantilistes en vigueur de son temps :
de restreindre la concurrence dans certains secteurs en empêchant l’entrée de concurrents (c’est ce que nous appelons de nos jours les barrières à l’entrée) ;
de trop aider certains secteurs et d'y augmenter ainsi de façon non justifiée économiquement le nombre d'acteurs. Smith pense notamment aux aides données à certains enseignements qui conduisent selon lui à un trop grand nombre d’ecclésiastiques et de gens de lettres[10].
« Chaque propriétaire d’une ressource productive cherchera à l’employer dans un secteur où il espère que le retour sur investissement (return) sera le plus élevé. Il en résulte qu’avec la concurrence chaque ressource sera distribuée dans tous les secteurs de telle sorte que le taux de retour (ou profit) sera le même partout. »
Cela conduitJohn Stuart Mill à écrire en 1848 « qu’il ne peut y avoir deux prix sur le même marché »[12].
Les économistes classiques ne se sont pas réellement préoccupés de donner une définition plus précise de la concurrence car, à l'époque, les cas de monopoles sont relativement rares. Harold Demsetz n’a trouvé chezAdam Smith que peu de pages dédiées aux monopoles et une seule dans lesPrinciples of Political Economy deJohn Stuart Mill[12].
Montée des monopoles et concurrence pure et parfaite
En 1871,William Stanley Jevons introduit la notion de connaissance parfaite des conditions de l’offre et de la demande ou « transparence »[8].
Francis Ysidro Edgeworth est le premier économiste[13] à définir de façon rigoureuse ce que peut être une concurrence parfaite.
PourGeorge Stigler[15], la longue liste de conditions énoncées peut se réduire à deux : un nombre important de concurrents ou « atomicité »[16] (déjà énoncée parAugustin Cournot), et l’information parfaite déjà aperçue parWilliam Stanley Jevons. La particularité d’Edgeworth réside peut-être dans l’importance qu’il donne aux contrats.John Bates Clark[15] introduisit en 1899 la notion de mobilité des ressources (libre déplacement des facteurs de production vers les occasions les plus rémunératrices[16]) et finalement c’estFrank Knight qui en 1921 dans son ouvrageRisk Uncertainty and Profit[13] énonça les cinq conditions de laconcurrence pure et parfaite que nous connaissons aujourd’hui (atomicité (aucun acteur n'est assez puissant pour contrôler les prix), transparence (connaissance totale par tous les intervenants dans le marché des quantités offertes et des prix correspondants[16]), homogénéité (tous les produits offerts ne sont pas différenciés[16]), libre entrée dans le marché (les barrières à l'entrée comme les baisses de prix ou la pratique des impôts destinées à décourager un nouveau concurrent sont inexistantes[16]) et libre circulation des facteurs). La concurrence pure et parfaite est un élément central pour que, dans lathéorie néoclassique telle qu’elle a été développée parLéon Walras,Alfred Marshall,Vilfredo Pareto, l’économie puisse permettre à chacun d’obtenir une satisfaction maximale.
Toutefois, ces auteurs raisonnent dans le cadre d’une économie stationnaire. Les choses changent avec l'introduction parJoseph Schumpeter de la notion d’innovation qui devient l’essence de la concurrence enrégime capitaliste et se trouve être porteuse du redoutable double effet qu'il qualifie de « Destruction créatrice[17] ».
Cependant, le concept de concurrence pure et parfaite demeure central en économie théorique[13] :
Les seuls à s’être le plus éloignés de la théorie de la concurrence pure et parfaite sont l’école autrichienne et la théorie desmarchés contestables (pour qui la concurrence se rétablit par la réalisation d'une seule condition à savoir la levée du protectionnisme ou la libre entrée[8]) qui gagne actuellement du terrain et se fonde sur l'analyse du phénomène de barrière pouvant faire obstacle à l’entrée et/ou à la sortie d'une activité.
Pour les libéraux, une situation de « concurrence économique » est souhaitable, car :
lesclients potentiels peuvent choisir entre les différents produits proposés et accessibles et avoir un plus grand choix de produit à meilleurs prix ;
la concurrence permet de déterminer un « prix d'équilibre »[19]. Ce dernier présente au consommateur l'avantage de trouver le bien ou (et) le service recherché qui possède le rapport qualité/prix jamais réalisé ailleurs que dans le marché de la concurrence[19] ;
la concurrence favorise l’adaptation permanente entreoffre et demande : les agents économiques peuvent utiliser leurraison.« La concurrence est ce qui oblige les gens à agir rationnellement » ;
elle est la source du juste prix : « c’est la concurrence qui met un juste prix aux marchandises, et qui établit les vrais rapports entre elles » (Montesquieu[20]) ;
d'autres écoles insistent sur la concurrence comme processus d'innovation (Friedrich Hayek[21]) ou dedestruction créatrice (Joseph Schumpeter)[17]. Dans l'optique schumpétérienne, l'expression destruction créatrice désigne le renouvellement volontaire (non imposé de l'extérieur) et constant réalisé par l'entrepreneur aussi bien au niveau des produits, des moyens de production qu'au niveau des marchés, des entreprises elles-mêmes et de tous les autres moyens dont peut disposer l'entrepreneur[22]. Toute organisation qui n'obéit pas à ces exigences[22]est dépassée par ses concurrentes qui innovent[22].
À partir de la fin duXIXe siècle, des économistes — pourtant acquis à l'économie de marché — ne vont plus voir la concurrence comme dépendante d’un état de nature :
« Pour les libéraux d’ancienne observance, la liberté est pour l’homme l’état de nature. Pour lenéolibéral, au contraire, la liberté est le fruit, lentement obtenu et toujours menacé, d’une évolution institutionnelle… À l’opposé de Rousseau, il pense que la grande majorité des hommes est née dans les fers, dont le progrès des institutions peut seul la sortir…. Libéraux et néo-libéraux ont une foi égale dans les bienfaits de la liberté. Mais les premiers l’attendent d’une génération spontanée…. alors que les seconds veulent la faire éclore, croître et se développer, en la rendant acceptable et en écartant d’elle les entreprises qui tendent constamment à l’annihiler[23]. »
Il s'agit d'une vue totalement différente de l’évolution des sociétés humaines queJacques Rueff appelle un « marché institutionnel »[réf. nécessaire][24], fait de normes juridiques dépendantes de théories économiques (lois et économie) que des organismes quasi-judiciaires de contrôle sont chargés de faire respecter dans le cadre de politiques de la concurrence. Ils veillent en particulier à éviter les ententes entre entreprises (notamment en cas d'oligopoles), de sorte à maintenir les prix les plus bas possibles et à éviter des prix demonopole.
Plutôt que de rechercher la confrontation avec un autre individu dans le but d'être le plus fort, l'entraide, l'association, la coopération peuvent constituer des méthodes plus souhaitables, sinon plus efficaces. Comme le ditHenri Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la Loi qui libère. »
D'un point de vue plus large et universel, la notion de concurrent à battre peut engendrer un processus d'exclusion, alors que l'entraide — et si possible l'entraide de tous — tend vers un effort d'inclusion.
La concurrence est l'un des paramètres les plus importants des modèles économiques utilisés enmicroéconomie. Elle sert d'hypothèses aux modèles, de telle sorte que l'utilisation des hypothèses de laconcurrence pure et parfaite a parfois été un sujet de clivages entre économistesorthodoxes et hétérodoxes.
Hervé Defalvard distingue dans le domaine de la microéconomie deux grandes familles : celle des modèles de concurrence parfaite, qui s'inscrivent dans la lignée deLéon Walras ; et la famille des modèles de concurrence imparfaite dont la vocation est depuisAugustin Cournot réaliste[25].
Concurrence pure et parfaite d’inspiration walrassienne
La modélisation mathématique proposée ne fonctionne que dans le cadre posé ci-dessus comme référence : Celui-ci se révèle être assez restrictif et constituer une simplification de la réalité.
Pour répondre à la question de la fixation des prix, lesnéoclassiques ont développé dans la théorie de l’équilibre général l’idée d’une convergence progressive des prix vers le prix d’équilibre. Pour Léon Walras, ce prix est déterminé par un « commissaire priseur »[29].Léon Walras introduit un mécanisme detâtonnements. Le concept est différent de la main invisible d’Adam Smith[30], et semble plus proche de la notion d’ordre que l’on trouve chezMalebranche[31].
Si le modèle de concurrence parfaite occupe une place importante dans l'étude économique, cela tient à :
sa capacité à pouvoir être formalisée par une représentation mathématique aisée ;
ce que les situations d’équilibre définies correspondent à des optimamathématiques, dont il est possible d'assurer certaines propriétés d’efficacité allocative (efficacité selonPareto) ;
ce que l’hypothèse de concurrence pure et parfaite est également mobilisée dans la démonstration des deuxthéorèmes du bien-être.
À partir des propriétés néoclassiques de la concurrence, on démontre que le prix en concurrence parfaite est égal aucoût marginal : « (Cm) » et qu’à long terme, leprofit économique est nul.
On introduit pour cela l’hypothèse supplémentaire que chaque entreprise a pour objectif de maximiser son profit, « (Π) » où « (Π) » est défini comme : la différence entre la recette totale (ouchiffre d'affaires) « RT = p.q » et le coût total « CT ».
Chaque entreprise peut jouer sur la quantité produite « q » mais elle est « preneuse » du prix de vente « p » donné par le marché.
Mathématiquement, trouver le maximum d’une fonction correspond à annuler ladérivée de la fonction de profit :
À l’équilibre, le prix est donc égal au coût marginal. À court et moyen terme, s’il y a un secteur économique bénéficiaire, où « Π >0 », l'hypothèse de transparence de l'information doit faire que cette information est largement diffusée. Selon l'hypothèse de libre entrée, ces profits vont inciter :
de nouveaux entrants à venir produire sur ce marché ;
les acteurs déjà présents à développer leur production.
L’offre va augmenter. En conséquence les prix de vente vont baisser et lesprofits des entreprises sur ce marché vont diminuer jusqu’à s’annuler.
Limites et critiques du modèle de concurrence parfaite
Lethéorème de Sonnenschein-Mantel-Debreu (1973-74) montre que l’équilibre général n’est pas stable : en un mot rien ne conduit automatiquement vers le meilleur des mondes économiques possible et quand bien même on y parviendrait, les chances sont faibles d’y demeurer.
La concurrence pure et parfaite suppose que les agents économiques soient totalement rationnels (l'homo œconomicus). À la suite d'Herbert Simon etFriedrich Hayek, les économistes raisonnent aujourd'hui plutôt dans le cadre dit « de larationalité limitée ».
Les conditions requises ne sont pas réalistes. Sur ce point,Milton Friedman[32] rétorque « la question adéquate à poser concernant les « postulats » d’une théorie n’est pas celle de savoir s’ils sont empiriquement « réalistes », car ils ne le sont jamais, mais s’ils constituent des approximations suffisamment correctes par rapport au but recherché et on ne peut répondre à cette question qu’en tentant de voir si la théorie fonctionne, donc si elle permet des prévisions suffisamment précises ».
La concurrence pure et parfaite suppose que l’information des agents soit elle-même parfaite ce qui a amené dès 1937Friedrich Hayek[33] à prendre ses distances dans un article où il montre la difficulté d’obtenir et de transmettre l’information (knowledge). D’une certaine façon, sur ce point, il a été précurseur. De nos jours, de plus en plus d’économistes se penchent sur l’asymétrie d'information.
En règle générale l’école autrichienne rejette la concurrence pure et parfaite[34]. En effet, pour eux elle repose sur des hypothèses totalement irréalistes (atomicité, transparence…) et ne permet pas de rendre compte du véritable cadre institutionnel du modèle (c’est-à-dire la forme d’organisation, les règles de ce modèle). Un exemple souvent donné par ces économistes est le fait que, dans ce modèle où les agents sont touspreneurs de prix, cette présentation ne permet pas de répondre de manière claire à la question « qui fixe les prix ? », ce qui conduit à la fiction du commissaire-priseur, dont le rôle imaginaire est de proposer des prix aux agents et de fixer les prix d’équilibre.
Cette présentation omet aussi de préciser les conjectures (croyances) des agents (chacun pense qu’il pourra acheter et vendre tout ce qu’il désire aux prix affichés, indépendamment de ce que peuvent faire les autres), l’absence d’incertitude concernant les biens et les revenus futurs (hypothèse dite desystème complet de marché) et l’inexistence d’indivisibilités et de coûts de transport (théorème d’impossibilité spatiale de Starrett[35]).
Pour les marxistes, la concurrence pure et parfaite est une « fadaise » (pour reprendre les termes deMarx) dont le but est uniquement de justifier le système capitaliste. Il ne faut pas y chercher une quelconque vraisemblance mais les idées de la classe dominante pour asseoir sa domination.
D’une manière générale l’importance du modèle de la concurrence pure et parfaite semble surestimée par les non économistes qui, notamment en France, le voient comme étant la quintessence de la théorie néoclassique.Daniel Cohen de manière peut-être trop abrupte écrit « dans l’esprit de beaucoup, la science économique se résume pour l’essentiel à ce modèle. Or, cela fait des années qu’il a été abandonné par les économistes dits, encore, néoclassiques »[36]. Il reste néanmoins à la base de l’enseignement universitaire de l’économie.
La concurrence imparfaite désigne toutes les situations où les conditions de la concurrence parfaite ne sont pas respectées. C’est celle de tous les jours, celle où les agents peuvent développer des stratégies de façon à maximiser leurs gains. Ce champ est actuellement l’objet de recherche intense. Les interactions stratégiques entre agents sont étudiées par lathéorie des jeux.
Un tableau dit deStackelberg recense les différents modèles de la concurrence sur un marché, en fonction de la situation des acheteurs et des vendeurs.
Lesoligopoles. Dans ce cas les entreprises seront tentées de s’entendre pour fixer des prix plus élevés que ceux qui résulteraient de la concurrence pure et parfaite. Les ententes sont en général interdites. En France les oligopoles privés (téléphonies, banques, grande distributions, professions réglementés) sont parfois rendus responsables de la vie chère[37]. Deux situations d’oligopole ont été particulièrement étudiées :
leduopole de Bertrand où les deux entreprises présentes sur le marché se font concurrence sur les prix ;
Leduopole de Cournot où les deux entreprises présentes sur le marché se font concurrence sur les quantités. Avec dans ce cas un raffinement leduopole de Stackelberg où une des deux entreprises est occupe la première place sur le marché.
Le monopole (dugrecmonos signifiant « un » etpolein signifiant « vendre ») désigne une situation dans laquelle un offreur est seul à vendre unproduit donné à une multitude d’acheteurs. Dans une telle situation, l’offreur est capable d’imposer seul le prix de vente du produit concerné. Il se retrouve alors dans une situation dite deprice-maker (faiseur de prix), tandis qu’une entreprise faisant face à la concurrence subit une situation deprice-taker (preneur de prix). Ce pouvoir sur le marché est très recherché par les entreprises, mais est considéré comme nuisible aux consommateurs. Ces derniers subissent une baisse de leur « surplus »[38]. Il est donc souvent combattu par les pouvoirs publics (à l'exception des cas de monopole naturel[8]) et dénoncé par une majorité d’économistes. Lesfusions-acquisitions permettent aux entreprises d’accroître leur pouvoir sur le marché voire parfois d’arriver en situation de monopole.
Dans le cas de la concurrence monopolistique les entreprises vont adopter des stratégies de différenciation de façon à avoir en quelque sorte un monopole sur leur produit. Exemple, seulRolls-Royce peut fabriquer ce type d’automobiles.
La concurrence pousse les entreprises à adapter en permanence leurs produits/services aux attentes actuelles et futures de leurs clients. Elle les pousse à innover, au sens de Joseph Aloïs Schumpeter[22], et à chercher à réduire les coûts. La concurrence étant le plus souvent imparfaite, elle les pousse à adopter diverses stratégies pour tirer au mieux leur épingle du jeu. Mais les entreprises sont aussi des formes alternatives au marché qui remplacent la concurrence par le contrat ou la hiérarchie comme l’ont montréRonald Coase etOliver Williamson.
Entreprise structure alternative au marché et à la concurrence
Ronald Coase va poser la question de savoir pourquoi les firmes existent[39]. En effet si la libre concurrence fonctionnait partout, il n’y aurait pas besoin d’entreprises, lieux où l’agent se soumet au pouvoir hiérarchique de son supérieur. Pour Ronald Coase le recours à la firme s’explique parce que le fonctionnement du marché engendre descoûts de transaction qu’une organisation comme l’entreprise permet de réduire. Pourquoi dès lors ne pas avoir qu’une seule grande firme.Oliver Williamson, dans son livreLes Institutions de l’économie, montrera que la firme se heurte à des problèmes d’incitations et de bureaucratie[40].
L’existence d’une forme de concurrence, même imparfaite, crée pour les entreprises, quelle que soit leur taille, une situation de compétition vis-à-vis de leurs concurrentes qui les incitent à une recherche permanente d’une meilleure efficacité économique, de produits novateurs capables de maintenir ou d’augmenter leurs parts de marché, et d’augmenter leurtaux de marge.
Dans les secteurs à changement technologique rapide, et donc d’obsolescence accélérée, la concurrence peut conduire à des changements rapides dans les parts de marché des entreprises, et donc à une situation instable.
La stratégie desentreprises consiste par différents moyens, à se distinguer des concurrents et à s’éloigner des conditions de concurrence parfaite :
stratégie de différenciation, par le marketing (adaptation au marché), l’innovation et les prix :
lemarketing passe par l’adaptation au marché des produits et services, du type dedistribution, de lacommunication et le développement de la notoriété et desmarques. Une marque reconnue restitue à l’entreprise qui la possède une sorte de « monopole » : seulRolls-Royce peut fabriquer ce type d’automobiles. Les appellations (AOC par exemple) entrent dans cette stratégie,
l’innovation consiste à créer de nouveauxproduits et donc de nouveaux marchés, sur lesquels l’entreprise innovatrice sera seule, au moins pour un temps,
elle consiste aussi à améliorer les méthodes de production pour réduire les coûts et améliorer lacompétitivité en matière de prix de vente. Cette compétitivité-prix ne concerne que les produits dont les volumes vendus correspondent à une fonction inverse du prix[8] ;
stratégie de développement externe : par des alliances ou des fusions-acquisitions, l’entreprise cherche à grossir en taille pour obtenir unepart de marché dominante (position de leader ou coleader), pouvant aller jusqu’à éliminer des concurrents moins bien placés, ou du moins les neutraliser ;
information sur le marché : marketing etintelligence économique. Dans un marché concurrentiel, il est vital pour une entreprise de saisir les attentes et les évolutions du marché (études de marché), mais aussi les stratégies des concurrents (veille concurrentielle) et également les évolutions de la réglementation ;
stratégie d’influence : il s’agit pour les entreprises d’obtenir des inflexions, voire des décisions qui leur soient favorables ;
internationalisation, forme particulière de développement tirant avantage de lamondialisation économique.
La politique de la concurrence désigne les actions pour éliminer ou du moins pour restreindre les comportements publics ou privés visant à limiter la concurrence. Par ce biais, elles cherchent à favoriser la croissance et lebien-être des citoyens. Les États-Unis ont été pionniers en ce domaine avec leSherman Act de 1890. Si enAllemagne de telles politiques ont été mises en œuvre dès la fin de la Seconde Guerre mondiale sous l’impulsion notamment desordo-libéraux, il faudra attendre letraité de Rome de 1957 pour qu’elles soient généralisées au niveau de l’Union européenne.
Pour Brodley[41], il est possible de distinguer trois sortes d’efficience :
une efficience productive ;
une efficience dynamique ou d’innovation qui vise à la création de nouveaux produits et de nouvelles technologies ;
une efficience allocative.
La combinaison de ces diverses efficiences peut conduire pour Michel Glais[42] à trois types de politique de la concurrence :
l’une va « privilégier la maximisation de la richesse sociale sans s’inquiéter de sa répartition entre producteurs et consommateurs ». C’est plutôt l’optique de l’école de Chicago ;
l’autre va privilégier la lutte contre le pouvoir du marché et favoriser l’efficience allocative. C’est plutôt l’optique de l’école structuraliste de Harvard ;
enfin, il est aussi possible de « reconnaître la nécessité de protéger, en longue période, l’intérêt des consommateurs » mais d’«accepter que, dans certains cas, l’accroissement du bien-être de la société dans son ensemble l’emporte sur l’intérêt à court terme des acheteurs finals ». Ce serait plutôt[43] la voie prise par les autorités de la concurrence de nos jours[44].
En réalité, il a existé deux écoles à Harvard qui se sont intéressées à la politique de la concurrence : laHarvard School of Law au début du vingtième siècle et laHarvard School of Government autour d’Edward Mason à partir de la fin des années trente. Dans les deux cas, c’est un peu sommaire de les appeler deHarvard car d’autres universités ont également travaillé sur ce sujet.
Concernant laHarvard School of Law, des juristes commeOliver Wendell Holmes,Louis Brandeis etRoscoe Pound qui en fut le doyen de 1915 à 1936, ont compris qu’au-delà du domaine économique, le laissez-faire constituait d’abord un défi à leur conception des lois et qu’il conduisait la Cour suprême des États-Unis à renier la tradition des lois de Lord Coke[45] pour deux raisons :
les juges de la Cour suprême, à la fin duXIXe siècle, sous l’influence du laissez-faire à laHerbert Spencer, pensaient que leur mission était d’abord de protéger les droits naturels des hommes contre l’État et la société laissantde facto l’homme concret désarmé face aux grandes entreprises qu’elle assimilait à des personnes humaines de façon à leur appliquer la clause dite dudue process[46]. Ce faisant elle empêchait l’adoption de toute mesure sociale venant contrebalancer leur pouvoir et était donc un obstacle au principe des « check and balance » ;
d’autre part, le laissez-faire pris dans un sens extrême à laHerbert Spencer suppose de s’en remettre à une force supérieure censée nous conduire vers le meilleur des mondes possibles. Or dans la tradition de la loi de ces juristes les lois ne sont ni des forces aveugles qui s’imposent aux hommes, ni l’incarnation d’une raison naturelle toute puissante, elles sont trouvées à travers l’expérience et la raison entendue comme incluant un effort sur soi, un certain détachement des passions[46].
L’école structuraliste dite deHarvard, est venue d’une certaine façon dans un second temps donner aux juristes la théorie économique sur laquelle ils peuvent s’appuyer quand ils ont à trancher des cas concrets. Elle a été marquée par la personnalité et les travaux d’Edward Mason et ceux deJoe Bain. La thèse structuraliste est bien illustrée par le modèle SCP d’Edward Mason où la structure du marché (S) influence le comportement des firmes (C) et les performances des firmes (P)[47]. Les structuralistes ont une vision de la concurrence proche des néo-classiques et comme eux, ils voient la concentration des firmes comme quelque chose dont il convient de se méfier car pour eux cela conduit les firmes à accroître leurs profits au détriment du consommateur. Par ailleurs, ils mettent l’accent sur l’inefficience de la primauté des décisions managériales sur l’intérêt des actionnaires, ils développent la théorie de l’inefficience-X et se méfient des diversifications conglomérales[48]. Enfin, ils ne croient pas que le libre jeu du marché permette de remettre en question les positions dominantes. Pour la théorie desmarchés contestables développée parWilliam Baumol John Panzar et R. Willig, il n’est pas nécessaire d’avoir un grand nombre d’acteurs, la menace d’entrée de nouvelles firmes suffit. Pour John Panzar[49], cette théorie s’inscrit dans la continuité des travaux d’Henry Demsetz et donc peut être perçue comme relevant de l’école de Chicago
L’approche structuraliste d’Harvard va être contestée par l’école de Chicago dont les principaux auteurs sont Bork, Richard Posner,George Stigler et Henry Demsetz. Trois idées sont avancées[50] :
Le monopole peut être une structure de marché naturelle en présence de fortes économies d’échelles ;
La concentration industrielle n’est que le résultat d’un processus de sélection. La rente dont dispose les vainqueurs n’est qu’une juste récompense qui doit disparaître rapidement sous l’effet de la concurrence. Ils ne croient pas au paradoxe de la concurrence selon lequel une concurrence laissée sans règle s’autodétruirait[51] ;
Le pouvoir de marché est propice à l’innovation à laJoseph Schumpeter.
Pour Michel Glais[42], « aux yeux de ces économistes le principe de concurrence représente la loi naturelle et efficace du fonctionnement des sociétés organisées ».
Les États-Unis ont été pionniers en matière de concurrence avec l’adoption dès duSherman Act suivi en 1914 duClayton Act et duFederal Trade Commission Act. Suivront leRobinson-Patman Act de 1936 sur la discrimination par les prix, et au niveau du contrôle des concentrations, leCeller-Kefauver Act (1950) et leHart Scott-Rodina Act de 1976[52]. Aux États-Unis, deux autorités sont principalement chargées de la concurrence : laFederal Trade Commission et la division Antitrust duDepartment of Justice (DOJ). Cette dernière à la différence de ce qui se passe en Europe peut engager des poursuites pénales[53]. D’une manière générale, les autorités judiciaires, sont très présentes tout au long de la procédure. Par ailleurs, « les victimes de comportement anticoncurrentiels peuvent engager unclass action et la règle du « triple dommage » (treble damages) permet au plaignant de recevoir jusqu’à trois fois le montant du préjudice qu’il a subi »[53].
la mise en place des premières lois fédérales. La Cour Suprême tentant d’en limiter la portée car elle était convaincue du bien-fondé du « laissez faire » ;
une certaine mise en sommeil (1915-1936). Notamment avec leNational Industrial Recovery Act (NIRA) des débuts duNew Deal ;
une période activiste liée à l’influence de l’école structuraliste de Harvard (1936-1972). À partir de 1936,Franklin Delano Roosevelt va mettre en œuvre une politique de la concurrence très active qui sera poursuivie jusqu’en 1972[55] ;
une période marquée par l’influence de l’École de Chicago (1973-1992) avec une très grande focalisation sur l’efficacité économique ;
la synthèse post Chicago et l’apport de la théorie des jeux.
À la suite d'un rapport duMIT intituléMade in America: Regaining the Production Edge (1989) écrit notamment par Dertouzos, Lester etRobert Solow,le National Cooperative Research and Production Act (NRCPA) de 1993 qui lui-même faisait suite auNational Cooperative Research Act (NCRA) de 1984, a posé le principe que les accords de coopération en recherche et développement devaient être évalués en appliquant la règle de raison[56]. Enfin, en 1997 les lignes directrices sur le traitement des opérations de concentration ont été assouplies de même que celles portant sur la propriété intellectuelle[57].
Politiques de la concurrence dans l’Union européenne
L’Europe va se doter avec le traité de Rome d’une politique de la concurrence le but était de « déterminer des règles de concurrence permettant d’aboutir à un marché intégré, indépendamment des règles en vigueur dans chaque État membre, en veillant à ce que le droit communautaire couvre les droits nationaux des États membres[58]. Le texte de ce traité doit beaucoup àPierre Uri et à Hans von der Groeben qui fut le premier commissaire allemand chargé de la concurrence. Pour Jacques Rueff[59] le marché institutionnel des communautés européennes devait « rassembler les partis que préoccupent, avant tout la liberté de la personne et ceux qui, tout en refusant la contrainte des volontés individuelles, veulent, dans la répartition, moins d’inégalité et plus de justice[60]. Sur le plan théorique donc la législation européenne de la concurrence est fortement marquée par l'approche structuraliste[61].
En Europe, c’est la Direction générale de la Concurrence (DG Competition) dirigée le commissaire européen compétent qui est chargée d’instruire les dossiers. Les décisions de lacommission européenne sont susceptibles de recours devant leTribunal ou devant laCour de justice de l'Union européenne. La censure de plusieurs décisions de la commission européenne par le tribunal de première instance en 2002 (affaires Airtour — —, Schneider Legrand — —, et Tetra-Laval —) a fait l'objet d'une double analyse :
pourMarie-Anne Frison-Roche[62] elle traduit la volonté de la juridiction européenne de ne pas s'en tenir à un contrôle procédural mais à affirmer « son pouvoir de mener une analyse substantielle des concentrations, laquelle se substitue aux analyses de la Commission » ;
Laurent Cohen-Tanugi[63] fait un constat assez proche mais souligne également que la décision du tribunal devrait amener la Commission à plus prendre en compte les théories économiques de l'école de Chicago.
Les décisions européennes s’appliquent à des entreprises dont le siège social n’est pas forcément en Europe. C’est ainsi que le juge communautaire le a validé la décision de la Commission condamnant Microsoft pour infraction aux règles de la concurrence[64]. Certains[65] voient dans ce jugement un manque de prise en compte de l'innovation et d'une certaine façon, pour eux une trop grande prise en compte des thèses structuralistes.
Grands axes de la politique européenne de la concurrence[66]
Tout partage de marché, toute fixation de quota de production, toute entente sur les prix entre entreprises sont interdits en vertu de l’article 81 du Traité de Rome[67]. Sont donc interdites les ententes horizontales intervenant entre opérateurs situés au même stade du processus économique (cartel) ainsi que les ententes verticales conclues entre opérateurs situés à des stades différents du processus économique.
En réalité certains accords verticaux vont être évalués à la lumière d’une « règle de raison », c’est-à-dire que l’on va étudier si les avantages économiques seront supérieurs ou non aux inconvénients.
L’article 82 du Traité de Rome n’interdit pas les positions dominantes, il n’en interdit que l’abus. Sont considérés comme abusifs :
des prix abusifs ;
les accords de vente exclusif ;
les primes de fidélité visant à détourner les fournisseurs de leurs concurrents.
La notion d'abus de position dominante doit beaucoup à l'école structuraliste de Harvard. Si certains veulent une évolution vers les thèses de l'école de Chicago d'autres s'en inquiètent et souhaitent à ce que la position dominante continue à se juger par rapport au nombre de concurrents. Ils tiennent l'évolution présente comme un encouragement à ce qu'ils appellent les « investisseurs prédateurs ». En 2006, la CCIP (chambre de commerce et d'industrie de Paris) a publié une étude sur les évolutions souhaitables pour elle de l'article 82[68].
Les aides d’État sont contraires auxarticles 87 et 88 du traité de Rome. Toutes les aides susceptibles d'affecter ou de menacer d'affecter les échanges entre les États membres sont concernées (les subventions, les bonifications d’intérêt et les exonérations d’impôt…) si elles dépassent 200 000 euros. Le contrôle des aides est en application de l’article 88 de la compétence exclusive de la Commission. Celle-ci peut soit obliger l’État à ordonner la restitution de l’aide soit subordonner l’aide à des engagements précis. Toutefois, des dérogations sont permises dans trois cas précis :
favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ;
promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre ;
promouvoir la culture et l'intérêt général.
On parle bien d'« aides d'État » et non d'« aide de l'État ».
L’article 86[69] du traité de Rome assujettit les entreprises publiques gérant les services d'intérêts économiques généraux aux règles de la concurrence. Toutefois ce texte n'a longtemps eu qu'une portée symbolique. La situation va changer quand les États-Unis vont déréglementer le transport aérien sous la présidence deJimmy Carter et vont démanteler en 1984 ATT qui détenait le monopole des télécommunications aux États-Unis. Peu à peu, l'Europe verra l'intérêt de telles politiques et à son tour commencera à introduire de la concurrence en faisant appliquer les textes dans les secteurs du transport aérien et des infrastructures essentielles[70] : chemin de fer, lignes téléphoniques et électriques notamment.
PourJean Quatremer[73], le débat en France sur la notion de « concurrence libre et non faussée » n'a pas beaucoup agité les autres pays européens. Dans le même esprit,Mario Monti[73] notait en que les sondages avaient longtemps montré qu'il y avait en France une hostilité sans égale dans le monde à l'égard de l'économie de marché. Pourtant, pour cet économiste, des signes d'une évolution des mentalités sont perceptibles à travers la prise de conscience des dirigeants politiques que les gains de croissance passent par l'instauration d'une plus grande concurrence. SelonAlain Lamassoure[73], ancien membre du parti politiqueLes Républicains, l'hostilité des français à l'économie de marché s'expliquerait par l'addition de plusieurs traditions que sont une visioncatholique selon laquelle « l'argent, c'est sale », lecolbertisme, lesocialisme et lecorporatisme qui selon lui aurait survécu auRégime de Vichy.
Dans leur ouvrageLa Société de la défiance,Yann Algan etPierre Cahuc[74] soulignent que « la confiance mutuelle et le civisme sont essentiels au bon fonctionnement des marchés, car ils facilitent une concurrence pacifique et équitable ». Or les enquêtes depuis plus de vingt ans montrent que les français se méfient plus souvent de leurs concitoyens, des pouvoirs publics et du marché que le reste des habitants des pays développés. Pour ces auteurs[75], c'est le mélange de corporatisme et d'étatisme du modèle social français qui provoquerait à la fois cette défiance et cet incivisme. Il y aurait comme un cercle vicieux où plus de défiance entraîne plus de demande d'État qui crée plus de barrières à la concurrence en donnant d'une certaine façon à ceux qui ont des moyens de protester des privilèges qui à leur tour engendrent de la défiance parmi ceux qui n'en profitent pas ou qui estiment en profiter moins que d'autres[76].
L'Autorité de la concurrence condamne chaque année de nombreuses entreprises dans tous les secteurs d'activité en général pour « entente frauduleuse »[77]. Une amende record en la matière a été infligée en mai2008 aux trois opérateurs detéléphonie mobile de métropole. La chambre commerciale de laCour de cassation a confirmé une condamnation de ces trois opérateurs à une amende de 442 millions d'euros pour « entente illicite » sur les prix de 2000 à 2002[78]. En2002, l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir avait initié une procédure devant le Conseil de la concurrence qui avait abouti à un procès en novembre2005[79]. Même chose du côté du marché de l'électronique grand public et pour l'UFC Que Choisir « en dépit des beaux discours sur la libre concurrence, les grandes enseignes et les fabricants font tout leur possible pour que les revendeurs les plus agressifs sur le plan des prix s'alignent ou vendent en catimini, sans faire la moindre publicité sur leurs tarifs exceptionnels »[80].
En décembre2008, le Conseil de la concurrence a condamné à l'amende record de 575,4 millions d'euros « onze entreprises du négoce de produits sidérurgiques ainsi que la Fédération française de distribution de métaux (FDDM), le principal syndicat de la profession, pour entente »[81].
Question de l'ouverture à la concurrence des infrastructures essentielles
Il s'agit de cas très particuliers, rencontrés en général dans le domaine des services dans lesquels l'existence d'un réseau d'infrastructure unique est source d'efficience. Augmenter le nombre de concurrents ne permet alors plus de financer les coûts fixes importants de l'activité. Par contre plus de concurrence amène plus d'innovations et parfois une diminution des coûts.
Ces secteurs peuvent entrer dans le champ de la concurrence de deux manières :
soit en séparant la gestion du réseau de celle de l'exploitation des services destinés aux clients finaux (principe de lathéorie des trois couches) : c'est la voie choisie enEurope pour l'électricité, legaz et leschemins de fer : le réseau reste un monopole, souvent public, et son accès est ouvert moyennant le paiement d'un péage aux gestionnaires de réseaux, à des exploitants publics ou privés, concurrents entre eux ; on parle alors de concurrence « dans le marché ». Une autorité de régulation indépendante ART pour les télécommunications, CRE pour l'énergie. Dans le cas du rail, les voies ferrées appartiennent à un organisme d'État le Réseau ferré de France qui ensuite les loue à des intervenants dont laSNCF ;
soit par le régime de la concession : l'exploitation est mise aux enchères pour une durée limitée et renouvelée par le même moyen périodiquement ; on parle alors de concurrence « pour le marché ». C'est le cas par exemple de l'eau, et des transports urbains[82] qui bénéficie d'une concession longue de service public.
le monopole public est préférable puisque l'État peut jouer le rôle de régulateur sur d'autres objectifs que ceux du marché ;
la concurrence ne doit pas être étendue à tous les domaines, dont notamment la santé, l'éducation, la justice, la culture, etc.
Les syndicalistes puissants dans ces secteursEDF,France Télécom,SNCF semblent méfiants. Des syndicalistes de France Télécom[83] avançaient en 2001 trois risques :
le risque de cartellisation. Il s'agit d'un risque réel. Les trois grands de la téléphonie mobile ont été sanctionnés par leconseil de la concurrence (sanction confirmée en appel) pour ce fait[84]. Mais sur ce point les autorités de la concurrence ont montré qu'elles veillaient ;
l'asymétrie de puissance entre les entreprises et l'autorité de régulation.A contrario, des économistes en France semblent davantage craindre la capture du régulateur par des cadres ayant fait leur carrière dans l'industrie régulée ou dans l'ancienne administration de tutelle[85] ;
la perte de synergie et l'instabilité de l'offre.
Concernant l'énergie électrique l'ensemble des parties prenantes en France semblent peu désireuses d'aller de l'avant et, pourBernard Salanié[86], la concurrence avancerait à reculons faisant peser une hypothèque sur notre capacité à renouveler le parc de centrales nucléaires.
Concurrence dans la loi sur les nouvelles régulations économiques
Pour eux les mécanismes censés garantir la concurrence :
seraient inefficaces car rarement respectés ;
en partie incompatibles avec les fondements de la théorie libérale :
lapropriété privée : briser les cartels nécessiterait de modifier les droits de propriété d'une partie de l'entreprise qui se trouverait scindée,
la libre entreprise : le patron serait soumis à des règles ayant précisément pour but d'éviter que son entreprise devienne trop puissante.
Plus profondément, certains libéraux, commePascal Salin, mettent en évidence que les politiques de concurrence sont fondées sur la théorie de la concurrence pure et parfaite, qui est elle-même incapable de rendre compte des mécanismes réels de l'économie[87]. Ainsi, les politiques de la concurrence chercheraient non pas à faire profiter l'ensemble des acteurs économiques d'une réelle concurrence, mais à forcer l'économie à se plier à un cadre irréaliste. Dans cette vision critique, la seule notion de concurrence qui rende compte des mécanismes réels de l'économie serait celle de la libre entrée sur les marchés : il s'agit d'une vision dynamique. À l'inverse, la théorie de la concurrence pure et parfaite n'appelle concurrence que la situation dans laquelle les producteurs (comme les acheteurs) sont suffisamment nombreux et donc petits par rapport à la taille du marché pour n'avoir aucun pouvoir d'influencer les prix. C'est la théorie atomistique, qui est une vision statique. Les réglementations qui en découlent vont ainsi se préoccuper de définir un marché pertinent, pour en mesurer la taille, et déterminer la part de marché du producteur, qui si elle est trop importante sera considérée comme une position dominante. Certains des comportements de ce producteur seront alors qualifiés d'abusifs et sanctionnés comme tels.
Les coûts liés à la production : dans un système concurrentiel, chaque entreprise peut choisir de développer ses propres infrastructures (bâtiments, centres de recherche, usines, parfois réseaux…). Dans de nombreux cas, les gaspillages peuvent être considérables.The Economist émettait ainsi l'hypothèse que « la cause ultime de la crise dans le secteur des télécommunications [en 2002] est que trop de concurrents ont décidé de construire d'énormes réseaux pour lesquels la demande était faible »[88].
Les coûts du maintien de la situation de concurrence : les études empiriques consacrées aux tentatives de faire fonctionner un « marché parfait », conforme à la théorie économique standard, témoignent de l'hypercentralisation des décisions qu'un tel mode de fonctionnement implique[89].
Les États peuvent également chercher à faire émerger des « champions nationaux », en contrariant temporairement ou plus durablement la concurrence internationale.
Les dirigeants politiques peuvent décider de mettre en place des barrières douanières et des réglementations afin de limiter la concurrence des produits étrangers ; certains États utilisent également des moyens détournés, comme la normalisation, ou la sécurité pour interdire de fait l'entrée de concurrents étrangers. En règle générale, les investissements des non-résidents sont contrôlés de manière discrétionnaire ou par la loi. Jouent le même rôle les règles d'accès à certaines professions, en matière de services notamment :
pratiques dediscrimination positive : dispositions en faveur des sociétés nationales, leur réservant par exemple un quota de contrats gouvernementaux[90] ;
dépenses ou subventions versées par l’État ayant pour objectif de développer des secteurs d'activité protégés (armement, agriculture, industries exportatrices…) ;
politiques de change visant à l'amélioration de la compétitivité nationale en agissant sur les parités des devises ;
comportement tatillon ou partial des autorités nationales (respect environnemental[91] et réglementaire, sécurité sanitaire[92], moralité des affaires…).
Les États essayent également de négocier au mieux de leurs intérêts les réglementations reconnues au niveau international, notamment avec l'OMC, et en particulier sonOrgane de règlement des différends[93].
↑F. M.Scherer, « Research and Development Resource Allocation Under Rivalry »,The Quarterly Journal of Economics,vol. 81,no 3,,p. 359–394(lire en ligne, consulté le)
↑PhilippeAghion, NickBloom, RichardBlundell et RachelGriffith, « Competition and Innovation: An Inverted-U Relationship »,The Quarterly Journal of Economics,vol. 120,no 2,,p. 701–728(ISSN0033-5533,lire en ligne, consulté le)
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↑Jacques Rueff, « Une mutation dans les structures politiques: Le marché institutionnel des communautés européennes »,Le Monde économique et financier,(lire en ligne)
↑F. Hayek, 1937, Economic and Knowlege,Economica(Lire en Ligne)
↑voir Israël Kirzner (1973)Concurrence et esprit d’entreprise,Economica 2005
↑Partant de ces bases, Starrett a démontré en 1978 le résultat suivant : Considérons une économie admettant un nombre fini d’agents et de localisations. Si l’espace est homogène, si le transport réclame des ressources rares et si les préférences ne sont pas saturées localement, il n’existe pas d’équilibre concurrentiel pour lequel les dépenses de transport sont positives. Si les activités économiques sont parfaitement divisibles, alors il existe un équilibre concurrentiel et celui-ci est tel que chaque lieu opère en autarcie." (Thisse et Fujita,Cahiers d’économie et sociologie rurales,no 58-59, 2001)
↑Version consolidé du Traité instituant la Communauté européenne :Article 86
↑Pour Glais, 1998, une infrastructure essentielle doit avoir un caractère indispensable et incontournable, doit être très difficilement duplicable et se trouve sous le contrôle fonctionnel d'une entreprise ou d'un groupe d'entreprises en situation de monopole
↑ab etcCompte rendu de la journée de Travail sur « la France et l'Union européenne face à la politique de concurrence » organisée par leMouvement Européen-Franceet le Ceri-Sciences Po (Lire en ligne)
↑Yann Algan, Pierre Cahuc,La Société de la défiance, 2007,p. 57.
↑Voir par exemple, Garcia Marie-France, « La construction sociale d'un marché parfait : le marché au cadran de Fontaines en Sologne »,Actes de la recherche en sciences sociales,no 65, 1986,p. 2-13.
↑Cf. Small Business Act de 1982, programme d'aide aux PME des États-Unis.
Emmanuel Combe, 2002,La politique de la concurrence, La découverte.
Pascal Salin, 1995,La concurrence, Que sais-je ?, Presses universitaires de France
Emmanuel Combe, 2003, « État, marché et concurrence : analyse comparée des politiques de la concurrence européenne et américaine», in Benoît Ferrandon, « Concurrence et régulation des marchés », Cahiers françaisno 313.
Michel Glais, 2003, « État, marché et concurrence : Les fondements d’une politique de la concurrence », in Benoît Ferrandon, « Concurrence et régulation des marchés », Cahiers françaisno 313.
Anne Perrot, 2003, « Concilier service public et concurrence : l’économie de la réglementation » in Benoît Ferrandon, « Concurrence et régulation des marchés », Cahiers françaisno 313.