Pour les articles homonymes, voirCrébillon.
| Naissance | |
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| Décès | (à 70 ans) Paris |
| Nom de naissance | Claude-Prosper Jolyot de Crébillon |
| Surnom | Crébillon fils |
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| Père |
| Genre artistique |
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Claude-Prosper Jolyot de Crébillon, ditCrébillon fils, né le àParis où il est mort le, est unécrivain,chansonnier etgoguettierfrançais.
Claude-Prosper Jolyot de Crébillon est dit « Crébillon fils » pour le distinguer de son pèreProsper Jolyot de Crébillon, dit « Crébillon père »[1], célèbre auteur dramatique, membre de l'Académie française. Les deux hommes étaient fort différents : alors que le père écrivait de sombres tragédies, le fils se spécialise dans lescontes et romans licencieux[2]. Dans sonTableau de Paris,Louis-Sébastien Mercier décrit les deux hommes dans le chapitreLes deux Crébillons : le père était un géant au large torse et à la figure rubiconde, tandis que le fils « était taillé en peuplier, haut, long, menu ». Mercier ajoute :« Crébillon fils était la politesse, l'aménité et la grâce fondues ensemble. [...] Il avait vu le monde, il avait connu les femmes autant qu'il est possible de les connaître, il les aimait un peu plus qu'il ne les estimait. Sa conversation était piquante ; il regrettait le temps de laRégence, comme l'époque des bonnes mœurs en comparaison des mœurs régnantes[3]. »
Claude Prosper fait ses études chez lesJésuites ducollège de Louis-le-Grand, dont le supérieur du collège, le R. P.Tournemine, tente vainement de l'attirer dans son ordre. Dès 1729, il collabore à un recueil satirique, l’Académie de ces Messieurs et à quelques pièces et parodies d'opéras :Arlequin, toujours Arlequin,Le Sultan poli par l'amour,L'Amour à la mode, etc. Toujours en 1729, il est au nombre des fondateurs de la célèbre goguette duCaveau[4]. Il y retrouve son père, et rencontre notamment le peintreFrançois Boucher, le musicienJean-Philippe Rameau et d'autres encore. Il participe également aux activités de la société chantante de la Dominicale.
Son premier conte, approuvé par la censure,Le Sylphe, qui est publié en 1730 connaît un succès public. En 1732, il publie lesLettres de la marquise de M. au comte de R., unemonodie épistolaire. En 1734, il publie, à Paris,Tanzaï et Néadarné. Histoire japonaise, conte licencieux mettant en scène une écumoire aux propriétés miraculeuses, et qui a tendance à se coller dans les endroits les moins… commodes. La page de titre annonce « À Pékin, chez Lou-chou-chu-la, seul imprimeur de Sa Majesté chinoise pour les langues étrangères[5] » pour échapper à la censure. Le conte remporte un vif succès ; certains y voient une satire de labulleUnigenitus, ducardinal de Rohan et de laduchesse du Maine[a]. L'auteur est emprisonné quelques semaines à laprison de Vincennes. Laduchesse du Maine a l'esprit non seulement de l'en tirer, mais de l'admettre àSceaux, ce qui lui ouvre les portes dessalons parisiens.
Il fréquente ceux deMme de Sainte-Maure, où il rencontre celle qui deviendra sa maîtresse puis sa femme, Marie Henriette de Stafford[1],[6], et deMme de Margy, qui est longtemps sa maîtresse et sert de modèle à la marquise de Lursay dansLes Égarements du cœur et de l'esprit. Jusqu'en 1743, il est également un habitué des lundis deMlle Quinault où il rencontreMarivaux etFrançoise de Graffigny. Dès cette époque, il écrit avec réticence, révisant sans cesse ses ouvrages, hésitant à publier. Sa parole était lente et sa conversation conventionnelle et sans charme, hors quelques rares fulgurances[7]. D'ailleurs,Mlle de Beauvoisin, citée dans les prétendusSouvenirs de lamarquise de Créqui, l'interpelle en ces termes peu amènes :« Pédant, vilain pédant, tu es si pédant, si sérieux, si sec, si gourmé, si composé, si empesé et si ennuyeux, que je ne veux pas que tu viennes souper avec moi chez Monticour. Les demoiselles Avrillet ont dit àCollé que tu n'avais pas trouvé autre chose à leur dire que j'ai l'honneur de vous présenter mon très-humble hommage, ou bien mes devoirs les plus respectueux, pour changer. Va donc ! tu n'es qu'un manche à balai galonné ! tu ne fais pas autre chose que des révérences à la vieille mode, etc[6]. »
En 1736, il publieLes Égarements du cœur et de l'esprit ou Mémoires de M. de Meilcour, roman dont l'un des protagonistes,M. de Versac, annonce le Valmont desLiaisons dangereuses[b].
LaSociété du Caveau finit par disparaître en 1739, possiblement à la suite d'une épigramme de Crébillon fils contre son père. Un jour, alors qu'on lui demandait quel était le meilleur de ses ouvrages,Crébillon père élude la question en montrant son fils et en déclarant :« Voici en tout cas le plus mauvais ! » À quoi Crébillon fils aurait répondu :« Pas tant d'orgueil, s'il vous plaît, monsieur, attendez qu'il soit décidé que tous ces ouvrages sont de vous. » Allusion à un ami qui aurait serré de prèsMme de Crébillon. Une autre version dit qu'il aurait répliqué à son père :« C'est parce qu'il ne doit rien auChartreux », allusion à une calomnie de l'époque attribuant les ouvrages de Crébillon père à un chartreux. La société ordonne en punition le verre d'eau pour tous deux. Crébillon fils boit le sien, mais son père, fâché, quitte brusquement la société et, depuis ce moment, rien ne peut le déterminer à y retourner[4].
Après la publication duSopha (1742), il est exilé à 30 lieues de Paris, le[8]. On lui reproche officiellement quelques audaces morales : certains croient reconnaîtreLouis XV dans le personnage ridicule et amusant du sultan Schah-Baham, mais son tort est surtout de laisser circuler ce conte pendant la période de proscription des romans[9]. Il parvient à rentrer dans la capitale, le, en faisant valoir pour sa défense que l'ouvrage aurait été commandé parFrédéric II de Prusse et n'aurait été publié qu'à la suite d'une indiscrétion et contre sa volonté. Il récidive, en 1746, avecLes Amours de Zeokinisul, roi des Kofirans[c], dans lequel l'allusion au roi est transparente. Ce roman paraît sous le pseudonyme de Krinelbol, un quasi-anagramme de son nom.
En juillet 1744, il quitte la maison de Marie Marthe Alléon épouse deNicolas-François Dupré de Saint-Maur chez qui il logeait[10]. La même année, il a une liaison avec Marie Henriette de Stafford, fille de Jean de Stafford, chambellan deJacques II d'Angleterre, jeune fille de haute naissance, douce, dévote, mais aussi, selonCharles Collé (Journal, janvier 1750), « louche et d'une laideur choquante ». Après la naissance d'un fils, en 1746, il l'épouse, àArcueil, le, et se montre un époux irréprochable, d'une parfaite fidélité. Son fils meurt en 1750, et il connaît au même moment des difficultés financières.
En 1753, il obtient duduc d'Orléans, qui devient en quelque sorte son mécène, une pension de2 000 livres et un appartement. De sa femme, morte en 1755, il n'hérite rien d'elle. Ruiné, il est obligé de vendre sa bibliothèque. En 1758, il devient secrétaire dumarquis de Richelieu pendant quelques semaines. À partir de 1759, il participe à la renaissance de lagoguette duCaveau, deuxième du nom. En 1759, grâce à la protection deMadame de Pompadour, il est nommécenseur royal de la Librairie, fonctions que son père (qui meurt en 1762) avait également occupées et qu'il exerce honorablement, sort ironique pour un auteur libertin[7]. En 1762, Madame de Pompadour lui accorde une pension de2 000 livres sur sa cassette personnelle.
En 1768 il publie lesLettres de la Duchesse, roman épistolaire qui ne rencontre pas de succès en France. Après la publication en 1771 desLettres athéniennes, roman épistolaire polyphonique, libertin et politique, il cesse d'écrire, estimant qu'il a « perdu le fil de son siècle ». En 1772, de son vivant, une collection complète en sept volumes de ses œuvres est publiée, signe de sa reconnaissance en tant qu'écrivain. En 1774, il devient censeur de théâtre, pendant deux ans. Il meurt peu après, à Paris. Bien que la date de sa mort soit débattue[6], la plus communément admise reste celle du.La Place compose pour lui cette épitaphe :
Dans ce Tombeau gîtCrébillon.
— Qui ? — Le fameux tragique ? — Non :
Celui qui le mieux peignit l’âme
Du Petit-Maître, & de la Femme[11].
Les romans et les contes de Crébillon fils ont longtemps été décriés pour leur immoralité et pour un style souvent jugé languissant et obscur. Pourtant, on pense qu'Alfred de Musset se serait inspiré, dansUn Caprice, duHasard du coin du feu, etHenri Heine confiait :« Avant d'écrire, j'ai reluRabelais et Crébillon fils[12]. »
L'œuvre de Crébillon fils a été considérablement réévaluée, auXXe siècle.Kléber Haedens affirme que« si l'on estime que la littérature licencieuse est plus divertissante que beaucoup d'autres et si l'on constate que Crébillon écrit dans une très bonne langue, qu'il est spirituel et fin, on ne peut s'empêcher de ranger ses contes parmi les œuvres les plus agréables duXVIIIe siècle[13]. »
Crébillon fils peint avec brio le relâchement des mœurs de son temps. Cynique, il ne croit ni à la vertu, ni à l'amour et leur préfère le plaisir :
« Il est rare qu'une jolie femme soit prude, ou qu'une prude soit jolie femme, ce qui la condamne à se tenir justement à cette vertu que personne n'ose attaquer et qui est sans cesse chagrine du repos dans lequel on la laisse languir. »
— Le Sylphe
« Jadis [...] était grave, froid, contraint, et avait toute la mine de traiter l'amour avec cette dignité de sentiments, cette scrupuleuse délicatesse qui sont aujourd'hui si ridicules, et qui peut-être ont toujours été plus ennuyeuses encore que respectables. »
— Le Sopha
Il est le peintre du libertinage, d'un monde d'hypocrisie, de duperie et de perfidie où perce à l'occasion un sentiment d'insatisfaction :
« Nous voulons satisfaire notre vanité, faire sans cesse parler de nous ; passer de femme en femme ; pour n'en pas manquer une, courir après les conquêtes, même les plus méprisables : plus vains d'en avoir eu un certain nombre, que de n'en posséder qu'une digne de plaire ; les chercher sans cesse, et ne les aimer jamais. »
— Le Sopha