La biographie de Marot est difficile à assurer sur des bases certaines car nous manquons de documents d'archives à son sujet : c'est donc le plus souvent sur ses poèmes que l'on reconstruit son parcours, quoique ceux-ci fassent l'objet d'une mise en scène allant parfois jusqu'à la falsification.
Jean Marot, le père de Clément, remet son manuscrit duVoyage de Gênes àAnne de Bretagne (miniature deJean Bourdichon, 1507-1508)
Clément Marot naît àCahors, d’une mère probablementgasconne dont il ne dira jamais rien, et d’un père originaire de la région deCaen,Jean Marot, également poète. DansL'Enfer, Clément raconte qu'il quitta Cahors vers l'âge de dix ans (soit vers 1506), pour rejoindre la cour de France sur les bords de la Loire, où son père avait été appelé grâce à la protection deMichelle de Saubonne, future épouse de Jean IV de Parthenay, seigneur deSoubise. Son père Jean Marot était entré au service de la reineAnne de Bretagne, épouse du roiLouis XII, et avait chanté sesexpéditions italiennes contreJules II.
Le jeune Clément grandit donc à la cour, sa« maîtresse d'école » comme il l'appela plus tard. Sa formation reste incertaine : il reçut vraisemblablement une formation minimale en droit civil à l'université d'Orléans, étant donné le nombre de pièces deL'Adolescence clémentine qui évoquent la ville ligérienne[2]. Dans son coq-à-l'âne composé à Ferrare en 1535, le poète se souvient ainsi de ses années d'étude et de ses enseignants :
« En effet, c’étaient grandes bêtes Que les régents du temps jadis : Jamais je n’entre en paradis S’ils ne m’ont perdu ma jeunesse. »
Portrait deMarguerite de Navarre attribué àJean Clouet (vers 1527).Marguerite, reine de Navarre (au centre), est surprise par FrançoisIer (à gauche)au moment où elle lit la ballade de Clément Marot (à droite)commençant par « Amour me voyant sans tristesse », atelier deJean-Baptiste Vermay d'après le tableau présenté au Salon de 1812.
Vers 1519, Marot entre au service deMarguerite d'Angoulême, sœur deFrançois Ier et écrivaine[N 3]. Le poète fit vraisemblablement office de secrétaire ou de valet de chambre auprès de Marguerite et de son époux,Charles IV d'Alençon. Il suivit ainsi ce dernier lors de la campagne du Hainaut, notamment sur le campd'Attigny (juin 1521) d'où il écrivit une épître adressée à Marguerite. Il est également très probable que la première traduction en français d'un psaume par Marot (le sixième) ait été faite pour Marguerite, car c'est cette traduction qui referme deux des trois éditions duMiroir de l'âme pécheresse publiées parAntoine Augereau en 1533[4]. Trois ans plus tard, réfugié à Venise et écrivant à Marguerite, Marot rappelle que c'était la reine de Navarre en personne qui l'incitait à traduire les psaumes pour pouvoir les chanter :
« Quelquefois suis trompé d’un plus beau songe Et m’est avis que me vois, sans mensonge, Autour de toi, Reine très honorée, Comme soulais, en ta chambre parée, Ou que me fais chanter en divers sons Psaumes divins, car ce sont tes chansons. »
— (v. 115-120)
Dans la même épître transparaît l'intimité spirituelle qui semble avoir rapidement uni Marot et Marguerite :
« Par devers qui prendront mes vers leur course Sinon vers toi, d’éloquence la source, Qui les entends sans les falloir gloser, Et qui en sais de meilleurs composer ? À qui dirai ma douleur ordinaire Sinon à toi, Princesse débonnaire, Qui m’as nourri, et souvent secouru, Avant qu’avoir devers toi recouru ? À qui dirai le regret qui entame Mon cœur de frais, sinon à toi, Madame, Que j’ai trouvée en ma première oppresse, Par dit et fait, plus mère que maîtresse ? »
En 1526, prend place la première affaire judiciaire certaine du poète. Si l’on suit le récit proposé par cinq pièces réunies à la fin de la deuxième édition de la traduction desMétamorphoses d’Ovide par Marot en 1534[5], on obtient le scénario suivant. Tout aurait commencé par unrondeau par lequel Marot aurait reproché son inconstance à sa maîtresse. Celle-ci se serait vengée du poète en le dénonçant pour avoir « mangé le lard ». Incarcéré dans lesgeôles du Châtelet, Marot aurait ensuite été transféré àChartres, sous l'autorité de l’évêqueLouis Guillart, peut-être en raison de la lettre adressée à Nicolas Bouchart, docteur enthéologie et protégé de l'évêque. Grâce à l'appui de ses amis et notamment du plus intime d'entre eux,Lyon Jamet, Marot aurait été libéré le « premier jour de la verte semaine », soit le premier mai 1526.
Tout semble néanmoins sujet à caution dans ce récit, et avant tout la dénonciation calomnieuse de la maîtresse infidèle (qui s’inscrit dans une tradition littéraire illustrée notamment parFrançois Villon, le grand modèle littéraire de Marot[6]). Le motif supposé, « avoir mangé le lard », est également ambigu : si l'expression signifie littéralement la rupture dujeûne en période decarême, elle est souvent employée de manière figurée comme synonyme d’« être coupable[7] ». Les rares documents d'archives qui nous sont parvenus au sujet de cette incarcération n'évoquent jamais le jeûne ; et dans l’épître qu'il adresse à Bouchart, Marot se défend d'une accusation plus large deluthéranisme. Enfin, si l'emprisonnement de 1526 est indiscutable, rien n'indique formellement pour autant que les cinq textes réunis dans l'édition de 1534 soient tous liés à cette affaire de 1526[8], car Marot devra faire face à d'autres arrestations et d'autres incarcérations dans les années qui suivent.
François Ier mécène des lettres, écoutant la lecture de la traduction deDiodore de Sicile faite par un autre de ses valets de chambre, Antoine Macault
Fin 1526 ou début 1527,Jean Marot meurt[3]. Son fils Clément espère lui succéder en son état de valet de garde-robe du roi, ce queFrançoisIer semble lui promettre. Néanmoins oublié sur l'état de la maison du roi pour l'année1527, il entreprend de multiples démarches auprès de ses protecteurs pour obtenir le paiement de ses gages pour 1527 (« Et ne fallait, Sire, tant seulement / Qu’effacer Jean et écrire Clément ») et son inscription sur l'état de 1528. C'est finalement en tant quevalet de chambre (et non de garde-robe, même si les deux titres sont pareillement honorifiques) que Marot figure sur le nouvel état.
Très peu de temps après (29 novembre 1527) meurtFlorimond Robertet. Marot compose pour l'un de ses premiers protecteurs une ample et ambitieuseDéploration qui constitue un exposé très éloquent de ses idéesévangéliques, qu'il s'agisse de la peinture satirique de l'« Église romaine » (v. 57-82) ou de l'affirmation de l'inutilité des pompes et des rites funèbres, à travers la cinglanteprosopopée de la Mort :
« Peuple séduit, endormi en ténèbres Tant de longs jours par la doctrine d'homme, Pourquoi me fais tant de pompes funèbres, Puisque ta bouche inutile me nomme ? Tu me maudis quand tes amis assomme, Mais quand ce vient qu'aux obsèques on chante, Le prêtre adonc, qui d'argent en a somme, Ne me dit pas maudite ni méchante.
Ainsi, pour vrai, de ma pompe ordinaire Amende plus le vivant que le mort, Car grand tombeau, grand deuil, grand luminaire Ne peut laver l'âme que péché mord. Le sang de Christ, si la foi te remord, Lave seul l'âme, ains que le corps dévie ; Et toutefois, sans moi qui suis la mort, Aller ne peut en l'éternelle vie. »
— (v. 285-300)
Publié rapidement àLyon parClaude Nourry (1527-1529), le texte figurera de nouveau dans les toutes premièresanthologies des œuvres de Marot, toujours annoncé sur la page de titre comme l'un des arguments de vente principaux, signe de sa célébrité. Marot lui doit sans doute en partie sa réputation de luthérien.
Des lettres romaines dessinées par Geoffroy Tory, l'imprimeur de la premièreAdolescence clémentine
À Lyon et à Paris, plusieurs libraires commencent à publier des éditions entièrement consacrées aux œuvres du poète en compilant les textes sur lesquels ils parviennent à mettre la main, dans des versions souvent de mauvaise qualité. Marot réagit en août 1532 en procurant la première édition autorisée de ses œuvres de jeunesse sous le titre deL'Adolescence clémentine. Le livre remporte un succès tel qu'il contraint le librairePierre Roffet et l'imprimeurGeoffroy Tory à remettre le livre sous les presses tous les trois à quatre mois jusqu'à la fin de l'année 1533 (année où Roffet et Tory meurent tous les deux).
Devant le succès, Marot enchaîne les publications : les deuxVoyages composés par son pèreJean Marot (janvier 1533) suivis duRecueil de plusieurs de ses autres œuvres (fin 1533-début 1534), une édition annotée desŒuvres deFrançois Villon (septembre 1533),La Suite de l'Adolescence clémentine (fin 1533), et la traduction du premier livre desMétamorphoses d'Ovide (1534)[10].
L'un des « placards » affichés dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534
Dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, desplacards sont affichés à Paris et dans d'autres villes de France (en particulierOrléans,Tours,Amboise etBlois) : ils s'en prennent violemment au rite de lamesse. LeParlement, bientôt suivi par le roi, met rapidement en place la répression en multipliant les arrestations et les exécutions publiques[11]. Clément Marot, qui dira plus tard qu'il était à Blois au moment de l'affaire, fait partie des personnes suspectées : il s'enfuit en prenant le chemin des États de sa protectrice, Marguerite de Navarre. Arrêté àBordeaux le 27 novembre, il parvient à s'enfuir[9]. Le 25 janvier, son nom est le septième sur la liste des suspects publiée à son de trompette dans les rues de Paris[12] — celui de Lyon Jamet y figure également. Sur les conseils de Marguerite, Marot reprend la route pour diriger ses pas vers la cour de laduchesse de Ferrare,Renée de France (1510-1574), où il arrive vers le mois d'avril 1535[13]. Il y retrouveMichelle de Saubonne (1485-1549), qui avait jadis protégé son père, et entre au service de la duchesse comme poète et secrétaire[14]; Lyon Jamet suit le même chemin et entre au service du duc. Marot devient alors l'un des animateurs des fêtes et des divertissements de la petite cour française deFerrare.
Portrait présumé de Renée de France parGirolamo da Carpi (c. 1530-1540)
C'est là qu'il compose notamment leBlason du beau tétin, envoyé à lacour de France, invitant les autres poètes à l'imiter en faisant l'éloge d'une autre partie du corps féminin. Dans une épître composée vers janvier-février 1536[15], Marot se félicite du succès de ce concours deblasons[16], déclare qu'il a été remporté parMaurice Scève avec sonblason du sourcil, et propose aux mêmes poètes de composer cette fois un contre-blason de blâme à l'imitation de sonBlason du laid tétin.
À Ferrare, Marot assiste aux démêlés de nature politico-religieuse qui opposentHercule d'Este à son épouse Renée. Les tensions s'accroissent au cours de l'année 1536, notamment après le carême pendant lequel unchantre français, Jehannet de Bouchefort, provoque le scandale en sortant ostensiblement de l'église pendant l'adoration de la croix. Le duc et l'inquisiteur de Ferrare déclenchent une enquête menée à l'encontre de plusieurs des protégés français de Renée. Marot fuit alors clandestinement àVenise d'où il écrit pour Renée le sonnet suivant :
« Me souvenant de tes bontés divines Suis en douleur, princesse, à ton absence Et si languis quand suis en ta présence, Voyant ce lis au milieu des épines.
Ô la douceur des douceurs féminines, Ô cœur sans fiel, ô race d'excellence, Ô dur mari rempli de violence, Qui s'endurcit près des choses bénignes.
Si seras-tu de la main soutenue De l’Éternel, comme sa chair tenue ; Et tes nuisants auront honte et reproche.
Courage, dame, en l'air je vois la nue Qui çà et là s'écarte et diminue, Pour faire place au beau temps qui s'approche. »
C'est de Venise qu’il obtient son rappel en France, puis à la cour, par le moyen d'uneabjuration solennelle qu'il fit àLyon entre les mains du cardinalFrançois de Tournon. Il obtient le pardon du Roi.
À ces orages; succède un intervalle de paix dû au souvenir de ses disgrâces passées. La publication de ses premiersPsaumes trouble cette tranquillité. En 1541, il publieTrente Pseaulmes deDavid,mis en françoys par Clément Marot. Cette traduction obtient la plus grande vogue à la cour. LaSorbonne (la faculté de théologie de l'université de Paris) inscrit toutefois la traduction dans une liste d'ouvrages à interdire (noël 1542-mars 1543)[17].
« Ici devant au giron de sa mère Gît des Français le Virgile et l’Homère ; Ci est couché, et repose à l’envers Le nonpareil des mieux disants en vers ; Ci-gît celui que peu de terre couvre, Qui toute France enrichit de son œuvre ; Ci dort un mort qui toujours vif sera, Tant que la France en français parlera ; Bref gît repose et dort en ce lieu-ci Clément Marot de Cahors en Quercy. »
Marot avait l’esprit enjoué et plein de saillies sous l’extérieur grave d’un philosophe. Il joignait, ce qui arrive souvent, une tête vive à un bon cœur. Doué d’un noble caractère, il paraît avoir été exempt de cette basse jalousie qui a terni la gloire de plus d’un écrivain célèbre. Il n’eut de querelle qu’avecFrançois de Sagon etCharles de La Hueterie, qui l’attaquèrent pendant qu’il était àFerrare. Le premier fut assez impudent pour solliciter la place de Marot, mais non assez favorisé pour l’obtenir. Le poèteGermain Colin-Bucher soutint Marot lors de ce différend[19]. Le deuxième se dédommagea du déplaisir de voir cesser la disgrâce du poète par un calembour qui donne la mesure de son esprit. Marot en avait beaucoup mis dans une épître à Lyon Jamet, où il racontait les peines de son exil et où il se comparait au rat libérateur du lion. La Huéterie s’empara de l’application que Marot se faisait de cetapologue, et crut très plaisant de l’appeler leRat pelé (le rappelé). Marot ne lui répondit que sous le nom de son valet pour mieux lui témoigner son mépris et l'exhortant à "ravaler plume, encre papier et venin[C 2]".
L’œuvre de Marot est très abondante et« l’élégant badinage » auquelNicolas Boileau l’associe dans sonArt poétique n’en est qu’un aspect. On remarque, en lisant sesŒuvres, comme le poète a évolué de la discipline desgrands rhétoriqueurs, vers un art personnel. Il est aussi connu pour avoir commencé la traduction en vers français dupsautier, terminée après sa mort parThéodore de Bèze. Ses traductions, parfois légèrement modernisées, sont encore chantées auXXIe siècle par des protestants.
L’Adolescence clémentine comprend les poèmes de jeunesse qui se caractérisent par la variété des formes et des sujets abordés. Dans sa version revue de 1538, elle comprend les parties suivantes :
la premièreÉglogue desBucoliques de Virgile (traduction)
Le Jugement de Minos (inspiré de la traduction latine duDialogue des morts deLucien de Samosate)
Les Tristes vers de Philippe Béroalde (traduction duCarmen lugubre de die dominicae passionis dePhilippe Béroalde)
Oraison contemplative devant le Crucifix (traduction de l'Ennea ad sospitalem Christum deNicolas Barthélemy de Loches)
Épîtres : 10 pièces (11 si l’on compteL’Épître de Maguelonne qui relève du genre de l’héroïde).
Complaintes
Épitaphes : forme brève, l’épitaphe peut ne comporter que deux vers. Au début de la section le ton est grave, puis le sourire fait son apparition.
Ballades : elles comprennent une trentaine de vers répartis en trois strophes et demie, un refrain d’un vers et un envoi-dédicace. La Ballade joue sur trois ou quatre rimes. Le poème se termine par une demi-strophe, adressée au Prince (ou à la Princesse).
Rondeaux : qui comprennent de 12 à 15 vers, caractérisés par le retour du demi-vers initial au milieu et à la fin du poème.
Chansons : La chanson est propice à toutes les acrobaties de la rime.
L'organisation deL’Adolescence clémentine montre que Marot compose une œuvre et que le recueil n'est pas le fruit d'un épanchement spontané. La chronologie n’y est pas respectée. Marot opère des modifications. Ainsi laBallade V change de destinataire en 1538. Gérard Defaux fait observer que Marot construit sa vie dans le recueil, comme un romancier compose un roman. Marot aime inscrire son nom dans ses poèmes : il le représente volontiers dans le poèmeL'Activité scripturaire. Son goût le porte vers les genres brefs.
Marot a traduit 49 psaumes de David en vers ainsi que leCantique de Siméon. Après sa mort, l'entreprise de traduction du psautier a été achevée parThéodore de Bèze. Ce corpus a été approprié par lescalvinistes qui, après l'avoir doté de mélodies, en ont fait leur principal livre de chant pour le temple et l'ont appeléPsautier de Genève ouPsautier huguenot[N 4].
On peut enfin considérer comme part de l'œuvre de Marot le rôle essentiel qu'il joue dans la reconnaissance de la poésie deFrançois Villon. Marot publia en effet la première édition critique des œuvres de Villon en 1533, soit soixante-dix ans après la disparition du plus célèbre poète français de la fin duMoyen Âge. Dans le prologue de cette édition, Marot écrit :
« Entre tous les bons livres imprimés de la langue française, il ne s'en voit un si incorrect ni si lourdement corrompu que celui de Villon. Et m'ébahis, vu que c'est le meilleur poète parisien qui se trouve, comment les imprimeurs de Paris et les enfants de la ville n'en ont eu plus grand soin. »
— Clément Marot, Les œuvres de François Villon, de Paris, revues et remises en leur entier, par Clément Marot…, Paris, Galliot Du Pré, 1533[20]
« est la première époque vraiment remarquable dans l’histoire de notre poésie, bien plus par le talent qui lui est particulier, que par les progrès qu’il fit faire à notre versification. Ce talent est infiniment supérieur à tout ce qui l’a précédé, et même à tout ce qui l’a suivi jusqu’àMalherbe. La nature lui avait donné ce qu’on n’acquiert point : elle l’avait doué de grâce. Son style a vraiment du charme et ce charme tient à une naïveté de tournure et d’expression qui se joint à la délicatesse des idées et des sentiments. Personne n’a mieux connu que lui, même de nos jours, le ton qui convient à l’épigramme, soit celle que nous appelons ainsi proprement, soit celle qui a pris depuis le nom demadrigal, en s’appliquant à l’amour et à la galanterie. Personne n’a mieux connu le rythme du vers à cinq pieds, et le vrai ton du genre épistolaire, à qui cette espèce de vers sied si bien. Son chef-d’œuvre en ce genre est l’épître où il raconte à FrançoisIer comment il a été volé par son valet. C’est un modèle de narration, de finesse et de bonne plaisanterie. »
Cette estime pour les poésies de Marot a triomphé du temps et des vicissitudes du langage.
Boileau a dit dans les beaux jours du siècle deLouis XIV : « Imitez de Marot l’élégant badinage. »La Fontaine a prouvé qu’il était plein de sa lecture.« II n’y a guère, ditla Bruyère, entre Marot et nous que la différence de quelques mots. »Jean-Baptiste Rousseau, qui lui adresse une épître, fait gloire de le regarder comme son maître.Clément de Dijon l’a défendu contreVoltaire, qui s’est attaché à le décrier dans ses derniers ouvrages, probablement par haine pourJean-Baptiste Rousseau, coupable, selon lui, d’avoir donné le dangereux exemple du style marotique, qu’il est plus aisé d’imiter que le talent de Marot.
« Mais, dit encore La Harpe, il fallait que la tournure naïve de ce poète fût bien séduisante, puisqu’on empruntait son langage depuis longtemps vieilli pour tâcher de lui ressembler. »
On attribue à Clément Marot la création des règles d'accord du participe passé.Voltaire avançait que cette initiative s'était produite à l'imitation de l'italien[21]. En effet, lesÉpigrammes s'en réclament[22] :
Enfans, oyez vne Lecon: Nostre Langue à ceste facon, Que le terme, qui va deuant, Voulentiers regist le suiuant. Les vieilz Exemples ie suiuray Pour le mieulz: car a dire vray, La Chancon fut bien ordonnee, Qui dit, m’Amour vous ay donnée: Et du Basteau est estonné, Qui dit, m’Amour vous ay donné. Voyla la force, que possede Le Femenin, quand il precede. Or prouueray par bons Tesmoings, Que tous Pluriers n’en font pas moins: Il fault dire en termes parfaictz, Dieu en ce Monde nous a faictz: Fault dire en parolles parfaictes, Dieu en ce monde, les a faictes. Et ne fault point dire (en effect) Dieu en ce Monde, les a faict: Ne nous ha faict, pareillement: Mais nous a faictz, tout rondement. L’italien (dont la faconde Passe les vulgaires du Monde) Son langage a ainsi basty En disant,Dio noi a fatti. Parquoy (quand me suys aduisé) Ou mes Iuges ont mal visé, Ou en cela n’ont grand science, Ou ilz ont dure conscience.
L'exemple italien concerne un pluriel (« Dieu nous a faits ») mais que la règle est élargie au féminin (« Dieu en ce monde les a faites ») concernant le participe passé de l'auxiliaireavoir dont lecomplément d'objet est antéposé. Depuis quelques siècles déjà, enlangues d'oïl notamment, la tendance à l'amuïssement — à l'absence de prononciation de certains sons — s'amplifie. En particulier le « a » latin, marque du féminin, s'est changé en « e » devenufermé puismuet et la prononciation du « s » final, marque du pluriel, se perd, à l'instar de beaucoup d'autresconsonnes, dentales notamment.« Les voyelles atones s’amuïssent, ce qui mène à la généralisation de l’oxytonisme (...) Les consonnes finales s’amuïssent aussi (-t, -p, -s, -n, -l, -r ; le sort de -f est moins clair [clef, cerf etc.]). (...) Avec l’amuïssement du e final et des consonnes finales, le français passe définitivement du type « postdéterminant » au type « prédéterminant » » précise le professeur de philologie romane Philipp Burdy[23] En langues d'oïl, l'accentuation de l'usage oral se déplace vers la dernièresyllabe par perte de la prononciation de l'ancienne forme de cette dernière, néanmoins maintenue enfrancoprovençal. On ne dit plus en trois ou quatre syllabes « par-fai-teu » ou « par-fai-teu-s », mais « par-fait », souvent en ne marquant plus presque plus le -t, comme au masculin singulier. C'est l'oxytonisme. Dès lors, la dernière syllabe prononcée (dans cet exemple, « fai ») ne marque plus le genre ni le nombre du mot. Le problème à l'écrit devient donc de parvenir à distinguer ce à quoi se rapporte le verbe dont le complément d'objet genré ou numéral ne se distingue plus à l'oreille. C'est ainsi que, s'agissant de l'auxiliaireavoir, le terme qui va devant volontiers se mit à régir le suivant.
Marot,Œuvres complètes, t. I et II, édition Abel Grenier, Paris, Garnier, 1920.
Une page de l'édition desŒuvres de 1731 (version in-4°) avec un article del'évêque d'Avranches Huet et une gravure dePierre Filloeul.Œuvres de Clément Marot, Valet-de-Chambre de François I. Roy de France. Revûes sur plusieurs Manuscrits, & sur plus de quarante Éditions ; et augmentées tant de diverses Poësies veritables, que de celles qu’on lui a faussement attribuées. Avec les ouvrages de Jean Marot son Pere, ceux de Michel Marot son Fils, & les Piéces du Different de Clément avec François Sagon : accompagnées d’une Preface Historique & d’Observations critiques, Nicolas Lenglet Du Fresnoy (éd. ; pseudonyme : chevalier Gordon de Percel), La Haye, P. Gosse & J. Neaulme, 1731, édition in-12° en 6 vol. ; édition in-4° en 4 vol.
Œuvres complètes de Clément Marot, revues sur les éditions originales avec préface, notes et glossaire par Pierre Jannet, 4 vol, Paris, Alphonse Lemerre, éditeur, 27-29 passage Choiseul, 1873.
Œuvres de Clément Marot de Cahors en Quercy, valet de chambre du roi, augmentées d’un grand nombre de ses compositions nouvelles par ci-devant non imprimées, Georges Guiffrey, Robert-Charles Yve-Plessis et Jean Plattard (éd.), Paris, Claye-Quantin-Schemit, 1875-1931, 5 vol. (réimpression, Genève, Slatkine, 1968).
Œuvres complètes : I. Les Épîtres ; II. Œuvres satiriques ; III. Œuvres lyriques ; IV. Œuvres diverses ; V. Épigrammes, Claude Albert Mayer (éd.), Londres, Athlone Press, 1958-1970, 5 vol. ;VI. Les Traductions, Claude Albert Mayer (éd.), Genève, Slatkine, 1980.
Œuvres poétiques complètes, Gérard Defaux (éd.), Paris, Bordas, « Classiques Garnier », 2 t., t. I (1990 ; réédition Dunod 1996), t. II (1993).
Œuvres complètes, François Rigolot (éd.), Paris, Flammarion, GF, 2 vol., 2007 et 2009.
↑DansL'Enfer, composé vers 1526, Marot dit être arrivé en France (c'est-à-dire dans le Nord de la France) « n’ayant dix ans » (v. 399) et n'y avoir acquis « depuis vingt ans » que labeur et souffrance (v. 408). La date de naissance vers 1496 est déduite de ce passage.
↑Voir la dédicace à Villeroy duTemple de Cupido (dans l'édition desŒuvres de 1538). Sur Villeroy, voir Stephen Bamforth, « Clément Marot et le projet de paix universelle de 1518 : poésie et propagande », dansLa Génération Marot. Poètes français et néo-latins (1515-1550), Paris, Champion, 1997, p. 121-122.
↑Dans une épître composée à Ferrare pendant l'été 1535, Marot affirme que le roi le recommanda à sa sœur Marguerite, duchesse d’Alençon,« des ans a quatre et douze » (v. 184) c'est-à-dire il y a 16 ans, soit 1519).
Sur la constitution de ce corpus et ses très nombreuses rééditions et transformations, voir l'articlePsautier de Genève, avec la bibliographie associée.
« J’avais un jour un valet de Gascogne, Gourmand, ivrogne et assuré menteur, Pipeur, larron, jureur, blasphémateur, Sentant la hart de cent pas à la ronde, Au demeurant le meilleur fils du monde, Prisé, loué, fort estimé des filles Par les bordeaux, et beau joueur de quilles. »
Je ne vois point qu’unSaint-Gelais, UnHéroët, unRabelais, Un Brodeau, unScève, unChappuy, Voisent écrivant contre lui. Ni Papillon pas ne le point : Ni Thenot ne le tenne point : Mais bien un tas de jeunes veaux, Un tas de rimasseurss nouveaux, Qui cuident élever leur nom, Blâmant les hommes de renom.
↑Le Premier livre de la Métamorphose d'Ovide, translaté de latin en françois par Clément Marot,... Item certaines œuvres qu'il feit en prison, non encores impriméez, Paris, Étienne Roffet,(lire en ligne)
↑Michael A. Screech,Marot évangélique, Genève, Droz,,p. 39-45
↑DickWursten, « «Dear Doctor Bouchart, I am no Lutheran» A Reassessment of Clément Marot's Epistle to Monsieur Bouchart »,Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance,vol. 70,no 3,,p. 567–578(ISSN0006-1999,lire en ligne, consulté le)
↑a etbClaude Albert Mayer,Clément Marot, Paris, Nizet,,p. 267-269
Claude Albert Mayer,Bibliographie des œuvres de Clément Marot, Genève, Droz, 1954, 2 vol. (I Manuscrits ; II Éditions). Réimpression augmentée et corrigée du second volume sous le titreBibliographie des éditions de Clément Marot publiées auXVIe siècle, Paris, Nizet, 1975.
Gérard Defaux,Le Poète en son jardin. Étude sur Clément Marot, Paris, Champion 'Unichamp', 1996.
Simone Domange,Lire encore Marot, Viroflay, Roger, 2006.
Robert Griffin,Clement Marot and the Inflections of Poetic Voice, Berkeley, University of California Press, 1974.
Frank Lestringant,Clément Marot de l’Adolescence à l’Enfer, Orléans, Paradigme, 2006.
Claude Albert Mayer,Clément Marot et autres études sur la littérature française de la Renaissance, Paris, Champion, 1993.
Corinne Noirot,“Entre deux airs” : style simple et ethos poétique chez Clément Marot et Joachim Du Bellay (1515-1560), Paris, Hermann éditeurs (Les Collections de la République des Lettres), 2013. (Édition originale : Presses Universitaires de Laval, 2011).(ISBN978-2-70568-688-8).
Florian Preisig,Clément Marot et les métamorphoses de l’auteur à l’aube de la Renaissance, Genève, Droz, 2004.
Yves-Marie Pasquet,Clément Marot et les chiffonniers, commande de l'Opéra de Paris, opéra de poche pour trois chanteurs et six musiciens, texte de Claude Minière (1981)