Lachristologie est la discipline de lathéologie dogmatique chrétienne qui étudie la personne, la doctrine et l’œuvre deJésus-Christ[1]. Elle traite plus particulièrement de la nature de Jésus et de son rapport àDieu : Jésus est-il le fils de Dieu, le fils adoptif, un être purement humain ou purement divin ?
Cette étude part notamment des titres donnés à Jésus dans leNouveau Testament, tels queChrist,Seigneur,Fils de Dieu,Messie et, par conséquent, réfléchit à l'identité du Christ et à la signification du titre deChrist. Les grandes définitionsdogmatiques au cours desIVe et Ve siècles, par lesconciles œcuméniques, n'ont pas épuisé le sujet. Elles en marquent cependant une étape essentielle. La réflexion théologique sur le Christ a continué non seulement durant toute la périodepatristique, mais encore à l'époque médiévale, à la Renaissance et à l'époque moderne.
Actuellement, les discussions sont toujours actives enAllemagne, auxÉtats-Unis, enFrance, enGrande-Bretagne, enAfrique[Où ?], enAmérique latine[Où ?], enInde… L'articulation entre « Jésus » et « Christ » ne va pas de soi ni au même rythme pour tous les chrétiens. À ce débat s'en ajoute un autre : celui de l'interaction entre la théologie et laphilosophie.
Le principe sous-jacent de la christologie est que leNouveau Testament permet de cerner la réalité de Jésus-Christ, que ce soit explicitement ou implicitement[2].
Elle se réfère pour la compréhension de sa nature divine aux titres qui lui sont donnés par ses disciples, tels que « Fils de l'Homme » ou Messie[2].
La distinction s'est imposée auXIXe siècle entre leJésus de l'histoire et leChrist de la foi[Note 1]. Dans le premier cas, si l'on fait référence à « Jésus », on parle deJésus de Nazareth, homme inscrit dans une époque et un territoire, que l'on pense pouvoir connaître à travers diverses sources écrites. Durant une première période, l'historien comme le théologien d'aujourd'hui distingueront ce qui relève des « sciences sacrées » et des « sciences religieuses »[3]. Dans le second cas, lorsqu'on parle de « Christ », on évoque le Jésus de la foi chrétienne, comme « Christ et Seigneur », c'est-à-direJésus-Christ. Le mot « Christ » désigne l'oint, l'élu deDieu.Χριστός,christos en grec, signifie « enduit », « oint », puis « qui a reçu l'onction sainte » ; il renvoie à « Messie », translittération du mothébreu מָשִׁיחַ,mashiah.
On a parfois différencié la « christologie haute » (ou « élevée ») et la « christologie basse », en fonction du point de départ de l'exposition de la foi. Ces deux approches ne sont pas incompatibles[4].
La « christologie haute » étudie le Christ en partant de sa position élevée dans les cieux, c'est-à-dire de sa divinité, de sa préexistence et de son éternité ; sa méthode d'analyse dessine un mouvement descendant. Cette forme de christologie est traditionnelle, comme l'expliqueHenri Blocher[5]. PourRaymond Brown, elle conçoit Jésus comme appartenant à la sphère de la divinité et applique, par exemple, un titre comme « Fils de Dieu » pris au sens littéral, impliquant alors une origine divine à l'exclusion de toute métaphore. De même, le titre « Seigneur » est pris au sens fort et devient une titulaturecultuelle, à partir du terme de politesse initial qu'il est au temps de Jésus (avec le sens de « maître »). Cette christologie, au contraire de christologies ditesadoptianistes, inclut généralement la perception de la préexistence de la divinité de Jésus[6].
La « christologie basse » décrit un mouvement ascendant : elle part de Jésus en tant qu'homme et des événements de sa vie pour comprendre qui est le Christ[7].Raymond E. Brown note qu'elle applique à Jésus une titulature issue de l'attentemessianiste de l'Ancien Testament, voire de lapériode intertestamentaire, qui n’impliquent pas nécessairement la divinité. Elle utilise des termes comme « messie », « serviteur », « prophète », « seigneur » ou encore « fils de Dieu » qui est alors une désignation métaphorique du roi comme représentant de Dieu. Ce type de titres n'exclut néanmoins pas pour autant l’idée de la divinité de Jésus[6].
Le théologien protestantRaphaël Picon propose quant à lui la distinction « christologieontologique/christologieempirique », qui lui semble préférable en ceci qu'elle n'induit aucun jugement de valeur[8].
Des chercheurs allant deRudolf Bultmann[Note 2] àAdela Yarbro Collins[9] ont argué que le développement trinitaire provenait de l'irruption des « pagano-chrétiens » dans le christianisme débutant face aux « judéo-chrétiens ». L'école anglo-saxonne[10] reformule la question sous deux aspects :
le moyen ounéo-platonisme ne se situait pas en opposition face au judaïsme alexandrin mais en faisait partie, ce qui explique largement les conceptions d'Origène ;
chezPhilon d'Alexandrie, un certainbinitarisme juif apparaît sous les traits du « verbe de Dieu » (o theoû logos que Philon nomme parfois « Fils de Dieu », par exemple dans leDe agricultura §51) ou dans le Memra duTalmud dont on pourrait bien retrouver l'écho dans leprologue de Jean ;
l'idée de « deux pouvoirs dans les cieux » est aussi connue comme l'hérésie deRabbi Akiva[11].
Dans ce contexte, aussi bien la christologie d'Arius (qui lance le débat conciliaire) que celle d'Athanase qui le clôt mais aussi des christologies angéologiques plus particulières comme celle des Témoins de Jéhovah ou celles de l'Islam, s'abreuveraient à la même source.
L'Église ancienne se définit comme « les enfances du christianisme » selon le mot du pasteurAndré Trocmé[12], c'est-à-dire avant l'instauration d'un christianisme d'État dont le « président » serait l'empereur de Constantinople[13].
Auparavant, le débat christologique est la règle, y compris entre les quatre évangiles et les épîtres dePaul de Tarse, comme le montre le pèreBoismard[14].
Aucune centralité susceptible de régulation n'existe alors[15]. Chaque évêque est maître chez soi (surtout dans les grandes communautés de chrétiens comme celle d'Égypte dontArius est issu) sauf à dépendre d'unmétropolite qui ne sera instauré qu'en 325, à l'imitation de la situation égyptienne, la seule « Église » comptant 100épiscopes[16]. Leconcile régional est une habitude comme le montre un concile antérieur réuni en Anatolie à l'instigation d'Eusèbe de Césarée vers 322[Note 3].
La question des origines du christianisme est problématique en soi, selon qu'on se réfère à lathéologie dogmatique de telle ou telle Église ou aux diverses écoles d'historiens[Note 4] ; Jésus-Christ est considéré comme l'unique Sauveur[17]. Pourtant, si la conscience de cette réalité ne fait aucun doute, la formulation ne va pas sans tâtonnements. LesPères de l'Église fondent alors leur réflexion sur les textes de la Bible, regardés comme un ensemble cohérent dont les différentes parties se complètent[Note 5]. Durant plusieurs siècles, l'alternance des opinions et des doctrines[18] amène les théologiens à définir avec une précision de plus en plus fine le dogme de leurÉglise.
Le débat christologique n'est pas le seul fait des élites et peut nourrir de vives controverses chez les individus les plus humbles[Note 6] : un sermon[19] deGrégoire de Nysse à ses fidèles de Constantinople, à la fin duIVe siècle, en atteste en dépit et contre la dogmatisation commençante :« Dans cette ville, si vous demandez de la monnaie à un boutiquier, il ne tardera pas à disputer avec vous de la question de savoir si le Fils est engendré ou incréé[Note 7]. Si vous interrogez le boulanger sur la qualité de son pain, il vous répondra que “le Père est supérieur au Fils”[Note 8] et si vous demandez au garçon de bain de faire son office, il vous affirmera que le Fils a été crééex nihilo[Note 9],[20]. »
Nombre de christologies se sont développées entre leIer etIVe siècle, ce dont témoignent une foule d'apocryphes publiés à cette époque[21]. Avant 70, voire 135, le christianisme doit être considéréentièrement comme une forme de judaïsme dont il va s'extraire et se différencier progressivement[22]. Le débat entre diverses écoles de pensée, qui disputent et parfois s'excommunient[Note 10], y est donc la règle, comme le reflète leTalmud qui voit le début de la mise par écrit de laMishnah dans cette période.
La question principale[23] posée dans ces christologies concerne les modalités de la paternité divine dont parle Jésus évoquant son « Père du ciel ». On médite « qui me voit voit mon père »[24] en tâchant d'élaborer les conditions dans lesquelles ce phénomène serait possible. Elles se répartissent en trois catégories selon la façon dont les éléments de cette paternité sont compris : les christologiesangéologiques, les christologiesdifférentialistes et enfin celles qui considèrent quele Christ est un homme choisi par Dieu.
Le mot « Christ » est la traduction grecque du termeMessie issue de l'espérance de la restauration de laroyauté (indépendante) d'Israël tel que l'idéal en est fixé par la figure deDavid dans l'Ancien Testament[25]. Dans cette configuration, les diversesmétaphysiques établissent un dosage subtil entre le concept dedaimon[Note 11], le concept deroyauté - entendu tantôt commesouveraineté, tantôt commeautorité - et l'humanité de Jésus.
Il n'y a cependant pas de consensus sur cette identité entre les doctrines professées par ces premières communautés messianistes et uneorthodoxie qui se constitue progressivement et sefinalise plus tardivement, pouvant de ce fait difficilement servir d'étalon[26].Marie-Émile Boismard, O.P, en expose différentes raisons[27] : la préoccupation de ces écoles de pensée consiste plutôt à raisonner unemétaphysique et à construire une théologie[Note 12] qu'à établir desarticles de foi immuables.
Le concept de confession de foi[Note 13] ne se fait jour qu'auconcile de Nicée en325[28]. Par ailleurs, le statut divin de l'Esprit-Saint n'est défini qu'auconcile de Constantinople, en381. Ensuite, suivre Jésus, c'est s'attacher à une personne selon le modèle des disciples suivant un maîtrepharisien[29] et non croire desvérités immuables. Enfin, dans sachristologie de Paul, Boismard souligne les diverses acceptions du motdivinité qui désignent tantôt leDieu unique de la Bible, tantôt l'Esprit, acteur de l’inspiration.
Schéma des principales divergences christologiques, d'aprèsEliade[30].
Dans cette configuration, lanature spirituelle prédomine et la nature humaine disparaît. Le Christ, donc Jésus, est un être intermédiaire entre Dieu et les hommes, un « envoyé »[Note 14] parfois conçu comme unange.
L'incarnation n'est pas envisagée comme le fait de partager l'humanité commune, celle d'un homme né d'une femme (Paul de Tarse), mais comme une apparence d'humanité incarnée en une chair céleste. C'est la base des christologiesdocètes.
Cette configuration est notamment celle dugnosticisme, courant religieux desIIe et IIIe siècles qui y ajoute undualisme hérité deMani. Le Père est inconnaissable, le Fils en donne une idée aux hommes ; il est leSauveur Céleste. Cette christologie est connue parBasilide le gnostique qui prêche entre117 et161 à Alexandrie. Dans ce courant, on notera l'apollinarisme, développé parApollinaire de Laodicée (315-392) qui fait unGrand Ange du Christ, c'est-à-dire une stricte émanation de Dieu le Père. LeValentinisme[Note 15] auVe siècle est issu de ce courant.
Le Christ, c'est-à-dire Jésus, est inférieur à Dieu mais y participe : c'est la théologie d'Arius qui juge l'égalité entre le Fils et le Père incompatible avec lemonothéisme. Il affirma l'absolue transcendance du Père mais lui reconnaît une ressemblance (en grec :homoios qui donnehomoiousiens).
Cette formule est imposée par l'empereurarienConstance, fils et successeur de Constantin.
Aèce d'Antioche, diacre en357, au temps de l'évêque Georges d'Alexandrie, développe une théorie plus avancée dans une synthèse de 47 propositions, lesyntagmion. Il fait de l'inengendré la caractéristique de la transcendance divine. Il en résulte que, du point de vue de l'essence, le Fils et le Père ne peuvent entretenir aucune ressemblance. Le Père et le Fils sont donc dissemblables (en grec :anomios) et ses disciples nommés « anoméens »[31].
Il est surnommé « l'athée », dénoncé et connaît des exils successifs, en358 et360. Amnistié par l'empereurJulien, il revient à Constantinople et retrouve Eunome son disciple. Il y meurt en366.
Eunome de Cyzique[32], enCappadoce, disciple et secrétaire d'Aèce, n'est connu que par les écrits de son adversaireBasile de Césarée. Il développe et systématise l'ensemble des doctrines d'Aèce dans sonApologie. Il utilise le syllogisme et les catégories d'Aristote avec une grande précision ce qui témoigne d'une éducation philosophique. Il est diacre en358 et devient évêque de Cyzique. Eunome meurt en394.
Basile de Césarée etGrégoire de Nysse ont chacun écrit unContre Eunome. Cette polémique continuera longtemps après la mort d'Eunome tant sa technicité de raisonnement impressionnait. Il peut être considéré comme la source de l'unitarisme chrétien.
Le monarchianisme est originaire d'Asie Mineure, avant qu'apparaisse la théologie du Logos, représente dans un premier temps une réaction contre les courantsgnostiques du christianisme vers le milieu duIIe siècle[33]. Le monarchianisme est la conception divine de la plupart des chrétiens de cette époque[34].
Lemonarchianisme exalte lamonarchie divine et un strict monothéisme, effaçant la distinction entre lesPersonnes[Note 16], selon l'idée qu'un homme et Dieu ne peuvent avoir quoi que ce soit de commun mais qu'ils peuvent entretenir des rapports plus ou moins proches.
L'adoptionisme médite surFils de Dieu au filtre de ce verset du psaume 2 : « celui-ci est mon fils bien-aimé », cité par Jean dans le récit du non-baptême[Note 17] de Jésus. Le psaume 2[35] est dit « psaume du couronnement » et fait directement référence à la liturgie de l'onction des rois d'Israël.
Pour l'adoptionisme, le Christ est unhomme divin, le fils « adopté » par Dieu[36]. Cette christologie est une forme d'unitarisme avec lequel elle partage l'opposition à lathéologie du Logos. Parmi ses tenants, on trouve notammentPaul de Samosate dans la seconde moitié duIIIe siècle[37].
Le monarchianismemodaliste oumodalisme[Note 18] a pour point de départ non plus la réflexion sur l'être du Christ mais la réaction à ceux qui envisagent une distinction numérique de Dieu. Les modalistes défendent l'unicité de Dieu ; toute distinction réelle en lui leur semble une partition ; les troisétats étant de simples « modes » de la Divinité. Ils s'opposent également aux théologies du Logos[38].
L'indistinction desPersonnes, amène l'idée que c'est le Père (patris) qui aurait éprouvé la souffrance (passus)sur la croix[39]. Suivant lepatripassianisme, le Fils est unethéophanie du Père et n'est donc pas une personne distincte quoique cette théophanie s'incarne en un homme.
Une variante se développe auIIIe siècle : lesabellianisme, du nom du théologien qui la développe àRome,Sabellius. Selon lui, le Père, le Fils et l'Esprit sont une seule et même personne qui se manifeste progressivement sous ces trois aspects[40].
Le montanisme est une doctrine qui tire son nom deMontan ouMontanus de Phrygie, un charismatique phrygien qui entame son ministère dans la seconde moitié duIIe siècle.
La christologie de Montanus est en rapport avec la formation du Canon du nouveau testament ; les discussions concernant cette élaboration se déroulent entre théologiens orientaux et occidentaux. La plupart des orientaux sont contre l'inclusion du corpus johannique (évangiles, épîtres et apocalypse) qui leur semble trop récent pour être authentique. Les montanistes refusent même la théologie du Jésus Logos[Note 19] d'où le nom d'« alogiens » qui leur est donné.
En ce qui concerne le paraclet dont la venue est annoncée en Jean 15:26[41], Montanus affirme qu'il est ce consolateur.
Les premiers conciles œcuméniques : de Nicée I à Chalcédoine
L'élaboration dogmatique équivaut à l'instauration d'une orthodoxie qui n'existe pas auparavant, comme le montre le conflit théologique entre l'école d'Alexandrie etcelle d'Antioche[42].
La question des origines du christianisme est problématique en soi, selon qu'on se réfère à lathéologie dogmatique de telle ou telle Église ou aux diverses écoles d'historiens[Note 4] ; Jésus-Christ est considéré comme l'unique Sauveur[17]. Pourtant, si la conscience de cette réalité ne fait aucun doute, la formulation ne va pas sans tâtonnements. LesPères de l'Église fondent alors leur réflexion sur les textes de la Bible, regardés comme un ensemble cohérent dont les différentes parties se complètent[Note 5]. Durant plusieurs siècles, l'alternance des opinions et des doctrines[18] amène les théologiens à définir avec une précision de plus en plus fine le dogme de l'Église.
Cette évolution se traduit dans les quatre premiersconciles œcuméniques, depuis lepremier concile de Nicée (325) jusqu'àcelui de Chalcédoine (451). Si le nombre fait lavérité, les définitions du concile de Chalcédoine fondent aujourd'hui encore les confessions de foi des courants majoritaires des principales communions chrétiennes (catholiques[43], anglicane, réformée, luthérienne, évangélique, orthodoxe). Le débat christologique reste ouvert dans les églises luthéro-réformées[44] tandis que certaines églises évangéliques[45] s'affirment vigoureusement unitariennes.
L'essentiel des débats porte sur laTrinité chrétienne, puis, ultérieurement, sur la divinité et l'humanité en Jésus-Christ. Ces deux réflexions sont dissociés l'une de l'autre dans la tradition chrétienne majoritaire de l'époque comme le montrent les christologies desÉglises des deux ettrois conciles[46].
En325, lepremier concile de Nicée, convoqué parConstantinIer, répond à la question suivante : « Quelles sont les relations de Jésus avec son Père du ciel ? ». Sous l'influence d'Athanase d'Alexandrie, la question devient : « Le Christ est-ilconsubstantiel à Dieu ? ». Le concile, réuni pour jugerArius, du fait de ses démêlés théologiques avec son évêqueAlexandre d'Alexandrie, rejette sa théorie qui voit en Jésus, que beaucoup nomment le Christ[47], un être d'un rang inférieur à Dieu le Père. Le concile affirme l'identité de substance du Père et du Fils et rédige une premièreprofession de foi qui ne sera pas accepté sans difficulté[Note 20].
En431, leconcile d'Éphèse condamneNestorius, archevêque de Constantinople. Celui-ci, craignant une confusion entre l'homme Jésus et le Logos divin, enseignait que laVierge Marie n'avait enfanté qu'un humain indissolublement lié au Logos divin. Nestorius évoquait « deux personnes » qui « constituaient » le Christ. Au contraire, le concile d'Éphèse affirme l'unité du Christ dès sa conception et appelle sa mère « Mère de Dieu » (Mère de Celui qui est Dieu par nature). Homme et Dieu, le Christ est pourtant un, et ne peut être divisé.Cyrille d'Alexandrie joue un rôle prépondérant dans cette doctrine.
En451, leconcile de Chalcédoine précise que le Christ est « un » de « deux natures », à la fois homme et Dieu, sans confusion ni absorption. Par là même, le concile de Chalcédoine rejette lemonophysisme (« une seule nature ») d'Eutychès. Il signifie donc une étape primordiale dans la christologie, affirmant (à la suite de Nicée I et de Constantinople I) la divinité du Christ, mais en confirmant son humanité (contre ceux qui la supposaient absorbée par sa nature divine), et l'unité de sa personne (à la suite d'Éphèse).
Lesymbole de Chalcédoine insiste sur la double nature du Christ et sur son unité (« une seule personne et une seulehypostase ») :
« Nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme composé d'une âme et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous, sauf le péché, avant les siècles engendrés par le Père selon la divinité, et aux derniers jours le même engendré pour nous et pour notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l'humanité ; un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l'unique engendré, reconnu en deux natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence des natures n'étant nullement supprimée à cause de l'union, la propriété de l'une et de l'autre étant bien plutôt sauvegardée et concourant à une seule personne et une seule hypostase, un Christ ne se fractionnant ni ne se divisant en deux personnes, mais un seul et même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus-Christ. »
Selon Origène, l'âme du Christ existe avant sa naissance et c'est par intermédiaire de cette âme que le logos divin s'unit à la chair conçue par Marie. Cette vision christologique est directement issue dubinitarisme de Philon évoqué ci-dessus.
Quoiqu'unConcile d'Antioche[48] condamne cette idée alexandrine en268, on retrouve cette idée chez Nestor qui distingue la partie humaine de la partie divine de Jésus.
La christologie d'Augustin est étroitement liée à la notion deTrinité.
Selon lui, la Trinité (Père, Fils et Esprit Saint) est un Dieu, un et trine : une essence, trois personnes. Si cette formule ne lui convient que partiellement, tant ce mystère lui paraît grand, il l'adopte parce que le terme personne évoque« l'être-en-relation »[49].« L'Esprit Saint est ainsi désigné proprement dans sa relation au Père et au Fils, parce qu'il estleur Esprit saint. Mais, selon la substance, le Père est aussi esprit, ainsi que le Fils et l'Esprit Saint lui-même, non pas trois esprits, mais un seul esprit, comme ce ne sont pas trois dieux, mais un seul Dieu. Dieu un et trine est tout ce qu'il a »[50].
Par « moderne », on entend les diverses thèses avancées c'est-à-dire les christologies issues de laRéforme, en cela que laRenaissance inaugure la période historique classiquement nommée époque moderne. Ce renouveau est dû à l'arrivée des manuscrits grecs dans les bagages des exilés de Constantinople, fraîchement conquise par les musulmans.
Ce sont des christologies chalcédoniennes pour l'essentiel en dépit de la contestation prudente deSébastien Castellion et de la contestation plus affirmée deMichel Servet.
De l'art de douter et de croire, d'ignorer et de savoir. Traité non publié de son vivant. Première publication intégrale : Jéhéber, 1953. « Il est périlleux de se prononcer à ce sujet. Aussi me garderai-je de rien affirmer. »
Ésaïe Gasc est un théologiengenevois. Il est nommé professeur à lafaculté de théologie protestante de Montauban en 1809, et prend ses fonctions en 1810. Sa réfutation du dogme trinitaire provoque des controverses, il est mis en cause par des pasteurs du Midi, etDaniel Encontre tente de lui répondre sur un plan biblique.
« Il y a longtemps, enseignait-il à ses étudiants, que les théologiens n'occupent plus le public de leurs discussions sur laTrinité. Les plus sages d'entre eux ont enfin compris que, puisque après quatorze ou quinze siècles de débats, on n'était pas plus près de s'entendre qu'on ne l'était à l'époque où la dispute s'engagea, il fallait que ce dogme ne fût pas clairement enseigné dans l'Écriture sainte, et que par conséquent il n'intéressait pas le salut des Chrétiens […] Ceux qui s'intéressent véritablement à l'honneur du christianisme verraient avec anxiété recommencer un procès qui a causé dans l'Église plus de scandale que d'instruction. »
— Extrait de Bernard Reymond,La théologie libérale dans le protestantisme de Suisse romande - Évangile et Liberté, revue encopyleft.
« Pasteur et professeur genevois, il reste attaché toute sa vie à l'idée que les textes bibliques étaient dotés d'un caractère plus ou moins surnaturel. Ainsi n'a-t-il pas compris, dès 1850, combien la liberté protestante d'examen devait aussi s'appliquer à l'étude historique de ces textes. […] Sa liberté d'examen, en d'autres termes, s'est appliquée aux doctrines et à de nombreux aspects de la tradition chrétienne, mais elle n'a jamais porté sur les textes bibliques eux-mêmes. L'un de ses arguments favoris a au contraire été d'opposer des arguments d'origine biblique aux doctrines qu'il jugeait nécessaire d'abandonner. Mais cette attitude n'avait rien de rétrograde dans la première moitié du siècle dernier ; elle était même fort répandue parmi les libéraux francophones du moment. »
six Essais théologiques (1831) : le premier de ces Essais s'en prenait au « système théologique de la trinité ». Le quatrième portait l'un sur la notion derédemption, ce qui était l'occasion de remettre en cause le dogme de la divinité de Jésus.
Un tournant capital de la christologie est dû au philosophe protestantHermann Samuel Reimarus (1694-1768), qui marque le début de l'exégèse historico-critique avec sesFragments de Wolfbuttel[52].
Selon son analyse, deux représentations de Jésus sont visibles dans leNouveau Testament. Reimarus observe que le Nouveau Testament développe deux systèmes. D'une part, lesévangiles synoptiques montrent un Jésus prophète, maître de morale, référent spirituel. D'autre part,Paul etJean parlent d'un Fils de Dieu qui est descendu du ciel, qui a souffert, qui est mort et ressuscité puis monté aux cieux.
Reimarus ne retient que le premier système, jugeant que le second est aberrant. Il ne se pose plus la question de savoir si ces écrits avaient vocation à se trouver réunis et à être lus comme se complétant les uns les autres.
Par « christologie contemporaines », on entend les christologies issues de l'exégèse historique et critique telle qu'elle se développe auXIXe siècle.
Parmi les courants qui poursuivent de nos jours cette exploration, on peut citer une école pluridisciplinaire et interreligieuse caractérisée par le nom du colloque qui l'a rassemblée :The ways that never part, représentée parDaniel Boyarin,Paula Fredriksen et dont on trouve l'écho dans certains travaux de l'École biblique de Jérusalem, en particulierÉtienne Nodet quand il revisite l'hypothèse de Griesbach ou deMarie-Émile Boismard dans son ouvrageÀ l'aube du christianisme, avant la naissance des dogmes, celui-ci s'appuyant sur la théorie des deux sources. Parmi les questions formulées : se pourrait-il que le judaïsme duIer siècle ait connu des courants moins absolumentmonothéistes qu'on ne se le représente aujourd'hui ? Ce débat affecte la façon dont Paul est considéré, soit comme apôtre, soit comme apostat. La méthode interroge textes et témoignages littéraires ou archéologiques pour savoir si des occasions de rapprochement de l'humain et d'attributs divins étaient possibles à cette époque en sorte de participer à la création de la « christologie haute ».
Voir aussi, sur les questions relatives à la nécessité d'une structure ecclésiale exerçant un pourvoir dogmatique, la correspondance de 1928 deErik Peterson avec Harnack qui mèneront Peterson au catholicisme.
Hans Urs von Balthasar,La gloire et la croix. Aspects esthétiques de la Révélation, 1961–1969,La dramatique divine, 1973–1983.
Joseph Ratzinger (Benoît XVI),Foi chrétienne hier et aujourd'hui, 1976,Jésus de Nazareth, 2007. Dans son livre très personnelJésus de Nazareth, Benoît XVI (qui n’y parle pas comme pape) propose une sorte de « méditation » théologique. Le livre met notamment en valeur la relation de Jésus avec son Père, relation d’intimité sans laquelle sa figure est incompréhensible.
Rudolph Bultmann. La christologie de Rudolph Bultmann prend ses distances avec la christologie chalcédonnienne ; elle est le pont entre les théologies néo-chalcédoniennes (comme celle deKarl Barth) et les christologies post-chalcédoniennes.Jésus (1926)Jésus, mythologie et démythologisation (1968)[54].
Karl Barth :Kirchliche Dogmatik (1932-1967), traduite en français sous le titreDogmatique de l'Église (1953-1972). L'une des plus importantes et des plus volumineuses œuvres théologiques duXXe siècle.
Paul Tillich. Son concept clé : « Jésus que beaucoup nomment le Christ ». Dans le recueil de conférences prononcées dans les années 1950-1955,Dieu au-delà de Dieu, Tillich l'emploie comme pour contester que, par l'effet magique d'un tiret, Christ puisse devenir la partie d'un prénom composé, c’est-à-dire l'élément d'une identité. Pour Tillich, comme pour l'ensemble desthéologiens du Process, être Christ est une fonction, non une identité, encore moins unenature non plus qu'unesubstance au sens où l'entendait le néo-platonisme issu de la fusion dustoïcisme et duplatonisme.
Jésus ou le Christ a un rôle dans d'autres religions que le christianisme. En dehors de l'Europe, avec l'expansion du christianisme, souvent à l'occasion de conquêtes coloniales, les peuples autochtones se sont approprié la théologie en construisant des christologies autonomes.
↑Ce concile précède Nicée et Nicée cherche à contrecarrer ce concile qui validé l'orthodoxie d'Arius. Richard E. Rubenstein,Le Jour où Jésus devint Dieu, éd. La Découverte, 2004,p. 82
↑a etbEn particulier l'école anglo-saxonne, telle que réunie au colloque Oxford Princeton ;The ways that never share considère que le christianisme ne commence qu'avec la dogmatisation duIVe siècle
↑a etbÀ l'inverse, les chercheurs biblistes contemporains les regardent comme des textes indépendants. Voir par exemple le travail d'Adrian Schenker o.p. et alii, portant sur l'Ancien Testament dansL'Enfance de la Bible hébraïque,Labor et Fides.
↑Pour un survol, cf. articleherem ; pour un approfondissement, cf.Jacob Neusner,Le judaïsme à l'aube du christianisme, Cerf, Paris 1986 et plus récentDan Jaffé,Le Judaïsme et l’avènement du christianisme, éd. Cerf, 2005
↑qui n'a rien à voir avec le « démon » mais caractérise un être spirituel, souvent familier, aussi bien chezSocrate que chezPaul de Tarse. Cf articleChristologie de Paul, quand l'apôtre parle de sondaimon qui figure l'esprit quand il l'inspire comme l'établitMarie-Emile Boismard
↑Pierre Hadot développe la même idée à propos des écoles philosophiques grecques tardives dansQuest-ce que la philosophie antique ? Folio Essais et l'on a vu plus haut l'importance qu'elles eurent dans le développement de la christologie
↑Cf. l'articleprofession de foi établit la différence entre « profession » de foi et « confession » de foi
↑voir l'étymologie du grecἄγγελος (aggelos), « messager » que leNouveau Testament rend par « ange »
↑Si l'on considère les évangiles synoptiques, antérieurs à celui de Jean, le baptême se caractérise par une descente dans l'eau du Jourdain, à l'imitation de la pratique de Jean le Baptiste. L'évangile selon Jean ne contiennent pas cet épisode, en sorte qu'on parle de « baptême par l'Esprit ».
↑vocable de création récente. Hervé Savon, professeur honoraire à l’université libre de Bruxelles et éditeur à l'institut des sources chrétiennes, le fait remonter auIIe siècle de l'ère commune.
↑Deux ouvrages en français exposent ces difficultés. Pour un tour d'horizon succinct, on consulteraFrédéric Lenoir,Comment Jésus est devenu Dieu, Fayard, 2010. On trouvera une analyse plus détaillée chez Richard E. Rubenstein,Le jour où Jésus devint Dieu, La Découverte, première édition 2000.
↑Alan F. Segal, Two Powers in Heaven: Early Rabbinic Reports About Christianity and Gnosticism,en ligne ici
↑André Trocmé,L'Enfance du christianisme, éd. Noésis, 1997
↑Paul Veyne,Quand notre monde est devenu chrétien, éd. Albin Michel, 2007,p. 141
↑Marie-Émile Boismard,À l'aube du christianisme, avant la naissance des dogmes, éd. Cerf, 1998
↑Paul Veyne,Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Paris, Albin Michel, 2007,
↑Richard E. RUBENSTEIN,Le jour où Jésus devint Dieu, l'« affaire Arius » ou la grande querelle sur la divinité du Christ au dernier siècle de l'Empire romain
↑a etbOHLIG, Karl-Heinz (dir),Christologie (2 tomes). Tome 1 :Des origines à l'Antiquité tardive, textes en main, Cerf;
↑cf. Marie-Émile Boismard cité par Blaise Bayili,L'inculturation, chemin d'unité et dialogue de résurrection, éd. l'Harmattan, 2008,p. 61-62,extrait en ligne
↑Marie-Émile Boismard,A l'aube du Christianisme : avant la naissance des dogmes, éd. Cerf, 1998 ; voir aussi interview dansLe Monde de la Bibleno 107, juillet-août 1997
Karl-Heinz Ohlig (dir),Christologie. Tome 1 : Des origines à l'Antiquité tardive(ISBN978-2204052078). Tome 2 : Du Moyen Âge à l'époque contemporaine. 2 vol(ISBN978-2204052405)., collection « Textes en main », Cerf, Paris, 1996
Rudolf Bultmann,Jésus, mythologie et démythologisation, 1978 (première traduction française parAndré Malet de SonJesus dont la première édition eut lieu à Berlin en 1926)
John Paul Meier,Un certain Juif, Jésus. Les données de l’histoire. T. I.,Les Sources, les origines, les dates ; t. II,La Parole et les gestes ; t.III,Attachements, affrontements, ruptures, Cerf, 2004–2005
Giovanni Sala,La Cristologia nella Religione nei limiti della semplice ragione di Kant, Milan, inRivista di Filosofia Neo-Scolastica, 96 (2004, 2-3,p. 235-305.