Salle d'opération en bloc opératoire. Préparation du patient (1978).
Lachirurgie (du grec χειρουργία /kheirourgía, formé à partir de χείρ /kheír, signifiant « main », et de ἔργον /érgon, « travail ») est la partie de la thérapeutique qui implique des opérations internes ou des manœuvres externes[1] sur lestissus, notamment parincision etsuture. Un chirurgien est unprofessionnel de la santé habilité à pratiquer la chirurgie (médecin spécialiste,chirurgien-dentiste,vétérinaire). Un acte médical pratiqué par un chirurgien est uneopération chirurgicale.
Étymologiquement, la chirurgie est pratiquée par les chirurgiens et peut être définie par la pratique du soin par l'usage desmains. Cette pratique existe depuis laPréhistoire avec la pratique de latrépanation, et a considérablement évolué au fil du temps.
En Occident, après la grande tradition médico-chirurgicale de l'Antiquité, et au début du Moyen-Âge, les chirurgiens ont été relégués dans une caste inférieure parmi les soignants. Ils ont été exclus des études médicales universitaires pendant plusieurs siècles. Ce n'est véritablement qu'auXIXe siècle que les grandsprogrès arrivent en fonction du besoin sanitaire, du type deblessure et du contexte politique, religieux et technologique.
Jeton de la corporation des chirurgiens et barbiers de la ville de Paris (1682).Hieronymus Fabricius,Operationes chirurgicae, 1685
En Occident, auMoyen Âge, les médecins, comme tous les membres des universités, sont desclercs et non des laïcs. Certains occupent même de hautes fonctions ecclésiastiques. De plus, ils ne peuvent exercer la chirurgie car« Ecclesia abhorret a sanguine » (enfrançais :« L'Église a horreur du sang »). Il y a beaucoup de données contradictoires sur cette célèbre maxime. Selon une historiographie moderne, la phrase suivante ne se retrouve dans aucun acte officiel de l'Église. On ne la trouve que chez François Quesnay, historien de la Faculté de chirurgie de Paris, qui en 1774 cite un passage desRecherches de la France d'Étienne Pasquier (et comme l'église n'abhorre rien tant que le sang) et le traduit en Latin. Il semble n'y avoir aucune source antérieure de cette phrase. Et enfin, un médecin n'a pas le droit d'exercer une profession manuelle pour en tirer profit. Pour cette raison, les actes chirurgicaux leur sont aussi interdits.
Ceux-ci sont donc assurés par lesbarbiers, qui en plus des coupes de cheveux, des bains et des étuves, traitent les plaies, incisent lesabcès, pratiquent lessaignées… après diagnostic d'un médecin. La pose de ventouses est du ressort de la matrone et celle duclystère de l'apothicaire.
Vers 1268,Jean Pitard, un barbier renommé, obtient du prévôt deParis,Étienne Boileau, l'autorisation de former une corporation indépendante, sous la direction de six jurés, afin de faire passer des examens à tout barbier désireux de pratiquer la « cyrurgie » (voir leLivre des métiers)[2].
À partir de ce moment, les chirurgiens obtiennent même qu'on leur livre lescadavres nécessaires à leurs études sans devoir en réclamer à la Faculté de Médecine. Malgré cela, leur nombre est insuffisant et certains sont volés dans les cimetières ou achetés directement auxbourreaux, ce qui provoque de nouvelles batailles avec la Faculté de Médecine, qui n'hésite pas à faire intervenir des huissiers pour récupérer les corps.
LorsqueMarie-Thérèse d'Autriche, l'épouse deLouis XIV, a un abcès à l'aisselle,D'Aquin, médecin du roi, s'oppose à ce queDionis, le chirurgien, pratique une incision, ce qui aurait empêché l'abcès de s'ouvrir dans la poitrine. La reine en meurt.
PuisLouis XIV est atteint d'unefistule anale en 1686, et les tentatives médicales ne donnent aucun résultat. Il fait alors appel à son chirurgien,Charles-Louis Félix de Tassy, qui le guérit, ce qui redonne un crédit aux chirurgiens par rapport aux médecins[4].
À laRévolution, la différence entre chirurgien et médecin est abolie. Il n'y a plus qu'un enseignement unique comprenant la médecine, la chirurgie et lesaccouchements.
La chirurgie moderne a moins de deux siècles d'existence. Classiquement, on attribuait l'essor de la chirurgie moderne à une « révolution chirurgicale des trois A »[5] :
Cette approche historique donne à voir un progrès technique quasi automatique, basé sur des actes de grands hommes à des moments clés. Des historiens modernes nuancent cette vision simpliste pour montrer que la chirurgie moderne n'est pas seulement une histoire technique, mais aussi une histoire sociale dans le contexte plus général des sociétés modernes etindustrialisées[7].
Cette reconnaissance politique et savante fait du chirurgien, ancien « artisan » médiéval, un notable élevé au rang degentleman en Angleterre ou du bourgeois en France[9]. Les chirurgiens sont dotés d'un plus grand prestige, intellectuel, social et économique, à l'exemple deWilliam Cheselden (1688-1752) en Angleterre ou deLa Peyronie (1678-1747) en France[8].
L'aspect savant de la profession (connaissances anatomiques) permet aux chirurgiens desLumières de s'approprier les techniques opératoires (« tours de mains» et instruments) des opérateurs empiriques des campagnes, pour les améliorer[9]. La chirurgie est en phase avec l'anatomie pathologique qui se situe dans une conception « localiste » de la maladie, au contraire de lapathologie humorale bientôt abandonnée[6].
Pince porte aiguilles à gauche, et pince hémostatique à droite.Prise en main d'une pince hémostatique.
Après laRenaissance, les chirurgiens utilisent nombre d'instruments de leur invention, mais le plus souvent inspirés d'autres métiers artisanaux (aiguille à coudre,scie à chaîne,trépan à manivelle,tourniquet à vis, pince àbec de corbin…), de même les appareilsorthopédiques s'inspiraient de la technique desarmures[12]. Ces artisans, par goût artistique, donnaient à ces instruments des formes décoratives baroques. Durant lesLumières, les chirurgiens préfèrent des instruments de forme épurée, réduite à leur fonctionnalité[12].
L'utilisation plus précise d'outils sur le corps vivant implique un meilleur contrôle manuel. Par exemple, leXIXe siècle voit l'apparition de lapincehémostatique qui s'ouvre et se referme avec une seule main. En multipliant les pinces fermées laissées dans la plaie opératoire, il est plus facile de contrôler les saignements en cours d'opération. Les chirurgiens résolvent ainsi le problème de l'hémorragie en étant dotés « de mains supplémentaires ». La pince hémostatique se propage rapidement avec des innovations telles que la pince dePéan (1830-1898) pour lachirurgie abdominale, la pince moustique d'Halsted (1852-1922) pour la chirurgie intracrânienne, ou lapince de Kocher (1841-1917) pour latraumatologie[14].
Cette technologie, apparemment simple, est aussi importante que l'anesthésie et l'aseptie-stérilisation qui apparaissent toutes comme interdépendantes. Chacune n'aurait présenté que peu d'avantages sans la résolution des autres éléments du triple problème de la chirurgie : douleur, hémorragie, infection[14].
Pour le chirurgien écossaisWilliam Hunter (1718-1783) : « L'anatomie est la base de la chirurgie, elle informe la tête, guide la main, et habitue le cœur à une sorte d'inhumanité nécessaire[18]. » Avant l'èreanesthésique, la chirurgie nécessitait des vertus « viriles » de force et d'adresse, rapidité et sang-froid, avec fermeté de l'âme rendue insensible à la vue du sang et aux cris de l'opéré. Violentes et douloureuses, les interventions provoquaient souvent unétat de choc avecperte de conscience, le chirurgien en profitant pour opérer plus hardiment[16].
Avec ladécouverte des microbes, le contrôle aseptique du champ opératoire (stérilisation du matériel et des instruments) devient crucial, il s'étend aux chirurgiens eux-mêmes (port de gants, puis de blouse et de masque). Il a fallu plusieurs décennies pour que lesgants soient généralement acceptés par les chirurgiens, car le port des premiers gants diminue la dextérité manuelle et le sens du toucher. Le gant en caoutchouc finit par s'imposer, avec l'arrivée d'une nouvelle génération de jeunes chirurgiens formés avec ces nouveaux accessoires[19].
La chirurgie aseptique est liée à une science de laboratoire, labactériologie. Dans ce contexte, l'intervention chirurgicale est équivalente à une expérience bactériologique. Le contrôle strict de tout mouvement corporel dans l'espace chirurgical est de même type que le comportement en laboratoire. Les chirurgiens mettent sur pied leur propre laboratoire de bactériologique, pour tester et développer des mesures aseptiques à petite échelle avant de les appliquer en salle dédiée, la salle d'opération[19].
Une évolution s'est également produite avec l'introduction, au milieu des années 1990, de larécupération rapide après chirurgie (RRAC) qui accélère la récupération du patient et réduit le nombre de complications post opératoires.
Chirurgien s'apprêtant à poser unby-pass avec l'aide d'un robotDa-Vinci 2004Opération chirurgicale stomacalelaparoscopique (2005).Interventions de chirurgie esthétique dans le monde en 2011 (nombre de personnes opérées sur mille, ici de 0 à 14). Les différentes nuances représentent de gauche à droite : peau et cheveux, seins, visage, liposuccion, reste du corps.
Elle est pratiquée par le médecin spécialiste en chirurgie plastique, esthétique et reconstructrice.
La chirurgie générale.
Par ailleurs :
lamicrochirurgie nécessite unmicroscope opératoire pour effectuer des interventions de précision ;
lachirurgie cœlioscopique nécessite l'introduction d'un tube muni d'unecaméra et d'un éclairage, ainsi que de plusieurs instruments à travers de petites incisions cutanées, permettant une intervention avec vision indirecte du champ opératoire et sans nécessité d'une grande incision ;
lachirurgie ambulatoire désigne des opérations avec une durée d'hospitalisation de moins d'une journée ;
la chirurgie vétérinaire correspond à l'ensemble des thérapeutiques chirurgicales pratiquées par levétérinaire sur l'animal.
Manuel traitant de133 procédures chirurgicales essentielles chez l'enfant.Check-list pour distinguer la chirurgie essentielle (prioritaire) de la chirurgie non-essentielle lors de lapandémie de Covid-19 (Ohio, USA).
elle s'applique aux affections principalement ou largement traitées par des procédures chirurgicales ;
ces affections constituent un lourd fardeau de santé publique ;
les procédures chirurgicales sont efficaces, d'un bonrapport coût-efficacité, et de promotion mondiale faisable.
Dans les années 2010, environ deux milliards de personnes n’ont pas accès à ces soins chirurgicaux d’urgence et essentiels. La plupart des besoins concernent les populations rurales et marginalisées vivant dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Le tiers le plus pauvre de la population mondiale ne bénéficie que de 3,5 % de toutes les interventions chirurgicales[23].
Le manque de soins chirurgicaux a de lourdes conséquences humaines et économiques : complications aiguës potentiellement mortelles, handicaps chroniques qui rendent impossible un emploi productif et imposent un fardeau aux membres de la famille et à la société. L’incapacité à apprécier le rôle de la chirurgie dans la résolution d’importants problèmes de santé publique est la principale cause des disparités en matière de soins chirurgicaux dans le monde[23].
La liste de ces affections prioritaires peut varier selon lespays en développement (à bas et moyen revenu), mais la plupart des procédures chirurgicales dédiées sont réalisables dans des hôpitaux de base de premier niveau, disposant de 50 à200 lits pour une population de 50 000 à 200 000 personnes. Certaines opérations, comme celle de la cataracte, peuvent nécessiter des installations spécialisées. Dans tous les cas, les soins chirurgicaux doivent comporter une consultation pré-opératoire (incluant la décision d'opérer), uneanesthésie sûre, et des soins post-opératoires[22].
La qualité des soins chirurgicaux est tragiquement inégale dans le monde. Par exemple, pour l'opération de lacésarienne, le taux de mortalité enSuède est de0,04 décès pour mille, 2 à4 fois plus enAmérique latine, 6à 10 fois plus enAsie du Sud, et100 fois plus enAfrique sub-saharienne. Dans les pays les plus développés, la mortalité par anesthésie a baissé de357 morts par million d'interventions avant 1970 à 25 dans les années 1990-2000, alors que dans les pays les moins développés, cette mortalité est estimée à 141 par million d'anesthésies dans les années 2000[22].