L'archiduc avec ses parents et son frère cadet (vers 1897).
Charles d'Autriche est né le auchâteau de Persenbeug en Basse-Autriche. Il est alors le petit-neveu de l'empereur d'Autriche régnant François-Joseph[1].Comme tout membre de la Maison Impériale et Royale, l'archiduc — que ses camarades de classe surnomment affectueusement l'« archi-Charles » — reçoit une éducation soignée, maîtrisant plusieurs langues, notamment l'allemand, lefrançais, letchèque et lehongrois, puis, à partir de ses 13 ans, il reçoit une solide formation juridique et économique. Son père meurt en 1906. L'archiduc, âgé de 19 ans, devient le second dans la ligne de succession au trône, appelé à succéder à son oncle l'archiduc François-Ferdinand dont il est également intégré au cercle et qui se charge de lui transmettre sa vision de la double monarchie, unitaire, directement ou par l'intermédiaire de ses proches[2]. Le jeune archiduc veille avec une tendresse d'aîné sur son frèreMaximilien, de huit ans son cadet.
Il devient selon la tradition familiale officier dans l'armée austro-hongroise. Cantonné avec son unité àPrague, il y suit les cours d'enseignants de l'université, tandis qu'il noue de solides amitiés avec des nobles tchèques proches de François-Ferdinand, son oncle[2].
L'archiduc François-Ferdinand ayant contracté en 1900 une union morganatique, ce qui compliquait sérieusement la vie de la cour et de la famille impériale et royale et contrariait le vieil empereur, les enfants de l'archiduc-héritier portaient le nom et le titre de leur mère, n'étaient pas membres de la Maison Impériale et Royale et par conséquent n'étaient pas dynastes. Aussi la question du mariage de l'archiduc Charles se posait-elle avec acuité. Le, l'archiduc épouse la princesseZita de Bourbon-Parme[1] (1892 – 1989) dix-septième enfant deRobertIer, dernierduc règnant de Parme et de l'infanteAntonia de Bragance, fille de l'ex-roiMichel Ier de Portugal. Le couple a eu huit enfants[1].
Ce mariage n'est cependant pas unmariage arrangé, tout en répondant aux exigences matrimoniales de la famille impériale, ce qui lui assure la bienveillance de l'empereur-roi[N 1],[3].
L'archiduc Charles et l'archiduchesseZita, le jour de leur mariage (21 octobre 1911).
Il bénéficie de l'affection sincère du vieil empereur François-Joseph, accablé par les deuils et les défaites. Il est également très proche de sa mère et de la troisième épouse de son grand-père, l'archiduchesseMarie-Thérèse de Bragance qui est également la tante maternelle de son épouse Zita. L'archiduchesse Zita est également une nièce de la grande-duchesse-régente de Luxembourg et une cousine utérine ou germaine de la reine des BelgesÉlisabeth en Bavière, de la princesse royale de BavièreMarie Gabrielle en Bavière, de la grande-duchesse de Luxembourg,Marie-Adélaïde de Luxembourg et du roi des BulgaresBoris III.
Dès l'année suivante, la jeune archiduchesse met au monde un fils prénommé comme son grand-père paternelOthon, troisième héritier dans l'ordre de succession. L'empereur donne comme résidence à son petit neveu leChâteau de Hetzendorf, plus proche duChâteau de Schönbrunn, où naîtra en 1914 la première fille du couple.
Petit-neveu de l'empereurFrançois-Joseph, il est à sa naissance cinquième dans l'ordre de succession au trône et a donc peu de chances de ceindre un jour la couronne.
Les morts successives de l'archiduc héritier Rodolphe en janvier 1889 sans descendance mâle puis de son grand-père l'archiducCharles-Louis, frère cadet de l'empereur, en1896 le rapprochent du trône. En1900, lemariage morganatique de son oncle, l'archiduc héritierFrançois-Ferdinand (dont les enfants sont de fait non dynastes), puis la mort prématurée de son père l'archiduc Otto en1906 font de lui, à l'âge de19 ans, le second dans la ligne de succession de ladouble monarchie, après son oncle François-Ferdinand[4]. L'assassinat de ce dernier en 1914 fait de Charles, jeune père de famille de27 ans sans réelle expérience du pouvoir - et qui pensait accéder au trône vers 1940 -, l'héritier direct de son grand-oncle l'empereur François-Joseph âgé de83 ans. Après les soucis que lui ont causés son fils et ses neveux, le souverain, qui compte66 ans de règne,est soulagé de trouver en son héritier le sens du devoir, la droiture, la grandeur d'âme et la piété qui manquaient à ses prédécesseurs[réf. nécessaire].
Il entretient de bonnes relations tant avecson grand-oncle (l'empereur-roi) qu'avecson oncle (l'archiduc héritier), entre lesquels les relations sont souvent tendues. Il devient brutalement l'héritier du trône le aprèsl'assassinat de son oncle l'archiducFrançois-Ferdinand àSarajevo.
L'archiduc-héritier et sa famille s'installent auChâteau de Schönbrunn où naîtront leurs troisième, quatrième et cinquième enfant. Durant cette période, il est affecté à l'AOK, état-major général austro-hongrois, avec le grade de colonel, afin de parfaire sa formation. Rapidement, il se heurte àFranz Conrad von Hötzendorf, chef d'état-major général, qui se méfie de ses possibles ingérences dans le domaine militaire, et dont il n'approuve pas la politique, visant à mettre l'administration civile sous la tutelle des militaires[3].
Durant cette même année, il apparaît aux yeux des responsables militaires duReich,Hindenburg etLudendorff, comme une« page blanche », qu'il serait possible de manipuler, afin de permettre la prise de contrôle définitive de l'Autriche-Hongrie par l'Allemagne, à la faveur de la situation dégradée de la double monarchie dans le conflit, sur les plans militaire, politique et économique[7].
L'empereur François-Joseph s'éteint le à l'âge de 86 ans mettant fin à un règne de 68 ans ponctué de crises et défaites. Il laisse à son petit-neveu un empire en guerre dans un contexte politique, économique et militaire très inquiétant pour la monarchie danubienne. À l'âge de29 ans, l'archiduc-héritier Charles succède à son grand-oncle. Peu connu, marié et père de quatre enfants, Charles prend les rênes du gouvernement. La poursuite de la guerre mine la cohésion intérieure de son empire et l'Allemagne renforce son emprise sur la politique et l'armée de la double monarchie[8].
Dès son avènement le, le jeune empereur reçoit la visite du président du conseil hongrois,István Tisza, qui se montre partisan d'un couronnement rapide du nouveau roi enHongrie. Charles, partisan d'une réorganisation de la monarchie, doit aussi prêter serment à la constitution de 1867, liant ainsi sa politique future aux intérêts duroyaume de Hongrie[9].
Son couronnement commeroi de Hongrie a lieu àBudapest le. Il n'a jamais été couronnéempereur d'Autriche, niroi de Bohême. Ce faisant, Charles jure de préserver l'intégrité du territoire hongrois ce qui, à terme, l'empêche de mener à bien les réformes nécessaires concernant les différentes nationalités peuplant ses États.
Conscient de la sclérose de ladouble monarchie dans les dernières années du règne deFrançois-Joseph, Charles, à peine intronisé, tente de rendre plus efficace le gouvernement de la double monarchie, mais, dans un premier temps, confirme le ministère tant enAutriche qu'enHongrie[10]. Pour mener à bien son programme, il s'entoure de personnalités proches de son oncle,François-Ferdinand, partisans d'une réforme de la monarchie avec la création d'un pôle slave au sein de la monarchie danubienne[11]. Cependant, il se montre incapable de soutenir les promoteurs de la politique qu'il souhaite voir menée dans la double monarchie, dans le conflit ou dans la recherche d'une solution pacifique[12].
D'un point de vue symbolique, il s'installe au château deLaxenburg, à 20 km deVienne[13], restreint le train de vie de la cour, se dote de moyens modernes de gouvernement : utilisateur dutéléphone et dutélégraphe, il parcourt son empire entrain afin de tisser des liens avec l'armée (qui a prêté son serment d'allégeance le 23 novembre[14]) et les populations de son empire[11]. Il multiplie les déplacements, se plaçant dans la continuité de son action comme prince héritier : il effectue ainsi, durant ses24 mois de règne,82 voyages, parcourant 80 000 km, à l'intérieur de la double monarchie et sur le front, auxquels s'ajoutent les déplacements à l'étranger, dans l'Empire allemand ou chez les alliés de ce dernier[13] ; sillonnant inlassablement son empire, l'empereur-roi transforme son train, continuellement prêt à partir, en un centre de pouvoir itinérant, accordant des audiences dans savoiture-salon, multipliant les réunions de travail avec ses conseillers[15].
L'impératrice Zita.
De plus, sous l'influence de l'impératrice, il engage des réformes sociales, ce qui lui vaut la haine — et les calomnies — des nantis ; en juin 1917, à l'occasion d'un changement de ministère en Autriche, il crée un ministère des affaires sociales et fait adopter une législation limitant le temps de travail des femmes et des enfants[16].
D'un point de vue politique, il cherche à reconstruire l'État, malmené par les contraintes du conflit[17]. Ainsi l'une de ses premières mesures doit aboutir à l'élargissement du droit de suffrage en Hongrie, s'opposant ainsi frontalement au président du conseil duroyaume de Hongrie,István Tisza, dont il obtient la démission le 23 mai 1917, au terme d'une intense lutte politique[18], mais qui mène dans les mois qui suivent une lutte sourde contre la politique des présidents du conseil qui se succèdent en Hongrie[19], puisque, homme d'État énergique, il contrôle le principal parti politique représenté auparlement de Budapest, le Parti du Travail[18]. À la fin du mois de décembre 1917, une réforme du droit de suffrage est proposée, faisant passer le corps électoral à3,8 millions de votants, soit plus du doublement du nombre d'électeurs, mais qui renforce également la prépondérance germano-hongroise ; elle est cependant repoussée par les proches de Tisza, qui contrôlent la majorité des sièges de la Chambre des représentants de Budapest[20].
Il cherche également à se rapprocher du clubyougoslave, regroupant les parlementaires autrichiens issus des populationsserbes,croates etslovènes deCisleithanie, afin de disposer d'une majorité àVienne pour faire adopter les mesures qu'il souhaite promouvoir, en échange d'une profonde réforme de la monarchie danubienne[21].
Souhaitant rompre avec l'immobilisme de la fin du règne de son prédécesseur en Autriche, il convoque leReichsrat et la chambre des seigneurs en Autriche pour le 30 mai 1917, mais devant les querelles politiques et nationales en Autriche, il doit mettre en place un ministère composé de hauts fonctionnaires, nommé le 23 juin 1917[16], comme il doit rapidement mettre fin aux mesures de libéralisation au cours du printemps 1918, en instituant à nouveau lacensure préalable[22].
De plus, Charles, héritant du personnel politique du règne précédent, opère des modifications profondes parmi les responsables chargés de la gestion de la double monarchie. En effet, souhaitant donner à la politique austro-hongroise une autre direction, il écarte les représentants du règne précédent,Ernst von Koerber,Burián,Conrad ou l'archiducFrédéric[23] ; une fois les proches de son prédécesseur écartés, il choisit ses conseillers parmi ceux de son oncleFrançois-Ferdinand, aussi bien pour la gestion de laCistleithanie et de laTransleithanie que pour les affaires communes[24].
Le transfert à Baden poursuit un double but : tout d'abord, le nouvel empereur souhaite imposer aux officiers qui composent le grand état-major de la double monarchie un changement de style de vie, la vie àTeschen apparaissant éloignée des rigueurs de la guerre ; ensuite, Baden, situé à une vingtaine de kilomètres deVienne, soustrait partiellement l'AOK de la tutelle de l'OHL, situé alors àPless, enSilésie[26].
Charles procède à une réforme de lajustice militaire, sans avoir consulté ses généraux et contre l'avis des responsables militaires allemands[27].
Son principal objectif est de trouver les voies de la paix avec lesAlliés, notamment laFrance et laRussie[28]. Avant de s'engager plus avant, il tente de fléchir son allié allemand, en lui faisant parvenir unmémorandum sur l'état réel de la double monarchie par l'envoi de missives pressantes àGuillaumeII[29]. Puis il entame une négociation secrète, par l'intermédiaire de ses beaux-frères, les princesSixte etXavier deBourbon-Parme, avec le gouvernement français, sous les auspices deJules Cambon, secrétaire général auxAffaires étrangères, d'Aristide Briand,président du Conseil et duprésident de la RépubliqueRaymond Poincaré. Au cours de cette négociation, il tente d'obtenir, en échange de la sortie de la double monarchie de laTriplice, des compensations politiques et territoriales, sous la forme de la restauration de laSerbie et duMonténégro, indépendants mais sous tutelle austro-hongroise, le Monténégro étant par ailleurs privé d'accès à la mer[30].
Le, les deux princes sont àParis où ils ne rencontrent queJules Cambon,secrétaire général du ministère des Affaires étrangères. À l'issue de cette entrevue, les deux frères résument dans une note ce qu'ils estimaient avoir ressenti comme étant le seuil en deçà duquel le gouvernement français n'entamerait aucune négociation.
Durant la guerre,l'empereur va tout faire pour épargner des vies et quelques-uns de ses officiers exposent leur désaccord avec cette politique. Ainsi, Charles ordonne de ne pas affecter aux postes dangereux les personnes dont la famille compte déjà deux morts ou les pères de plus de six enfants. L'empereur fait également tout son possible pour éviter les opérations coûteuses en vies humaines et non nécessaires[réf. nécessaire]. Il interdit également de bombarder des villes non stratégiques[31].
Le prince Sixte.
Sur la base de la note rédigée par les princes Sixte et Xavier de Bourbon-Parme, l'empereur Charles fait une proposition, par uneapostille manuscrite, ajoutée à une note officielle franchement négative du gouvernement austro-hongrois. Selon cette apostille manuscrite, l'empereur émet les propositions suivantes :
il s'appliquera à faire admettre par son allié, l'Empire allemand, que les droits légitimes de laFrance sur l'Alsace-Lorraine soient rétablis dans leur totalité ;
il s'appliquera auprès de son allié, l'Empire allemand, à ce que laBelgique soit rétablie dans sa souveraineté intégrale, y compris dansses colonies ;
la monarchie austro-hongroise doit être maintenue dans le respect dustatu quo de ses frontières ;
On ne peut dire que ces propositions répondent aux attentes du gouvernement français car elles ne correspondent en fait qu'à une « vue » du prince Sixte de Bourbon-Parme. Ces propositions sont en particulier nettement en retrait par rapport à la note formulée quelques jours auparavant par le gouvernement français () à l'intention duprésident des États-UnisWilson.
Les négociations, commencées sous les auspices d'Aristide Briand, se poursuivent avecAlexandre Ribot, nouveauprésident du Conseil, à la suite du renversement ducabinet Briand. Ribot ne croit cependant pas à la sincérité des propositions de l'empereur et pense que des engagements qui ne prennent que la forme d'apostilles manuscrites ne peuvent être pris au sérieux. En outre, désireux de respecter les propositions françaises de paix telles qu'elles avaient été formulées le — en particulier les engagements desAlliés envers l'Italie, que le point trois de la contre-proposition ne pouvait pas satisfaire — il fait en définitive répondre qu'il est hostile à la poursuite des entretiens hors d'une concertation préalable avec l'Italie.
Les dirigeants britanniques, sollicités également par les princes de Bourbon-Parme, répondent qu'ils comprennent l'attitude française ainsi que l'intransigeance italienne.
Lecomte Czernin contribue à faire échouer la négociation.
Cette négociation se termine par un scandale énorme au printemps1918, à la suite des rodomontades du comteOttokar Czernin, ministre des Affaires étrangères de l'Autriche-Hongrie, devant le conseil municipal deVienne : le comte Czernin affirme devant cette assemblée que le président du Conseil françaisGeorges Clemenceau s'est résigné à faire à l'Autriche-Hongrie des offres de négociations à la suite des succès des offensives allemandes.
Face à cette déclaration, le sang du « Tigre » ne fait qu'un tour :« Le comte Czernin a menti », tonne-t-il, et, à l'appui de cette colère, il fait publier une copie de la lettre autographe secrète du où l'empereur annonçait que« si l'Allemagne refusait d'entrer dans la voie de la raison, il se verrait contraint d'abandonner son alliance pour faire une paix séparée avec l'Entente »[32].
Cette déclaration met l'empereur Charles dans une position intenable face à son allié allemand qui l'accuse de trahison, alors que Charles avait pris la précaution d'informer l'empereurGuillaumeII qu'il avait engagé des pourparlers de paix, sans toutefois en révéler le contenu exact. L'état-major allemand met en place un plan d'invasion de l'Autriche et d'internement de son souverain. Il ne peut toutefois le mettre à exécution.
Ayant à faire face au problème des nationalités et en réponse aux propositions du président américain Wilson, notamment au quatorzième point sur le « Droit des Peuples à disposer d'eux-mêmes », Charles propose, en, lafédéralisation de l'Empire.
La résistance du gouvernement hongrois, présidé par le comteIstván Tisza, à toute modification constitutionnelle ducompromis imposée par la fédéralisation ne permet pas de réaliser ce programme en temps utile. Dans la proclamation « À mes peuples » en, Charles l'impose ; laHongrie proclameipso facto la fin de l'Autriche-Hongrie, en faisant sécession.
Au fil de l'année 1917, Charles, souhaitant sauver son empire[33], tente de prendre ses distances à l'égard de l'Empire allemand, non seulement en menant des négociations de paix informelles avec les Alliés, mais aussi en mettant en place une politique autonome dans le conflit, s'opposant notamment à un certain nombre de mesures décidées par son allié.
Dès la déclaration de guerre, il affirme son souhait de ne pas faire dépendre la double monarchie de la seule alliance avec l'Empire allemand, conscient que celui-ci pourrait faire de la double monarchie une« grande Bavière »[N 2],[34].
Dès les premiers jours de son règne, il marque ses distances à l'égard de la politique de son prédécesseur, alignée sur son allié allemand. Ainsi, il se désintéresse rapidement, dans un premier temps, à la dévolution de la Pologne à la double monarchie ou à la recréation d'unroyaume de Pologne au profit d'un prince de lamaison de Habsbourg-Lorraine. Dans un second temps, il modifie son point de vue, mais ce changement ne suscite aucune réaction du Reich, ayant alors, au printemps 1918, écarté cette option[35].
Dès, conscient des implications du déclenchement de laguerre sous-marine à outrance, il s'oppose, contre l'avis de ses conseillers militaires, mais avec le soutien de son ministre des Affaires étrangères,Ottokar Czernin[36], au déclenchement de la guerre sous-marine, décidée sans l'Autriche-Hongrie, àBerlin[37].
Au cours des négociations lancées à la suite de larévolution d'Octobre, avec laRussie, l'Ukraine et laRoumanie, les diplomates envoyés par l'empereur Charles tentent d'appliquer les consignes de ce dernier, parfois contre les intérêts allemands. Ainsi, la paix avec l'Ukraine est rapidement signée sous la pression insistante de l'empereur intéressé par le ravitaillement de sa population[38] ; quelques semaines plus tard, l'avancée des troupes austro-allemandes en Ukraine se fait dans un contexte de rivalités entre les deux partenaires autour des stocks de nourriture, aboutissant au partage de l'Ukraine en deux zones d'occupation de taille et de poids économique inégaux : l'Autriche-Hongrie occupe laPodolie, l'Empire allemand tout le reste[39]. Lapaix avec la Roumanie est négociée dans un premier temps à la suite d'une demande expresse de Charles de réduire l'occupation de ce pays à une durée minimale[40], de permettre au petit royaume vaincu de s'unir à larépublique démocratique moldave[41], d'y intervenir militairement contre les bolcheviks[39] et de conserver une certaine latitude économique même si le pays est placé sous occupation austro-allemande et sous tutelle économique allemande[42].
Cependant, l'évolution des rapports de force au sein de laTriplice diminue considérablement les velléités d'autonomie de la double monarchie et de son empereur à l'égard de son allié allemand. En effet, incapable de remporter le conflit sans le soutien du Reich, l'Autriche-Hongrie doit régulièrement en appeler au soutien de vastes unités allemandes, utilisées soit comme force principale, soit comme force d'appoint, pour mener des offensives contre la Roumanie en 1916, puis contre l'Italie en 1917, ou encore résister à la dernière offensive russe en 1917[43]. Cette situation place les militaires austro-hongrois dans une situation de dépendance à laquelle l'empereur tente de remédier par une négociation de plus en plus ardue avec un partenaire allemand toujours plus exigeant, portant sur des compensations de plus en plus illusoires (comme l’élection d'un Habsbourg-Lorraine sur le trône d'unroyaume de Pologne totalement inféodé au Reich[44]). Cependant cela oblige le Reich à ménager son allié qui, à partir du printemps 1917, songe déjà à sortir du conflit[45] comme en témoigne le mémorandum de Czernin remis à Guillaume II par Charles, empereur-roi d'un État épuisé en cours de vassalisation, incapable de peser sur son allié allemand[46].
Même si les dirigeants de la double monarchie tentent de mener une politique indépendante, Charles, ses conseillers et ses ministres doivent composer avec une vassalisation croissante de l'Autriche-Hongrie par le Reich, achevée à larencontre de Spa du mois de mai 1918, sanctionnée par l'accord du 12 mai[47]. Lors de cette rencontre, initialement souhaitée par le souverain Habsbourg pour clarifier le détail dupartage politique et économique de la Roumanie[48], celui-ci, désavoué par les archiducs autrichiens, menacé d'être déposé, doit accepter non seulement une alliance militaire, offensive et défensive, avec le Reich[47], mais aussi, dans le cadre d'un« Zollverein austro-allemand »[49], la mise en place progressive d'une union douanière germano-austro-hongroise[50], malgré les réserves de l'empereur-roi et de ses conseillers[51].
Lors des rencontres avec les Allemands, Charles se voit systématiquement malmené par ses partenaires qui, malgré le respect formel de l'égalité entre alliés, lui imposent les points de vue politiques et économiques du Reich[50], qui mène ses politiques sans même en informer les Austro-Hongrois. ÀSpa, en, lors de ladernière rencontre entre les principaux dirigeants allemands et austro-hongrois, dans un contexte de défaites militaires, Charles expose une dernière fois les buts de guerre austro-hongrois, notamment enPologne[52], alors que ses interlocuteurs allemands souhaitent seulement gagner du temps afin de négocier sans lui la sortie du conflit dans des conditions qu'ils espèrent moins défavorables pour eux-mêmes[53].
En, la défaite lors de ladernière offensive face à l'Italie sonne le glas de la double monarchie épuisée. En effet, l'armée ne peut plus être ravitaillée, la défaite entraîne une crise morale, et le discrédit des militaires vise également l'empereur, trop proche de son chef d'état-major responsable de l'échec[54]. Dans le domaine politique, cette défaite plonge laCisleithanie dans une crise politique dont elle ne sort plus, le parlement exigeant des explications à propos de l'échec de l'offensive, tandis que le gouvernement de Budapest doit affronter une opposition parlementaire sans cesse renforcée[55].
Informé de ladéfaite allemande du mois de, alors que l'armée commune vient d'essuyer un grave échec enItalie[56], il tente de s'opposer à la défaite par des réformes de la monarchie, mais il est rapidement débordé par les Alliés, qui reconnaissent le comité tchécoslovaque[57].
Dans le même temps, le jeune empereur-roi tente de négocier les conditions de la pérennité de son Empire avec les représentants des différents peuples qui le constituent, contre l'avis des représentants allemands et hongrois, notammentBurián etWekerle[60], qui obtiennent que les peuples duroyaume de Hongrie soient exclus de la proclamation d'autonomie signée par l'empereur-roi du16octobre[61]. Ainsi, le27septembre, après avoir dévoilé son souhait de transformer son Empire en une fédération, Charles tente de mettre en œuvre ses réformes, mais se heurte à l'opposition hongroise, menée parTisza, soutenu par Wekerle, président du Conseil du royaume de Budapest[62]. Le17octobre, cependant, tentant de se concilier lesÉtats-Unis[63], il publie un manifeste transformant l'empire d'Autriche en unefédération, alors que les dernières propositions de paix de l'empereur-roi sont définitivement écartées le[64]. L'empereur-roi commet, avec la publication de ce texte, une erreur, puisque cette publication accélère le processus de dissolution de la monarchie danubienne, par les équivoques qu'elle contient : Charles souhaite réformer la monarchie une fois la paix revenue, les représentants des nationalités multiplient les actes préludant à l'éclatement de la double monarchie face auxquels l'empereur-roi est totalement désarmé[65].
Rapidement, il comprend que les réformes qu'il propose sont dépassées par les revendicationsséparatistes des représentants des différentes nationalités[66], mais, au cours de la dernière semaine du mois d'octobre, Charles continue de s'activer pour le maintien de son Empire, négociant avec les Hongrois et les Allemands, tandis qu'il continue d'exercer ses fonctions de chef d'État, inaugurant l'université de Debrecen le 23octobre, ou demandant un armistice unilatéral le28octobre 1918[67].
Les négociations avec les Hongrois, au milieu des hésitations du roi, aboutissent à la mise à l'écart de ce dernier et à sa renonciation au trône de Saint-Étienne, malgré les préparatifs des commandants de troupes en vue du rétablissement du pouvoir du roi[68]. Cependant ses initiatives, que ce soit enHongrie ou enCroatie, sont accueillies avec indifférence par les représentants des royaumes de Croatie-Slavonie, dont les représentants se sont érigés en conseil national durant les derniers jours d'octobre[69], tandis que les représentantsslovènes, jusqu'alors indéfectibles soutiens de la monarchie danubienne, ne peuvent que lui signifier la vanité de ses tentatives pour sauver la double monarchie[70].
Face à ladéfaite bulgare et ladéroute face à l'Italie, il ne peut cependant qu'accélérer la fin de la participation de la double monarchie au conflit et présider à la dissolution de son Empire, en relevant l'armée de son serment de fidélité[71] le 31octobre 1918[72], reconnaissant aux peuples de l'Empire engagé dans un processus de dissolution le droit à la libre disposition de leur destinée[73], ou tentant, sans succès, de négocier les clauses de l'armistice avec les Alliés[74].
Dans le même temps, il tente d'associer les conseils nationaux à la négociation de l'armistice de Villa Giusti, mais leconseil national allemand rappelle au monarque les conditions dans lesquelles la double monarchie est entrée dans le conflit, sans consultation des chambres, ni enAutriche, ni enHongrie, signifiant ainsi son refus d'être associé à la négociation[75]. Dans la nuit du 2 au 3novembre, l'empereur-roi autorise son négociateur à signer le texte de l'armistice imposé par les Alliés[75].
EnCisleithanie, l'empereur se voit, durant les derniers jours d'octobre 1918, privé de la moindre parcelle d'autorité par le développement des événements, le gouvernement de laCisleithanie apparaissant alors comme un« théâtre d'ombres », destiné à liquider l'empire d'Autriche[76].
Face à la dissolution de son Empire, Charles ne peut que constater la nullité de son autorité dans les premiers jours de novembre 1918.
EnHongrie, sa politique hésitante, soufflant le chaud et le froid, appelantKárolyi, puis ne le nommant pas, accélère la rupture entre la dynastie et lesHongrois, le gouvernement Károlyi nommé le comportant un ministère des Affaires étrangères ; après sa prestation de serment, le nouveau président du conseil reconnaît le roi dans le cadre d'une union personnelle avec l'empire d'Autriche[77].
Tandis que les monarchies allemandes s'effondrent et que la République est proclamée à Berlin le, l'empereur allemandGuillaumeII, depuis lesPays-Bas où il s'est réfugié, signe sonabdication. De même, les autres souverains allemands abdiquent et s'enfuient.
L'empereur-roi Charles, lâché par le commandement militaire et les autorités civiles, signe sa renonciation au trône (plus précisément « sa renonciation à participer au gouvernement autrichien ») dans une déclaration rédigée où il reconnaît au peuple autrichien le droit à disposer de lui-même au sein d'un État autrichien libre[78]. Son acte de « renonciation » (le terme « abdication » n'ayant jamais été formulé) est signé dans le salon chinois bleu duchâteau de Schönbrunn, à midi le[79], le même jour que l'armistice et la fin de laPremière Guerre mondiale[80].
Le, larépublique d'Autriche allemande est proclamée après que Charles eut accepté de soumettre au vote du Parlement autrichien la forme de l'État, sous la pression (et l’assurance) deschrétiens-sociaux qu'ils voteraient en faveur de lamonarchie[81]. L'empereur Charles refuse d'abdiquer, renonçant au pouvoir mais pas à son titre. Il se contente de signer un retrait momentané des affaires publiques le et se retire auchâteau d'Eckartsau, enBasse-Autriche.
Le, alors qu'il souhaitait conserver la couronne deHongrie, il renonce à« toute participation aux affaires de l'État »[82].
Caricature autrichienne de 1919 (Théodore Zasche).L'église Nossa Senhora do Monte où repose Charles Ier.
Conscient que les mécontents pourraient s'allier contre la personne impériale (dans un contexte marqué par la crise économique)[83], l'empereur Charles, en raison des pressions effectuées par le nouveau chancelierKarl Renner, est contraint de quitter son pays et de demanderasile à laSuisse où demeure la mère de l'impératrice, la duchesse douairière de ParmeAntonia de Bragance. Il quitte ainsi l'Autriche en train avec sa famille le 23 mars 1919 sous la protection d'officiers britanniques[84]. Il s'installe avec sa famille et quelques familiers en premier lieu auchâteau de Wartegg, au bord dulac de Constance, puis le 20 mai suivant, à la villa dePrangins, au bord dulac Léman[85].
L'exil de la famille impériale commence tandis que les États successeurs de la double monarchie confisquent ses biens.
Le, Charles revient une première fois sur le territoire hongrois, parvient àBudapest et y rencontre lerégentMiklós Horthy, ancienamiral de lamarine austro-hongroise et proche du défunt empereurFrançois-Joseph. Se targuant de l'appui de laFrance,CharlesIV tente de duper le régent, qui se rapproche alors des commissairesAlliés en Hongrie pour connaître leur position. Les Alliés, notamment la France, hostile auxHabsbourg-Lorraine, lui répondent qu'ils sont opposés à touterestauration d'un membre de cette dynastie en Hongrie comme en Autriche[88] et qu'ils envisagent des mesures militaires contre le territoire hongrois en cas de succès deCharlesIV[89]. Les voisinstchécoslovaque,yougoslave etroumain sont du même avis : dès 1920, le gouvernement tchécoslovaque, par la voix d'Edvard Beneš, avait déjà fait savoir qu'il considérerait toute tentative de restauration monarchique enAutriche ou enHongrie, comme une menace pour son pays[87]. Ainsi informé, Miklós Horthy refuse de remettre à Charles lacouronne de Hongrie, en lui expliquant que son retour, sur quelque trône que ce soit, ne serait jamais accepté par les Alliés et par laPetite Entente, qui étaient déjàintervenus en 1919 pour écraser larépublique bolchevique hongroise, et qui menaçaient d'en faire de même contre un roi issu de la dynastie déchue. Déçu, Charles doit retourner enSuisse le, mais n'entend pas pour autant renoncer[89].
Le, Charles fait une nouvelle tentative pour recouvrer son trône, appuyé à cette occasion par une véritable petite armée, recrutée parmi les monarchistes autrichiens et hongrois ; cette armée parvient trois jours plus tard aux portes deBudapest où elle est stoppée par l'armée hongroise fidèle au régent Horthy, tandis que les membres de laPetite Entente menacent de mobiliser leur armée comme les commissairesAlliés l'avaient annoncé[89]. Une fois ses troupes dispersées, Charles est fait prisonnier par le gouvernement royal hongrois, ce qui met un terme à cette seconde tentative[89].
Remis auxBritanniques parMiklós Horthy, Charles embarque le sur leHMS Glowworm et le 19 du même mois arrive àFunchal[1]. Charles et sa famille, sur décision de laconférence des ambassadeurs, sont assignés à domicile dans le manoir de vacancesQuinta do Monte du banquierportugais Rocha Machado, à Funchal sur l'île de Madère où le banquier et le gouvernement portugais acceptent de les accueillir[90]. Ils arrivent dans l'île le à bord d'un croiseur anglais.
Charles ne vit que quelques mois d'hiver àMadère. Affaibli par leclimat océanique venteux de l'île, il contracte unebronchite aiguë le9 mars suivant et, veillé par l'ex-impératriceZita enceinte de son huitième enfant, et du prince héritierOtto, meurt à l'âge de34 ans et7 mois le d'unepneumonie[1],[91], dans une relative pauvreté par rapport à son train de vie antérieur[92]. Il est enterré dans l'église Nossa Senhora do Monte sur les hauteurs deFunchal. Son cercueil est déposé dans une alcôve en dessous d'un grand crucifix. Son fils aîné, l'archiducOtto, âgé de neuf ans, devient alors le chef officiel de lamaison de Habsbourg-Lorraine pour les quatre-vingt-dix années suivantes.
Rodolphe (1919 – 2010), épouse la comtesse Xénia Czernichev-Bézobrazoff (1929 – 1968), dont postérité. En 1971, il se remarie à la princesse Anne Gabrielle de Wrede (née en 1940), dont postérité ;
C'est sur demande et avec le soutien dupapeBenoîtXV - qui craint l'émergence d'un pouvoirbolchevik en Hongrie - qu'il tente par deux fois de reprendre le pouvoir enHongrie en 1921.
↑Cette bienveillance se manifeste par la présence du monarque à la cérémonie, ce dont il s'était abstenu pour le mariage de son héritier.
↑LaBavière jouit du statut particulier d'État libre au sein du Reich, disposant de sa propre armée au commandement autonome, de sa propre représentation diplomatique et d'une autonomie interne plus importante que les autres États fédérés au sein duReich bismarckien.
Les générations sont numérotées dans l'ordre de la descendance masculine depuis les premiers archiducs. Au sein de chaque génération, l'ordre suit celui de l'aînesse.