Le mot cathédrale évoque dans l'esprit de beaucoup de personnes l'image d'une grande église qui défie le temps et les lois de la pesanteur (à gauche lacathédrale gothique de Chartres). Contrairement à une croyance invétérée, il existe une foule de cathédrales de taille plus que réduite (à droite lacathédrale préromane d'Aleth), s'opposant aux cathédrales géantes caractéristiques de l'époquegothique dont les bâtisseurs se lancent dans une course à l'espace et à la hauteur, témoin dudynamisme urbain, du goût de l'exploit et de l'émulation des cités épiscopales[1].
Unecathédrale est, à l'origine, uneéglise dans laquelle se trouve le siège de l'évêque (lacathèdre) ayant la charge d'undiocèse. Alors que l'idée commune croit savoir que la cathédrale est« un édifice religieux important, étant ou ayant été le chef-lieu d’un évêché et construit à l’époque médiévale », le mot renvoie à une fonction et non à une forme spécifique d'église[2].
Dans le monde, il y autant de cathédrales que de diocèses (catholiques,orthodoxes,anglicans ou luthériens), soit un peu plus de 3 000[3].
Le termecathédrale est d'abord un adjectif dans la locutionéglise cathédrale (yglises cathedraux, « églises épiscopales » dès 1180[4]) avant de devenir unsubstantif auXVIIe siècle.
Enfrançais, leverbecathédrer et le participecathédrant ont signifié « présider »[5] et « présidant »[6].
Le motlatin d'originegrecquecathedra, « siège à dossier », par extension « charge épiscopale ou autre » a régulièrement abouti au françaischaire, « siège à dossier », « chaire de professeur ». La formechaise est issue dechaire parassibilationdialectale dur intervocalique.
EnItalie et dans une partie de l'Allemagne, notamment dans laprovince ecclésiastique deCologne, une cathédrale est souvent appeléedôme (enitalien :duomo ; enallemand :Dom), du latindomus, abréviation dedomus Dei, c'est-à-dire « maison de Dieu ». Ainsi lacathédrale de Milan est-elle couramment appelée, en italien, leduomo di Milano.
Dans d'autres parties de l'Allemagne et enAlsace (qui est historiquement culturellement allemande), une cathédrale est souvent appeléeMünster, du latinmonasterium. Ce terme est aussi l'origine du termeanglaisminster, utilisé pour désigner notamment les cathédrales d'York (York Minster) et deSouthwell (Southwell Minster).
Uneprocathédrale est une cathédrale provisoire : soit une église qui assume provisoirement la fonction de cathédrale sans en avoir le titre canonique, en raison de l'indisponibilité de la cathédrale « titulaire » (en travaux, en construction, démolie, etc.).
L'implantation intra-muros des cathédrales, tellecelle de Quimper, dépend des opportunités locales et des contextes spécifiques de chaque cité, mais elle se fait généralement à la périphérie de la ville fortifiée et à proximité desremparts. Cela tient sans doute à la difficulté d'acquérir des terrains mieux situés, ou cela contribue à renforcer l'enceinte par la masse et la valeur symbolique de cette « citadelle de la foi »[7],[8].
Dans ces églises primitives des premièrescommunautés chrétiennes essentiellement urbaines, la cathèdre, letrône de l'évêque[10], est placée au fond de l'abside, dans l'axe, comme le siège du juge de labasilique antique, tandis que l'autel s'élève en avant de la tribune[11]. Les données archéologiques et les sources écrites sur ces cathédralespaléochrétiennes montrent des édifices de tailles très diverses mais qui ont généralement en commun une implantationintra-muros[12], dans des agglomérations occupées depuis l'Antiquité et qui sont le plus souvent des chefs-lieux decités. Ces cathédrales primitives sont intégrées dans de vastes ensembles monumentaux, lesgroupes épiscopaux, dont l'édifice principal est celui qu'on remarque en premier, et c'est d'ailleurs le plus valorisé par les réfectionspatrimonialisantes. Il est appelé à cette époqueEcclesia mater, « église mère » ouEcclesia senior, au sens d'« église doyenne ou ancienne »[13].
Dans les églises cathédrales, les évêques procèdent auxordinations. Lorsqu'un évêque est invité par l'abbé d'unmonastère ou d'uneabbaye, une cathèdre est disposée au fond du sanctuaire, l'église abbatiale devenant temporairement une cathédrale. L'évêque exerce aussi son autorité sur les autres églises de son diocèse (églises rurales, églises urbaines, et église suburbaines où peuvent être aménagées les tombes desmartyrs ou des saints locaux, souvent d'anciens évêques)[14].
Le siège épiscopal est considéré comme le signe et le symbole de lajuridiction des évêques. La cathédrale n'est pas seulement une église dédiée au service duculte, elle conserve, surtout durant les premiers siècles duchristianisme, le caractère d'untribunal sacré, analogue à celui de labasilique antique. Ainsi, les cathédrales demeurent jusqu'auXIVe siècle, des édifices à la fois religieux etcivils. Si la cathédrale est, comme toute église, d'abord la maison deDieu, on ne s'y réunit pas seulement pour assister aux offices religieux, on y tient aussi des assemblées de naturepolitique oucommerciale, les considérations religieuses n'étant cependant pas dépourvues d'influence sur ces réunions civiles oumilitaires.Marchés,foires ou fêtes se tiennent aux portes de la cathédrale mais aussi dans sa nef ou ses bas-côtés qui accueillent la vie grouillante du peuple, des quêteurs,mendiants, auxquels se mêlent mauvais garçons etprostituées, où traînent chiens et cochons les jours de foire[15].
Contrairement aux idées reçues, la cathédrale de Rome n'est pas labasilique Saint-Pierre duVatican mais labasilique Saint-Jean de Latran, « tête et mère des églises de la Ville et du monde ». Autres clichés, la construction des cathédralesromanes fait bien partie du « blanc manteau d'églises » qui, selon la formule deRaoul Glaber, est l'œuvre des évêchés ou des monastères, et elles sont petites, basses et massives alors qu'elles peuvent atteindre de grandes hauteurs et de vastes dimensions, notamment dans les grands centres de pèlerinage, Le Puy, Chartres ou Compostelle. Les cathédralesgothiques duMoyen Âge classique issues de l'essorurbain lié aux progrès de l'agriculture ne sont généralement pas construites par les princes, les rois ou les évêques qui, selon la légende romantique, y verraient un moyen d'affirmer la puissance de lafoi au cœur de leurs diocèses. Si ces derniers y participent grâce au produit de ladîme (contribution obligatoire, correspondant généralement à un dixième des récoltes agricoles des fidèles), elles sont en général construites par les villes, avec leurs richesnobles etbourgeois, par leschanoines qui étaient en général membres de famillesaristocratiques et fortunées, et par le clergé bourgeois[16]. Ainsi de nombreuxhistoriens qualifient les grandes cathédrales de« filles des moissons » ou de« filles des villes »[17]. Après ce premierâge d'or des cathédrales gothiques (XIIe – XIIIe siècle), le second âge d'or est leXIXe siècle lorsque ces édifices religieux, transcendant leur fonction religieuse, se mettent à incarner les identités nationales en construction : dans le contexte derecharge sacrale, ce siècle qui connaît un renouveau correspond à un mouvement de restauration, reconstruction et construction de cathédrales porté par leromantisme et l'essor de l'architecturehistoriciste, notamment lestyle néogothique[18].
Lesmaîtres d'œuvre qui supervisent le chantier de la cathédrale ne sont pas desarchitectes ou des techniciens. Ils sont responsables vis-à-vis duConseil de fabrique et se bornent à surveiller les travaux exécutés par desouvriers spécialisés (maçons,sculpteurs,tailleurs de pierre), appeléscompagnons, réunis enconfréries oufraternités. Ces derniers, payés à la tâche, laissent parfois sur les pierres des signes gravés, lesmarques de tâcheron qui sont leurssignatures. La construction est également réalisée par des manœuvres moins bien payés. On ne peut que conjecturer la participation des masses populaires à cette construction, vu le silence des textes à ce sujet, cette participation se faisant soitbénévolement soit parréquisition etcorvée[19].
D'après la base de données Gcatholic, au, l'Église catholique compte 320 cocathédrales pour 3 043 cathédrales et 43procathédrales. 473 anciennes cathédrales ne sont pas descocathédrales[20].
Parmi lesvitraux de Chartres, labaie 17 présente deux panneaux parregistre dont l'un représente un tronc placé placé par le chapitre sur un autel et qui recueille les oboles de pèlerins.
« Une cathédrale coûtait une fortune, c'était une entreprise financière prodigieuse pour cette époque. »
De rares documents car souvent mal conservés ou disparus (comptes desfabriques, registres des décisionscapitulaires ouplumitifs, registre desdonations,obituaires,pouillés…) fournissent de précieuses informations sur les sources de financement des grands chantiers cathédraux, avant celles des restaurations et des constructions de cathédrales de l'époque contemporaine qui voit la contribution financière croissante des États et descollectivités locales, leur financement public devenant largement prédominant. Au cours des siècles depuis le Moyen Âge jusqu'à cette époque contemporaine, la recherche de sources de financement les plus régulières possibles pour faire face aux dépenses quotidiennes aboutit à des montages financiers de plus en plus complexes et une grande diversité de fonds composée de la part des ecclésiastiques et de la part des laïcs qui manifestent par leurs contributions rivalité et émulation entrecommanditaires, générosité plus ou moinsdésintéressée[22] ou culpabilité intégrée dans l'économie dusalut[23] alors que l'historiographie a diffusé jusque dans la seconde moitié duXXe siècle le mythe de cathédrales gothiques produits de lapiété[24]. La part des clercs est assurée principalement par la fortune personnelle des évêques et de leurschanoines pratiquement tous membres de l’aristocratie, ainsi que par lamense épiscopale etcapitulaire qui alimentent généralement la principale charge du financement jusqu'à la fin du Moyen Âge, mais l'ensemble du clergé du diocèse peut être mis à contribution. La part substantielle procède de leur fortune personnelle mais surtout de leurs revenuscasuels (bénéfices vacants, produits d'amendes) ou permanents (les dignitaires tirent de leurs terres agricoles, bois, propriétés urbaines, taxes et de certains de leursbénéfices ecclésiastiques des revenus importants) affectés à la fabrique, et dumécénat personnel qui porte sur les réalisations artistiques, vitraux et sculptures ainsi que sur legros œuvre. La part des laïcs devient prépondérante à partir duXIIIe siècle. Elle émane des fidèles de la paroisse ou, pour les grands centres depèlerinage renommés pour leurs reliques ou leurs statues miraculeuses (notamment de la Vierge), despèlerins. Leurs contributions prennent la forme de ventes d'indulgences et dedispenses, de dons en espèces et en nature[25], de donations, de legs et d'offrandes recueillies dans destroncs placés dans différents endroits des cathédrales, dans des boutiques, dans les lieux publics, de taxes seigneuriales, entreprises suscitées par letrésor royal ou princier, quêtes fixes ou itinérantes etprocessions de reliques au cours desquelles les quêteurs en tournée dans le diocèse et à l'extérieur recueillent desoboles dans des boîtes à quêter[26]… Ces contributions sont généralement versées en nature ou sous forme monétaire à la fabrique qui est chargée d'assurer le financement régulier du chantier. De violents conflits apparaissent souvent au sujet du niveau de participation financière et des modalités de répartition des fonds entre la fabrique, les principaux financeurs (évêques, dignitaires du chapitre qui connaissent des affrontements entre la mense épiscopale et la mense capitulaire, autorité municipale, bourgeoisie marchande et aristocratie qui peuvent favoriser la construction de leurs propresfondations ou d'autres établissements importants) mais aussi entre les églises de différentes paroisses qui se trouvent en concurrence. Des préoccupations politiques, des problèmes de compétence et d'autorité ou de choix de tel ou tel parti architectural ou décoratif, peuvent s'ajouter à ces conflits financiers, ce qui explique que certaines affaires sont portées jusque devant le pape[27].
Voir »Architecture occidentale du Moyen Âge auXIXe siècle ». De nombreuses cathédrales ont plusieurs styles (roman et gothique, gothique et classicisme, classicisme et baroque…). Les architectes ont de nombreuses fois eu recours aux anciens styles (réparation d'anciennes cathédrales, fin de chantiers). Ces styles ne se résument pas seulement aux cathédrales et aux autres édifices religieux[28].
↑On peut lire dans leRecueil des édits, déclarations… du Parlement de Normandie (1646-1771) : « […] a ordonné que lesdits substituts ausdits siéges, sont maintenus & gardez dans le droit & possession decathédrer & présider en l'absence des juges en chef & de leurs Lieutenans, par préférence ausdits Assesseurs, etc. ».
↑On peut lire dansMontaigne,Essais,t. II, chapitre III : « Coutume de l'île de Céa » : « […] car c'est aux apprentifs à enquerir et à debatre, et aucathedrant de resoudre. Moncathedrant, c'est l'authorité de la volonté divine qui nous reigle sans contredit, et qui a son rang au-dessus de ces humaines et vaines contestations. »
↑Françoise Prévot, « La cathédrale et la ville en Gaule dans l'Antiquité tardive et le Haut Moyen Âge »,Histoire urbaine,no 7,,p. 17-36(DOI10.3917/rhu.007.0017)
↑L'évêque, entouré de sonclergé, se trouve ainsi derrière l'autel, isolé et dépourvu deretable, et voit donc l'officiant en face. Cette disposition primitive — puisqu'elle n'est plus usitée dans lenovus ordo — explique pourquoi, jusque vers le milieu du dernier siècle duMoyen Âge, dans certaines cathédrales, le maître-autel n'est qu'une simple table sans gradin,tabernacles niretables.
↑« L’un des acquis de la recherche récente est d’avoir fait justice d’une tradition historiographique qui tenait que les premiers édifices de culte chrétiens avaient souvent été établis hors les murs des cités. Elle se fondait pour cela sur de rares documents antiques laissant entendre que les premiers chrétiens avaient choisi une telle localisation par crainte des persécutions, et surtout en accordant foi aux chartes médiévales des abbayes suburbaines qui visent à conforter leurs droits face à l’église épiscopale en alléguant qu’elles sont établies à l’emplacement de la cathédrale primitive de la ville ». CfGuyon 2021.
↑Charles Bonnet,« Des cathédrales paléochrétiennes aux cathédrales carolingiennes », dans Catherine Armenjon & Denis Lavalle (dir.),20 siècles en cathédrales, Paris, éditions du Patrimoine,,p. 145-154
↑Henry Kraus,L'argent des cathédrales, CNRS éditions,,p. 9
↑Les cathédrales sont plus le produit de l'orgueil, de la perspective du salut ou de l'intérêt que du désintéressement : en compensation de leurs dons, les bienfaiteurs provenant de la classe aisée ou moyenne — bourgeoisie marchande etcorporations locales, entre autres — se voient représenter principalement sur les vitraux (veillant à faire figurer leurs noms, armoiries, emblèmes, ou leur activité, le plus bas possible, de manière que les fidèles puissent les remarquer) et peuvent favoriser parmercantilisme la construction de grandes cathédrales dont les images miraculeuses et les trésors de reliques attirent de nombreux pèlerins qui assurent la renommée du lieu saint et la prospérité de la cité épiscopale. CfRoland Bechmann,Les racines des cathédrales, Payot,,p. 120
↑« Les fortunes bourgeoises, rapidement constituées par l’essor de la production – notamment textile – et des échanges, pouvaient troubler certaines consciences. Ne sentaient-elles pas lelucre ou, pire, l’usure ? Le prêt àintérêt étaitcanoniquement illicite ; il y avait là un moyen de blanchir son argent... et son âme ». CfPatrick Demouy,Les cathédrales, Presses Universitaires de France,,p. 98
↑« On recueille aussi des dons, en nature et des plus variés : bœufs, chevaux ou ânes qui seront attelés aux charrois ; veaux, moutons et volailles, vin et bière... qui nourriront les bâtisseurs. Certains se sépareront de leurs médailles, colliers, bracelets et autres bijoux qui seront convertis en monnaies… Les entrepreneurs accorderont des ristournes sur leurs prestations, offriront une ou plusieurs journées de charrois, une certaine quantité de matériaux... Les plus démunis, à défaut de quelques pièces de monnaie, pourront donner une ou plusieurs journées de travail, tandis que les plus favorisés offriront une partie de leurs revenus ou de leurs biens ». CfClaude Wenzler et Hervé Champollion,Eglises et cathédrales de la France médiévale, éditions de Lodi,,p. 36.
↑Des archives judiciaires montrent que desarnaqueurs profitent de ces quêtes itinérantes pour empocher l'argent des fidèles en usurpant l'habit ecclésiastique eà cette occasion. CfWenzler et Champollion 2006,p. 36.
↑Henry Kraus,L'argent des cathédrales, CNRS éditions,, 348 p.
↑Châteaux d'aisance, palais, bâtiments politiques et universitaires, théâtres, opéras, bibliothèques, musées, monuments… et même un gratte-ciel : laTribune Tower.
Collectif, sous la direction du ministère de la Culture et du Centre national de pastorale liturgique,La Cathédrale aujourd’hui, Paris / Bruges (Belgique), Desclée liturgie,, 134 p.(ISBN2-7189-0511-5)
Collection « Culte et culture » : I. La cathédrale dans l’histoire ; II. La signification ; III. La création artistique dans la cathédrale ; IV. Textes de référence et aspects juridiques ; V. Les diverses responsabilités ; VI. Échos du colloque « La cathédrale, demeure de Dieu, demeure des hommes ».
Richard Utz, « The Cathedral as Time Machine: Art, Architecture, and Religion », in Stephanie Glaser (dir.),The Idea of the Gothic Cathedral: Interdisciplinary Perspectives on the Meanings of the Medieval Edifice in the Modern Period, Turnhout, Brepols, 2018,p. 239-259.