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Catégories est le titre donné à une œuvre d'Aristote, placée en tête de sonOrganon (l'ensemble de ses traités delogique). Aristote développe dans ce traité les bases de salogique et de sonontologie, en étudiant la façon dont l'être peut se dire dans le langage, particulièrement dans lalangue grecque. Le terme « catégorie » vient dugrec ancien κατηγορία (katêgoria) qui signifie « qualité attribuée à un objet », et chez Aristote, ce terme est souvent synonyme d'« affirmation »[1]. Les catégories sont ainsi les manières d'affirmer l'Être et ses attributs[2], c'est-à-dire les différentes façons de signifier et de désignerce qui est en général. L'élaboration des premiers éléments du discours sur l'être dans ce traité pose les bases de la théorie despropositions prédicatives (ou jugements), théorie qui sera exposée dans le traité qui suit lesCatégories, à savoir le traitéDe l'interprétation, et qui sera formalisée par leslogiciens de la fin duXIXe et du début duXXe siècle, sous le nom decalcul des prédicats. Traduites enlatin dès l'antiquité, lesCatégories ont servi, d'une part, de base pour la discussion de thèses ontologiques etépistémologiques à travers toute l'histoire de la philosophie, et, d'autre part, comme« texte de base à la logique et lamétaphysique occidentales »[3].
Vu les commentaires abondants et la transmission diverse, le traité fut débaptisé parAndronicos et ses successeurs. On hésite, d'après les commentateurs commeArchytas ouAdraste entreCatégories,Genres,Prédication ouAvant les Lieux[4].
Le traité desCatégories peut être divisé en trois parties :
Plusieurs raisons en apparence solides, tirées d'indices à la fois internes et externes, militent contre l'attribution traditionnelle du traité desCatégories àAristote[6], mais la thèse de l'inauthenticité de l'ouvrage n'a jamais réussi à emporter la conviction d'une majorité de spécialistes de laphilosophie antique, qui continuent pour la plupart, dans leurs travaux, à citer le traité comme étant de la main d'Aristote, bien que lesnéoplatoniciens fussent déjà divisés sur la question[7]. Il faut dire que l'œuvre n'est pas datable et l'intitulé authentique fait défaut[8]. L'un des principaux arguments en faveur du caractèreapocryphe du texte est l'extrême brièveté du chapitre 9 qui traite des six dernières catégories. Ce chapitre introduit une rupture importante dans le fil du texte[9]. Les autres arguments contre l'authenticité se basent sur les différences avec les autres écrits du philosophe notamment le livre alpha de laMétaphysique[10], ainsi que la liste des écrits d'Aristote établie parThéophraste, liste plutôt ambiguë[11].
Le professeurJules Tricot considère le traité comme authentique, avec un léger doute concernant la partie sur les post-prédicaments, doute déjà exprimé parAndronicos de Rhodes en son temps[12]. La nette différence de style dans la rédaction de la première moitié desCatégories (ch. 1-9, contenant l'introduction et l'étude des catégories proprement dites) et la deuxième (ch. 10-15, contenant l'étude des post-prédicaments) plaide en faveur de l'inauthenticité du texte. Le contenu de la partie sur les post-prédicaments et son existence au sein du traité desCatégories n'apparaissent pas comme nécessaires au premier abord[13]. Jules Tricot considère néanmoins que le« fond et la forme » de l'argumentation, ainsi que le fait qu'Aristote cite le traité desCatégories dans d'autres ouvrages de sa main, ne permettent pas de mettre en doute l'authenticité de l'œuvre[14]. Le commentateur ancienSimplicius ajoutait un troisième argument en faveur de l'authenticité desCatégories : le fait que toute la philosophie d'Aristote ne serait pas cohérente, serait comme « sans tête », sans les fondements que pose ce traité[15]. Néanmoins, comme le penseMartin Achard, cet argument semble reposer sur une vision postérieure et systématisante de la pensée d'Aristote qui ne trouve pas d'appui précis dans ses écrits[16].
Frédérique Ildefonse et Jean Lallot, dans leur édition et traduction du texte, pensent que le traité desCatégories est incontestablement fidèle à la pensée aristotélicienne, mais émettent un doute quant au fait qu'il n'y aurait pas eu d'interventions d'autres auteurs qu'Aristote dans la rédaction de l'œuvre qui nous est parvenue. Selon les traducteurs, une« enquête approfondie reste à faire » pour déterminer ce qui a effectivement été écrit parAristote, et ce qui n'est pas de lui mais des premierspéripatéticiens, tel queThéophraste[17]. En fait, l'authenticité du traité est toujours sujette à contestation, potentiellement apocryphe mais le texte en lui-même est très fidèle à Aristote,Syrianos déclara que si lesCatégories ne sont pas authentiques, il y a eu deux Aristote.Richard Bodéüs justifie l'édition du traité sous le nom d'Aristote comme ceci :« Autant donc reconnaître que « l'auteur deC », s'il s'agit d'un disciple anonyme, n'était pas indigne du maître et a fourni, en introduction peut-être à quelque topique définitionnelle, un complément utile aux études dialectiques d'Aristote »[18].
Le traité desCatégories appartient vraisemblablement aux écrits « acroamatiques[19] » ou « ésotériques » d'Aristote, c'est-à-dire réservés aux seuls initiés[20]. La difficulté de l'œuvre est en effet considérable[21].
Le traité se présente comme une reprise et une critique des positions fondamentales exprimées parPlaton.
Plusieurs commentateurs ont constaté une grande ressemblance entre lesCatégories et le livre Delta de laMétaphysique, notamment le répertoire. Mais globalement des différences existent par rapport au sommaire[22]. La proximité est plus concordante avec lesTopiques, proche de la dialectique, il semble que lesCatégories s'en inspirent[23].
Note à propos des substances individuelles : d'une manière générale, les substances premières, c'est-à-dire les individus ne sont jamais prédicat d'un sujet. Par contre, certaines singularités accidentelles (et non substantielles), comme « une certaine science grammaticale » se disent dans un sujet.
Dans une hiérarchie de divisions qui va des individus aux genres en passant par les espèces, les catégories sont les genres les plus généraux de l'être. Elles correspondent aux différentes manières de signifier quelque chose en employant le verbe être (en grec). C'est pourquoi Aristote les appellecatègoriai (« qualités ») de l'être. En grec, les catégories veulent dire attribution, prédication, imputation[25].
Les catégories sont les« expressions sans liaison », c'est-à-dire qu'aucun de ces termes, en lui-même et par lui-même, n'affirme ni ne nie : c'est seulement par la liaison de ces termes entre eux que se produisent l'affirmation et lanégation. Par conséquent, elles ne sont ni vraies ni fausses (seules l'affirmation et lanégation pouvant être vraies ou fausses)[26].
Aristote donne une liste de dix catégories : lasubstance (ou essence), laquantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la position, la possession, l'action, la passion[27].
La quête des catégories divisa beaucoup à travers les distinctions entre la substance, quantité, relatif et qualité ainsi que les dix genres dans l'imputation et les dix genres subordonnés. C'est potentiellement les genres de l'être. L'hypothèse d'une distinction grammaticale est rejetée[25].
Cette liste est suivie d'exemples illustrant chaque catégorie :
Ainsi, quand nous disons :
À cette liste s'ajoutent les opposés, les contraires, l'antérieur, le simultané et la mobilité.
Attention de bien distinguer le sens donné ici du sens donné à essence (ousia) (voirSubstance (Aristote)). Il y a en effet ici une distinction dans l'interprétation.
Toute substance semble donc signifier un ceci (tode ti), un singulier, parce qu'elle s'applique à une substance première qui désigne un « numériquement un ». Les substances secondes correspondent plutôt à un groupe qualificatif (c'est-à-dire dont la définition comprend une pluralité), mais un groupe rapporté à une substance première, et donc considéré singulièrement.
Aristote distingue entre les quantités discrètes (nombre, discours oral) et continues (ligne, surface, solide, temps et lieu), soit celles constituées de parties ayant une position l'une à l'égard de l'autre ou non.
Une quantité continue est dite telle si elle admet des limites de contact communes à ses différentes parties : ainsi les limites communes des parties d'une ligne sont le point, d'une surface, la ligne, et du solide, ligne et surface. Le temps présent tient à la fois au passé et au futur; quant au lieu, il admet des limites communes avec chacune de ses parties qui soit occupées par un corps, donc avec ce ou ces corps.
Il en est autrement pour les nombres et le discours, qui restent des entités séparées : 5 et 5 ou 3 et 7 sont bien des parties de 10, mais ils n'ont pas de limite commune. De même, les syllabes ne se rencontrent jamais, tout au plus se joignent-elles pour former des mots, mais elles sont distinctes en elles-mêmes et par elles-mêmes.
La distinction se fait également entre les quantités dont les parties ont entre elles une position réciproque, c'est-à-dire qu'on peut situer, ou non. Ce n'est pas le cas pour le nombre, le discours et le temps (le second étant compris dans le dernier) : on préférera parler d'ordre, au sein duquel il y a un antérieur et un postérieur vis-à vis d'une position (un nombre, une syllabe, un instant).
Est relatif ce qui est tel que ce qu'il est lui-même dit être d'autre chose, ou relativement à autre chose. Par exemple,le plus grand est ditplus grand que.
L'habitus, en grec l'ἕξις /hexis, « la manière d'être », ainsi que la sensation et laconnaissance, sont des relatifs.
Le chapitre 7 du traité des catégories contient une importante digression d'Aristote concernant le réalisme (ou matérialisme).
« Cependant il n’est pas vrai, semble-t-il bien, que dans tous les cas, les relatifs soient naturellement simultanés. – En effet, l’objet de la science peut sembler exister antérieurement à la science, car le plus souvent c’est d’objets préalablement existants que nous acquerons la science : il serait difficile, sinon impossible, de trouver une science qui soit contemporaine de son objet. En outre, l’anéantissement de l’objet entraîne l’anéantissement de la science correspondante, tandis que l’anéantissement de la science n’entraîne pas l’anéantissement de son objet. En effet, l’objet de science n’existant pas, il n’y aura pas de science (car il n’y aura rien à connaître), mais si c’est la science qui n’existe pas, rien n’empêche que son objet n’existe. C’est ce qui se passe pour la quadrature du cercle : en admettant du moins qu’elle existe comme objet de science, nous n’en avons pas encore la science, quoi qu’en elle-même elle soit objet de savoir. De même l’animal une fois anéanti, il n’y aurait pas science, mais il pourrait exister cependant un grand nombre d’objets de science. – Il en est de même pour ce qui regarde la sensation ; le sensible est, de toute apparence, antérieur à la sensation ; si le sensible disparaît, la sensation disparaît, tandis que si c’est la sensation, le sensible ne disparaît pas, car la sensation s’exerce sur un corps et dans un corps. D’autre part le sensible une fois détruit, le corps est détruit aussi (car le corps fait partie des sensibles), et si le corps n’existe pas, la sensation disparaît. »
— Catégories, chap. 7, 7b23 - 8a2, Vrin, trad. J. Tricot
Cette conception est importante pour établir y compris les principes (par définition indémontrables[29]) de la logique. Dans le livre Γ (Gamma) de laMétaphysique, Aristote étudie leprincipe de contradiction à la fois de façon abstraite (λογικως) et d'une manière se voulant conforme au réel (φυσικως).
Aristote distingue quatre sortes de qualités :
Les qualifiés viennent des qualités de manièreparonymique.
Les six dernières catégories annoncées au chapitre 4 du traité sont« le lieu, le temps, la position, la possession, l'action, la passion »[30]. Elles sont abordées en quelques lignes au chapitre 9. Il y est précisé que l'action et la passion sont« susceptibles de plus ou de moins »[31], alors que la catégorie de la position est déclarée avoir été suffisamment définie dans le chapitre des Relatifs.« Quant aux catégories restantes, le temps, le lieu, la possession, en raison de leur nature bien connue, nous n'avons rien de plus à en dire que ce qui a été exposé au début »[32].
| Catégories | Terme grec | Latin | Question associée | Exemples |
| Lieu, où | pou /ποῦ | ubi | Où est-ce ? | dans le Lycée, au Forum |
| Temps, quand | pote /πότε | quando | Quand est-ce ? | hier, l'an dernier |
| Position, état | keisthai /κεῖσθαι | situs | Dans quelle position est-il ? | allongé, assis |
| Possession, avoir | echein /ἔχειν | habitus | Qu'a la chose ou la personne ? | porter une chaussure, être armé |
| Action, faire | poiein /ποιεῖν | actio | Que fait cette chose ? | coupe, brûle |
| Passion (au sens de subir) | paschein /πάσχειν | passio | Que subit la chose ? | est coupé, est brûlé |
Dans laCritique de la raison pure,Emmanuel Kant propose à la suite d'Aristote, une table des catégories[33]. Tout en saluant la tentative d'Aristote, Kant se place dans un projet différent et pointe quelques incohérences logiques dans le choix que celui-ci a opéré. Alors que Kant propose une table des catégories de l'entendement pura priori (c'est-à-dire de la pensée strictement conceptuelle détachée de toutes sensations et de l'expérience), il remarque qu'Aristote a mêlé dans ses catégories des facultés propres à la sensibilité pure et des concepts correspondants au mode empirique, ce que Kant exclut. La catégorie de position (situs) par exemple, est pour Kant trop proche de la sensibilité et ne correspond pas à son projet de catégories de l'entendement pura priori[34].
S'interrogeant sur les relations entre catégories de pensée et catégories de langue, le linguisteÉmile Benveniste examine les catégories d'Aristote et arrive à la conclusion suivante :
« Pour autant que les catégories d'Aristote sont reconnues valables pour la pensée, elles se révèlent comme la transposition des catégories de langue. C'est ce qu'on peutdire qui délimite et organise ce qu'on peut penser. La langue fournit la configuration fondamentale des propriétés reconnues par l'esprit aux choses. Cette table des prédicats nous renseigne donc sur la structure des classes d'une langue particulière. Il s'ensuit que ce qu'Aristote nous donne pour un tableau de conditions générales et permanentes n'est que la projection conceptuelle d'un état linguistique donné[35]. »
Le traité desCatégories est le plus commenté duCorpus Aristotelicum[36]. Cependant, les annotations peuvent compromettre l'état originel du texte. La tradition directe est abondante : 160manuscrits entre leIXe siècle et leXVIIe siècle[37]. Le traité fut souvent édité avec l'Organon, précédé de l'Isagogè dePorphyre[38].
Les manuscrits se divisent en cinq groupes pour établir lestemma codicum[36] :
Outre les manuscrits, des extraits lacunaires d'unpapyrus d'Oxyrhynque duIIIe siècle sigla Π, furent retrouvés, donnant l'état antérieur du texte avant les éventuelles corruptions de l'antiquité et de l'époque médiévale[45].
La tradition indirecte, moins corrompue et annotée, permet d'approcher une reconstitution authentique du texte[46]. Les références anciennes sont présentes dans la sixièmeEnnéade dePlotin ou chezAlexandre d'Aphrodise ainsi que dans les commentaires des néoplatoniciensPorphyre,Ammonios,Simplicius,Olympiodore, Philopon et David (Pseudo-Elias) mais ce qui présenté comme des citations peuvent être desparaphrases[47]. Les traductions hors du grec présentent l'avantage d’offrir le texte complet[48] et ont lu un texte différent des manuscrits de la tradition directe, avant Porphyre mais la plupart des ouvrages sontperdus[49]. Ainsi une traductionarménienne, jadis attribuée àDavid l'Invincible datée duVe siècle, est idéale car l'arménien est plus proche du grec que le latin[50]. Les traductions enlatin sont celles deMarius Victorinus (perdue) et deBoèce[51]. Il existe plusieurs traductionssyriaques duVIe au VIIIe siècle dont trois conservées en entier[52] et une traductionarabe, la plus connue est celle du fils d'Hunayn ibn Ishaq[53].
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