L'ancienne citépunique, Qart Hadasht, berceau de lacivilisation carthaginoise, détruite puis reconstruite par lesRomains qui en font la capitale de laprovince d'Afrique proconsulaire, est aujourd'hui l'une des municipalités les plus huppées du Grand Tunis, résidence officielle duprésident de la République, regroupant de nombreuses résidences d'ambassadeurs ou de richissimes fortunes tunisiennes et expatriées. La ville possède encore de nombreux sites archéologiques, romains pour la plupart avec quelques éléments puniques, classés aupatrimoine mondial de l'Unesco depuis le.
Le nom de Carthage provient duphénicienQart-Hadašt ouQRT.HDŠT (prononcé : Qart Hadasht, qui signifie « Nouvelle ville », ce qui pourrait faire penser à « Nouvelle Tyr »[3]. Sous la domination romaine, la ville prend le nom deCarthago (latin :Karthago,/'kar.ta.go/).
La ville de Carthage se situe dans le Nord-Est de laTunisie, à environ 15 kilomètres de la capitaleTunis, sur une colline s'élevant à 57 mètres d'altitude et avec un littoral s'étendant sur environ 3 kilomètres. Elle est délimitée à l'Est par lamer Méditerranée (golfe de Tunis), au Nord parSidi Bou Saïd, à l'Ouest parLa Marsa et au Sud parLe Kram[4].
Carthage est fondée par la reineDidon deTyr en. D'après la légende, ce serait la reineDidon — ou Élyssa —, sœur du roi deTyr,Pygmalion, qui fonda la cité. La reine aurait demandé au souverain voisinHiarbas, un roilibyque, l'autorisation de fonder un royaume sur ses terres. Celui-ci lui offrit alors un terrain aussi grand qu'une peau devache. La reine plus maligne fait couper une peau de vache en lanières très fines et trace les contours de Carthage. En référence à cette fondatrice mythique, les Carthaginois sont parfois surnommés les « enfants de Didon » dans la littérature.
Ruines de l’ancienne cité carthaginoise.
La ville devient une puissance dominante enMéditerranée occidentale auIVe siècle av. J.-C. Les Carthaginois pratiquaient uncultepolythéiste originaire duMoyen-Orient. Ils vénéraient en particulierBaal etTanit. Rome les accusa longtemps de sacrifier desenfants (cérémonie dumolk), ce qu'il convient de nuancer. Une hypothèse parmi d'autres suggère que le rituel d'incinération avait surtout pour objectif de renvoyer l'âme des enfants défunts par le plus court chemin versBa'al Hammon à une époque où la mortalité infantile était plus qu'importante malgré les progrès en matière d'hygiène.
D'après d'autres sources, le sacrifice d'enfants bien vivants, généralement l'aîné des familles de notables, dans le but de prouver la sincérité de leur dévouement à Carthage, semble avoir initié la coutume de ces derniers d'adopter un enfant d'esclave pour cet usage.
Ce sont les Carthaginois qui introduisent leglaive court enfer dans le bassin méditerranéen, car jusqu'alors, les guerriers s'affrontent à l'aide delances et defrondes. Carthage conquiert l'Hispanie ainsi que laSicile où elle se heurte aux Romains.
Une série de trois conflits entre les deux puissances, lesguerres puniques — les Romains nomment les CarthaginoisPoeni —, débutent auIIIe siècle av. J.-C. Malgré de nombreux revers et la puissance maritime et stratégique de Carthage, celle-ci perd les trois guerres consécutivement. Le cycle se termine après unsiège de quatre ans avec la victoire de Rome et la destruction de Carthage en146 av. J.-C. par les Romains dirigés par le généralScipion Émilien, petit-fils deScipion l'Africain qui avait déjà soumis les Carthaginois en201 av. J.-C. et allié au roi numideMassinissa (bataille de Zama).
Elle est conquise en439 par lesVandales menés parGenséric[5], qui y fondent unroyaume. L'Église est alors victime de persécutions et particulièrement meurtrie. La reprise par les Romains (Empire romain d'Orient) en533 ramène la prospérité à la capitale d'Afrique.
L'empereurJustinien Ier en fait le siège de sondiocèse d'Afrique, mais à la suite de la crisemonothélite, les empereurs de Byzance, opposés à l'Église d'Afrique, se détournent rapidement de Carthage qui devient le siège d'unexarchat. Carthage donne ensuite àConstantinople une lignée d'empereurs à la suite d'Héraclius, fils de l'exarque de Carthage.
À l'époque desconquêtes arabes, cesderniers prennent la ville en698[6], mais lui préfèrent Tunis, la cité voisine, qui donne son nom au pays, celui d'Afrique désignant désormais le continent entier. À la suite de ce siège mené parHassan Ibn Numan, la ville est mise à sac et sa population déplacée vers Tunis. Les matériaux issus de la destruction de Carthage serviront par la suite à l’expansion des infrastructures de la ville voisine[7].
La municipalité de Carthage est créée par undécret beylical le[10]. Le développement de son périmètre communal ainsi que l'accroissement de sa population conduisent à la création de l'arrondissement municipal de Carthage-Mohamed Ali le[10]. En février1985,Ugo Vetere(en) etChedli Klibi, maires deRome et Carthage, signent de manière symbolique le traité de Carthage, untraité de paix mettant officiellement fin à la dernière guerre ayant opposé les deux cités, latroisième guerre punique[11].
Depuis, Carthage est devenue une petite ville résidentielle du GrandTunis. Elle devient un lieu de résidence recherché des hauts fonctionnaires, diplomates et industriels. Lamosquée Mâlik ibn Anas est inaugurée le sur lacolline de l'odéon après la destruction d'immeubles résidentiels datant de la période coloniale[12].
Localisation des divers vestiges du site de Carthage.
Lesite archéologique de Carthage, dispersé dans la ville moderne, est classé aupatrimoine mondial de l'Unesco depuis1979[13]. Dominé par la colline deByrsa qui était le centre de la cité punique, il se distingue par la silhouette massive de lacathédrale Saint-Louis édifiée à l'emplacement présumé de la sépulture du roiLouis IX qui y mourut au cours de lahuitième croisade. Pour l'anecdote, le roiLouis-PhilippeIer, qui descend de Louis IX, envoya unarchitecte à Carthage pour en trouver l'emplacement le plus précis. Au vu de l'impossibilité d'une telle mission, celui-ci choisit simplement le plus bel endroit. À proximité de la cathédrale, en face de cette tombe vide dont les restes ont été rapatriés enFrance, se trouvent les vestiges du plus important quartier de la ville dont il ne subsiste que quelquesfondations et quelques fragments decolonnes.
Forte de son héritage historique, Carthage se développe et devient une vastebanlieue résidentielle de Tunis autour du palais présidentiel. Toutefois, le développement rapide de la ville moderne risquant de détruire à jamais les vestiges, de grandsarchéologues tunisiens ont alerté l'opinion[14] et l'Unesco a lancé une vaste campagne internationale entre1972 et1992 afin de sauver Carthage. Ce tournant est parachevé avec le classement au patrimoine mondial.
La difficulté pour le visiteur réside aujourd'hui dans l'extrême dispersion des vestiges même si certains pôles peuvent être distingués.
Quartier punique de Byrsa.Ruines des thermes d'Antonin.
Sur le sommet de la colline deByrsa, emplacement duforum romain, a été mis au jour un quartier d'habitation punique du dernier siècle d'existence de la ville, daté plus précisément du début duIIe siècle[15]. L'habitat est typique et même stéréotypé, avec un local sur la rue pouvant être utilisé comme magasin, une citerne étant installée au sous-sol afin de récupérer l'eau destinée à l'utilisation domestique, et un long couloir sur le côté droit qui mène à une cour percée d'unpuisard et autour de laquelle se succèdent de petites pièces en nombre variable. Non loin de la mer, une zone de la ville punique a été fouillée par des archéologues allemands. Ils y ont découvert un pan du rempart qui protégeait la cité auVe siècle av. J.-C. ainsi que tout un quartier d'habitation dont ils ont pu décrypter l'évolution durant les deux siècles précédant la destruction de146 av. J.-C.[16].
Lethéâtre duIIe siècle a fait l'objet d'une importante restauration, les restes d'époque romaine étant très modestes. De l'édifice conçu pour accueillir 5 000 spectateurs ne subsistaient que de faibles ruines au début duXXe siècle, tant des gradins que de la scène ou dufrons scænæ. À proximité du théâtre a été mise au jour une zone constituant de nos jours leparc dit des « villas romaines ». Il abrite, outre la célèbre « villa de la volière », du nom de lamosaïque principale qui la décore, de nombreux vestiges significatifs liés à la disposition des lieux.
Les nécropoles puniques qui ont fait l'objet d'une identification, d'un nombre supérieur à 3 500, sont relativement disséminées dans la ville et forment une sorte d'arc de cercle au milieu duquel se situait l'habitat. Contrairement aux nécropoles puniques, celles de l'époque romaine se trouvaient hors des limites de la cité. Les fouilles récentes ont mis en évidence plusieurs cimetières, dont celui des officiales, réservés aux fonctionnaires de l'administrationproconsulaire aux abords des citernes de La Malga[17].
Partie du jardin du tophet de Carthage.
Lesthermes d'Antonin furent édifiés en bord de mer après un grand incendie qui ravagea la cité auIIe siècle, plus précisément entre145 et162[18]. Des installations d'origine ne demeurent que quelques vestiges du rez-de-chaussée, constitué par les espaces de service, à proximité du rivage[19].
De l'amphithéâtre d'une capacité de 30 000 personnes ne demeure que l'arène, le reste ayant disparu en raison des pilleurs de monuments qui ont sévi à Carthage pendant plus d'un millénaire. Un sort analogue a été réservé aucirque, ce dernier n'étant plus suggéré que par une longuedépression à proximité de Douar Chott.
Letophet, situé non loin de deux lagunes dénommées l'une « port marchand »[20] et l'autre « port militaire »[21] constituant la trace des anciensports puniques, est un enclos sacré où les Carthaginois auraient sacrifié leurs enfants aux divinités protectricesTanit etBa'al Hammon selon une historiographie bien ancrée, mais remise en cause par certains spécialistes, particulièrementSabatino Moscati[22].
Lacathédrale Saint-Louis de Carthage, située au sommet de la colline de Byrsa, est une anciennecathédrale catholique aujourd'hui désaffectée pour le culte[25]. L'édifice est de stylebyzantino-mauresque[25] en forme de croix latine et sa façade encadrée de deux tours carrées. Aux murs figurent lesblasons des donateurs pour la construction de la basilique. Lesvitraux sont aussi décorés d'arabesques.
Sur la colline deByrsa, lemusée national de Carthage est situé dans les locaux occupés par lespères blancs. Il permet au visiteur de se rendre compte de l'ampleur des installations de la ville aux époques punique puis romaine. Certaines des plus belles pièces trouvées dans les fouilles depuis leXIXe siècle s'y trouvent, les autres étant présentées aumusée national du Bardo près de Tunis. À proximité immédiate, l'ancienne cathédrale Saint-Louis est désormais utilisée comme espace culturel et baptisée Acropolium. Elle accueille régulièrement expositions et concerts, notamment le festivalJazz à Carthage créé en2005[27].
En matière d'enseignement, la ville abrite quelques établissements renommés comme l'Institut des hautes études commerciales de Carthage et l'Institut supérieur des cadres de l'enfance. Le réseau éducatif compte aussi cinq écoles et quatre lycées[29] dont le lycée Carthage Présidence construit en1952[28].
Le poste demaire est occupé depuis le par Hayet Bayoudh, candidate deNidaa Tounes[30] passée ensuite chezTahya Tounes[31]. Elle a sous sa responsabilité le secrétariat général et les différents services de l'administration municipale[32]. Parmi ses prédécesseurs figurent les ministresChedli Klibi (1963-1990) etFouad Mebazaa (1995-1998)[33].
L'hôtel de ville, construit au début duXXe siècle, regroupe les différents bureaux du Conseil municipal et de l'administration[10]. Lesrecettes du budget municipal sont le produit detaxes sur les immeubles bâtis, les terrains non bâtis et les entreprises, la taxe hôtelière et celle sur les spectacles ainsi que les contributions des propriétaires riverains[34].
Vue panoramique de la ville de Carthage du côté des ports puniques.
La Carthage moderne, outre sa vocation résidentielle, semble aussi devoir être investie d'un rôle politique de plus en plus affirmé, tant symbolique que de fait[35]. Ce monument est un signe ostensible de la volonté du pouvoir deréhabilitation de l'islam.
Le site de la ville avait d'abord été choisi au début du protectorat français pour y édifier lacathédrale, devenue ensuite primatiale d'Afrique, rappelant ainsi l'antériorité en terre africaine du christianisme sur l'islam. Carthage a ensuite accueilli un palais beylical d'été puis, après l'indépendance, le lieu derésidence officielle duprésident de la République tunisienne ; celui-ci, construit à l'origine par le présidentHabib Bourguiba, est situé sur le rivage, à proximité desthermes d'Antonin.
La configuration géographique de Carthage, en anciennepresqu'île, met la ville à l'abri des éventuels inconvénients et embarras de Tunis et accroît son attraction comme lieu de résidence auprès des élites[36]. Si Carthage n'est pas la capitale, elle tend à être le pôle politique, un « lieu de pouvoir emblématique » d'aprèsSophie Bessis[37], réservant à Tunis les rôles administratifs et économiques.
Carthage est une ville essentiellement résidentielle, donc dépourvue d'activités économiques significatives. Toutefois, le rayonnement culturel du site archéologique et le charme de certaines municipalités voisines contribuent à faire de Carthage une pièce maîtresse des circuitstouristiques et un lieu d'excursion privilégié. Néanmoins, la ville est quasiment dépourvue d'infrastructures dans ce domaine ; l'absence de grandesplages, les plus proches étant situées plus au nord, en est sans doute l'une des causes.
Carthage est desservie par la ligne ferroviaire duTGM qui traverse la ville et la relie àLa Goulette etTunis au sud-ouest etSidi Bou Saïd etLa Marsa au nord. Six stations se trouvent sur son territoire :Carthage Salammbô,Carthage Byrsa,Carthage Dermech,Carthage Hannibal,Carthage Présidence etCarthage Amilcar[38].
L'Union sportive de Carthage est un club sportif représentant la région de Carthage et connu pour ses performances envolley-ball ; leClub féminin de Carthage est son pendant féminin. Le Tennis Club de Carthage est également actif dans la ville.
↑Azedine Beschaouch,La légende de Carthage, éd. Découvertes Gallimard, Paris, 1993, p. 48.
↑Edward Lipinski [sous la dir.],Dictionnaire de la civilisation phénicienne et punique, éd. Brepols, Turnhout, 1992, p. 94.
↑Friedrich Rakob, « L'habitat ancien et le système urbanistique »,Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, Paris/Tunis, 1992, pp. 29-37.
↑Yann Le Bohec,Histoire de l'Afrique romaine, éd. Picard, Paris, 2005, p. 118.
↑Colette Picard,Carthage, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1951, p. 51.
↑Abdelmajid Ennabli et Hédi Slim,Carthage. Le site archéologique, éd. Cérès, Tunis, 1993, p. 39.
↑Lawrence E. Stager, « Le tophet et le port commercial »,Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, Paris/Tunis, 1992, pp. 73-78.
↑Henry Hurst, « L'îlot de l'amirauté, le port circulaire et l'avenue Bourguiba »,Pour sauver Carthage. Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, éd. Unesco/INAA, Paris/Tunis, 1992, p. 79-94.
↑Nicolas Beau et Catherine Graciet,La Régente de Carthage : Main basse sur la Tunisie, éd. La Découverte, Paris, 2009.
↑David Lambert,Notables des colonies. Une élite de circonstance en Tunisie et au Maroc (1881-1939), éd. Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2009, p. 257-258.