Cet article concerne le naturaliste suédois le plus connu sous ce nom. Pour son fils, naturaliste aussi et portant le même nom, voirCarl von Linné le Jeune.
Carl Linnæus, puisCarl von Linné (on trouve aussiCharles de Linné en version française) après sonanoblissement, est unnaturalistesuédois né le àRåshult et mort le àUppsala qui a posé les bases du système moderne de lanomenclature binominale. Considérant que la connaissance scientifique nécessite de nommer les choses, il a répertorié, nommé et classé, systématiquement, l'essentiel des espèces vivantes connues à son époque, en s'appuyant sur ses observations, ainsi que sur celles de son réseau de correspondants.
Le grand nomenclateur que fut Linné, qui consacra sa vie à nommer la plupart des objets et êtres vivants, puis à les ordonner selon leur rang, eut lui-même maille à partir avec sa propre identité, son nom et même son prénom ayant été remaniés tant de fois au cours de sa vie qu'on ne dénombre pas moins de neufbinômes (oubi-noms, en deux noms) et autant de synonymes.
AuxXVIIe et XVIIIe siècles, la plupart desSuédois ne portent pas encore denoms de famille. Aussi le grand-père de Linné, conformément à la traditionscandinave, s'appelait Ingemar Bengtsson (signifiant « Ingemar, fils de Bengt ») et son propre fils, le père de Linné, fut d'abord connu sous le nom de « Nils Ingemarsson » (signifiant « Nils, fils d'Ingemar »).
Mais Nils, pour répondre aux exigences administratives lors de son inscription à l'université de Lund, doit choisir un patronyme. Sur les terres familiales pousse un grandtilleul. La propriété en porte déjà le nom :Linnagård (ouLinnegård),toponyme formé delinn (variante aujourd'hui obsolète delind, « tilleul » ensuédois) et degård (« ferme »). Plusieurs membres de la famille s'en sont déjà inspirés pour former despatronymes commeLindelius (à partir delind) ouTiliander (à partir deTilia, « tilleul » en latin). Et puisqu'il est de bon ton dans les milieux instruits de pratiquer lelatin, Nils choisit de devenir « Nils Ingemarsson Linnæus ».
Honorant ensuite le très populaire souverain de Suède de l'époqueCharles XII, (en suédoisKarl XII, 1682-1718), Nils donne le prénom du roi à son fils, qui débute donc son existence en s'appelant « Carl Nilsson » (signifiant « Carl, fils de Nils »), puis Karl Linnæus, le plus souvent orthographié « Carl Linnæus ».
Lorsque Carl Linnæus s'inscrit à l'université de Lund à l'âge de vingt ans, son prénom est enregistré sous la forme latinisée deCarolus. Et c'est sous ce nom deCarolus Linnæus qu'il publie ses premiers travaux enlatin.
Parvenu à une immense notoriété et en qualité de médecin de la famille royale de Suède, il est anobli en 1761 et prend en 1762 le nom de « Carl von Linné », Linné étant un diminutif (« à la française », selon la mode de l'époque dans nombre de pays de langue germanique) deLinnæus etvon étant la particule nobiliaire (allemande). Dans le mondefrancophone comme en Suède, il est aujourd'hui communément connu sous le nom de « Linné ».
Enbotanique, où lescitations d'auteurs sont souventabrégées, on emploie l'abréviation standardisée « L. »[4]. Il est ainsi le seul botaniste dont le nom est abrégé en une seule lettre.
Il ne doit pas être confondu avec son filsCarl von Linné le Jeune que l'on distingue de son père, en le citant en tant que Linnaeus filius (abrégé en botanique en L.f.).
Enzoologie, où il est d'usage de citer le nom patronymique complet de l'auteur dutaxon, on emploie « Linnæus » (ou sagraphie sansligature latine « Linnaeus », adoptée en anglais et plus pratique pour les utilisateurs declaviers ditsinternationaux) à la suite destaxons qu'il a décrits, et plus rarement « Linné », car c'est sous son nom universitaire « Linnæus » que ses principaux travaux detaxinomie zoologique jusqu'à 1761 ont été publiés (sauf les 1 500 noms d'espèces d'animaux nouveaux établis en 1766/1767 dans la12e édition deSystema naturae, pour lesquelles on utilise habituellement en français le nom d'auteur « Linné »). De plus, à la différence de son prénom (Carolus), « Linnæus » n'est pas une transcription latinea posteriori, mais son véritable patronyme.
Quant à ses œuvres, elles sont publiées jusqu'en 1762 sous les noms de « Caroli Linnæi » (qui est la forme au génitif, signifiant « de Carolus Linnæus »), ou encore « Carl Linnæus » ou seulement « Linnæus ». En 1762, sur la page de couverture de la seconde édition deSpecies plantarum, le nom est encore imprimé de cette manière. Mais ensuite, il n'apparaît plus imprimé que dans sa forme nobiliaire « Carl von Linné » ou « Carolus a Linné » (lea ouab étant la traduction latine devon). Dans quelques bibliothèques, il est généralement entré comme « Linnaeus, Carolus (Carl von Linné) », d'autres utilisent « Carl von Linné ».
Carl Linnæus naît le àRåshult dans la paroisse deStenbrohult ducomté de Kronoberg, dépendant à cette époque de la provincesuédoise méridionale duSmåland. La région est riche en forêts et en lacs, l'environnement est particulièrement propice à la contemplation et à l'observation de la nature.
Le père de Carl, Nils Ingemarsson Linnaeus (1674-1748) est alors un vicaire de l'égliseluthérienne et sa mère, Kristina Brodersonia (1688-1733) est la fille dupasteur de Stenbrohult, Samuel Brodersonius. Nils exerce cette charge d'assistant pastoral depuis son arrivée à Råshult en1705, mais en1709, à la mort de son beau-père, il devient lui-même le pasteur de la paroisse et la famille déménage de quelques centaines de mètres jusqu'au presbytère de Stenbrohult, au bord dulac de Möckeln.
Nils est un amoureux des plantes qui transmet sa passion à son jeune fils, permettant à celui-ci d'entretenir son propre jardin dès l'âge de5 ans. Mais avec un père et un grand-père pasteurs, la destinée de Carl est de suivre leurs traces et de devenir aussi pasteur.
Carl quitte le foyer familial à9 ans, le, pour entrer à l'école deVäxjö à une quarantaine de kilomètres de Stenbrohult. Il poursuit ensuite ses études au lycée de la même ville, qu'il intègre le et qu'il quitte le[5].
Il ne montre toutefois guère d'enthousiasme pour les études et la vocation religieuse. Il préfère s'intéresser aux choses de la nature et y passer son temps. Ses camarades le surnomment déjà « le petit botaniste ». Les professeurs, notamment celui d'histoire naturelle, leDr Johan Stensson Rothman (1684-1763), convainquent finalement les parents de Carl de ne pas lui imposer une carrière religieuse et de lui permettre de poursuivre des études de médecine.
C'est finalement son jeune frère, Samuel, qui succédant à son père et à son grand-père, deviendra pasteur de Stenbrohult.
Statue de Linné à l'extérieur de la bibliothèque deLund.
Inscrit sous le nom de « Carolus Linnæus », il commence ses études à l'université de Lund en1727. Il y reçoit notamment l'enseignement deKilian Stobæus (1690-1742), le futur professeur et recteur de l'université, alors encore seulement docteur enmédecine, qui lui offre son amitié et ses encouragements et lui ouvre ses collections et sabibliothèque.
Fort peu développées à cette époque, les études de médecine n'étaient suivies que par une dizaine d'étudiants sur les cinq cents environ que comptait l'université et il n'était pas prévu que l'on puisse soutenir sathèse de doctorat en Suède. Mais l'enseignement médical incluait une part importante de botanique, notamment l'apprentissage des caractères des plantes, de leursvertus médicinales et de la manière de les préparer enpharmacie. Ces études furent sans doute le moyen, voire le prétexte, pour Carolus Linnæus de s'adonner à sa passion pour la botanique.
Le jardin botanique d'Uppsala (Hortus Upsaliensis) à l'époque de Linné.
Arrivé à Uppsala sans un sou vaillant, il lui faut aussi subvenir à sa propre existence. Alors qu'à peine arrivé en ville, il visite lejardin botanique fondé parOlof Rudbeck (1630-1702), il est remarqué et pris en charge parOlof Celsius (1670-1756), le doyen de la cathédrale et oncle du savantAnders Celsius (1701-1744). Olof Celsius présente Linné àOlof Rudbeck le Jeune (1660-1740), lui-même médecin naturaliste, qui engage le jeune étudiant comme tuteur de ses fils et lui permet d'accéder à sa bibliothèque. Linné remplace un temps l'assistant de Rudbeck,Nils Rozén (1706-1773), alors en voyage à l'étranger. Olof Rudbeck le Jeune eut une grande influence sur le jeune Linné, qui baptisa la Rudbeckia en son honneur.
Le jardin de Linné a été entretenu et peut actuellement se visiter à Uppsala.
Linné a justement comme professeur Olof Rudbeck le Jeune, ainsi queLars Roberg (1664-1742).
C'est à Uppsala, dès l'âge de24 ans, qu'il conçoit sa classification des plantes d'après les organes sexuels et commence à l'exposer dans sonHortus uplandicus[n 1].
C'est aussi à Uppsala, que Linné se lie d'amitié avecPeter Artedi (1705-1735), son aîné de deux ans, qui, également issu d'un milieu d'église, destiné à devenir pasteur et venu étudier lathéologie, s'intéresse finalement plus à l'histoire naturelle, particulièrement aux poissons. Les deux se séparent lorsque Linné part pour laLaponie et Artedi pour laGrande-Bretagne. Avant leur départ, ils se lèguent mutuellement leurs manuscrits en cas de décès[6]. Artedi se noie à Amsterdam en 1735 où il venait réaliser le catalogue des collections d'ichtyologie d'Albertus Seba (1665-1736). Suivant leur accord, Linné hérite des manuscrits d'Artedi. Il les fait paraître sous le titre deBibliotheca Ichthyologica et dePhilosophia Ichthyologica, accompagné d'une biographie de leur auteur, à Leyde en 1738[7].
À travers l'Europe : des voyages d'exploration à la notoriété
Linné considère les voyages comme un outil important pour accroître les connaissances scientifiques[8]. À la suite des expéditions deOlof Rudbeck le Jeune qui, en 1695, avait rapporté une exceptionnelle et très riche collection de plantes de la Laponie mais dont l'incendie de la bibliothèque d'Upsal en 1702, avait ruiné les découvertes, il est engagé en 1732 parCharles XII pour remédier à ce désastre et faire le même trajet que Rudbeck[9]. Linné conduit ainsi des missions scientifiques enLaponie et enDalécarlie, à l'époque régions pratiquement inconnues[10]. Il en rapporte une très riche collection de spécimens végétaux, animaux et minéraux et publie sa première étude qui utilise le système sexuel des plantes,Florula Lapponica qu'il améliora par la suite sous le nom deFlora Lapponica (1737). Bien qu'il donne des conférences de botanique et qu'il soit considéré à Uppsala comme un génie, il n'a pas encore de diplôme de médecine.
En1735, il part auxPays-Bas, avec l'intention d'y obtenir son diplôme de médecine et de publier ses écrits. En chemin, il fait halte à Hambourg où il rencontre le maireJohann Anderson (1674-1743), lui aussi naturaliste[11]. Il obtient son titre de docteur en médecine[12], un titre qui n'est à l'époque pas délivré en Suède, le 24 juin 1735 après un court séjour à l'université de Harderwijk[13]. Il quitte alorsHarderwijk pourAmsterdam[14]. Il met en forme ses notes et rencontre le botanisteJan Frederik Gronovius (1686-1762) à qui il montre son manuscritSystema Naturae. Celui-ci est si impressionné qu'il décide de financer son édition àLeyde[10]. Il rencontre également le directeur du jardin botanique d'Amsterdam,Johannes Burman, qui travaille alors à sonThesaurus Zeylanicus[15], un ouvrage consacré à laflore de l'actuelSri Lanka[14],[16]. Burman l'emploie pendant quelque temps[14]. Pendant son séjour enHollande, il a accès auHortus Malabaricus[17] deHendrik van Rheede, une encyclopédie fondatrice sur la botanique du sous-continent indien qui n'est disponible à l'université d'Uppsala qu'en 1756[16].
Il rentre à Amsterdam pour continuer l'impression de son travailGenera Plantarum, point de départ de sa taxinomie. Au cours de son séjour en Hollande, il rencontre également le pharmacienAlbertus Seba (1665-1736) et le botanisteHerman Boerhaave (1668-1738) qui le met en relation avec l'influentGeorge Clifford (1685-1760), président de laCompagnie néerlandaise des Indes orientales et botaniste distingué. Il étudie et travaille au cours de l'année 1737 dans le jardin et les serres du riche banquier[16]. Clifford est en relation avec les marchands hollandais et les plantes collectées dans le monde entier sont ramenées à Linné qui s'efforce de les intégrer dans sonSystema naturae[18]. Son jardin àHartekamp était fameux à l'époque, puisqu'il y avait plus de mille espèces différentes. Linné y écrit une dissertation sur le bananier,Musa Cliffortiana, ainsi que, en collaboration avecGeorg Dionysius Ehret, illustrateur botanique, une description de jardin anglais, l'Hortus Cliffortianus, publié en 1738[16].
Armoiries de Carl von Linné après obtention de son titre de noblesse.
Linné retourne alors enSuède, malgré la proposition qui lui est faite aux Pays-Bas de partir enAmérique du Sud. Il ne quittera d'ailleurs plus jamais la Suède[16]. Ne recevant pas de proposition qui le satisfasse, il exerce la médecine àStockholm en se spécialisant dans le traitement de lasyphilis.
Il se marie le avecSara Elisabeth Moræa (1716-1806), originaire deFalun. Ensemble ils auront sept enfants, deux garçons et cinq filles :Carl (1741-1783),Elisabeth Christina (1743-1782), Sara Magdalena (1744, morte à l'âge de quinze jours), Lovisa (1749-1839), Sara Christina (1751-1835), Johan (1754-1757) et Sofia (1757-1830).
Finalement, en1741, il obtient la chaire demédecine à l'université d'Uppsala[16] puis celle debotanique, fonction qu'il occupera jusqu'à sa mort. Dans le jardin botanique de l'Université, il arrange les plantes selon sa classification. Il effectue trois expéditions en Suède et inspire une génération d'étudiants. Les comptes rendus de voyages sont publiés en suédois afin d'être accessibles à tous. Outre la pertinence des observations de la vie de tous les jours, ces œuvres sont aussi appréciées pour leur qualité littéraire.
Linné continue de réviser son ouvrage,Systema Naturae, qui ne cesse de grossir au fil des ans et à mesure qu'il reçoit du monde entier des spécimens de végétaux et d'animaux qu'on lui expédie et qu'il doit classer. De la brochure de dix pages du début (deux pages pour les minéraux, trois pour les plantes, deux pour les animaux), son œuvre devient un ouvrage de plusieurs volumes. Quand il n'est pas en voyage, il travaille sur l'extension du domaine minéral et animal. Il est si fier de son travail qu'il se voit tel un nouvel Adam nommant la nature, au point qu'il avait coutume de dire immodestement« Deus creavit, Linnaeus disposuit », ce qui traduit du latin signifie« Dieu a créé, Linné a organisé »[19].
Il plante en 1745 la premièrehorloge florale dans le Jardin botanique d'Uppsala.
En 1747, il devient médecin de la famille royale de Suède et obtient un titre de noblesse en 1761. En 1752, notamment, il publie avec son élève Andreas Wåhlin l'ouvrageDissertatio medica odores medicamentorum exhibens [Mémoire sur les odeurs affichées par différentes plantes médicinales ] où ils tentent de classer les milliers d'odeurs émises par les plantes, et l'effet de ces odeurs sur le corps humain[20].
À la fin de sa vie, il est devenu si célèbre queCatherine II de Russie lui envoie des graines de son pays. Il entre aussi en correspondance avecJoannes A. Scopoli, surnommé le « Linné de l'Empire autrichien », qui était docteur et botaniste àIdrija,duché de Carniole en actuelleSlovénie. Scopoli lui a transmis toutes ses recherches et ses observations pendant des années, sans qu'ils pussent se rencontrer à cause de la distance. Pour lui rendre hommage, Linné a nomméScopolia ungenre de la famille desSolanaceae.
Pierre tombale de Linné père et fils à la cathédrale d'Uppsala.
Les dernières années sont marquées par une santé déclinante. Il souffre de la goutte et de maux de dents. Une attaque en 1774 le laisse très faible et une seconde, deux ans plus tard lui paralyse la partie droite. Il meurt le àUppsala, au cours d'une cérémonie dans la cathédrale, où il est par ailleurs enterré.
Six années plus tard, suivant ses instructions posthumes, sa veuve vendit sa bibliothèque, ses manuscrits et la plus grande partie de ses collections (plus de 14 000 plantes et 3 000 insectes[21]) à un acquéreur qui en prendrait grand soin. Ce dernier, un jeune Anglais nomméJames Edward Smith, fonda une société scientifique chargée de recevoir ces trésors et l'appela laLinnean Society of London, où les collections sont conservées, protégées dans un sous-sol, mais disponibles aux chercheurs.
L'ouvrage le plus important de Linné est sonSystema naturæ (Système de la nature) qui connaît de nombreuses éditions successives, la première datant de1735. Chacune d'elles améliore son système et l'élargit. C'est avec la dixième édition, de1758, que Linné généralise le système de nomenclaturebinominale.
Mais sa classification est parfois totalement artificielle. Ainsi dans la sixième édition deSystema naturæ (1748), il classe lesoiseaux dans six grands ensembles pour répondre, harmonieusement, aux six ensembles qu'il utilise pour classer lesmammifères.
Il définit clairement certains groupes comme laclasse desamphibiens. Pour cela, il utilise les animaux décrits ailleurs (comme dans les œuvres deSeba,Aldrovandi,Catesby,Jonston ou d'autres auteurs). Mais, la plupart du temps, il décrit les espèces d'après des spécimens qu'il peut lui-même étudier.
C'est en1753 que Linné fait publierSpecies plantarum (Les espèces des plantes) où il décrit environ 8 000 végétaux différents pour lesquels il met en application de manière systématique la nomenclature binominale dont il est le promoteur.
Mises en vente par la veuve de Linné en1783 pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses filles, les très nombreuses lettres à Linné des plus grandes figures de l'époque du monde des sciences et des idées révèlent toute la richesse intellectuelle du personnage et mettent en lumière les controverses qui agitaient alors la pensée européenne.
Lors de son voyage en Laponie en1732, Linné visite une pêcherie de perles au lac dePurkijaure. Il faut ouvrir des milliers de coquillages pour trouver les si rares perles : cela l'intrigue. De retour à Uppsala, il tente une expérience, introduit une petite dose de plâtre fin dans desmoules perlières et replace celles-ci dans la rivière de la ville, laFyris. Six ans plus tard, il récolte plusieurs perles de la taille d'un pois[22].
Il perfectionne la technique en utilisant un fil d'argent pour tenir le granule générateur éloigné de la paroi de la coquille. La nacre peut ainsi se déposer régulièrement pour former une perle sphérique. Il vend son brevet en1762, mais l'acquéreur néglige d'en tirer profit[23].
Bibliotheca botanica (1736) [Bibliotheca botanica recensens libros plus mille de plantis huc usque editos secundum systema auctorum naturale in classes, ordines, genera et species]
(sl + en) Carl von Linné,Giovanni Antonio Scopoli, Darinka Soban (éd.),Joannes A. Scopoli / Carl Linnaus : dopisivanje (1760-1775), [« Giovanni Antonio Scopoli / Carl von Linné : correspondance (1760-1775) »], Prirodoslovno društvo Slovenije [Slovenian Natural History Society], coll. « Proteusova knjiznica », Ljubljana, 2004, 348 p.(ISBN961-90751-2-9).
Linnée boréale,Linnaea borealis, fleur discrète deLaponie dont Linné avait fait son emblème.
Linné met au point son système de nomenclature binominale, qui permet de désigner avec précision toutes les espèces animales et végétales (et, plus tard, les minéraux) grâce à une combinaison de deux noms latins. Cebinom (c'est-à-dire nom double) oubinôme[29] (suivant un usage flottant) comprend :
un nom degenre aunominatif singulier (ou traité comme tel), dont la première lettre est unemajuscule ;
une épithète spécifique, qui peut être unadjectif, un nom augénitif ou unattribut, s'accordant avec legenre grammatical (masculin, féminin ou neutre) du nom de genre. Il est écrit entièrement enminuscules. L'épithète évoque souvent un trait caractéristique de l'espèce ou peut être formé à partir d'un nom de personne, de lieu, etc.
Le nom de l'espèce est constitué par l'ensemble du binom. Ces noms sont « réputés latins », quelle que soit leur origine véritable (grecque, chinoise ou autre), et écrits en alphabet latin (lettres de a à z etligatures æ et œ, comme en français, mais sansdiacritiques ni accents).
Ce système binominal permet d'éviter de recourir auxnoms vernaculaires, qui varient d'un pays à l'autre, voire d'une région à l'autre. Par exemple, lerenard roux est appelé en japonaisaka-kitsune, mais unnaturaliste japonais comprendra le nom latin, international, deVulpes vulpes.
Toutefois, avec la multiplication des recombinaisons, des synonymes et des interprétations divergentes d'auteurs, les « noms scientifiques » actuels sont parfois instables et difficiles à manier, comme d'ailleurs les noms vernaculaires.
Linné est un naturaliste « fixiste ». Pour lui, les espèces vivantes ont été créées parDieu lors de laGenèse et n'ont pas varié depuis. Le but premier de son système est de démontrer la grandeur de la création divine. Linné écrit :« Nous comptons autant d'espèces qu'il y a eu au commencement de formes diverses créées »[30]. L'ordre hiérarchique destaxons y est fondé sur des critères de ressemblances « morphologiques » et d'affinités supposées, sans établir de relationgénétique ouphylogénétique entre les espèces.
Linné, comme d'autres scientifiques de son temps, éprouve des difficultés pour concilier le contenu de la Bible avec ses connaissances. Il explique ainsi que lejardin d'Éden était comme une île tropicale qui devait comporter une haute montagne. Celle-ci, dont le climat change avec l'altitude, offre des habitats pour les autres formes de vie habituées aux régions tempérées et arctiques[31].
Dans sonSystema naturae, Linné place l'être humain au sein du règne animal, de manière controversée même siAristote l'avait déjà fait, et plus particulièrement dans l'ordre des quadrupèdes[32],[33].Dans la première édition de son livre, en 1735, le genreHomo est subdivisé en cinq variétés (varietates) de rang inférieur, à savoirAfricanus nigr.,Americanus rubsesc,Asiaticus fuscus etEuropeanus albesc[pas clair]. Ces variétés sont basées sur des critères géographiques et sur la couleur de peau[32]. La division de l'humanité n'est pas complètement nouvelle puisque le philosophe françaisFrançois Bernier l'a déjà faite dans les années 1680[33].
Dans la dixième édition duSystema naturae, parue en 1758-1759, il regroupe l'ensemble des êtres humains au sein d'une seule espèce,Homo sapiens. Les quatre catégories demeurent et se voient adjoindre, en plus de l'origine géographique et de la couleur de peau, certaines caractéristiques que Linné considérait comme endémiques pour les individus qui la représentaient[32]. Les Indiens d'Amérique seraient colériques, rouges de peau, francs, enthousiastes et combatifs ; les Africains flegmatiques, noirs de peau, lents, détendus et négligents ; les Asiatiques mélancoliques, jaunes de peau, inflexibles, sévères et avaricieux ; lesEuropéens seraient quant à eux sanguins et pâles, musclés, rapides, astucieux et inventifs[n 2]. Il y décrit par ailleurs une cinquième variété d'êtres humains, qualifiés de monstrueux (Monstrosus)[34]. Elle regroupe notamment lesSamis, les nains des Alpes, les géants de Patagonie et les Hottentots monorchides[34],[n 3]. C'est également dans cette dixième édition que Linné ajoute une deuxième espèce humaine,Homo troglodytes, appelée aussiHomo nocturnus, une espèce qui serait active uniquement la nuit et qui résiderait essentiellement dans l'Est de l'Asie. Il précise plus tard que l'Homo troglodytes est le lien entre les primates et les êtres humains[32].
Par la suite, dansAmoenitates academicae (1763), il définit l'Homo anthropomorpha comme un terme fourre-tout pour une variété de créatures mythologiques et proches de l'homme, tels le troglodyte, le satyre, l'hydre, le phœnix. Il prétendit que ces créatures n'existèrent pas vraiment mais qu'elles étaient des descriptions inexactes de créatures ressemblant aux grands singes.
Dans sonSystema naturae il définit aussi l'Homo ferus comme « chevelu, muet et à quatre pattes ». Il y inclut aussi leJuvenis lupinus hessensis ou garçons-loups qui furent élevés par des animaux, pensait-il ; dans le même esprit on y trouve leJuvenis hannoveranus (Pierre de Hanovre) et laPuella campanica où Linné évoque lafille sauvage de Songy[n 4].
Au-delà de ses élèves, Linné a eu une immense influence sur les naturalistes de son époque. C'est avec sa collaboration quePhilibert Commerson put écrire son traité d'ichtyologie. Il eut aussi quelques autres correspondants tels queFrédéric-Louis Allamand[36].
Son caractère égocentrique, conjugué à une extrême ambition, le conduit en revanche, commeBuffon, à persécuter ceux qui n'optent pas pour son système.Mais il est le premier, suivant en celaJohn Ray, à utiliser un concept clair d'espèce qui n'est en rien diminué par sa conviction de l'immuabilité des espèces.[réf. nécessaire]
Contrairement à la plupart des naturalistes européens qui reconnaissent la révolution linnéenne, des naturalistes et des philosophes français commeJulien Offray de La Mettrie,Denis Diderot,Buffon ouMaupertuis critiquent lasystématique linnéenne. Ce qui lui est reproché est son caractère artificiel. L'entreprise de Linné ne fait que partiellement appel à la raison, et peu d'incitation à l'expérimentation. Ils lui reprochent aussi une démarche empreinte de religiosité car Linné se voit en nouvel Adam décrivant et nommant la création. Pour toutes ces raisons les philosophes desLumières en France ne peuvent le reconnaître comme l'un des leurs. Finalement, des idées de Linné, seule lanomenclature binominale survivra[37].
Dans son roman d'anticipationVingt Mille Lieues sous les mers,Jules Verne met en scène le personnage deConseil, domestique du professeur Aronnax, qui classe systématiquement toutes les espèces rencontrées durant le voyage selon le système linnéen.
Carl Linnaeus est un personnage majeur dans l'histoire du jeu de rôle Vaesen, dont les intrigues se déroulent en Scandinavie et plus précisément à Uppsala[38].
↑Pierre-Jacques Charliat,Le temps des grands voiliers, tome III deHistoire Universelle des Explorations publiée sous la direction de L.-H. Parias, Paris, Nouvelle Librairie de France, 1957,p. 132
↑JohannesBurman, PaulHermann, Henrik BernardOldenland et JoannesHartog,Thesaurus zeylanicus :exhibens plantas in insula Zeylana nascentes, inter quas plurimae novae species & genera inveniuntur, omnia iconibus illustrata, ac descripta, Apud Janssonio-Waesbergios & Salomonem Schouten,,(lire en ligne)
↑Hendrik vanReede tot Drakestein, Theodoor Jansson abAlmeloveen, JohannesCommelin et JohannesMunniks,Hortus Indicus Malabaricus :continens regni Malabarici apud Indos cereberrimi onmis generis plantas rariores, Latinas, Malabaricis, Arabicis, Brachmanum charactareibus hominibusque expressas…, sumptibus Johannis van Someren, et Joannis van Dyck,, surbiodiversitylibrary.org(lire en ligne).
↑a etb[Aubert 2016] Damien Aubert, « Doit-on parler de « nomenclature binomiale » ou bien de « nomenclature binominale » ? »,La Banque des mots,no 91,,p. 7-14(lire en ligne [surhal.archives-ouvertes.fr], consulté en).
↑a etbCarl vonLinné,Philosophie botanique de Charles Linné… (traduite du latin par Fr.-A. Quesné), Leboucher,, 11 pl. + 456, surgallica(lire en ligne).
(en)British Museum,A Catalogue of the works of Linnaeus (and publications more immediately relating thereto) preserved in the libraries of the British Museum (Bloomsbury) and the British Museum (National History) (South Kensigton), British Museum (Natural History), Londres, 1933 ; réimpr. Martino Fine Books, Mansfield,s.d., 246-65-59 p.(ISBN1-57898-093-3)
Catalogue compilé parBasil Harrington Soulsby (qui comprend une bibliographie ancienne et partielle des œuvres de Linné)