Le système dedatation byzantine oucalendrier byzantin, aussi appelé « Ère de la création du monde » (en grec ancien : Ἔτη Γενέσεως Κόσμου κατὰ Ῥωμαίους, Ἔτος Κτίσεως Κόσμου ou Ἔτος Κόσμου) ou plus simplement « Ère byzantine »[1], fut d’abord le calendrier utilisé par l’Église orthodoxe dupatriarcat œcuménique de 691 à 1728 avant de devenir le calendrier officiel de l’Empire byzantin vers 988 jusqu’à la chute deConstantinople en 1453, ainsi que de laRus’ kiévienne, puis de laRussie jusqu’à 1700.
Les méthodes étant utilisées par lesGrecs et lesRomains pour calculer le temps étant fonction de pratiques et coutumes païennes, les premiers chrétiens adoptèrent très tôt l’habitude juive de dater les années à partir de la création du monde[2].
Le modèle biblique fait remonter la création du monde aux environs de 5500 av. J.-C. ou de 4000 av. J.-C. selon le calcul des généalogies que l’on retrouve dans laGenèse, premier livre de la Bible. Le modèle le plus ancien, remontant aux Pères de l’Église et à l’ « ère byzantine » ou à son prédécesseur, l’« ère alexandrine » (voir ci-après), est basé sur la version des Septante[N 2]. Les dates plus récentes sont basées sur l’archevêqueJames Ussher, primat de l’Église d’Irlande de 1625 à 1656, et lecalendrier hébraïque basé sur le texte hébraïquemassorétique.
Fragment de la version des Septante de la Bible. Livre d’Esdras, d’après le Codex Vaticanus.
Les premières mentions que l’on trouve dans les textes chrétiens sur l’âge du monde apparaissent chezThéophile, sixième évêque d’Antioche, (115-181) dans son traité apologétique,Traité à Autolycus[3], ainsi que chezSextus Julius Africanus (v. 160/180 - v. 240 ), auteur d’une chronologie de l'histoire du monde depuis la Création biblique jusqu'à son époque[4]. Ces deux auteurs chrétiens se basant sur la version des Septante de l’Ancien Testament estimaient que le monde devait avoir environ 5 530 ans à la naissance du Christ[5]. Divers Pères de l’Église, commeTatien le Syrien (né vers 110-120),Clément d’Alexandrie (vers 150 - vers 215),Hippolyte de Rome ((v. 170 – †235),Eusèbe de Césarée (vers 265 – 339), ont fait référence aux écrits d’auteurs de la période hellénistique qui s’étaient penchés sur la datation de divers évènements mentionnés dans la Bible[6].
Prédécesseur de l’ère byzantine, l’ère alexandrine apparut en 412, à la suite des travaux d’Hippolyte de Rome et de Clément d’Alexandrie. Celle-ci fixait la date de la création du monde au 25 mars 5493 av. J.-C.[7],[N 3].
Le moine égyptienPanodore, qui vécut aux environs de l’an 400, calcula que 5 904 ans s’étaient écoulés entre la création d’Adam et l’an 412. Le calcul de ces années commençait avec le 29 août, correspondant au1er du mois de Thoth, premier mois ducalendrier nilotique (correspondant aux mois de juillet-août et à la crue du Nil)[8].Toutefois, Annanios d’Alexandrie critiqua ce calcul comme se basant trop sur des sources païennes plutôt que sur des sources bibliques. Il élabora donc sa propre chronologie qui plaçait la création de 25 mars 5492 av. J.-C. Dans ce système, trois des principales dates de l’histoire de l’humanité se trouvaient à coïncider le 25 mars : la création du monde, l’annonciation de l’incarnation du Christ et sa résurrection[1].
L’ère alexandrine fut adoptée par plusieurs Pères de l’Église commeMaxime le Confesseur,Théophane le Confesseur, de même que par des chroniqueurs commeGeorges le Syncelle[9]. Son aspect mystique le rendit très populaire surtout dans les cercles monastiques de Byzance. Cependant, ce symbolisme se heurtait à deux obstacles de taille. La première concernait la date de la Résurrection telle que fixée par le comput de la date de Pâques[N 4]; la deuxième était la contradiction avec l’évangile de saint Jean qui fixe la crucifixion au vendredi de laPâque juive[1].
L’indiction, l’ère du monde et leChronicon Paschale
Exemplaire du Chronicon Paschale, édition vénitienne de 1729.
On ne sait qui créa l’expression « Ère du monde » (Ἔτος Κόσμου), ni quand elle fut créée. Elle apparait pour la première fois vers 638/639 dans un traité écrit par le « moine et prêtre » Georges qui mentionne dans son texte toutes les variantes de cette expression[10],[1]. Pour lui, ce système avait l’avantage d’avoir en commun le début des cycles astronomique lunaire et solaire, ainsi que des « indictions », le système de datation en vigueur à Byzance depuis leVIe siècle. Il considérait qu’elle facilitait également la détermination de la date de Pâques[11].
Au départ, l’indiction romaine – du latin indictio, « annonce » –, correspondait à une imposition en nature, basée à la fin duIIIe siècle sur une évaluation fiscale devant être révisée tous les cinq ans. À partir de 312 apr. J.-C., l’empereurConstantinIer fixa cette période à 15 ans et rendit obligatoire la mention de l'année de l’indiction, c’est-à-dire le numéro d'ordre de l’année dans le cycle, pour qu’un acte juridique soit valide. Par glissement de sens, le mot « indiction » cessa ainsi de désigner l’impôt lui-même pour signifier une période de 15 ans[12]. Le premier jour de l’année commençait alors le 23 septembre, jour anniversaire de l’empereur CésarAuguste. Durant la deuxième moitié duVe siècle, probablement en 462 apr. J.-C., cette date fut transférée au1er septembre et le restera par la suite tout au long de la vie de l’empire. En 537, l’empereurJustinien dans saNovelle (édit) 47 décréta que toutes les dates officielles devaient inclure mention de l’indiction.
Une variation de l’ère du monde fut suggérée dans leChronicon Pascale, chronique byzantine de l'histoire du monde utilisant un système de chronologie fondé sur le cycle pascal. Il fut élaboré vers l’an 630 par un représentant de la tradition d’Antioche. Cette chronologie se base sur les principaux personnages de la Bible ; il prend comme point de départ le 21 mars 5507 av. J.-C. et va jusqu’au règne d’Héraclius.
Avec quelques modifications (il différait de 16 ans de l’ère alexandrine et de 2 ans duChronicon Pascale), le système de datation de l’ère byzantine fut fixé à partir de la deuxième moitié duVIIe siècle et fut connu en Europe occidentale[1]. On trouve mention de cette ère dans des novelles (édits) d’empereurs byzantins datant de 947, 962, 964. Elle devint officielle à partir deBasile II en 988 et se répandra à travers tout l’Empire romain d’Orient. L’ère byzantine prenait pour point de départ le1er septembre et fixait la création du monde en l’an 5509 avant l'ère chrétienne.
Commençant avec la création du monde, le calendrier byzantin était identique au calendrier julien, introduit parJules César en 46 av. J.-C. (708 depuis la fondation de Rome [en latin : ab Urbe condita ou AUC]) sauf pour les points suivants :
Le nom des mois était traduit du latin vers le grec ;
les dates ne faisaient pratiquement jamais référence auxcalendes, nones et ides des mois à la façon romaine, mais étaient numérotés à partir du1er du mois à la manière grecque[13], syrienne[14] et égyptienne, etc.
Le jour intercalaire du calendrier byzantin s’obtenait de façon identique à celui de la version originelle du calendrier julien en doublant le sixième jour avant les calendes de mars, c.à.d. le 24 février (le 29 février devint la date fixe à la fin du Moyen Âge).
Lorsque la Rus’ kiévienne se convertit au christianisme sous l’influence de Byzance, elle hérita du calendrier orthodoxe de l’ère byzantine traduit enslavon. Après la chute de l’Empire byzantin en 1453, il continua à être utilisé jusqu’en 1700 après J.-C. lorsquePierre le Grand adopta le calendrier julien[16]. Ce dernier ordonna que le1er janvier 7208 « depuis la création du monde » soit considéré comme le1er janvier 1700 ducalendrier julien et que l'année civile commence ce jour-là, au lieu du1er mars[17]. Il constitue encore la base des calendriers orthodoxes traditionnels où le mois de septembre 2000 commença l’année 7509 AM.
Pour traduire l’ère byzantine vers notre ère (selon le calendrier julien), il faut ajouter 5 509 ans de septembre à décembre et 5508 de janvier à août, puis convertir la date julienne en date grégorienne (en tenant compte du décalage progressif des dates d'un jour de plus tous les 100 ou 200 ans puisque ces deux derniers calendriers n'alignent pas leurs années bissextiles).
À partir de 537 et l’édit de Justinien obligeant à inclure l’indiction dans les dates apparaissant sur les actes officiels, il devint important de mentionner à la fois la date de la création du monde, alors toujours en discussion, et l’année d’indiction qui était alors la mesure normale des ans.
« […] À partir du quinzième jour du mois de janvier dernier, dans la quatrième indiction, en l’an six-mille-cent-quatre-vingt-dix[18]... »
AuXe siècle on trouve mention de l’ère byzantine dans des Novelles ou édits impériaux datant de 947, 962, 964 et 988, ainsi que dans les actes du patriarcheNicolas II Chrysobergès en 987[1].
Au siècle suivant,Jean Skylitzès (vers 1040-1118) utilisera souvent ce système de datation dans son œuvreSynopsis Historiarum (en grec Σύνοψις ἱστοριῶν / Synopsis historiôn), une chronique qui couvre la période allant de 811 à 1057 (dynasties amoriennes et macédonienne). Il se réfère ainsi à l’une des campagnes de Basile II :
« En l’an 6508 [notre an 1000], dans la treizième indiction, l’empereur envoya une puissante armée contre les positions fortifiées des Bulgares au plus loin des montagnes des Balkans[19]. »
Skylitzès se réfère ici à la treizième année d’un cycle de taxation de 15 ans qui doit avoir commencé le1er septembre 6495 AM.
Nicétas Choniatès (vers 1155 – 1217), décrivant la chute de Constantinople, en fixe la date de cette façon :
« La Reine des villes (Constantinople) tomba aux mains des Latins le douzième jour du mois d’avril de la septième indiction de l’année 6712 (donc 1204 apr. J.-C.) (Magoulias (1984)p. 338). »
Comparaison entre les calendriers égyptien, julien, grégorien, hébreu et musulman.
Suivant l’antique coutume romaine, la journée byzantine était divisée en deux cycles de douze heures commençant et se terminant avec le coucher et le lever du soleil. La journée (nychthemeron) commençait ainsi à minuit et la première heure du jour (hemera) au lever du soleil. La troisième heure correspondait au milieu de la matinée, la sixième heure à midi et la neuvième heure au milieu de l’après-midi. Le soir (hespera) ou onzième heure débutait une heure avant le coucher du soleil (apodeipnon) qui était la première heure de la nuit. L’intervalle entre le coucher et le lever du soleil (nyx) était également divisé en douze heures correspondant aux douze « veilles » (vigiliae) romaines[20].
Mais alors que le calendrier romain, et donc païen, avait assigné une déité à chaquejour de la semaine, les Byzantins leur donnèrent un numéro d’ordre sauf pour le premier et les deux derniers jours qui reçurent une connotation chrétienne. Ainsi le premier jour était « le jour du Seigneur » (Kyriake), suivi par le « deutera » (lundi), « trite » (mardi),tetarte (mercredi),pempte (jeudi),paraskeve (jour de la préparation ou vendredi) etsabbaton (samedi)[21].
L’Empire byzantin étant profondément religieux, chaque jour de la semaine était consacré à un évènement marquant la vie du Christ, de laTheotokos (« Celle qui porta Dieu » c.a.d. la Vierge Marie) ou des saints, dont la commémoration remplaça progressivement les festivités païennes. Le dimanche remplaça ainsi le jour du soleil et marquait la Résurrection du Christ. Le lundi remplaça la lune et était consacré aux anges. Le mardi remplaça le dieu Mars et rappelait saint Jean-Baptiste, le précurseur (prodromos) du Christ. Le mercredi remplaça Mercure et était consacré à la Vierge Marie. Le jeudi remplaça Jupiter et commémorait les apôtres. Le vendredi remplaça Vénus et rappelait la crucifixion du Christ, alors que le samedi jusqu’alors journée de Saturne devint la commémoration de tous les saints et croyants décédés[22].
Chronologie de l’humanité selon le calendrier byzantin
↑Cette expression « depuis la création du monde » revient à plusieurs reprises dans le Nouveau Testament (Matthieu 25:34 ; Luc 11:50 ; Épitre aux Hébreux 4:3 et Apocalypse 13:8, 17:8).
↑La version des Septante est une traduction en grec de l’Ancien Testament rédigée auIIIe siècle av. J.-C. Elle est appelée ainsi parce que la tradition veut que 70 hommes travaillant indépendamment l’un de l’autre aient produit un texte rigoureusement identique. Elle fut considérée comme la version autorisée de la Bible pendant plusieurs siècles après Jésus-Christ. La version massorétique est un texte hébraïque compilé soigneusement par des érudits entre le sixième et le dixième siècle pour s’assurer qu’aucune erreur de transcription ne s’y était glissée. La plupart des bibles occidentales y compris la version dite du roi Jacques (The King James version) et la version dite « Vulgate » de saint Jérôme s’appuient sur ce texte.
↑Un autre système de datation, dit « ère d’Antioche » apparut à peu près en même temps, mais différait du premier par une dizaine d’années. Toutefois les deux systèmes se rejoignaient après l’année 284, année où Dioclétien devint empereur.
↑Suivant le calendrier des cycles lunaires, il n’est jamais arrivé que la première pleine lune du printemps coïncide avec la date traditionnelle de la passion (25 mars) et tombe un vendredi.
(en)Théophile d'Antioche,To Autolycus(lire en ligne), livre III, « Chronology from Adam » — Et surtout Chapitre XXVIII : « Leading Chronological Epochs ».