La carrière de Keaton décline après 1928 lorsqu'il signe avec laMetro-Goldwyn-Mayer (MGM) et perd son indépendance artistique. Sa première femme demande le divorce et il sombre dans l'alcoolisme. Il est renvoyé de la MGM en 1933, mettant ainsi fin à sa carrière au sommet du box-office. Sa situation se redresse quelque peu dans les années 1940 après son mariage avecEleanor Norris(en) et il travaille comme comique respecté jusqu'à la fin de sa vie. Durant cette période, il fait des apparitions dansBoulevard du crépuscule (1950) deBilly Wilder,Les Feux de la rampe (1952) deCharlie Chaplin,Film (1965) deSamuel Beckett et dans divers programmes télévisés. Il reçoit unOscar d'honneur en 1959.
Le critiqueRoger Ebert écrit sur la « période extraordinaire de Keaton de 1920 à 1929 » où il « a travaillé sans interruption » comme ayant fait de lui « le plus grand acteur-réalisateur de l'histoire du cinéma[11] ». En 1996, le magazineEntertainment Weekly classe Keaton comme le septième plus grand réalisateur de cinéma, déclarant que « ses films offrent des éclats de rire face à une invention physique ahurissante et une détermination spatiale qui se rapproche de la grandeur philosophique[12],[13] ». En 1999, l'American Film Institute le classe comme la21e plus grande star masculine ducinéma hollywoodien classique[14].
The Three Keatons : Buster Keaton, à 6 ans, avec ses parentsMyra etJoe Keaton.Buster Keaton pendant son service militaire en 1918.
Joseph Frank Keaton[15],[16] naît dans une petite ville agricole ducomté de Woodson, dans le sud-est duKansas, deJoseph Hallie Keaton etMyra Edith Cutler, acteurs de cabaret[17]. Un an plus tard, le surnom « Buster » lui est attribué. D'après la légende,Harry Houdini en serait à l'origine, mais il est plus vraisemblable qu'il fut inventé par son père[18]. Dès octobre1900[19], il rejoint ses parents sur la scène duBill Dockstader's Wonderland Theatre deWilmington (Delaware) et devient un membre salarié de leurs numéros[20].
Il apprend le métier de comique dès son plus jeune âge avec son père, et forme, à partir de 1907, un numéro de spectacles burlesques à cinq avec ses parents, son frère Harry Stanley et sa sœur Louise (nés respectivement en 1904 et 1906). Engagé en 1917 àBroadway dans la revue musicaleThe Passing Show, il ne se présente pas à la première, il a signé un contrat quelque temps auparavant avec laComique Film Corporation[21]. Il fait ses grands débuts d'acteur de cinéma muet avecRoscoe « Fatty » Arbuckle. Son expérience sur les planches lui a permis d'acquérir une technique corporelle exceptionnelle, mais la piètre qualité de ses premiers spectacles lui a donné le désir de faire des films dont les mises en scène sont soignées.
Durant lesannées 1920[22], Keaton interprète et réalise (ou coréalise) une dizaine de films (longs ou courts-métrages) qui feront date dans l'histoire du cinéma. Il y crée un personnageintroverti, mais téméraire, toujours en quête d'amour.
Le premier long-métrage que signe Keaton,Les Trois Âges, est en fait un film à sketches inspiré par le filmIntolérance deD. W. Griffith. Ce premier essai est couronné d'un franc succès au box office. Keaton enchaine avecLes Lois de l'hospitalité, film qui, selon Jean Tulard, « suscite l'admiration par l'extraordinaire enchainement, d'une logique imperturbable, des gags ». Ce film contient aussi une des cascades les plus spectaculaires que Keaton ait exécuté alors qu'il se balance accroché à une corde au-dessus d'une chute d'eau.
Dans son troisième film,Sherlock Junior, Buster incarne un projectionniste de cinéma qui pénètre dans le film qu'il présente sur l'écran, idée dontWoody Allen se souviendra dansLa Rose pourpre du Caire.
Vient ensuiteLa Croisière du Navigator, que Keaton coréalise avecDonald Crisp et qui sera le plus gros succès commercial de sa carrière. Buster et sa partenaire,Kathryn McGuire, y incarnent deux personnes seules à bord d'un paquebot à la dérive. Nouveau succès avecLes Fiancées en folie, son film suivant, qui reprend le principe de la course poursuite et contient une scène particulièrement célèbre dans laquelle Buster est pourchassé par une meute de femmes qui rêvent toutes de l'épouser.
C'est en 1926 que Keaton lance ce qui deviendra son film le plus célèbre :Le Mécano de la « General » coréalisé par Keaton etClyde Bruckman. Buster y incarne un mécanicien de locomotive qui, pendant laGuerre de Sécession, part à la recherche de sa locomotive après qu'elle a été volée par des soldats nordistes. À sa sortie, le film ne remporte qu'un succès limité, surtout au regard de son imposant budget.
Keaton ne connait pas non plus un grand succès avecCadet d'eau douce, qui, tout commeLe Mécano de la « General » verra, au fil de années, sa réputation grandir au point d'être considéré comme une œuvre importante. Le film comprend une autre cascade célèbre : pendant une tempête, une façade entière d'immeuble tombe sur Buster.
En 1928, Buster Keaton passe outre ses craintes et les mises en garde de Charlie Chaplin, à qui il demande conseil, et signe un contrat avec la MGM, cédant à l'insistance d'un beau-frère. Sa créativité est alors étouffée parLouis B. Mayer et ses studios[23],[24].
Buster Keaton souffre terriblement de cette perte de son autonomie artistique, dès 1930, après son dernier chef-d'œuvre,L'Opérateur. Pour ses films suivants, Keaton se voit imposer un partenaire, commeJimmy Durante, comique respectable, mais envahissant et bavard. Il ne peut plus exprimer sa fantaisie et son génie, il est mis à l'écart des studios et plonge dans la dépression et l'alcool. En quelques années, Hollywood fait de lui un réalisateur dépassé, et le mène à la ruine. Sa vie conjugale avecNatalie Talmadge, fille d'un grand producteur hollywoodien, bat de l'aile ; son épouse demande le divorce et fait changer le nom de ses fils.
Durant presque quarante ans, Buster Keaton ne fait plus que des films contrôlés voire corrigés par les producteurs, il n'est plus réalisateur, mais simple faire-valoir, sur l'écran et à l'affiche. Des réalisateurs sont chargés de le chaperonner (Edward Sedgwick notamment). On le retrouve parfois dans de petits rôles : en 1950, il joue au bridge dansBoulevard du crépuscule deBilly Wilder avec un autre rescapé du muet,Erich von Stroheim. En 1952, Chaplin fait appel à lui pourLes Feux de la rampe, où les deux stars du muet, en vieux clowns vieillissants, offrent quelques scènes bouleversantes. En 1953, il figure en apprenti boulanger dans une séquence comique du film italienPattes de velours.
Il fait aussi quelques « caméras cachées » où éclate, au détour de quelques gags, son vrai visage.
En1940, il épouse en troisièmes noces Eleanor Norris (1918-1998)[25] qui restera auprès de lui jusqu'à la fin.
En janvier 1954, il passe en vedette à Paris aucirque Medrano dans un numéro muet[26].
En 1955,Raymond Rohauer(en) (1924-87), un distributeur et collectionneur américain, commence à rassembler les films de Buster Keaton et contribue à la rediffusion de ses meilleurs films au début desannées 1960.James Mason, qui a racheté la luxueuse Italian Villa, découvre dans la buanderie quelques négatifs de courts et longs-métrages[27].Le Mécano de la « General »,Sherlock Junior,La Croisière du Navigator ressortent et connaissent un très grand succès auprès du jeune public. De jeunes réalisateurs commeRichard Lester s'entêtent à retrouver les négatifs originaux pour pouvoir toucher un nouveau public.Ainsi redécouvert, Buster Keaton reçoit un Oscar en1960 pour l'ensemble de sa carrière. Un an plus tard, dans un épisode deLa Quatrième Dimension, il joue le rôle d'un balayeur grincheux qui se plaint de son époque, 1890, et imagine que la vie en 1961 sera bien plus agréable.
Le, Buster Keaton meurt à 70 ans d'un cancer du poumon[28] àWoodland Hills[29] enCalifornie. La gravité de son état ne lui a jamais été expliquée et il pensait souffrir d'une simple bronchite. Confiné à l'hôpital les derniers jours de sa vie, il parcourt sa chambre sans trouver le repos. Quelques années plus tôt, il avait installé dans son garage un train électrique assez long et, pour arrêter de fumer, sur les bons conseils d'Eleanor, il posait sa cigarette dans un des petits wagons et ne prenait qu'une bouffée au passage du train, tous les quatre tours. Eleanor meurt en 1998, également d'un cancer du poumon.
Lors d'une conversation avecPeter Bogdanovich (qui lui a consacré un documentaire de référence[30],[31]), Buster Keaton avait confié :« je souhaiterais être mis en terre avec un jeu de cartes et un chapelet afin d'être prêt à toute éventualité… ».
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Buster Keaton pratique le gag avec une précision d'orfèvre ; la scène où la façade de la maison lui tombe dessus dansCadet d'eau douce (gag mis au point huit ans plus tôt dansOne Week (La Maison démontable)[32]), ou la précision du tir du boulet de canon dansLe Mécano de la « General » sont des sommets de lamécanique keatonienne. Buster Keaton sait se trouver là où l'on ne l'attend pas, amorcer son gag, emmener le public à deviner ce qui va se passer et le surprendre finalement avec un gag complètement différent de celui attendu, comme dansLa Maison démontable où il se démène pour enlever sa maison démontable de la voie du chemin de fer, car un train point au loin. N'y arrivant pas, il se retire avec sa compagne pour éviter le choc mais le train passe en réalité sur la voie d'à côté. C'est alors que sa maison est réduite en miettes par un autre train arrivant en sens opposé. Keaton a également un sens de l'espace : ses grands travellings sont toujours des modèles du genre, comme dansLes Fiancées en folie. La totale maîtrise d'un film commeSherlock Junior, au montage et aux effets visuels complexes, montre les qualités de metteur en scène de Buster Keaton.
Durant cette époque, les grands cinéastes du monde du comique, du « burlesque », se servent de personnages à la silhouette immédiatement reconnaissable par le spectateur ; Chaplin avec son costume deTramp (le vagabond, rebaptisé « Charlot » en France), Buster Keaton avec son chapeau canotier et son costume relativement souple,Harold Lloyd et ses lunettes. Le françaisMax Linder, « dandy » charmeur et gaffeur, instaure, au tout début des années 1910, cette variété de personnages.
Considéré comme « l'homme qui ne riait jamais », Keaton se sert de cette façade au visage impassible[33] pour mettre ses personnages dans des situations où ils n'ont pas de place au départ mais qu'ils sont toujours prêts à affronter. DansLa Croisière du Navigator, Keaton doit, après un chassé-croisé avec sa future bien-aimée, apprendre à vivre à deux, et même à trois, car le bateau, trait d'union entre les protagonistes, fait partie intégrante de l'action. Cet apprentissage fait du personnage de Keaton l'homme d'une seule femme. Keaton rajoute davantage à cette vision monogamique dansLes Fiancées en folie où il est pris entre une avalanche de pierres et une ruée massive de femmes voulant l'épouser. Pour ce film, Keaton a été taxé demisogynie, alors qu'il voulait simplement souligner la cupidité des êtres. Ce qui, dans le film, s'applique aux femmes peut également s'appliquer aux hommes. Keaton, au bas d'une colline, voit débouler sur lui, d'un côté des pierres et de l'autre des femmes. Il s'en sort par une pirouette purement « keatonienne » et trouve l'amour.
Dans la vie réelle, Buster Keaton est à l'opposé de ses personnages. Il s'est marié plusieurs fois. Cette « expiation » cinématographique est pour lui un exutoire aux complications de la vie de couple. À l'écran, son personnage n'a pas de position sociale bien définie (à part quelques rares exemples, commeLa Croisière du Navigator, où son personnage est très riche) ou, plus exactement, l'argent ne compte pas pour lui : dansSherlock Junior, il est projectionniste et s'évade au travers des films qu'il projette mais, dans sa quête d'amour, il fait passer la réussite sociale au deuxième plan. Idem dansL'Opérateur[34] où seule compte celle qu'il aime : dans une scène où, dans l'attente du coup de téléphone de son amour, il fait des dizaines d'allers-retours entre le téléphone, situé en bas de son immeuble, et son logement, tout en haut. Et quand, enfin, son aimée téléphone pour lui donner rendez-vous, elle n'a pas le temps de finir ses phrases, que Keaton, au terme d'une course effrénée et de maints périples, se présente chez elle au moment où elle raccroche.
Pour Buster Keaton, seul compte l'amour. Il n'évoque pas, en revanche, la suite de cet instant. Bien sûr, finalement cela est suggéré, mais Keaton ne développe pas la vie en couple ni n'aborde (ou peu) la famille, la sienne, ou celle qu'il va fonder.
DansCadet d'eau douce (1928), toutefois, Buster Keaton vient au secours de son père emprisonné. Buster se démène pour faire évader son père de prison au moment où un cyclone vient frapper la ville. Cette tornade peut symboliser la « sanction » divine s'abattant sur le fils d'un mauvais père. Buster, au prix d'éprouvantes prouesses physiques, parviendra une nouvelle fois à se sortir de toutes les situations. C'est aussi, dans le même temps, un test « grandeur nature » pour faire son apprentissage de la navigation et se préparer, une fois en mer, à déjouer ses pièges (sauf que dans le cas présent, ce sont les maisons qui flottent). Chez Keaton se trouve également un besoin de reconnaissance et d'affirmation. En effet, son personnage (comme lui-même d'ailleurs) est quelqu'un de frêle et pas très grand. Keaton est prêt à tout pour l'obtention de ce statut « d'homme », pour être aimé et reconnu, comme étant un héros de guerre, par Anabelle dansLe Mécano de la « General »[35]. Keaton, après avoir été refoulé par l'armée, ne peut assumer son étiquette de (futur) lâche, mais prouvera pourtant sa bravoure avec une « associée » non moins négligeable : une locomotive. Ce besoin d'être reconnu fera à nouveau surface dansCollege,L'Opérateur (avec un final sur fond de guerre de gangs) et, comme toujours, Keaton faisant fi de tous les dangers afin d'exister aux yeux de celle qu'il aime.
Certains de ses « partenaires-objets » sont souvent, par rapport à lui, gigantesques : la locomotive dansLe Mécano de la « General », le paquebot dansLa Croisière du Navigator, le troupeau de vaches dansGo West mais aussi sa compagne, qui s'avère être bien plus masculine, physiquement parlant, que lui dansLes Trois Âges. Finalement, Keaton domine ses encombrants partenaires avec simplement un peu d'intelligence. Selon Keaton, les gros objets ne sont pas plus dangereux que les petits. Le danger n'effraie pas Keaton, il fait parvenir son personnage à une dimension humaine concrète qu'il n'aurait pas eu sans le braver. Keaton nous enseigne qu'il est vain de se battre pour des causes qui ne sont pas les nôtres.
Chez Buster Keaton, certains gags[36],[37] étaient instantanés et faisaient prendre à son récit une tournure différente. Pour emmener le public sur son propre terrain, Keaton se servait de certains gags éclairs sans tomber dans une transition cinématographique assez longue. Plusieurs exemples illustrent ce propos et le gag de la transformation de Keaton en une vieille femme dansSherlock Junior restera l'un des sommets du cinéma keatonien. Le film tout entier est une balade entre le réel et la magie, sa façon d'entrer et de sortir de l'écran quand il est dans son cinéma (dans le film), le gag où son associé est contre une palissade et où il lui passe à travers pour échapper au méchant voulant le saisir, son ami repartant intact comme si rien ne s'était passé. Tout le film est bâti sur cette sensation d'étrangeté et de magie.
Bon nombre d'exemples sont présents dans les films de Buster Keaton à propos de ces gags très rapides, lorsqu'il est dans la diligence dansLes Lois de l'hospitalité et qu'il porte un chapeau un peu trop grand pour lui, au passage d'une bosse, la diligence saute et ce n'est pas le chapeau qui s'enfonce sur la tête de Buster, c'est Buster qui vient s'engouffrer dans son chapeau. Cet autre gag rapide, une nouvelle fois, en dit long sur le talent de Keaton, il a eu l'idée de surbaisser le toit de la diligence avant le tournage de cette scène pour que justement le chapeau n'aille pas à Buster mais que ce soit Buster qui aille au chapeau.
Lors des premières sorties françaises, Buster est renommé Frigo ou Malec. Du fait de la multiplicité de titres différents attribués à ses films, le titre retenu, français ou anglais, est le plus utilisé et reconnu, notamment dans le cadre de récentes restaurations.
↑« L'homme qui ne rit jamais, Visage de marbre, Tête de buis, Figure de cire, Frigo et même Masque tragique, voilà comment on m'a toujours surnommé. En apothéose, le célèbre écrivain et critique James Agee a décrit mon visage en ces termes ;« Il rivalise presque avec celui d'Abraham Lincoln en tant qu'archétype américain : hiératique, fier, presque sublime ; inoubliable. » Je n'ose imaginer ce que notre Grand Pionnier eût pensé d'une semblable comparaison. Quant à moi, elle me comble d'aise. » - Extrait deSlapstick de Buster Keaton etCharles Samuels(en) (traduction de l'autobiographieMy Wonderful World of Slapstick).
↑« A staged fall, used in theatrical and film comedy »allwords.com ; « an unusually sturdy child »merriam-webster.
Buster Keaton Interviews, recueil d'entretiens avec l'acteur-réalisateur de 1921 à 1965 sous la direction deKevin W. Sweeney, collectionConversations with Filmmakers, éditions University Press of Mississippi.