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Lebougnat ouAuvergnat de Paris, est un immigré installé àParis, originaire d'Auvergne, aire qui dépasse le cadre de la province historique et englobe également une partie sud duMassif central. Après les avoir vus exercer la profession de porteur d'eau, notamment pour les bains dès leXVIIe siècle, le siècle suivant voit également les Auvergnats de Paris exercer des professions en lien avec l'artisanat du métal et de la récupération tel querémouleurs,étameurs,chaudronniers[1].
À partir duXIXe siècle[2], les immigrés de ces hautes terres vont s'orienter progressivement dans le commerce du bois, du charbon (livré à domicile), des boissons (vin, spiritueux, limonade), dans l'hôtellerie et parfois parallèlement dans le commerce de laferraille. Cette reconversion se fit sous leSecond Empire, quand le réseau d'alimentation en eau de la capitale commença à desservir les étages des immeubles[3].
Les Auvergnats de Paris forment auXIXe siècle ainsi que dans le premier tiers duXXe siècle la communauté immigrée la plus importante de la capitale française[4].
Les premiersAuvergnats deParis sont attestés dès leXIVe siècle. Les tout premiers n'étaient pas encore issus dupetit peuple mais exerçaient une profession au service duroi, notamment en tant que militaires ou fonctionnaires.
La première moitié duXIXe siècle voit l'arrivée d'Auvergnats venant principalement deBasse-Auvergne et plus particulièrement de laLimagne, donc des populations relativement éloignées de celles montagnardes qui arriveront par la suite auXIXe siècle.
À partir de 1850, lacrise agricole et le développement duchemin de fer provoquent une phase d'arrivée massive d'Auvergnats dans lacapitale. Les immigrés viennent cette fois davantage deHaute-Auvergne ; tout leCantal est touché par cet exode rural et, bientôt, ce sont les habitants de laMargeride de l'Aubrac de laViadène et de laMontagne limousine qui suivent ce flux de population. Jusqu'à 1880, les émigrés auvergnats sont au plus bas dans l'échelle sociale parisienne et pratiquent les tâches dures refusées par les autres (porteurs d'eau,chaudronniers,rémouleurs,frotteurs de parquets,ferrailleurs, etc.)[5].
Après leSecond Empire, ces derniers vont tenir des commerces de plus en plus nombreux, dont les plus connus sont les « Bois et charbons », brasseries où se vend également le charbon.
Les Parisiens les appellent « bougnats » à partir de cette époque. Le mot viendrait de l'association de « charbonnier » et « Auvergnat[6] (« charbouniat »). L’origine de l’alliance si durable entre l’Auvergnat et le charbon est peut-être la vente à Paris du charbon deBrassac-les-Mines[7].
Durs au travail et formant une communauté très soudée, beaucoup d'entre eux connaîtront de belles réussites. Aujourd'hui, même si beaucoup de cafés parisiens ont changé de main, la communauté des cafetiers « aveyronnais » est toujours bien présente et conserve une certaine aisance financière, bien illustrée dans le filmXXL (avecGérard Depardieu), dans lequel le réalisateur trace un parallèle intéressant avec la communautéjuive du quartier duSentier qui lui ressemble à bien des égards.
Le terme a fini par désigner les cafés parisiens tenus par des bougnats, lescafés-charbons, à la fois débits de boisson et fournisseurs de charbon[5]. Ils étaient installés surtout dans les quartiers populaires et portaient souvent l'inscription « Vins et charbons ». Le mari livrait le charbon, tandis que son épouse servait les clients. Certains ont complété leur activité par la restauration et l'hôtellerie. L'apogée des bougnats se situe dans la première moitié duXXe siècle.
L'un des derniers bougnats à Paris se trouvaitrue Émile-Lepeu, dans le11e[8].
En 2016, on compte 500 000 descendants de bougnats en Île-de-France, possédant 6 000 cafés, hôtels et restaurants, 40 % des cafés-brasseries et 15 % des bars-tabacs de la région (contre 80-90 % de ces établissements dans les années 1980). Cette baisse s'explique notamment par le fait que les jeunes générations font des études supérieures et délaissent ce métier pénible, parfois peu sûr et moins profitable (notamment à cause de la baisse de consommation de tabac). En parallèle, des rachats massifs sont opérés par lacommunauté chinoise, bien que les « Aveyronnais » (nom donné par raccourci aux originaires de l'Aubrac et de laViadène[Note 1]), continuent à posséder des brasseries prestigieuses (Lipp,Café de Flore,Les Deux Magots, leWepler) et que des personnalités comme lesfrères Costes (originaires deSaint-Amans-des-Cots ) etOlivier Bertrand (originaire dePailherols) connaissent de belles réussites[5].
Plusieurs grandes familles d'Aveyronnais et d'Auvergnats sont particulièrement influentes dans le domaine du Café-Hôtel-Restaurant (C.H.R.) c'est-à-dire les commerces de type débits de boissons, restaurations et autres brasseries.
Le prototype du bougnat qui a réussi est sans doute Marcellin Cazes. Né àLaguiole (Aubrac) en 1888, il est d'abord commis chez un bougnat, avant d'ouvrir son propre établissement, d'abord dans le11e, puis aux Halles. En 1920, il fait l'acquisition d'un établissement déjà réputé, labrasserieLipp et, en 1931, duBalzar, rue des Écoles[9]. En 1935, il crée un prix littéraire, leprix Cazes, qui est encore décerné chaque année.
Paul Boubal (1908-1988), originaire deSainte-Eulalie-d'Olt, patron duCafé de Flore, qu'il avait racheté en 1939 et qu'il dirigea jusqu'en 1983. Ses parents étaient déjà établisrue Ordener, dans le18e[10].
Louis Vaudable et son pèreOctave Vaudable, Auvergnat sans le sou qui est monté à la capitale, sont un exemple typique de réussite de bougnats avecMaxim's, l'un des restaurants les plus connus du monde.
Gilbert Costes, qui vient des environs deSaint-Amans-des-Côts (Viadène), a connu une réussite brillante et se trouve, avec sa famille, à la tête d'une quarantaine d'établissements parisiens. En 1999, il devient même président dutribunal de commerce de Paris. S'il ne s'agit plus d'un bougnat au sens propre, il s'inscrit cependant clairement dans cette tradition, ne serait-ce que par le côté familial de l'entreprise[11].
Parmi des familles marquantes de bougnats du milieu de la brasserie et de l'hôtellerie on peut citer aussi les Tafanel (Raulhac), lesBouscarat et les Ladoux (Mur-de-Barrez), ainsi que les Richard (Le Nayrac)[12].Olivier Bertrand (1965) originaire dePailherols (Carladès) est propriétaire d'un empire de 890 restaurants[13].
Le bougnat apparaît dans les chansons deGeorges Brassens (Chanson pour l'Auvergnat,Brave Margot) et deJacques Brel (Mathilde :« Bougnat, apporte-nous du vin / Celui des noces et des festins »), ainsi que deNino Ferrer (Mamadou Mémé : « Quand j'étais bougnat à la Martinique… »), et dans la chansonLa Java de Cézigue chantée parÉdith Piaf.
Dans la littérature, on trouve le bougnat chez des auteurs commeCendrars ou surtoutMarcel Aymé, qui en fait le héros de sa nouvelle[14], « Le Mariage de César ». Des écrivains moins connus, comme Joseph Bialot[15] ouMarc Tardieu[16] en font le centre de leur œuvre.
DansLe Bouclier arverne,11e album des aventures d'Astérix, la ville deGergovie est remplie de boutiques de « vins et charbons », en référence à ces bougnats.
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