Dans le bouddhismemahayana, il désigne celui qui a formé le vœu de suivre le chemin indiqué par lebouddha Shakyamuni, a pris le refuge auprès des trois joyaux (Bouddha,Dharma etSangha) et respecte strictement les disciplines destinées aux bodhisattvas, pour aider d'abord les autres êtres sensibles à s'éveiller, retardant sa proprelibération parcompassion[2]. Selon l’Avataṃsaka sūtra, il existe cinquante-deux niveaux (ou étapes de formation) de bodhisattvas : dix degrés de la foi, dix degrés de la demeure, dix degrés de la pratique, dix degrés du transfert de mérites,dix terres, éveil correct et équivalent, et éveil merveilleux. Au début se trouvent les novices qui apprennent les théories en les mettant en pratique, ils doivent s'entraîner pendant trois grandskalpas d'après leMahāyāna pour devenir bouddhas, et au bout du chemin se situent lesgrands bodhisattvas tels qu'Avalokiteshvara etManjushri qui, ayant déjà été bouddhas dans le passé, reviennent dans notre monde en jouant le rôle de bodhisattva pour faciliter le progrès et l'éveil de ceux qui le veulent de leur plein gré.
Le bouddhisme primitif connaissait lesquatre êtres nobles, quatre étapes de plus en plus avancées sur la voie de l'éveil ; la dernière, qu’il faut atteindre pour arriver aunirvana, est celle d’arhant (ouarhat). Très tôt, si l’on en croit l’histoire desconciles bouddhiques, des disciples mentionnés collectivement sous le nom de « grande assemblée » (mahāsanghika) contestèrent la qualité des arhants en faisant remarquer qu’ils conservaient encore tropd’imperfections.
Parallèlement, le terme debodhisattva, non clairement explicité, apparaît dans leMajjhima Nikaya, l'Anguttara Nikaya et leSamyutta Nikaya, utilisé exclusivement parGautama lui-même lorsqu'il fait référence à ses existences antérieures ou son séjour au paradisTushita (« Quand j’étais Bodhisattva… »). Un passage duSutta Nipata donne un peu plus de précisions, indiquant qu’il s'agit d’une voie dans laquelle Gautama s’est engagé volontairement par compassion.
Dans lecanon pali et les commentaires, le terme palibodhisatta est utilisé pour désignerSiddhartha Gautama avant son éveil, ainsi que pour ses précédentes incarnations. La voie dubodhisatta n'est pas mentionnée comme un idéal plus grand ou une alternative à l'état d'arahant (comme c'est le cas dans lemahayana)[1]. Dans leBuddhavamsa(en) et leChariyapitaka(en), qui mentionnent les bouddhas ayant précédé Gautama, l’état de bodhisattva est présenté de façon plus détaillée comme la voie empruntée par tous lesBouddhas du passé; le boddhisattva fait vœu de s'engager sur cette même voie, et ce alors même qu’ils étaient sur le point de s'éveiller. Car contrairement aux autres renonçants qui, eux, s’apprêtent à quitter le cycle des renaissances (saṃsāra), le bodhisattva choisit de continuer de se perfectionner pendant d’innombrableséons pour devenir unsamyaksambuddha, seul être capable de remettre en mouvement la roue duDharma, et donc de contribuer plus que qui que ce soit au salut universel. Néanmoins, comme l’a fait remarquerWalpola Rahula, dans le theravāda la voie de bodhisattva n’est envisageable que pour les êtres d’exception.
Ceux-ci semblent avoir été autrefois identifiés aux souverains, tout d’abord àSri Lanka, puis à partir duVIIIe siècle enBirmanie et enThaïlande. Le roi Mahinda IV (956-972) de Sri Lanka affirma même que seul un bodhisattva aurait le droit désormais de gouverner le royaume. Ce roi doit en principe pratiquer de façon éclatante les quatre vertus de don (dāna), de moralité (śīla), d'abstinence (samyama) et de retenue (dama). L’association des bodhisattvas avec la noblesse est reflétée dans leurs vêtements et parures tels qu'ils sont représentés dans l’iconographie indienne ; Gautama lui-même est né prince. Très rares sont donc les pratiquants du bouddhisme theravāda qui ont manifesté leur intention de devenir bodhisattva ; les seuls reconnus par ce courant sont les bouddhas du passé et Gautama dans leurs existences antérieures, ainsi queMaitreya, annoncé dans leSûtra du Lotus comme futur Bouddha par Gautama lui-même.
Pour les pratiquants du théravāda, l’objectif du bodhisattva est irréaliste pour la plupart des gens et il est plus efficace que chacun se concentre sur son propre salut.
Il existe cependant un traité theravāda consacré à la voie du bodhisattva : leTraité des paramis deDharmapâla (commentaire duChariyapitaka duKhuddaka Nikāya). Au sein du canon pâli, leChariyapitaka lui-même est considéré comme destiné aux bodhisattvas puisqu'il traite des dix paramis. Le terme de "mahâsattva" (grand être) est utilisé dans ces textes pour désigner certains bodhisattvas.
Les philosophesNāgārjuna,Asanga etChandrakīrti ont défini le mahāyāna comme la voie du bodhisattva, par opposition auhīnayāna, voie de l’auditeur (śrāvaka) ; la carrière de bodhisattva est pour eux de loin le meilleur choix. Dans le mahāyāna et le vajrayāna, chacun, même laïc, est encouragé à avoir pour but de devenir bodhisattva et peut prononcer des vœux à cet effet. Parfois révérés à l’instar de divinités, les bodhisattvas sont nombreux et jouent un rôle important dans les pratiques et la propagation de laLoi bouddhique. Plus accomplis encore que ceux du théravāda, ce sont des êtres de « bonté merveilleuse » qui, ayant porté à la perfection (pāramitā) la pratique du don (dāna) et de la sagesse (prajñā) durant de nombreuses existences, ont transcendé la dualité entrenirvana etsamsara pour rester actifs dans le monde et aider l'ensemble des êtres à trouver leur délivrance. Les pratiquants du mahāyāna et du vajrayāna présentent souvent leur objectif (devenir bodhisattva pour sauver tous les êtres) comme plus altruiste que celui du théravāda (devenir arhat et n'aspirer qu'à son propre salut).
Les « bodhisattvas sortis de la terre »[4](Bodhisattvas_of_the_Earth(en)), sont typiques et propres auSūtra du Lotus, ils ne sont cités dans aucun autresūtra. Dans lechapitre 15, “Surgis de terre”, le sol du mondesaha (notre monde où vivent des êtres en proie à de multiples souffrances qu’ils doivent « endurer »[5]) se met« à trembler et à s’entrouvrir »[6] ; ils apparaissent en nombre infini, tous ayant été convertis par le Bouddha, qui décrète, auchapitre 21[7], leur mission de protéger aussi bien le texte duSūtra du Lotus que ses pratiquants dans leur œuvre de propagation, particulièrement« dans les temps qui suivront son entrée dans l’extinction »[8], à l’époque dela Fin de la Loi. Guidant cette multitude, quatre de ces bodhisattvas sortis de la terre se distinguent[Note 1].
SelonNichiren, même si leSūtra du Lotus, comme tous les sūtras le précédant, devenait sans effet à l’époque dela Fin de la Loi,« la Loi deNam-myōhō-renge-kyō, présente dans les profondeurs duchapitre 16, “Durée de la vie de l’Ainsi-venu”, se propagera pour apporter des bienfaits à tous les êtres humains »[9]En annonçant la manifestation des bodhisattvas sortis de la terre, Nichiren pense particulièrement à la mission du bodhisattvaVisistacaritra(en) (Jōgyo, Conduite-supérieure) auquel il va s’identifier.
Différents textes décrivent les étapes, appeléesbhumi (terres, terrains, ou mondes intérieurs d'un humain qui expriment ses différents états d'esprit), que doit franchir un aspirant bodhisattva pour arriver à l’état de bouddha. LeBudhavamsa de la littérature pali envisage un stade de préparation, puistrois grandes étapes de plusieurséons chacune. Dans lemonde chinois, leSoûtra des dix terres[10] deVasubandhu décrit les dix étapes vers l'état de bouddha, et leGandavyuha Sutra[11] cinquante-deux. Tous deux sont intégrés à l'Avatamsaka Sutra dont ils constituent la sectionRùfǎjièpǐn (《入法界品》).
La version la plus répandue est celle des dix étapes, précédées de deux phases préliminaires d’accumulation de mérites et de préparation. Chacune des six premières étapes est associée à uneperfection (pāramitā) qui doit être maîtrisée :générosité (dāna), vertu (śīla), patience (kşānti), effort (vīrya), méditation (dhyāna), et enfin sagesse (prajñā). À ce stade, le bodhisattva transcende la différence entrenirvana etsamsara. Il parfait à la septième étape le don de moyens habilesupaya kaushalya (upāya kauśalya pāramitā) lui donnant plus d'efficacité dans son travail de guide vers l'éveil spirituel. Aux huitième et neuvième étapes, il pratique la perfection de vœu (praṇidhāna pāramitā) et celle de la force (bala pāramitā), possède déjà un corps dharmique (dharmakāya) qui lui permet de sauver les êtres sous différentes formes en différents endroits. À la dixième étape il pratique lasapience (jñāna pāramitā) et devient alorsbuddha.
Pour devenirbouddha,arhat ou bodhisattva, il faut en avoir exprimé le vœu lors d'une existence antérieure. Les pratiquants du mahāyāna et du vajrayāna prononcent couramment des vœux de bodhisattva. Concrètement, ils s’engagent à respecter un certain nombre des nombreuses recommandations et interdictions proposées par l’éthique bouddhiste. Le nombre imposé dépend des traditions et du statut du pratiquant ; il est normalement moins important pour les laïcs que pour les moines (bhikkhu) ou nonnes (bhikkhuni). Les règles à ne pas enfreindre sous peine de perdre pour de nombreuses existences les bénéfices spirituels permettant de s’engager dans cette voie sont appelées vœux principaux (ou vœux-racines dans le vajrayāna). Elles sont complétées par des vœux mineurs dont le non-respect diminue les mérites, mais à un degré moindre. Il en existe différentes listes comportant de nombreux points communs, particulièrement en ce qui concerne les principales règles, dont les dix premières sont presque identiques auxpréceptes généraux du bouddhisme. Les règles secondaires à l'attention des pratiquants laïques peuvent être culturellement spécifiques, comme l'interdiction de l'élevage duver à soie en Chine.
La formulation des vœux s’inspire de différents textes, parmi lesquels on peut citer :
LeBrahmajala Sutra (Soutra du filet de Brahmā), (sk. Brahmājālasūtra, ch.Fànwǎng jīng 《梵網經》) traduit en chinois parKumarajiva (Kumārajīva) vers 400, qui contient une liste de dix vœux principaux et quarante-huit vœux mineurs, texte très influent dans lebouddhisme chinois et lebouddhisme japonais ;
LeMahāparinirvāna sūtra (《大般涅槃經》), le soutra du maintien de la terre de bodhisattva (sk. Bodhisattvabhūmidharasūtra, ch.Púsà dìchí jīng 《菩薩地持經》), le soutra du collier en pierres précieuses du bodhisattva (ch.Púsà yīngluò jīng 《菩薩瓔珞經》) et le soutra des disciplines pour les bouddhistes laïques, (sk. Upāsakaśīlasūtra, ch.Yōupósài jièjīng 《優婆塞戒經》) .
LeBodhisattvabhūmi, écrit vers 300 parAsanga, dont les dix-huit vœux racines et les quarante-six vœux mineurs sont encore en vigueur dans les traditionsgelugpa etkagyupa dubouddhisme tibétain ;
À titre d’exemple, les dix vœux principaux duSoutra du filet de Brahmā[12] sont :
Ne pas tuer ;
Ne pas voler ;
Ne pas commettre l’acte sexuel adultère;
Ne pas déformer la vérité ;
Ne pas vendre de l’alcool ;
Ne pas parler des fautes des bouddhistes ;
Ne pas se vanter ni dire du mal d’autrui ;
Ne pas être avare de la richesse ni de l'enseignement ;
Ne pas être en colère ni refuser les excuses des autres ;
Ne pas blasphémer les Trois Joyaux (Bouddha, Dharma et Sangha).
Je fais vœu de délivrer tous les êtres quoiqu'ils soient innombrables, (Zhòngshēng wúbiān shìyuàn dù 众生无边誓愿度) ;
Je fais vœu d'éliminer tous les égarements bien qu'ils soient incalculables, (Fánnǎo wújìn shìyuàn duàn 烦恼无尽誓愿断);
Je fais vœu d'étudier tous les enseignements, bien qu'ils soient illimités, (Fǎnmén wúliàng shìyuàn xué 法门无量誓愿学) ;
Je fais vœu de parvenir à l'état du bouddha bien qu'il soit incomparable, (Fódào wúshàng shìyuàn chéng 佛道无上誓愿成).
Les vœux de bodhisattva ont connu un grand succès en Chine à partir desSong. Ils pouvaient en effet être pris par deslaïcs ou des personnes tenues par levinaya à l'écart de la vie monastique, comme « leshermaphrodites, les personnes trop sensuelles, les dieux et les démons »[13]. On pensait en effet que, à travers les préceptes du bodhisattva, le panthéon mahyanna permettait de se libérer plus rapidement et plus efficacement du mauvais karma que les techniques du Hinayana, moins effectives[14]. Un commentaire chinois précise d'ailleurs que les préceptes du bodhisattva « nettoient instantanément les mauvais karmas dont on se repent, contrairement aux préceptessravakanistes qui impliquent [toujours] des étapes déterminées (…) »[14].
Les Huit Grands Bodhisattvas (aṣṭamahābodhisattva) appelés souventmahâsattva en sanskrit, particulièrement vénérés par des pratiquants du bouddhisme mahāyāna sont les suivants :
Manjushri, « Doux et Noble », « À l'éclat charmant ». Toujours jeune, il porte le glaive, avec lequel il tranche l'ignorance, et le sūtra de laPrajñāpāramitā. Il représente les qualités de sagesse et de connaissance.
Samantabhadra « Entièrement Excellent », « Auspicieux », il représente la vérité ultime et est souvent associé à Mañjuśrī.
Avalokiteshvara (Chenrézig en tibétain,Kannon en japonais, Guanyin en chinois), « Celui qui regarde vers le bas avec compassion ». Il représente la compassion d'Amitabha.
Mahasthamaprapta, « celui qui a acquis une grande force », ouVajrapani, le « porteur de vajra », forme tantrique de Mahāsthāmaprāpta. Parfois appelé Seigneur des Secrets, il est le maître des « méthodes habiles » (Upāya).
Akashagarbha « Matrice de l'espace », « Corbeille de vacuité ».
Kshitigarbha, « qui a la terre pour matrice », qui a fait vœu de ne devenir bouddha que lorsque l'enfer sera vide.
Maitreya, « l'amical », « celui qui est amour bienveillant ». Son teint est doré; il est coiffé d'une couronne ou d'un diadème, avec souvent un stupa dans la coiffure. Il tient un lotus ou un flacon d'ambroisie. Selon leSutra du Lotus, Maitreya deviendra bouddha aprèsShakyamuni[Note 2]. En revanche, il ne sera pas le dernier bouddha[16].
Avalokiteśvara, Vajrapāni et Mañjuśrī ont au Tibet un rôle particulier de patron (riksum gonpo, « les Protecteurs des Trois Familles »).
Les bodhisattvas historiques ont souvent, dans l'iconographie, une allure et un port princiers : parés de bijoux (treize ornements en principe, dont collier, bracelets, boucles d'oreille, ceinture…), ils portent le pagne, le diadème, quelquefois le cordon brahmanique. Ils sont souvent représentés assis, dans les attitudes « d'aisance » ou de « délassement royal » (une jambe repliée sur le siège, l'autre pendante). Une grande finesse, et une apparence féminine les caractérisent. Souvent ils tiennent un lotus dans la main droite. Certains arborent ont un haut chignon, et l'urna sur le front. Dans leur coiffure, ils peuvent porter l'effigie duJina (Bouddha) dont ils dépendent ou dont ils sont l'émanation (bouddhisme tantrique). Ainsi, Avalokiteshvara porte-t-il l'effigie d'Amitabha.
Colin Thubron décrit dans son récit de voyage,L'ombre de la route de la soie, les bodhisattvas comme étant : « […] ces êtres bénis qui ont retardé leur entrée dans lenirvana afin de sauver les autres […] »[17].
↑Viśiṣṭacāritra(en) (sk : विशिष्टचारित्र ; jp : 上行菩薩, Jōgyō Bosatsu ; en : Bodhisattva Superior Conduct; bodhisattva Conduite-supérieure[8] ou Pratiques-supérieures qui représente la vertu du Véritable Soi). Anantacāritra(en) (sk : अनन्तचारित्र ; jp: 無辺行菩薩, Muhengyō Bosatsu ; en : Bodhisattva Boundless Conduct; fr : bodhisattva Conduite-sans-limite ou Pratiques-sans-limite qui représente la vertu de l’éternité). Viśuddhacāritra(en) (sk : विशुद्धचारित्र ; jp: 浄行菩薩, Jyōgyō Bosatsu ; en : Bodhisattva Pure Conduct ; fr: bodhisattva Conduite-pure ou Pratiques pures qui représente la vertu de la pureté). Supratiṣṭhitacāritra(en) (sk : सुप्रतिष्ठितचारित्र ; jp: 安立行菩薩, Anryūgyo Bosatsu ; en : Bodhisattva Firm Conduct ; fr : bodhisattva Conduite-ferme ou Pratiques-fermement-étables qui représente la vertu de la joie et du bonheur).
↑« Fils de l’Éveillé (…), il y a l'être d’Éveil, le grand être du nom de Maitreya, qui s'est vu conférer l'annonciation par l’Éveillé Çakyamuni : "Tu seras le prochain Éveillé." »Le Sutra du Lotus (trad.Jean-Noël Robert), Paris, Fayard, 1997, p. 273.
« [Ce soûtra] est, dans le bouddhisme sino-japonais,le"discours" de référence pour ce qui touche à la discipline des adeptes du Grand Véhicule, lesbodhisattvasreligieux et laïcs, humains et non humains. » (P. Carré, p. 7)