Le[1] ou laBhagavad-Gita (prononcé comme "guîtâ"[2] avec un g dur) ouBhagavadgita (devanagari :भगवद्गीता (Bhagavadgītā), termesanskrit se traduisant littéralement par « chant du Bienheureux » ou « Chant du Seigneur »[3]) est la partie centrale dupoème épiqueMahabharata (Aranyaka-parva, 25 - 42). Ce texte est un des écrits fondamentaux de l'hindouisme souvent considéré comme un « abrégé de toute la doctrinevédique »[4]. LaBhagavad-Gita est composée de 18 chapitres. Ce récit n'a cessé d'imprégner la pensée hindoue tout au long des siècles.
LaBhagavad-Gita conte l'histoire deKrishna,8eavatar deVishnou (identifié comme une manifestation duBrahman) et d'Arjuna, un prince guerrier appartenant à l'armée desPandava, en proie au doute devant la bataille qui risque d'entraîner la mort des membres de sa famille, lesKaurava, qui se trouvent dans l'armée opposée.
« le titre qu'on lui donne fréquemment,Bhagavadgîtopanishad, et la ressemblance qu'elle présente avec les formes upanishadiques a fait se demander s'il ne s'agissait pas primitivement d'uneupanishad […]. Le texte a pu, à l'origine, être moins long ; il n'est pas homogène, il trahit des influences diverses[7]. »
LaBhagavad-Gita occupe une place importante dans la pensée religieusehindouiste :
« Sauf dans certains milieuxshivaïtes, tous les courants religieux brahmaniques l'ont acceptée comme un livre saint à l'égal desVeda et desupanishad ; on l'a intégrée à la Révélation (shruti) alors que le reste duMahâbhârata relève seulement de la Tradition (smriti)[7]. »
Un dessin illustrant la bataille de Kurukshetra, décrite dans leMahabharata.
LesPandava (fils du roiPāṇḍu) et lesKaurava, qui sont leurs cousins, sont en conflit pour le pouvoir. Les uns et les autres ont réuni leurs alliés (tout ce qui compte dans le sous-continent indien est impliqué) non loin d'Hastinapura, deux immenses forces sont prêtes à s'affronter pour labataille de Kurukshetra.Arjuna, un des cinq Pandavas, est sur sonchar de guerre, son cocher estKrishna.Arjuna doit souffler dans une conque pour donner le signal du début des combats. Mais, voyant des amis et des parents dans le camp opposé, il est effondré à la pensée que la bataille fera beaucoup de morts parmi ses proches, oncles, cousins. Il se tourne alors versKrishna pour exprimer son dilemme, faire son devoir en conduisant son armée et, ce faisant, tuer des membres de sa famille et amis, et pour lui demander conseil.
Extraits de laBhagavad-Gita, issus d'un manuscrit duXIXe siècle.
Le poème se compose de sept centsdistiques, divisés en dix-huit chapitres.
Le récit est constitué du dialogue entre Krishna et Arjuna. Il enseigne que, même si tous les chemins diffèrent, leur but fondamental reste le même : réaliser leBrahman et échapper aucycle des renaissances à travers laréalisation du Soi.
Il est fait allusion parArjuna, dans le premier chapitre, au mélange descastes (varṇasaṃkara) : ce qui apparaît, dans leMahabharata et lesPurana,« comme l'un des plus grands maux, annonciateur d'une destruction périodique de l'univers[8] ».
Krishna instruit Arjuna sur un grand éventail de domaines, à commencer par celui qui résout le dilemme d'Arjuna, laréincarnation[9], signifiant par là que les vies perdues dans la bataille ne le sont pas véritablement.
Krishna continue d'exposer un grand nombre de sujets spirituels, parmi lesquels plusieursyogas — ou chemins de dévotion — différents. Dans le onzième chapitre, Krishna dévoile à Arjuna qu'il est, en fait, une incarnation du dieuVishnou.
« Un des traits les plus frappants de tout le texte est l'importance accordée auyoga, pris au sens de discipline unitive : unification des sens, puis de la pensée. Ici, yoga perd beaucoup de son sens technique pour devenir à peu près synonyme debhakti. […] Cette adoration faite d'attention vigilante, dirigée vers un seul but va s'organiser autour de quelques thèmes : théories d'unsâmkhya qui ne revêt pas encore l'aspect systématique qu'on lui connaîtra aux siècles suivants, théories de l'action au sens de “sacrifice” et des autres “bonnes actions”[7]. »
La guerre peut être considérée comme une métaphore des confusions, des doutes, des craintes et des conflits qui préoccupent toute personne à un moment ou un autre de sa vie[10]. LaGita s'adresse à cette discorde en nous et enseigne lesyogas qui permettent de l'apaiser : leBhakti yoga ou la voie de la dévotion au Dieu personnel, leJnana yoga ou la voie de la connaissance, leKarma yoga ou voie de l'action juste. Selon Krishna, la racine de toutes les douleurs et de tous les troubles est l'agitation de l'esprit provoquée par le désir. Pour éteindre la flamme du désir, indique Krishna, il faut calmer l'esprit par la discipline des sens et de l'esprit.
L'enseignement du renoncement ou détachement des fruits de l'action revêt une importance particulière, sans pour autant inciter à un non-agir ; chacun doit, selon sa nature, s'efforcer de remplir son devoir personnel (svadharma)[7].
Selon la Bhagavad-Gita, le but de la vie est de libérer l'esprit et l'intellect de leurs constructions illusoires et de les concentrer sur l'Absolu (personnifié par Krishna dans le texte). Ce but peut être réalisé par les yogas d'action, de dévotion et de connaissance. Le texte finit par un chant exposant la doctrine du renoncement, qui permet d'échapper ausamsara, le cycle des renaissances :
« Unifiant l'intelligence purifiée [avec la pure substance spirituelle en lui], maîtrisant l'être entier par une volonté ferme et stable, ayant renoncé au son et aux autres objets des sens, se retirant de toute affection et de toute aversion, recourant à l'impersonnelle solitude, sobre, ayant maîtrisé la parole, le corps et le mental, constamment uni par la méditation avec son moi le plus profond, renonçant complètement au désir et à l'attachement, rejetant égoïsme, violence, arrogance, désir, courroux, sens et instinct de possession, délivré de tout sens de « moi » et de « mien », calme et lumineusement impassible – un tel homme est prêt pour devenir leBrahman. Quand un homme est devenu le Brahman, quand, dans la sérénité du moi, il ne s'afflige ni ne désire, quand il est égal envers tous les êtres, alors il obtient le suprême amour et ladévotion suprême pour Moi. »
— XVIII, 51-54
Dans la culture populaire, en dehors des cercles culturellement influencés par les enseignements du livre, les mots les plus connus de son contenu furent prononcés par le physicien et directeur duprojet Manhattan,J Robert Oppenheimer, aussi appelé "père de la bombe atomique", alors qu'il se remémore ses pensées face à la puissance de son invention, dont il a pu témoigner en assistant aupremier essai atomique de l'Histoire. Il dit :
« Nous savions que le monde ne serait plus jamais le même. Quelques-uns ont ri, quelques-uns ont pleuré, mais la plupart étaient silencieux. Je me souviens d'un vers de l'écrit hindou Bhagavad-Gita, où Vishnou tente de persuader le Prince qu'il doit accomplir son devoir... et, pour l'impressionner, prend sa forme à plusieurs bras, et dit "Et maintenant je suis devenu la Mort, le Destructeur de mondes"... Je suppose que nous avons tous pensé cela, d'une manière ou d'une autre. »
— J. Robert Oppenheimer, 1965, 20 ans après l'essai atomique Trinity
Cette traduction faite par le physicien est cependant à prendre avec des pincettes, certains termes comme "la Mort" pouvant être changés, dans le contexte de la phrase, en des termes presque synonymes.
Dans des adaptations qui s'écartent passablement du sens et du texte originaire et de son message universel, la Bhagavad Gita a inspiré des "gourous" de mouvementsNew Age, parfois définis comme sectaires comme notammentMaharishi Mahesh Yogi[11] dont la traduction est davantage une interprétation spirituelle personnelle qu'une traduction fidèle au texte original, son texte est souvent amplifié par des commentaires qui interprètent le sens en fonction de sa propre perspective. L'adaptation d'A.C. Bhaktivedanta Swami Prabhupada s'écarte particulièrement du message universel de la Bhagavad Gita pour promouvoir une vision centrée sur son mouvement et ses pratiques[12].
Les premières traductions effectuées dans des langues européennes ont été publiées en anglais parCharles Wilkins en1785, en latin parAuguste Schlegel en1823, en allemand parWilhelm von Humboldt en1826, édition revue parLassen en1846, en français d'abord parLanjuinais en1832, puis parBurnouf en1861, en grec moderne par Galanos en1848 et en polonais parMichalski en1910. Le rôle éminent des Allemands dans ces études, alors qu'ils n'avaient pas de colonies en Inde, s'explique par l'intérêt pour la langue sanskrite dans le cadre des études des langues indo-européennes[13].
La Bhagavad-Gita, traduction de Camille Rao etJean Herbert, commentaires deSri Aurobindo, Paris, Albin Michel, 1970
↑Sur ce point, on lira avec profit l'ouvrage de Pascale Rabault-Feuerhahn,L'Archive des origines. Sanskrit, philologie, anthropologie dans l'Allemagne duXIXe siècle (Bibliothèque franco-allemande, 2008).