Bertha Sophie Felicitas comtesseKinský von Wchinitz und Tettau, baronne von Suttner, née le àPrague, morte le àVienne, était unepacifisteautrichienne radicale, lauréate en duprix Nobel de la paix. Issue de la haute aristocratie austro-hongroise, elle reçut de son milieu social une éducation assez cosmopolite et apprit dès son plus jeune âge à parler plusieurs langues. Elle a été vice-présidente duBureau international de la paix de sa création en à sa mort en 1914[1].
Elle fut un temps la secrétaire d’Alfred Nobel en quand celui-ci résida àParis. Bien que cette période fût très courte, elle est restée une grande amie de l’industriel et scientifique, correspondant avec lui jusqu’à son décès en. Leur correspondance montre son insistance à promouvoir la cause de la paix, tant et si bien qu’elle est considérée comme ayant pu influencer la décision de Nobel de demander la création d’un prix de la paix.
Son père Franz Michael, comte (Graf) Kinsky, mort avant la naissance de sa fille à l’âge de75 ans[2], était général, et son grand-père était capitaine dans la cavalerie. Bertha von Suttner grandit auprès de sa mère Sophie Wilhelmine (née von Körner, une parente éloignée du poèteTheodor Körner[3]) dans un environnement aristocratique au sein du militarisme de la monarchie austro-hongroise. Enfant et adolescente, elle apprend à parler, en plus de l’allemand, le français, l’italien et l’anglais[2], voyage beaucoup et fait de la musique.
Depuis leXVIIIe siècle, la Bohême est le théâtre d’affrontements guerriers notamment entre la Prusse et l’Autriche. En 1866, la jeune comtesse Bertha von Wchinitz und Tetau assiste dans sa prime jeunesse aux horreurs de laGuerre austro-prussienne dans les environs du château de ses ancêtres[4]. Sa mère voulait qu’elle contracte une union conforme à son rang mais Bertha s’y est refusée en annulant ses fiançailles avec le baronGustav von Heine-Geldern[2]. Après la dilapidation de la fortune héritée de son père, en partie à cause de la passion de sa mère pour le jeu[2], Bertha est réduite à occuper le poste de gouvernante à partir de dans la maison du baron Karl von Suttner, un industriel de Vienne. Elle donne aux quatre filles von Suttner des cours de musique et de langues. À cette époque, elle tombe amoureuse du plus jeune fils de la famille,Arthur Gundaccar von Suttner, plus jeune qu’elle de sept ans. En, au cours d’un voyage àParis avec la famille, la mère d’Arthur von Suttner renvoie Bertha afin de mettre un terme à la relation de cette dernière avec son fils. Cependant, pour ne pas la laisser sans moyen, elle l’envoie auprès du scientifiqueAlfred Nobel qui réside à Paris et qui l’emploiera comme secrétaire pendant quelques semaines. Alfred Nobel est cependant rappelé enSuède par le roiOscar II. Toutefois se développe une forte relation d’amitié qui perdure dans leurs échanges épistolaires jusqu’à la mort du savant en[5].
Bertha rentre à Vienne où, âgée de33 ans, elle épouse secrètement, le àGumpendorf, Arthur Gundakkar von Suttner qui en a 26, contre la volonté des parents de ce dernier. Arthur est alors déshérité et le couple part pour leCaucase, en Géorgie auprès de laprincesse Ekaterina Dadiani deMingrélie. Le couple y réside plus de huit ans. Ils vivent, en grande partie àTbilissi, difficilement, de petits travaux comme l’écriture de romans de divertissement ou de traductions.
Avec le début de laguerre russo-turque de 1877-1878, Arthur commence à publier avec succès des récits sur la guerre, le pays et les gens dans des hebdomadaires allemands. La même année, en, Bertha von Suttner commence ses activités de journaliste sous le pseudonyme de B. Oulot, et obtient de grands succès, tout comme son mari. Elle écrit alors pour des journaux autrichiens des histoires courtes et des essais et son mari des récits de guerre et de voyage. En, ils rentrent à Vienne, se réconcilient avec la famille[6] et emménagent dans le château familial à Harmannsdorf enBasse-Autriche.
Timbre émis pour le centenaire du Prix Nobel remis à Bertha von Suttner représentant son livreDie Waffen nieder !.
Après son retour, Bertha von Suttner continue à écrire en privilégiant le thème dupacifisme. C'est ainsi qu'elle écrit en le livreHigh Life dans lequel elle aborde le respect de l'homme et son libre arbitre. Peu de temps après, elle apprend grâce à une table ronde avec le philosophe françaisErnest Renan l'existence de l'International Arbitration and Peace Association fondée par le britanniqueHodgson Pratt en. Bertha von Suttner va être influencée dans sa conception du pacifisme par des personnalités telles queHenry Thomas Buckle,Herbert Spencer ouCharles Darwin et sa théorie de l'évolution[7]. Le pacifisme de Suttner est un pacifisme éthique fondé sur la capacité morale de l'homme à comprendre que la guerre ne doit plus être employée. Elle s'inscrit dans son époque qui porte l'idée d'une foi libérale sans faille dans le progrès de l'homme, se révélant profondément humaniste.
Bertha von Suttner publieDas Maschinenalter entsteht (en français :L'âge des machines) en 1889, qui est considérée comme la premièreutopie littéraire descience-fiction féministe publiée par une autrice de langue allemande. Elle utilise le pseudonyme de « Jemand », qui signifie « quelqu'un » en français. Dans cet ouvrage, elle aborde le thème de la rétrospective du futur vers le présent. Elle met en scène un historien donnant des conférences européennes, cet historien étant considéré comme un « homme complet, qui a réuni les caractéristiques féminines et masculines de l'humanité, et se sert de son expertise pour critiquer d'un point de vue féministe la place des femmes dans la société duXIXe siècle »[8],[9].
En, à l'âge de46 ans, elle publie aussi le roman pacifisteDie Waffen nieder! (le titre de l'édition anglaise publiée en étantLay Down Your Arms ! et le titre françaisBas les armes !). Le roman a beaucoup de succès et Bertha von Suttner devient l'une des représentantes principales du mouvement pacifiste[10]. Elle y décrit les horreurs de la guerre du point de vue d'une femme et touche ainsi le cœur de la société où de nombreux débats ont alors lieu sur lemilitarisme et laguerre. Avec 37 éditions et une traduction en douze langues dont le tchèque en 1896, le livre de Bertha von Suttner remporte un grand succès littéraire. Le livre sera adapté au cinéma en par Holger-Madsen etCarl Theodor Dreyer.
À l'hiver-, le couple von Suttner habite àVenise. Bertha von Suttner impulse la création d'une « société de la paix de Venise » (Friedensgesellschaft Venedig). Elle fait la connaissance du marquisBenjamino Pandolfi grâce auquel elle rencontre d'autres représentants des « conférences interparlementaires ». Les Conférences interparlementaires prennent le nom d'Union interparlementaire à partir de.
Le, Bertha von Suttner annonce la fondation d'une société pacifiste autrichienne, laÖsterreichische Gesellschaft der Friedensfreunde, dans un article de laNeue Freie Presse. Le succès de cette annonce est immense. Bertha von Suttner en est nommée présidente, poste qu'elle occupera jusqu'à sa mort en1914[11]. En, à l'occasion du congrès mondial pour la paix àRome, elle est élue vice-présidente duBureau international de la paix et fonde conjointement avecAlfred Hermann Fried en laDeutsche Friedensgesellschaft. En très peu de temps, l'association compte environ2 000 membres[10]. Par la suite, Berthe von Suttner prend part à plusieurs congrès de paix internationaux comme celui deBerne en, d'Anvers en ou deHambourg en. Le, elle envoie à l'empereurFrançois-Joseph Ier d'Autriche une pétition rassemblant des signatures en faveur d'un tribunal d'arbitrage international. En, elle prend ainsi part à la préparation de lapremière conférence de La Haye au cours de laquelle sont abordées des questions portant sur la sécurité nationale et internationale, sur le désarmement et sur l'instauration d'un tribunal d'arbitrage international. Les initiateurs de la conférence n'obtiennent cependant pas les résultats escomptés. Les conflits militaires peuvent certes être dénoués mais l'idée de mettre fin à toutes les actions militaires, de réduire l'armement ou d'imposer le recours à un tribunal d'arbitrage international ne s'impose pas. Néanmoins laCour permanente d'arbitrage de La Haye est créée.
Son mari étant malade et ne pouvant voyager, Bertha von Suttner se rend seule en au congrès de paix de Monaco. Par la suite, elle se rend avec lui en Bohême pour se reposer. Le, Artur Gundaccar von Suttner meurt à Harmannsdorf. Endettée, Bertha von Suttner doit mettre aux enchères la propriété du couple et part s'installer à Vienne où elle continue à publier, entre autres dans le journal hongrois de langue allemandePester Lloyd. En1903, elle se rend de nouveau à Monaco et participe à l'ouverture de l'Institut international de la paix fondé par le princeAlbert Ier.
Urne de Bertha von Suttner à Gotha.
En, Bertha von Suttner est l'une des participantes les plus importantes de la Conférence internationale des femmes àBerlin. Cette conférence se termine par une manifestation pour la paix à laPhilharmonie de Berlin où Bertha von Suttner fait un exposé. La même année, elle part auxÉtats-Unis au congrès mondial pour la paix qui se tient àBoston. Elle voyage alors de ville en ville et fait jusqu'à trois conférences par jour. Sa réputation la précède et elle est invitée à la Maison Blanche pour s'entretenir avec le présidentTheodore Roosevelt. Après un voyage triomphal de sept mois, laFriedens-Bertha[12], comme on l'appelle péjorativement dans les cercles nationalistes allemands, rentre pleine d'enthousiasme des États-Unis, où elle a pu constater que le mouvement pacifiste était bien plus en avance qu'en Europe. Elle est même étonnée de l'effort de transmission des idées pacifistes dans les écoles.
Le, Bertha von Suttner est la première femme à obtenir lePrix Nobel de la paix[13] qu'elle reçoit le à Oslo. Même si Alfred Nobel avait tout de suite pensé à Bertha von Suttner en instituant son prix pour la paix, elle ne l'obtient qu'à la cinquième édition. En, elle est absente lors de laseconde conférence de La Haye qui, cette fois, est davantage axée sur le droit de la guerre que sur une pacification stable. Par la suite, elle essaie à plusieurs reprises d'informer sur les dangers du réarmement international et sur les intérêts de l'industrie de l'armement. À partir de, elle met également en garde contre le danger de la guerre d'anéantissement internationale et se rend de nouveau aux États-Unis où elle discourt, de la côte Est jusqu'à la côte Ouest, dans plus de cinquante villes.
Bertha von Suttner meurt d'un cancer le, quelques semaines avant le début de laPremière Guerre mondiale dont elle avait prévenu des dangers. Le congrès international pour la paix suivant, prévu pour l'automne, devait se tenir à Vienne.
Elle était membre de l'association autrichienneDie Flamme qui militait pour l'incinération. Elle avait soutenu la construction du premiercrématorium allemand àGotha et avait inscrit dans son testament que son corps devait être amené à Gotha pour y être incinéré[14]. L'urne qui contient ses cendres est toujours conservée dans le colombarium.
Die Waffen nieder! (Éd.), Monatszeitschrift 1892-1899,En ligne
Vor dem Gewitter, Vienne 1894
Einsam und arm, Dresde 1896
Die Haager Friedenskonferenz, Leipzig 1900
Marthas Kinder (Die Waffen nieder -Partie II ) 1902
Franzl und Mirzl, Leipzig 1905
Die Entwicklung der Friedensbewegung, Leipzig 1907
Randglossen zur Zeitgeschichte, 1892-1900 et 1907-1914
Rüstung und Überrüstung, Berlin 1909
Der Menschheit Hochgedanken, Berlin 1911
Die Barbarisierung der Luft, Berlin 1912
Chère Baronne et Amie, cher monsieur et ami : der Briefwechsel zwischen Alfred Nobel und Bertha von Suttner, herausgegeben, eingeleitet und kommentiert von Edelgard, Hildesheim, 2001
Bas les armes !, préface deGaston Moch, Paris, Fasquelle, 1899
Souvenirs de guerre suivi deUne ville où l'on s'amuse, nouvelles, Paris, Giard et Brière, 1904
Armements et surarmements, traduction par Edmond Duméril, Toulouse, E. Privat, 1910
Bertha Von Suttner- Une vie pour la paix. Brigitte Hamann, traduction par Jean-Paul Vienne, éditions Turquoise, Levallois-Perret, 2014,(ISBN978-2-918823-09-4)
Correspondance entre Alfred Nobel et Bertha von Suttner, Chère Baronne et Amie, Cher monsieur et ami. Traduction par Claudine Layre, éditions Turquoise, Levallois-Perret, 2015,(ISBN978-2-918823-07-0)
↑Marie-AntoinetteMarteil,Bertha Von Suttner (1843 - 1914), militante laïque, féministe, pacifiste : L'œuvre d'une aristocrate autrichienne en rupture avec la tradition, L'Harmattan,, 378 p.(ISBN978-2-336-33743-2,présentation en ligne),p. 19.
(en)Biographie sur le site de lafondation Nobel (le bandeau sur la page comprend plusieurs liens relatifs à la remise du prix, dont un document rédigé par la personne lauréate — leNobel Lecture — qui détaille ses apports)