Très isolé dans la communauté scientifique, Bernard Lugan est notamment controversé pour ses positions concernant legénocide des Tutsis en 1994, qu'il affirme ne pas avoir été programmé, à contre-courant du consensus sur le sujet.
En 1982, il quitte le Rwanda dans des conditions assez obscures et est recruté à l'université Jean-Moulin-Lyon-III, via une procédure dérogatoire ouvertes aux anciens coopérants[3].
En 1993, le jour duMardi Gras, il fait l'objet d'une polémique pour avoir fait cours sur une chanson paillarde raciste et sexiste. Son cours est perturbé par un groupe antifasciste, et Bernard Lugan fait, les semaines suivantes, surveiller son cours par des militants d'extrême droite[6],[3],[7].
En mars 2001, Bernard Lugan est promu « maître de conférences hors classe » sur le contingent de l'Université. Selon lerapport Rousso :« La décision provoque la colère des associations et même […] une pétition signée par plus de cinquante africanistes français dont certains sont assez connus[8]. »
Ils affirment dans la pétition :« Nous nous élevons avec vigueur contre cette distinction qui est susceptible de jeter le discrédit sur l'ensemble des études africanistes en France. En effet, qu'il s'agisse de l'Afrique du Sud, du Maroc ou de l'Afrique des Grands Lacs, les travaux de Bernard Lugan ne sont pas considérés commescientifiques par la plus grande partie de lacommunauté universitaire. En revanche, à travers des articles élogieux et des interviews complaisantes, parus dansMinute,Présent etNational Hebdo, ces travaux ont servi de support à des thèses défendant l'apartheid enAfrique du Sud, les fondementsracialistes de l'histoire africaine et faisant l'apologie de lacolonisation. Nous nous élevons donc contre cette promotion et demandons aux autorités compétentes de suspendre son application[8]. »
Ces universitaires dénoncent une « vision racialiste » de l'histoire (ses livres sur leRwanda, leMaroc et l'Afrique du Sud sont visés)[9].
Sensibilité politique et influence
En 1968, il est membre de l'Action française (Restauration nationale), chargé des « commissaires d'AF », service d'ordre qui mène des opérations de commando contre les groupes d'extrême gauche et poursuit cette activité après 1968[10]. En 2022, il reste proche de l'Action française et est régulièrement présent à son camp d'été[11].
En 1991, il participe à la rédaction d'un agenda nationaliste célébrantHitler etMussolini, puis organise un pèlerinage d'extrême droite àMartel[14], qui est finalement interdit[15] mais rassemble néanmoins une centaine de personnes[16].
En 2018, il intègre le « Conseil national de la résistance européenne », collectif qui regroupe des partisans de la théorie dugrand remplacement soutenue parRenaud Camus[17].
Malgré son isolement dans la communauté des historiens, il a la sympathie des cercles militaires[17],[21], notamment des officiers[18],[22], ayant enseigné à l'École spéciale militaire de Saint-Cyr et donné des conférences à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) avant d'y être déclaré persona non grata en 2015[23],[24]. Selon le journaliste Rémi Carayol, Bernard Lugan, qui cherche à promouvoir une approche essentialiste et paternaliste des peuples d'Afrique, exerce notamment une influence non négligeable sur les officiers qui dirigent l'opération Barkhane[25].
Activité universitaire
Bernard Lugan a traité notamment, dans ses travaux, de l'Afrique, et particulièrement duRwanda, pays dans lequel il a mené des recherches archéologiques et auquel il a consacré ses deux thèses.
Opposé à toute forme derepentance historique, mais également critique à l'égard de l'impérialisme, Bernard Lugan considère que la colonisation n'a été qu'une parenthèse dans l'histoire du continent africain bien qu'elle ait bouleversé la vie de ses habitants. Par conséquent, il refuse d'en faire l'origine de tous les malheurs de ce continent. Dans son argumentation, il distingue notamment les colonisations du Maroc et de l'Algérie. Selon Bernard Lugan, leprotectorat mis en place parLyautey auMaroc fut le modèle d'une relation réussie entre Européens et colonisés, parce qu'il aurait été supposément respectueux destraditions de ce pays. La colonisation de l'Algérie représente pour lui un antimodèle pour avoir été fondée sur le mépris de la population,« l'utopie de l'assimilation » et l'idée de vouloir que l'Afrique ressemble au monde occidental au nom d'un universalisme est absurde. Dénonçant la colonisation pour avoir voulu modifier le socle social et familial de ce continent, il explique ainsi sa fascination pour l'Afrique du fait qu'elle est « autre »[26].
Certains de ses collègues de Lyon-III ont mentionné son « charisme d'enseignant, son goût de la provocation » et « ses propos critiquables sans être pour autant condamnables[27] ».
En 1999, il signe pour s'opposer à l'intervention de l'OTAN dans laguerre du Kosovo la pétition« Les Européens veulent la paix », initiée par le collectif pro-serbe d'extrême droite « Non à la guerre »[29],[30].
Les travaux de Bernard Lugan ont fait l'objet de critiques de la part de plusieurs universitaires, notamment dans la revueAfrique &histoire[35]. Ces critiques sont de plusieurs ordres.
Erreurs
Ces critiques affirment que de nombreuses et importantes erreurs factuelles seraient présentes dans ses travaux[36]. Ainsi dans son compte rendu de l'ouvrageLe safari du Kaiser (écrit en collaboration avec Arnaud de Lagrange),René Pélissier parle de plusieurs dates fausses, d'une« méconnaissance de la situation locale » et décrit un livre au« parti hybride mi-romancé, mi-historique » marqué par la« nostalgie d'une « mystiqueteutonique » »[37].
D'après la sociologue Sophie Pontzeele, Bernard Lugan ne choisirait que les sources favorables à sa conception des choses, utilisant essentiellement les sources coloniales pour décrire les sociétés africaines, et en particulier rwandaise[38]. Selon elle, il n'est pas« un spécialiste du Rwanda reconnu par ses pairs » et ses thèses sont disqualifiées« auprès des chercheurs spécialistes de la région des Grands lacs africains »[39].
En, le journaliste Rémi Carayol le présente comme« considéré comme un imposteur par ses pairs, mais comme une référence par nombre d’officiers français »[40].
Défense du colonialisme
SelonCatherine Coquery-Vidrovitch, professeure à l'université Paris-VII, Bernard Lugan« multiplie les ouvrages les plus tendancieux sur l'histoire de l'Afrique » et« vise à présenter la colonisation française comme un bienfait de l'humanité »[41].
L'historien Francis Arzalier établit à partir des écrits de Bernard Lugan, et aussi de ses activités de militant du parti d'extrême droite leMouvement national républicain, qu'il est l'un des représentants de ce« négationnisme colonial » actif à l'université de Lyon-III[31].
Refus de l'historisation
PourJean-Pierre Chrétien, le travail de Bernard Lugan est« excessif et marginal ». Il s'oppose à l'idée, qu'il prête à Bernard Lugan, d'une Afrique anhistorique marquée par« un ordre naturel africain » caractérisé par« la domination de certains et par la soumission des autres », par« une perception du temps radicalement différente », par« des rites et des danses »[42].
Selon Jean Terrier, Bernard Lugan« dé-historise ainsi radicalement le ‘fait ethnique’ et lui donne une dimension d’extrême stabilité diachronique que n’ont pas manqué de mettre en cause les ethnologues »[43].
Racialisme et racisme
Les critiques portent sur l'usage du concept de « race » pour distinguer certaines populations africaines, tout particulièrement lesHutu etTutsi. Ainsi Marcel Kabanda, chercheur en histoire africaine, affirme que l'interprétation de Bernard Lugan sur le conflit Hutu-Tutsi se fonde sur le postulat d'une« domination raciale »[44] reposant sur« un ensemble de présupposés qui mériteraient d'être documentés, vérifiés, explicités, expliqués » et ne répondant pas aux connaissances de la« génétique actuelle »[45].
SelonNicolas Bancel, maître de conférences à l'université Paris XI et vice-président de l'ACHAC (Association pour la connaissance de l'histoire de l'Afrique contemporaine) :« Bernard Lugan, rejeté par la quasi-totalité des africanistes, représente le courant le plus radical de la pensée racialiste. C'est le prêt-à-penser raciste, qui doit expliquer tous les conflits interafricains actuels par le déterminisme de la race. Inutile de dire que des chercheurs ont, depuis longtemps, fait litière de cette explication. L'essentialisation des différences ethniques est un processus politique, dont la genèse est coloniale »[46].
En, l'historienAlain Ruscio critique les travaux de Bernard Lugan et estime qu'il aurait pour thèse« l’infériorité naturelle des habitants du continent africain » et« ravive la vieille rengaine de l’incapacité de l’Africain à accepter toute rationalité qui a tant servi de justification à la présence coloniale ». Pour Ruscio, Lugan n'a comme seule critique de la colonisation que celle lui reprochant un« excès d'humanisme »[17].
Philippe Lavodrama évoque« Bernard Lugan, l’historien raciste, avocat de l’apartheid »[47].
Publications
Ouvrages historiques
L'Afrique historique et géographique, Saint-Germain-en-Laye, Maison des instituteurs,, 32 p., 36 cm(BNF40593603) (avec Alain Auger et Pierre Sirven).
Afrique : la guerre en cartes, L'Afrique réelle, 278 p., 2014.
Osons dire la vérité à l'Afrique, Monaco-Paris, France, Éditions du Rocher, 2015, 224 p.(ISBN978-2-268-07740-6)
Histoire et géopolitique de la Libye, L'Afrique réelle, 225 p., 2015.
Histoire de l'Afrique du Nord (Égypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc) : Des Origines à nos jours, Paris et Monaco, Éditions du Rocher, 736 p., 2016(ISBN978-226808-167-0)
Algérie : l'histoire à l'endroit « Les 10 grandes controverses de l'histoire », Éditions Bernard Lugan, 230 p., 2017(ISBN978-2916393834).
Heia Safari !, Général von Lettow-Vorbeck (Du Kilimandjaro aux combats de Berlin, 1914-1920), L'Afrique réelle, 2018, 294 p.
On savait vivre aux colonies : Nouvelles aventures incorrectes, Paris, ÉditionsLa Nouvelle Librairie, coll. « La Peau sur la Table », 148 p., 2023(ISBN978-2493898616)
↑Moukoko, Pierre E.,Relations Afrique-France : les gâchis français: Plaidoyer pour un changement de paradigme dans la politique africaine de la France., Paris, L'Harmattan,, 462 p.(ISBN978-2-343-19375-5),p. 31.
↑Extrait du chapitre : " (...) le Conseil scientifique (CS) du FN, créé en décembre 1988 à l’initiative de Bruno Mégret et de Jean-Yves Le Gallou et réunissant un peu plus d’une trentaine de membres Le Conseil scientifique (CS) regroupe des intellectuels issus de la plupart des courants d’extrême droite (comme le contre-révolutionnaire Bernard Lugan, maître de conférences en histoire à l’Université LyonIII,...)"
↑« Dans le Lot Un pèlerinage d'extrême droite met Martel en émoi »,Le Monde,(lire en ligne, consulté le).
↑« Le pèlerinage d'extrême droite est interdit à Martel. »,Le Monde,(lire en ligne, consulté le).
↑« Une centaine de personnes sont venues au "pèlerinage" interdit de Martel (Lot). »,Le Monde,(lire en ligne, consulté le).
↑Rémi Carayol, « Le « continent noir » et l’éminence grise, Bernard Lugan, l’africaniste de l’armée française »,Revue du crieur,,p. 48(lire en ligne).
↑Témoignages sur l'enseignement de Bernard Lugan recueillis auprès de collègues par la Commission sur le négationnisme et le racisme à l'université Lyon 3 :Rousso 2004, ch. 3 « Le noyau d'extrême droite »,p. 72/263.
↑Renaud Dély, « L'extrême droite ratisse large contre les frappes de l'Otan. Le «Collectif non à la guerre» a tenu une réunion proserbe hier soir »,Libération,(lire en ligne).
↑RenaudDély, « Le piège à gauches de l'extrême droite. Des personnalités signent un appel puis se récusent. »,Libération,(lire en ligne, consulté le).
↑« Quant à Bernard Lugan, il défend la thèse d’une origine raciale différente pour les deux principales composantes de lapopulation rwandaise. Cet universitaire français, connu pour ses liens avec l’extrême droite et sa nostalgie du colonialisme, ne peut guère être considéré comme un spécialiste du Rwanda reconnu par ses pairs. Toutefois, la disqualification de ses thèses auprès des chercheurs spécialistes de la région des Grands lacs africains ne l’empêche pas de jouir d’autres sources de légitimité. Sur le plan éditorial, la diffusion de ses ouvrages sur le génocide au Rwanda lui assure une certaine notoriété. Sa nomination en qualité d’expert auprès du Tribunal pénal international sur le Rwanda lui confère également une reconnaissance institutionnelle. Enfin, nous le mentionnons parce qu’il fut le seul universitaire à signer une tribune dans les colonnes duFigaro, pendant le génocide, en tant qu’« expert » de l’Afrique. Ceci illustre bien le fait que la légitimation médiatique de l’« expert » et sa consécration dans le champ académique sont loin d’aller de pair. en l’occurrence, il semble que l’autorité reconnue parLe Figaro au discours de Bernard Lugan doive beaucoup à sa proximité idéologique avec les analyses « historiques » du journal. » Sophie Pontzeele, « Le schème de la « guerre ethnique » dans la médiatisation des crises africaines : Burundi 1972 et Rwanda 1994 »,Les Cahiers du journalisme, 18, 2008,p. 173-174.
↑Jean Terrier, « Culture et types de l’action sociale »,Revue européenne des sciences sociales,vol. XL,no 122,(DOI10.4000/ress.635,lire en ligne)« Lugan dé-historise ainsi radicalement le ‘fait ethnique’ et lui donne une dimension d’extrême stabilité diachronique que n’ont pas manqué de mettre en cause les ethnologues.Jean-Loup Amselle, par exemple, revendique la nécessité d’une approche historique du phénomène ethnique. Il souligne les enjeux politiques qui tournent historiquement autour de la problématique ethnique, en suggérant par exemple qu’on peut légitimement percevoir l’ethnicité comme une création coloniale dont le concept, préexistant à la chose pour l’informer ensuite, a servi à justifier des entreprises de division systématique menées par les pouvoirs coloniaux. ».
↑Il renvoie notamment au texte « Une domination raciale » dans B. Lugan,Histoire du Rwanda, Paris, Bartillat, 1997,p. 115-116.
↑Marcel Kabanda, inAfrique et Histoire, 3, 2005,p. 200-201.