Après trente-six victoires chez les amateurs, Hinault devient professionnel en 1975 dans l'équipeGitane-Campagnolo, dirigée parJean Stablinski. Ses débuts sont convaincants, mais Hinault souhaite quitter sa formation après une vive altercation avec son directeur sportif. Il décide finalement d'y rester avec la nomination deCyrille Guimard à la tête de l'équipe. Une collaboration constructive s'installe entre les deux hommes, Hinault multipliant les victoires sur le territoire français en1976, avant de s'imposer l'année suivante sur lesclassiquesGand-Wevelgem,Liège-Bastogne-Liège mais aussi sur leCritérium du Dauphiné libéré. En 1978, son équipe devientRenault-Gitane et Hinault teste ses capacités sur ungrand tour en se rendant sur leTour d'Espagne, où il s'impose. En juillet, il remporte leTour de France dès sa première participation. L'année suivante, il confirme son emprise sur le cyclisme mondial, en remportant haut la main une deuxième fois leTour de France avant de parachever sa saison par une victoire auTour de Lombardie.
En1980, après une extraordinaire victoire dans des conditions climatiques dantesques surLiège-Bastogne-Liège, il gagne leTour d'Italie pour la première fois. Il doit ensuite abandonner leTour de France à cause d'un genou douloureux. En fin de saison il se pare dumaillot arc-en-ciel en s'imposant lors deschampionnats du monde àSallanches. En1981, alors qu'il n'apprécie pas cette course, Hinault remporteParis-Roubaix. Quelques mois plus tard, il remporte son troisièmeTour de France. En1982, il réalise pour la première fois le doubléTour d'Italie-Tour de France. L'année suivante, blessé au genou lors de sa victoire auTour d'Espagne, il doit renoncer à participer auTour de France pour se faire opérer et voit la victoire sur l'épreuve de son jeuneéquipierLaurent Fignon. En conflit avec Guimard, il quitte l'équipe Renault et crée sa propre formation,La Vie claire, avec l'aide de l'homme d'affairesBernard Tapie. En1984, toujours convalescent, il ne parvient pas à battre Fignon sur leTour de France. Mais la saison suivante marque le retour d'Hinault au plus haut niveau avec un second doubléGiro-Tour. Pour sa dernière saison professionnelle, il termine second duTour de France 1986 derrière son coéquipier, l'AméricainGreg LeMond.
Hinault est également connu du grand public pour son franc-parler, voire ses coups de gueule. Cependant il jouit d'une grande popularité, surtout après son retour de blessure en 1984. Après sa retraite sportive, Hinault exerce la profession d'éleveur bovin àCalorguen dans lesCôtes-d'Armor pendant vingt ans. Mais il ne quitte pas le monde du cyclisme, s'occupant entre 1987 et 2016 des relations publiques et du protocole en particulier lors duTour de France, pour le compte de la société organisatriceAmaury Sport Organisation. Il est également sélectionneur de l'équipe de France de 1988 à 1993, succédant àJacques Anquetil.
Bernard Hinault naît le àYffiniac au lieu-dit « Le Fraîche », dans lesCôtes-du-Nord, plus précisément dans la maison de ses grands-parents, unelongère degranit nommée « La Tenue » érigée contre levent et lapluie. La résidence de la famille Hinault s’agrandit en ce jour d’automne. Dans la chambre de Jean et Jeanne, celle des grands-parents, Bernard Hinault pousse ses premiers cris[l 1],[1]. Son père, Joseph, est poseur de rails pour laSNCF, sa mère, Lucie (née Guernion), estfemme au foyer et travaille également à laferme familiale. Il a un frère aîné, Gilbert, une sœur et un frère cadets, Josianne et Pierre[l 2]. Avec son frère aîné, vite rejoint par sa petite sœur et son frère cadet, Bernard Hinault vit dans la longère du champ voisin, « La Clôture », qui n’est close que par son nom, tant la fratrie grandit avec ses cousins, qui habitent à deux pas. L'enfance de Bernard Hinault se déroule le nez au vent frais de lacampagne briochine, toujours dehors et uni à sa fratrie et ses cousins, jouant avec lescochons, leslapins, leschevaux, lespoules, et galopant à travers les champs, dévorant les hectares pour rejoindre larivière en contrebas[1]. Bernard Hinault effectue quatre fois par jour, à pied ou à vélo, les 2,5 kilomètres qui séparent la ferme du bourg, afin de se rendre à l'école Saint-Aubin tenue par lesSœurs Blanches duSaint-Esprit[l 3]. Peu intéressé par les études, il obtient soncertificat d'études primaires à14 ans et souhaite devenirébéniste. Mais ses parents, avisés que les débouchés dans le bois sont limités, obligent Bernard à préparer unCAP d'ajusteur au collège d'enseignement technique duSacré-Cœur àSaint-Brieuc, qu'il va obtenir quatre ans plus tard[l 4].
À l'âge de huit ans, il roule pour la première fois sur une bicyclette rouge appartenant à son frère Gilbert. Puis avec le vélo qui lui est offert pour son certificat d'études, il parcourt une vingtaine de kilomètres par jour quotidiennement afin de se rendre aucollège. Dans la côte deLangueux, longue de3 kilomètres, il tente de rester collé au sillage descamions[l 5]. Il pratique également l'athlétisme dans lemilieu scolaire où il estime« avoir appris à domestiquer son souffle. », grâce à cela et avoir pris goût à la performance en montant la côte deLangueux. Il accompagne régulièrement son cousin René aux compétitions cyclistes que ce dernier dispute. C'est en le voyant gagner qu'il décide de prendre une licence aupatronage catholique duClub olympique briochin deux jours plus tard, le[s 1],« conquis par l'acharnement à conquérir la victoire, par ces jeunes coureurs qui donnent le meilleur d'eux-mêmes jusqu'à l'épuisement pour triompher. »[h 1].
Bernard Hinault est entraîné auCOB par Robert Leroux, réputé pour sa rigueur[l 6]. Afin de participer à sa première course chez les cadets, le àPlanguenoual, il rachète le vélo de marqueGitane de son frère Gilbert, grâce à l'argent qu'il gagne le week-end en travaillant à la station-service située àSaint-René d'Hillion[l 7]. Bernard Hinault s'échappe du peloton dans le quatrième tour de la course qui en comprend dix. Son avance ne cesse de grandir ce qui oblige le favori Jean-Yves Ollivier à sortir à son tour pour revenir sur Hinault. La victoire entre les deux se joue ausprint dans un faux-plat montant qu'Hinault remporte en force. Comme promis à sa mère, il lui rapporte le bouquet de fleurs du vainqueur et le lendemain le journalOuest-France lui consacre un quart de page[l 8]. En 1971, sur vingt courses disputées durant cette saison, il en gagne douze dont celle courue àYffiniac[l 9]. Afin de faire progresser Hinault, Robert Leroux lui prodigue de précieux conseils sur les entraînements, la récupération, l'alimentation, le choix du matériel et la tactique de course[l 10]. En 1972, chez les juniors, Hinault fait l'acquisition d'un vélo blanc à damiers de la marquePeugeot[l 11]. En remportant lechampionnat de Bretagne sur route juniors, il se pare du maillot régional orné de labannière d'Hermine[s 2]. Puis il participe en mai àArras à la finale duPremier pas Dunlop, ancêtre du championnat de France juniors, sur un parcours de115 kilomètres. Il sort du peloton dans la côte dePas-en-Artois à60 kilomètres de l'arrivée, n'est jamais repris et remporte la course avec vingt-six secondes d'avance. Le lendemain, le nom de Bernard Hinault figure dans le journalLa Voix du Nord, dans un article écrit par un ancien coureur professionnel et futur directeur duTour de France,Jean-Marie Leblanc. En fin de saison, il gagne l'Élan breton, une coursecontre-la-montre de 60 km, à une vitesse moyenne de41,7km/h[l 11].
En 1973, Hinault effectue à18 ans son service militaire dans le21e RIMa àSissonne dans l'Aisne. À son retour au mois de décembre, il est manutentionnaire chez un chauffagiste et reprend le cyclisme au COB[l 12]. En mai 1974, il décide de se consacrer totalement au cyclisme et quitte son emploi. Il s'initie à la piste et remporte leschampionnats de Bretagne de poursuite et du kilomètre. Il est alors sélectionné pour leschampionnats de France amateurs et devient champion de France du kilomètre, en utilisant en finale des roues prêtées parDaniel Morelon, multiple champion de France, du monde et olympique qui constate qu'Hinault ne dispose pas du meilleur matériel. Quelques semaines plus tard, Hinault est cette fois rapidement éliminé lors du tournoi deschampionnats du monde àMontréal[s 3],[h 2]. Sur route, il intègre l'équipe de Bretagne afin de disputer laRoute de France àVichy, épreuve organisée parJean Leulliot, également propriétaire deParis-Nice. Hinault escalade pour la première fois des cols, et dans la première étape en comprenant quatre à franchir, il s'échappe seul à80 kilomètres de l'arrivée et parvient à l'emporter avec une seconde d'avance sur le peloton. Sur le podium, il est félicité par une personne invitée à suivre la course,Louison Bobet, triple vainqueur duTour de France. Hinault termine l'épreuve deuxième au classement général à quelques secondes deMichel Laurent[l 13]. En fin de saison, il remporte la première étape duTour de Tarragone[l 14], puis à l'Étoile des Espoirs avec l'équipe de France, il finit cinquième au classement général, après avoir pris la deuxième place du contre-la-montre individuel derrière le NéerlandaisRoy Schuiten,champion du monde de poursuite[h 2].
Jean Stablinski, directeur sportif de Bernard Hinault en 1975.
Bernard Hinault devient coureur professionnel le1er janvier1975 dans l'équipeGitane-Campagnolo pour un salaire mensuel de 2 500 francs. Ce contrat est signé grâce à l'entremise de Paul Tertre, dépositaire de la marque de cycle Juaneda, utilisée par Hinault. Il est dirigé parJean Stablinski et compte notamment parmi ses coéquipiers le BelgeLucien Van Impe etMaurice Le Guilloux[l 15]. C'est ce dernier etGeorges Talbourdet qui lui donnent à cette époque le surnom de « Blaireau » en parlant de lui au journaliste deL'ÉquipePierre Chany[2].
Après avoir participé à l'Étoile de Bessèges où il termine deuxième de l'étape arrivant àGanges[s 4], puis prenant part à quelques courses enBelgique, Hinault dispute sa première grande course internationale surParis-Nice, avec la présence du BelgeEddy Merckx, du NéerlandaisJoop Zoetemelk et deRaymond Poulidor. Peu impressionné par le champion belge, Hinault déclare :« Merckx, il est comme moi, il a deux bras et deux jambes. »[s 5]. Dès la première étape, le leader de son équipeAlain Santy est contraint à l'abandon à cause d'une chute. Cela permet à Hinault de jouer sa carte personnelle et de se mêler à la bagarre pour le classement général de l'épreuve, qu'il termine à la septième place et premier Français, à quatre minutes du vainqueur Zoetemelk[l 16]. Il découvre ensuiteMilan-San Remo qu'il termine à la cinquante-quatrième place, puis en avril, Hinault acquiert sa première victoire en tant que coureur professionnel en remportant leCircuit de la Sarthe[3]. En juin, Hinault participe auCritérium du Dauphiné libéré et découvre la haute montagne, ce qui ne l'empêche pas de travailler dans les cols pour Lucien Van Impe, afin que ce dernier remporte le Grand Prix de la montagne. Lorsque Jean Stablinski lui annonce son intention de le faire participer auGrand Prix du Midi libre, auTour de l'Aude et aux premières étapes duTour de France,« pour foutre le bordel. », Hinault s'emporte contre son directeur sportif car il ne respecte pas sa parole de le laisser au repos après le Critérium du Dauphiné libéré[l 17]. Hinault rentre en Bretagne dès la fin de l'épreuve afin d'assister à la naissance de son premier fils et cherche une autre équipe pour la saison prochaine. En août, il remporte lechampionnat de France de poursuite. En fin d'année, il est récompensé du trophée de laPromotion Pernod, récompensant le meilleur coureur français de moins de25 ans et termine quatrième duTrophée Prestige, qui concerne l'ensemble des coureurs français[h 3].
En1976,Cyrille Guimard devient le nouveau directeur sportif de l'équipeGitane, en remplacement deJean Stablinski, licencié. Il vient de terminer sa carrière de coureur et commence celle de directeur sportif. Hinault, qui a côtoyé Guimard en course depuis plusieurs années et qui l'apprécie, décide alors de rester chez Gitane[l 18]. Guimard établit un programme sur plusieurs années et souhaite ne pas lui faire brûler les étapes, privilégiant les courses françaises en 1976. Commençant la saison en ayant pris douze kilogrammes durant l'hiver, Hinault se classe douzième deParis-Nice, remporté parMichel Laurent. En avril, il s'impose à nouveau sur leCircuit de la Sarthe, remporte la semi-classiqueParis-Camembert[4], puis leTour d'Indre-et-Loire, en battant cette foisRoy Schuiten lors ducontre-la-montre individuel[s 6]. Il conserve ensuite àVincennes le titre dechampion de France de poursuite.
Cyrille Guimard, directeur sportif de Bernard Hinault de 1976 à 1983.
En1977, Hinault commence la saison par une cinquième place au classement général final deParis-Nice, terminant à une minute et quarante-deux secondes du vainqueur, le BelgeFreddy Maertens. En avril, il provoque la colère deCyrille Guimard et de l'équipeGitane en abandonnant aussitôt le départ donné duTour des Flandres, disputé dans des conditions climatiques difficiles[5]. Conscient qu'il lui faut se racheter, il se rend surGand-Wevelgem et fait partie de la bonne échappée composée de dix-huit coureurs. À30 kilomètres de l'arrivée, il s'isole dans une bosse et franchit la ligne d'arrivée en vainqueur avec plus d'une minute d'avance sur le deuxième, l'ItalienVittorio Algeri[l 21]. Cinq jours plus tard, Hinault participe à laclassique ardennaiseLiège-Bastogne-Liège et se trouve dans le final de la course dans un groupe de coureurs comprenant les principaux favoris, à savoir les BelgesEddy Merckx,Roger De Vlaeminck et Freddy Maertens. À10 kilomètres de l'arrivée, il est le seul à réagir à l'offensive du BelgeAndré Dierickx dans la côte des Forges et les deux coureurs se relaient parfaitement, ne permettant pas le retour des poursuivants. Hinault s'impose ausprint devant Dierickx, devenant le quatrième Français à remporter cemonument du cyclisme, aprèsAndré Trousselier (1908),Camille Danguillaume (1950) etJacques Anquetil (1966)[6].
En mai, Hinault prend le départ duCritérium du Dauphiné libéré afin de se tester en haute montagne en tant que leader de l'équipe et se mesurer à un plateau de coureurs relevé, avec la présence d'Eddy Merckx,Lucien Van Impe,Sean Kelly,Joop Zoetemelk,Joaquim Agostinho,Raymond Poulidor,Jean-Pierre Danguillaume etBernard Thévenet. Lors duprologue àAvignon, Hinault prend la deuxième place derrière le BelgeJean-Luc Vandenbroucke, puis il s'impose le lendemain dans l'étape entreOrange etSaint-Étienne, en battant au sprint Merckx, ce qui lui permet d'endosser la tunique de leader de la compétition[l 22]. Lors de la première étape de montagne entreRomans-sur-Isère etGrenoble longue de214 kilomètres, Thévenet attaque dans lecol du Coq, seul Hinault peut le suivre. Après une descente compliquée dont une partie n'est pas goudronnée, les deux coureurs se présentent au pied ducol de Porte où Hinault place une accélération que ne peut suivre Thévenet. Au col, Hinault creuse un écart de deux minutes et vingt secondes sur son poursuivant et entame la descente du col. Dans celle-ci, il prend un virage trop à la corde, termine sa course dans un ravin, mais s'en sort miraculeusement sans trop de blessures, grâce à un arbuste qui stoppe sa chute. Il remonte sur la route aidé par son mécanicien et Guimard, puis reprend son vélo, alors qu'il est groggy et blessé sur tout son côté droit. Hinault se présente au pied de laBastille, dernière difficulté de la journée avec des pentes à 18 %. Après quelques mètres de montée, il met pied à terre, ne s'étant pas totalement remis de sa chute. Mais il finit par repartir, effectue l'ascension de la Bastille et franchit la ligne d'arrivée en vainqueur[l 22]. Le lendemain, il souffre du dos et subit les offensives de Thévenet et Van Impe dans les cols desAravis et de laForclaz et se fait décrocher. Mais dans la descente menant vers l'arrivée àAnnecy, il reçoit l'aide précieuse de Merckx[l 23], ce qui lui permet de conserver le maillot de leader pour dix-sept secondes sur Thévenet[7]. L'épreuve se conclut par uncontre-la-montre individuel de 36,5 kilomètres àThonon-les-Bains, Thévenet l'emporte mais Hinault termine deuxième, conserve neuf secondes d'avance sur son adversaire et s'adjuge le classement général[8]. Il prouve au peloton sa capacité à être un coureur complet, passant très bien la haute montagne et malgré les multiples sollicitations, Guimard reste sur sa position, estimant qu'il est trop tôt pour Hinault de participer auTour de France, qui est remporté par Thévenet[h 5].
AuTour du Limousin, Hinault remporte en solitaire la première étape arrivant àTulle, créant des écarts importants sur ses adversaires. Il gère son avance dans les étapes suivantes et s'impose au classement général final devantJacques Bossis etPierre-Raymond Villemiane[s 8]. En fin de saison, Hinault est sélectionné pour leschampionnats du monde organisés àSan Cristóbal auVenezuela. Il termine la course à la huitième place, l'ItalienFrancesco Moser remportant lemaillot arc-en-ciel. Mais à l'issue de la course, au micro du journalisteJean-Paul Brouchon, Eddy Merckx déclare :« Bernard Hinault va devenir le meilleur coureur du monde. »[l 24]. Pour terminer la saison, Hinault gagne leGrand Prix des Nations sur un parcours de90 kilomètres devant Joop Zoetemelk, qui termine à plus de trois minutes[h 5].
Fin avril, Hinault découvre son premiergrand tour en participant auTour d'Espagne. Concernant l'épreuve ibérique, il déclare :« La Vuelta sera certes un bon apprentissage pour le Tour parce qu'elle n'est pas trop dure. »[s 9]. Hinault remporte leprologue de 8,6 kilomètres àGijón, s'empare du maillotamarillo de leader, qu'il ne souhaite pas défendre trop vite et le cède au BelgeFerdi Van Den Haute lors de la troisième étape[l 26]. Hinault s'impose à la Tossa de Montbui à l'issue de la douzième étape au parcours montagneux, bien aidé par sonéquipierJean-René Bernaudeau et reprend le maillot de leader. Une coalition des coureurs espagnols contre lui ne l'empêche pas de remporter deux autres étapes àLogroño etAmurrio[l 27]. La dernière étape, un contre-la-montre, est annulée à cause d'une manifestation. Hinault remporte ainsi cetteVuelta avec trois minutes d'avance sur l'EspagnolJosé Pesarrodona, Bernaudeau complète le podium. Le Breton sort de l'épreuve satisfait de sa performance, en particulier de sa capacité à récupérer des efforts successifs fournis durant trois semaines[s 9]. Après avoir pris part en juin auTour de Suisse, afin de peaufiner sa préparation pour le Tour de France, Hinault remporte leschampionnats de France àSarrebourg, en effectuant seul les 55 derniers kilomètres[h 6].
Leprologue est remporté parJan Raas, Hinault termine neuvième et tous les favoris se tiennent en quelques secondes[12]. Hinault déclare :« Il ne se passera rien d'essentiel avant la première épreuve contre-la-montre. La course se jouera ensuite dans la montagne. »[l 28]. Ainsi après la prise dumaillot jaune par leurcoéquipierJacques Bossis lors de la troisième étape[13], Hinault et les membres de l'équipeRenault décident de préserver leurs forces. Lors ducontre-la-montre par équipes disputé entreÉvreux etCaen sur une distance de153 kilomètres, ils prennent la quatrième place à cinq minutes de l'équipeTI-Raleigh[l 29]. Seule ombre au tableau pour le Breton, les performances du BelgeJoseph Bruyère de l'équipeC&A. Réputé bon grimpeur, il a plus de quatre minutes d'avance sur Hinault au classement général, à la suite d'un excellent contre-la-montre par équipes et d'une échappée réussie lors de la sixième étape menant àPoitiers, obligeant l'équipe Renault à s'employer[14]. Lors de la huitième étape, uncontre-la-montre individuel de 59,3 km disputé entreSaint-Émilion etSainte-Foy-la-Grande, Hinault remporte son premier objectif important de ce Tour. Sa reconnaissance du parcours avecCyrille Guimard lui a permis de ne pas s'épuiser dans les premiers kilomètres et de fournir un effort maximal dans le final. Il creuse des écarts sur ses adversaires, en particulier sur Kuiper, Thévenet et Van Impe, désormais hors-jeux pour la victoire finale[15]. Durant la première étape pyrénéenne entreBiarritz etPau avec l'ascension pour la première fois ducol de Marie-Blanque, le NéerlandaisHenk Lubberding s'impose devant les favoris qui se neutralisent, seul manque Thévenet qui est à la dérive durant cette étape[16]. Le lendemain, les cols duTourmalet et d'Aspin sont au programme avant l'ascension finale duPla d'Adet.Mariano Martinez s'impose devant Hinault qui résiste aux attaques de Michel Pollentier et Joop Zoetemelk et reprend même du temps au maillot jaune Joseph Bruyère, n'ayant plus qu'une minute de retard au classement général[17]. Lors de la douzième étape, Hinault est poussé par le NéerlandaisGerben Karstens afin d'être le porte-parole des coureurs en grève, qui sont mécontents des horaires de course et du manque de récupération. Ils parcourent la demi-étape au ralenti et franchissent la ligne d'arrivée à pied avec deux heures de retard àValence-d'Agen, sous les sifflets du public[l 30]. Dans la presse, certains journalistes s'offusquent et présentent Bernard Hinault comme le meneur de cette grève, ce qui agace fortement le Breton[l 31]. La quatorzième étape comprend un contre-la-montre individuel de 52,5 kilomètres se concluant par la montée difficile duPuy-de-Dôme. Hinault n'est pas dans un bon jour mais donne le maximum. À peine la ligne d'arrivée coupée, il descend du vélo et monte dans une ambulance pour être placé sous oxygène[l 32]. Il termine l'étape à la quatrième place, concède une minute et quarante secondes sur le vainqueur Zoetemelk, mais perd aussi du temps sur Pollentier et lemaillot jaune Bruyère, ce qui a pour effet de le repousser à la troisième place du classement général à une minute et cinquante secondes du leader[18]. Le lendemain, Hinault retrouve ses jambes, s'impose àSaint-Étienne en dominant les spécialistes dusprintFreddy Maertens etSean Kelly, après les avoir usés en durcissant la course près de l'arrivée dans lecol de la Croix de Chaubouret[l 33]. Lors de la première étape dans lesAlpes, Pollentier prend éphémèrement le maillot jaune en s'imposant en solitaire au sommet del'Alpe d'Huez devant Kuiper, Hinault et Zoetemelk, Bruyère ayant complètement craqué[19]. Mais il est ensuite exclu du Tour pour avoir tenté de frauder au contrôle antidopage, en utilisant une poire remplie d'une urine propre[20]. Zoetemelk récupère le maillot jaune et Hinault pointe à quatorze secondes. Les deux protagonistes se neutralisent dans la difficile étape de montagne entreGrenoble etMorzine remportée parChristian Seznec et préfèrent se disputer la victoire finale lors de la vingtième étape, un contre-la-montre individuel de72 kilomètres entreMetz etNancy[l 34]. Hinault s'impose en puissance avec une moyenne de43,424km/h et relègue Zoetemelk à quatre minutes et dix secondes[21]. L'arrivée finale s'effectue sur les pavés desChamps-Élysées, Hinault s'impose au classement général devant Zoetemelk à trois minutes cinquante-six secondes et le PortugaisJoaquim Agostinho à plus de sept minutes. À23 ans, Hinault remporte son premier Tour de France dès sa première participation, commeFausto Coppi,Hugo Koblet,Jacques Anquetil et Eddy Merckx[h 7].
En mai, lors du Critérium du Dauphiné libéré, un duel Hinault-Zoetemelk semble se dessiner pour la victoire finale, après leprologue remporté par le Néerlandais devant le Français àMâcon[28]. Lors de la troisième étape entreTournon etAvignon, Hinault s'impose dans la « cité des papes » et endosse le maillot de leader grâce aux vingt secondes de bonification remportées au sommet duMont Ventoux[29]. Puis il fait plier ses adversaires en l'emportant en solitaire au sommet de laBastille àGrenoble et consolide sa place de leader. Dans l'étape de montagne menant àChambéry, longue de198 kilomètres avec les ascensions des cols deChamrousse, de Barioz, duGranier et duRevard, le Français effectue une démonstration dans le brouillard et la pluie battante, ne laissant à personne le soin d'animer la course. Seul le NéerlandaisHenk Lubberding parvient à le suivre mais ne peut lui contester la victoire à l'arrivée, tandis que derrière eux les écarts sont immenses[30]. Le lendemain, Hinault parachève son récital en remportant le contre-la-montre individuel àAnnecy et s'impose au classement général de l'épreuve avec plus de dix minutes d'avance sur le deuxième, Lubberding[31]. Avant leTour de France, il aide sonéquipier luxembourgeoisLucien Didier à gagner leTour de Luxembourg[s 11], puis participe auxchampionnats de France àPlumelec, où un autre coureur deRenault-Gitane,Roland Berland, obtient son second titre national[h 10].
Lors duprologue inaugural àFleurance dans leGers, Hinault prend la quatrième place à quatre secondes du vainqueur, le NéerlandaisGerrie Knetemann[33]. Le peloton fait ensuite son entrée dans les Pyrénées avec les ascensions des cols deMente et duPortillon, où Hinault voit sonéquipierJean-René Bernaudeau s'emparer dumaillot jaune àLuchon[34]. Le lendemain, lors d'uncontre-la-montre individuel de 23,9 kilomètres en côte entreLuchon etSuperbagnères, Hinault s'impose avec onze secondes d'avance sur Agostinho, cinquante-trois sur Zoetemelk et prend le pouvoir au classement général[35]. Il continue d'impressionner ses adversaires qui ne parviennent pas à l'attaquer dans les cols d'Aspin et duTourmalet, le Breton franchissant la ligne d'arrivée en vainqueur àPau[l 35]. Il préserve le maillot jaune pour douze secondes sur Zoetemelk à l'issue du contre-la-montre par équipes arrivant àBordeaux et remporté par l'équipeTI-Raleigh-McGregor[36]. EntreAngers etSaint-Brieuc, Hinault grapille quelques secondes en prenant les bonifications lors dessprints intermédiaires[37], puis conforte même sa position de leader grâce à la surprenante prestation de l'équipe Renault-Gitane lors du second contre-la-montre par équipes arrivant auHavre. Elle prend la deuxième place à seulement six secondes de la favorite TI-Raleigh-McGregor et domine l'équipeMiko-Mercier-Vivagel de Zoetemelk de cinquante-quatre secondes[38]. Cependant lors de l'étape comprenant des secteurs pavés entreAmiens etRoubaix, Hinault subit une importante déconvenue. Il est victime d'une première crevaison au moment où plusieurs coureurs attaquent, à savoir les BelgesLudo Delcroix,Michel Pollentier etAndré Dierickx accompagnés de Zoetemelk et de l'Allemand de l'OuestDietrich Thurau. Hinault mène seul la poursuite derrière les échappées, crève à nouveau dans le final au niveau deHem et concède sur la ligne d'arrivée trois minutes et vingt-six secondes sur Zoetemelk, abandonnant le maillot jaune à ce dernier[39]. Présent à Roubaix,Jacques Anquetil félicite Hinault et déclare au micro des journalistes :« S'il n'était pas un super champion, s'il n'était pas en super forme, dans de telles circonstances, son retard aurait été beaucoup plus important, à mon avis autour d'un quart d'heure. Ce soir, Bernard Hinault vient de remporter son deuxième Tour de France, croyez-moi. »[l 36]. Hinault, revanchard, réduit ensuite l'écart qui le sépare du Néerlandais à la moindre occasion. Dans un premier temps, il reprend trente-six secondes lors de sa victoire dans le contre-la-montre individuel àBruxelles[40]. Puis le Breton grappille trois nouvelles secondes en sprintant au sommet duBallon d'Alsace oùPierre-Raymond Villemiane s'impose[41]. Et enfin, il se montre impérial dans les sprints intermédiaires de la quatorzième étape où des bonifications sont attribuées, lui permettant de réduire son retard sur Zoetemelk de quarante secondes[42]. Hinault finit même par reprendre le pouvoir au classement général lors du contre-la-montre individuel de 54,2 kilomètres avec comme final la montée versMorzine-Avoriaz. Il domine largement ses adversaires dont Zoetemelk, qui même s'il termine deuxième, concède deux minutes et trente-sept secondes au Français[43]. Hinault assoit sa position de leader dès la première étape dans lesAlpes. Il termine deuxième derrière Van Impe auxMénuires, mais reprend encore cinquante-sept secondes sur Zoetemelk[44]. Cependant le Néerlandais n'abdique pas. Lors de la dernière étape alpestre, il se montre coriace, attaque et décroche le maillot jaune dans l'Alpe d'Huez pour franchir la ligne d'arrivée en vainqueur avec quarante-sept secondes d'avance sur Hinault[45]. Le Français remporte le contre-la-montre individuel àDijon, lui permettant de repousser Zoetemelk à trois minutes et sept secondes au classement général[46], puis s'impose à nouveau àNogent-sur-Marne. Lors de la dernière étape entreLe Perreux-sur-Marne etParis, Zoetemelk et Hinault se livrent une dernière bagarre en sortant du peloton dans lavallée de Chevreuse. C'est donc une échappée royale qui entre dans la capitale française, les deux coureurs se relaient avec vigueur et parcourent les six tours sur lesChamps-Élysées sans être repris par le peloton. Hinault domine Zoetemelk au sprint et remporte son deuxième Tour de France[47]. En plus de la victoire au classement général avec Hinault, l'équipe Renault-Gitane remporte huit étapes, leclassement par points avec Hinault, leclassement par équipes et leclassement du meilleur jeune avec Jean-René Bernaudeau[l 37].
En août, auxchampionnats du monde organisées àFauquemont auxPays-Bas, une échappée de huit coureurs s'extirpe du groupe des favoris à30 kilomètres de l'arrivée, dans celle-ci se trouvent Bernaudeau etAndré Chalmel. Hinault ne réagit pas pour protéger la fuite de ses équipiers et termine l'épreuve à la vingt-et-unième place, alors qu'à l'avant de la course c'est le NéerlandaisJan Raas qui remporte lemaillot arc-en-ciel[48]. Hinault s'impose ensuite pour la troisième fois consécutivement sur leGrand Prix des Nations, loin devant l'ItalienFrancesco Moser et Zoetemelk[49]. Le Néerlandais prend sa revanche en s'adjugeant la victoire sur leGrand Prix d'Automne, le Français termine sixième[50]. Pour clore cette saison, Hinault se présente auTour de Lombardie avec un goût de revanche après son échec de l'année précédente, qui selon lui est dû à la coalition des Italiens pour faire gagner Moser. Il sort du peloton à150 kilomètres de l'arrivée avec son équipierBernard Becaas, mais aussi en compagnie des ItaliensSilvano Contini,Gianbattista Baronchelli,Pierino Gavazzi,Sergio Parsani et des BelgesRonald De Witte etLudo Peeters. Le tempo infernal de l'échappée condamne Moser etGiuseppe Saronni restés dans le peloton et qui ne parviennent pas à revenir. À l'avant de la course seul Contini peut suivre les deux Français dans la succession des bosses parcourues sous une pluie battante. Hinault règle au sprint Contini àCôme et devient le cinquième Français à s'imposer au Tour de Lombardie aprèsGustave Garrigou (1907),Henri Pélissier (1911,1913,1920),Louison Bobet (1951) etAndré Darrigade (1956)[l 37]. Hinault remporte également pour la première fois leSuper Prestige Pernod devant le vainqueur duTour d'Italie Giuseppe Saronni et Joop Zoetemelk[51].
Grande saison malgré son échec au Tour de France (1980)
Le 20 avril, la neige commence à tomber dès le départ deLiège-Bastogne-Liège où cent soixante-quatorze coureurs s'élancent. Durant les deux premières heures, cent dix abandonnent, parmi eux Saronni, Nilsson,Michel Pollentier,Lucien Van Impe etGianbattista Baronchelli. Après le ravitaillement àVielsalm, Bernard Hinault sort de ce qui reste du peloton et revient au sommet de lacôte de Wanne sur un premier groupe de coureurs échappés composé du BelgeLudo Peeters, de l'ItalienSilvano Contini, du NéerlandaisHenk Lubberding et de l'Allemand de l'ouestDietrich Thurau. Seul le BelgeRudy Pevenage est encore à l'avant. Hinault fait souffrir ses adversaires dans lacôte de Stockeu puis finit par les distancer dans la côte de la Haute-Levée où il rejoint, dépasse et dépose Pevenage. Hinault se retrouve seul à l'avant avec encore80 kilomètres à parcourir et même si certains coureurs se regroupent derrière lui pour mener la chasse, il creuse irrémédiablement l'écart sur eux. Il possède deux minutes d'avance aucol du Rosier, cinq àMont-Theux puis huit en haut de lacôte de La Redoute[l 39]. À l'arrivée àLiège, Hinault franchit la ligne d'arrivée en vainqueur avec plus de neuf minutes d'avance sur le deuxième, le NéerlandaisHennie Kuiper et seuls vingt-et-un coureurs terminent cette course dantesque[56]. Selon Hinault cette course est sa« plus belle victoire dans une classique » et elle lui laisse pour toujours deux doigts sensibles au froid et à la neige[h 11].
En mai, afin de préparer le Tour d'Italie, il participe auTour de Romandie qu'il remporte devantSilvano Contini et Saronni[57]. LeGiro commence par unprologue de 7,5 kilomètres àGênes remporté par Francesco Moser, où Hinault prend la troisième place à six secondes[58]. Lors de la cinquième étape, un contre-la-montre individuel de36 kilomètres entrePontedera etPise, le Français prend la deuxième place derrière le DanoisJørgen Marcussen et s'empare dumaillot rose[59]. Deux jours plus tard àOrvieto, il concède quatre minutes à une échappée d'une dizaine de coureurs, dont l'ItalienRoberto Visentini qui s'empare de la tête du classement général[60]. Lors de la quatorzième étape avec l'ascension de quatre cols, Hinault gagne au sommet àRoccaraso, dominant ausprint l'ItalienWladimiro Panizza, seul coureur à avoir pu le suivre et qui prend le maillot rose avec une minute d'avance sur le Français[61]. La vingtième étape relieCles etSondrio dans lesAlpes avec les ascensions duPasso delle Palade et ducol du Stelvio. Le début de course est courue sous une pluie battante, le Passo delle Palade est escaladé en peloton. Mais au sommet, troiséquipiers d'Hinault,Maurice Le Guilloux,Bernard Becaas etJean-René Bernaudeau se glissent dans une échappée. Au pied du Stelvio, Hinault attaque, s'en va seul effectuer les26 kilomètres de montée et rejoint Bernaudeau peu après le sommet. Après avoir effectué la descente à fond, ils se relaient parfaitement lors des 30 derniers kilomètres, Bernaudeau remporte l'étape devant Hinault, qui se pare à nouveau du maillot rose avec trois minutes et quinze secondes d'avance sur Panizza[l 40],[62]. Le lendemain lors d'un contre-la-montre individuel de50 kilomètres, l'Italien Sarroni remporte sa septième étape sur cette épreuve devant Hinault qui conforte sa position de leader[63]. ÀMilan, Bernard Hinault remporte le Tour d'Italie avec cinq minutes et quarante-trois secondes d'avance sur Wladimiro Panizza et six minutes et trois secondes surGiovanni Battaglin qui complète le podium[64]. Comme au Tour de France et d'Espagne, Hinault s'impose lors de sa première participation, et devient le deuxième Français au palmarès du Tour d'Italie aprèsJacques Anquetil (1960,1964).
Abandon au Tour de France et triomphe aux championnats du monde
Moins de trois semaines après son succès auGiro, Hinault se rend àFrancfort-sur-le-Main enAllemagne de l'Ouest où démarre leTour 1980. Le Français est le favori pour la victoire finale et ses adversaires désignés sontJoop Zoetemelk, parti dans la puissante équipeTI-Raleigh-Creda, l'expérimentéJoaquim Agostinho (38 ans),Hennie Kuiper etJohan van der Velde, récent vainqueur duCritérium du Dauphiné libéré[65]. Hinault gagne leprologue inaugural devant deux NéerlandaisGerrie Knetemann etBert Oosterbosch et se pare dumaillot jaune[66]. Il cède la tunique de leader dès le lendemain à Knetemann à la suite de la victoire de la TI-Raleigh-Creda devantRenault-Gitane lors ducontre-la-montre par équipes[67]. ÀSpa-Francorchamps, Hinault gagne lecontre-la-montre individuel de 34,6 kilomètres devant Zoetemelk, relégué à une minute et seize secondes[68]. Le lendemain àLille, Hinault s'impose au terme d'une étape empruntant certains secteurs pavés deParis-Roubaix. Et même s'il ne possède pas le maillot jaune qui se trouve sur les épaules du BelgeRudy Pevenage depuis la troisième étape, il crée déjà des écarts sur ses adversaires au classement général, Kuiper est à trois minutes dix-neuf secondes et Zoetemelk à presque quatre minutes[69]. Mais Hinault est inquiet car une vive douleur au niveau du genou droit s'est réveillée[l 41]. Lors du second contre-la-montre par équipes de65 kilomètres entreCompiègne etBeauvais, il est en souffrance, incapable de prendre des relais et manque d'être décroché par seséquipiers dans chaque bosse[l 42]. L'équipe Renault-Gitane se classe quatrième, ce qui fait perdre à Hinault une minute trente secondes sur Zoetemelk, vainqueur de l'étape avec la TI-Raleigh-Creda[70]. Un traitement anti-inflammatoire et des ultra-sons lui permettent de moins souffrir sur le vélo[71]. Mais lors de la quinzième étape, un contre-la-montre individuel de 51,8 kilomètres entreDamazan etLaplume, même s'il endosse le maillot jaune, Zoetemelk vainqueur de l'étape lui reprend beaucoup de temps et n'est plus qu'à vingt-et-une secondes du Français au classement général[72]. Le lendemain, Hinault souffre de plus en plus du genou et décide de se retirer de la course après l'arrivée de l'étape àPau[73]. Après avoir terminé à cinq reprises à la deuxième place dont deux fois derrière Hinault, Joop Zoetemelk remporte ce Tour de France devant Hennie Kuiper etRaymond Martin[74].
En août, Hinault reprend la compétition auTour d'Allemagne qu'il termine à plus de seize minutes du vainqueur,Gregor Braun[75]. Ce n’est que sur leTour du Limousin, où il remporte la première étape avec une concurrence plus faible, que les premières bonnes sensations reviennent. Mais la course ne se déroule qu’à quelques jours deschampionnats du monde. Le temps est donc compté pour finir de préparer ce rendez-vous très important de la saison.
Celui-ci a lieu àSallanches enHaute-Savoie, sur un circuit de268 kilomètres avec l'ascension répétée de la côte deDomancy (20 fois), longue de 2 700 mètres pour une pente moyenne de plus de 8 % et un dénivelé total de 4 600 mètres, réservant cette compétition aux grimpeurs[76]. La France est impatiente car, « à la maison » elle ne peut voir d’autre vainqueur qu’un Français, d’autant qu’en cette année 1980 cela fait18 ans qu’un coureur hexagonal n’a pas été champion du Monde, avecJean Stablinski. Le parcours a été clairement choisi pour mettre en avant les caractéristiques du champion Breton. C’est de bonne guerre de la part des organisateurs. De plus, cela correspond à une certaine alternance des parcours, entre les précédentes années auxPays-Bas et enAllemagne, et celui-ci taillé pour les grimpeurs-puncheurs comme Bernard Hinault[77]. L'équipe de France est dirigée parJacques Anquetil, Hinault est son leader, accompagné de ses équipiers de chez Renault-Gitane,Jean-René Bernaudeau,André Chalmel etPierre-Raymond Villemiane, mais aussi d’autres équipiers circonstanciels et dévoués commeBernard Thévenet (deux victoires au Tour de France à son actif mais en fin de carrière)[77],Mariano Martinez,Robert Alban,Bernard Vallet,Régis Ovion etBernard Bourreau[l 43]. Le matin de la course, paré de bonnes sensations et d’une grande confiance, Bernard Hinault annonce à son staff« c’est OK les gars, vous pouvez mettre leChampagne au frais pour ce soir[77]. » Face à l'équipe de France, plusieurs nations sont armées afin de contrecarrer les plans d'Hinault, comme l'Italie (Moser,Saronni,Baronchelli,Panizza etBattaglin), la Belgique (Pollentier,Criquielion etDe Muynck), les Pays-Bas (Zoetemelk, Kuiper, van der Velde etLubberding), l'Espagne (Rupérez,Lejarreta,Fernández Blanco etFernández Martín), mais aussi l'Australie (Phil Anderson) et la Grande-Bretagne (Robert Millar)[l 44]. Au briefing avant l’épreuve, la tactique de l’équipe de France est claire. Hinault dit à ses équipiers« vous vous occupez de la première moitié de la course, je ferai la deuxième[77]. » Au départ, cent sept coureurs s'élancent sur une route mouillée à la suite des pluies diluviennes tombées la nuit précédente. Au deuxième des 20 tours, contredisant le plan établit au briefing, Bernard Hinault attaque déjà et part en échappée. Plutôt que de laisser faire ses coéquipiers, le Breton commence à imprimer le rythme pour effectuer l’écrémage avant de revenir au sein du peloton[77]. Après une échappée durant plusieurs tours du DanoisKim Andersen, du SuisseUeli Sutter et du Français Mariano Martinez, le peloton se reforme à nouveau. Mais rapidement un groupe de trente coureurs avec tous les favoris se retrouve aux avants postes. À 100 km de l’arrivée, seuls Gianbattista Baronchelli,Michel Pollentier,Johan van der Velde,Giovanni Battaglin,Wladimiro Panizza,Roberto Visentini etFaustino Rupérez accompagnent encore le futur champion du Monde[77]. À chaque montée de la côte de Domancy, Bernard Hinault fait le forcing et finit par écrémer ce groupe, pour ne plus se retrouver accompagné que de l'ItalienGianbattista Baronchelli et de l’ÉcossaisRobert Millar. Ce dernier craque à son tour alors que l'Italien s'accroche irrémédiablement à la roue du Français. Dans la dernière ascension de la côte de Domancy, Hinault multiplie les attaques et finit par distancer son adversaire qui s'écroule[l 45], alors que la foule amassée sur les abords accidentés de la terrible montée (plus de 100 000 spectateurs, dont beaucoup venus de l'Italie voisine avaient campé la veille sur place) est en liesse et scande« Hinault… Hinault… Hinault… ». En six kilomètres jusqu’à la ligne, le débours du coureur transalpin atteint une minute[77]. Bernard Hinault franchit ainsi la ligne d'arrivée en vainqueur et endosse lemaillot arc-en-ciel, Baronchelli et l'Espagnol Juan Fernández Martín l'accompagnent sur lepodium alors qu’un belarc-en-ciel se dessine dans leciel de Sallanches grâce à la rencontre entre une légèreaverse et lesoleil couchant. Après le maillot de champion du monde, lamédaille d'or et unegerbe de fleurs, le natif d'Yffiniac reçoit également untableau que l'artiste-peintre Fernand Payraud a spécialement réalisé pour le vainqueur. La scène se déroule sous l'œil d'une autre légende ducyclisme français etbreton invitée à la tribune d'honneur,Jean Robic avec son sourire et sa bonne humeur[78],[79].
Après l’arrivée, Bernard Hinault explique que pour se débarrasser de son dernier adversaire, il avait remarqué que Baronchelli se mettait sur son plus petitdéveloppement, systématiquement au même endroit à chaque tour de circuit. Lesdérailleurs et les changements de vitesse aucadre ne sont pas aussi perfectionnés qu’aujourd’hui et la manœuvre réclame alors quelques longs dixièmes de secondes, pendant lesquels le rendement n’est pas au mieux et la position endanseuse impossible. C’est exactement à ce moment crucial qu’Hinault choisit de produire son effort maximal pendant que Baronchelli reste cloué à la pente[77].
Porteur dumaillot arc-en-ciel de champion du monde, il entame la saison auTour méditerranéen où il remporte la première étape[l 47], puis termine l'épreuve à la quatrième place au classement général à plus de onze minutes du vainqueur, le SuisseStefan Mutter[81]. Il participe ensuite àTirreno-Adriatico où il est mis hors-délai lors de la quatrième étape, arrivant àNereto avec trente-trois minutes de retard[82]. Lors deMilan-San Remo, il abandonne après avoir perdu beaucoup de temps à la suite d'une chute impliquant plusieurs dizaines de coureurs. Mais auCritérium international, il domine outrageusement l'épreuve, remportant les trois étapes de la compétition. Tout d'abord la course en ligne entreCavalaire-sur-Mer etSaint-Tropez, puis la course de côtes entreSainte-Maxime etMons et enfin lecontre-la-montre individuel àDraguignan[h 12],[83]. Lors de l'Amstel Gold Race, après l'ascension duCauberg dernière côte du parcours, un peloton compact avec tous les favoris dont Hinault se présente vers la ligne d'arrivée àMeerssen. Ce dernier lance lesprint vers les500 mètres et s'impose en force devant les BelgesRoger De Vlaeminck etAlfons De Wolf, devenant aprèsJean Stablinski (1966), le deuxième et pour l'instant le dernier Français à remporter cette compétition[l 47],[84].
Hinault est au départ deParis-Roubaix alors qu'il n'apprécie pas du tout cette épreuve, déclarant :« Cette course est une hérésie ! ». Ses principaux adversaires sont le Belge Roger De Vlaeminck, quadruple vainqueur (1972,1974,1975 et1977), surnommé « Monsieur Paris-Roubaix » et l'ItalienFrancesco Moser, qui a remporté les trois dernières éditions (1978,1979 et1980). Durant la course, Hinault subit trois chutes dont une provoquée par un chien et deux crevaisons. Mais il se trouve dans le final parmi le groupe tête en compagnie de Roger De Vlaeminck, Francesco Moser, le NéerlandaisHennie Kuiper et les BelgesMarc Demeyer etGuido Van Calster. Malgré plusieurs offensives individuelles, les six coureurs restent groupés et font leur entrée dans levélodrome de Roubaix où Kuiper mène le train pour son leader d'équipe De Vlaeminck. Hinault se porte en tête du groupe aux400 mètres, puis lance le sprint de loin et personne ne parvient à le dépasser. Hinault remporte « l'enfer du Nord » devant De Vlaeminck et Moser[85], avec le maillot de champion du monde commeLouison Bobet (1956), qui le félicite à l'arrivée. En descendant du podium, il répond aux journalistes qui lui demandent ce qu'il pense de Paris-Roubaix maintenant :« J'ai pas changé d'avis : c'est une course à la con ! »[l 48].
Il participe ensuite auxclassiques ardennaises, termine dix-huitième deLiège-Bastogne-Liège, tandis que sa femme vient de mettre au monde leur deuxième fils, Alexandre[l 49]. Fin mai, il se montre intraitable auCritérium du Dauphiné libéré, remporte la cinquième étape àLyon, puis la sixième àChambéry où il prend le maillot de leader. Le lendemain dans l'étape de montagne menant àVillard-de-Lans, il franchit les cinq cols en tête et l'emporte à nouveau, créant des écarts importants sur ses adversaires[86]. Hinault et son équipe contrôlent la dernière étape entreValence etAvignon avec l'ascension duMont Ventoux. Le Breton domine au sprint un petit groupe de coureurs pour franchir la ligne d'arrivée en vainqueur. Il remporte l'épreuve avec plus de douze minutes d'avance surJoaquim Agostinho deuxième, Greg LeMond complétant le podium[87].
AuTour 1981, Hinault fait figure de seul favori pour la victoire finale[88]. Il s'impose dès leprologue inaugural de 5,9 kilomètres àNice et endosse lemaillot jaune[89]. Mais il le cède dès le lendemain au NéerlandaisGerrie Knetemann après le premiercontre-la-montre par équipes remporté par l'équipeTI-Raleigh-Creda[90]. La formation batave se montre à nouveau la plus rapide lors de la seconde épreuve chronométrique par équipes, consolidant le maillot jaune de Knetemann et permettant à son leaderJoop Zoetemelk d'avoir deux minutes d'avance sur Hinault[91]. Lors de la première étape de montagne de 117,5 kilomètres menant àSaint-Lary-Soulan, Hinault lance les hostilités dans lecol de Peyresourde puis termine troisième à l'arrivée au sommet duPla d'Adet derrière le BelgeLucien Van Impe et l'AustralienPhil Anderson. Ce dernier s'empare du maillot jaune, tandis que Zoetemelk,Joaquim Agostinho etJean-René Bernaudeau perdent beaucoup de temps[92]. Le lendemain, Hinault gagne àPau lecontre-la-montre individuel en côte et reprend la première place au classement général[93]. Le Français n'ayant qu'une petite marge d'avance sur Anderson, il se mêle durant les étapes suivantes à plusieurssprints intermédiaires pour rafler les bonifications[94], puis accroit son avance jusqu'à deux minutes et cinquante-huit secondes après sa victoire dans le contre-la-montre individuel àMulhouse[95]. Lors de la première alpestre entreThonon-les-Bains etMorzine, Hinault sans attaquer voit croître son avance sur Anderson à la suite de la défaillance de ce dernier dans les cols deJoux-Plane et de la Joux Verte[96]. Dans la dix-septième étape avec les ascensions des cols de laMadeleine, duGlandon et de l'Alpe d'Huez, Anderson s'effondre tandis qu'Hinault lutte de toutes ses forces pour rester dans les roues des grimpeursLucien Van Impe etRobert Alban dans la dernière difficulté. Il parvient à les battre au sprint à l'arrivée pour terminer deuxième derrière le NéerlandaisPeter Winnen[97]. Alors qu'Hinault possède plus de neuf minutes d'avance au classement général sur le deuxième Van Impe, il ne se contente pas de gérer la course mais effectue la montée finale versLe Pleynet-Les Sept Laux à une vitesse que personne ne peut suivre et s'impose à l'arrivée devant Bernaudeau[98]. Il conclut l'épreuve en gagnant le dernier contre-la-montre individuel àSaint-Priest dans leRhône[99], ce qui lui permet de remporter son troisième Tour de France, reléguant Van Impe à plus de quatorze minutes et Alban qui complète le podium, à plus de dix-sept minutes[100].
Alors que des doutes s'installent sur la santé d'Hinault après son abandon au bout de30 kilomètres auGrand Prix de Plouay à cause d'une douleur à un genou[101], il souhaite défendre son titre lors deschampionnats du monde sur un parcours accidenté àPrague enTchécoslovaquie[102]. À l'amorce du dix-septième des vingt-et-un tours du circuit, un groupe d'une trentaine de coureurs avec plusieurs Italiens parvient à s'échapper alors qu'Hinault est piégé dans un deuxième peloton qui perd beaucoup de temps. Le Français se lance alors dans une poursuite échevelée suivi de l'EspagnolIsmael Lejarreta qui ne passe aucun relai. Hinault parvient à revenir sur les hommes de tête à deux tours de la fin mais manque de fraîcheur lors de l'emballage final, terminant troisième au sprint derrière le BelgeFreddy Maertens nouveau champion du monde et l'ItalienGiuseppe Saronni[103]. Hinault est lauréat pour la troisième fois duSuper Prestige Pernod et pour la quatrième et dernière fois du titre de « champion des champions français » deL'Équipe.
Premier doublé Tour d'Italie-Tour de France (1982)
Hinault se présente avec un statut de favori au départ duGiro àMilan[108]. La première étape est uncontre-la-montre par équipes de16 kilomètres, remporté par l'équipe Renault-Elf-Gitane, permettant à Hinault de se parer dumaillot rose[109]. Ses équipiersPatrick Bonnet et Fignon vont ensuite porter le maillot de leader[110], avant qu'Hinault reprenne la tête du classement général à la suite de sa victoire lors du contre-la-montre individuel entrePérouse etAssisi[111]. L'ItalienFrancesco Moser gagne ausprint la septième étape àDiamante et dépossède le Français du maillot rose grâce aux bonifications[112]. Lors de la première étape de montagne dans la chaîne desApennins, Hinault aidé par Fignon imprime un rythme très élevé durant l'ascension longue de13 kilomètres versCampitello Matese(en), où il fait craquer un à un ses adversaires et franchit la ligne d'arrivée en vainqueur devant le seul coureur réussissant à le suivre, l'ItalienMario Beccia. Le Français retrouve à l'issue de cette étape la première place au général[113]. Le lendemain, une échappée comprenant trois coureurs de l'équipeBianchi-Piaggio, à savoirSilvano Contini,Gianbattista Baronchelli etTommy Prim, se forme dès le pied de la première ascension de l'étape, obligeant l'équipe Renault à rouler en tête du peloton pendant130 kilomètres. Contini s'impose àPescara et revient à trente-une secondes d'Hinault au classement général[l 51]. Lors de la dix-septième étape, Hinault est rapidement isolé de ses équipiers dans les pentes duPasso di Crocedomini(it) et subit les offensives des Italiens de la Bianchi-Piaggio, qui finissent par le décramponner. Contini remporte l'étape et s'empare du maillot rose[114]. Mais le Français ne s'avoue pas vaincu et dans l'étape suivante il fait rouler son équipe jusqu'au pied de l'ascension finale où il attaque et part seul s'imposer au Monte Campione pour reprendre le maillot de leader à Contini[115]. Bernard Hinault gagne la dernière étape, un contre-la-montre individuel de 42,5 kilomètres àTurin et remporte son deuxième Tour d'Italie devant le Suédois Tommy Prim et l'Italien Silvano Contini[116].
Après sa victoire auTour d'Italie, Hinault entame sa préparation pour leTour 1982 en participant auTour de l'Aude qu'il termine à la troisième place, puis remporte leTour de Luxembourg. Lors desChampionnats de France organisés àBailleul, Hinault abandonne alors qu'un groupe de dix-huit coureurs se dispute la victoire,Régis Clère se pare du maillot tricolore[117]. Lorsque leTour 1982 démarre deBâle enSuisse, l'ambiance au sein de l'équipeRenault-Elf-Gitane est tendue,« détestable » pour Bernard Hinault. Celui-ci souhaite faire valoir ses points de vue dans la direction de l'équipe et s'oppose notamment au souhait deCyrille Guimard de rajeunir l'équipe en se séparant de plusieurs anciens coureurs[h 14]. Mais Hinault assume pleinement son statut de favori, déclarant à la presse :« Je m'accorde 99 % de chances de remporter un quatrième Tour de France »[118],[119]. Le Français remporte leprologue inaugural à Bâle devant le NéerlandaisGerrie Knetemann et l'Allemand de l'OuestGregor Braun[120]. Il cède lemaillot jaune au BelgeLudo Peeters dès le lendemain, puis c'est l'AustralienPhil Anderson qui prend la tête du classement général après sa victoire àNancy[121]. Le premiercontre-la-montre par équipes entreOrchies etFontaine-au-Pire est annulé à cause du blocage de la route par les ouvriers d'Usinor deDenain qui luttent contre un plan de licenciement[l 52].Dans le second contre-la-montre par équipes entreLorient etPlumelec, l'équipe Renault-Elf-Gitane d'Hinault termine deuxième derrière l'intouchable équipe néerlandaiseTI-Raleigh-Campagnolo. Et même si l'équipePeugeot-Shell-Michelin d'Anderson ne termine qu'à la cinquième place, ce dernier conserve le maillot jaune[122]. Lors ducontre-la-montre individuel de 57,3 kilomètres àValence-d'Agen, Knetemann s'impose devant Hinault pour dix-huit secondes, mais le Français reprend la tête du classement général[123]. Lors de la première étape dans lesPyrénées menant auPla d'Adet, Hinault laisse le grimpeur suisseBeat Breu filer vers la victoire, tandis qu'il lâche ses adversaires directs pour la victoire finale, mis à part l'expérimenté et vainqueur duTour 1980,Joop Zoetemelk (35 ans)[124]. Grâce à sa victoire lors du contre-la-montre individuel de 32,5 kilomètres àMartigues, Hinault possède plus de cinq minutes d'avance sur Anderson et Zoetemelk[125]. Dans la première étape alpestre, il se contente de monter l'ascension finale versOrcières Merlette à un rythme élevé pour contrôler Zoetemelk et réussit même à faire craquer Anderson[126]. Il applique la même tactique à l'Alpe d'Huez, où Breu remporte sa deuxième étape[127]. Hinault n'est pas inquiété dans la dernière étape de montagne arrivant àMorzine, où le NéerlandaisPeter Winnen s'impose[128]. Dans son exercice préféré, le contre-la-montre, Hinault parachève son succès en l'emportant àSaint-Priest[129]. Lors de la dernière étape arrivant sur lesChamps-Élysées, l'insatiable Hinault, bien lancé par sonéquipierCharly Bérard, gicle dans le dernier virage, surprend les sprinteurs qui ne parviennent pas à le remonter et l'emporte[s 12]. C'est la quatrième victoire du Français sur la « Grande Boucle », devançant les Néerlandais Joop Zoetemelk (sixième fois deuxième) etJohan van der Velde. Il réalise donc ce qu'il avait manqué en1980, le doublé Tour d'Italie-Tour de France, comme avant lui,Fausto Coppi (1949,1952),Jacques Anquetil (1964) etEddy Merckx (1970,1972)[130].
Début1983, l'ambiance est tendue au sein de l'équipeRenault-Elf. Hinault constate une séparation entre « jeunes » et « anciens ». Il se trouve également insuffisamment impliqué dans la conduite de l'équipe et apprécie de moins en moins la direction deCyrille Guimard[h 16]. Il commence la saison à l'Étoile de Bessèges qu'il abandonne, malade. Il se présente ensuite auTour de Sardaigne, qu'il ne termine pas non plus. En mars, il se classe vingt-cinquième deTirreno-Adriatico, remporté parRoberto Visentini. Quelques jours plus tard, il abandonneMilan-San Remo, remporté parGiuseppe Saronni[133]. En avril, il part auxÉtats-Unis donner le départ duTour of America, auquel il ne peut pas participer car il doit se rendre en France surParis-Roubaix, du fait de son statut de coureur de première catégorie[134],[135]. À cause des nombreuses averses de pluie les jours précédant la course, les secteurs pavés de « l'enfer du Nord » sont couverts de boue et Hinault quitte l'épreuve tout comme le favori, le NéerlandaisJan Raas, alors que son compatrioteHennie Kuiper s'impose en solitaire auvélodrome de Roubaix[136]. Dans la semaine qui suit, Hinault gagne leGrand Prix Pino Cerami et laFlèche wallonne, déclarant à la presse :« Ça remet les choses en place », faisant allusion aux critiques sur son début de saison mitigé[137],[h 16].
Au début de laVuelta 1983,Dominique Gaigne,équipier d'Hinault, s'impose sur leprologue àAlmussafes, grâce à un vent favorable lors de son passage au contraire des favoris. Hinault termine quinzième alors que son principal rival pour la victoire finale Giuseppe Saronni chute dès le premier virage et concède de précieuses secondes à l'arrivée[138]. Le lendemain, ce dernier concède une minute supplémentaire àCuenca[139]. Hinault prend la tête du classement général à l'issue de sa deuxième place au sommet deCastellar de Nuch derrière l'EspagnolAlberto Fernández Blanco[139]. Mais dès l'étape suivante,Marino Lejarreta s'empare du maillotamarillo de leader entrePobla de Lillet etViella, puis Hinault réalise une piètre performance dans lecontre-la-montre individuel en côte menant àPanticosa et perd deux minutes et treize secondes sur l'Espagnol[140]. L'équipe Renault-Elf décide alors de secouer le peloton tous les jours[l 53], Hinault aidé de ses équipiersMaurice Le Guilloux etLucien Didier profitent du vent dans la dixième étape pour créer une échappée et piéger Lejarreta qui perd le maillotamarillo au profit deJulián Gorospe[141]. Lors du deuxième secteur de la quinzième étape, un contre-la-montre individuel de22 kilomètres àValladolid, Hinault l'emporte devant Gorospe et se rapproche de la tête du classement général[142]. Deux jours plus tard, lors de la dix-septième étape entreSalamanque etÁvila,Laurent Fignon qui termine fort l'épreuve, mène un train d'enfer pour Hinault pendant plusieurs kilomètres sur les rampes du col de Serranillos, mettant en difficulté les Espagnols Lejarreta et Gorospe. Hinault passe ensuite à l'offensive, franchit seul et en vainqueur la ligne d'arrivée et reprend le maillotamarillo[l 53]. Il ne quitte plus la tête du classement général et remporte son deuxième Tour d'Espagne devant Lejarreta à une minute et douze secondes et Fernández Blanco à trois minutes et cinquante-huit secondes[143]. Cette nouvelle victoire est la huitième de sa carrière sur ungrand tour, mais qui selon lui a été la plus difficile à conquérir[h 17].
Forfait au Tour du France et départ de chez Renault
Une tendinite au genou droit de Bernard Hinault s'est déclarée durant les derniers jours de laVuelta. En reprise auGrand Prix de Plumelec, la douleur se réveille et il abandonne au bout de90 kilomètres, alors queLaurent Fignon l'emporte. Il renonce ensuite à participer auCritérium du Dauphiné libéré, pour revenir à la compétition auTour du Luxembourg, mais il ne peut terminer l'épreuve[l 54]. Après avoir annulé sa participation auTour de Suisse[144], il se résout à déclarer forfait pour leTour 1983[145]. Concernant l'origine de sa blessure Hinault déclare à la presse :« Je persiste à penser que ma tendinite est née au Tour d'Espagne, parce qu'à mon insu ma selle avait été baissée d'un bon centimètre »[146]. En son absence, Laurent Fignon seulement âgé de22 ans est désigné leader de l'équipeRenault-Elf pour le Tour de France. Il montre des capacités étonnantes malgré sa jeunesse et remporte l'épreuve pour sa première participation, comme Hinault en1978[147], qui est présent sur lesChamps-Élysées pour le féliciter. Il reprend le vélo auCritérium de Callac fin juillet mais la douleur persiste toujours et abandonne au neuvième tour. Après cinq séances de rayons pour se soigner qui s'avèrent vaines, Hinault se fait opérer àLannion en août, la gaine du tendon avait explosé. Il reprend le vélo trois semaines plus tard, renoue avec la compétition en novembre en participant à des courses de cyclo-cross durant trois jours et il constate que la douleur au genou a disparu[l 55]. À la fin de la saison, Hinault décide de se rendre à la régieRenault et impose un choix entreCyrille Guimard et lui pour l'année suivante. En effet, ils ne se parlent plus et le coureur se plaint de l'autoritarisme de son directeur sportif. Renault préfère poursuivre sa collaboration avec Guimard, Hinault décide donc de quitter l'équipe alors qu'il lui reste deux années de contrat[l 55],[148].
Bernard Hinault rencontre l'homme d'affairesBernard Tapie par l'intermédiaire deJean de Gribaldy, dirigeant d'équipes cyclistes de 1964 à 1986. Hinault présente son projet de « bâtir une équipe professionnelle selon [ses] idées » à Tapie. Ce dernier est intéressé et s'engage à ses côtés pour un budget de dix millions de francs avec plusieurs entreprises qu'il contrôle dontLa Vie claire, qui devient le nom de l'équipe, mais aussiLook, marque de ski qui se met à fabriquer des pédales. Philippe Crepel, dirigeant de l'équipe La Redoute de 1979 à 1983, devient manager de l'équipeLa Vie claire-Teraillon et le SuissePaul Köchli, préparateur physique alors réputé pour ses méthodes modernes, son entraîneur. Il n'y a pas de directeur sportif, car Tapie n'en veut pas[h 18],[149]. Parmi les dix-sept coéquipiers accompagnant Hinault, trois viennent de l'équipeRenault :Charly Bérard,Maurice Le Guilloux etAlain Vigneron. Hinault participe également avec Look à la création d'une nouvelle pédale avec fixation, afin de remplacer les cale-pieds[l 56]. Le maillot de l'équipe est créé par l'agence Mic-Mac, il est composé de rectangles jaunes, rouges, blancs, gris et noirs, s'inspirant de la toile « Composition » du peintre abstrait,Piet Mondrian[l 57].
En ce début de saison1984, Hinault participe auHet Volk qu'il abandonne comme de nombreux autres coureurs à cause du mauvais temps[150]. Il se présente ensuite surParis-Nice et prend une quatrième place encourageante lors duprologue àIssy-les-Moulineaux, terminant à sept secondes du vainqueur, le NéerlandaisBert Oosterbosch[151]. Cependant lors ducontre-la-montre par équipes, l'équipe La Vie claire effectue une prestation décevante et concède presque deux minutes à l'équipePanasonic[152]. Le premier secteur de la quatrième étape est couru sur une courte distance de64 kilomètres avec l'arrivée au sommet duMont Ventoux. Hinault effectue la montée du « Mont chauve » à un rythme élevé, mais ne parvient pas à distancer ses adversaires,Éric Caritoux réussissant à s'imposer devantRobert Millar[l 58]. Le lendemain entreMiramas etLa Seyne-sur-Mer, Hinault et Kelly s'échappent dans un groupe de quatorze coureurs et mettent en danger le maillot de leader de Millar. Au moment d'attaquer le col de l'Ange, des mineurs deGardanne et des ouvriers duchantier naval de La Ciotat effectuent une manifestation en bloquant la course. Hinault qui tente de forcer le passage, chute puis en vient aux mains avec l'un des grévistes. La course reprend par la suite mais le Français souffre d'une fêlure d'une côte à la suite de cette bousculade[153]. Il termine ensuite deuxième derrière l'IrlandaisStephen Roche dans l'étape montagneuse arrivant àMandelieu-la-Napoule[154]. Il prend enfin la quatrième place lors du contre-la-montre final aucol d'Èze et monte sur la dernière marche du podium au classement général, derrière les IrlandaisKelly et Roche[155]. Hinault est ensuite surclassé lors duCritérium international par Kelly qui remporte les trois étapes de l'épreuve[156]. Le Français fait l'impasse duTour des Flandres et deParis-Roubaix[l 59]. Il termine dix-neuvième de laFlèche wallonne remporté par le DanoisKim Andersen[157]. ÀLiège-Bastogne-Liège, après s'être fait lâcher par les meilleurs dans lacôte de la Redoute, Hinault franchit la ligne d'arrivée dix-neuvième, loin du vainqueur, l'insatiable Sean Kelly[158]. En mai, après une encourageante quatrième place lors duChampionnat de Zurich remporté par l'AustralienPhil Anderson, Hinault se présente auxQuatre Jours de Dunkerque. Après une place d'honneur dans le prologue, Hinault multiplie les offensives dans la deuxième étape comportant plusieurs secteurs pavés, termine deuxième à l'arrivée et s'empare du maillot de leader jusque-là détenu par le BelgeEric Vanderaerden. Il conserve la tête jusqu'à l'arrivée finale située aumont Cassel. Il signe sa première victoire depuis sa blessure l'année précédente et se trouve ému par les chaleureux applaudissements du public nordiste à son encontre[l 60].
LeCritérium du Dauphiné libéré est le dernier grand test d'Hinault avant de se présenter sur leTour de France. Il doit affronter de sérieux clients pour la victoire finale avec,Greg LeMond,Pascal Simon, Robert Millar, Stephen Roche et Phil Anderson[159]. Lors de la première étape de montagne, le Breton ne peut suivre le rythme dans le col de Salève et accuse un retard d'une minute et trente-six secondes sur le vainqueur, le ColombienFrancisco Rodríguez[l 61].Le lendemain, il a de meilleures sensations dans lemont Revard et termine à la troisième place àChambéry[160]. Puis dans l'étape de montagne reine de l'épreuve comprenant les ascensions des cols duGranier, duCucheron, duCoq, dePorte et de laCharmette, Hinault se lance dès la première difficulté dans un raid de158 kilomètres, seulement accompagné de Rodriguez. Ce dernier ne collabore pas avec le Français et attaque près du col de la Charmette pour filer vers la victoire àFontanil-Cornillon. Hinault prend la deuxième place mais est très satisfait de sa performance, car il a creusé des écarts considérables sur LeMond, Simon et Roche. Le lendemain, la pluie et le froid s'invite sur la course. Hinault s'échappe à nouveau et fait complètement craquer Rodriguez, qui abandonne car il ne supporte pas ces conditions climatiques difficiles. Hinault ne se relève pas pour autant et continue sa chevauchée. Mais il est privé de force dans lecol de Rousset et voit revenir sous la neige plusieurs coureurs qui le déposent, le maillot de leader arrivant sur les épaules d'un autre ColombienMartín Ramírez[l 62]. Ce dernier résiste au Français lors du contre-la-montre arrivant àVals-les-Bains, il devient le premier vainqueur colombien de cette épreuve, alors qu'Hinault termine deuxième à vingt-sept secondes et remporte le classement de la montagne[161],[h 19].
Hinault endosse lemaillot jaune dès le premier jour en remportant leprologue entreMontreuil etNoisy-le-Sec[164]. Mais l'équipe de Fignon est redoutable, accaparant les victoires d'étapes, dont lecontre-la-montre par équipes entreLouvroil etValenciennes. L'équipeLa Vie claire-Terraillon d'Hinault termine à la septième place, à cinquante-cinq secondes des vainqueurs[165]. Fignon se montre ensuite le plus rapide sur lecontre-la-montre individuel de67 kilomètres entreAlençon etLe Mans, devançant Hinault de quarante-neuf secondes[166]. Lors de la première étape de montagne dans lesPyrénées, Hinault ne peut suivre l'attaque cinglante de son ancien équipier à quelques kilomètres de l'arrivée àGuzet-Neige et perd cinquante-deux secondes supplémentaires[167]. Fignon accentue inexorablement son avance sur Hinault, après une nouvelle victoire àLa Ruchère, dans un contre-la-montre individuel avec une dernière partie en côte[168]. Dans la première étape alpestre disputée entreGrenoble et l'Alpe d'Huez, Hinault fait éclater le peloton très rapidement en attaquant dans lecol du Coq. Il recommence dans larampe de Laffrey, puis part seul entamer la montée vers l'Alpe d'Huez. Mais Fignon se montre intraitable, le reprend et le dépose immédiatement. Au sommet de la station aux vingt-et-un virages, le ColombienLuis Herrera s'impose devant Fignon qui s'empare du maillot jaune jusque-là sur les épaules de son équipier Vincent Barteau[169]. Le lendemain, Hinault semble dans un mauvais jour et se trouve distancé par deux fois, d'abord dans lecol du Galibier puis dans celui de laMadeleine. Cependant, il revient sur le groupe des favoris en effectuant des descentes vertigineuses. Même s'il tente une attaque avant le dernier col, il ne peut rien face à la facilité insolente de Fignon, qui s'impose en jaune àLa Plagne[170]. Hinault doit encore s'incliner face à Fignon, qui remporte la vingtième étape au sommet deCrans-Montana enSuisse[171]. Lors du dernier contre-la-montre individuel entreVillié-Morgon etVillefranche-en-Beaujolais, Hinault prend la troisième place à trente-six secondes du maillot jaune[l 63]. Fignon gagne ainsi son deuxième Tour de France. Hinault termine deuxième à plus de dix minutes. Mais par son panache, son courage et sa volonté durant la course, il voit grandir sa popularité auprès du public français[172].
Pour l'année1985, Hinault se fixe pour objectifs leTour d'Italie et leTour de France. Pour cela, l'équipeLa Vie Claire-Radar se renforce considérablement avec les arrivées de l'AméricainGreg LeMond en provenance de chezRenault-Elf, du DanoisKim Andersen. Mais elle reçoit aussi l'apport de néo-pros talentueux avecJean-François Bernard et le CanadienSteve Bauer[179]. En début de saison où le froid règne, Hinault n'est pas en forme. Dans leHet Volk, il est décramponné dans l'ascension d'une côte à cause d'une chute collective et termine loin du vainqueur,Eddy Planckaert[180]. Lors deTirreno-Adriatico, il abandonne lors de la troisième étape à cause d'une angine, alors que le vétéran néerlandaisJoop Zoetemelk (38 ans) remporte l'épreuve pour la première fois de sa carrière. Hinault, convalescent, doit également renoncer à participer àMilan-San Remo[181], puis met à nouveau pied à terre surGand-Wevelgem[182]. Lors desclassiques ardennaises, il se classe vingt-troisième de laFlèche wallonne et dix-huitième deLiège-Bastogne-Liège[h 21]. AuTour de Romandie, Hinault monte en puissance, se montre à son avantage en étant offensif dans les cols duJura, terminant deuxième de la troisième étape derrière le PortugaisAcácio da Silva[183]. Lors de la dernière étape, uncontre-la-montre individuel de 23,8 kilomètres àNyon, il se classe à nouveau deuxième à douze secondes du SuédoisTommy Prim et conclut l'épreuve à la seizième place à plus de onze minutes du surprenant vainqueur, le SuisseJörg Müller[184].
Sur leGiro, Hinault est accompagné de Greg LeMond et toute la formation La Vie claire-Radar est équipée pour la première fois de pédales automatiques de la marqueLook[l 65]. Lors duprologue àVérone, le Breton termine sixième à quinze secondes de l'ItalienFrancesco Moser[185]. Durant la première étape dans le massif desDolomites, Hinault attaque dans la montée versSelva di Val Gardena, seulement suivi par les ItaliensGianbattista Baronchelli etRoberto Visentini, de l'EspagnolMarino Lejarreta et du SuisseHubert Seiz alors queGiuseppe Saronni, Francesco Moser et Greg LeMond sont lâchés. À l'arrivée Seiz s'impose ausprint devant Hinault, Visentini se pare dumaillot rose avec quarante-huit secondes d'avance sur le Français[186].
Revenu à vingt-huit secondes de Visentini à la suite de la chute de ce dernier à quelques kilomètres de l'arrivée àCervia[187], Hinault frappe un grand coup en remportant le contre-la-montre individuel de38 kilomètres entreCapoue etMaddaloni, reléguant Moser à presque une minute et s'emparant du maillot rose[188]. Avec l'aide de LeMond, il contrôle ses adversaires dans l'étape de montagne entreFrosinone etGran Sasso, remporté par l'ItalienFranco Chioccioli[189]. Puis Hinault distance définitivement Visentini dans la dix-septième étape, n'ayant plus alors comme principal rival pour la victoire finale que Francesco Moser[190]. Ce dernier remporte la dix-neuvième étape àSaint-Vincent au sprint, empochant vingt secondes de bonifications[191], puis se montre le plus rapide dans contre-la-montre individuel de48 kilomètres àLucques. Cependant, il ne parvient pas à revenir sur Hinault qui s'impose au classement général final. Moser termine à une minute et huit secondes et LeMond complète le podium, à de deux-minutes et cinquante-cinq secondes. Le Français signe sa troisième victoire en trois participations sur cette épreuve. Il rejoint au palmarès,Giovanni Brunero (1921,1922,1926),Gino Bartali (1936,1937,1946),Fiorenzo Magni (1948,1951,1955) etFelice Gimondi (1967,1969,1976)[192].
Hinault frappe d'entrée en remportant leprologue de 6,8 kilomètres àPlumelec et endossant lemaillot jaune[195]. Il l'abandonne dès le lendemain au profit du BelgeEric Vanderaerden. Mais à la suite de la victoire de La Vie Claire-Radar lors ducontre-la-montre par équipes àFougères[196], puis des nombreux gains en bonifications du DanoisKim Andersen l'étape suivante, ce dernier s'empare de la tête du classement général[197]. Lors du contre-la-montre individuel de75 kilomètres entreSarrebourg etStrasbourg, sur un parcours vallonné et couru par un fort vent, une chaussée rendue glissante par la pluie et du brouillard, Hinault fait une démonstration et l'emporte avec plus de deux minutes d'avance sur ses principaux rivaux. Il récupère le maillot de leader et possède plus de deux minutes d'avance sur le deuxième, Greg LeMond[198]. Il contrôle la course avec l'aide de ses équipiers dans lemassif du Jura[199]. Puis, dans la première étape alpestre entrePontarlier etMorzine-Avoriaz, Hinault imprime un rythme terrible dans lePas de Morgins, décrochant de sa roue tous ses adversaires mis à part le grimpeur colombienLuis Herrera. L'entente entre les deux coureurs leur permet de creuser un écart important sur leurs poursuivants, franchissant lecol du Corbier avec plus de deux minutes d'avance. Herrera remporte l'étape et Hinault qui termine deuxième, accroît son avance au classement général[200]. Même si le Français est ensuite battu par Vanderaerden lors du contre-la-montre individuel àVillard-de-Lans à cause d'un vent capricieux, il prend encore du temps à Delgado, Roche et LeMond[201]. ÀSaint-Étienne, il franchit la ligne d'arrivée le visage en sang à la suite d'une chute collective dans l'emballage final[202]. Les examens médicaux révèlent une fracture du nez, mais Hinault ne veut pas abandonner[l 66]. Dans lesPyrénées, il souffre de ses blessures, éprouvant des difficultés à respirer. Après une ascension calme ducol d'Aspin, Delgado attaque dans leTourmalet. Roche en fait de même, suivi de LeMond, qui a pour instructions du directeur sportif de la Vie Claire-Radar,Paul Köchli, de ne pas relayer l'Irlandais, afin de protéger son leader. Dans la montée versLuz-Ardiden, Hinault, en difficulté, profite de l'énorme travail de son équipier suisseNiki Rüttimann afin de sauver son maillot jaune, même s'il concède plus de quatre minutes à Delgado, qui remporte l'étape devant Herrera[203]. À l'arrivée LeMond, en colère, se plaint auprès de la presse :« Köchli m'a dit de ne pas rouler, de ne pas relayer Roche. Je perds le Tour à cause de lui. ». Hinault lui promet de l'aider à gagner l'année suivante s'il continue de jouer son rôle de coéquipier[l 67]. Le lendemain, Hinault ne peut suivre l'attaque de Roche qui s'échappe dans le col d'Aspin. Mais toujours bien entouré, il parvient à limiter les dégâts à l'arrivée aucol d'Aubisque, ne perdant qu'un peu plus d'une minute sur l'Irlandais et conservant une bonne marge d'avance au classement général[204]. Le dernier contre-la-montre individuel de 47,5 kilomètres auLac de Vassivière est dominé par LeMond devant Hinault pour cinq secondes. Ce dernier remporte son cinquième Tour de France, égalant le record deJacques Anquetil etEddy Merckx. Greg LeMond termine deuxième à une minute et quarante-deux secondes et Stephen Roche est troisième à quatre minutes et vingt-neuf secondes[205].
En août, Bernard Hinault dispute auxÉtats-Unis laCoors Classic, remporte deux étapes alors que LeMond s'impose au classement général final[s 13],[206]. Auxchampionnats du monde àGiavera del Montello enItalie, Hinault, en mauvaise forme, abandonne, alors que le Néerlandais Joop Zoetemelk devient champion du monde et se pare dumaillot arc-en-ciel à39 ans[207]. En fin de saison, le Breton est en lice pour un sixième succès auGrand Prix des Nations. Mais, celui-ci étant disputé sous une chaleur caniculaire, il abandonne à mi-parcours, alors que le jeuneCharly Mottet crée la surprise en s'imposant àCannes, avec un temps s'approchant à treize secondes du record d'Hinault, établi l'année précédente[208].
Au départ duTour 1986 àBoulogne-Billancourt, Hinault, qui a donné sa parole àGreg LeMond de l'aider à remporter l'épreuve, a tout de même le désir secret de battre le record de victoires sur la « Grand Boucle », en s'imposant une sixième fois[215]. Ses principaux adversaires sont le françaisLaurent Fignon, vainqueur des éditions1983 et1984, l'EspagnolPedro Delgado, le SuisseUrs Zimmermann et le BelgeClaude Criquielion[216]. Hinault entame l'épreuve en prenant la troisième place du prologue à deux secondes du vainqueur,Thierry Marie[217]. Le lendemain, l'équipeSystème U de Fignon et Marie remporte lecontre-la-montre par équipes de56 kilomètres entreMeudon etSaint-Quentin-en-Yvelines, alors que l'équipe La Vie claire-Wonder-Radar d'Hinault déçoit en ne se classant qu'à la cinquième place à une minute et cinquante-cinq secondes[l 68]. Dans la sixième étape se déroulant enNormandie, Hinault sème la zizanie en se glissant dans une échappée de dix coureurs. Cela oblige l'équipe Système U à rouler en tête du peloton pendant70 kilomètres afin de revenir sur les fuyards, ce qui a pour conséquence de provoquer plusieurs bordures à cause du vent[218]. Fignon applique la même tactique entreCherbourg etSaint-Hilaire-du-Harcouët, reprenant dix-huit secondes sur Hinault grâce aux bonifications. Une guerre psychologique s'installe alors entre les deux hommes[219]. Lors du contre-la-montre individuel de 61,5 kilomètres àNantes, Hinault frappe un grand coup en s'imposant devant son coéquipier LeMond, alors que Fignon n'est pas dans le coup[l 69]. La douzième étape entreBayonne etPau marque l'entrée des coureurs dans lesPyrénées avec les ascensions des cols duPays basque. Hinault dynamite la course en s'échappant dans la plaine entre lecol de Burdincurutcheta et celui d'Ichère. Il est accompagné de son équipierJean-François Bernard et des Espagnols Pedro Delgado etEduardo Chozas. Après un énorme travail de Bernard, Hinault et Delgado s'isolent pour escalader lecol de Marie-Blanque, puis se relaient parfaitement durant30 kilomètres afin de rallier l'arrivée, où l'Espagnol s'impose alors que le Français s'empare dumaillot jaune, reléguant LeMond à plus de cinq minutes au classement général[220]. Tandis que Fignon, fiévreux, ne prend pas le départ le lendemain, Hinault ne veut pas gérer son avance et passe à l'offensive dans la descente ducol du Tourmalet. Il franchit en solitaire les cols d'Aspin et dePeyresourde, mais il est ensuite repris par un groupe de coureurs comprenant ses équipiers LeMond et Hampsten, mais où sont aussi présents, Zimmermann,Robert Millar etLuis Herrera. Dans la montée finale longue de13 kilomètres versSuperbagnères, Hinault ne peut suivre le rythme et se trouve rapidement lâché. Même s'il reçoit le renfort d'un autre équipierNiki Rüttimann, il perd à l'arrivée quatre minutes et trente-neuf secondes sur LeMond qui l'emporte, mais conserve tout de même son maillot jaune[221]. Lors de la seizième étape de entreNîmes etGap, Hinault se glisse à nouveau dans une échappée, ce qui rend selon lui, LeMond« vert de rage ».Bernard Tapie annonce à la télévision que l'harmonie règne entre les coureurs et que lesAlpes vont décider du vainqueur[h 23].
Dans la première étape alpestre qui mène àSerre-Chevalier, Hinault souffre du genou et se trouve en difficulté dans lecol de Vars, puis passe avec plus d'une minute de retard sur le groupe des favoris à l'Izoard. LeMond profite du travail de Zimmermann dans lecol du Granon pour s'emparer du maillot jaune à l'arrivée, Hinault pointe à la troisième place à deux minutes et quarante-sept secondes[222]. Le lendemain, la douleur a disparu et Hinault part seul dans la descente ducol du Galibier. Il est rejoint un peu plus tard par LeMond et ensemble ils franchissent lecol de la Croix-de-Fer, puis effectuent la montée de l'Alpe d'Huez, où ils passent la ligne d'arrivée main dans la main, Hinault remportant l'étape. Zimmermann, dernier adversaire dangereux au classement général pour les coureurs de La Vie claire, arrive avec plus de cinq minutes de retard[223]. Hinault, qui présente un retard de presque trois minutes sur LeMond, lui lance un dernier défi lors du contre-la-montre individuel de58 kilomètres se déroulant àSaint-Étienne, indiquant à la presse :« Nous verrons qui est le plus fort »[224]. Le Français s'impose mais avec seulement vingt-six secondes d'avance sur Greg LeMond, qui est victime d'une chute sur le parcours[225]. ÀParis, ce dernier devient le premier Américain à remporter le Tour de France. Bernard Hinault achève sa dernière « Grand Boucle » à la deuxième place à trois minutes et dix secondes du vainqueur. Le Breton monte sur le podium avec le maillot à pois, grâce à sa victoire auclassement de la montagne. Lors de cette édition, l'équipe La Vie claire remporte aussi six étapes, leclassement par équipes au temps, leclassement du combiné avec LeMond, leclassement du meilleur jeune avecAndy Hampsten, ce dernier se classant quatrième au classement général final etNiki Rüttimann septième[226],[h 23].
Hinault se rend auxÉtats-Unis et devient le premier coureur européen à remporter laCoors Classic[s 13]. Cette course lui sert de préparation pour le dernier objectif de sa carrière, leschampionnats du monde qui se déroulent dans leColorado, sur un parcours usant, favorable aux qualités du Français[227]. Cependant, il ne se classe que cinquante-neuvième, piégé comme beaucoup d'autres coureurs par l'attaque lointaine du vainqueur, l'ItalienMoreno Argentin[228]. Hinault remporte sa dernière course àAngers, terminant légèrement détaché devantRonan Pensec etPierre Le Bigaut[s 16]. Le dimanche, Bernard Hinault prend sa retraite sportive lors d'un cyclo-cross organisé àQuessoy, près d'Yffiniac. Accompagné de trente-deux coureurs et devant 20 000 spectateurs venus l'acclamer, il raccroche son vélo au clou à l'issue de la course[s 17].
« Je montais sur mon vélo pour gagner. Tant que la ligne d’arrivée n’est pas franchie, la course n’est ni gagnée, ni perdue. Le plaisir de dominer les autres me prodiguait une jouissance mentale, me permettait de serrer les dents sous la douleur. »
— Bernard Hinault
Bernard Hinault attribue ses performances à ses aptitudes physiques, à son goût de la compétition et à son « moral de tueur » qui lui faisait oublier la douleur. Mais il précise que sans une bonne équipe, il n'aurait pas remporté toutes ses victoires. C'est pour cela qu'il considère qu'il faut partager la manne financière gagnée avec leséquipiers et l'encadrement technique. Il partageait sa chambre d'hôtel lors des compétitions avec des équipiers différents, afin que tout le monde se sente bien et participe à la performance de l'équipe[230].
Hinault apprécie son surnom « le Blaireau » donné par ses équipiersMaurice Le Guilloux etGeorges Talbourdet alors qu'il est néo-pro :« Ça ne me dérange pas du tout. Quand on connaît l'animal, quand on le chasse. J'ai eu les mêmes réactions. Quand on m'emmerde, je rentre dans mon trou. Mais quand je sors, je mords[2]. » Perfectionniste, il va travailler son aérodynamisme à l'Institut aérotechnique deSaint-Cyr-l'École, afin d'améliorer sa position sur le vélo et d'augmenter sa puissance de pédalage[s 18]. Il participe également à l'élaboration d'une pédale automatique avec la sociétéLook[s 19].
Bernard Hinault est connu par son anticonformisme et « ses coups de sang ». En1977, à la grande colère deCyrille Guimard, il se fait remarquer en ne participant pas auTour des Flandres alors qu'il est inscrit au départ de cette course[l 21]. Dans leTour 1978, il met pied à terre avec les autres coureurs à l'arrivée d'une étape àValence-d'Agen pour protester contre les horaires de course et le manque de récupération[l 30] En1981, malgré sa victoire àParis-Roubaix, il déclare sur cette course« J'ai pas changé d'avis : c'est une course à la con ! »[l 48]. En1984, lors deParis-Nice, alors qu'il fait partie d'un groupe d'échappés, il est stoppé net par des grévistes. Bousculé violemment, il se fait justice lui-même en tapant du poing l'un des manifestants[l 70]. Concernant sa popularité, il déclare :« Je cours parce que j'ai envie de gagner, pas pour être populaire »[s 20].
Bernard Hinault étant le dernier vainqueur Français du Tour de France (1985) ainsi que l’un des plus emblématiques sportifs tricolores, il est interrogé tous les ans à l’approche de la Grande Boucle sur son éventuel successeur. Son constat est cependant sans appel : il n’y a aucun coureur Français capable de gagner le Tour de France car aucun n’est assez fort à la fois en montagne et en contre-la-montre. Il compare les coureurs Français à des750 cm3 et les favoris des Grands Tours à des1 000 cm3. Bien que ces dernières années,Jean-Christophe Péraud,Thibaut Pinot,Romain Bardet etJulian Alaphilippe s’en sont rapprochés, Hinault n’a jamais pensé un seul moment que ses cadets puissent l’emporter, tout simplement parce qu’il y avait des adversaires « plus forts qu’eux ». Pour « le Blaireau », le plus proche de la victoire finale a été Romain Bardet en2016 lorsqu’il remporte la19e étape et atteint la2e place du général en attaquant dans la descente deDomancy. Le maillot jauneChristopher Froome perd du temps à la suite d'une chute dans la même descente et s’il avait été contraint à l’abandon, le maillot jaune serait revenu à Bardet[231].
Quant à Julian Alaphilippe, il ne doit sa5e place en2019 qu’à la neutralisation de la19e étape due à une coulée de boue, autrement il« aurait fini à15 minutes ce jour-là ». Hinault regrette alors qu’Alaphilippe ait des lacunes en haute-montagne car il a la mentalité de « guerrier » nécessaire pour gagner. Au sujet de Thibaut Pinot, Bernard Hinault estime « qu’il n’est pas fait pour le Tour » car il est en difficulté si les compétitions sont trop longues mais qu’il reste un « très bon coureur » capable « d’aller chercher des étapes » et des classiques grâce à son punch. Hinault pense la même chose pourDavid Gaudu etGuillaume Martin, à savoir qu’ils devraient complètement se désintéresser du classement général, perdre « 20 minutes sur les étapes de plaine » pour ne pas être dangereux pour les favoris comme le faisaitRichard Virenque et aller « chercher des étapes » qui marquent le public[231].
Ainsi, Hinault encenseFranck Bonnamour, qui a été élu super-combatif duTour 2021 et qui selon lui restera dans les mémoires. Pour Hinault, un top 10 ou un top 5 au classement général n’a aucune valeur et déclare« Ça me fait mal au cœur d’entendre des gens qui te disent « Ah moi je viens pour faire un top 5 ». Ça veut dire qu’il ne veut pas gagner ! […] Tu dis rien ! Tu dis « Je viens pour faire la course et on verra bien le résultat ! » ». Il incite ainsi les coureurs français à s’amuser en allant chercher des étapes, estimant que celui qui gagne une étape de montagne le deviendrait un « dieu » alors que celui qui obtient une place d’honneur, même dans le top 5 tomberait dans l’oubli[231].
Après une décennie dominée par l’équipeSky et sa technique durouleau-compresseur qui cadenassait la course, une nouvelle génération de coureurs éclot à la fin des années 2010, incarnée par Julian Alaphilippe,Tadej Pogačar,Remco Evenepoel,Wout van Aert ou encoreMathieu van der Poel, bousculent les codes commePeter Sagan quelques années avant eux. Ayant préféré s’entraîner en participant à des courses plutôt qu’à des stages, Hinault apprécie leur envie de s’amuser, le fait qu’ils attaquent à l’instinct sans se poser de questions, sans attendre les consignes de leur directeur sportif par l’oreillette, ce qui lui rappelle le cyclisme de son époque et de celle d’Eddy Merckx. Il estime d’ailleurs que les oreillettes et les capteurs de puissance, au même titre que le mobilier urbain, sont les premiers responsables des chutes[231].
Hinault voit deux choses primordiales pour réussir en cyclisme : prendre du plaisir, courir pour s’amuser et s’entraîner sérieusement, travailler dur. Pour « le Blaireau », le problème du cyclisme français est « que l’on ne pousse pas l’entraînement au maximum » et qu’il y a « trop d’équipes » (10 professionnelles), ce qui selon lui empêche la concurrence, assure une place pour tous les coureurs et ne les incite pas à se battre pour la conserver. Au contraire des coureurs français appartenant à des équipes étrangères, qui « marchent tous », y compris les simples équipiers commeJulien Bernard, qui « fait son boulot », « est présent » sans être « une grosse moto ». Hinault tient également à défendre ces coureurs français de l’étranger : « C’est pas une question de dopage comme certains ont pu dire en France. On dit « Ah oui, mais ils sont dans une équipe étrangère, ça y est, c’est le dopage ! ». Non ! C’est que si t’es pas bon, tu rentres à la maison. Et à la fin de l’année t’es viré ! »[232]. S’il était directeur sportif, Hinault assure qu’il « virerait » immédiatement ceux qui ne lui apportent pas satisfaction.
Bernard Hinault défend également les Slovènes, sous le feu des suspicions depuis qu’ils dominent le cyclisme alors queleur pays, sans grand passé cycliste, ne compte que2 millions d’habitants et n’est a peine plus grand que la Bretagne. Une citation dePrimož Roglič l’a marqué « Si on ne se bat pas, on crève ». Le Breton ajoute : « Ça veut tout dire, c’est tout, ils vont au charbon, ils s’entraînent peut-être plus que les autres »[231], enchaîne avec une citation d’Eddy Merckx :« Quand j’avais un objectif dans la tête, je ne me préoccupais pas combien il fallait que je fasse de bornes. Je veux gagner et pour gagner, il faut que je m’entraîne. Donc j’y vais ! » et incite les coureurs français à suivre les exemples de Christopher Froome ou Julian Alaphilippe qui font « 270 bornes » à l’entraînement dès le mois de février[232].
Espérant voir un Français gagner le Tour avant de mourir, il voitLenny Martínez comme un jeune prometteur mais se demande « Est-ce qu’il faut rester en France ? Est-ce qu’il ne faut pas aller voir à l’étranger parce que les méthodes sont un peu plus dures ? ». Pointant du doigt la mentalité française, il évoque notammentChristophe Laporte, passé de l'équipe françaiseCofidis à l'équipe néerlandaiseJumbo-Visma et qui avait déclaré avoir eu du mal à effectuer un stage de trois semaines le privant de sa famille : « Faut savoir ce que tu veux ! T’es coureur ou t’es en famille ? […] Certains disent « Faut que je rentre, faut que j’aille chercher les enfants à l’école »… Peut-être que ce serait mieux que tu sois à l’entraînement ! » s’agace Hinault[232].
Le quintuple vainqueur du Tour regrette également que les coureurs français « se battent entre eux » sur les courses françaises et laissent de ce fait les étrangers gagner, se rappelant que lorsqu’il participait aux classiques belges, néerlandaises ou italiennes, il avait « tout le monde contre [lui] »[232].
Bernard Hinault n'a jamais été contrôlé positif, mais selon lemédecin du sport françaisJean-Pierre de Mondenard, il a eu à affronter à plusieurs reprises la suspicion du dopage[m 1]. Selon ce médecin qui a recensé les vainqueurs du Tour de France entre 1947 et 2010, ils« ont tous eu maille à partir avec le dopage. Par conséquent, si l'on veut aller jusqu'au bout, chacun d'eux devrait se voir retirer son titre, commeArmstrong »[233]. AuTour de France 1980, à cause d’unetendinite récalcitrante au genou droit, Hinault se fait infiltrer de lacortisone[Note 1], par Philippe Miserez, docteur de l'équipe Renault et médecin-chef duTour de France depuis 1972[m 2]. Cette infiltration a pu à terme accélérer la dégradation des réserves de son organisme et le contraindre à abandonner àPau. Pour Mondenard, c'est même l'utilisation régulière de la cortisone permettant de mettre de plus grands braquets et la trop grande sollicitation des tendons, qui ont provoqué la blessure d'Hinault[m 3]. En 1982, Hinault participe auCritérium de Callac juste après sa victoire auTour 1982. Il refuse de se soumettre à un contrôle avant le début de la course et prend position pour un mouvement de protestation contre les contrôles antidopage[234]. L'inspecteur médical établit un certificat de carence et laFédération française de cyclisme le soumet aux mêmes sanctions qu'un coureur déclaré positif. Hinault, commeJean-René Bernaudeau,Bernard Vallet,Patrick Clerc etPierre Le Bigaut, écope d'une suspension d'un mois avec sursis et d'une amende de 1 100 francs suisses. Cependant avec la menace d'Hinault de ne pas participer auxchampionnats du monde, laFédération française de cyclisme décide en 1983 de ne pas appliquer la sanction[m 4].
En 1999, lors d'une interview au journalL'Équipe, il se déclare en faveur du rééquilibrage hormonal « à une seule condition, que ce soit strictement contrôlé ». Il s'aligne ainsi avec le médecin de l'équipe Peugeot, le docteur François Bellocq, adepte de cette pratique prohibée[235]. À la suite de multiples affaires de dopage qui émaillent le cyclisme, entre les affairesFestina,Puerto, les suspicions surLaurent Jalabert et les aveux du septuple vainqueur du Tour de FranceLance Armstrong[Note 2],[236], Hinault a toujours défendu son sport[237], s'emportant même à plusieurs reprises face aux médias[238],[239].
En1988, il succède àJacques Anquetil au poste de sélectionneur de l'équipe de France professionnelle[240]. En1989, il doit faire face à une fronde au sein de son équipe,Marc Madiot etMartial Gayant refusant de se sacrifier pourLaurent Fignon qui fait selon eux bande à part[241]. Hinault conserve cette fonction jusqu'auChampionnat du monde de 1993, son successeur estBernard Thévenet.Il indique quitter ses fonctions car il ne se reconnaît plus dans les coureurs, les trouvant« embourgeoisés », qui manquent de respect à la sélection selon lui[242].
Dès le début de sa carrière, Bernard Hinault pense à sa reconversion dans l'agriculture. Son métier de coureur cycliste derrière lui, il exerce la profession d'éleveurbovin àCalorguen dans lesCôtes-d'Armor sur une exploitation de50 hectares. Son activité lui prend beaucoup de son temps, il s'occupe des bêtes, traite lescéréales, fait lefoin. Il souhaite produire400 000 litres delait, mais les quotas l'obligent à n'en faire que 90 000. En 2006, il décide de ne plus y travailler, même s'il en reste le propriétaire[243]. Avec un associé, il rachète également dix sociétés de distribution d'ingrédients pour les boulangers-pâtissiers[242]. En 2009, il devient actionnaire de la holding « Forum des Eaux - Bernard Hinault » qui ouvre des centres de balnéothérapie et dont il est un des ambassadeurs[244]. Depuis 2015, il est également ambassadeur de la marque Easyshower spécialisée dans l'aménagement des salles de bains à destination des seniors[245].
Bernard Hinault en 2010.Bernard Hinault en mai 2021 lors de l’hommage àLeo van Vliet au sommet duCauberg.
Cependant, Bernard Hinault ne se coupe pas totalement du monde cycliste. À partir de 1987, il s'occupe des relations publiques et devient responsable du protocole pourAmaury Sport Organisation[s 21]. Pendant leTour de France, il reçoit chaque jour les invités privilégiés auxquels il explique les subtilités de la compétition cycliste et remet les maillots aux lauréats lors des arrivées d’étape[246]. Parlant de cette activité, Hinault déclare :« Je ne suis pas mondain mais j'aime bien discuter avec les personnalités. Et puis si j'ai envie de leur rentrer dedans, je le fais. »[242]. Il arrête ses fonctions après l'édition2016, souhaitant profiter de son petit-fils[247]. Bernard Hinault dévoile la nouvelle collection 2020 du Coq Sportif « lifestyle et performance ». Dans un maillot déjà collector portant la mention : « Tant que je respire, j’attaque »[248].
N'ayant plus guère touché son vélo depuis 1986, depuis qu'il a pris sa retraite d'agriculteur, il a renoué de façon plus soutenue avec le vélo en participant à des cyclosportives, dont celle qui porte son nom à but humanitaire, organisée au mois de juin dans les Côtes-d'Armor[249],[250]. Il est également partenaire de l'enseigne "Vélo Hinault" commercialisant les vélos à son nom[251].
Bernard Hinault est l'un des ambassadeurs de l’associationbretonneCardiac des Monts – Agir pour le cœur pour inciter lesFrançais à faire davantage desport pour leursanté[252].Cardiac des Monts organise des randonnées àvélo, ouvertes à tous, dont le seul challenge et d’assurer la prévention desmaladies cardiaques[253].
En fin d'année 2023, Bernard Hinault annonce s'être engagé un temps sur la liste « Alliance rurale » pour lesélections européennes de 2024 puis s'être rétracté avant la présentation officielle des premiers candidats de cette liste.Willy Schraen, président de laFédération nationale des chasseurs et en première position de cette liste, considère qu'Hinault« fait partie de tous ces gens qui soutiennent la cause »[254].
Lors duTour de France 1981, Bernard Hinault aurait avalé le bouchon de sonbidon[255]. Cependant, le coureur breton a toujours nié cela[256].
Depuis l'éditionLiège-Bastogne-Liège 1980 qu’il a remportée, Bernard Hinault a encore deuxdoigtsengourdis jusqu’à ce jour. Ce problème est dû aux conditions météorologiques particulièrement difficiles, neige et températures glaciales, dans lesquelles cette course s'est déroulée[257].
Bernard Hinault remporte leTour de France à cinq reprises en huit participations, détenant le record de victoires avecJacques Anquetil, le BelgeEddy Merckx et l'EspagnolMiguel Indurain. Il s'impose lors de28 étapes (+ un contre-la-montre par équipes) et porte lemaillot jaune pendant78 jours. Il a également remporté sept classements annexes sur l'épreuve.
Bernard Hinault s'impose à trois reprises sur leTour d'Italie en trois participations. Il remporte également six étapes individuelles (+ un contre-la-montre par équipes) et porte lemaillot rose pendant31 jours.
1980 :Vainqueur du classement général, vainqueur du classement du combiné et de la14e étape, maillot rose pendant 5 jours.
Bernard s'impose à deux reprises sur leTour d'Espagne en autant de participations. Il remporte également7 étapes et porte lemaillot amarillo pendant16 jours.
Début juillet 2016, une œuvre d’art célébrant le titre de champion du monde 1980 de Bernard Hinault est installée sur le rond-point de l’entrée deSallanches. Mesurant cinq mètres de haut et presque autant de large, cette sculpture représente la légende ducyclisme français à l’assaut des côtesalpines. Cette œuvre réalisée par Richard Brouard, unartiste originaire de laHaute-Marne, et financée par Yves Bontaz, unentrepreneur de lavallée de l’Arve, est inaugurée par la villedu Pays du Mont-Blanc le jeudi à l’occasion du passage duTour de France en présence duchampion breton[263].
Toujours en 2016, la ville deCarhaix-Plouguer dans leFinistère décide, dans un but de développement artistique, culturel et touristique, de créer un panthéon des Bretons les plus populaires. Pour ce projet, elle passe commande d'une statue représentant les « 4 As bretons du vélo » —Louison Bobet, Bernard Hinault,Lucien Petit-Breton etJean Robic —, tous les quatre anciens vainqueurs du Tour de France, et cela auprès de la sculptrice Annick Leroy. Cette œuvre artistique est dévoilée le, en présence de Bernard Hinault[264].
Un panneau a été installé en hommage à Bernard Hinault,champion du monde 1980, en bas de la Côte deDomancy près deSallanches où leBreton avait construit sa victoire avec hargne. Cette côte, anciennement dénommée « Route du Chef-Lieu », s’appelle désormais « Route Bernard Hinault ».
Liste des distinctions de Bernard Hinault dans le cyclisme[s 25] :
Christophe Penot,Le Chant du peintre. Hommage à Bernard Hinault, livre d'artiste réalisé à l'occasion des50 ans de Bernard Hinault et contenant cinq lithographies originales deRaymond Moretti, tirage à50 exemplaires numérotés et signés à la main par l'artiste et l'auteur, Cristel Éditeur d'Art, 2004[265].
Christophe Penot,En attendant Hinault, biographie théâtrale écrite à l'occasion des60 ans de Bernard Hinault - édition d'art numérotée, Éditions Cristel, 2014, 48 p.
↑L'Union cycliste internationale n'ajoute la cortisone à sa liste des produits prohibés qu'en 1978 et la méthode de détection de cette molécule n'est homologuée qu'en 1999.
↑Comme le cycliste texan qui répondait aux journalistes suspicieux sur ses performances, ne jamais avoir été contrôlé positif, Hinault répondait à ceux qui lui demandaient s'il avait pris des substances, non par la négative, mais par :« j'ai passé tous les tests ». Cf.David Walsh,Sept péchés capitaux, à la poursuite de Lance Armstrong, Talent Sport,,p. 57.
↑abc etdClément Commolet, avec Gaspard Brémond et Vincent Coté, « « Il m’a surpris dans ce rôle » : Bernard Hinault, le grand-père à la recherche du temps perdu »,www.ouest-france.fr,(lire en ligne, consulté le)
↑Hinault avait signé la feuille d'émargement avant de se cacher dans une rue adjacente au moment du départ, puis de rentrer chez lui en voiture. Guimard lui avait envoyé dans la foulée un recommandé avec une lettre de menace de licenciement.
↑René Cart, « Championnats du Monde 1980 à Sallanches - Les plus difficiles, mais certainement les plus beaux de toute l'histoire de la « petite reine ». »,Le Courrier Savoyard (Annecy,Haute-Savoie), pages 10 et 11,.
↑Aurélie Massait, « Tour de France : Sallanches inaugure une sculpture en l'honneur de Bernard Hinault »,france3-regions.francetvinfo.fr,(lire en ligne, consulté le)
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