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Sauf précision contraire, les dates de cet article sont sous-entendues « avant l'ère commune », c'est-à-dire « avant Jésus-Christ ».
| Date | 280av. J.-C. |
|---|---|
| Lieu | Héraclée, aujourd'huiPolicoroBasilicate |
| Issue | Victoire dePyrrhusIer d'Épire |
| République romaine | Épire /Grande-Grèce |
| Publius Valerius Laevinus | PyrrhusIer |
| ~ 35 000légionnaires 3000 à 5 000cavaliers ? | ~ 25 000hoplites 500frondeurs > 3 000cavaliers 2 000archers 20éléphants de guerre |
| 15 000 morts 1 800 prisonniers | 13 000 morts |
Batailles
| Coordonnées | 40° 13′ 12″ nord, 16° 40′ 11″ est | |
|---|---|---|
Labataille d'Héraclée (actuellement, lacommune dePolicoro) est une bataille de l'Antiquité (280av. J.-C.) qui vit s'affronter d'une part les troupes de laRépublique romaine, commandées par leconsulPublius Valerius Laevinus, et d'autre part celles de la coalition grecque d'Épire, deTarente, deThurii, deMétaponte et d'Héraclée, sous le commandement du roi d'Épire,PyrrhusIer. Les Grecs, conduits par un de leurs généraux les plus talentueux, remportèrent la victoire.
Cette bataille s'inscrit dans le cadre des luttes entre laGrande-Grèce et la jeuneRépublique romaine, qui tente d'étendre son hégémonie sur toute lapéninsule italienne. Elle incarne également les premiers affrontements dumonde romain et dumonde grec.
Tarente est une des nombreusescolonies grecques deGrande-Grèce. À la fin duIVe siècle av. J.-C., les dirigeants de la cité, les démocrates Philocharis et Ainesias, s'opposent à laRépublique romaine, car ils craignent de perdre leur indépendance vis-à-vis d'uneRome grandissante. Cette inquiétude s'accentue après les succès militaires romains : alliance entre Romains etLucaniens en 298, soumission desSamnites en 291, desSabins en 290, victoire sur les citésétrusques et les mercenairesgaulois.
L’historienPierre Grimal[1] rappelle les bonnes relations entre Rome et les cités grecques établies lors des longuesguerres samnites, et le développement desrelations commerciales romaines vers l’Orient[2]. Toutefois un traité passé en 303 avec Tarente interdit aux navires romains de naviguer à l’Est ducap Lacinium près deCrotone, c'est-à-dire de passer dans legolfe de Tarente pour aller commercer vers laGrèce et l’Orient. Tant que les guerres en Italie centrale mobilisaient Rome, ces restrictions passaient au second plan. Mais selon l'historienMarcel Le Glay[3], une faction politique romaine autour desFabii et des grandes familles campaniennes prône l’expansion vers le sud de l’Italie et au-delà. Le blocage des droits de navigation va être un motif de conflit entre Romains et Tarentins.
Les Romains étendent donc leur contrôle vers le Sud en fondant de nombreusescolonies enApulie et enLucanie, dont la plus importante estVenusia. Vers 285, les troupes romaines interviennent dans les colonies grecques d'Italie :Crotone,Locres etRhegium, pour les protéger des attaques des Lucaniens et desBruttiens.
Les démocrates de Tarente savent pertinemment qu'une fois terminées les guerres contre leurs voisins immédiats, les Romains tenteront de s'emparer de la ville de Tarente. De plus, les Tarentins s'inquiètent de la prise du pouvoir des aristocrates àThurii, qui décident en 282 d'accueillir une garnison romaine dans leur cité, pour faire face aux montagnards de Lucanie[4]. Une autre garnison de soldatscampaniens,auxiliaires des Romains, s'installe àRhegium, mettant ledétroit de Messine sous protection romaine. Ces actes vont à l'encontre de l'indépendance des colonies de la Grande Grèce.
La seconde force politique importante de Tarente, les aristocrates menés parAgis, n'est pas opposée à entrer dans l'alliance romaine si elle parvient à reprendre le pouvoir dans la cité. Cette position provoque l'impopularité des aristocrates à Tarente.
À l'automne de 282, Tarente célèbre son festival en l'honneur deDionysos et, de leur théâtre en bord de mer, ses habitants parviennent à voir des navires romains qui entrent dans legolfe de Tarente[5], mission d'observation de dix navires pontés dirigée parCornelius Dolabella selon l'historienAppien[6].
Les Tarentins, excédés de la violation par les Romains du traité leur interdisant de pénétrer dans le golfe de Tarente, lancent leur flotte contre les navires romains. Durant le combat, quatre navires romains sont coulés et un est capturé[6].
L’historien romainDion Cassius (162/163-235 apr. J.-C.) donne une tout autre version de l’incident :Lucius Valerius, envoyé par Rome à Tarente, s’approche de la ville. Les Tarentins, égarés par l’ivresse de la fête et croyant à une intention mauvaise, l’attaquent et l’envoient par le fond[7].
L'armée et la flotte tarentine poursuivent par l’attaque de la ville deThurii, rétablissent les démocrates au pouvoir et chassent les aristocrates qui ont fait alliance avec Rome. La garnison romaine est chassée de la ville[6].
Les Romains envoient alors une mission diplomatique dirigée parPostumius. Selon Dion Cassius, les ambassadeurs romains furent cette fois accueillis par les moqueries et les outrages de la populace tarentine, un fêtard aurait même uriné sur latoge de Postumius[7],[8]. Ce dernier se serait alors exclamé « Riez, riez, votre sang lavera mes habits »[9].
Appien donne une version plus neutre de la rencontre : les Romains exigent la libération des prisonniers romains, présentés comme de simples observateurs, le retour des Thuriens expulsés de leur cité, avec indemnisation des dommages qui leur ont été causés, et la livraison des auteurs de ces crimes. Aux revendications romaines se joint le choc culturel : les ambassadeurs romains parlent mal le grec, leurs toges amusent l’assistance[6]. Les revendications romaines excessives sont repoussées, Rome se sent dans son droit et peut déclarer une guerre « juste » à Tarente.
Malgré leur victoire, les Tarentins sont conscients de leur faiblesse vis-à-vis de Rome, et demandent l'aide dePyrrhusIer, roi d'Épire.
En 281, sous le commandement deLucius Aemilius Barbula, les légions romaines entrent dans Tarente et la pillent. Malgré les renfortssamnites etsalentins, Tarente perd la bataille contre les Romains. À l'issue du combat, les Grecs choisissent Agis pour demander une trêve et engager des pourparlers avec Rome. Cependant, les négociations sont rompues lorsque débarquent à Tarente 3 000 soldatsépirotes, avant-garde de Pyrrhus sous le commandement deMilon. Le consul romain Barbula est contraint de fuir, sous la pression des attaques des navires grecs.
La décision de PyrrhusIer d'aider la cité de Tarente contre les Romains est motivée par l'aide fournie quelque temps plus tôt par les Tarentins, lors de la conquête de l'île deCorcyre par les Épirotes. Les Tarentins lui font miroiter un potentiel de 350 000 hommes et 20 000 chevaux recrutables chez les Samnites, les Lucaniens et les Bruttiens. Son but principal est de reconquérir laMacédoine qu'il a perdue en 285, mais il n'a pas assez de moyens chez lui pour recruter de nouveaux soldats.
PyrrhusIer projette d'aider Tarente, puis de se rendre par la suite enSicile afin d'attaquerCarthage. Ainsi, après avoir amassé un butin important dans sa guerre contre Carthage et sa conquête du sud de l'Italie, il prévoit de réorganiser son armée pour conquérir la Macédoine.
Avant de quitter l'Épire, Pyrrhus emprunte de nombreuses phalanges auroi de MacédoinePtolémée Kéraunos (281–279) et demande une aide financière et maritime àAntiochosIer, le roiséleucide, et àAntigone Gonatas, le fils deDémétrios Poliorcète. Le roi d'ÉgyptePtolémée II lui promet également d'envoyer 4 000 fantassins, 5 000 cavaliers et 50éléphants de guerre[10],[11]. Ces forces auront pour mission principale de défendre l'Épire durant la campagne menée en Italie.
Il recrute également de nombreux soldats grecs, comme des cavaliers deThessalie et des archers deRhodes[12].
Au printemps 280, Pyrrhus embarque vers les côtes italiennes : il envoie à Tarente une avant-garde de 3 000 hommes commandée parCinéas, puis transfère en bateau 20 000 fantassins, 3 000 chevaux, 20 éléphants de guerre, 2 000 archers et 500frondeurs[13], soit une armée de 25 000 hommes.
Les Romains, prévenus de l'arrivée imminente de Pyrrhus, décident de mobiliser huitlégions avec leursauxiliaires[14]. Ces huit légions comptent 80 000 soldats[15] divisés en quatre armées :
Valérius Laevinus décide de se rendre àHéraclée, une ville fondée par les Tarentins, avec l'intention de couper la route de Pyrrhus vers les colonies grecques deCalabre. Cette manœuvre empêche ces colonies grecques de Calabre de se soulever contre Rome.
Notre source habituelle sur le détail des effectifs romains, à savoirTite-Live, est malheureusement lacunaire sur cette période[16]. Faute de précisions chez les autres auteurs antiques, les éléments mentionnés ci-dessous reprennent doncPlutarque pour les effectifs grecs et sont complétés par des estimations possibles mais non certaines des forces romaines et alliées en présence. En outre, Plutarque semble se contredire quand il parle de naufrages qui anéantirent une bonne partie des troupes de Pyrrhus[13] et, au chapitre suivant, conserve les chiffres de départ pour énumérer l'armée grecque.
| République romaine[17] | Épire etTarente[13] |
|---|---|
Commandant :Publius Valerius Laevinus
Certains de ces soldats avaient pour mission de protéger lecamp | Commandant :PyrrhusIer d'Épire
|
Pyrrhus ne décide pas immédiatement de marcher sur Rome car il souhaite obtenir, préalablement, le renfort de ses alliés de Grande Grèce. Des effectifs de Tarentins sont enrôlés, sans grand empressement de leur part. Pendant ce temps, le consul Laevinus ravage la Lucanie pour empêcher les Lucaniens et les Bruttiens de rejoindre Pyrrhus[18].
Comprenant que les renforts Lucaniens et Bruttiens ne viendront pas, Pyrrhus décide d'attaquer les Romains dans une plaine non loin de la rivière Siris (aujourd'huiSinni), située entre les villes d'Héraclée et dePandosia. Il prend position et décide d'attendre les Romains.Avant d'engager le combat, Pyrrhus envoie des diplomates auconsul romain Laevinius, afin de proposer son arbitrage dans le conflit entre Rome et les populations du Sud de l'Italie. Il promet que ses alliés respecteraient sa décision, si les Romains acceptent de le prendre comme arbitre, dans ce conflit[18].
Les Romains rejettent la proposition faite par Pyrrhus, et installent leur campement dans la plaine sur la rive droite de la rivière Siris. Valerius Laevinus dispose d'environ30 à 35 000 soldats sous son commandement, dont de nombreux cavaliers.
Le nombre de troupes laissées par Pyrrhus à Tarente est inconnu, cependant on estime qu'il y a entre25 et 30 000 soldats avec lui à Héraclée, soit moins que les Romains.Il prend position sur la rive gauche de la rivière Siris, espérant que les Romains auraient des difficultés pour la traverser[19]. Pyrrhus souhaite de cette manière obtenir plus de temps pour préparer son offensive.


Denys d'Halicarnasse (auteur duIer siècle av. J.-C.) dans sesAntiquités romaines[20] etPlutarque (46-125) qui s'en inspire pour saVie de Pyrrhus (16 et 17), donnent le plus de détails sur les péripéties de la bataille. On se base donc sur leur récit.
À l'aube, les Romains commencent à traverser la rivière Siris, et la cavalerie romaine attaque l'infanterie légère et les éclaireurs grecs par les flancs, qui sont alors contraints de prendre la fuite (voir l'illustration sur la première phase de la bataille).
Dès que Pyrrhus apprend que les Romains commencent à traverser la rivière, il ordonne à la cavalerie macédonienne et thessalienne d'attaquer la cavalerie ennemie. Son infanterie, composée depeltastes, d'archers et d'une infanterie lourde, commence à se mettre en marche. La cavalerie grecque parvient avec succès à désorganiser les troupes romaines et à provoquer leur retraite.
Pendant l’affrontement, Oblacus Volsinius[21], chef d’un détachement auxiliaire de la cavalerie romaine, repère Pyrrhus grâce aux armes magnifiques qu’il porte et le suit dans ses déplacements. Portant une attaque soudaine, il blesse et jette Pyrrhus à bas de son cheval, avant d’être tué par les compagnons de ce dernier. Pyrrhus se relève mais pour éviter de constituer une cible trop repérable, il confie ses armes àMégaclès (en), un de ses officiers[22].
Lesphalanges commencent leur attaque. Elles mènent plusieurs attaques, toutes suivies par des contre-offensives romaines. Cependant, les troupes grecques parviennent à franchir les premières lignes, mais ne peuvent atteindre les unités romaines sans rompre leur formation, ce qui risquerait de les exposer dangereusement à une contre-offensive romaine[23].
Dans cette lutte indécise, Mégaclès, que les Romains prennent pour Pyrrhus, est tué. Les Romains exultent, mais Pyrrhus se montre et ranime le courage de ses troupes. Il décide d'envoyer seséléphants de guerre dans la bataille. Selon Florus« Leur masse, leur difformité, leur odeur inconnue, leur cri aigu, épouvantèrent les chevaux ». Leur panique et leur fuite provoque la défaite romaine[24],[25],[26]. La cavalerie épirote attaque alors les ailes de l'infanterie romaine.
L'infanterie romaine s'enfuit permettant ainsi aux Grecs de s'emparer du camp romain. Dans les batailles antiques, la prise de son camp par l'adversaire sanctionne une défaite totale sur le terrain. On peut donc supposer que les Romains ont tout abandonné : matériel, animaux de bât, ravitaillement, bagages individuels. Les légionnaires survivants regagnentVenusia, probablement démunis de tout équipement.
Plutarque rapporte les pertes de la bataille en citant deux sources, assez divergentes[25] :
S'y ajoutent selonEutrope 1 800 romains faits prisonniers. Un historien tardif,Paul Orose (vers 380-vers 418), fournit un bilan des pertes romaines d'une précision surprenante : 14 880 morts et 1 310 prisonniers pour les fantassins, 246 cavaliers tués et 502 prisonniers, ainsi que 22 enseignes perdues[27]. Les valeurs de Paul Orose recoupent celles de Denys et d'Eutrope, ce qui ne les rend pas forcément plus fiables.
Pyrrhus propose aux prisonniers romains de rallier ses rangs, comme cela se fait en Orient avec les contingents mercenaires, ce qu'ils refusent[28].

Après la bataille, des renforts venant deLucanie et duSamnium rejoignent l'armée de Pyrrhus. Les cités grecques se rallient aussi à Pyrrhus, dontLocres qui chasse sa garnison romaine[29]. ÀRhegium, dernière position de la côte sud italienne contrôlée par Rome, le préteur campanienDecius Vibellius (de) (ouDecius Vibullius) qui commandait la garnison fait défection : il massacre une partie des habitants et chasse les autres, et se proclame administrateur de Rhegium, se mutinant contre l'autorité romaine[30],[31].
Pyrrhus commence sa progression enÉtrurie et capture de nombreuses petites villes enCampanie mais ne peut prendreCapoue. Sa progression est stoppée àAnagni, à deux jours de Rome (30 km), quand il rencontre une autre armée romaine. Pyrrhus se rend compte qu'il ne dispose pas d'assez de soldats pour se battre contre Laevinus et Barbula, qui vont probablement chercher à l'affronter. Devant ce constat, il décide de se retirer. Les Romains ne le pourchassent pas.
Par la suite,Fabricius Luscinus est envoyé en ambassade auprès de Pyrrhus pour traiter de l'échange des prisonniers capturés lors de la bataille d'Héraclée. Comme il refuse les présents de Pyrrhus[32], celui-ci, charmé de ses vertus, lui confie les prisonniers pour les emmener à Rome, à la condition de les lui renvoyer si leSénat romain refuse de payer leur rançon. Le Sénat n'ayant point admis les demandes de Pyrrhus, Fabricius les lui renvoie, respectant ainsi sa promesse.
Cette bataille incarne, avec celle d'Ausculum, les dernières résistances de laGrande-Grèce face à la jeuneRépublique romaine qui étend son hégémonie sur lapéninsule italienne. Malgré ses victoires d'Héraclée et plus tard d'Ausculum, Pyrrhus sera battu àBeneventum, ce qui marque le début du déclin militaire du monde grec au profit du monde romain.
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Histoire des royaumes hellénistiques (323-30 av. J.-C.) | |
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