Membre le plus éminent d'unefamille de musiciens, sa carrière se déroule entièrement enAllemagne centrale, dans sa région natale, au début au service de petitesmunicipalités et de cours princières sans importance politique, puis du conseil municipal de Leipzig, qui lui manifeste peu de considération : ainsi, jamais il n'obtient un poste à la mesure de son génie et de son importance dans l'histoire de lamusique occidentale, malgré la considération de certainssouverains allemands, telFrédéric le Grand, pour le « Cantor de Leipzig ».
Sa première formation est assurée par son père,Johann Ambrosius Bach. Mais, du fait de la mort de ce dernier, c'est le frère aîné de Jean-Sébastien,Johann Christoph Bach, qui poursuit cet apprentissage, qui se fait également de manièreautodidacte[4] : Jean-Sébastien, passionné de son art, copie et étudie sans relâche les œuvres de ses prédécesseurs et de ses contemporains, développant sa science de lacomposition et particulièrement ducontrepoint jusqu'à un niveau inconnu avant lui et, depuis lors, jamais surpassé[5]. Jean-Sébastien Bach est unvirtuose de plusieurs instruments, leviolon et l'alto, mais surtout leclavecin et l'orgue. Sur ces deux derniers instruments, ses dons exceptionnels font l'admiration et l'étonnement de tous ses auditeurs ; il prétend tout jouer àpremière vue et peutimproviser sur-le-champ unefugue à trois voix. Il a aussi une compétence reconnue et très sollicitée en expertise defacture instrumentale.
À la croisée des principales traditions musicales européennes (allemande,française et italienne), il en opère une synthèse très novatrice pour son temps. Bien qu'il ne crée pas deforme musicale nouvelle, il pratique tous les genres existant à son époque, à l’exception de l’opéra : dans tous ces domaines, ses compositions, dont seules une dizaine sont imprimées de son vivant, montrent une qualité exceptionnelle en inventionmélodique, en développementcontrapuntique, enscience harmonique, enlyrisme.
Jean-Sébastien Bach, issu d'un milieuluthérien, est inspiré d’une profondefoichrétienne. Ses contemporains le considèrent souvent comme un musicien austère, tropsavant et moins tourné vers l’avenir[Exemple/sens ?] que certains de ses collègues. Il forme de nombreux élèves et transmet son savoir à plusieurs de ses fils musiciens pour lesquels il compose quantité de pièces à vocation didactique, ne laissant cependant aucun écrit ou traité. Mais la fin de sa vie est consacrée à la composition, au rassemblement et à la mise au propre d’œuvres magistrales ou de cycles synthétisant et concrétisant son apport théorique, constituant une sorte de « testament musical ».
Un document, probablement établi par Jean-Sébastien Bach lui-même, donne des informations sur la généalogie et la biographie de cinquante-trois musiciens membres de cette famille ; il est intituléUrsprung der musicalisch-Bachschen Familie (Origine de la famille des Bach musiciens) et trois copies existent, à défaut du manuscrit autographe[9].
De fait, cette famille exerce une sorte de monopole sur toute la musique pratiquée dans la région : ses membres sont musiciens de ville, de cour, d'église, cantors, facteurs d'instruments, dominant la vie musicale de toutes les villes de la région, notammentErfurt,Arnstadt, etc. Chaque enfant a donc son destin déterminé : recevoir l'enseignement de son père, de ses oncles ou d'un frère aîné, puis suivre leur trace, celle de ses ancêtres et de ses nombreux cousins.
L'ancêtreVeit Bach, que quatre générations séparent de Jean-Sébastien, aurait été meunier, boulanger et joueur de cithare. Son fils Hans Bach est le premier musicien professionnel de la famille, et a trois fils également musiciens : Johann (1604-1673), Christoph (1613-1661) et Heinrich (1615-1692) ; parmi les enfants de Christoph, on trouve des frères jumeaux : Johann Christoph (1645-1693) et Johann Ambrosius (1645-1695), le père de Jean-Sébastien, nés à Erfurt, qui est une des villes de résidence de la famille.
Lafamille Bach est réputée pour ses musiciens, car les Bach qui pratiquent cette profession à l'époque sont déjà au nombre de plusieurs dizaines[12], exerçant comme musiciens de cour, de ville ou d'église dans laThuringe. Jean-Sébastien Bach se situe à la cinquième génération de cette famille depuis le premier ancêtre connu, Veit Bach, meunier et musicien amateur de confessionprotestante qui, fuyant des persécutions religieuses enHongrie ou enSlovaquie, s'installe dans la région, àWechmar, auXVIe siècle.
Jean-Sébastien Bach est le dernier des huit enfants (quatrième survivant)[13] deJohann Ambrosius Bach (1645-1695), trompettiste à la cour du duc[13] etHaussmann, c'est-à-dire musicien de ville[14], et de son épouse Elisabeth, née Lämmerhirt, originaire d'Erfurt (1644-1694). Il est baptisé dans la confessionluthérienne le 23 mars à l'église Saint-Georges (Georgenkirche).
Son enfance se passe à Eisenach, et il reçoit sa première éducation musicale de son père, violoniste[13] de talent. Il est aussi initié à la musique religieuse et à l'orgue par un cousin de son père,Johann Christoph Bach, qui est l'organiste de l'église Saint-Georges et claveciniste du duc[13]. Il fréquente, à partir de seshuit ans, l'école de latin des dominicains d'Eisenach[15].
Ohrdruf
Le parcours de Bach de ville en ville, de sa naissance à la mort.
Sa mère, Maria Elisabetha Lämmerhirt, meurt le[16], alors qu'il vient d'avoirneuf ans. Le suivant, son père se remarie avec Barbara Margaretha Bartholomäi née Keul, (elle-même doublement veuve depuis la fin de 1688 : d'abord d'un Bach et ensuite d'un diacre), mais il meurt quelques semaines plus tard, le[17],[18]. Orphelin dèsdix ans, Jean-Sébastien est recueilli par son frère aîné,Johann Christoph, âgé devingt-quatre ans, élève deJohann Pachelbel et organiste àOhrdruf — à une cinquantaine de kilomètres de là —, et sa tante Johanna Dorothea, qui est l’Ersatzmutter (la mère de substitution), dont cinq des neuf enfants deviennent des musiciens accomplis[19].
Dans cette ville, Jean-Sébastien Bach fréquente le lycée, acquérant une culture plus approfondie que celle de ses aïeux. Il a pour camarades de classe l'un de ses cousins, Johann Ernst Bach, et un ami fidèle, Georg Erdmann. Johann Christoph poursuit son éducation musicale et le forme aux instruments à clavier. Jean-Sébastien se montre très doué pour la musique et participe aux revenus de la famille en tant que choriste[20],[21] au sein duChorus Musicus, composé d'une vingtaine de chanteurs[22]. Son frère le laisse suivre la construction d'un nouvel orgue pour l'église, puis toucher l'instrument[22]. Il aime à recopier et étudier les œuvres des compositeurs auxquelles il peut accéder, parfois même contre la volonté de son aîné[23],[24]. La passion d'apprendre reste un de ses traits de caractère et en fait un connaisseur érudit de toutes les cultures musicales européennes[25] :« Le trait le plus saillant de Johann Sebastian enfant est sa puissante autonomie. Il se garde libre. Il dévore ce qui lui paraît bon. Il travaille. Il imite. Il corrige. Il refait. Il s'impose. C'est un prodigieux empirique. Le génie fait le reste[26]. »
Outre la musique, il y apprend larhétorique, lelatin, le grec et le français[27]. Il fait la connaissance deGeorg Böhm, un compatriote de Thuringe[28], musicien de la Johanniskirche et élève du grand organiste de HambourgJohann Adam Reinken[29] ; Böhm l'initie au style musical de l'Allemagne du nord[30] et l'on retrouve quelques menuets dans leKlavierbüchlein. Il côtoie aussi à Lunebourg ou à la cour ducale deCelle des musiciens français émigrés, notamment Thomas deLa Selle, élève deLully et professeur de danse[27] : c'est l'approche d'une autre tradition musicale[31] (François Couperin notamment[32],Lully,Destouches etCollasse[33]). Après la mue de sa voix, il se tourne vers la pratique instrumentale : orgue, clavecin et violon. Il peut fréquenter la bibliothèque municipale de Lunebourg et les archives de la Johanniskirche, qui recèlent de nombreuses partitions des plus grands musiciens de l'époque[34]. En 1701, il se rend à Hambourg et y rencontreJohann Adam Reinken etVincent Lübeck, deux grands virtuoses titulaires des plus belles orgues de l'Allemagne du nord.
Weimar et Arnstadt
Église Saint-Boniface, Arnstadt.Manuscrit du prélude de choralWie schön leuchtet der Morgenstern, BWV 739, composé à Arnstadt. C'est le plus ancien manuscrit de Bach conservé, antérieur à 1707[35].
Bach passe sa première audition en 1702, àSangerhausen, à l'ouest de Halle. Il s'agit de trouver un successeur à Gottfried Christoph Gräffenhayn qui vient de mourir le. En dépit de l'excellente audition qu'il donne, le duc en personne, Johann Georg de Saxe-Weissenfels, s'oppose à cette nomination et attribue le poste au petit-fils d'un ancien titulaire de cette charge. Au début de, fraîchement diplômé, Bach prend un poste de musicien de cour dans la chapelle du ducJean-Ernest III de Saxe-Weimar àWeimar, grande ville deThuringe.« Il est employé comme laquais et violoniste dans l'orchestre de chambre du frère du duc de Weimar[36]. ». En sept mois, jusqu'à la mi-, il se forge une solide réputation d'organiste et est invité à inspecter et inaugurer le nouvel orgue de l'église de Saint-Boniface d'Arnstadt, au sud-ouest de Weimar. Il adix-huit ans[37].
Église Sainte-Marie, Lübeck.
En août 1703, il accepte le poste d'organiste de cette église[38],[39], qui lui assure des fonctions légères, un salaire relativement généreux, et l'accès à un orgue neuf et moderne. La famille de Bach entretient depuis toujours des relations étroites dans cette ville, la plus ancienne de Thuringe. Mais cette période n'est pas sans tensions : il n'est apparemment pas satisfait du chœur. Des conflits éclatent et, par exemple, il en vient aux mains avec un bassoniste, Johann Heinrich Geyersbach. Ses employeurs lui reprochent une absence excessive lors de son voyage àLübeck : il annonce partir pour quatre semaines, mais ne revient que quatre mois plus tard, faisant quatre cents kilomètres à pied pour rendre visite àBuxtehude[40] afin d'assister aux fameusesAbendmusiken (Concerts du soir) à l'église Sainte-Marie[41]. C'est à cette époque que Bach achève d'élaborer son art ducontrepoint et sa maîtrise des constructions monumentales[42].
De retour à Arnstadt en[43] — après avoir rendu visite àJohann Adam Reinken à Hambourg et àGeorg Böhm à Lüneburg — le consistoire critique vivement sa nouvelle manière d'accompagner l'office, entrecoupant des strophes et usant d'un contrepoint si riche que le choral n'en est plus reconnaissable[44]. En l'occurrence, il lui est fait le reproche suivant[45] :« comment se fait-il, monsieur, que depuis votre retour de Lübeck, vous introduisiez dans vos improvisations, beaucoup trop longues d'ailleurs, des modulations telles que l'assemblée en est fort troublée ? » Le consistoire l'accuse aussi de profiter des sermons pour s'éclipser et rejoindre la cave à vin, et de jouer de la musique dans l'église avec une « demoiselle étrangère », sa cousineMaria Barbara[46].
Le décès de l'organiste de l'église Saint-Blaise deMühlhausen, situé à soixante kilomètres d'Arnstadt, lui offre l'occasion qu'il attend : de l'automne1707 à la mi-, il est organiste àMühlhausen. Il y écrit sa premièrecantate (peut-être laBWV 131), prélude à une œuvreliturgique monumentale à laquelle vient se rajouter l'œuvre pour orgue. Il compose durant sa vie plus de trois cents cantates, correspondant à cinq années complètes de cycle liturgique. Plusieurs dizaines de ces compositions sont perdues, dont une partie date de cette période.
Bach rassemble une bibliothèque de musique allemande, et fait travailler le chœur et le nouvel orchestre. Il récolte les fruits de son labeur lorsque lacantateBWV 71, inspirée de Buxtehude[47],[48], écrite pour l'inauguration du nouveau conseil est donnée dans la Marienkirche, où ce conseil a son siège[49], le.
Le gouvernement de Mühlhausen est satisfait du musicien : il ne fait aucune difficulté pour rénover à grands frais l'orgue de laDivi-Blasii-Kirche (Blasiuskirche ou église Saint-Blaise)(de) et lui confie la supervision des travaux. Le gouvernement édite également à ses frais la cantateBWV 71, l'une des rares œuvres (et unique cantate[50]) de Bach publiées de son vivant, et réinvite par deux fois le compositeur pour la diriger.
Cependant, une controverse naît au sein de la ville[51] : les luthériens orthodoxes, amoureux de musique, s'opposent auxpiétistes, plus puritains et qui refusent les arts. Bach, dont le supérieur direct, Johann Adolf Frohne, est unpiétiste, sent que la situation va en se dégradant et accepte une meilleure situation à Weimar[52].
Weimar
Jean-Sébastien Bach à trente ans (1715) par Johann Ernst Rentsch le Vieux (mort en 1723).
De1708 à1717, il est organiste et, de1714 à1717,premier violon soliste à la chapelle du duc deSaxe-Weimar,Guillaume-Ernest de Saxe-Weimar. Il dispose de l'orgue, mais aussi de l'ensemble instrumental et vocal du duc. Cette période voit la création de la plupart de ses œuvres pourorgue, dont la plus connue, la célèbreToccata et fugue en ré mineur,BWV 565. Il compose également de nombreuses cantates[53], et des pièces pourclavecin inspirées des grands maîtres italiens et français.
Bach a la compétence, la technique et la confiance pour construire des structures de grande échelle et synthétiser les influences de l'étranger, italiennes ou françaises[54]. De la musique des Italiens tels queVivaldi,Corelli etTorelli[55], il apprend l'écriture d'ouvertures dramatiques et en applique les développements ensoleillés, les motifs rythmiques dynamiques et les arrangements harmoniques décisifs. Bach adopte ces aspects stylistiques grâce à sa méthode habituelle de travail : la transcription pour le clavecin[56] et l'orgue. En l'espace de douze mois[57], il réalise seize transcriptions pour clavecin et cinq pour orgue seul des concertos de Vivaldi[58].
Mais Bach souhaite quitter cette ville où il s'ennuie. Il a comme élève le neveu du duc et son héritier,Ernest-AugusteIer. Celui-ci, bon claveciniste, a épouséÉléonore-Wilhelmine d'Anhalt-Köthen, mais critique ouvertement la politique de son oncle. Bach passe une bonne partie de son temps au château d'Ernest-Auguste. Voulant marquer son mécontentement à l'égard de son neveu, le duc de Weimar interdit aux musiciens de jouer chez ce dernier, mais Bach ne tient pas compte de cette interdiction. Le duc s'en trouve alors offusqué. En 1716, lorsque meurt le maître de la chapelle, Drese, la place doit logiquement revenir à Bach, mais le duc, essayant d'abord de s'assurer les services deGeorg Philipp Telemann, nomme finalement à ce poste le fils de Drese. Bach affiche alors ouvertement son soutien à Ernest-Auguste et cesse d'écrire des cantates pourGuillaume II.
Bach refuse un poste à la cour du roi de Pologne àDresde lorsque le duc de Saxe-Weimar double ses appointements pour le garder. Le princeLéopold d'Anhalt-Köthen, beau-frère du duc, très impressionné par la musique écrite par Bach pour le mariage de sa sœur Éléonore-Wilhelmine avecErnest-AugusteIer, lui propose le poste de maître de chapelle de la cour de Köthen, le plus élevé des postes de musiciens, permettant à Bach d'être appeléHerr Kapellmeister. Cette fois-ci, Bach accepte l'offre. En apprenant la nouvelle, le duc fait emprisonner Bach durant un mois, du6 novembre au2 décembre. C'est alors en prison que Bach compose les quarante-six chorals duPetit livre d'orgue (Orgelbüchlein)[60].
Köthen
Palais et jardins à la française de Cöthen, d'après une gravure de Matthäus MerianTopographia (1650).
De décembre1717 à avril1723, il succède àJohann David Heinichen (un ancien élève deKöthen[61]) commemaître de chapelle (Kapellmeister) à la cour du princeLéopold d'Anhalt-Köthen, beau-frère du duc de Weimar. Le prince est un brillant musicien (il a étudié avec Heinichen à Rome[62]) : il joue avec talent du clavecin, du violon et de laviole de gambe. SonGrand Tour de1710 à1713 le met en contact avec la musique profane italienne et le convainc de la nécessité de développer la musique profane allemande, d'autant que ses convictions religieusescalvinistes lui interdisent la musique d'église. Une occasion se présente à lui carFrédéric-GuillaumeIer vient d'accéder au pouvoir, et celui-ci ne montre aucun intérêt pour les arts : il licencie les artistes de la cour et les dépenses baissent de 80 % en une année. Le prince Léopold peut attirer des musiciens de la cour de Berlin vers celle de Köthen, qui dispose rapidement de 18 instrumentistes d'excellent niveau. La musique représente dès lors le quart du budget pourtant limité de la principauté deAnhalt-Köthen, qui devient un important centre musical.
L'ambiance y est informelle, et le prince traite ses musiciens comme ses égaux. Il les emmène à Carlsbad (devenueKarlovy Vary enRépublique tchèque) pour« prendre les bains », et il joue souvent avec eux, parfois même chez Bach lorsque sa mère, Gisela Agnes, s'irrite de la présence perpétuelle de l'orchestre au palais. Son poste offre à Bach un certain confort matériel, avec une dotation de 400 thalers par an[63]. Le prince Léopold est par ailleurs leparrain de Léopold Augustus Bach, le dernier enfant deMaria Barbara.
Mais sa femme, Maria Barbara, meurt le[64], et cet événement le marque profondément. Il en est d'autant plus bouleversé qu'il n'apprend la mort et l'enterrement de son épouse qu'à son retour deDresde. Il se remarie un an et demi plus tard avecAnna Magdalena Wilcke, fille d'un grand musicien etprima donna de la cour de Köthen[65],[19].
Il songe à quitter cet endroit rempli de souvenirs à la recherche d'une ville universitaire pour les études supérieures de ses enfants, d'autant qu'il ne peut composer de musique sacrée dans une cour calviniste. De plus, le prince se remarie en 1721, et sa deuxième épouse semble êtreeine amusa, selon le dire de Bach[66], c’est-à-dire peu sensible aux arts en général, et en détourne son mari. Parallèlement, le prince doit contribuer davantage aux dépenses militaires prussiennes[67].
Bach cherche un nouvel emploi. En 1720, à laKatharinenkirche deHambourg, il donne un concert très remarqué, en particulier parJohann Adam Reinken, très âgé[68], et se voit presque proposer un poste. Il rassemble un recueil de ses meilleures œuvres concertantes (lessix concertos brandebourgeois), et les envoie au margrave de Brandebourg qui lui avait marqué un certain intérêt deux ans auparavant. Il postule à Leipzig, où le poste de cantor est vacant et lui offrirait une plus grande renommée dans le Saint-Empire, mais aussi en Pologne et en France : leprince-électeur de Saxe est roi de Pologne et a fréquenté la cour de Versailles, avec laquelle il garde de bonnes relations.
Il obtient le poste de cantor deLeipzig, succédant àJohann Kuhnau, fonction pourtant d'un rang inférieur à celle deKapellmeister qu'il occupait auprès du prince. C'est peu après sa nomination, alors qu'il est encore à Köthen, qu'il compose laPassion selon saint Jean destinée à l'église Saint-Thomas de Leipzig. Cette ville de commerce n'a pas d'orchestre de cour et l'opéra y a fermé ses portes, sa femme doit abandonner sa carrière de cantatrice. Elle l'aide alors dans ses travaux de copie et de transcription[19].
Cantor à Leipzig
Cliché du logement de Bach, au rez-de-chaussée de l'école Saint-Thomas (extrême gauche du bâtiment en façade), pris avant sa démolition en 1902 pour insalubrité[69]. Trois marches mènent à la porte.École et église Saint-Thomas de Leipzig, gravure de Johann Gottfried Krügner, 1723. Remarquez que le bâtiment de l'école ne comporte que deux étages à cette époque.Église Saint-Thomas de Leipzig en 1749.Statue de J.-S. Bach àLeipzig, inaugurée en 1908.
ÀLeipzig, le poste deJohann Kuhnau, leThomaskantor de l'église luthérienne saint Thomas, est à pourvoir. La place ayant été précédemment refusée parGeorg Philipp Telemann, le conseil tente de débaucher d'autres compositeurs :Christoph Graupner[70] décline l'offre (son précédent employeur, lelandgrave Ernst Ludwig de Hesse-Darmstadt, refuse de lui rendre sa liberté et augmente ses émoluments) ainsi queGeorg Friedrich Kauffmann (employé àMersebourg),Johann Heinrich Rolle (employé àMagdebourg), et Georg Balthasar Schott (employé à la Nouvelle Église de Leipzig). Le Docteur Platz, membre du conseil, révèle dans sa correspondance les raisons du choix qu'ils se résolvent à faire[71] :« Pour des raisons importantes, la situation est délicate et puisque l'on ne peut avoir les meilleurs, il faut donc prendre les médiocres. » Bach est choisi le[72] et signe son contrat en quatorze clauses le[73].
À l'époque, Leipzig, avec ses 30 000 habitants, est la deuxième ville de Saxe. Elle est le siège de foires commerciales réputées, un centre d'édition reconnu et s'enorgueillit d'uneuniversité renommée[73] qui dut compter dans le choix que fit Bach de venir s'installer dans la ville. La possibilité que ses fils y étudient entre en effet dans les projets du futur Cantor.
La famille Bach s'installe àLeipzig le et y séjourne jusqu'à sa mort en 1750. En qualité deThomaskantor etDirector Musices, il est responsable de l'organisation musicale des deux églises principales de la ville (Saint-Nicolas etSaint-Thomas) et enseigne la musique aux élèves de Saint-Thomas. Il doit ainsi fournir de très nombreuses partitions et constitue selon saNécrologie[74] un ensemble de« Cinq années de cantates pour tous les dimanches et jours de fête » (rassemblant des cantates datant de Weimar et de nombreuses nouvelles œuvres composées essentiellement avant 1729), sans compter leMagnificat (Noël 1723), les Passions (1724 et 1727), et autres œuvres… De ces trois cents cantates supposées et probables, un tiers environ a malheureusement été perdu. Il n'y a qu'une seule répétition pour les cantates, mais le Cantor bénéficie de solistes instrumentaux brillants (les trompettistes) ou d'excellent niveau, solistes de passage et étudiants duCollegium Musicum. Les chœurs, dont on ne connaît pas l'effectif exact, sont apparemment capables de chanter des parties difficiles après la formation que Bach leur a dispensée. Il se heurte souvent à la jalousie de ses confrères qui forcent notamment les élèves à boycotter ses leçons de musique. Il eut sans cesse des rapports tendus avec les autorités civiles et religieuses de la ville, ce qui le poussa plusieurs fois, mais sans résultat, à chercher une meilleure situation ailleurs.
Le, Bach se vit accorder le titre honorifique decompositeur de la Chapelle royale de la cour de Saxe[75], sans toutefois que cela s'accompagnât d'un salaire. À cette occasion, il se fit entendre sur le nouvel orgueSilbermann de laFrauenkirche àDresde.
Il mène une vie riche en connaissances, constituant une bibliothèque spécialisée enbibliologie,théologie etmystique. Sa femmeAnna Magdalena l'aide, beaucoup et remarquablement, dans sa fonction de Cantor en recopiant toutes ses partitions.
Sa fonction de responsable duCollegium Musicum (de 1729 à 1737, puis — après l'intérim de son élèveCarl Gotthelf Gerlach — de 1739 à vraisemblablement 1744) lui permet d'organiser des représentations musicales auCafé Zimmermann pour des amateurs de musique. Il ne manque pas une occasion d'aller à l'opéra de Dresde où son filsWilhelm Friedemann est organiste. C'est à Leipzig qu'il compose la majorité de ses œuvres sacrées.
Les dix dernières années de sa vie, renonçant aux activités attachées à la fonction de Cantor, Bach limite sa production essentiellement à la musique instrumentale. En 1747, il intègre laCorrespondierende Societät der musicalischen Wissenschaften fondée parLorenz Christoph Mizler pour laquelle il dut fournir chaque année une communication scientifique dans le domaine musical (une composition dans le cas de Bach) ainsi que son portrait à l'huile, celui d'Elias Gottlob Haussmann présenté en haut de l'article. C'est pour cette société qu'il compose et fait publier lesVariations canoniques (1747),l'Offrande musicale (1748) et il est probable quel'Art de la fugue devait être la contribution de l'année suivante[79]. Il est dans cette phase de sa vie, où, comme le ditJohann Nikolaus Forkel,« il ne pouvait toucher une plume sans produire un chef-d'œuvre ». De fait, en 1748-1749, il ajoute trois parties à laMesse en si mineur, pour des raisons non encore élucidées, en composant des parties originales dans leCredo et en recyclant des oeuvres anciennes.
« Dimanche dernier, Monsieur Bach, le célèbre maître de chapelle de Leipzig est arrivé à Potsdam dans le but d'avoir le plaisir d'y entendre la noble musique royale. Le soir, au moment où la musique de chambre ordinaire de la chambre entre dans les appartements du roi, on annonça à Sa Majesté que le maître de chapelle Bach […] attendait la très-gracieuse autorisation d'entendre la musique. Sa Majesté ordonna immédiatement qu'on le laissât entrer et se mit aussitôt à l'instrument nommé forte et piano et eut la bonté de jouer en personne un thème au maître de chapelle Bach, sans la moindre préparation, sur lequel celui-ci dut exécuter une fugue. Le maître de chapelle s'exécuta de manière si heureuse que Sa Majesté eut la bonté de montrer sa satisfaction, et que toutes les personnes présentes restèrent stupéfaites. Monsieur Bach trouva si beau le thème qui lui avait été présenté qu'il veut porter sur papier une véritable fugue et la faire ensuite graver sur cuivre. »
— Berlinische Nachrichten (« Nouvelles de Berlin »), Berlin, 11 mai 1747[81].
Il commence à perdre la vue en 1745, et bientôt ne peut plus travailler. Au printemps 1750, il confie par deux fois ses yeux àJohn Taylor, un « ophtalmiatre » réputé, qui ne lui permit pas de recouvrer la vue, sinon par intermittence. Deux ans plus tard, le même John Taylor opèreHaendel avec le même résultat. Affaibli par ces opérations de la cataracte, Bach ne survit pas plus de six mois. Le, il recouvre soudainement la vue, mais quelques heures plus tard est victime d'une attaque d'apoplexie. Il meurt le, en début de soirée.Anna Magdalena lui survit dix ans, vivant précairement de subsides de la municipalité.
En octobre 1894, l'église Saint-Jean est démolie et reconstruite; on tente alors de retrouver la sépulture de Bach. Selon la tradition orale de cette époque, la tombe de Bach se trouve « à six pas tout droit de la porte du côté sud de l'église, enterré dans un cercueil en chêne[83] ». Cette tradition orale provient d'un homme de 75 ans en 1894, lui-même informé par un employé du cimetière, mort à 90 ans[82].
On exhume alors des ossements d'un cercueil en chêne placé approximativement à l'endroit décrit et à une profondeur de 2.65m, d'un homme de 65 ans, présentant des caractéristiques de l'os temporal témoignant d'un sens de l'audition particulièrement développé, selon les analyses médicales de l'époque effectuées par le médecinWilhelm His[82]. Unereconstruction faciale est aussi effectuée, semblant concorder avec les portraits de Bach[82].
Ces ossements sont inhumés le 16 juillet 1900 dans une crypte sous l'autel de l'église reconstruite[84], aux côtés du moralisteChristian Fürchtegott Gellert.
Après l'incendie de la nouvelle église Saint-Jean lors dubombardement de Leipzig le 4 décembre 1943(en), l'administration municipale fait démolir les ruines de la nef en 1949 et enlève les décombres. Il s'est avéré que le cercueil de Bach était intact. Les ossements présumés de Bach ont été transférés le 28 juillet 1949, selon la tradition avec une charrette à bras[85], à l'église Saint-Thomas de Leipzig où il repose toujours aujourd'hui.
Les ossements ne sont toujours pas authentifiés avec certitude, les autorités de Saint-Thomas refusant une étude ADN comparative avec les fils de Bach, dont les corps sont authentifiés[82].
Bach eut vingt enfants de ses deux mariages successifs. Dix mourront à la naissance ou en bas âge, quatre deviendront compositeurs à leur tour :Wilhelm Friedemann,Carl Philipp Emanuel,Johann Christoph Friedrich etJohann Christian. Ils suivront des chemins différents, que Bach voulut prédire en disant de la musique de Carl Philipp Emmanuel :« C'est dubleu de Prusse, ça se décolore[86] », ou de celle de Christian :« Mon Christian est un gamin fort sot et c'est pour cette raison qu'il aura du succès dans le monde[86]. »
Les quatre fils se lancent vite sur la voie du courant pré-classique qui prend alors le pas sur le Baroque.
Johanna Carolina (baptisée àLeipzig le 30 octobre 1737 - morte àLeipzig le 18 août 1781),
Regina Susanna (baptisée àLeipzig le 22 février 1742 - morte àLeipzig le 14 décembre 1809).
Personnalité religieuse
Contrairement à beaucoup de compositeurs et artistes, Bach ne recherchait pas une reconnaissance humaine ni sa propre gloire, mais surtout celle de Dieu. Pratiquement toute son œuvre lui était consacrée, en témoignent ses nombreux manuscrits qui se terminent par les initiales S.D.G. (pourSoli Deo Gloria : À Dieu seul la gloire)[87],[88]. Selon lemusicologue françaisGilles Cantagrel, même les compositions dites « profanes » de Bach sont empreintes de références chrétiennes, exprimant parfois « le mystère de laRédemption sur la Croix »[89]. En marge de sa Bible, le compositeur a écrit cette note[90] : « Bey einer andächtigen Musiq ist allezeit Gott mit seiner Gnaden Gegenwart » (Dans une musique recueillie, Dieu est toujours présent avec sa grâce).
Héritage musical
Effacement brutal
Avec Jean-Sébastien Bach, lamusique baroque atteint à la fois son apogée et son aboutissement. Dès sa disparition, le musicien, déjà relativement peu connu de son vivant, est quasiment oublié parce que passé de mode, et dépassé par les nouvelles idées du classicisme, tout comme lecontrepoint qu'il a porté à une perfection inégalée.
Le corpus des œuvres de Bach, très largement non publié, passe à ses fils. La part d'héritage que Carl Phillip Emanuel reçoit est conservée avec ferveur, et après sa mort passe en d'aussi illustres mains que celles de la princesseAnne Amélie de Prusse,Carl Friedrich Zelter,Felix Mendelssohn,Georg Pölchau. Celle de Wilhelm Friedemann est en revanche dispersée (le fruit de la générosité duBach de Halle, mais aussi celui de sa gêne financière).
Bach est alors passé de mode. De son vivant, il semble qu'il fut surtout considéré comme un virtuose du clavier, (notamment un grand organiste), un improvisateur savant et inspiré, ainsi qu'un excellent autodidacte de l'écriture musicale. Mais comme compositeur, il était méconnu.
Manuscrit duRicercare a 6, BWV 1079, extrait de l'Offrande musicale, conservé à Berlin.
En tant que diplomate, le baronGottfried van Swieten se rend à Berlin en 1770 et fréquente la cour deFrédéric II ; au travers de l'enseignement qu'il reçoit de Marpurg et Kirnberger, il découvre et s'intéresse à Carl Phillip Emanuel.
« Entre autres choses, [Frédéric II] me parle de la musique et d'un grand organiste nommé [Carl Phillip Emanuel] Bach, resté pendant un certain temps à Berlin. Cet artiste est doté d'immenses talents, supérieurs à ce que j'ai jamais entendu ou imaginé, pour ce qui est de la profondeur de la connaissance de l'harmonie et de la puissance de l'interprétation. Néanmoins, ceux qui ont connu son père pensent que son fils ne l'égale pas ; le roi s'accorde avec ce jugement et, pour le prouver, une personne chante pour moi [le thème d’] une fugue chromatique qu'il avait donné au vieux Bach et sur laquelle devant lui il avait improvisé une fugueà 3, puisà 4 et enfin à 5 voix. »
Par la suite, Frédéric II lui ayant demandé d'improviser une fugue à 6 voix, Bach répondit qu'une telle improvisation était impossible… Mais en revanche, il l'écrivit et l'envoya au souverain ; cet ensemble de fugues est connue sous le nom del'Offrande musicale (Musikalisches Opfer).
L'Offrande musicale de Bach au roi-musicien Frédéric II
Concert de flûte de Frédéric le Grand au château de Sanssouci (Frédéric II de Prusse, 1712-1786. Tableau de 1852parAdolph von Menzel).Carl Philipp Emanuel Bach est au clavecin. Sont-ils en train de jouerl’Offrande Musicale du « Vieux Bach » ? C'est peu probable, car le roi Frédéric composait lui aussi des sonates pour flûte et jouait souvent ses propres compositions, dans l'heure précédant le dîner, à ses parents, amis et serviteurs. Mais rien n’interditde le rêver, car CPE Bach, comme d’ailleurs le souverain lui-même, en possédaient la partition et l'aimaient beaucoup.De plus, cette image est utilisée comme couverture du livret du disque deJordi Savall proposant justement cette œuvre :Das Musikalische Opfer (BWV 1079),« un thème [et un cadeau] véritablement royal » selonGilles Cantagrel[91].
Wolfgang Amadeus Mozart lui-même ne faisait pas exception à cet oubli, jusqu'en 1782 (il a alors 26 ans) où les rencontres musicales organisées par le baronGottfried van Swieten lui font découvrir une partie de l'œuvre de Bach et lesoratorios de Haendel. En 1787, il découvre un motet et s'exclame[92] :« Pour la première fois de ma vie j'apprends quelque chose. » Mozart assimila cet immense héritage, son écriture en fut changée, et les connaissances acquises se retrouvent dans son œuvre. On pense notamment auRequiem, à la symphonie « Jupiter » (la41e), dont le quatrième mouvement est une combinaison deforme sonate et defugue à cinq voix écrite encontrepoint renversable ou à certains passages deLa Flûte enchantée.
Ludwig van Beethoven connaissait bien l'œuvre pour clavier[93] de Bach et, jeune, il en jouait une grande partie par cœur. Il a pris exemple sur lesVariations Goldberg pour composer ses trente-troisVariations Diabelli pour piano. Vers la fin de sa vie, Beethoven étudia aussi la grandeMesse en si mineur. Il s'inspira ensuite de l'art du contrepoint de Bach pour composer saMissa Solemnis, qu'il considérait comme sa plus grande œuvre.
Cette renaissance est favorisée par deux tendances dominantes de l'époque : leMouvement national-allemand et le mouvementromantique, intimement liés[95]. En témoigne déjà le sous-titre de l'ouvrage de Forkel (1802) où figurent : « patriotiques » et « véritable » art musical[95], en opposition à l'art italien…
Grand retour
Depuis, son œuvre reste une référence incontournable pour l'ensemble de la musique occidentale. Il semble même que l'enthousiasme gagne l'Asie, et particulièrement le Japon. Voici quelques exemples de cette vénération dont jouit la musique de Bach depuis leXIXe siècle jusqu'à nos jours :
Le chef d'orchestre,Wilhelm Furtwängler, dont le nom est pourtant souvent associé à celui deBeethoven, déclare à la fin de sa vie[96] :
« Aujourd'hui comme autrefois, Bach est le saint qui trône, inaccessible, au-dessus des nuages. [...] Bach fut le plus grand des musiciens, l'Homère de la musique, dont la lumière resplendit au ciel de l'Europe musicale et, qu'en un sens, nous n'avons toujours pas dépassé. »
Une autre citation célèbre — quasiment uneboutade à l'humourparadoxal — renverse la perspective de la religiosité de Bach et de sa fameuse signatureluthérienneSoliDeoGloria (« à Dieu seul la gloire ») : ce faisant, elle souligne le génie créateur du compositeur, et la profondeur (nonobstant la complexité) de sa musique ; elle réaffirme ainsi la dimensionspirituelle et l'impressionmétaphysiquesensible, palpable et commeincarnée qu'inspire jusqu'au mystère pour son auditeur l'écoute, et pour les musiciens l'interprétation de la musique de Bach qui rendrait presque concrets et perceptibles le sens et l'harmonie de l'univers, la présence silencieuse de Dieu :
« Sans Bach, la théologie serait sans objet, la Création : fictive, le néant : péremptoire. S'il y a quelqu'un qui doit tout à Bach, c'est bien Dieu. »[97],[98]
Ainsi Bach aura en effet bienœuvré « pour la seule gloire de Dieu » selon son vœu de toujours, et Cioran l'a comme « retournée à l'envoyeur »...
Le musée Bach de Leipzig. Siège également desarchives du musicien, depuis 1985.
À son tour, la philosopheSimone Weil exprime ainsi l'inspiration profondémentspiritualiste et le vecteur demysticisme qu'offre la musique de Bach :« quand on écoute du Bach ou unemélodie grégorienne, toutes les facultés de l’âme se taisent et se tendent pour appréhender cette chose parfaitement belle, chacune à sa façon. L’intelligence entre autres ; elle n’y trouve rien à affirmer et à nier, mais elle s’en nourrit. La foi ne doit-elle pas être une adhésion de cette espèce ? On dégrade les mystères de la foi en en faisant un objet d’affirmation ou de négation, alors qu’ils doivent être un objet decontemplation »[98].
Le culte dont Bach fait l'objet a pu susciter l'ironie deBerlioz :« On adore Bach, et on croit en lui, sans supposer un instant que sa divinité puisse jamais être mise en question ; un hérétique ferait horreur, il est même défendu d’en parler. Bach, c’est Bach, comme Dieu c’est Dieu. »[99],
Dans lesannées 1930 à Leipzig, une nouvelle approche de la lecture des œuvres de Bach va être initiée parKarl Straube avec des effectifs instrumentaux etchoraux moins imposants que ceux des interprétations duXIXe siècle ; Straube va aussi jouer les œuvres dites théoriques commel'Art de la fugue (avecorchestre toutefois), tout commeHermann Scherchen après lui.
L'aboutissement de ce « renouveau baroque » se retrouve à partir desannées 1950, avec des interprètes tels queJean-François Paillard etMarie-Claire Alain qui, au sein de la jeune firmeErato, vont permettre à un public de masse de goûter à la musique du cantor, d'abord en France, puis en Europe, aux États-Unis, et au Japon. En Allemagne,Karl Richter acquit une audience internationale avec les œuvres religieuses de J.-S. Bach. D'autres musiciens, telGlenn Gould, proposèrent également une autre approche de Bach en mettant l'accent sur la sensibilité, la lisibilité des lignes contrapuntiques et la clarté de l'articulation. Au début des années 1950,Wolfgang Schmieder établit uncatalogue thématique des œuvres de Jean-Sébastien Bach, leBach-Werke-Verzeichnis (Catalogue des œuvres de Bach), désigné couramment par le sigle BWV qui a été mis à jour par une seconde édition en 1990. Dans les années 1960, le renouveaubaroque, avecGustav Leonhardt,Nikolaus Harnoncourt, puisJohn Eliot Gardiner et leurs nombreux disciples, renouvelèrent l'interprétation en proposant de revenir aux effectifs, aux tempi, à l'ornementation d'origine, ainsi qu'aux instruments d'époque et à leur jeu baroque (cordage, archet…).
Ajoutons enfin que cette musique, même revisitée (parJacques Loussier,Wendy Carlos,Keith Jarrett, lesSwingle Singers ouÉdouard Ferlet), transposée, voire utilisée comme standard dejazz, comme elle l'est fréquemment depuis plus de cinquante ans, garde ses propriétés esthétiques et son mystère, comme si la richesse de sa structure rendait le reste accessoire.
Jean-Sébastien Bach et le jazz
La musique de Jean-Sébastien Bach a été transposée dans un registreswing ou improvisé par de nombreux artistes de jazz, deJacques Loussier àKeith Jarrett en passant parÉdouard Ferlet,Marc Matthys,Matt Herskowitz ouEugen Cicero. Dans toutes ces "jazzifications" du répertoire de Jean-Sébastien Bach, on constate souvent une grande liberté dans le choix des tempi.
Pour certains analystes, les morceaux de Jean-Sébastien Bach swinguent déjà naturellement grâce notamment à une ligne de basse toujours bien présente[100]. Lors de l'enregistrement de quatre concertos pour clavier et orchestre parmi les plus célèbres de Jean-Sébastien Bach par le pianisteDavid Fray, alors accompagné par l’Orchestre de Chambre deBrême, on peut l'entendre demander aux musiciens de« swinguer et chanter » avec leur instrument[101]. La notion de swing est en réalité élargie. Le swing pouvant être fortement accentué ou très léger, il finit par être une sorte de repère et est employé pour caractériser une expression musicale que l'on voudrait associer au jazz ou à des éléments du jazz. Lors des interprétations de morceaux de Jean-Sébastien Bach en version jazz, certains démarrent directement avec un swing clair. D’autres réalisent le morceau assez fidèlement aux versions connues avant de basculer dans une interprétation aux couleurs jazz. L'expressivité est un des éléments qui donne cette « couleur jazz » . C'est une manière de traiter le son et de le rendre vivant qui va être présentée comme jazz. L'improvisation va également donner un aspect jazz à ces interprétations bien que ce ne soit pas uniquement l'apanage du jazz. D’après Édouard Ferlet, qui a repris des compositions de Jean-Sébastien Bach en version jazz, deux points principaux rassemblent la musique baroque et le jazz : la technique et l’improvisation :« Techniquement, il est possible de trouver de nombreux points communs entre la musique baroque et le jazz. Originellement, les cadences sont improvisées en musique baroque, comme les ornementations, l’art de la trille. On improvise ensemble, au sein de petites formations, avec une grande capacité d’écoute. Toutes ces notions ont disparu avec l’arrivée de l’ère classique et ses grands orchestres où tout est plus contrôlé dans l’écriture. C’est aussi avec la période classique qu’apparaît le vibrato, alors que dans le répertoire baroque, on recherche un son brut et droit, comme dans le jazz. »[102] En effet, bien avant Jean-Sébastien Bach, les musiciens improvisaient sur une basse continue, ce qui préfigure en quelque sorte la grille d’harmonie des musiciens de jazz.
Certains voient dans la musique de Jean-Sébastien Bach un caractère dansant, une puissance mélodique et une charpente harmonique qui s’adaptent particulièrement bien à l’univers du jazz[103]. Un élément qui pourrait expliquer le succès du répertoire de Jean-Sébastien Bach auprès des musiciens de jazz est la musicalité de celui-ci. Ses compositions sont souvent très riches et claires harmoniquement. Elles transportent l’auditeur vers une sensation de liberté souvent chère au jazzman. Pour Jean-Christian Michel,« La richesse du contrepoint se prête admirablement bien à une interprétation en 4/4 et l'accentuation des temps faibles (2e et 4e) galvanisent la pulsation. Écoutez, vous verrez que la musique de Jean-Sébastien BACH, adaptée en Jazz, ne trahit pas l'esprit du compositeur : La musique de Jean-Sébastien BACH recèle des trésors de modernité et de swing ! »[104]. PourJean-Frédéric Neuburger, la base harmonique est simple chez Jean-Sébastien Bach, c’est« la base idéale pour faire un tube. On peut facilement ajouter des instruments, un solo de saxophone... »[105]. C'est d'ailleurs bien ce qu'avait réalisé Charles Gounod avec l'Ave Maria en improvisant au piano au-dessus du très célèbrepremier prélude du premier livre duClavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach.
Le mérite de tous ces artistes est d’avoir su construire des passerelles entre deux mondes souvent bien distincts, pour le public comme pour les musiciens[102].« J’aime jouer avec Bach » disait Jacques Loussier. Il est l’un des premiers a opérer un telcrossover et sonTrio Play Bach propulse véritablement sa carrière, l’amenant à reprendre d’autres grands thèmes de célèbres compositeurs. Il n'y a pas que les pianistes qui se plaisent à reprendre du Jean-Sébastien Bach.Django Reinhardt, lui aussi, rend hommage au compositeur, reprenant le premier mouvement duConcerto en ré mineur dans un swing manouche énergique avec une improvisation du violoniste[106]. Côté vocal, des chanteurs jazz s'amusent à reprendre le répertoire de Jean-Sébastien Bach en versionscatée (jazz vocal).Bobby McFerrin conseille d'ailleurs cette pratique aux chanteurs pour travailler l'intonation et en fait régulièrement la démonstration[107]. LesSwingle Singers, groupe vocal, sont aussi connus pour leurs arrangements en scat d'airs instrumentaux classiques et de Jean-Sébastien Bach.
Bien sûr les liens, influences et échanges musicaux ont toujours eu lieu. La musique jazz n’aurait d’ailleurs pas pu exister sans l’héritage musical européen. Cette réalité historique de l’interdépendance culturelle entre blancs et noirs est toujours source d’inspiration. C’est ce qui a poussé le saxophoniste françaisRaphaël Imbert à faire« découvrir les liens qui unissent Jean-Sébastien Bach et John Coltrane. Un sacré défi qui fait finalement davantage appel à l’improvisation qu’à la spiritualité. Oser une telle fusion entre deux mondes dits antagonistes n’est pas qu’un exercice de style. C’est l’affirmation que le dialogue, entre deux idiomes musicaux, est possible et souhaitable à une époque où les divisions l’emportent sur la concorde »[108], d’après Joe Farmer.
Pour rapprocher la musique baroque de Bach et le jazz, on peut également envisager l’aspect religieux. Selon Jean-Frédéric Neuburger,« Le style de Bach, qui réunit les influences baroques de son temps, vient de sa foi. Tout comme, aux origines, le jazz chante la foi des musiciens noirs duXIXe siècle. »[105]. Cet aspect plus philosophique pourrait même nous faire dire que c’est l’objectif de composition qui rapproche Jean-Sébastien Bach et le jazz. Jean-Sébastien Bach,« C'est l'art d'utiliser les tonalités, d'inventer des variations sur une mélodie donnée »[105], selon Jean-Marie Bellec, professeur de jazz au conservatoire de Nantes. Cette définition de la musique du compositeur pourrait aussi convenir pour caractériser la musique jazz.
En 1950, le musicologue allemandWolfgang Schmieder publie un catalogue des compositions de Jean-Sébastien Bach, leBach-Werke-Verzeichnis « BWV » (catalogue des œuvres de Bach) reprenant diverses publications notamment issues de laBach-Gesellschaft-Ausgabe (les éditions de la société Bach) depuis 1850. Les œuvres, au nombre de 1080 lors de la première édition, sont classées par genre et non par ordre chronologique, c'est uncatalogue thématique composé de 14 sections :
Chaque œuvre reçoit un numéro unique, précédé de l'abréviationBWV, qui permet une identification sans ambiguïté et de situer sa place dans l'œuvre globale de Bach. Ce système de classification a été adopté dans le monde entier, devenant la référence pour les interprètes, les musicologues et les éditeurs.
Une deuxième édition est publiée en 1990, une troisième en 1998 et une quatrième en 2024[116].
Friedemann Bach, le musicien errant. Réal. : Traugott Müller, Allemagne, 1941. Film qui évoque le thème du fils prodigue et de sa disgrâce. On y voit Johann Sebastian Bach donner une leçon à ses élèves.
Johann Sebastian Bach, the Cantor of Saint Thomas's. Réal. : Colin Nears, Grande-Bretagne, 1985.
Mein Name ist Bach, Dominique de Rivaz. : Une fiction qui s'inspire d'un fait divers historique. Mai 1747: Bach part à Potsdam pour le baptême de son petit-fils. Et passe une semaine à la cour du roi Frédéric II de Prusse. Film présenté au festival de Locarno en 2003.
Le Silence avant Bach (Die Stille vor Bach). Réal. :Pere Portabella, Espagne, 2007. Méditation sur le temps, l'art et la culture autour de la figure et de l'œuvre de Johann Sebastian Bach.
↑Basso 1984, Composées en mars 1714, lorsqu'il est nommékonzertmeister et décembre 1716, seize sur les trente-trois nous sont parvenues dans leur version originale et sont presque toutes reprises à Leipzig la décennie suivante).,p. 406–407.
↑En 1730 Bach résume ainsi son passage à Köthen :« Je trouvai là-bas un prince favorable, aimant autant que connaissant la musique et je pensais y terminer mes jours. Mais il advint que ladite altesse sérénissime épousa une princesse de Bernburg, et il apparut alors que l'inclination dudit prince pour la musique tiédissait, d'autant plus que la princesse semblait être uneamusa [une ignorante] ».Cantagrel 1982,p. 125 (documentno 120).
↑(Lire en ligne), entretien avec G. Leonhardt sur J.-S. Bach évoquant sa rencontre avec Straub : «... enfin un réalisateur qui avait la même approche de Bach et le même respect que moi. »
(de)Bibliographie systématique de la Bach-Archiv Leipzig sur www.bacharchivleipzig.de – Organisée en neuf zones et sous-sections, elle permet de rechercher thématiquement les ouvrages, articles et documents en quelques clics.