Il est également linguiste et traducteur, et ses traductions des œuvres grecques et latines des premierspères de l'Église ont joué un rôle important dans le développement duchristianisme en Angleterre. En1899, Bède est proclamédocteur de l'Église par le papeLéon XIII ; il est le premier natif de Grande-Bretagne à avoir été ainsi honoré.
L'essentiel des faits connus de la vie de Bède proviennent du dernier chapitre de sonHistoria Ecclesiastica, une histoire de l'Église en Angleterre, achevée vers 731[2]. Une source d'information mineure est la lettre de son disciple Cuthbert (probablement l'abbé ultérieur deWearmouth-Jarrow ainsi nommé) où celui-ci rapporte la mort de Bède[3].
Dans sonHistoria, Bède laisse entendre qu'il se trouve dans sa cinquante-neuvième année lorsqu'il termine son ouvrage, ce qui situerait sa date de naissance vers 672-673[4],[5],[6]. Il indique être né« sur les terres de ce monastère[7] », allusion aux monastères jumelés de Wearmouth et deJarrow[8], situés respectivement près des villes modernes deSunderland etNewcastle upon Tyne. Chacun des deux monastères a été proposé comme lieu de naissance de Bède, et il existe également une tradition voulant qu'il soit né àMonkton, à quelques kilomètres de l'abbaye de Wearmouth-Jarrow[4].
Bède ne dit rien de ses origines, mais ses liens avec des hommes d'ascendance noble laissent à penser qu'il est lui-même issu d'une famille aisée[9]. Le premier abbé de Bède estBenoît Biscop et les noms de « Biscop » et de « Beda » apparaissent tous les deux dans une liste royale desrois de Lindsey datant environ de 800, ce qui suggère même qu'il était issu d'une famille noble[6].
« Bède » est un nom rare : il n'apparaît que deux fois dans la liste de prêtres incluse dans leLiber Vitae de lacathédrale de Durham, et l'un d'eux est probablement Bède le Vénérable lui-même. Il existe aussi unBieda, mentionné dans l'entrée de laChronique anglo-saxonne pour l'année 501, mais ce sont les deux seules mentions du prénom que l'on trouve dans des manuscrits[10],[11]. Ce nom provient probablement duvieil anglaisbēd, c'est-à-dire « prière », et s'il s'agit du nom de naissance de Bède, alors cela implique que sa famille a dès le début envisagé d'en faire un membre du clergé[10].
À l'âge de sept ans, Bède est envoyé au monastère de Wearmouth par sa famille pour recevoir l'enseignement de Benoît Biscop, puis deCeolfrith[12]. Bède ne dit pas s'il avait déjà l'intention de se faire moine à ce moment-là[13]. À l'époque, il est assez fréquent en Irlande que les jeunes garçons, notamment ceux de noble extraction, soient éduqués loin de leurs parents ; la même pratique est sans doute répandue chez les peuples germaniques d'Angleterre[14]. L'abbaye de Jarrow, jumelle de Wearmouth, est fondée par Ceolfrith en 682, et Bède l'y suit probablement la même année[15]. Quatre ans plus tard, en 686, la peste éclate à Jarrow. LaVie de Ceolfrith, écrite vers 710, rapporte que seuls deux moines capables de chanter la messe y survivent : Ceolfrith lui-même et un jeune garçon[15], vraisemblablement Bède lui-même, qui devait avoir quatorze ans à cette date[12].
Bède est âgé d'environ dix-sept ans lorsqueAdomnan, l'abbé d'Iona, visite Wearmouth et Jarrow. Bède l'a probablement rencontré à cette occasion, et il est possible qu'Adomnan ait éveillé l'intérêt du jeune homme pour la controverse portant sur la date de Pâques[16]. Vers 692, Bède, âgé de dix-neuf ans, est ordonnédiacre par son évêque diocésain,Jean,évêque de Hexham. L'âge canonique pour l'ordination au diaconat est de 25 ans ; le fait que Bède ait été ordonné plus tôt peut impliquer qu'il est considéré comme doté de qualités exceptionnelles[14], mais il est également possible que cet âge minimum théorique ne soit pas systématiquement respecté[17],ou encore que des moines aient dû être nommés à de hautes responsabilités de manière précoce pour remplir les fonctions vacantes dues aux morts de la peste[réf. souhaitée]. Il se peut qu'il ait reçu d'éventuels ordres mineurs inférieurs au diaconat, mais aucun document ne nous permet de le savoir[18]. À trente ans, vers 702, il devient prêtre, ordonné à nouveau par l'évêque Jean.
Vers 701, Bède rédige ses premières œuvres, leDe Arte Metrica et leDe Schematibus et Tropis, toutes deux destinées à servir de support d'enseignement[17]. Il continue à écrire jusqu'à sa mort, produisant plus de 60 livres dont la plupart ont survécu. Tous ne sont pas aisés à dater, et certains ont peut-être été rédigés sur une période de plusieurs années[6],[17]. Son dernier texte connu est une lettre àEgbert d'York, un de ses anciens étudiants, écrite en 734[17].
Il subsiste un manuscrit grec et latin desActes des Apôtres duVIe siècle, leCodex Laudianus, dont on estime que Bède s'est servi ; il est conservé à laBibliothèque bodléienne[19],[20]. Bède a probablement travaillé sur une des bibles latines qui ont été copiés à Jarrow, et dont l'une leCodex Amiatinus[21] est actuellement conservée à laBibliothèque Laurentienne deFlorence[15]. Bède est un enseignant aussi bien qu'un écrivain[22] ; il aime la musique, et il est dit exceller dans le chant et la déclamation de poésie en langue vulgaire[17]. Il est possible qu'il ait souffert d'un défaut de prononciation, mais cette hypothèse repose sur l'interprétation incertaine d'un passage de l'introduction de sa vie en vers de saint Cuthbert :« per linguae curationem » peut vouloir dire qu'il a été guéri d'un défaut de prononciation, ou simplement qu'il a été inspiré par les œuvres du saint[23],[24].
En 708, Bède est accusé d'hérésie par des moines de l'abbaye de Hexham pour son ouvrageDe Temporibus[25]. À l'époque prévaut la théorie dessix âges du monde, mais Bède, plutôt que d'accepter l'autorité d'Isidore de Séville, calcule de son côté l'âge du monde et estime que le Christ est né 3 952 ans après la création du monde, alors que les théologiens de l'époque s'accordent sur un nombre d'années supérieur à 5 000[26]. Cette accusation est faite devant l'évêque de HexhamWilfrid au cours d'un banquet par des moines ivres. Wilfrid n'y répond pas, mais un moine présent lors des faits rapporte l'affaire à Bède, qui lui répond quelques jours plus tard par une lettre où il présente sa défense, en demandant qu'elle soit également lue à Wilfrid[25]. Bède a maille à partir une autre fois avec Wilfrid, car l'historien lui-même affirme l'avoir rencontré une fois entre 706 et 709. Les deux hommes parlent d'Æthelthryth, abbesse d'Ely, à l'exhumation du corps de laquelle Wilfrid a assisté en 695. Bède interroge l'évêque sur l'état exact du corps et demande plus de détails sur la vie de la défunte, dont Wilfrid avait été le conseiller[27].
En 733, Bède se rend à York pour rendre visite à l'évêque Egbert. Comme le siège d'York est élevé au rang d'archevêché en 735, il est probable que les deux hommes aient débattu de ce sujet lors de la visite de Bède[28]. Il se rend également au monastère de Lindisfarne, et, à une date inconnue, rend visite à un moine nomméWicthed dans un monastère autrement inconnu, visite dont fait mention une lettre à ce moine. Les lettres envoyées par Bède à des correspondants dans toute la Grande-Bretagne, dont plusieurs laissent entendre que Bède les a rencontrés, permettent de supposer que Bède a également voyagé en d'autres endroits, sans que l'on puisse deviner où ni quand[29]. Néanmoins, il semble certain qu'il ne s'est jamais rendu à Rome, car un tel voyage aurait certainement été mentionné dans le chapitre autobiographique de sonHistoria Ecclesiastica[30].
Bède espère pouvoir rendre à nouveau visite à Egbert en 734, mais la maladie l'empêche de faire le voyage[28]. Il meurt dans la nuit du mercredi au jeudi (certainement après le coucher du soleil, et peut-être avant minuit ; mais le jour liturgique commence toujours au coucher du soleil et pas à minuit), jour de l'Ascension, et est enterré à Jarrow[6]. Une lettre écrite par Cuthbert, un disciple de Bède, à un certain Cuthwin, relate les derniers jours de Bède. D'après lui, Bède tombe malade avant Pâques, et le mardi avant l'Ascension, son état s'aggrave rapidement. Toutefois, il continue à dicter à un scribe, reste éveillé toute la nuit pour prier et continue à dicter le lendemain. À trois heures, il demande qu'on lui apporte une boîte et distribue aux moines du monastère« quelques trésors » :« un peu de poivre, des napperons et un peu d'encens ». Plus tard, il dicte une dernière phrase à son scribe, un jeune garçon du nom de Wilberht, et meurt peu après[31].
Note étrange dans ses écrits, une de ses œuvres, leCommentaire des Sept épîtres catholiques, donne l'impression qu'il était marié[34]. L'article en question est le seul rédigé à la première personne, et nous lisons :« Les prières sont entravées par ledevoir conjugal du fait que chaque fois que j'accomplis ce qui est dû à ma femme je ne suis pas en état de prier[35]. » Un autre passage, dans leCommentaire sur Luc, mentionne aussi une femme à la première personne :« Autrefois je possédais une femme avec un désir concupiscent et passionné, et maintenant je la possède dans la sanctification honorable et le véritable amour du Christ[35]. » L'historienne Benedicta Ward soutient qu'il s'agit d'un artifice rhétorique de la part de Bède[35], mais un autre historien, N. J. Higham, n'arrive pas à fournir d'explication pour ces passages[34].
Si Bède est aujourd'hui principalement connu en tant qu'historien, de son temps, ses travaux sur la grammaire, la chronologie et les études bibliques avaient autant d'importance que ses œuvres historiques et hagiographiques.
Sa bibliothèque à Wearmouth-Jarrow compte peut-être entre 300 et 500 livres, ce qui en ferait une des plus grandes en Angleterre. Il est manifeste queBiscop a fait de grands efforts pour recueillir des livres au cours de ses six voyages à Rome, dont Bède a pu faire usage[36].
Prenant acte de l'évangélisation — récente — de son peuple, Bède rédige uneHistoire en latin(Historia ecclesiastica gentis Anglorum) dans laquelle il décrit à la fois la naissance de cette Église et la naissance du peuple anglais (à travers sa foi orthodoxe), dans une perspective chrétienne qui est celle du salut : païens partis d'un bout du monde, les Anglais vont retourner enGermanie pour évangéliser les leurs.[réf. nécessaire]
Bède est donc le témoin de la naissance d'une véritable Église anglo-saxonne sur l'île de Bretagne. Cette Église, reconnue parRome et soutenue par le siège apostolique face à l'Église écossaise, surtout depuis lesynode deWhitby en664, est devenue au temps de Bède une pépinière demissionnaires qui partent sur le continent[réf. nécessaire] pour évangéliser lesFrisons et lesSaxons. Bède fut en particulier un ami de saintAccas.
Maillon entre l’historiographieaugustinienne, l’érudition d’Isidore de Séville et l’œuvre d’Othon de Freising, il intéresse doublement l’historien, comme source d’abord, mais aussi comme lointain confrère. Car chez lui, l’histoire n’est pas qu’hagiographie : à l’école d’Eusèbe de Césarée, prototype de l’historiographe chrétien, il recherche l’unité politique de la nouvelle Jérusalem anglo-saxonne et pour cela, se livre à une remise en ordre d’un passé fondateur. Œuvre méritoire à l'image de celle deGrégoire de Tours, c'est le premier essai d'histoire nationale anglaise qui s'étend de l'an 60 avant J.C jusqu'à l'année 731[37]. Tel est l’objet de sonHistoire ecclésiastique du peuple anglais, destin d’une île, d’un peuple et d’une foi, de la conquêteromaine à lachristianisation.
Son style contraste avec les raffinements très à la mode desIrlandais, riche ennéologismes et en ornements de toute nature.[réf. nécessaire] Chez lui tout est esprit de synthèse, de clarté et de fluidité, bien qu’il manie l’allégorie et qu’il ait le goût du symbole. Marqué par les écrits patristiques, son œuvre semble délibérément impersonnelle, exception faite de sonHistoire ecclésiastique, écrite tardivement.[réf. nécessaire] Nombre de ses ouvrages ont été transcris parHarduin de Fontenelle[38].
Les historiens modernes ont réalisé de nombreuses études sur les œuvres de Bède. Les commentaires scripturaires de Bède font usage de la méthode d'interprétation allégorique[39] et son histoire comprend des récits de miracles qui, pour les historiens modernes, semblent contredire sa façon critique d'aborder les données dans son histoire. Les études modernes ont montré le rôle important que de tels concepts ont joué dans la vision du monde des premiers érudits du Moyen Âge[40].
Sa vie et ses travaux sont célébrés par une série de conférences scientifiques qui se tiennent chaque année dans l'église Saint-Paul de Jarrow depuis 1958[41]. L'historienWalter Goffart dit de lui qu'il« occupe une place privilégiée et sans égale parmi les premiers historiens de l'Europe chrétienne[42] ».
En science, Bède se penche en particulier sur l’étude de la mesure du temps. Il continue la tradition ducomput, science de la datation et du calcul de la date desfêtesmobiles, commePâques, dans lareligion chrétienne. Dans son comput[réf. nécessaire], Bède détaille deux types decalendriers qu'il est le premier enOccident à présenter, et introduit pour la première fois le système de datation prenant comme référence la naissance duChrist à partir des calculs deDenys le Petit.
La table de Pâques de Bède doit sa structure métonique raffinée aux efforts mentaux de ses prédécesseurs computistiques, commeAnatolius (vers AD 260)[44],Théophile (vers AD 390)[45],Annianus (vers AD 412)[46],Cyrille (vers AD 430)[47], etDenys le Petit[48]. En comparant la table pascale de Denys le Petit avec la table de Pâques de Bède, on voit que la seconde est une extension exacte de la première[49].
La botanique, inspirée dePline l'Ancien , tient une place importante. On y trouve aussi un petit traitéDe minutione sanguinis (De la saignée), où sont indiqués les veines qu'il faut saigner lors de différentes affections, et les jours favorables ou défavorables à la saignée selon un calendrier lunaire[37].
Bède est également l'auteur de nombreux poèmes et lettres.
Les éditions imprimées anciennes de l'œuvre de Bède sont Strasbourg (1475-1478), Paris (1544), Anvers (1550), Bâle (1563), Heidelberg (1587), Cologne (1612 et 1688). L'édition la plus complète est celle de Giles à Londres, en 12 volumes (1843-1844). Une édition critique, en 2 volumes, a été faite par Plummer, à Oxford (1896).
L'Histoire ecclésiastique du peuple anglais (H.E.), de nos jours l'œuvre la plus connue de Bède, a été traduite en français et est disponible en trois éditions différentes :
Bède le Vénérable,Histoire ecclésiastique du peuple anglais (les 5 livres de l’H.E. en un seul volume), trad. du latin et présenté par Philippe Delaveau, coll. "L'aube des peuples", Gallimard, 1995.(ISBN2-07-073015-8)
Bède le Vénérable,Histoire ecclésiastique du peuple anglais, 2 tomes (comportant les 5 livres de l’H.E.), trad., prés. & notes par Olivier Szerwiniack, Florence Bourgne, Jacques Elfassi, Mathieu Lescuyer et Agnès Molinier. La Roue à livres. Paris : Belles Lettres, 1999.2e tirage 2004, avec beaucoup de notes,(ISBN2-251-33935-3).
Bède le Vénérable,Histoire ecclésiastique du peuple anglais, 3 tomes (comportant les 5 livres de l’H.E.), intro. et notes par André Crépin, texte critique par Michael Lapidge, trad. par Pierre Monat et Philippe Robin, coll. "Sources chrétiennes", n° 489, 490, 491. Paris : Cerf, 2005. En latin et en français.Editions du Cerf
En anglais :
Bède le Vénérable,Bede's Ecclesiastical History of the English People, éd. Bertram Colgrave et R. A. B. Mynors, Clarendon Press, Oxford, 1969(ISBN0-19-822202-5)
Bède le Vénérable,Ecclesiastical History of the English People, trad. Leo Sherley-Price, rév. R. E. Latham, éd. D. H. Farmer, Penguin, Londres, 1991(ISBN0-14-044565-X)
Bède le Vénérable,Libri II - De Arte Metrica et De Schematibus et Tropis, trad. Calvin B. Kendall, éd. Calvin B. Kendall, AQ-Verlag, Saarbrücken, 1991,(ISBN978-3-922441-60-1)
Bède le Vénérable,The Ecclesiastical History of the English People, éd. Judith McClure etRoger Collins, Oxford University Press, Oxford, 1994(ISBN0-19-283866-0)
Bède le Vénérable,Bede: The Reckoning of Time, Translated, with introduction, notes and commentary by Faith Wallis, Liverpool University Press, Liverpool, 2004(ISBN0-85323-693-3)
Bède le Vénérable,Bede: On the Nature of Things andOn times, Translated with introduction, notes and commentary by Calvin B. Kendall and Faith Wallis, Liverpool University Press, 2010(ISBN978-1-84631-496-4)
Olivier Szerwiniack,« Les relations entre l’Irlande et l’Angleterre dans l’Histoire ecclésiastique de Bède le Vénérable », dans Florence Bourgne, Leo Carruthers et Arlette Sancery,Un espace colonial et ses avatars : naissance d’identités nationales : Angleterre, France, Irlande (Ve – XVe siècles), Paris, Presses universitaires Paris-Sorbonne,,p. 19-39.