Ayrton Senna, de son nom completAyrton Senna da Silva (/aˈiʁtõˈsẽnɐdɐˈsiwvɐ/[1]), est unpilote automobilebrésilien, né le àSão Paulo etmort le àBologne, à la suite d'un accident lors duGrand Prix de Saint-Marin. Idole au Brésil où son statut a dépassé celui de champion sportif, il est considéré comme l'un des plus grands pilotes de l'histoire de laFormule 1 dont il remporte le titre de champion du monde à trois reprises, en1988,1990 et1991, gagnant 41 Grands Prix et réalisant 65pole positions durant les onze saisons qu'il a disputées.
Après avoir commencé la compétition au Brésil par lekarting, il termine deux fois vice-champion du monde de la discipline en 1979 et 1980. Ayrton Senna commence ensuite son apprentissage enmonoplace au Royaume-Uni l'année suivante. Champion de Grande-Bretagne deFormule Ford (Formule Ford 1600 en 1981 et Formule Ford 2000 en 1982) et deFormule 3 en 1983, il obtient sa place en Formule 1 au sein de la modeste écurieToleman-Hart lors de lasaison 1984. Dès son cinquième départ enGrand Prix, à Monaco le 3 juin, il se révèle aux yeux de tous les observateurs de la Formule 1 en obtenant son premier podium sous des trombes d'eau, échouant de justesse face au pilote qui deviendra son plus grand rival,Alain Prost. Engagé parLotus-Renault l'année suivante, il s'y affirme durant trois saisons comme l'une des principales forces du plateau, en obtenant seize pole positions, six victoires ainsi qu'une troisième place au championnat en1987.
En1988, il rejoint Prost, devenu double champion du monde, chezMcLaren-Honda,pour une saison où les deux pilotes partagent quinze victoires en seize courses et au terme de laquelle il obtient son premier sacre mondial. Prost remporte le championnat suivant ; Senna est à nouveau sacré en1990 puis en1991. Après deux saisons1992 et1993 plus compliquées pour ce qui est des résultats, mais remarquables au regard de l'écart important de performance sur le plan technologique avec les pilotesWilliams-Renault, Senna décide de rejoindre cette écurie en 1994 avec l'objectif de conquérir un quatrième sacre mondial. Lors de la troisième course de lasaison 1994, leGrand Prix de Saint-Marin disputé sur lecircuit d'Imola, alors qu'il est en tête de la course, au septième tour, il est victime d'unaccident mortel dans la courbe deTamburello ; un accident auquel des millions de téléspectateurs assistent en direct et qui provoque une émotion internationale.
Plusieurs votes dans différentes consultations liées au sport automobile désignent Ayrton Senna comme le meilleur et le plus influent pilote de tous les temps. Il est notamment réputé pour son excellence sur un tour, dans l'exercice des qualifications : il est le recordman du nombre depole positions de 1989 à 2006, seulement dépassé parMichael Schumacher puis parLewis Hamilton. Il est également reconnu pour ses performances sur piste détrempée, avec des victoires d'anthologie comme auGrand Prix du Portugal 1985 (la première de sa carrière), auGrand Prix d'Europe 1993 à Donington, et sa deuxième place sous le déluge en 1984 à Monaco, un circuit où il détient un record de six victoires. En matière de succès, il occupe encore la sixième place despilotes les plus victorieux en ayant couru 161 Grands Prix. Sa rivalité au sommet avec le Français Alain Prost fait partie des grandes heures de la Formule 1 ; deux fois, en 1989 et en 1990, et au même endroit, sur lecircuit de Suzuka, le titre se joue entre les deux pilotes sur des accrochages et des polémiques.
Senna, ici à trois ans, est très vite passionné par le sport automobile.
Ayrton Senna da Silva naît dans une famille aisée deSantana, un quartier situé au nord deSão Paulo, poumon économique duBrésil. Il est le fils de Milton da Silva, riche propriétaire terrien brésilien et gérant d'une société de métallurgie, fournisseur privilégié de l'industrie automobile brésilienne, et de son épouse Neide Senna da Silva. Il a une sœur aînée, Viviane, et un frère plus jeune de six ans, Leonardo[a 1].
La propriété où Senna passe les quatre premières années de sa vie appartient au père de Neide, João Senna, et est située dans une vaste zone où ils développent et exploitent du matériel aéronautique ainsi qu'un aéroport ; cet environnement développe très vite l'intérêt du jeune Brésilien pour les voitures et le sport automobile. Très sportif, Senna excelle en gymnastique mais rencontre des problèmes de coordination motrice qui poussent ses parents à lui faire passer, à quatre ans, unélectroencéphalogramme, lequel ne révèle aucun problème[2],[3],[4],[5]
Surnommé« Beco », Senna apprend à conduire uneJeep dès l'âge de sept ans, autour de la ferme familiale, en s'exerçant à écouter le son du moteur afin de connaître le bon moment pour changer de vitesse. Il fréquente le collège deRio Branco où il obtient son diplôme en 1977 avec une cinquième année en physique et mathématiques, en chimie et en anglais. Il s'inscrit ensuite dans un collège spécialisé en administration des affaires mais abandonne après trois mois. Dans l'ensemble, ses notes atteignent 68 %[b 1],[b 2],[b 3],[4],[5],[6],[3],[2].
Senna commence lekarting à l'âge de treize ans avec un kart construit par son père lorsqu'il avait quatre ans, avec l'aide d'un moteur detondeuse à gazon :« Au début, je ne faisais cela que pour mes propres sensations. Je ne connaissais rien aux voitures de course mais cela m'amusait d'appuyer sur l'accélérateur ou sur le frein ainsi que ressentir la vitesse[b 4]. » Très vite engagé sur lecircuit d'Interlagos, le jeune Brésilien commence sa première course en réalisant lapole position face à des rivaux plus âgés de plusieurs années[a 2]. Le jour de la course, il profite de sa petite taille et de sa légèreté pour mener la quasi-totalité de la course, avant d'abandonner à cause d'une collision avec un adversaire[b 5],[a 3]. Les résultats de Senna convainquent son père de le soutenir et de le confier à Lucio Pascal Gascon, surnommé« le Tchê », ancien mécanicien des frèresWilson etEmerson Fittipaldi. Très vite il façonne son talent et l'initie à la mécanique de précision :« Sur le circuit, sa trajectoire était calculée au millimètre près avec la volonté de gagner des dixièmes. Il a réinventé l'art de piloter un kart. Dès que je l'ai rencontré, j'ai ressenti quelque chose de profond en moi[b 5],[a 4]. »
Les résultats sont immédiats : champion d'Amérique du Sud de karting en 1977, Senna convainc une écurie italienne de le recruter et participe auchampionnat du monde de karting de 1978 à 1982. Équipier deTerry Fullerton en 1978, Senna considère plus tard ce dernier comme le rival envers lequel il a le plus de respect, notamment dû au fait qu'à cette époque, seul le pilotage compte, sans enjeu économique ou politique. S'il obtient de nombreuses victoires et apprend beaucoup aux côtés de son équipier, Senna ne remporte aucun titre mondial, échouant à deux reprises au second rang en 1979 et 1980. Son chef d'équipe comprend très vite les qualités du jeune pilote :« Ce qui est sûr c'est qu'il a la faculté de comprendre les bolides. Je crois qu'il est né avec ce don. C'est quelque chose qui le différencie des autres pilotes[a 5],[a 6],[a 7],[b 6],[b 7],[5],[4],[7],[8],[2]. »
Ayrton Senna à ses débuts, enFormule Ford, en 1981.
En 1981, Senna émigre auRoyaume-Uni afin de débuter en monoplace. Dans un pays où le sport automobile est très populaire, il ne tarde pas à se forger une solide réputation, malgré la pression de ses parents qui ne souhaitent pas le voir poursuivre dans cette voie risquée. Ce n'est qu'au dernier moment que Senna se voit proposer un volant et un contrat importants au sein de l'écurieVan Diemen, qui a l'habitude de donner sa chance aux pilotes sud-américains, et ce, sur les seuls conseils deChico Serra, un jeune pilote ayant concouru avec lui en karting et connaissant sa rapidité[b 8],[b 9],[a 8]. Malgré son statut de néophyte, les doutes initiaux de son équipe et sa difficile adaptation au style de vie britannique, le Brésilien s'affirme rapidement et remporte dès sa première saison douze victoires et dix-huit podiums en vingt courses, ainsi que le titre de champion deFormule Ford 1600 britannique en 1981[b 10],[a 9]. Ralph Firman, patron de l'écurie, déclare alors :« Lorsque je l'ai recruté, j'avais vaguement entendu parler de sa réputation en kart, mais cela ne fait pas un pilote de monoplace pour autant. Mais j'ai rapidement compris àBrands Hatch à qui j'avais affaire. Alors qu'il pleuvait des trombes d'eau, Senna a demandé d'augmenter la pression des pneus. Je l'ai laissé faire lorsqu'il m'a rétorqué : « Si je paye, je fais ce que je veux avec cette voiture ». En cinq minutes, il en avait dit plus qu'en deux mois, et il écrasait la course. Dès le milieu de la saison, en voyant la domination d'Ayrton, j'ai dit à mon mécanicien qu'il allait être champion du monde, ce à quoi il m'a répondu que nous étions en championnat britannique. Je lui ai alors répondu qu'il le serait en Formule 1[b 11]. »
Malgré une nouvelle offensive de sa famille, il enchaîne la saison suivante en accrochant facilement, pour la première fois sous le nom de jeune fille de sa mère, Senna (le nom Da Silva est en effet l'un des plus répandus dans son pays et le Brésilien souhaite se démarquer), les championnats de Formule Ford 2000 britannique et européen, des performances qui attisent l'intérêt de l'écurieMcLaren enFormule 1[a 10],[b 12]. Impressionné par les performances du jeune Senna,Ron Dennis, manager de l'écurie britannique, lui propose de financer sa prochaine saison enchampionnat de Grande-Bretagne de Formule 3, ce que le Brésilien refuse :« Il m'a dit qu'il ne signerait ce contrat que si je lui garantissais un volant en Formule 1 ! J'étais gérant d'écurie de Formule 1 et un jeune pilote de Formule 2000 me posait un tel ultimatum[a 11],[a 12],[b 13]. » Engagé en 1983 dans le très relevé championnat de Formule 3, il survole le début de saison en réalisant huitpole positions et neuf victoires en autant de courses, et résiste au retour de son rival britanniqueMartin Brundle qui domine la seconde partie de saison[a 13],[a 14],[b 14],[b 15],[5],[9],[10],[11],[12],[13].
Sa rapidité alliée à un style très agressif ne passent pas inaperçus et plusieurs écuries deFormule 1 le surveillent avec assiduité. Ainsi, durant l'été 1983, alors que sa saison de Formule 3 n'est pas encore achevée, il persuadeFrank Williams de le convier à un test de l'écurieWilliams sur le circuit deDonington Park : Senna réalise le meilleur temps jamais obtenu par une Williams sur le circuit britannique, alors que les mécaniciens, à la demande de Williams, avaient volontairement rajouté plus de75 litres d'essence à la monoplace sans le prévenir[a 15],[b 16]. Quelques mois plus tard,McLaren etBrabham testent l'espoir brésilien, qui ne cesse d'impressionner. Au cours de ces tests, seulNelson Piquet, champion du monde en titre, parvient à réaliser un meilleur temps que Senna[a 16],[b 17],[14]. Ces grandes écuries sont impressionnées par les qualités de Senna mais le trouvent« trop tendre ». SeulRon Dennis lui propose un contrat à long terme mais sans assurance immédiate de piloter en tant que titulaire,Niki Lauda etAlain Prost étant engagés dans lechampionnat du monde de Formule 1 1984[a 17]. Ainsi, c'est au sein de la modeste mais ingénieuse écurieToleman que Senna fait ses débuts en Grand Prix, à 24 ans, au terme de négociations serrées avec Alex Hawkridge :« Nous étions sa seule option mais cela ne l'a pas empêché de nous imposer certaines conditions, dans le cadre d'une négociation à sens unique avec des avocats brésiliens qui ne parlaient pas un mot d'anglais, et dans laquelle la rémunération du pilote n'entrait absolument pas en compte. Le point clé reposait sur l'assurance de fiabilité de notre monoplace. Il voulait absolument intégrer une clause selon laquelle, si la voiture n'était pas performante, il pourrait partir voir ailleurs. Rory Byrne m'a dit d'accepter cette clause car selon lui, le Brésilien se prendrait rapidement au jeu de vouloir développer une monoplace[b 18],[a 18],[b 19],[12],[13],[15]. »
Si Senna effectue ses premiers tours de roues dans le ventre mou du peloton, sa monoplaceTG184, conçue par des jeunes ingénieurs de talent tels queRory Byrne ou encorePat Symonds, et équipée d'un moteurHart 415T, s'avère plus compétitive que prévu[b 20]. Très appliqué et investi, le Brésilien devient rapidement le catalyseur de sa nouvelle écurie, qui s'adapte parfaitement à sa personnalité taciturne, et surclasse son coéquipier vénézuélienJohnny Cecotto, souvent de plus de deux secondes[a 19],[b 21]. Il inscrit ses premiers points à l'occasion des deuxième et troisième courses de sa carrière en terminant sixième des Grands Prix d'Afrique du Sud et deBelgique[a 20],[b 21]. Réputé chétif, il comprend aussi très vite l'écart physique et mental entre les courses de catégories inférieures, qui se disputent sur une demi-heure, et les grands prix de Formule 1 qui se courent souvent sur plus de soixante tours à haute vitesse :« En Formule 1, il faut développer sa forme physique mais aussi sa force mentale. C'est un exercice qui implique ces deux aspects de vous-même. Le corps et l'esprit. Je dois l'approfondir pour progresser et surtout apprendre à mieux me connaître[a 21],[b 21]. »
Malgré ce constat, son statut change définitivement à l'occasion de la sixième épreuve de la saison (son cinquième départ dans la discipline), auGrand Prix de Monaco. Alors que des trombes d'eau s'abattent surMonaco et mettent en déroute la plupart des pilotes, Senna profite de pneumatiques« pluie » similaires à ceux de McLaren pour livrer une prestation solide. L'épreuve est arrêtée à cause de la pluie par le directeur de courseJacky Ickx à l'issue du trente-deuxième des soixante-dix-sept tours prévus. Le drapeau rouge est agité par les commissaires de piste au virage deLa Rascasse, ainsi que le drapeau noir, qui n'a pourtant pas de réelle utilité à ce moment, au virageAntony Noghès. La réglementation stipule que lorsque le drapeau rouge est brandi, les pilotes doivent rejoindre la grille « à vitesse raisonnable ». Alain Prost, alors en tête de la course, se conforme au règlement et arrête sa monoplace juste devant la ligne de départ, au niveau des commissaires brandissant le drapeau rouge et le drapeau à damier, signifiant que la course est arrivée à son terme et qu'il n'y aura pas de seconde manche. Senna, qui effectue une spectaculaire remontée et a repris près de 25 secondes au Français en une douzaine de tours, refuse d'obtempérer aux ordres des commissaires de course et n'arrête pas sa monoplace devant les drapeaux : ce faisant, il franchit le premier la ligne d'arrivée, mais en contrevenant à la réglementation, la course étant interrompue. Il échappe finalement à la disqualification et est classé deuxième de la course[a 22],[b 22],[16]. Persuadé d'avoir été privé d'un succès par les officiels, il déclare quant à sa performance sous la pluie :« Quand il pleut, vous risquez de perdre le contrôle ou de percuter quelqu'un qui perd le contrôle mais si vous sentez que vous dominez la situation alors c'est vous qui agissez sur les événements au lieu de les subir[a 23],[b 23]. »
Le Brésilien poursuit sa saison d'apprentissage par de belles performances sur les différents circuits duchampionnat du monde et obtient deux nouveaux podiums : troisième auGrand Prix de Grande-Bretagne (derrièreNiki Lauda etDerek Warwick)[a 24],[17] et troisième auGrand Prix du Portugal (derrière les McLaren de Prost et Lauda)[18]. S'il reste victime du manque chronique de fiabilité de sa monoplace, comme l'attestent ses onze abandons en seize courses, ses 13 points lui permettent de terminer dixième d'un championnat dominé pour la troisième fois par l'Autrichien Niki Lauda. Les exploits monégasques de Senna ainsi que son potentiel, bien qu'entrevu de façon épisodique cette année-là, lui permettent d'obtenir un volant très compétitif pour la saison suivante, au sein de l'écurie britanniqueLotus-Renault, réputée à la pointe de l'aérodynamique mais dont le moteur manque encore de fiabilité[a 25],[b 24],[19].
LaPorsche 956 avec laquelle Senna dispute sa seule course d'endurance, auNürburgring, en 1984.
En marge de la saison de Formule 1, Senna fait la rencontre d'Alain Prost dans le cadre d'une course caritative disputée enAllemagne. Ce dernier déclare :« On m'a demandé si je pouvais faire le trajet de l'aéroport de Francfort jusqu'au Nürburgring. Pendant le trajet, nous avons discuté et je le trouvais très sympa et drôle. Ensuite, nous sommes entrés sur le circuit pour chauffer les voitures. J'ai obtenu lapole et Ayrton la seconde ligne. Après ça, il ne m'a plus adressé la parole du weekend et le lendemain il remportait la course en usant de manœuvres très osées à mon endroit. Je me suis dit alors que je devrais garder à l’œil ce jeune homme. Deux semaines plus tard, il me chassait à Monaco[b 25]. »
Le 15 juillet, Senna dispute les1 000 kilomètres du Nürburgring, quatrième manche duchampionnat du monde des voitures de sport au volant de laPorsche 956no 7 duJoest Racing. En compagnie deHenri Pescarolo etStefan Johansson, il termine huitième du classement général. Malgré de belles performances en piste, cette expérience ne plait pas à Senna, qui préfère se concentrer sur son avenir en Formule 1. Henri Pescarolo déclare après la course :« Je ne le connaissais pas plus que ça à la base. Il a pris ma voiture, a couvert cinq tours en améliorant mon temps de trois secondes lors de chacun d'eux, puis est rentré au stand, lâchant d'emblée que c'était trop lourd et trop lent pour lui. Je me rappelle qu'il était discret, très observateur et totalement silencieux. »Reinhold Joest, manager de l'équipe, ajoute :« Malgré le fait qu'il n'était absolument pas intéressé, Senna est resté très classe. Il est resté une heure avec moi pour débriefer, et il a pris le temps ensuite d'enregistrer une cassette audio contenant ses impressions sur le moteur, le comportement de la voiture ainsi que quelques pistes d'évolution pour nous aider à progresser et cela nous a beaucoup aidés[a 26],[b 26],[20],[21]. »
ChezLotus, le Brésilien intègre une écurie dirigée par l'ingénieur françaisGérard Ducarouge, et découvre son nouveau coéquipier italienElio De Angelis, troisième duchampionnat en 1984. La monoplace se montre très rapide et doit permettre à la firme britannique – qui comptabilise treize titres mondiaux – de retrouver les avant-postes, malgré le décès deColin Chapman[b 27],[22],[23]. En dépit d'uneParalysie faciale idiopathique qui l'empêche de s'exprimer durant la quasi-totalité de l'intersaison[a 27], Senna ne se résigne pas et confirme immédiatement son potentiel lors duGrand Prix du Brésil disputé sur lecircuit de Jacarepaguá, qui ouvre la saison et au cours duquel, devant un public acquis à sa cause, et s'élançant quatrième sur la grille, il lutte quarante-huit tours pour le podium avant d'abandonner sur une panne électrique, et assiste, déçu, au podium de son coéquipier[a 27],[b 28],[24].
Deux semaines plus tard, le Brésilien confirme son exceptionnelle aptitude à piloter sur piste mouillée, entrevue l'année précédente dans les rues deMonaco, en remportant, le, sous un déluge, le premier Grand Prix de sa carrière, auPortugal àEstoril. Auteur la veille de sa premièrepole position, le Brésilien survole la course en établissant lemeilleur tour, et en reléguant son dauphin, l'ItalienMichele Alboreto, à plus d'une minute. Ces trois succès constituent le premierhat trick de sa carrière :« Les gens pensent que j'ai réalisé une course parfaite ce jour-là mais je n'ai fait que des erreurs et me suis même retrouvé à plusieurs reprises les quatre roues dans l'herbe. À un moment, j'ai fait la même erreur qui a valu à Prost un tête-à-queue mais j'ai eu la chance de rester sur la piste. Je suis fier de cette victoire mais je suis aussi conscient que cette course n'aurait jamais dû se dérouler[a 28],[b 29],[25]. »[pas clair]
Les semaines suivantes, Senna profite des 800 chevaux du moteurRenault V6turbocompressé pour réaliser quatre nouvellespole positions sur les circuits d'Imola, deMonaco (en améliorant de plus d'une seconde le précédent record d'Alain Prost), deDétroit et deMonza[a 28],[b 30],[26],[27],[28],[29],[30],[31]. Cependant, la puissance du moteur ne garantit pas sa fiabilité en course, ce que Senna et son coéquipier constatent régulièrement. En effet, les sept abandons consécutifs du Brésilien entre son succès portugais et leGrand Prix d'Allemagne 1985, conduisent les ingénieurs et Senna à travailler d'arrache-pied pour permettre aux monoplaces de trouver un meilleur rythme de course[b 31],[32],[33]. Le déclic intervient lors duGrand Prix d'Autriche, que le Brésilien conclut en deuxième position derrière Prost. C'est le début d'une série de podiums pour le pilote brésilien, qui se classe troisième àZandvoort, puis de nouveau troisième àMonza[a 29],[34]. Senna aborde le Grand Prix de Belgique en quatrième position au championnat, loin derrière Prost et Alboreto qui se disputent le titre mais avec seulement sept points de retard sur son coéquipier Elio de Angelis[35],[36]. Le Brésilien est en outre courtisé par des écuries réputées, dontBrabham car le directeur de l'écurie britanniqueBernie Ecclestone souhaite remplacerNelson Piquet par un jeune pilote doué et, si possible, de nationalité brésilienne. Senna, particulièrement apprécié chezLotus pour ses qualités de pilotage et son acuité rare dans le dialogue technique avec les ingénieurs, en plus d'être très proche de Gérard Ducarouge, lui oppose une fin de non-recevoir et confirme son volant chez Lotus pour lasaison 1986[37],[38].
Disputé sur le sélectif tracé deSpa-Francorchamps, leGrand Prix de Belgique offre à Senna une nouvelle occasion de démontrer ses qualités de pilotage en conditions humides. Alors que Prost mène une course tactique et économe pour assurer des points pour le titre mondial, le Brésilien, deuxième sur la grille, profite de sa supériorité sous la pluie et remporte la deuxième victoire de sa carrière, avec plus de vingt secondes d'avance surNigel Mansell et le Français. Il dépasse ainsi son coéquipier et rival Elio de Angelis de deux points au championnat[a 30],[b 31],[39]. Auteur de deux nouvellespole positions et d'un podium (deuxième derrière Mansell àBrands Hatch à l'occasion duGrand Prix d'Europe où Alain Prost s'adjuge le titre mondial)[40], Senna conclut la saison par deux abandons àKyalami (enAfrique du Sud) et àAdélaïde (enAustralie). Il termine quatrième du championnat, à deux points du FinlandaisKeke Rosberg qui complète le podium derrière Prost et Alboreto[a 30],[41],[42].
Devenu la référence en matière de qualifications au cours d'une saison qui le voit obtenir septpole positions, le Brésilien profite du départ de son coéquipier Elio de Angelis, avec lequel les relations se sont ternies au fil de la saison, le Brésilien ne concevant pas l'amitié entre pilotes partageant le même équipement[b 31]. Senna obtient ainsi un pouvoir plus élargi au sein de la Team Lotus, que ne devrait pas lui contester son nouveau coéquipier,Johnny Dumfries dont l'arrivée fait suite auveto apposé par Senna quant à la venue deDerek Warwick, un pilote plus réputé qui possède en outre l'avantage de bien connaître les moteursRenault. En effet, pour Senna, il est impossible sur un plan économique que Lotus puisse se consacrer à deux pilotes de pointe[a 31],[b 31],[43]. Il reste conscient du chemin à faire pour devenir meilleur :« À bien des égards, les défauts et les qualités sont liés. Ma détermination à aller de l'avant en est une mais c'est aussi une grande faiblesse car elle me conduit à ne jamais renoncer. Or, parfois, il faut savoir renoncer pour changer de direction. Cela m'aurait bien aidé durant l'été[a 30]. » Son ingénieur Ducarouge ajoute :« Il est très exigeant avec les autres autant qu'avec lui-même. Après sa victoire à Estoril, il m'a reproché de lui avoir présenté un panneau lui indiquant de ralentir le rythme alors qu'il roulait trois secondes plus vite au tour que tout le monde. Il m'a dit :« On ne dit jamais à un pilote de lever le pied, c'est dangereux ! » On a décroché septpole positions, au grand dam des autres équipes qui durant le contrôle technique examinaient chaque fois la monoplace sur toutes les coutures afin de déceler une tricherie. Je leur ai lancé :« Si vous voulez disqualifier quelque chose, disqualifiez le pilote. Il n'y a que cela de magique dans notre voiture ! » C'est à partir de ce moment qu'Ayrton a été surnommé Magic[a 32]. »
À l'intersaison1986, Senna poursuit au sein de l'écurieLotus-JPS qui bénéficie du soutien élargi de larégie Renault après le retrait de l'équipe d'usine. Cette association renforcée entre les deux marques et l'implication des ingénieurs françaisGérard Ducarouge etBernard Dudot visent à améliorer la fiabilité en course du moteur français face au régulierTAG Porsche desMcLaren et à la montée en puissance deHonda qui motorise l'écurieWilliams[a 33],[44]. Les essais privés, trois semaines avant l'ouverture de la saison, sur lecircuit Paul-Ricard semblent concluants pour Senna qui relègue ses adversaires à plus d'une seconde[45].
Le Brésilien, considéré comme l'un des principauxoutsiders du championnat, marque les esprits dès la première course, auBrésil àJacarepaguá, en réalisant lapole position et terminant deuxième au terme d'un duel âpre contre son compatriote et rivalNelson Piquet[a 34],[46],[47]. Lors duGrand Prix d'Espagne, deux semaines plus tard, sur lecircuit de Jerez, Senna réalise un weekend quasi parfait en s'adjugeant lapole position et la victoire au terme d'un combat contre le pilote WilliamsNigel Mansell, remporté par quatorze millièmes de seconde[48],[49]. Ce troisième succès en Formule 1 permet au Brésilien de s'emparer, pour la première fois de sa carrière, de la tête du championnat[a 35],[50].
Senna enchaîne les bons résultats en réalisant, àSaint-Marin, sa dixièmepole position, malgré un abandon en course, et deux podiums, àMonaco derrièreAlain Prost etKeke Rosberg, puis àSpa-Francorchamps, au terme d'un duel avec Mansell remporté par le Britannique[a 36],[51],[52],[53],[54]. Ces résultats, ainsi qu'une cinquième place àMontréal, lui permettent d'aborder leGrand Prix de Détroit en deuxième position au championnat, avec deux points de retard sur Alain Prost mais devant les pilotesWilliams Nelson Piquet et Nigel Mansell qui possèdent les monoplaces les plus véloces du plateau[a 37],[55],[56].
Auteur de lapole position dans le dédale urbain deDétroit, Senna fait preuve d'une belle aisance le lendemain, en remportant la quatrième victoire de sa carrière et en reprenant la tête du championnat[57]. Cette victoire acquise face à deux pilotes français,Jacques Laffite et Alain Prost, le lendemain de la défaite de laSeleção contre lesFrançais en quarts de finale de lacoupe du monde de football, combinée à sa célébration très patriotique, assoit un peu plus la popularité de Senna dans son pays[a 38]. La suite de la saison de Senna reste de belle facture mais sa monoplace ne peut tenir le rythme des Williams, ainsi que celui de la McLaren d'Alain Prost qui tire toute la quintessence de sa voiture[58]. Forcé de pousser sa monoplace au maximum de sa consommation moteur, Senna, toujours aussi performant sur un tour (auteur de lapole position enFrance, enHongrie, auPortugal et auMexique[a 38]), abandonne à plusieurs reprises mais termine deuxième derrière Piquet enAllemagne[59]. Lors duGrand Prix de Hongrie, l'expérimenté Nelson Piquet, double champion du monde, et le jeune Senna, adversaires sur la piste et en dehors, se livrent, plusieurs tours durant, à un duel accroché donnant lieu à plusieurs dépassements spectaculaires dont Piquet sort vainqueur grâce à la puissance de son moteur[a 39],[60].
Ce duel marque l'apogée d'une« guerre des moteurs » entre les trois meilleures écuries (McLaren-TAG de Prost et Rosberg,Williams-Honda de Mansell et Piquet,Lotus-Renault de Senna et Dumfries) et entraîne le report de deux ans de la limitation de puissance des moteurs à 600 chevaux, annoncé par le président de laFIA,Jean-Marie Balestre. Durant l'été, en marge du Grand Prix d'Allemagne, des négociations aboutissent à un accord tripartite en vue de la future saison entre Williams, Lotus, et Honda, le meilleur motoriste du plateau, qui souhaite absolument s'associer à un ingénieur du talent de Ducarouge et surtout à un pilote de la trempe de Senna. Le Brésilien, conscient que le moteur japonais possède un avantage substantiel sur la concurrence, conditionne la suite de sa carrière chez Lotus à la signature de ce contrat[a 38],[a 40],[b 32],[61]. Au lieu d'apaiser les tensions, l'accord les ravive et crée une rivalité entre Senna et les pilotes Williams, mais aussi Alain Prost qui lorgnait sur le bloc japonais pour équiper sa monoplace en 1987 et qui se sent lésé[62]. Cette rivalité prend toute son ampleur dans les duels sur la piste et dans la lutte très serrée pour le titre mondial ; dans ce climat se déroulent les dernières courses de la saison, au cours desquelles Senna réalise un nouveau podium auMexique, derrière l'AutrichienGerhard Berger[63],[64],[65].
Longtemps en lutte pour la couronne mondiale, Ayrton Senna se classe quatrième du championnat du monde, avec 55 points, devancé parAlain Prost qui conquiert, au terme d'une saison haletante, son second titre mondial surMcLaren-TAG Porsche (72 points) et le duoNigel Mansell /Nelson Piquet surWilliams-Honda (70 et 69 points)[a 40],[b 33],[66]. Satisfait de sa saison et de sa progression, il se montre déçu par l'incapacité deWilliams à gérer ses deux pilotes qui disposaient pourtant d'une monoplace largement supérieure en vue d'obtenir le titre. Ravi de sa future collaboration avec le motoriste Honda et conscient de l'opportunité inestimable de bénéficier d'un allié très puissant en vue des futures saisons, il déclare :« Leur façon de travailler est impressionnante et largement conforme à ce que j'attends. Les gens de Renault ne sont pas moins sérieux mais Honda c'est un autre niveau de professionnalisme. Avec ce moteur, je serai champion du monde[a 41],[b 34],[67]. »
En1987, la signature avec le motoriste japonaisHonda est suivie d'un changement de sponsor : la livrée noir et orJPS est remplacée par le jaune du cigarettierCamel qui apporte un budget important devant permettre à l'écurie d'élever son niveau de fiabilité en course en même temps que de soutenir les ambitions de son leader qui vise le titre mondial des pilotes[a 42],[68]. En progression constante durant l'intersaison, le moteur Honda est performant dès les premiers essais privés, disputés àRio de Janeiro, au cours desquelsNelson Piquet et Senna impressionnent. La principale interrogation porte sur l'efficacité discutable du nouveau système de suspension hydraulique à gestion électronique que l'écurie souhaite mettre en place[b 35],[69]. L'ingénieur en chefGérard Ducarouge soutient le projet et estime que« Senna risque d'essuyer quelques plâtres avant que le système ne soit efficace, mais dans le courant de la saison, notre monoplace sera imbattable[70] », tout en ajoutant que Senna est très enthousiaste à l'idée de participer à son développement :« Il a poussé pour le développement de la suspension active même si, paradoxalement, elle va à l'encontre de son instinct de pilote et de sa volonté constante de chercher à anticiper les réactions de sa voiture. Alors que là, la programmation va modifier le comportement de la monoplace centimètre après centimètre[a 43],[b 36]. »
L'intersaison est marquée par le conflit entre les pilotes et laFIA qui souhaite imposer le paiement d'une superlicence à prix prohibitif, et dans lequel Senna, qui ne souhaite pas s'acquitter de cette taxe, s'implique fortement :« Est-ce aux pilotes de financer de leur poche des installations indispensables au bon déroulement des courses[71] ? »
Dans cette atmosphère se dispute la première épreuve de la saison auBrésil, où Senna abandonne après une lutte en tête contre Piquet et Prost qui s'impose[72]. Auteur de lapole position àSaint-Marin le weekend suivant, le Brésilien ne peut contenir laWilliams deNigel Mansell et termine deuxième derrière le Britannique[73]. Poussé à l'abandon lors duGrand Prix de Belgique après un accrochage avec Mansell, Senna pointait, la veille de la course, l'inefficacité du nouveau système de suspension active très complexe à maîtriser, mais Ducarouge se porte garant du projet et de son efficacité future[a 44],[74],[75].
Ayrton Senna remporte en 1987, sa première victoire àMonaco.
Le Brésilien se ressaisit à l'occasion duGrand Prix de Monaco qui lui permet de remporter sa première victoire en principauté, devant Piquet etMichele Alboreto[a 45],[b 36],[76]. AuGrand Prix de Détroit, il survole la course sans effectuer le moindre changement de pneumatique, et devance Piquet de plus de trente secondes, ce qui tend à prouver l'efficacité de la suspension, tout du moins sur les circuits urbains :« Sur les circuits rapides, la suspension active n'est pas un avantage alors que sur des circuits plus bosselés tels que Monaco et Détroit, elle est d'une efficacité redoutable. Ayrton qui souffre souvent au niveau des paumes des mains était très heureux que la suspension encaisse les imperfections de la piste et soulage ses mains. Il a fini comme une fleur[a 46],[b 36],[77]. » Abordant l'été en tête du championnat avec deux points d'avance sur Prost, il défie ce dernier pour le titre mondial[a 47], Senna alterne ensuite les performances de grande qualité (podiums enGrande-Bretagne, troisième derrière Mansell et Piquet, enAllemagne, derrière Piquet etStefan Johansson, enHongrie où il n'est dominé que par Piquet, et enItalie, à nouveau derrière son rival Brésilien[78],[79],[80],[81],[82]) ainsi que les échecs, mais, à l'instar de Prost, il ne peut rivaliser face à l'efficacité des pilotes Williams sur les tracés rapides[a 48],[83].
La nouvelle suspension, qui se révèle être un échec, ébranle la confiance du Brésilien en son ingénieur, et la signature de son rival Nelson Piquet pour la saison suivante force la décision, d'un commun accord, d'une non-reconduction du contrat entre Senna et leTeam Lotus[84],[85].
Le moteur Honda RA168E turbocompressé qui équipeMcLaren, la future écurie de Senna, en 1988.
La présence de Senna, considéré comme le plus talentueux du plateau ainsi qu'un des meilleurs metteurs au point, sur le marché des transferts, intéresse au premier chef l'équipeMcLaren deRon Dennis etAlain Prost, qui a entamé des négociations difficiles avec Honda en vue d'être équipée de son moteur pour 1988. L'écurie britannique se détache rapidement dans l'esprit du Brésilien qui, au même titre que Dennis et Prost, pense à l'idée d'un partenariat qui servira aux deux parties. En effet, la venue de Senna, un pilote très apprécié et respecté par les ingénieurs japonais qui le voient tel un nouveausamouraï parfaitement inféodé à leurs méthodes de travail[réf. nécessaire], et partageant en outre leur maîtrise de la télémétrie, ils ne cachent pas que la création du tandem Senna / Prost serait largement susceptible de débloquer les négociations : ainsi Senna disposerait du meilleur moteur au sein d'une écurie qui sait développer ses monoplaces compétitives lui permettant de jouer le titre mondial[a 49],[b 37],[86]. L'accord est rapidement signé entre McLaren et Honda. Les questions sur les éventuelles futures mésententes entre Prost et Senna sont balayées par le Français, très confiant en l'avenir :« J'ai déjà piloté de concert avec Lauda et Rosberg qui sont de très grands pilotes et cela c'est très bien passé. Pourquoi cela ne serait pas le cas avec Ayrton[87] ? »
Senna conclut la saison difficilement malgré un nouveau podium lors duGrand Prix du Japon, derrièreGerhard Berger ; il perd sa deuxième place au championnat à l'issue du dernier Grand Prix, àAdélaïde où, deuxième sous le drapeau à damier, il est disqualifié en raison de freins non conformes[88],[89]. Devancé par les Williams de Piquet (triple champion du monde) et Mansell, Ayrton Senna clôt, à 27 ans, une collaboration intense et productive avec laTeam Lotus et l'ingénieur françaisGérard Ducarouge, agrémentée de seizepole positions, six victoires, vingt-deux podiums et six meilleurs tours en course. Il aborde, avec McLaren, un nouveau chapitre de sa carrière dans une écurie ayant les capacités de répondre à ses ambitions, mais devra néanmoins apprendre à composer avec Alain Prost, un pilote très expérimenté, bien installé dans son écurie, double champion du monde et recordman du nombre de victoires en Grand Prix qui, s'il a favorisé sa venue sans exiger de statut privilégié, reste un compétiteur redoutable. Lors d'une discussion avecJohn Watson, ancien équipier de Prost en 1980, qui lui conseille d'être prudent chez McLaren car c'est l'écurie de Prost, le Brésilien répond :« J'y vais pour le battre et sans perdre de temps[a 50],[b 38],[90]. »
1988 marque le début de changements importants qui vont mener à la cohabitation des moteurs turbocompressés équipantMcLaren,Lotus etFerrari, encore admis pour une dernière saison mais soumis à une très sévère réglementation (réduction de la puissance de 950 à 650 chevaux et de l'allocation en carburant de 195 à150 litres) et des moteurs atmosphériques qui équipentWilliams ouBenetton. Les essais de présaison semblent donner un avantage au moteurHonda turbocompressé de McLaren sur leJudd atmosphérique de la Williams. Chez McLaren, Senna semble éprouver des difficultés d'adaptation à sa nouvelle écurie et à sa monoplace conçue par le duo d'ingénieurs britanniquesGordon Murray etSteve Nichols tandis qu'Alain Prost, très à l'aise durant l'intersaison, a participé au développement du châssis. LaMcLaren MP4/4 est très différente des Lotus qu'il avait l'habitude de piloter : basse et plate pour mieux intégrer le bloc moteur japonais plus petit et léger que le précédentTAG Porsche, et équipée de systèmes ingénieux tels qu'un nouvel embrayage de plus petit diamètre et uneboîte de vitesses longitudinale à trois arbres ; le Brésilien doit dès lors mobiliser sa capacité de travail en vue de rectifier le tir[a 51],[91]. Durant cette pré-saison, il fait la rencontre du MexicainJo Ramírez, le coordinateur sportif de McLaren, avec qui il va rapidement tisser des liens[92].
Senna commence idéalement la saison en réalisant la dix-septième pole position de sa carrière pour sonGrand Prix national mais son weekend se termine en déception : sa monoplace ayant été jugée non conforme avant le début de la course, il doit s'élancer des stands et entreprend une remontée de la dernière à la troisième place avant d'être disqualifié tandis que Prost remporte l'épreuve[93]. Les semaines suivantes, le Brésilien enchaîne les grandes prestations et prouve, avec son coéquipier, que laMcLaren MP4/4 est la monoplace la plus redoutable du plateau[b 39],[94]. Victorieux duGrand Prix de Saint-Marin, il réalise deux semaines plus tard, le 14 mai, une performance mémorable en qualifications àMonaco où il tourne près d'une seconde et demi plus vite que son coéquipier qui l'accompagne en première ligne ;« Je ne pilotais plus de manière consciente. C'était du pilotage à l'instinct, dans une autre dimension. J'étais bien au-delà des limites mais toujours en capacité de les repousser. Le circuit était un tunnel et je continuais de rouler encore et encore. Cela m'a effrayé, car j'ai réalisé que j'avais dépassé mon état de conscience[95]. » En course, il s'envole vers la victoire, Prost roulant en deuxième position à plus de cinquante secondes à onze tours de l'arrivée, quandRon Dennis lui demande par radio de ralentir compte-tenu de son avance. Déconcentré ou légèrement relâché, il commet une erreur à la sortie du virage du Portier et encastre sa MP4/4 dans le rail[95]. Prost l'emporte ; il s'agit du seul trou dans la série record de victoires de Senna en Principauté (1987, 1989, 1990, 1991, 1992, 1993). Il dira plus tard :« J'étais si proche de la perfection ce weekend que je me suis détendu. J'ai invité l'erreur et c'est la leçon que j'ai apprise ce jour-là[95]. »
Senna àImola en1988, au volant de laMcLaren MP4/4 avec laquelle il remporte son premier titre mondial.
Senna s'impose auCanada où il réalise le secondhat trick de sa carrière, ainsi qu'àDétroit, toujours devant Prost. Auteur de deux podiums derrière son équipier auMexique et enFrance ainsi que de six pole positions consécutives, il aborde la deuxième partie de la saison en seconde position du championnat avec 15 points de retard et affiche une entente cordiale et une belle complémentarité avec Prost qui fait le jeu de McLaren, de Ron Dennis ainsi que du motoriste Honda[a 52],[b 40],[96],[97],[98],[99],[100],[101],[102]. En effet, si Senna est plus efficace pour la vitesse pure, le Français compense par une régularité et une intelligence tactique sans égal en conditions de course (quatre victoires pour trois places de dauphin et aucun abandon)[a 53],[103],[104].
Le premier tournant du championnat survient durant l'été quand Senna exerce une domination sans partage et remporte quatre courses àSilverstone (où Prost abandonne pour la première fois de la saison),Hockenheim, sur leHungaroring et àSpa-Francorchamps où il devance chaque fois Prost, ces résultats lui permettant de reprendre la tête du championnat du monde avec trois points d'avance sur son coéquipier[a 54],[105],[106],[107],[108].
Cette rivalité tend peu à peu les relations entre les deux hommes, sans autre concurrence qu'eux-mêmes, qui se reprochent un manque de fair-play dans certaines situations de courses et si la loyauté semble exister encore, elle reste de façade[109],[110]. Preuve des nouvelles tensions, en août, les rivaux décalent leurs sessions d'essais privés, sur lecircuit de Silverstone, du nouveau moteur Honda atmosphérique en vue de la saison prochaine. Le Français explique :« Ce Brésilien est très dur, il ne cherche pas à me battre, ce qu'il souhaite c'est me détruire. Les autres pilotes ne comptent pas. Pour une raison que j'ignore, c'est moi seul qu'il veut battre[b 41],[111]. »
Malgré une fin de saison de grande qualité de Prost qui remporte trois victoires et relance le suspense pour l'obtention du titre mondial, Senna remporte sa huitième victoire de la saison auGrand Prix du Japon cher à Honda. Après avoir failli caler sur la grille, il remonte de la seizième place et dépasse Prost peu après la mi-course pour remporter sa quatorzième victoire[a 55],[b 42],[112],[113],[114],[115].
Senna pose avec un modèle réduit de laMP4/4 qui lui a permis de conquérir son premier titre mondial.
Bien qu'il compte moins de points que son rival français, il remporte, avec huit victoires et trois deuxièmes places contre sept victoires et quatre deuxièmes places, son premier titre mondial (seuls les onze meilleurs résultats comptent pour l'attribution du titre afin d'inciter les pilotes à chercher la victoire sans pénaliser outre mesure les casses mécaniques[a 56],[116],[117]). Avec treize réalisations, le Brésilien bat le record de pole positions en une saison détenu précédemment parRonnie Peterson en 1973,Niki Lauda en 1974 et 1975 etNelson Piquet en 1984 avec neuf unités, tandis que McLaren remporte quinze des seize courses de la saison et réalise un record de dix doublés[a 56].
La lutte pour le titre, les doutes de fin de saison ainsi qu'un incident au Portugal où Senna a tassé Prost contre le mur afin de l'empêcher de prendre le commandement, finissent de ternir les relations entre les deux pilotes. Le Français déclare, en marge du Grand Prix du Japon :« Avec Niki Lauda et Keke Rosberg le courant était passé sans problème. En début de saison, la motivation et la détermination de Senna, le fait que pour lui rien ne compte mis à part la victoire ont fait que je n'étais pas sur la même longueur d'onde. Cela a rendu les choses difficiles. Je ne veux pas dire qu'Ayrton n'a pas de qualités, il est hyper-rapide et motivé mais il a ses propres règles, je pense qu'il croit vraiment être sur la bonne voie et faire ce qui est juste alors que cela ne colle pas avec l'image qu'il souhaite donner. Je ne le considère pas professionnel. Il m'a déçu sur ce plan… Concernant l'incident du Portugal, je l'ai trouvé complètement fou et je ne me suis pas privé de le lui faire savoir… C'est d'ailleurs ce qui m'inquiète pour le Japon. Je me dis que cela va recommencer et que va-t-il me faire ? Car je le crois capable de n'importe quoi pour être champion du monde et c'est un peu cela le problème… Je retiens la leçon de cette saison que j'ai été trop gentil[b 43],[118]. » Prost pense également que Senna est privilégié par les ingénieurs Honda qui connaissent très bien son style de pilotage et sa personnalité, tandis que le Brésilien pense que les mécaniciens de McLaren et la Fédération Internationale favorisent le Français[a 57][119] Ces opinions ne passent pas inaperçues en haut lieu comme l'atteste la lettre ouverte du président de la FIA,Jean-Marie Balestre, avant le Grand Prix du Japon :« Le championnat du monde n'est pas terminé et, dans les prochains jours, le monde entier aura les yeux fixés sur le Japon et l'Australie dont les résultats seront décisifs pour les conducteurs. Nous devons ainsi faire tous nos efforts afin que la plus grande objectivité technique règne et qu'un matériel égal soit mis à disposition des deux pilotes McLaren. Dans le cas contraire, l'image du championnat présent et futur en souffrirait[120]. » Steve Nichols, ingénieur designer chez McLaren, tempère cependant cette rivalité :« Ce sont deux pilotes d'exception qui se sont battus quasiment jusqu'au bout, à voiture égale, pour un titre mondial. Il était inévitable qu'ils ne deviennent pas les meilleurs amis mais malgré la tension dans ce duel, la cohésion d'équipe n'a jamais implosée. Et cela aussi parce que, malgré la compétition, ces deux pilotes se respectent énormément. Ayrton a été focalisé sur Prost. Pour lui, c'était la référence unique et il ne regardait pas les autres. La rivalité a certainement été exacerbée par quelques épisodes malheureux mais Alain est tout de suite venu féliciter chaleureusement Ayrton à l'issue de la course à Suzuka[a 56]. »
1989 marque l'interdiction définitive des moteurs turbocompressés et le retour des propulseurs atmosphériques de3 500cm3 ; la saison débute par des essais privés dominés par laMcLaren MP4/5 dont l'aérodynamique est légèrement modifiée, propulsée par un moteurV10Honda. Les ingénieurs japonais pensent qu'il sera très compétitif même s'ils considèrent ce moteur comme une régression par rapport au turbo qui avait, selon eux, atteint l'excellence[121],[122]. Le tandemAlain Prost-Ayrton Senna, reconduit pour une nouvelle saison, reste au centre de toutes les discussions : si le duo paraît très complémentaire sur le papier, les rapports cordiaux et le respect mutuel des débuts de leur collaboration ont laissé place à une farouche rivalité[123]. Le Français, de plus en plus mal à l'aise au sein de son écurie obtient confirmation de la bouche de Nobuhiko Kawamoto, le président de la firme japonaise, que ses jeunes ingénieurs ont un penchant pour le Brésilien qui incarne à leurs yeux, des valeurs qui leur sont propres comme le courage, l'humilité et la sincérité ajouté à sa propension à exploiter parfaitement leur moteur ; valeurs partagées par la population japonaise :« L'aura que Senna avait auprès des japonais est quelque chose d'incompréhensible pour un étranger. » explique un ingénieur nippon[b 44]. Prost, fataliste, poursuit :« Je suis un pilote McLaren qui dispose d'un moteur Honda tandis que Senna est un pilote Honda disposant d'une McLaren. Je respecte cela ainsi que son talent mais en tant que compétiteur, je ne peux le vivre positivement[a 57]. »
Auteur de la pole position lors de sonGrand Prix national, le premier de la saison, Senna, victime d'un accrochage avecGerhard Berger au départ, termine onzième, loin de laFerrari deNigel Mansell qui domine assez aisément Prost : la saison ne se résumera pas forcément à un duel entre pilotes McLaren[124]. Sous les critiques des médias brésiliens à l'issue de la course (« Quand va-t-il grandir[125] ? ») le Brésilien apporte une réponse éclatante en remportant les trois courses suivantes deSaint-Marin,Monaco et duMexique en s'élançant chaque fois de la pole position et en dominant largement ses rivaux[126],[127],[128].
En tête du championnat avec sept points d'avance sur Prost, tout semble sourire au Brésilien à l'exception de ses relations avec son coéquipier qui semblent atteindre le point de non retour à l'issue duGrand Prix de Saint Marin où Prost l'accuse de ne pas avoir respecté leur pacte consistant à ne pas s'attaquer au premier virage pour ne pas risquer un accrochage[b 43].Ron Dennis, le patron de McLaren les réunit pour régler leur différend quelques jours plus tard, à l'occasion d'une séance d'essais privés sur le tracé de Pembrey. Peu après, Prost confie à la presse française que, sermonné par Dennis, Senna pleura lors de cette réunion. Cette révélation provoque la fureur du Brésilien qui informeRon Dennis que la présence du Français sera juste une tolérance de sa part, qu'il ne lui adressera dorénavant plus la parole et ne partagera plus les informations. Il justifie son action àImola en considérant que le pacte de non-agression était prévu pour le premier départ du Grand Prix et non pour le second, donné à la suite du grave accident deGerhard Berger au quatrième tour[a 58],[129],[130].
La guerre psychologique explose désormais au grand jour. Prost, depuis longtemps installé dans l'écurie, insiste sur le fait qu'il a lui-même donné son accord pour la venue de Senna et considère que la réputation du Brésilien est surfaite. Senna débauche alors l'homme d'affaires de Prost,Julian Jakobi tandis que Prost se tourne vers la presse pour dénoncer un traitement de faveur pour son équipier brésilien[131]. Moins rapide en qualifications, Prost préfère régler sa monoplace pour la course car il sait que Senna est prêt à tout pour obtenir la pole position[132]. Cette vélocité du Brésilien lui attire non seulement les faveurs de Honda mais aussi désormais celles du personnel de McLaren. Si le débat perdure pour savoir à quel point les moteurs Honda de Senna étaient plus performants que ceux de Prost, les fiches techniques confirment que Prost a fait une bonne partie de la saison avec un châssisMP4/5 utilisé également en essais privés quand Senna bénéficiait d'un châssis réservé à la course. Le Français annonce, durant l'été, son départ à l'issue de la saison :« Ron m'a promis que j'aurais le matériel nécessaire pour disputer mes chances. En finalité, je ne dispose plus maintenant que de ma monoplace et de quatre mécaniciens pour m'épauler alors que Senna dispose de deux monoplaces et une trentaine de personnes autour de lui[a 59],[133]. »
Senna connaît un été malchanceux, abandonnant à quatre reprises, tandis que Prost, fidèle à sa réputation de pilote économe et régulier, aligne trois victoires et inverse la tendance en se constituant une avance de vingt points au championnat[a 60],[134],[135],[136],[137]. Sous pression, Senna renoue avec le succès auGrand Prix d'Allemagne où il s'offre unhat trick au terme d'un duel contre Prost avec lequel il n'échange, sur le podium, ni geste ni parole[138],[139]. Le Brésilien enchaîne avec une deuxième place enHongrie derrière Mansell puis une nouvelle victoire, devant Prost, àSpa-Francorchamps, qui lui permet de revenir à onze points du Français[140],[141].
Le tournant de la saison survient lors duGrand Prix d'Italie, àMonza, où Senna bénéficie d'une évolution moteur ; celui-ci explose à quelques tours de l'arrivée alors que le Brésilien domine largement, ce qui permet à Prost de remporter sa quatrième victoire de la saison et de reprendre, en une épreuve, neuf points que le Brésilien avait mis trois courses à gagner. Défait et furieux de la signature de son rival chez Ferrari pour la saison suivante, il déclare :« La victoire de Prost est un péché[142],[143]. » Les semaines suivantes, les deux pilotes se rendent coup pour coup ; auGrand Prix du Portugal, sur lecircuit d'Estoril, Prost, deuxième derrière Berger, profite d'un nouvel abandon de Senna pour accroitre un peu plus son avance au championnat. Le Brésilien réplique enEspagne avec le quatrièmehat trick de sa carrière qui lui permet d'aborder les deux dernières courses avec un déficit de seize points et l'espoir, infime, d'un second titre mondial. Pour cela, il doit gagner les deux courses et espérer un abandon d'Alain Prost. Le Brésilien déclare :« Je n'ai rien à perdre et je ne lâcherai rien[a 61],[144],[145],[146]. »
Les rapports entre les deux hommes, largement détériorés depuis plusieurs mois, ainsi que la volonté de Brésilien de refaire son retard conduisent à l'accrochage duGrand Prix du Japon, avant-dernière épreuve de la saison. Qualifié en pole position, Senna est débordé par Prost au départ[a 62],[147]. Au quarante-septième tour, le Français résiste à une tentative de dépassement de Senna à l'entrée d'une chicane, ce qui provoque leur accrochage. Senna reprend la course en court-circuitant la chicane et franchit le premier la ligne d'arrivée ; il est cependant disqualifié pour avoir été poussé par les commissaires et avoir court-circuité la chicane. Prost conquiert dès lors son troisième titre mondial[a 63],[b 45],[148],[149]. L'accrochage a suscité de nombreuses discussions car si Senna part de trop loin pour effectuer un dépassement régulier, Prost ferme nettement la porte« J'avais prévenu Ron avant la course, je l'avais même dis à Senna mais il a fait la sourde oreille. Je ne comptais plus ouvrir la porte. J'ai regardé mon rétroviseur avant d'aborder le virage, il était encore loin. Quand j'ai tourné, j'ai été surpris de le voir à côté de moi. Mais je n'ai pas modifié ma trajectoire. J'ai fait exactement ce que je leur avais dis que je ferais. » explique le Français[a 63]. Senna écope d'une amende et d'une mise à l'épreuve quant au renouvellement de sa superlicence pour avoir critiqué la décision des commissaires. Senna, qui se sent traité comme un criminel, juge que sa disqualification est une manœuvre fomentée par le président français de laFIA,Jean-Marie Balestre, dans le but de favoriser la victoire en championnat de son compatriote Prost[a 63],[150],[151],[152],[153].
La réclamation déposée par l'écurie McLaren auprès du tribunal d'appel de la FIA n'aboutit finalement pas sur une reclassification ; Senna déclare àAdélaïde, en marge du dernier Grand Prix de la saison ;« What we see today is the true manipulation of the World Championship »[154],[155] (« Ce que nous voyons aujourd'hui est une vraie manipulation du championnat du monde. ») Marqué par ces événements qu'il considère comme une véritable injustice, Le Brésilien déclare qu'après avoir sérieusement songé à arrêter sa carrière, il souhaite concourir en Formule 1 la saison prochaine et que les soutiens de Ron Dennis, de l'écurie McLaren et du motoriste Honda ont été décisifs dans sa décision[a 64],[156]. La FIA menace toujours Senna de suspendre sa superlicence s'il ne présente pas ses excuses, son comportement et ses mises en accusation étant jugés« inqualifiables » par Jean-Marie Balestre[157]. L'affaire prend ensuite des tournants politiques, le gouvernement brésilien soupçonnant la FIA de faire preuve de partialité et d'ingérence. Balestre annonce, en janvier 1990, que la participation de Senna au prochain championnat n'est pas remise en cause, ce qui permet au Brésilien, resté muet, de sortir de la crise à moindre frais[a 65],[158],[159]. Balestre déclare :« Je prends note que Senna, en homme intelligent, tire des leçons de ses erreurs en adoptant la discrétion qui est plus efficace que l'exposition constante. Je note aussi ses déclarations quant à son souhait de reconquérir le titre de champion du monde. Comme il est intelligent, il ne peut donc pas être concurrent dans un championnat du monde français manipulé par des Français. Mais je ne suis pas Madame boule de cristal[160]. » En s'acquittant du paiement d'une amende de 100 000 dollars et malgré la rancœur, le Brésilien met un terme au conflit et permet l'engagement des monoplaces McLaren qui restait conditionné au règlement de cette somme[a 65],[161],[162],[163].
Selon Senna et McLaren, 1989 se termine de façon scandaleuse et injuste mais aux yeux de certains observateurs, le Brésilien est avant tout victime de son orgueil et de sa nervosité face à un rival tel que Prost d'un niveau similaire et qui a intelligemment joué sa carte. Il aurait pu, selonMurray Walker, commentateur vedette de laBBC éviter de nombreux accrochages (avec Berger au Brésil, àEstoril face à Mansell et surtout à Suzuka où le titre était déjà en grande partie joué). Le piloteMartin Brundle poursuit :« Lorsqu'il m'a percuté à Adélaïde, je l'ai vu courir vers moi avec un visage furieux. Je me suis dit que s'il voulait me faire porter le chapeau, nous allions en venir aux mains mais en fait, il s'est précipité vers moi en me demandant comment j'allais. C'est le paradoxe de ce type. Il est le premier à nous mettre dehors et le premier à venir vérifier si nous allions bien[a 63]. »
En1990, l'ambiance au sein deMcLaren s'est apaisée après le départ de Prost pour laScuderia Ferrari. Si son coéquipier autrichien,Gerhard Berger est talentueux et susceptible de rivaliser avec Senna, les relations entre les coéquipiers sont bien meilleures du fait notamment d'une proximité générationnelle et surtout de résultats des essais d'intersaison qui semblent démontrer que, bien que laMcLaren MP4/5B soit très bien pensée, la monoplace de la Scuderia Ferrari, mise au point par Alain Prost et l'ingénieurSteve Nichols (lui aussi transfuge de McLaren) pourrait dominer les monoplaces deWoking sur les circuits rapides en été. Pour Senna, aucun challenge ne compte plus que celui de dominer Prost et ainsi laver l'affront de 1989[a 66],[164]. Le Brésilien commence la saison avec un esprit de revanche ainsi qu'une équipe et un motoriste soudés autour d'un objectif commun, le titre des pilotes[165].
La saison commence auxÉtats-Unis où Senna, parti cinquième, remonte en deuxième position dès le premier tour, livre un duel à la limite mais loyal avec laTyrell du jeune françaisJean Alesi et remporte sa vingt-et-unième victoire[a 67],[b 46],[166]. AuGrand Prix du Brésil, qui se dispute pour la première fois sur lecircuit d'Interlagos àSão Paulo, sa ville natale, Senna obtient la pole position et conserve la tête de l'épreuve jusqu'en fin de course quand il percute la Tyrrell deSatoru Nakajima à qui il allait prendre un tour ; rentré aux stands pour faire réparer son aileron avant, il repart en troisième position et termine derrière le vainqueur Alain Prost et son coéquipier[a 67],[b 47],[167],[168]. À nouveau en pole position àSaint-Marin, le Brésilien abandonne sur casse mécanique mais enchaîne deux bons résultats en réalisant unhat trick devant Alesi et Berger àMonaco puis en remportant leGrand Prix du Canada devantNelson Piquet etNigel Mansell[a 68],[b 47],[169],[170],[171]. Ces résultats lui permettent d'aborder l'été, qui devrait avantager la Ferrari de Prost, avec douze points d'avance sur Berger et dix-neuf sur son rival français[a 69],[b 47].
Durant le mois de juillet, Prost confirme la montée en puissance de laFerrari 641 et remporte trois courses consécutives alors que le Brésilien, troisième des Grands Prix deFrance et deGrande-Bretagne, limite les dégâts et se retrouve deuxième du championnat, avec deux points de retard. AuGrand Prix d'Allemagne, Senna se relance en réalisant la pole position et en remportant la course devantAlessandro Nannini et Berger[a 70],[b 47],[172],[173],[174]. Dès lors, le Brésilien ne quitte plus les podiums et enchaîne deux victoires enBelgique et enItalie chacune devant Prost et Berger, et deux deuxièmes places, enHongrie derrièreThierry Boutsen et auPortugal, dominé par Mansell[a 71],[b 47],[175],[176],[177],[178]. Senna aborde les trois dernières épreuves avec dix-huit points d'avance sur Prost, seul pilote encore en lice pour lui contester le titre mondial[a 72],[179].
AuGrand Prix d'Espagne, Senna n'a besoin que d'un point pour être sacré champion. Il s'élance depuis la pole position et lutte contre son rival français jusqu'au cinquante-troisième tour où il abandonne, sur une défaillance de radiateur, tandis que Prost s'envole vers son cinquième succès de la saison ; le Grand Prix du Japon, à l'instar de la saison précédente, sera crucial pour l'obtention du titre mondial[a 73],[b 48],[180],[181].
Le nom d'Ayrton Senna gravé sur le trophée de champion du monde pour l'année 1990, juste au-dessus de celui de l'AustralienAlan Jones, sacré dix ans auparavant.
ÀSuzuka, Senna réalise la neuvième pole position de la saison devant Prost. La première place sur la grille se trouvant du côté sale de la piste, le Brésilien, jugeant inéquitable que le pilote ayant réalisé la pole position se retrouve dans une position désavantageuse, demande que cet emplacement soit changé pour la course. Alors que les organisateurs accèdent à sa requête,Jean-Marie Balestre, président de laFédération internationale du sport automobile annule cette décision. Au départ de la course, Senna patine et voit Prost s'envoler en tête ; il l'éperonne volontairement à l'abord du premier virage, à haute vitesse, entraînant leur double abandon[a 74],[b 49],. Les rivaux n'échangent aucun mot ou invective au sortir de leur monoplace. Avec neuf points d'avance sur le Français à une manche de la fin du championnat, le Brésilien remporte son deuxième titre de champion du monde et McLaren est sacrée champion du monde des constructeurs. Alors que son geste suscite l'incompréhension des amateurs de la discipline qui regrettent que Senna ne soit pas pénalisé,Ron Dennis avouant même à son pilote qu'il est déçu de ce comportement, Senna explique :« Aujourd'hui, je suis réellement heureux. Ce titre représente énormément de choses pour moi et pour l'écurie Mclaren qui m'a soutenu dans les périodes délicates que j'ai traversées en début d'année. La saison a été longue et difficile, la concurrence redoutable. L'accident ? Ce sont des choses qui arrivent. Nous voulions tous les deux l'emporter donc nous avons pris des risques. Alain a tout simplement commis une erreur tellement imprévisible et grossière venant d'un pilote d'une telle expérience et ayant tant de connaissances. Dans ce contexte, le crash était inévitable. Ce type se plaint constamment et déjà du temps ou nous étions équipiers, il parlait sur moi et Honda, il parlait sur l'équipe qui lui a permis d'être trois fois champion du monde. Ensuite, il va chez Ferrari et c'est reparti. Mais j'ai l'habitude, toute cette controverse se fait autour d'un seul homme. Par ailleurs un titre mondial se construit sur l'ensemble d'une saison et non pas sur une course. De toute façon, cet accrochage a remis les choses à leur place par rapport à l'injustice de 1989[b 49]. »
Le comportement et l'attitude de Senna à l'issue du Grand Prix, traduit une autre vision, le Brésilien ne cachant pas son malaise et Ron Dennis ajoutant :« On a tout de suite vu qu'il est en conflit avec lui-même et qu'il a décidé de la fin du championnat d'une manière dont il ne peut être fier. C'est la seule et unique fois que Ayrton m'a vraiment déçu. » Prost conclut dans la foulée :« Ce virage se prend en cinquième vitesse, en sixième pour la Ferrari. C'est indoublable. J'ai soutenu Ayrton qui souhaitait que l'on déplace la pole position à gauche car je trouvais que ce n'était pas sportif. Jusqu'à présent, j'ai cru qu'il était un adversaire très dur mais correct sur la piste. Je ne le pensais pas capable de faire ça. Il a montré son vrai visage. Mon premier réflexe aurait pu être de lui mettre mon poing dans la figure mais j'ai préféré me retenir car tout ceci ne m'inspire que du dégoût. La rivalité existe mais il y avait une autre manière de conclure le championnat[a 75],[182],[183],[184],[185],[186]. »
Un an plus tard, Ayrton Senna avoue que cet accrochage était prémédité :« En 1989, j'ai gagné la course mais on me l'a enlevée. Il va toujours manquer cette victoire à ma carrière. J'ai été empêché d'accéder au podium par Balestre alors que j'avais gagné. Ça, je n'oublierai jamais. Comme résultat de ceci, il y a eu la course de 1990. Le mauvais emplacement de la pole position n'a pas été déplacé par Balestre. J'ai été si frustré que je me suis juré que si, après le départ, je perdais la première place, je tenterais tout au premier virage et que Prost ne passerait pas devant moi. Ça a été le résultat des décisions stupides prises par des politiciens[a 76],[187],[188]… » Prost admet quelques années plus tard qu'il a compris que le geste de Senna n'était pas clairement tourné contre lui mais contre la fédération ; il considère cependant que cet accrochage est la seule chose qu'il ne peut pas pardonner car si l'angle de contact et le large dégagement de gravier ont fait que les deux pilotes s'en sont sortis indemnes, ils auraient pu se blesser gravement. Pour des pilotes qui ont vu plusieurs amis du paddock se tuer, commeJim Clark,Jochen Rindt,Ronnie Peterson etFrançois Cevert, ce geste de Senna reste incompréhensible[189].
Lors de la dernière manche de la saison, enAustralie, dans un climat pesant, Senna réalise sa dixième pole position de la saison mais abandonne en course, laissant la victoire à son compatriote Nelson Piquet[190]. Ayrton Senna devient double champion du monde, avec soixante-dix-huit points, et devance Alain Prost de sept unités. Avec dix pole positions, six succès et onze podiums, le bilan comptable est remarquable mais la conclusion du championnat n'est guère valorisante et jette l'opprobre sur le pilote brésilien qui prend de longues vacances dans son pays, agrémentées de prises de contact sans suite avecCesare Fiorio, le manager de la Scuderia Ferrari et l'ingénieur Pier Guido Castelli, le directeur technique[191],[a 77],[192],[193].
Après deux saisons de conflits incessants avecAlain Prost et le président de laFIAJean-Marie Balestre, Senna étrenne, au cours de l'intersaison, laMcLaren MP4/6 conçue parNeil Oatley, propulsée pour la première fois par un moteur V12 Honda et qui réalise des performances probantes lors des séances d'essais privés. La principale interrogation du début de saison repose sur les écuries rivales ;Ferrari, annoncée redoutable, aligne les deux Français Prost et le jeuneJean Alesi tandis qu'Adrian Newey, le talentueux nouvel ingénieur chef de l'écurieCanon Williams, tente d'apporter des évolutions technologiques à laFW14 pilotée par les expérimentésNigel Mansell etRiccardo Patrese. Ces considérations n'empêchent pas Senna, toujours épaulé parGerhard Berger, de viser un troisième titre mondial mais il sait que la marge de manœuvre sera moins importante[a 78],[b 49],[194],[195].
Comme les trois années précédentes, le titre pilotes1991 se joue à nouveau sur lecircuit de Suzuka.
Les courses de l'été sont marquées par la montée en puissance desWilliams-Renault qui rendent la conquête du troisième titre du Brésilien plus compliquée. Patrese s'impose auMexique tandis que Mansell remporte trois courses consécutives et se rapproche à huit points de Senna qui monte sur le podium enFrance mais marque sérieusement le pas face à l'efficacité redoutable des nouveaux composants électroniquement assistés de la monoplace deGrove[a 80],[b 51],[204],[205],[206],[207],[208],[209]. Senna, que des rumeurs infondées annoncent chez Ferrari en remplacement de Prost dès la saison suivante, remporte deux victoires décisives, enHongrie devant le duo Williams Mansell et Patrese quelques jours après le décès deSoichiro Honda, fondateur de la marque éponyme, puis enBelgique, devant Berger etNelson Piquet ; il reprend ainsi ses distances au championnat[a 81],[b 51],[210],[211],[212].
Mansell répond par deux victoires enItalie et enEspagne qui lui permettent de maintenir le suspense et ainsi de disputer, encore àSuzuka, le titre à Senna[a 81],[213],[214],[215],[216]. La sortie de piste de Mansell au cours du Grand Prix assure le titre à Senna qui, à la demande de Ron Dennis, laisse la victoire à son équipier devenu un ami proche, Gerhard Berger, malchanceux depuis son arrivée chezMcLaren[a 82],[b 51],[217]. EnAustralie, le Brésilien clôt une saison sans véritable fausse note en remportant sa septième victoire ; cette course rentre dans l'histoire comme étant la plus courte jamais disputée avec seulement quatorze tours[a 83],[218].
À 31 ans, le nouveau triple champion du monde égale le palmarès deNiki Lauda,Nelson Piquet,Alain Prost etJackie Stewart et se déclare en phase ascendante et au summum de son pilotage. Il vise dorénavant le record de cinq titres mondiaux de l'ArgentinJuan Manuel Fangio[219]. Après le licenciement d'Alain Prost par la Scuderia Ferrari et sa possible retraite, Senna prononce quelques mots que peu imaginaient possibles venant de lui :« Ce n'est pas une bonne chose pour la Formule 1. Malgré les problèmes et toutes les controverses que nous avons connus, je tiens à dire qu'Alain est un pilote très performant et restera à jamais un champion du monde[220]. » De plus en plus influent au sein de sa discipline, il poursuit en exprimant sa volonté de créer un syndicat afin que l'avis des pilotes ait plus de poids dans des décisions qu'il juge actuellement« unilatérales et causent du tort à ce sport[221]. »
L'intersaison1992 est compliquée pourMcLaren Racing qui rencontre des difficultés de développement de son inédite boîte de vitesses semi-automatique, du nouveau moteur V12Honda ouvert à75° et de l'accélérateur électroniquefly by wire qui permet de passer les vitesses de laMcLaren MP4/7A en restant le pied sur l'accélérateur. Très peu présents lors des essais hivernaux, largement dominés par laCanon Williams dont les problèmes de fiabilité électronique semblent résolus et qui optimise sa nouvelle suspension active,Neil Oatley etRon Dennis doivent engager une version légèrement améliorée de la monoplace de la saison précédente dont Senna et Berger n'ont jamais été satisfaits. Le Brésilien reste le meilleur pilote du plateau et l'homme à battre mais l'ombre d'un doute subsiste[a 84],[222],[223],[224],[225].
Les pilotes Williams écrasent le début de saison avec trois doublés ; vainqueur des cinq premières courses,Nigel Mansell domine sans partage tandis que Senna, auteur de deux podiums, est confronté lors des deux premières courses au retard technique du châssisMP4/6B ainsi qu'au manque de fiabilité chronique de la nouvelle MP4/7A, loin d'être« l'outil révolutionnaire » promis[a 85],[b 52],[226],[227],[228],[229],[230]. Il fait régulièrement étalage de son insatisfaction quant au manque de réactivité de ses ingénieurs et menace rapidement si cela continue, de quitter l'écurie vers le plus offrant[231],[232],[233],[234],[235],[236],[237],[238],[239].
LaWilliams-Renault du futur champion du mondeMansell, devient très vite l'objet de toutes les convoitises.
Lors duGrand Prix de Monaco, Senna parvient à rivaliser avec Mansell ; il poursuit le Britannique tout au long de la course, s'empare de la tête au soixante-et-onzième tour et remporte la victoire pour 215 millièmes de seconde[a 86],[240]. Cet exploit reste ponctuel puisque Williams reprend sa domination au cours d'un été qui voit Mansell remporter trois nouvelles victoires[a 87],[b 53],[241],[242],[243]. Senna ne cache plus ses tractations entamées avecFrank Williams d'une part etLuca di Montezemolo d'autre part[244],[245],[246],[247]. Il profite des rares défaillances de Williams pour remporter deux victoires lors duGrand Prix de Hongrie (où Mansell, second de l'épreuve, s'assure définitivement de son premier titre de champion du monde[a 88],[b 53],[248]) et duGrand Prix d'Italie[249]. Ces succès n'apportent qu'une satisfaction mesurée au Brésilien, conscient d'un échec retentissant qui le pousse, pour la première fois, à prendre ses distances avec Ron Dennis qui refuse toujours l'intégration de la suspension active qui fait merveille chez Williams et qui est, selon Senna, le seul moyen pour McLaren de refaire son retard. L'annonce du futur départ de Honda est un nouveau coup dur pour Senna qui perd peu à peu ses principaux soutiens[b 53],[250],[251],[252],[253],[254],[255],[256],[257].
Le retour d'Alain Prost pour1993 rebat les cartes en coulisses.
AuPortugal, Senna se classe troisième ; il termine alors quatrième, avec cinquante points, d'un championnat du monde marqué par des luttes de pouvoirs et des négociations triangulaires mêlant d'un côté McLaren sur le déclin, de l'autre Williams en pleine renaissance et une lutte entre les trois meilleurs pilotes des dernières années[a 89],[b 53],[258]. Ces événements trouvent leur origine au moment du renvoi d'Alain Prost de chez Ferrari, le Français ayant pris une année sabbatique mais ne cachant pas sa volonté de recourir. La seule motivation d'Ayrton Senna étant de battre Prost, il apparaît que sans son rival, il n'est plus le même. Dans plusieurs interviews, Alain Prost déclare que, durant l'année 1992, Senna l'a appelé régulièrement afin de le convaincre de revenir au plus vite ; il n'aime pas se battre contre Mansell, capable de prises de risque encore plus osées que lui-même ni contreMichael Schumacher, un jeune talent qu'il n'apprécie guère : l'Allemand et le Brésilien s'accrochèrent àMagny-Cours puis Senna reprocha à Schumacher de l'avoir bloqué en qualifications àHockenheim au point d'en venir aux mains dans le standBenetton Formula[a 90],[259].
Senna a compris, tout comme Prost, qu'un volant chez Williams-Renault est désormais la meilleure chance de redevenir champion du monde. Alors que Prost dispose de contacts avancés et bénéficie de l'avantage d'être soutenu parRenault etElf, les principaux partenaires de l'écurie britannique, Senna se déclare prêt à piloter gratuitement pour Williams. Nigel Mansell, qui pensait profiter de ses victoires pour revaloriser son contrat, devient le dindon de la farce de ce jeu de billard à trois bandes. Écœuré, il part en Amérique du Nord disputer le championnatCART. Prost ayant obtenu sa titularisation, se voit approché par Senna qui tente de le convaincre de courir à ses côtés ; Prost gardant de très mauvais souvenirs de leur collaboration passée oppose son veto et Senna se répand contre lui dans la presse, menaçant même de prendre, à son tour, une année sabbatique[a 91],[b 53],[260],[261],[262],[263],[264],[265],[266],[267],[268],[269],[270].
Senna renonce finalement à un congé sabbatique mais se questionne sur son avenir au sein d'une écurie McLaren en difficulté économique (malgré le soutien maintenu de son sponsor historiqueMarlboro) et sans moteur, Honda, dont les ingénieurs sont très proches du Brésilien, confirmant son retrait pour1993[a 91],[b 53],[271],[272]. Le, il réalise un test pour le compte de l'écurie d'IndyCarPenske Racing avec son amiEmerson Fittipaldi, champion de la discipline en 1989, sur la piste de Firebird enArizona. Fittipaldi lui a proposé ce test car ces monoplaces, sans aucune aide électronique avec un levier de vitesse pour une boîte de vitesses manuelle séquentielle, lui avaient« redonné le goût du pilotage ». Bien que situé à proximité duPhoenix International Raceway, le directeurRoger Penske refuse de lui faire prendre le risque de rouler sur un ovale. Au volant d'une voiture de 1992, Senna se montre plus rapide que Fittipaldi. Nigel Beresford, l'ingénieur de Senna pour ces essais déclare :« Il est revenu aux stands et il m'a dit :« Merci beaucoup. J'ai appris ce que je voulais savoir. » Il a dégrafé son harnais et a sauté hors de la voiture. Il avait terminé […] Il était tout simplement incroyablement rapide. Au volant de la Penske 92, Fittipaldi a réalisé un temps de49 s 70 en comparaison de49 s 09 pour Senna. À la fin de la journée, Emmo a réalisé un temps de 48,5 avec la nouvelle Penske, ce qui n'était que 0,6 seconde plus vite que Senna. Ayrton a donc réalisé une performance étonnante, considérant qu'il pilotait une voiture datée d'un an et chaussée de pneus usés. Pour moi, cela prouve que Senna était capable de s'adapter extraordinairement vite à un nouvel environnement. »« Enchanté » par cet essai, Senna hésite encore sur son avenir pour la saison à venir[a 91],[273],[274],[275],[276],[277].
La revueForbes, dans sa publication des sportifs les mieux payés du monde, le classe au troisième rang, derrière les sportifs américains,Michael Jordan etEvander Holyfield, avec des revenus annuels équivalents à vingt-deux millions de dollars[278].
1993 : le retour de Prost et la démonstration de Donington
Début1993, Senna encore en réflexion, tarde à confirmer sa participation ; les deux pilotes McLaren inscrits auprès de la FIA et qui participent à la plupart des tests de la nouvelle monoplace sontMichael Andretti etMika Häkkinen, alors quePenske Racing confirmePaul Tracy etEmerson Fittipaldi enIndyCar. Quelques semaines avant la reprise du championnat, Senna rentre du Brésil pour défier Prost, le pilote de la redoutée Williams. Après quelques tours de piste à Silverstone, il se rend compte que, malgré un moteurFord-Cosworth V8 client HBD7, laMcLaren MP4/8 possède un châssis efficace et une électroniqueTAG fiable ; le Brésilien émet toutefois quelques réserves tant sur sa monoplace que sur l'évolution technologique qui selon lui, nivelle la valeur des pilotes :« Aller vite n'a jamais été un problème pour moi… Le plus difficile lorsqu'on prend en main une monoplace aussi nouvelle que celle-ci est de comprendre ce qu'il se passe et de comprendre la façon d'en garder le contrôle. La voiture est différente de celle de l'an passé car plus sophistiquée et elle dispose, en outre, d'un moteur radicalement différent du Honda. Il faut s'y habituer. Concernant les évolutions techniques, vous pouvez prendre deux ou trois pilotes qui ont chacun une façon opposée de piloter, de gérer leur accélération, leur rapport de boîte ou la puissance au sol. À chaque fois maintenant, l'électronique fait le travail et non le pilote. Ce n'est pas l'idée que je me fais d'un vrai championnat. » Moyennant des primes importantes (les rumeurs annoncent près d'un million de dollars par Grand Prix disputé), il signe un contrat d'une saison chez McLaren[a 92],[277],[279],[280],[281],[282],[283],[284],[285],[286],[287].
Contre toute attente, le Brésilien réussit, dès les premières courses de la saison sur des circuits techniques, à tirer parti de sa monoplace inférieure en puissance moteur mais disposant d'un châssis bien développé. Dauphin de Prost auGrand Prix d'Afrique du Sud, Senna réalise ensuite deux prestations de grande qualité. Il remporte pour la seconde fois sonGrand Prix national tandis que son rival abandonne ; son tour de rentrée aux stands prend une tournure spectaculaire quand la foule se rue sur la piste pour acclamer son héros qui s'est emparé d'un drapeau brésilien juste après son arrivée. Senna, qui roulait alors au ralenti pour saluer le public, est contraint de s'arrêter devant cette masse qui encercle sa voiture. Devant l'impossibilité d'avancer à travers cette foule, il laisse sa voiture en plein milieu de la piste et finit son tour d'honneur dans la voiture de sécurité, la fête se poursuivant ensuite sur le podium où il reçoit son trophée des mains deJuan Manuel Fangio[a 93],[b 54],[288],[289]. Ensuite, auGrand Prix d'Europe sur le circuit deDonington Park, il réalise, selon de nombreux amateurs de la discipline, sa plus belle démonstration de pilotage. Sous la pluie et sur un circuit réputé dangereux, il dépasse quatre concurrents, dont Prost, lors d'un premier tour d'anthologie, réalise des choix stratégique judicieux de gestion des pneumatiques et relègue tous ses rivaux, à l'exception deDamon Hill, à un tour[a 94],[b 55],[290]. Cette performance, encensée de tous, reste mitigée pour le principal intéressé qui, tout comme Prost, n'apprécie pas l'évolution électronique de la Formule 1 et considère que sa performance est plus liée à l'excellente électronique TAG de sa McLaren qu'à son talent ; il préfère citer sa première victoire sous le déluge d'Estoril ou son premier podium àMonaco[a 95],[b 56],[291]. Rivalisant avec la Williams d'Alain Prost, supérieure sur le plan technologique et qui remporte trois succès mais qui souffre de problèmes chroniques d'embrayage, Senna prend la tête du championnat devant Prost après sa victoire àMonaco, sa sixième en principauté, qui constitue encore un record[a 96],[b 56],[292],[293],[294].
À la mi-saison, sur les circuits rapides disputés qui nécessitent un bon moteur, le V10Renault surclasse le V8Ford et Senna ne peut tenir le rythme des pilotes Williams qui bénéficient encore des avantages électroniques qui seront bannis en 1994[a 97],[295]. Avec quatre victoires consécutives, Prost s'envole au championnat du monde tandis que son équipierDamon Hill, qui s'impose à trois reprises, assume parfaitement son rôle de soutien et prive de points le Brésilien qui, de plus, subit de nombreuses avaries techniques et ne monte sur aucun podium au cours de cette période[a 98],[b 57],[296],[297],[298],[299],[300],[301],[302],[303]. Mi-septembre 1993, alors que le paddock se trouve à Monza pour leGrand Prix d'Italie,Jean Todt, fraîchement nommé à la tête de laScuderia Ferrari, rencontre Ayrton Senna dans un hôtel au bord duLac de Côme[304]. Il veut l'engager, mais il a sous contrat deux pilotes (Jean Alesi etGerhard Berger) et lui explique qu'il ne pourrait rejoindre l'écurie de Maranello qu'en 1995, alors que le Brésilien souhaite piloter en rouge dès 1994. Les discussions restent toutefois ouvertes, la proposition de Todt restant valable pour 1995[304].
Profitant d'un nouvel ensemble aérodynamique et électronique en vue de la fin de saison, Senna retrouve des couleurs alors que le Français remporte son quatrième titre mondial au terme duGrand Prix du Portugal et annonce sa retraite. Senna obtient, par voie de conséquence, le volant de la Williams-Renault qu'il convoitait depuis plus de deux ans[b 58],. D'aucuns pointent dans ces événements, une manipulation fomentée parFrank Williams qui, s'il reconnaît le talent exceptionnel de Prost, recherche un pilote moins calculateur que le Français dont il sait bien que l'idée d'un nouveau tandem avec son principal rival le pousserait vers la retraite[a 99],[305],[306],[307],[308],[309],[310].
ÀSuzuka, le Brésilien remporte la quarantième victoire de sa carrière devant Prost ;Mika Häkkinen, le nouveau coéquipier du Brésilien, ne peut que constater l'ambiance glaciale qui règne sur le podium entre les deux grands rivaux[b 58],[311]. Senna attend en réalité la fin de sa confrontation avec Prost, auGrand Prix d'Australie àAdélaïde, pour signer la paix des braves. Après avoir réalisé la pole position, il remporte l'épreuve devant Prost. Après une poignée de main chaleureuse dans le garage du parc fermé, il invite Prost à monter avec lui sur la plus haute marche du podium, prémices d'une réconciliation qui vire à la franche rigolade lors de la conférence de presse durant laquelle Senna révèle que Ron Dennis vient de lui dire que, s'il le souhaite, il peut rester chez McLaren en 1994. Prost tape alors dans le dos de Senna en lui disant« Tu sais, il m'a dit la même chose fin 1989 » et poursuit par« Une rivalité doit avoir une fin et même s'il n'y aura probablement jamais d'amitié, il est important de montrer qu'il existe du respect entre pilotes et que le sport sort toujours gagnant d'une manière ou d'une autre[a 100],[b 59],[312],[313]. »
Deuxième du championnat avec cinq victoires, Senna a tiré le meilleur d'une monoplace inférieure à celle de son rival. Il quitte l'écurie McLaren etRon Dennis fort d'une collaboration qui l'a vu remporter trois titres de champion du monde, 46 pole positions, 35 victoires, 55 podiums et 18 meilleurs tours en course, combiné à des rivalités avec des pilotes aussi illustres qu'Alain Prost ouNigel Mansell qui ont marqué l'histoire du sport automobile et lui ont permis de dépasser le cadre de son sport. Le Brésilien doit relever le défi de s'adapter aux méthodes de travail différentes chezWilliams-Renault ainsi qu'à une monoplace privée des avancées technologiques qui faisaient sa force[a 100],[314],[315],[316].
À l'issue de la saison, Prost et Senna se retrouvent à plusieurs reprises pour discuter de la nouvelle Williams en développement ainsi que pour piloter ensemble lors d'une course dekarting de charité àParis-Bercy à l'initiative d'Ayrton Senna. Senna et Prost passent la soirée à bavarder sous les yeux du public, ce qui semble officialiser leur entente. Conscients tous deux que l'un sans l'autre, leur carrière n'aurait certainement pas eu le même impact, ces deux pilotes, probablement les meilleurs de leur génération avaient développé un énorme respect mutuel mais leurs caractères de champions les empêchaient de se rapprocher tant qu'ils étaient en compétition[317].
Présenté comme favori duchampionnat, Senna doit composer avec uneFW16 privée des assistances électroniques telles que les suspensions actives ou le système d'anti-patinage qui ont permis àWilliams d'obtenir plusieurs titres de champions des constructeurs. Bien que mise au point parAdrian Newey, la monoplace s'avère rétive et difficile à mettre au point. Le seul point de satisfaction de l'intersaison pour le Brésilien est de renouer avec les ingénieurs français de la régieRenault qu'il côtoyait chezLotus et dont le moteur, puissant et fiable, équipe la monoplace[a 101],[a 102],[b 60],[318],[319].
Le Brésilien doit aussi faire face, en l'absence de Prost et du fait d'un équilibre du plateau (les écuries étant désormais toutes logées à la même enseigne) à une nouvelle génération de pilotes très rapides comme son équipierDamon Hill,Michael Schumacher,Mika Häkkinen ou encoreJean Alesi qui se sont mis en évidence lors des essais privés[320],[321],[322].
Auteur de la pole position lors des deux premières manches, le Brésilien achève ses courses par la déception d'un tête-à-queue lors duGrand Prix du Brésil puis après un accrochage avecNicola Larini au départ duGrand Prix du Pacifique ; il voit l'Allemand Schumacher remporter les deux courses sur saBenetton B194-Ford, dont il doute de la probité technique, s'envoler au classement du championnat[a 103],[b 61],[323],[324],[325].
Lorsque se confirment ses doutes sur sa monoplace, qu'il juge instable et difficile à régler, Senna, contrairement aux saisons précédentes, ne cache plus ses émotions ni son pessimisme au moment d'aborder unGrand Prix de Saint-Marin déjà décisif[a 103],[326].
LeGrand Prix de Saint-Marin sur le circuitd'Imola enItalie, troisième Grand Prix de la saison, les 29, 30 avril et, tourne au cauchemar dès le vendredi, marqué par le violent accident du jeuneRubens Barrichello, pilote brésilien de l'écurieJordan, troisième du championnat, qui perd soudainement le contrôle de sa monoplace à l'entrée d'une chicane rapide avant de décoller et de s'écraser contre un mur de pneus. Barrichello est transporté inconscient à l'hôpital du circuit, laissant craindre le pire sur son état de santé jusqu'à ce qu'Ayrton Senna, venu à son chevet, rapporte des nouvelles rassurantes à son sujet. Souffrant de blessures légères, Barrichello, forfait pour le reste du weekend, est de retour dans le paddock dès le lendemain :« Je ne me souviens pas de grand chose concernant ces moments mais je n'oublierais jamais les larmes que j'ai vues dans les yeux d'Ayrton ce jour-là[a 104],[327],[328]. »
LaVilleneuve curva, lieu de l'accident de Ratzenberger.
Le samedi, lors des essais qualificatifs au terme desquels Senna obtient sa soixante-cinquièmepole position, l'AutrichienRoland Ratzenberger, au volant de saSimtek-Ford, est victime d'un accident mortel dans la courbe Villeneuve juste après avoir perdu un aileron dans le virage de Tosa. Ratzenberger est très certainement tué sur le coup mais son décès n'est constaté officiellement que lors de son transfert hors du circuit. En effet, selon la loi italienne, si le décès avait été constaté sur place, la piste aurait été placée sous scellés aux fins d'inspection et d'enquête ce qui aurait automatiquement entraîné le report du Grand Prix[a 105],[327],[328].
Senna, choqué par l'événement reste longuement troublé devant le moniteur du stand Williams qui diffuse les images de l'accident et de l'intervention des secours. Il prend la décision de monter à bord d'une voiture de la direction de course et se rend sur les lieux de l'accident pour discuter avec des commissaires de piste. Pour ce geste, il est vertement rappelé à l'ordre par lettre le dimanche matin par laFIA, les officiels considérant qu'il n'avait rien à faire sur place. Profondément affecté par ce drame, Senna éprouve un mauvais pressentiment et confie au téléphone à sa compagne Adriana Galisteu qu'il ne souhaite pas courir. Le professeurSid Watkins, à la tête de l'équipe médicale sur les circuits de Formule 1, rappelle dans ses mémoires qu'Ayrton Senna a pleuré sur son épaule à l'annonce de la mort de Ratzenberger[a 106],[a 107],[329]. Watkins tente de persuader Senna de ne pas courir le lendemain, lui disant qu'il est le triple champion du monde, le plus rapide et qu'il ferait mieux de« se mettre à la pêche » (« What else do you need to do? You have been world champion three times, you are obviously the quickest driver. Give it up and let's go fishing[329]. ») Senna lui rétorque qu'il n'a pas le contrôle sur certaines choses et qu'il doit continuer (« Sid, there are certain things over which we have no control. I cannot quit, I have to go on[a 106],[329]. »)
Lors du repas du samedi soir, en compagnie de son agentJulian Jakobi et de son ancien équipierGerhard Berger, Senna demande à ce qu'un drapeau autrichien lui soit remis afin qu'il puisse rendre hommage à Ratzenberger sur le podium en cas de victoire[327].
Senna perd le contrôle de sa F1 dans le virage de Tamburello, le premier après la ligne de départ.
La course aura donc lieu. Au briefing des pilotes, Ayrton Senna demande au FrançaisErik Comas, qu'il a secouru à Spa en 1992, de le rencontrer à Monaco afin de parler de sécurité[330]. Visiblement, Senna a l'intention de reformer un comité de pilotes et en discute également avec Michael Schumacher et Gerhard Berger à la sortie du briefing. Le dimanche midi, il traverse le paddock et le motorhomeRenault pour rejoindre Alain Prost et, à nouveau, lui parle de sécurité et de ses doutes sur la possibilité de contenir la Benetton de Schumacher avec sa Williams. Prost déclare :« Je ne l'avais jamais vu aussi perturbé et préoccupé par la sécurité des pilotes en général. Ça correspondait à son état d'esprit du moment. Il semblait bien différent de celui que j'avais connu quand je courais encore, six mois plus tôt. Quelqu'un de plus fragile, beaucoup moins serein. Avant, on avait l'impression que rien ne pouvait détruire Senna. Et puis là, d'un coup, on sentait qu'il était un peu moins bien[a 108],[a 109],[327],[331],[328]. »
Outre les accidents de Barrichello et de Ratzenberger,JJ Lehto etJean Alesi ont été victimes de violentes sorties entraînant des blessures lors de l'intersaison ;Karl Wendlinger à Monaco etAndrea Montermini à Barcelone seront ensuite violemment accidentés. Le changement de réglementation et le retrait subit de l'électronique ont vraisemblablement rendu les monoplaces plus imprévisibles ce dont Senna, pilote d'instinct, était conscient :« C'est une grande erreur d'interdire les aides électroniques. Maintenant les monoplaces sont trop rapides et très difficiles à piloter. Il y aura beaucoup d'accidents cette saison et on aura beaucoup de chance s'il n'y a pas de catastrophe[a 103]. » De plus, nombre de circuits n'ont plus été aménagés au niveau sécuritaire depuis quelques saisons sous prétexte qu'aucun pilote de Formule 1 ne s'est tué depuisElio De Angelis lors d'une séance d'essais privés en 1986[332],[331].
Senna reçoit rapidement des soins d'urgence à même la piste avant d'être héliporté vers l'hôpital Maggiore deBologne. Le Grand Prix se poursuit jusqu'à son terme, après une interruption d'une vingtaine de minutes, non sans qu'un nouveau drame ne se produise dans les stands lorsque, à onze tours de la fin, la Minardi deMichele Alboreto perd une roue qui blesse plusieurs mécaniciens. Des rumeurs circulant autour du circuit indiquent que Senna est sauf[334], mais il n'y a aucun moyen de le soigner compte-tenu de la gravité de ses blessures et de samort cérébrale constatée dès son arrivée à l'hôpital. Deux heures après la collision, l'état de Senna est très critique : coma profond, front enfoncé, multiples fractures crâniennes. Le Brésilien est transféré à l'hôpital Bellaria, spécialisé dans la neurochirurgie où on doit tenter une opération du cerveau, qualifiée de la dernière chance, finalement rendue impossible du fait de lésions généralisées. Le décès est officiellement prononcé peu après18 h 30[a 112],[331].
La cause directe de la mort du Brésilien résulte d'une circonstance malheureuse ; en effet, sous la violence du choc, le triangle supérieur de sa suspension avant droite s'est brisé et est allé frapper, tel un sabre, la visière de son casque. Selon l'autopsie, cette pièce aurait perforé le visage de Senna sous l'arcade sourcilière droite et provoqué des lésions irréversibles dans le cerveau ainsi qu'une forte hémorragie. Le reste du corps est en parfait état[a 112],[335].« Ayrton n'a pas eu de chance. Il n'a pas eu un os brisé. Pas un bleu. Si cette pièce d'assemblage était passée 15 centimètres plus haut ou plus bas, il aurait regagné le paddock à pied. », dit le journaliste brésilien Reginaldo Leme dans les dernières minutes du filmSenna[336].
Alors que la Williams FW16 de Senna est ramenée aux stands et bâchée, un officiel qui examine la voiture trouve dans son cockpit le drapeau autrichien que Senna avait demandé pour rendre hommage à Ratzenberger au cas où il gagnerait la course[337],[331],[338].
Le matin de l'épreuve, Senna, réconcilié avec Prost devenuconsultant pour la chaîne de télévisionTF1, lui avait adressé un message amical en direct alors qu'il effectuait untour de circuit commenté :« Before the beginning, a special hello to my… our dear friend Alain. We all miss you Alain! » (« Avant de commencer, un bonjour spécial à mon… à notre ami Alain. Tu nous manques à tous, Alain[a 113],[327],[328],[331] ! »)
Cause officielle de l'accident : rupture de la colonne de direction
La cause officielle de l'accident est une rupture de la colonne dedirection. Senna avait lui-même exigé que cette colonne soit retouchée de manière à améliorer son confort de pilotage[339]. LaWilliams FW16 étant une évolution de laFW14 de 1991, le cockpit n'avait pas changé depuis que Nigel Mansell avait défini une position de conduite avec un volant près du corps. Alain Prost révéla avoir souffert dans le cockpit de laFW15C en 1993 et le même problème arriva à Senna sur la FW16 : cette mauvaise position lui occasionne unetétanie du haut du corps lors du Grand Prix du Brésil. Il demande donc que le volant soit éloigné et la longueur de la colonne de direction a été ainsi réduite[a 114],.
La modification ayant été réalisée dans l'urgence, une mauvaise soudure serait la cause de la rupture de la colonne de direction, sollicitée à pleine vitesse dans Tamburello. Cela valut aux principaux responsables de l'écurie Williams,Frank Williams le propriétaire de l'écurie,Patrick Head, copropriétaire et directeur technique etAdrian Newey, le concepteur de la voiture, d'être traduits devant la justice italienne. À l'issue d'une procédure de près de dix ans, la justice prononce leur acquittement[a 115].
D'autres hypothèses ont été avancées : un malaise de Senna qui avait l'habitude de piloter enapnée sur de longues portions, une chute de la pression des pneumatiques due à un possible passage sur un débris présent sur la piste ou la baisse de rythme consécutive aux nombreux tours couverts derrière lavoiture de sécurité juste avant le drame. La baisse de pression des pneus aurait entraîné une diminution de la garde au sol de la voiture qui, au passage d'une bosse, aurait« talonné » ; le fond-plat de la voiture directement au contact de la piste prive dès lors la voiture de l'adhérence produite par l'effet de sol et la transforme en luge incontrôlable[340].
SeulDamon Hill, son coéquipier, évoque une possible faute de Senna, non pas une erreur de pilotage mais une trop grande prise de risque[341]. Durant les essais, Senna lui aurait conseillé de ne pas trop passer à l'intérieur de la trajectoire de la courbe de Tamburello à cause des nombreuses bosses car les Williams, ayant une garde au sol et un débattement de suspension assez faibles, le supportaient mal. Pourtant, en course, Senna prit l'intérieur de cette courbe avec des pneus refroidis par l'attente derrière la voiture de sécurité. Cela peut s'expliquer par le contexte : Senna avait déjà vingt points de retard sur Schumacher au championnat, et selonAlain Prost, soupçonnait la Benetton de disposer d'un anti-patinage illégal. Senna aurait donc pris un risque pour réduire l'écart sur Schumacher[342].
Le décès d'Ayrton Senna connaît un retentissement planétaire, surtout auBrésil, sa patrie à laquelle il était très attaché. Le Brésilien, personnalité charismatique dont la popularité dépasse le cadre du simple sport de haut niveau, est une source d'inspiration pour beaucoup qui estiment qu'il n'a jamais renié ses origines. Des Paulistes par milliers mais aussi des millions de personnes dans tout le pays portent le deuil du triple champion du monde de Formule 1 devenu un héros national. ÀSão Paulo, sur les 45 kilomètres qui séparent l'aéroport du centre-ville, des centaines de milliers de personnes se pressent autour du camion de pompiers transportant le cercueil de Senna[343], couvert du drapeau national, ensuite exposé devant la Fondation de la renaissance, une secte évangélique dont le Brésilien était un membre assidu. Avant la cérémonie des obsèques, plus de deux cent mille personnes défilent afin de lui rendre un dernier hommage ; la file d'attente atteint sept kilomètres[343].
La tombe d'Ayrton Senna au cimetière de Morumbi àSão Paulo.
Après avoir décrété trois jours de deuil national, le président de la République Itamar Franco, qui assiste aux obsèques, décore Senna de la grand-croix du mérite, l'une des plus importantes distinctions du pays ;« Senna était la seule personne qui nous rendait fiers d'être Brésiliens. Il nous donnait de la dignité et le voir courir nous procurait un soulagement après toute la corruption, la misère et la pauvreté qui nous entourent[343],[344],[345],[346],[347]. » Sa sœur poursuit :« Lorsqu'il accélérait, des millions de cœurs battaient pour lui. Les gens ordinaires sentaient bien qu'il était différent. Après chaque victoire, toujours revenait la même image : Ayrton brandissait le drapeau national et appelait la foule à partager sa joie. Les Brésiliens pouvaient, ainsi, ressentir cette force et ce courage en eux. Eux aussi, étaient des champions pendant ces instants[b 62]. »
Le 17 juillet 1994, l'équipe du Brésil de football bat l'Italie en finale de laCoupe du monde et dédie sa victoire à Senna en se regroupant sur la pelouse duRose Bowl dePasadena derrière une bannière proclamant :« SENNA… ACELERAMOS JUNTOS, O TETRA É NOSSO[348] ! » (« Senna, nous accélérons ensemble, le quatrième est à nous[349] ! »). En effet, Senna, qui avait rencontré divers membres du groupe dontLeonardo quelques mois plus tôt à Paris, leur avait dit« C'est notre année. »« Nous étions captivés, d'un seul coup, nous nous sommes mis à y croire » a raconté le gardienCláudio Taffarel. Pour Senna comme pour la Seleçao, l'objectif était de gagner un quatrième titre mondial[350].
Durant le reste de la saison, divers hommages lui sont rendus, par certains pilotes telsDamon Hill etMichael Schumacher ou encore par le public et les organisateurs, comme auGrand Prix du Japon 1994 où une cérémonie est organisée avant le départ : un hélicoptère, peint aux couleurs de son casque, se pose sur la piste, avec à bord sa sœur Viviane[351].
Alain Prost retrace ainsi son parcours aux côtés de Senna :« Nous nous sommes bagarrés l'un contre l'autre pendant des années. Nous étions ennemis bien sûr mais nous nous respections. L'un sans l'autre, nos carrières n'ont plus le même sens. Il ne se passe pas une semaine sans que l'on me parle de ma rivalité avec Ayrton et je sais que pour Ayrton, c'était la même chose. Senna était un peu mystique, il avait un côté fascinant. C'était une sorte de héros. À l'inverse, moi je faisais office d'antihéros. Quand on était ensemble en course, qu'on soit adversaires ou coéquipiers, je ressentais ça auprès du public mais ce n'était pas grave, je l'assumais tout à fait et je le comprenais. Quand j'ai fini ma carrière, en 1993, Senna m'a dit, redit, expliqué que, d'une certaine manière, j'étais sa motivation première. Il voulait me battre. Quand il me l'a dit, j'ai pris ça comme un compliment. À partir du moment où j'ai arrêté de courir on s'est beaucoup plus parlé que durant notre carrière. J'ai appris à l'apprécier humainement et à comprendre rétrospectivement son comportement face à moi. En tout cas, Senna était un talent brut. Ce que je peux dire, c'est qu'il s'agit sûrement du meilleur coéquipier que j'aie jamais eu mais aussi de mon plus grand adversaire[352],[353]. »
Ron Dennis, son patron chez McLaren de 1988 à 1993, estime que Senna mérite son statut de légende de la Formule 1 :« Senna est considéré comme le plus grand parce qu'il a été bon à chaque instant. Il n'y a pas eu un seul moment de déclin dans sa carrière. Il a toujours été compétitif et, tout à coup, il n'était plus là. Alors de quoi se souvient-on ? Je ne me suis jamais demandé à quoi Ayrton ressemblerait s'il était encore parmi nous. Il a toujours été génial, il a toujours eu de belles valeurs humaines, il a toujours eu des principes même si je me souviens bien du crash qu'il a provoqué à Suzuka, en 1990, avec Alain Prost. Ce jour-là, il ne fallait pas être Einstein pour voir ce qu'il avait fait avec les traces de pneus au sol, ce qu'il a fait avec l’accélérateur. Je lui ai alors dit que j'étais déçu par lui. Il n'avait pas à en dire plus. Cela a été l'un de ses rares moments de faiblesse. Sur un circuit, Ayrton ne parlait que de course. Sa vie personnelle n'était plus présente et contrairement à beaucoup d'autres pilotes, il était totalement impliqué et concentré, il tirait toute sa satisfaction, toute son émotion de ce qu'il faisait en piste, lorsqu'il roulait et lorsqu'il gagnait. Il avait un tel niveau d'adrénaline que cela le rendait unique. Mais il n'avait pas pour autant le côté fermé ou mauvais que certains ont décrit. Il jouait le jeu de l'équipe, il se souciait des mécaniciens, il admettait que quand il avait tort, il avait tort. Ce sont des qualités inhabituelles pour un pilote de Formule 1[354]. »
Gérard Ducarouge, directeur technique d'Ayrton Senna chezLotus de1985 à1987 :« La première fois que j'ai rencontré Senna s'est déroulée à Rio de Janeiro au sein de l'hôtel dans lequel je séjournais en marge du Grand Prix du Brésil. Je prenais le soleil quand trois personnes sont arrivées, dont Ayrton Senna accompagné de deux journalistes brésiliens. Il s'est présenté et pendant cinq minutes m'a fait une caricature de ma carrière, deMatra àAlfa Romeo en passant parLigier et avec un sens du détail remarquable. J'étais abasourdi par la précision de son récit. Il a achevé en me lançant : « un jour, je te garantis que nous travaillerons ensemble. ». Alors que je venais à peine de signer chez Lotus, je travaillais dans mon bureau, j'ai entendu deux personnes parler dans le couloir. Je me suis rapproché et j'ai surpris Ayrton Senna en train de dire àPeter Warr : « De toute façon, si Gérard Ducarouge n'est pas là, je ne viendrai pas. » Peter s'est alors approché de mon bureau et a ouvert la porte. Je n'oublierais jamais le visage d'Ayrton, stupéfait comme un enfant. Nous ne nous sommes rien dit. Tout s'est passé dans le regard. Nous avons su que nous allions vivre quelque chose de fabuleux[a 116]. »
Nigel Mansell se souvient :« Ayrton était notre plus grand rival, il ne ménageait pas ses efforts pour tirer le meilleur de sa voiture et de son équipe. Dans les années1980, j'ai eu la chance de rouler en compagnie de nombreux grands pilotes mais Ayrton s'en distinguait. Au début, nous étions ennemis et je peux même dire que nous nous détestions. Il voulait gagner à tout prix contre tout le monde et nous avons donc eu quelques prises de bec àSpa-Francorchamps notamment. Ayrton intimidait tout le monde, mais il s'est rendu compte que je ne cédais pas et il a donc revu son comportement à mon encontre. Nous avons aussi disputé de belles courses l'un contre l'autre où nous nous sommes battus proprement. Avec le temps, un grand respect et une compréhension mutuelle se sont développés entre nous et nous sommes devenus amis[355]. »
Gerhard Berger, son équipier chez McLaren de1990 à1992, était l'un de ses plus proches amis :« La dernière fois que je l'ai vu fut à l'hôpital deBologne et je savais qu'il était mourant. Le professeur Watkins m'a laissé rester dans sa chambre quelques instants seul avec lui, pour la dernière fois. J'ai passé quelques minutes avec lui, et voilà. Dans cette vie, on est peu préparé à la mort. En fait, au cours de ma carrière, beaucoup de mes amis et coéquipiers sont morts –Michele Alboreto,Elio De Angelis,Roland Ratzenberger,Manfred Winkelhock,Jo Gartner et ça continue comme ça. Mais, de tous, Ayrton était mon ami le plus proche et bien que cela n'ait pas été complètement inattendu, cela fit vraiment mal. Par la suite, remonter dans ma voiture de course fut ma réalisation la plus difficile en sport automobile. Puiser en moi fut très difficile, particulièrement lorsque ma fille vint me demander s'il était vrai qu'Ayrton était mort. Ce fut dur mais tous les pilotes devaient faire face à la même chose en1994. Voulions-nous encore le faire ? Était-ce fou ? Ce furent des temps très difficiles et dramatiques. Mon dernier vrai souvenir d'Ayrton est lorsqu'il s'est retourné et m'a souri sur la grille alors que les noms des pilotes étaient annoncés dans les haut-parleurs et que la foule deSaint-Marin m'acclamait. C'était le sourire d'un ami qui était heureux de voir le soutien des gens et leur amour pour moi. C'est la dernière chose dont je me rappelle de lui[356]. »
Fresque en hommage à Senna pendant lesJeux olympiques de Rio en 2016.Senninha, le personnage de bande-dessinée imaginée en 1993 par Ayrton Senna.
Issu d'un milieu aisé, lui-même rapidement multimillionnaire, Senna n'était pas moins préoccupé par les graves difficultés économiques et sociales de son pays. Finançant pendant plusieurs années des œuvres caritatives, Senna commence à la fin de sa vie à réfléchir à un projet de plus grande envergure pour aider les enfants les plus démunis de manière organisée et efficace. Senna disparu, sa sœurViviane Senna Lalli concrétise ses projets avec laFondation Ayrton Senna qui a investi près de 100 millions de dollars au cours des vingt dernières années dans divers programmes et actions en partenariat avec des écoles, des pouvoirs publics, desONG et le secteur privé de vingt-cinq états du Brésil. La fondation aide les écoles et met en place des projets éducatifs pour les enfants et adolescents les plus démunis, notamment par la pratique régulière du sport l'après-midi après la classe du matin. Selon Viviane, il s'agit non seulement d'apprendre aux enfants à respecter des règles et le fair-play mais aussi de les« fatiguer » afin qu'ils se couchent tôt et évitent de traîner dans les rues peu sûres desfavelas. À ce titre, le personnage debande dessinéeSenninha, créé en 1993, est un autremédia par lequel Senna a étendu son statut de modèle en faveur des jeunes enfants brésiliens[b 63],[b 64],[359],[360]. La fondation a ainsi travaillé en lien avec leComité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Rio dans le but d'y associer l'image d'Ayrton Senna[361].
Les marchés les plus importants pour lesproduits sous licence Senna sont le Brésil, le Royaume-Uni et l'Italie. La fondation vend des centaines d'articles qui s'adressent d'une part aux fans de Formule 1 (livres, DVD, casques et souvenirs de collection) d'autre part au grand public qui ne s'intéresse pas nécessairement au sport automobile mais plutôt à Senna pour son charisme et ses valeurs (jouets, bandes dessinées pour les enfants ainsi qu'une ligne alimentaire)[b 63],[b 65],[362],[360]. La fondation est notamment soutenue parBernie Ecclestone, l'ancien directeur général de laFormule 1, et par SirFrank Williams, le propriétaire et fondateur de l'écurieWilliams ; les anciens pilotesAlain Prost etGerhard Berger siègent auconseil d'administration.
Les décès de Senna et Ratzenberger ont conduit à de nombreuses améliorations en matière de sécurité des circuits et des monoplaces de Formule 1. Celles-ci incluent des barrières de sécurité améliorées, des voies redessinées, des normes de sécurité élevées en cas de collision (telles que des seuils plus larges le long du poste de conduite) et des limitations drastiques de la puissance des moteurs. Les manufacturiers de pneumatiques qui se livraient à une guerre de performance ont été forcés de fournir des gommes moins performantes. Le virage de Tamburello et d'autres parties du circuit d'Imola ont été modifiés dès lasaison 1995. De plus, Les procédures médicales ont été revues afin que les équipes d'intervention sur les lieux d'accidents soient mieux préparées. La décision de mettre en place des rideaux de sécurité sur les lieux d'accidents a été prise afin d'empêcher le public de voir des images pénibles comme ce fut le cas en direct avec Senna. Les équipements des pilotes tels que les casques ont été améliorés notamment avec l'instauration duSystème HANS qui évite à la tête du pilote, en cas de choc, de basculer trop fort trop vite et trop loin[363],[364].
En avril 2000, Senna est intronisé auTemple international de la renommée du sport automobile. La même année, le public britannique place son premier tour au Grand Prix d'Europe 1993 au quarante-troisième rang de la liste des cent plus grands moments sportifs[365]. Senna remporte la première place du classement des meilleurs pilotes de Formule 1 de tous les temps lors d'un vote mis en place en 2009 par le magazine britanniqueAutosport ; ce vote regroupe des participants tels que de grands chroniqueurs sportifs de la Formule 1 ainsi que les 217 pilotes vivants ayant participé à un Grand Prix, parmi lesquelsAlain Prost,Nelson Piquet,Michael Schumacher ouNiki Lauda. Le Brésilien devance Schumacher,Juan Manuel Fangio,Alain Prost etJim Clark[366]. Très populaire auJapon à la suite de sa collaboration avec le constructeurHonda, le public japonais le classe à la vingt-deuxième place du classement des personnalités les plus marquantes de l'histoire du Japon lors d'un vote effectué en 2006[360]. Le 4 décembre 2017, Senna fait partie de la promotion initiale des pilotes intégrant leTemple de la renommée de la FIA.
De nombreux pilotes en activité, dont le septuple champion du MondeLewis Hamilton, n'ont jamais caché la source d'inspiration que représente le Brésilien. En 2015, lorsque Hamilton remporte son troisième titre de champion du monde, égalant ainsi Senna, la famille d'Ayrton Senna, par l'entremise de Viviane Senna présente durant le Grand Prix du Brésil, lui remet une édition d'un portrait réalisé par l'artiste Ian Berry, à partir de blue-jeans portés par le Brésilien[367].
Le modèle F4 1000 Senna de la moto de marque italienne MV Agusta.
Entre 1996 et 1998, le constructeur italien de motosDucati produit trois éditions spéciales de la916 Superbike. Ducati appartenait alors à un ami personnel du Brésilien qui était un passionné et possédait une moto de la marque. En 2002,MV Agusta commercialise une édition spéciale limitée à 300 exemplaires de saF4, la 750 Senna suivie de la F4 1000 Senna en 2006. Comme pour la Ducati 916, les bénéfices des ventes sont reversés à la Fondation Ayrton Senna. En 2013, Ducati produit une version spéciale de sa1199 Panigale. En 2014, la Fondation Ayrton Senna commande uneVespa commémorative, peinte sur mesure aux couleurs du casque d'Ayrton Senna par Alan Mosca (le fils du créateur du casque de Senna) et destinée à être vendue aux enchères pour des œuvres de bienfaisance[368],[369],[370].
Le modèle McLaren Senna exposé au Le Mans Classic 2018.
Le 25 octobre 2013, la sortie du jeu vidéoGran Turismo 6 surPlayStation 3, est une nouvelle occasion de rendre hommage au Brésilien. Le jeu propose un contenu additionnel qui suit Senna de ses débuts en karting à la Formule 1 ; une partie des bénéfices est reversée à la Fondation Ayrton Senna[375]. Le Brésilien a précédemment été immortalisé dans un jeu vidéo avec le lancement, parSega en 1992 surMega Drive, deSuper Monaco GP II. Outre les conseils de Senna lui-même, le jeu comprend la plupart des circuits duChampionnat du monde de Formule 1 1991 ainsi que des pilotes et équipes fictifs en raison des restrictions de licence, à l'exception de Senna et sa McLaren[376].
Le 21 mars 2014, unGoogle Doodle honore le54e anniversaire de sa naissance[377]. Le, l'équipementier sportifNike et leSport Club Corinthians Paulista dont Senna était un fervent supporter, dévoilent une collection inédite rendant hommage au pilote, y compris le troisième kit de l'équipe. La collectionLute Até Ser Eterno (combattez jusqu'à ce que vous soyez éternel) est un hommage au trentième anniversaire de son premier titre mondial. En partenariat avec l'Institut Ayrton Senna, la collection s'inspire de la livrée de la Lotus avec laquelle Senna a couru de 1985 à 1987. Sur le torse, 41 lignes horizontales rappellent ses 41 victoires[378].
Viviane Senna, la sœur d'Ayrton, qui poursuit son œuvre.
Ayrton Senna, né à Santana, district deSão Paulo, est le fils du propriétaire terrien et industriel Milton da Silva et de son épouse Neide Senna da Silva[b 66],[387]. Il grandit dans le nord de São Paulo[2]. Il a une sœur aînée, Viviane, et un frère cadet, Leonardo dont il était très proche[387].
Senna a été brièvement marié au tout début de sa carrière de 1981 à 1982 mais sa vie de pilote écumant les circuits du Royaume-Uni afin de s'y faire remarquer a eu raison de cette relation. Sa première femme, Lilian Vasconcelos, déclare :« Ayrton était une personnalité exceptionnelle. Il me respectait et était constamment en recherche d'affection. Je l'aimais, il m'aimait mais sa première passion était la course… Il n'y avait rien de plus important au monde pour lui, ni sa famille, ni sa femme, rien[a 117],[388]. »
Senna a eu ensuite plusieurs relations plus ou moins médiatisées dont la plus importante, de 1988 à 1992-1993, avecXuxa Meneghel, la star de télévision brésilienne qui partage son engagement en faveur des enfants défavorisés. Lorsque, tout juste champion du monde, il participe à son show télévisé de la fin d'année 1988, elle lui demande« Que souhaites-tu pour Noël ? » la couvant du regard, il lui répond :« Censuré ! » puis lui exprime la nature de ses pensées à l'oreille. Elle le couvre alors de marques de rouge à lèvres en décomptant entre chaque baiser« Bonne année 1989 ! Bonne année 1990 ! Bonne année 1991 ! Bonne année 1992 ! Bonne année 1993 ![a 118],[389]. » Senna et Xuxa apparaissent enlacés sur de nombreuses photos et images filmées, y compris dans les paddocks, durant cette période. Sa dernière compagne estAdriane Galisteu, un mannequin brésilien rencontré l'année précédant sa mort lors d'une réception organisée parShell, unsponsor deMcLaren, dans le cadre duGrand Prix du Brésil où Galisteu passait une audition sous l’égide d’une agence de mannequins dans le but de travailler comme hôtesse[5].
Sans enfant, Ayrton Senna était très proche de ses neveux et nièces parmi lesquels Bruno[b 67], le fils de sa sœur. Devenu pilote à son tour,Bruno Senna est, en 2008, vice-champion deGP2 Series et fait ses premiers pas en Formule 1 lors d'une séance d'essais privés pour le compte de l'écurieHonda Racing F1 Team en novembre de la même année[390]. En 2009, il dispute le championnatLe Mans Series qu'il termine au seizième rang. Il commence sa carrière en Formule 1 en2010 au sein de l'écurie noviceHispania Racing F1 Team avant de devenir, en 2011, pilote d'essai puis titulaire chezRenault F1 Team. Après avoir perdu son volant, il rejoint, en 2012,Williams, dix-huit ans après son oncle. Bruno Senna dispute l'intégralité du championnat qu'il termine à la seizième place, avec31 points ; il réalise le meilleur tour en course sur lecircuit de Spa-Francorchamps théâtre duGrand Prix de Belgique. Sans volant en Formule 1, il se reconvertit dans les épreuves d'endurance et deFormule électrique et termine notamment quatrième des24 Heures du Mans, sur uneRebellion R13-Gibson accompagné de l'AllemandAndré Lotterer et du SuisseNeel Jani. Ayrton Senna avait affirmé en 1993,« Vous pensez que je suis doué, attendez de voir Bruno[b 68]. »
Senna possédait plusieurs propriétés dont une ferme biologique àTatuí, au Brésil, où il a fait construire une piste de karting en 1991, une maison de plage àAngra dos Reis, un appartement àSão Paulo au Brésil, un appartement àMonaco, un complexe immobilier àSintra sur la Riviera portugaise et une maison enAlgarve, au Portugal où il résidait l'essentiel du temps lorsque les Grands Prix se disputaient en Europe[a 119],[391],[392].
Senna était connu pour sa grande agressivité en piste, agressivité le plus souvent exprimée à bon escient et qui faisait de lui un concurrent extrêmement redoutable, ne reculant pas face aux dangers et d'une grande habileté dans les dépassements. Cette agressivité s'exprimait parfois aussi au-delà de la sportivité, ce qui pouvait l'amener à provoquer volontairement et selon le contexte du championnat, un accident au mépris des risques encourus, comme au départ duGrand Prix du Japon 1990 quand il éperonne volontairement laFerrari d'Alain Prost qui lui disputait le titre. Cette détermination en piste tient en partie son origine des nombreuses années au cours desquelles il pratiqua le karting à très haut niveau. Il avait tendance à piloter une Formule 1 de façon similaire à un kart où les contacts entre pilotes sont moins dangereux. Cela pouvait créer des tensions avec des pilotes moins habitués et qui ont conscience de jouer leur vie à chaque course[393].
Plus que ses quarante-et-un succès en course, ses performances lors des séances de qualification ont marqué les esprits : dans cet exercice de vitesse pure exigeant une performance sur un tour lancé, le Brésilien porta le record du nombre de pole positions, détenu parJim Clark, à soixante-cinq unités[394]. PourGérard Ducarouge, la tactique était bien huilée et d'une redoutable efficacité :« La stratégie d'Ayrton était de passer un train de pneus dans la première demi-heure puis de s'arrêter et analyser son tour longuement, virage après virage, et rechercher les gains de temps possibles. Il repartait à trois minutes du terme de la séance et réalisait des différences monstrueuses par rapport à ses chronos précédents[a 121],[a 31],[b 69]. »
Un autre aspect du pilotage d'Ayrton Senna réside dans sa maîtrise sous la pluie comme àMonaco en 1984 ouDonington en 1993[395]. Le Brésilien, qui n'avait aucune prédisposition ni préférence particulière pour cet exercice, y avait remédié en multipliant les entraînements en karting sur piste mouillée[a 122]. Son préparateur physique et mental déclare :« En réalité, Senna détestait autant la pluie que les autres pilotes. Sa seule différence par rapport aux autres est qu'il gardait le pied posé sur l'accélérateur, ce qui est la preuve d'un courage de s'engager et de persister[394],[396]. »
Senna sur le podium après sa victoire àInterlagos en1993.
Senna était doué d'une hyper-sensibilité technique et ressentait le moindre défaut de sa monoplace et de la piste. En début de carrière, il parcourait régulièrement les circuits à pied afin de repérer la moindre imperfection d'un vibreur. Selon ses ingénieurs, il avait sa propre télémétrie, ce qui l'avantageait à une époque où les monoplaces ne bénéficiaient pas d'aide électronique. L'ingénieur français raconte que, chez Lotus, par manque de moyens, il n'avait mis que trois plaquettes de frein neuves pour la qualification alors que Senna exigeait du matériel neuf dans l'optique de chasser la pole position. Ducarouge mit donc une quatrième plaquette qui n'avait fait que quelques tours mais à l'issue de son tour de formation, Senna rentra brusquement à son stand pour faire remarquer que sa plaquette avant-gauche n'était pas neuve ce qui laissa les mécaniciens de chez Lotus sans voix.« À l'époque, nous n'avions pas de télémétrie et ne disposions des acquisitions seulement la séance terminée mais avant même que nous en prenions possession, il livrait aux ingénieurs, la pression du turbo, la température d'eau et d'huile et ne se trompait jamais. Il nous était difficile de nous habituer à tant de précision et de rigueur. C'était tellement désorientant parfois[a 31]. » Exigeant le maximum de son équipe, certains ingénieurs se souviennent de leur hantise de le croiser le soir dans les couloirs de l'hôtel, de peur de se retrouver embarqué dans un débriefing technique impromptu[a 121],[397],[394].
Durant les années McLaren-Honda, l'opposition de style était criante entreAlain Prost, maître dans le réglage des châssis, et Senna, plus sensible aux réglages du moteur et des rapports deboîte de vitesses.Bernard Dudot, ingénieur créateur du V6Renault qui a collaboré avec Senna à plusieurs reprises le définit comme un génie :« Il passait énormément de temps avec nous pour comprendre comment le moteur marchait, déceler quels étaient ses paramètres importants qui régissent son fonctionnement comme les températures, les régimes, la pression de suralimentation et comment ils réagissaient les uns par rapport aux autres, ce qui est très difficile à comprendre mais il avait saisi cela et avait un dialogue aisé avec les ingénieurs. C'était tellement fascinant et productif[a 121]. » Si Senna semblait plus agressif et rapide, Prost a déclaré que lui, Senna etNiki Lauda avaient le même style de pilotage sur les dosages d'accélérateur, les entrées et sorties de courbe tandis queNigel Mansell etKeke Rosberg adoptaient une autre approche. Senna expliqua ensuite que l'apparition des capteurs électroniques de télémétrie allait fatalement avantager les pilotes moins sensibles et les aider à comprendre des choses qu'ils ne sentaient pas en tant que pilote[394].
Alain Prost dont la rivalité avec Ayrton Senna a marqué l'histoire de la Formule 1.
Évoluant durant une période considérée par beaucoup d'observateurs comme l'âge d'or de la discipline et durant laquelle des pilotes du talent de Lauda, Rosberg, Mansell, Piquet ou Prost se sont exprimés, il était compliqué pour Senna, d'éviter des comparaisons qui créent des rivalités qui se sont exprimées à plusieurs degrés. Aucune n'a néanmoins atteint l'intensité de celle qui l'a opposée à Alain Prost, son coéquipier chez McLaren puis son adversaire chez Ferrari et Williams. Cette rivalité opposait deux pilotes au style et à la personnalité très différents mais très proches, voire égaux, quant à leur potentiel[a 123]. Le Brésilien se focalisait sur toutes les performances de Prost et ne concevait pas l'approche ni ses objectifs de course autrement que par sa volonté de dominer le Français tandis que Prost, plus calculateur, ne ressentait pas cette opposition de la même façon, ce qui a créé des contrastes et des incompréhensions et aggravé les tensions :« Je n'ai compris que très tard, lorsque Ayrton me l'a dit lui-même lorsque j'ai pris ma retraite en 1993, que son comportement à mon égard était surtout dû au fait que j'étais le seul pilote capable de rivaliser avec lui et qu'il en découlait pour lui, un immense respect mélangé à un esprit de compétition qui a mené aux combats que nous nous sommes livrés l'un contre l'autre. J'ai été très touché et dès lors, je l'ai vu autrement car j'ai compris que sa seule motivation, c'était moi[398],[399]. »
Sa sœur Viviane ajoute :« Je crois que Ayrton et Alain avaient besoin l'un de l'autre. Cette rivalité a permis à tous deux de développer leurs capacités au maximum. Ils avaient besoin de cette concurrence pour donner tout ce dont ils étaient capables. Ayrton n'aurait pas été si bon sans Alain et inversement. Un jour, on a demandé à Ayrton s'il avait des ennemis et il a répondu « la vie est trop courte pour avoir des ennemis ». Les gens disaient qu'Alain et lui se détestaient mais ce n'est pas vrai. Leur relation était adaptée à un contexte[400]. »
Le nivellement dû à l'électronique assistée des monoplaces, tant décrié par Senna et Prost, explique aussi en partie leur rapprochement. Ils savaient qu'ils étaient tous deux au-dessus de leur génération d'où leur énorme respect mutuel[401],[394].
Cet esprit de compétition très affirmé ne s'exprimait pas seulement en sports mécaniques. Un ancien équipier et rival en Formule 2000 relate :« Nous avions l'habitude de nous rendre dans le café Devlin à côté ducircuit de Snetterton. Avec d'autres pilotes, nous jouions au jeu vidéoSpace Invaders. Senna restait toujours au fond de la salle avec son amiMaurício Gugelmin à nous observer et il ne jouait jamais. Un jour, il a soudainement voulu jouer. Nous nous sommes rendu compte qu'il passait ses après-midi à s’entraîner. Il a commencé par atteindre notre niveau et passait aux niveaux suivants. C'était désarmant[b 14]. »
L'implacable compétiteur risque-tout et en apparence insensible au danger s'est mué, paradoxalement, en homme très concerné par les problèmes de sécurité sur les circuits et d'une grande sensibilité. Arrivé en Formule 1 à une époque où la mort est moins omniprésente que par le passé, Senna s'est montré très affecté par les circonstances de l'accident mortel de son coéquipierElio De Angelis lors d'une séance d'essais privés sur lecircuit du Castellet en 1986. Peu avant le drame, Senna notait l'insuffisance des secours en bord de piste et s'apprêtait à le signaler à la direction du circuit avant que ses propres problèmes techniques ne lui fassent oublier cette résolution. Par la suite, Senna n'aura de cesse d'être systématiquement le premier pilote, voire le seul, sur les lieux des graves accidents dans un souci permanent d'en comprendre les raisons mais aussi pour apporter son soutien au pilote accidenté. Il en fut ainsi lors de l'accident deMartin Donnelly lors des essais duGrand Prix d'Espagne 1990[a 74] mais également lors de celui deRoland Ratzenberger, la veille de sa propre mort. Son attitude lors de l'accident d'Erik Comas au cours des essais duGrand Prix de Belgique 1992 est restée dans les mémoires : le Brésilien n'a pas hésité à traverser la piste sur laquelle déboulaient à pleine vitesse d'autres concurrents pour tirer sur le coupe-circuit du moteur encore à sa pleine puissance de laLigier accidentée de Comas, inconscient, et éviter un début d'incendie.« Senna m'a probablement sauvé la vie » dira plus tard Comas[a 124]. Très proche deSid Watkins, médecin habilité des Grands Prix, il effectuait régulièrement des séances avec son concours afin de connaître les gestes qui peuvent sauver[394]. Quelques heures avant sa mort, Senna s'apprêtait à relancer la défunte association des pilotes de Grand Prix afin que lui et ses collègues puissent peser sur les décisions en matière de sécurité.
Senna était passionné par les avions téléguidés.Très sportif en dehors de la Formule 1, Senna pratiquait notamment le jet-ski à un très bon niveau.
Senna, très frêle à ses débuts est un des premiers pilotes de Formule 1, à l'instar d'Alain Prost, à prendre conscience de l'importance de la préparation physique :« Soigner son endurance est la base de tout et elle ne doit jamais devenir un handicap ou un frein à la performance. Être endurant permet de mieux supporter la chaleur, le stress, la douleur et la déshydratation en course et de conserver ainsi, toute sa lucidité jusqu'au baisser du drapeau à damiers[a 125]. » Le Brésilien pratiquait régulièrement la course à pied à raison de dix à quinze kilomètres journaliers, la natation, le tennis, la gymnastique, le jet-ski ou encore le ski nautique[a 125],[b 67]. Selon Nuno Cobra et Jacques Dallaire, ses préparateurs physiques, il s'exprimait toujours avec l'objectif de dépasser ses limites :« En 1984, Senna était un jeune homme maigrelet mais extrêmement motivé. Au début, il faisait dix tours de stade avec difficulté et sa fréquence cardiaque au repos était de 75 pulsations par minute. Mais à force de travailler, il s'est complètement transformé et accomplissait cinquante tours de stade de manière inouïe et en bouclant une trentaine dans le même temps à la seconde près et sa fréquence était tombée sous les 50. Et ça l'a avantagé par rapport à d'autres pilotes qui n'avaient pas la même vie qui bouillait en eux. Un pilote doit être conscient de ses capacités physiques, de ce qu'il peut faire ou non mais doit aussi être conscient qu'il est parfois possible d'aller plus loin que ce que l'on pense et c'est d'ailleurs grâce à ça qu'il a gagné son premier succès au Brésil à Interlagos malgré une boîte de vitesses cassée ou qu'il a osé dépasser quatre monoplaces durant le premier tour à Donington en 1993[a 126],[402]. » Il avait également plusieurs passe-temps, comme le pilotage d'hélicoptères et d'avions miniatures, le nautisme, la pêche ou la conduite en moto[b 67],[403],[396].
La fascination exercée par Senna ne tient pas qu'à ses qualités de pilote et à son esprit de compétition mais également à sa personnalité complexe et ambivalente. Sa sensibilité s'exprimait également dans son évocation de safoi. Très croyant, Senna est un des rares pilotes à avoir longuement et publiquement parlé de son rapport à Dieu, un aspect de leur vie que les pilotes préfèrent taire. Après sa pole position auGrand Prix de Monaco 1988, le Brésilien déclare :« J'étais déjà en pole, d'abord d'une demi seconde puis d'une seconde et je continuais d'accélérer. Soudain j'étais deux secondes devant tout le monde dont mon équipier. J'ai réalisé que je ne pilotais plus de manière consciente : j'étais entré dans une autre dimension. Le circuit était devenu un tunnel dans lequel je m'engouffrais, encore et encore, toujours plus loin. Je me suis aperçu que j'allais au-delà de toute perception consciente. J'étais en train d'accélérer encore et encore et encore. J'étais au-delà de la limite mais toujours capable de la repousser… » Ces propos furent déformés et mal interprétés par certains adversaires dont Prost qui, au summum de leur rivalité, sous-entendait que Senna pilotait en se croyant protégé par Dieu, ce qui le rendait dangereux :« Ayrton a un petit problème, il pense qu'il ne peut pas se tuer parce qu'il croit en Dieu et des trucs comme ça. C'est très dangereux pour les autres pilotes. » Senna répliquait ainsi :« Le fait que je croie en Dieu, que j'aie foi en Dieu, ne me rend pas immortel, ne m'immunise pas, comme cela a pu être dit. J'ai autant peur que n'importe qui de me blesser[b 70],[404],[405],[394]. » Selon sa sœur Viviane, Senna cherchait la force dans la lecture de laBible, le matin de sa mort :« Le dernier matin, il s'est réveillé et a ouvert sa bible. Il a lu un texte disant qu'il recevrait le plus grand don de tous, qui était Dieu lui-même[406]. »
Le Brésilien était habité par des valeurs et un esprit de justice très important mais aussi parfois dépassé par ses propres obsessions et ses postures dans une rivalité que lui comme Prost ne parvenaient plus à gérer, allant jusqu'à se déjuger sur une consigne qu'il avait lui-même suggérée ; à Imola, en 1989, il trahit Prost en l'attaquant au premier freinage en arguant qu'il s'agissait du second départ de la course et que le principe initialement convenu ne s'appliquait plus. Au Grand Prix du Japon 1990, il justifie son accident avec Alain Prost ainsi :« Il n'y avait de la place que pour un dans ce virage et Prost m'a fermé la porte. » Taraudé par le remords, il avoue son forfait un an plus tard, à Suzuka[394].
Contrairement à ceux de pilotes tels que Prost ouMichael Schumacher, empreints d'une certaine logique et facilement compréhensibles, les actes de Senna semblaient échapper à toute logique mais le Brésilien les assumait tellement qu'il inspirait une crainte mêlée d'admiration. SelonJohn Watson :« Senna avait un charisme authentique mais faisait aussi preuve d'une étonnante vulnérabilité. Il était en outre très émotif mais pouvait également se montrer implacable et imperturbable notamment avec Prost. Il était un paradoxe à lui tout seul[b 71]. »
Quand il n'était pas sur les circuits de Formule 1, Senna avait le cœur qui battait pour le Brésil. Il appréciait d'être soutenu et n'était jamais autant galvanisé que lorsqu'il sentait les Brésiliens derrière lui :« Les Brésiliens n'acceptent que les champions et moi, je suis Brésilien. » Il considérait le Brésil comme le seul refuge possible de sa joie de vivre, un havre de paix éloigné des tumultes de la compétition :« Pour moi, la journée parfaite consiste à me réveiller ici, au Brésil, à la ferme ou dans ma maison au bord de la plage, avec ma famille et mes amis, puis à me rendre sur un circuit, n'importe où, puis rentrer chez moi le soir venu. » Peu de pilotes ont autant que lui exprimé leur amour et défendus avec constance le mode de vie de leur pays. Très patriote, il était investi dans le combat contre la pauvreté endémique qui touche le Brésil et a donné énormément de fonds pour des œuvres et des associations venant en aide aux enfants brésiliens défavorisés[b 63],[b 65],[407],[408],[394].
Une montre de marqueHublot en édition limitée « Hommage à Ayrton Senna ».Ayrton Senna a participé au développement de laHonda NSX.
Ayant rapidement pris conscience de sa popularité et de l'importance du marketing, Senna est le premier pilote à réellement s'investir dans le domaine des affaires. À la fin des années 1980, le constructeurHonda lui demande de peaufiner le réglage des suspensions de laHonda NSX au cours de ses dernières étapes de développement. Les essais sont menés sur plusieurs circuits, dont cinq sessions avec des prototypes sur lecircuit de Suzuka, où l'ingénieur en chefShigeru Uehara et son équipe recueillent directement ses informations. Le Brésilien constate que le châssis manque de rigidité et la version de production finale a été renforcée à sa satisfaction[409],[410],[411]. En guise de remerciement, outre une part des bénéfices liés aux ventes, Senna s'est vu offrir plusieurs modèles de sa nouvelle gamme[412].
Il a également joué un rôle déterminant dans l'implantation du constructeur allemandAudi au Brésil, à la fois comme entreprise d'importation et de fabrication. Audi arrive au Brésil en 1994 via la sociétéSenna Import fondée en 1993. Les ventes commencent en avril de la même année, un mois avant sa mort. En 1999,Audi Senna est créée en tant que filiale du groupe allemand[413]. En plus des Honda NSX, une des voitures personnelles de Senna en 1994 était uneAudi S4 argentée[a 127],[b 65],[414].
Au début des années 1990, Senna prend peu à peu ses distances vis-à-vis de certains de ses sponsors historiques tels queBanco Nacional afin de développer sa propre marque, représentée par un logo avec un double S, désignant son nom de famille complet, Senna da Silva. Ce logo symbolise un esse de circuit. La marque Senna propose des vêtements, des montres, des bicyclettesCarrera, des motos et des bateaux.
Reconnaissable entre tous, le casque d'Ayrton Senna n'a jamais changé et possède une histoire particulière. Sélectionné pour représenter le Brésil au championnat du monde de karting 1980, Senna solliciteSidney « Sid » Mosca, qui a déjà réalisé ledesign des casques des champions du monde brésiliensEmerson Fittipaldi etNelson Piquet. La livrée doit reprendre les couleurs du drapeau duBrésil et être visible de loin, tant par le public que par les adversaires, pour instiller un climat de pression psychologique supplémentaire. Ainsi, le très visible jaune du drapeau brésilien devient la couleur dominante du casque d'autant qu'elle caractérise la jeunesse. Deux bandes horizontales, une verte l'autre bleue, complètent dans le prolongement de la visière, le design pour apporter de l'agressivité et du mouvement. Les logos des sponsors sont ajoutés ensuite. Le peintre a créé un casque qui va pendant plus d'une décennie contribuer à la fierté de tout un pays[415].
Senna a utilisé plusieurs marques de casques tout au long de sa carrière. De 1977 à 1989, il se fournit chez Bell, de 1990 à 1991, utilise Rheos deHonda puis, de 1992 à 1993, il passe chezShoei avant de revenir à Bell en 1994. Le casque porté lors de la course fatale a été restitué à Bell en 2002 et incinéré sous le regard des membres de la famille[416].
Les casques originaux du pilote sont très convoités et, lors de ventes aux enchères, atteignent plusieurs dizaines de milliers d'euros. Alan Sidney Mosca, le fils du designer, réalise des reproductions vendues au profit de la Fondation Ayrton Senna[417].
Lors duGrand Prix du Canada 2017, après sa soixante-cinquième pole position en Formule 1, lui permettant d'égaler le score du Brésilien,Lewis Hamilton, qui n'a jamais caché son admiration pour Senna, reçoit de la part de la famille d'Ayrton Senna la réplique d'un casque de 1987. La famille déclare qu'elle lui offrira prochainement un véritable casque, acquis en 1994 et employé par Senna lors d'événements promotionnels organisées par l'Institut Ayrton Senna (photos, expositions, apparitions marketing) en 1987[418],[419],[420],[421]. Hamilton déclare en larmes :« Je suis absolument incrédule en regard de ce qui s'est passé aujourd'hui.Dieu est vraiment le plus grand. Mon rêve le plus grand s'est réalisé et je suis si reconnaissant ! Merci à la famille d'Ayrton Senna pour ce cadeau incroyable. Le casque de mon héros. Je le chérirai pour toujours[422]. »
Senna, filmdocumentaire distribué parWorking Title Films/Universal Pictures et sorti en France le 25 mai 2011, est le quatrième long métrage d'Asif Kapadia en tant que réalisateur. Il retrace le parcours du pilote, de ses débuts en karting à son arrivée en Formule 1, sa quête de perfection, son implication dans la sécurité des pilotes et son ascension jusqu'au statut de mythe après son accident mortel. Il met aussi en lumière sa rivalité enversAlain Prost ainsi que ses combats contre la politique interne de son sport incarnée parJean-Marie Balestre, président français de laFISA de 1978 à 1991.
Le film reçoit des critiques globalement positives et accumule près de 11 millions de dollars aubox-office ainsi que de multiples récompenses, notamment auBAFTA et auFestival du film de Sundance[423]. Certains observateurs, dont Alain Prost, qui a participé un temps à son élaboration, émettent des réserves quant au montage et à la mise en scène du documentaire qui, pendant l'essentiel du long-métrage, met en lumière la nature houleuse de leur relation. Il considère le film incomplet car il omet de parler des différentes facettes du Brésilien, qui était un autre homme dans sa lutte face à Prost, présenté lui comme le« méchant » de l'histoire :
« Je n'aime pas le film, de ce que j'en ai vu, et ce que j'ai entendu. Lorsqu'ils m'ont tout d'abord parlé du film, on m'a demandé si je souhaitais y prendre part. J'ai dit : « Bien sûr, pourquoi pas ? » Ma seule condition : ce serait fantastique si vous pouviez montrer Ayrton avant son arrivée en Formule 1, comment il était en Formule 1 en se battant avec ou contre moi puis Ayrton après ma retraite. Si vous faites cela, un mix de belles histoires et de sport, ce sera un bon film. De mon point de vue, c'était une histoire fantastique mais il faut mentionner un grand nombre de choses qui se sont passées après la prise de ma retraite. J'ai passé presque huit heures en interviews, parlant bien plus du côté humain afin que l'on puisse comprendre comment il était avant mais je voulais aussi rendre clair le fait que, lorsque je me suis retiré, j'ai vu un nouvel Ayrton. Mais cela n'a pas été proposé. Je trouve ça triste car s'ils avaient voulu faire un film commercial avec un méchant et un gentil, ils n'avaient pas besoin de faire des interviews, de me demander quoi que ce soit. La raison pour laquelle je ne peux pas être content est que j'ai l'air d'être le vilain. J'aurais souhaité que tout le monde sache qui était Ayrton, ce qu'était exactement notre duel, et également ce qui s'est passé à la fin. Si vous voulez raconter une histoire, il faut raconter une véritable histoire et non quelque chose d'arrangé. Lorsque vous entendez quelqu'un qui ne sait rien, vous dire que les mots « Alain, tu nous manques » furent organisés et arrangés par la télévision française, ça passe complètement à côté de la plaque. Je ne peux pas être satisfait de cela. Ce n'est pas très bon non plus pour Ayrton, même si ce n'est pas mauvais. Au moins, on comprend sa personnalité ou son caractère de l'époque. Quand il se battait contre moi, il n'était pas le même que quand il se battait contre Michael ou Nigel. Il fallait expliquer cela[399]. »
Unemini-série biographique américano-brésilienne est diffusée surNetflix depuis le 28 novembre 2024, avecGabriel Leone dans le rôle titre[424].
Au cours de sa carrière en Formule 1, Ayrton Senna a quasiment toujours pris le dessus sur ses équipiers au classement. La seule exception, en 1989, est quand Senna est battu par Alain Prost qui remporte son troisième titre mondial. En 1988, malgré un nombre de points inférieur, le Brésilien remporte le championnat avec trois points d'avance sur le Français car seuls les onze meilleurs résultats sont retenus (si les seize résultats avaient été pris en compte, Prost aurait devancé Senna de onze points).
Tableau comparatif des résultats d'Ayrton Senna, saison par saison
Grand-croix de l'Ordre national du mérite judiciaire du travail(Ordem do Mérito Judiciário do Trabalho - Grã-Cruz (Brasil)) (en 1994[428])
Grand-croix de l'ordre national du mérite( Ordem Nacional do Mérito - Grau de Grã-Cruz) (en 1994, par décret du Président de la République fédérative du Brésil[429])
Commandeur de l'ordre de Rio-Branco(Comenda da Ordem de Rio Branco da Presidência da República) (en 1992, par décret du Président[430])
Grand-croix de l'ordre d'Ipiranga(Ordem do Ipiranga no grau de Grão-Cruz) (en 1994, par décret du gouverneur de l'État de São Paulo[431])
Chevalier de l'ordre du mérite aéronautique(Medalha da Ordem do Mérito Aeronáutico - Grau de Cavaleiro) (en 1994[432])
Médaille du mérite aéronautique Santos-Dumont(Medalha do Mérito Santos-Dumont) (en 1994[433])
Le, une plaque en l’honneur d’Ayrton Senna a été inaugurée sur un des piliers devant l’entrée de l’hôtel Fairmont (ex Loews) àMonaco par lePrince Albert II de Monaco, en présence deViviane Senna Lalli, la sœur du pilote brésilien.
Le, pour commémorer les trente ans de la première des six victoires monégasques du Brésilien, unesuite Ayrton Senna est inaugurée dans l'hôtel Fairmont par le Prince Albert II de Monaco, en présence de Bianca Senna, la nièce du pilote présidente de laFondation Ayrton Senna. La décoration de cette suite haut de gamme est entièrement vouée à Ayrton Senna[435].
Un centre d'éducation intégré (CEI, centro de educaçao integrada) situé avenue Inácio da Cunha Leme dans le quartier Jardim Susana à São Paulo au Brésil ;
Une école-CAIC (Centro de Atenção Integral à Criança, Centre pour une attention intégrale) située rue Maria Roco dans le quartier Conjunto Residencial Humaitá àSão Vicente au Brésil ;
Un centre pour une attention intégrale (CAIC, Centro de Atenção Integral à Criança) rue Angelina àBalneário Camboriú au Brésil ;
Une école située rue Bulgária dans la Résidence Pasin àPindamonhangaba au Brésil ;
Une école municipale située route de Taquaral dans le quartier deBangu àRio de Janeiro au Brésil ;
Une école municipale située rue Caminho das Mulheres dans le quartier Nova Aurora àBelford Roxo au Brésil ;
Une école publique située rue Gonçalves de Magalhães dans le quartier de Vila Bela àGuarapuava au Brésil ;
Lacrèche de la ville de Mirim Ayrton Senna située dans leparc Júlio Fracalanza, rue Joaquim de Miranda dans le quartier de Vila Augusta àGuarulhos au Brésil ;
Une crèche municipale située route de Guandu dans la zone Guandu II deSanta Cruz à Rio de Janeiro au Brésil ;
Une crèche municipale située Travessa Dois dans le quartier Jardim Primavera àDuque de Caxias au Brésil ;
Une crèche municipale située rue José Carlos Policarpo dans le quartier Vila Santa Cecília àVolta Redonda au Brésil ;
Une crèche située rue Barros Cassal dans le centre dePalmitos au Brésil ;
Ungymnase municipal degymnastique situé rue Ciro dos Anjos dans le quartier de Vila Osasco àOsasco au Brésil ;
L’Association des résidents du complexe d'habitation Ayrton Senna G II (Associação de Moradores do Conjunto Habitacional Ayrton Senna G II) située route de Guandu àSanta Cruz à Rio de Janeiro au Brésil ;
↑LionelFroissart, « Mort d'Ayrton Senna: acquittement général. Six personnes comparaissaient à Imola pour l'accident du Brésilien le1er mai 1994 »,liberation.fr,(lire en ligne, consulté le)
Pilotes brésiliens en championnat du monde de Formule 1
Les pilotes n'ayant pas participé à au moins une épreuve ne sont pas mentionnés ; les années indiquent une participation à au moins une épreuve de la saison.
La version du 23 juin 2019 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.