L'archéologie du territoire des Arvernes a permis depuis les dernières décennies la mise au jour de sépultures collectives de chevaux et de cavaliers liées à laguerre des Gaules de -57 à -52, d'enceintes religieuses destinées aux banquets, d'œuvres d'évergètisme supposées être l'œuvre des rois arvernes, ainsi que des sanctuaires, un hémicyclelaténien, un mobilier monétaire abondant et des restes d'offrandes (ossements animaux etamphores) liés à des pratiques cultuelles et rituelles.
La Guerre des Gaules met fin à l'indépendance politique et militaire des Arvernes. Si la victoire de Vercingétorix lors dusiège de Gergovie permet à ses troupes de poursuivre lesRomains vers le nord, les alliances gauloises deJules César, déjà vainqueur des peuples Helvètes et Belges (58 à52av. J.-C.) puis l'apport de cavaliersGermains contribuent à isoler Vercingétorix et sa coalition, qui sont défaits à Alésia,oppidum desMandubiens où Vercingétorix a dû se retrancher en52av. J.-C.. Vaincus, les Arvernes voient leur territoire transformé encivitas romaine, avec pourchef-lieu la ville de Clermont-Ferrand, qui connait alors une continuité d'occupation au cours de l'époque médiévale et jusqu'à nos jours.
La signification et l'origine du nom des Arvernes suscite le débat. Pour la plupart des historiens, il serait composé du préfixe gauloisare (« près de », « devant ») et deverno ouuerno (« aulnes » ou « aulnaies »)[3].
Ainsi, de même que les Armoricains étaient « ceux qui vivent près de la mer », les Arvernes seraient « ceux du pays de l'Aulnaie »[4], « ceux qui vivent devant des terres plantées d'aulnes », ou encore « ceux qui vivent devant des terres cultivées »[5].
Cependant selon Pierre-Yves Lambert, spécialiste de la langue celtique, le nom signifierait « ceux qui sont au-dessus »[6],[7], formé à partir du radicalver- : « sur, supérieur », les Arvernes vivant « au-dessus » de leurs voisins, sur des plateaux de hauteur.
Plus récemment, une hypothèse a été avancée suggérant que le nomAre-vernos, traduit par « Devant d'aulne », évoque parmétonymie, les boucliers en aulnes utilisés par les guerriers arvernes[8]. Cette thèse est renforcée par le fait qu'il existe d'autres peuples portant un nom inspiré par leurs armes, ainsi lesGésates, nommés ainsi en référence à un javelot particulier, legaison.
La cité des Arvernes superposée aux quatre départements de l'Allier, du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme
Le territoire contrôlé par les Arvernes recouvre les actuels départements duPuy-de-Dôme, duCantal ainsi qu'une portion de l'Allier et de laHaute-Loire. Il est centré sur la dépression de laLimagne et de l'Allier qui constitue alors une artère primordiale dans les circulations économiques régionales[réf. nécessaire].
Les frontières de ce territoire sont assez bien connues, ayant fait l'objet de plusieurs études, notamment par analyse régressive, dans le but de déterminer leur emplacement[9]. Les Arvernes sont séparés desSégusiaves à l'est, par lesmonts du Forez qui forment une barrière naturelle particulièrement marquée. La limite occidentale du territoire arverne, qui sépare ces derniers desLémovices, est clairsemée de toponymes évoquant une frontière, des confins, ainsiMargerides,Eygurande, ou Randeix à proximité deFlayat.
Si des toponymes de confins, tels que le lieu-dit de Chamérande àTrévol, Guérande àToulon-sur-Allier[8], balisent les marches des cités arverne,biturige etéduenne, on constate en revanche que le nord de la cité arverne présente un faciès archéologique particulier, distinct de celui de la Limagne au sud, et montrant des échanges intenses sur ce territoire[10]. L'archéologue David Lallemand va plus loin et émet l'hypothèse que lesAmbivarètes, petit peuple client des Eduens qui n'a jamais pu être localisé par l'épigraphie ou la numismatique, auraient occupé un territoire centré surVichy,Varennes-sur-Allier et l'oppidum deCusset, en situation de tampon entre territoire biturige et territoire arverne[11].
La frontière méridionale sépare les Arvernes des peuples desCadurques,Rutènes,Gabales etVellaves, en majorité des clients ou dépendants des Arvernes[12]. Elle est marquée par d'abondants toponymes-frontière tels que Guirande, Aurières, Couffin, L'Hirondelle, Termes ou La Durande. Les monts de laMargeride - ce dernier nom étant lui-même un toponyme-frontière - séparent ainsi les Arvernes, les Gabales et les Vellaves. L'inconnue principale sur cette limite est la position du peuple desEleutètes dont il est possible qu'ils soient situés entre les Rutènes et les Gabales à proximité de l'agglomération deLieutadès[13].
Le peuple des Vellaves enfin, selonStrabon, faisait partie de la confédération Arverne avant de prendre son indépendance[14]. Le témoignage de César suggère que l'émancipation des Vellaves pourrait prendre place aux alentours de l'époque de laguerre des Gaules[15].
Organisation interne et principaux lieux de pouvoir
L'autre élément polarisateur de la plaine de la Limagne est l'Allier, axe de communication majeur vers lescivitates de laLoire et par là, vers le nord de la Gaule et l'île de Bretagne.
Les Arvernes sont l'un des rares peuples celtiques, dont on ait fouillé six agglomérations d'époque gauloise, montrant ainsi l'évolution de leur urbanisme et des modalités de l'occupation de leur territoire[réf. nécessaire]. Le mode de structuration très centralisé de la cité arverne est matérialisé par la succession de centres urbains de grande importance en Limagne et par la quasi absence de ceux-ci en périphérie de la cité[réf. nécessaire]. Toutefois les recherches[réf. nécessaire] menées sur les oppidums deBègues et deCusset nuancent ce dernier point qui pourrait être dû à un biais de la recherche archéologique en Auvergne.
Plusieurs axes de communication se croisent sur le territoire arverne. L'un des plus importants à l'époque antique est le tracé de lavoie romaine d'Agrippa deLyon àSaintes, passant parFeurs,Clermont etLimoges. De cette voie part également une bifurcation en direction deBordeaux et la cité desBituriges Vivisques via le territoire des Rutènes.
Par ailleurs plusieurs axes routiers relient Clermont-Ferrand (Augustonemetum) aux chefs-lieux des cités voisines, ainsi la voie dePoitiers à Clermont dessert également le territoire Biturige viaChantelle,Néris-les-Bains,Châteaumeillant etArgenton-sur-Creuse, eux-mêmes reliés àBourges (Avaricum) par un réseau secondaire. Une autre voie relie Clermont àSaint-Paulien (Ruessio), capitale des Vellaves en suivant le cours de l'Allier. De Saint-Paulien elle permet de rejoindre le territoire desHelviens, la province deNarbonnaise et leRhône. Un troisième axe relie les Arvernes aux Gabales et par eux àNarbonne.
Ces voies romaines sont partiellement ou en totalité héritées d'itinéraires et de routes gaulois antérieurs à la conquête[réf. nécessaire].
La cité arverne possède par ailleurs un axe de communication fluvial, l'Allier. Par cet axe, le peuple arverne bénéficie d'un accès privilégié au commerce transitant par la Loire.
Oppidum deGergovie : premier oppidum arverne identifié, il a été le lieu de labataille de Gergovie et aurait été, selon Strabon[21], le lieu d'origine de Vercingétorix et de sa famille. C'est, parmi lesoppida arvernes, l'un des plus tardifs. Il prend de l'importance après la guerre des Gaules et apparaît comme une transition entre l'occupation de l'oppidum de Corent et celle d'Augustonemetum.
Oppidum de Gondole : C'est le troisième et le plus petit desoppida de Limagne. Il possède néanmoins un faubourg artisanal situé à l'extérieur de son rempart. La fouille de ce faubourg a livré la trace d’événements violents, que l'on peut supposer liés à l'épisode du siège de Gergovie. Par ailleurs le site est principalement connu pour la découverte, en 2002, lors d'une campagne de fouilles, d'une tombe contenant les restes de huit cavaliers et de leurs huit chevaux[22].
Il est également possible de mentionner parmi les agglomérations remarquables en territoire arverne, l'oppidum deCusset, celui deBègues et peut-être celui deMaringues, ou encore pour la période romaine, l'agglomération ouverte deLezoux, celle ducol de Ceyssat, par laquelle on accédait autemple de Mercure au sommet dupuy de Dôme, et celle, moins connue, dela Croix de la Pierre àBeaulieu[23] ainsi que le site gallo-romain de Beauclair àVoingt, qui a livré l'une des rares attestations du théonymeTeutates.
Les Arvernes pratiquent également l'élevage mixte debovidés, desuidés et d'ovi-caprins. Parmi les ovi-caprins, les moutons et en particulier les brebis, sont majoritaires, les chèvres ne formant qu'une population marginale au regard des analyses quantitatives des restes de faune découverts en contexte archéologique[26]. Lesmoutons sont généralement abattus à un âge avancé, ce qui suggère qu'ils sont davantage élevés pour leurs produits dérivés - lait, laine, cuir, corne et fumier - que pour leur viande[26]. C'est un tableau similaire qui se dessine pour l'élevage du bœuf, d'abord élevé pour sa force de travail, avant d'être abattu pour sa viande. À l'inverse, le porc est, lui, principalement destiné à la production bouchère. On note pour l'ensemble des différents cheptels bovins, ovins et porcins, une augmentation de la taille des individus au cours du temps. Celle-ci est peut-être due à l'importation ponctuelle d'individus méditerranéens[26], destinés à la reproduction.
Lechien est parfois consommé comme un animal de boucherie, toutefois les traces d'élevages sont ténues. Cependant les textes antiques nous indiquent un lien particulier entre les élites arvernes et leurs chiens, parfois assimilés à des animaux dressés pour la guerre ou la chasse.
Les ressources minières sont une des autres productions centrales de l'économie arverne protohistorique, en particulier dans le massif desCombrailles et la région deMassiac. Parmi les ressources disponibles, on peut mentionner leplomb argentifère autour dePontgibaud, l'or àLabessette, ou l'antimoine et, encore une fois, leplomb argentifère à Massiac[24]. On peut aussi mentionner de manière plus anecdotique des gisements decuivre, d'étain, depyrite de fer et debitume dont l'exploitation par les Arvernes est également possible.
Comme pour les autres peuples celtiques de l'Antiquité, les Arvernes ne nous ont pas laissé de sources écrites nous permettant d'accéder à un récit historique complexe dont ils seraient les narrateurs. Ils ne nous sont donc connus que par les mentions qu'en font les auteurs grecs et latins postérieurs souvent à leur indépendance politique[27]. Pour autant, les Arvernes constituent dans l'historiographie antique un peuple bien identifié, politiquement puissant et organisé, véritable centralité politique dans l'écosystème du monde celtique. SelonTite-Live, ils participèrent à l'expédition deBellovèse en l'Italie, auVIe siècle av. J.-C.[28]. Tite-Live fait également intervenir les Arvernes lors de ladeuxième guerre punique (218 - 202 av. J.-C.), puisqu'un ambassadeur arverne aurait rencontré sur la côte languedocienne le carthaginoisHasdrubal, qui venait appuyerHannibal en Italie et lui aurait fait bon accueil, notamment en le guidant (XXVII, 39). Si c'estJules César qui nous permet surtout de les connaître auIer siècle av. J.-C., les Arvernes font donc leur apparition plus tôt dans nos sources. On les retrouve ensuite à l'occasion de leur confrontation avec les Romains auIIe siècle av. J.-C., au cours de l'irruption de la puissance romaine dans le sud de la Gaule, notamment sous la plume du grecPoseidonios. Ce dernier, ayant voyagé en Gaule celtique au début duIer siècle av. J.-C., y a recueilli un grand nombre de témoignages oraux concernant les lieux, les peuples, les dieux, les traditions antérieures. Son œuvre s'est largement perdue mais des extraits sont repris régulièrement par des auteurs postérieurs, telsStrabon,Diodore de Sicile etAthénée. Avec d'autres sources grecques commeAppien, le travail de Poséidonios nous permet de remonter avec plus ou moins de fiabilité jusqu'au milieu duIIe siècle av. J.-C.
Ces sources littéraires - marquées par les préjugés de leur époque - sont régulièrement confrontées aux enseignements de plus en plus riches que nous livre l'archéologie. La mise en place de l'entité culturelle arverne est en effet bien antérieure aux années 200 avant notre ère. L'archéologie peut d'ailleurs confirmer cette ancienneté : lacéramique arverne, de bonne facture et bien diffusée en Gaule du centre, est assez spécifique et présente des décors très élaborés. Ses antécédents remontent vraisemblablement au début duIIIe siècle av. J.-C. et témoignent d'une cohérence techno-économique au sein de leur territoire. La connaissance des agglomérations des arvernes, leur architecture, leur urbanisme précoce, leurs fortifications et leurs structures économiques, permise par l'archéologie aérienne et préventive, renouvelle ainsi considérablement notre approche de cette entité politique et territoriale.
Hégémonie politique et militaire au centre de la Gaule à l'époque hellénistique
Étant l'un des plus grands peuples celtiques et battant une abondante monnaie, située à un carrefour des échanges est-ouest et nord-sud, les Arvernes offrirent souvent leur protection à plusieurs peuples alentour, moins puissants et moins influents et étaient réputés pour leur art militaire, leurs chevaux rapides et leur cavalerie, notamment d'aprèsJules César dans son ouvrageCommentaires sur la Guerre des Gaules.
Statère d’or pâle à la lyre et à l’étendard frappé par les Arvernes.Date : c. 120-60 AC. Description revers : Cheval bondissant à gauche ; une lyre à trois cordes entre les jambes et une croisette bouletée incluse dans un quadrilatère au-dessus du cheval.
Les sources gréco-romaines nous présentent - pour le milieu duIIe siècle av. J.-C. - un système politique fondé sur l'existence d'une monarchie imposant son hégémonie aux peuples du centre et du sud de laGaule. Selon Strabon (Géographie, IV, 2, 3) l'hégémonie arverne se serait étendue duLanguedoc au territoiremarseillais, jusqu'à l'océan et auRhin. Le terme grec que l'on peut comprendre par « hégémonie », ou par « puissance », a parfois été traduit par « territoire », ou « empire ». Ainsi est née le mythe historiographique d'un « empire arverne » qui aurait connu une large extension sur le continent auIIe siècle, préfigurant d'une certaine l'unité nationale française comme première entité politique unificatrice sur le territoire.
Le lexique employé par Strabon est à comprendre comme décrivant plutôt une position momentanée de supériorité diplomatique, militaire et politique, à l'image des hégémonies antérieures qu'a connues l'histoire grecque classique autour des cités d'Athènes,Sparte etThèbes. La construction historiographique d'une puissance arverne obéirait aussi, possiblement, à une logique de mise en valeur des victoires militaires obtenues par les généraux romains sur ce peuple à partir des années-121 : en faisant des Arvernes la grande puissance celtique du temps, les auteurs chercheraient à grandir l'exploit que représentait le fait de les défaire sur le champ de bataille.
Que les Arvernes aient été une puissance politique et militaire incontournable en Gaule à cette époque est cependant incontestable et il est probable qu'ils tinrent pendant une assez longue période le sommet des puissances de Gaule centrale, dirigeant un assez vaste réseau d'alliances avec des peuples plus ou moins proches et puissants et exerçant une contrainte plus ou moins directe sur les petits peuples constituant leur voisinage, tels lesRutènes, lesCadurques ou lesGabales. Cette hégémonie était bien sûr militaire et guerrière — la guerre jouant un rôle social et politique central dans les aristocraties gauloises.Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu a émis l'hypothèse que cette hégémonie pouvait être perçue à travers les monnaies gauloises de cette époque. Si ses hypothèses ont été en partie corrigées, il n'en reste pas moins que lemonnayage arverne est bien le reflet d'un peuple prospère et riche, pouvant imposer ses normes économiques et organisant un domaine privilégié de circulation monétaire autour de son territoire. Les monnaies arvernes sont nettement individualisées au plus tard au milieu duIIe siècle av. J.-C. Leur iconographie est typique et s'est élaborée à partir d'un prestigieux modèle grec, desstatères portant la tête d'Apollon.
Arvernes et peuples clients sous le règne du roiLuern : - Vert foncé : peuple arverne et Arvernie. Vert médian :Vellaves, anciens arvernes ayant fait sécession et vassaux des Arvernes. Vert clair : Peuples clients (vassaux) des Arvernes.
La richesse et la renommée des rois arvernes est alors à son comble entre les années 150 et 120 avant notre ère. Plusieurs personnages illustres furent renommés par-delà même la mémoire gauloise : la prodigalité deLuernios est ainsi restée légendaire et ses banquets, ses distributions d'argent nous sont connus par le témoignage dePoseidonios.
Les fouilles deCorent ont permis d'y mettre au jour unsanctuaire ayant livré les restes de près de 30 000amphores brisées. Une telle concentration matérielle dans un espace cultuel amène actuellement les archéologues à interpréter cet ensemble comme un enclos à banquets communautaires[29]. Il s'agit en effet d'un vaste espace quadrilatère d'environ 50 mètres de côté, entouré d'une galerie couverte et d'une hautepalissade en matériaux périssables. Quarante-huit poteaux y soutenaient unportique de six mètres de large. Deux bâtiments jumeaux y étaient construits, dans lesquels ont été fouillées des cuves destinées à recevoir les liquides delibations, de nombreux restes animaux et du matériel monétaire.
La royauté arverne dépendait du prestige personnel gagné à la guerre et entretenu au quotidien par la redistribution des richesses à la collectivité, selon des cercles de sociabilité politique et économique de plus en plus larges, au cours de cérémonies publiques, démonstratives soigneusement organisées dans des lieux précis du territoire. Les textes antiques nous montrent aussi à cette occasion l'importance des bardes : leur talent est là pour relayer le pouvoir du roi, l'affirmer, le pérenniser.
Le prestige gagné à la guerre pouvait se donner à voir par l'affichage ritualisé et scénarisé des têtes coupées des vaincus au sein d'édifices cultuels et domestiques, comme c'était aussi vrai chez les celtesSalyens occupant l'Oppidum d'Entremont. Ces pratiques nous sont par ailleurs aussi relatées dans les textes grecs nous narrant la fierté que chefs gaulois avaient d'exhiber les crânes des ennemis vaincus à l'encolure de leur monture de guerre. Là encore, l'archéologie a permis d'attester de la véracité de cette pratique en contexte arverne : une céramique découverte àAulnat porte une incision représentant un guerrier à cheval, l'encolure de la monture étant ornée de têtes coupées. Le roi et les chefs Arvernes, formant une aristocratie militaire à la tête de la pyramide sociale et des relations de domination économique et militaire, semblent donc avoir mis en scène leur pouvoir par ces deux relais que sont les victoires militaires et l'évergétisme, par le biais de la redistribution et de la commensalité que constituent le temps du banquet public.
Les données archéologiques permettent de caractériser les domaines d'excellence de l'économie et de la technologie arverne : poterie, métallurgie, armes de jet, roues de char de grande qualité, cotte de mailles et armements offensifs raffinés, orfèvrerie et toreutique avancées, exploitation agricole développée.
Ces différents pans permettent d'estimer à grands traits la richesse démographique et militaire des Arvernes. Les fouilles récentes à Corent, Gondole[30] et Aulnat et en particulier la découverte de plusieurs centaines de silos à grain enterrés, en août 2015[19] ont permis d'estimer la population arverne entre 300 000 et 500 000 habitants.
La richesse du monnayage arverne trouverait son explication dans la capacité de ce peuple à drainer par la guerre un abondant butin et un tribut régulier, en particulier versé en métaux non monnayés comme l'or et l'argent. Le territoire arverne n'est en effet pas l'un des plus aurifères, à la différence de celui de leurs voisins lesLémovices. L'or du monnayage arverne semble donc avoir été acquis par le versement de tributs, de forts échanges commerciaux, des prises de guerre, mais peut-être aussi par des opérations de mercenariat, parfois très loin de la Gaule. On sait par exemple que Vercingétorix a été cavalier mercenaire pour les Romains dans ses jeunes années. Le métier des armes aurait ainsi été une source de revenu fiable et régulière pour les élites militaires arvernes, avec cependant l'inévitable conséquence qu'elle engendre une forme de dépendance financière entre appareil de guerre romain - à qui les Arvernes vendent leurs services - et survie économique des combattants.
La puissance militaire et diplomatique arverne est d'ailleurs progressivement mise à mal par les victoires romaines, notamment celle deCaius Sextius Calvinius àEntremont et celle de Quintus Fabius etCnaeus Ahenobarbus à labataille du confluent, toutes deux liées à la conquête de laNarbonnaise entre-124 et-121. Lors de la bataille du confluent,Bituitos, fils de Luernios fut vaincu et capturé.
Montée en puissance romaine et perte d'indépendance : un siècle mouvementé
En 125 av. J.-C., la colonie grecque deMassilia entre en conflit avec ses voisins celtesSalyens. Par le jeu des alliances et de l'infiltration de plus en plus poussée du système diplomatique romain à l'ouest de la Méditerranée, le conflit s'étend bientôt et implique lesRomains et lesEduens, alliés des massaliotes. De leur côté, les Arvernes et lesAllobroges forment une coalition aux côtés des Salyens.
Les Arvernes commandés par le roi Bituitos surgissent en août 121 devant l'armée deQuintus Fabius Maximus au confluent de l'Isère et du Rhône. À marche forcée,Cnaeus Domitius Ahenobarbus réussit à faire la jonction avec l'armée de son collègue et rejoint le théâtre de la bataille, menant l'assaut victorieux des Romains. La défaite est cinglante pour la coalition des Arvernes de Bituitos, qui est fait prisonnier. Cet échec signe la fin de l'influence arverne sur les peuples de la Gaule centrale et sud-centrale, du fait de l'affaiblissement de sa puissance militaire d'une part et du fait de la capture de son chef.
Malgré cette défaite, les Arvernes restent un peuple important. Privés de leur hégémonie, ils n'en demeurent pas moins des acteurs centraux du monde celtique continental, devant désormais compter avec la formation de la province de Gaule transalpine au sud. L'exil deBituitos et de son fils après la défaite de-121 a par ailleurs des conséquences politiques importantes au cœur du monde politique arverne. Comme pour bien d'autres peuplesceltes à cette époque, la royauté cède la place à un gouvernement collectif aristocratique : auIer siècle av. J.-C., les Arvernes étaient dirigés par une assemblée de magistrats et le magistrat suprême s'appelait peut-être levergobret comme pour d'autres peuples gaulois.
C'est dans ce contexte que les Romains profitent des tensions internes au monde celtique pour faire leur irruption plus avant pour contrôler la région. César au début de son récit de la guerre des Gaules nous apprend que les Arvernes n'avaient pas abandonné leurs prétentions à une puissance militaire et diplomatique en Gaule. Depuis-121 au moins, leurs rivaux étaient lesÉduens, alliés et amis du peuple romain. Dans la première moitié duIer siècle av. J.-C., César nous apprend comment ces derniers furent vaincus par lesSéquanes alliés auxGermains d'Arioviste. Au début de la Guerre des Gaules, les Arvernes observent une position de relative neutralité et de prudence face à César, dont le but est alors simplement d'empêcher les Helvètes de menacer l'intégrité du territoire des Eduens, et de bloquer toutes velléités des Germains sur la rive sud du Rhin. Cette timidité des premiers temps était peut-être le signe par ailleurs de dissensions intérieures au sein des élites politiques arvernes, ne sachant quelle attitude adopter face à un ennemi puissant aux alliés nombreux.
Denier dit EPAD au guerrier frappé par les Arvernes après la défaite d'Alésia en -52 Av. J.C.
Lors de la dernière partie de laguerre des Gaules,Vercingétorix, noble arverne, revendique à nouveau la royauté pour lui. Il se heurte à son tour aux autres aristocrates et notamment à son oncleGobannitio. Prenant la fuite, il s'appuie sur le peuple des campagnes pour s'imposer et prendre le titre de roi. Ce changement politique obtenu, il demande à toutes les tribus gauloises de lui envoyer des otages nobles, puis il prend la tête de la coalition gauloise contre César.
Lorsque César vient le défier en Auvergne sur son oppidum fortifié, lors dusiège de Gergovie, Vercingétorix repousse l'armée romaine et poursuit les soldats de César en déroute. Mais il commet l'erreur de laisser César reconstituer ses forces et ses alliances en quelques mois, grâce à la nourriture et aux chevaux qui lui sont fournis par d'autres peuples gaulois.
Poursuivant d'abord César, Vercingétorix est progressivement pris au piège et le chasseur devient chassé. Il est contraint de s'enfermer dans l'oppidum des Mandubiens, à Alésia. Là, il est progressivement entouré par un ingénieux système de siège par double encerclement. Le chef arverne fait envoyer partout en Gaule l'élite de sa cavalerie pour quérir des secours, formant une armée de plus de 200 000 hommes dont l'objectif est de briser les lignes de César pour mener une attaque conjointe depuis les retranchements d'Alésia. L'assaut général est un échec, César se jetant personnellement dans le combat et faisant capturer le chef de l'armée de secours, il obtient la reddition personnelle de Vercingétorix, probablement livré collégialement par les autres chefs de la coalition.
César après sa victoire fait preuve de clémence et de sens politique, il ménage les Arvernes et leur rend 20 000 prisonniers, sans doute pour s'attacher la gratitude et la clientèle d'une partie de l'aristocratie qui lui avait été favorable antérieurement à la prise de pouvoir du jeune roi déchu. Les Arvernes retrouvent donc un gouvernement dirigé par une assemblée de magistrats et de notables. C'estEpasnactos qui prend la tête de la cité. Décrit comme un grand ami de Rome par César, il nous est aussi connu par des monnaies marquées de la légendeEPAD, dont un très grand nombre ont été retrouvées àGergovie. Epasnactos prouve sa fidélité à Rome en livrant à César le chefcadurque Luctérios tout à la fin de la guerre.
La cité des Arvernes est alors intégrée à la nouvelleprovince d'Aquitaine mais grâce à l'ancienne puissance des Arvernes ainsi que leur valeur durant la guerre (dont labataille de Gergovie est un bon exemple), l'Arvernie reste relativement indépendante. En effet, elle possède son propre gouvernement, ses propres guerriers, la liberté de culte. La cité reste indépendante mais doit quand même payer un léger tribut à Rome qui est son partenaire commercial privilégié et contracte une alliance défensive mutuelle. L'Arvernie devient donc une sorte de protectorat. Elle semble avoir connu alors une certaine prospérité.
L'urbanisme antique en reste peu connu, mais il s'organisait selon un plan orthogonal, comme bien des villes romaines. Aujourd'hui un seul vestige antique est encore visible dans la ville, il s'agit du « Mur des Sarrazins », ainsi nommé à l'époque médiévale.
Des établissements thermaux ont été retrouvés à proximité de Clermont-Ferrand, àRoyat et àChamalières — un sanctuaire associé à des sources a conservé de très nombreux ex-voto, visant à guérir des membres malades par les eaux thermales volcaniques, aujourd'hui visibles au musée Bargoin de Clermont-Ferrand, avec l'une des plus longues inscriptions enlangue gauloise.
Il y a donc une réelle continuité avec le passé : laromanisation se bâtit sur le passé gaulois et non contre lui. Ainsi le sanctuaire deCorent est-il réaménagé sur la base du plan antérieur, mais avec des techniques de construction romaine, et unfanum est élevé, en plus des deux petits temples.
La présence successive de centres urbains et religieux à Corent, puis Gergovie, puis Nemessos (Clermont-Ferrand), ne signifie donc pas la fin du rôle religieux du sanctuaire de Corent.
Les archéologues vont de surprise en surprise et redéfinissent avec humilité les espaces et avancées techniques des Arvernes à chaque nouvelle fouille. Nous avons maintenant la certitude qu'une grande partie des technologies romaines ont été prises aux Gaulois, telles que les casques, les cottes de maille et boucliers, les fortins de bois et de pierre et le travail des métaux, dont une partie de la joaillerie précieuse consommée par les Gauloises, avant de l'être par les Gallo-Romaines.
Les Arvernes donnèrent à l'Empire romain d'Occident l'un de ses derniers empereurs,Eparchus Avitus de 455 à 456, beau-père de Sidoine Apollinaire.
Les prospections archéologiques récentes menées autour de Clermont-Ferrand, ont fait apparaître un dense réseau d'établissements agricoles (villae) qui structurait l'espace rural de laLimagne et fut mis en place auIer siècle.
D'autres indices de continuité existent, il semblerait en fait qu'une période de concentration des propriétés rurales ait eu lieu au début duIer siècle av. J.-C. : il y aurait donc eu une relative continuité sociale des élites arvernes entre la fin de la période de l'indépendance et l'époque de l'Empire romain.
Par ailleurs, la production agricole semble avoir pris une importance plus grande auIer siècle, la période précédente témoignant aussi de pratiques d'élevage de vaches, de moutons et de porcs, tout comme chez d'autres peuples gaulois. La production principale semble avoir été tournée vers les céréales, comme le témoigne la découvertes d'immenses silos à Corent (août 2015) et la découverte d'un moulin hydraulique auxMartres-de-Veyre.
La présence de très nombreuses amphores rend possible qu'il y ait eu aussi de la viticulture.
Les densités maximales semblent atteintes auIIe siècleapr. J.-C. Une assez forte continuité est cependant notée dans l'occupation desvillae, en particulier pour les plus riches, qui se maintiennent auBas Empire et même parfois auHaut Moyen Âge
À la fin duIer siècle, les ateliers decéramique deLezoux, déjà actifs du temps des Arvernes, connaissent un succès considérable et exportent leurcéramique sigillée dans une grande partie de l'occident romain, à l'image d'autres ateliers céramiques gaulois comme celui deLa Graufesenque.
Les formes de ces céramiques, les signatures des potiers, sont des indices précieux pour les archéologues, notamment pour dater le site où les céramiques furent retrouvées.
Ces témoignages d'une prospérité incontestable, d'une romanisation importante et d'une bonne insertion dans les échanges qui animaient l'empire, rendent donc d'autant plus énigmatique notre faible connaissance des élites de la cité arverne sous l'empire. Mais il est vrai que c'est également le cas pour d'autres cités gauloises. De nouvelles recherches viendront probablement lever le voile sur ces riches Arvernes.
Durant leIer siècle, la cité se dote d'un riche temple dédié àMercure, qui correspond sans doute à celui dont les restes furent retrouvés au sommet dupuy de Dôme. Ce temple continue donc la tradition religieuse attachée au lieu déjà utilisé par le culte druidique arverne. Une des inscriptions votives trouvées dans ce temple, sur plaque de bronze, est dédiée plus précisément à Mercure Dumias[32]. Dieu des voyageurs, Mercure protégeait lavoie romaine d'Agrippa de Lyon à Saintes qui franchissait la chaîne des Dômes au pied du puy de Dôme, ainsi que l'attestent quatre statues du dieu découvertes au long de la voie sur dix kilomètres de son trajet de part et d'autre ducol de Ceyssat.
Pline l'Ancien nous a conservé la description de la statue colossale que le sculpteurZénodore avait érigée pour ce sanctuaire[33]. Un temps interprété comme leVasso Galate décrit parGrégoire de Tours, on considère désormais que le temple de Vasso Galate correspond aux structures retrouvées dans l'actuel quartier de Jaude à Clermont-Ferrand.
L'intérêt pour la statue de Zénodore a été relancé en avril2007 par la découverte, au sud de l'agglomération antique de Clermont-Ferrand, d'un pied de statue monumentale antique de grande dimension — 60 cm, soit une statue de 4 mètres environ — fait enalliage de cuivre et d'une réalisation de qualité exceptionnelle : si rien n'indique qu'il s'agisse d'un fragment de la statue de Zénodore, cette découverte témoigne de la présence d'une grande statuaire de qualité dans la capitale arverne à l'époque romaine[34].
Le Mercure arverne était l'héritier direct du dieu gauloisLug. Des inscriptions — trouvées en des sites parfois très éloignés de l'Auvergne — le qualifient d’Arvernus ou d’Arvernorix.
Situé à la confluence de l’Allier et de l’Auzon, le site deGondole occupe une terrasse alluviale à peu près triangulaire, d’environ trente hectares. C'est l'un des sixoppida fortifiés et peuplé par les Arvernes.
Dans la plaine du Cendre qui s’étend en contrebas ont été découvertes un certain nombre de fosses antiques remontant aux Arvernes.
Plusieurs tombes, détruites auXIXe siècle ou fouillées récemment, ont livré de grandes quantités d’ossements humains et animaux,équidés pour l’essentiel, tendant à prouver que les guerriers, cavaliers ou nobles Arvernes se faisaient, tout comme en Chine à Xian, enterrer avec leurs chevaux.
Celtillos : vergobret de la nation arverne duIer siècle av. J.-C., père de Vercingétorix, exécuté pour avoir voulu rétablir la royauté en Arvernie.
Gobannitio : première moitié duIer siècle av. J.-C., oncle de Vercingétorix et vergobret des Arvernes à la suite de la mort de son frère Celtillos (à laquelle il prend part).
Vercingétorix : -77(?) - 46, fils de Celtillos et neveu de Gobannito, dirige le peuple arverne et la grande révolte gauloise de -52, magnifique vainqueur de Gergovie et sublime vaincu d'Alésia.
↑David Lallemand et Lionel Orengo, « Les ensembles de mobilier de La Tène moyenne de l’habitat groupé de Varennes-sur-Allier (Allier, Bourbonnais) : premières analyses »,L'archéologie de l'âge du fer en Auvergne,vol. actes du XXVIIe colloque de l'AFEAF,,p. 165.
↑Jean-Luc Boudartchouk,Les Eleutètes de César : Une hypothèse relative à leur localisation, Cahiers d’archéologie aveyronnaise, 2002, vol. 16, p. 97-99.
↑BertrandDousteyssier, « Une nouvelle agglomération antique arverne : le site de « La Croix de la Pierre » (Beaulieu, Charbonnier-les-Mines — Puy-de-Dôme) »,Revue archéologique du Centre de la France,vol. 45-46,(ISSN1951-6207,lire en ligne, consulté le).
FlorianBaret, « Le réseau des agglomérations antiques dans les cités du Massif central (Arvernes, Vellaves, Gabales, Rutènes, Cadurques et Lémovices) entre le Ier s. av. J.-C. et le Ve s. ap. J.-C. »,Gallia,t. 73.2,,p. 169-212(ISSN0016-4119,lire en ligne, consulté le)