L'architecture romane est le premier grandstyle créé auMoyen Âge en Europe après le déclin de lacivilisation gréco-romaine. Son développement est pleinement établi vers 1060 mais les premiers signes de mutation sont différents suivant les régions et il n'y a pas de consensus sur une date des débuts qui vont duVIe au XIe siècle. L'architecture gothique est le style qui lui succède progressivement à partir duXIIe siècle. Le dynamisme monastique, de profondes aspirations religieuses et morales, la spiritualité des routes de pèlerinages dans une Europe rendue à la paix président à la naissance de l'art roman et contribuent à en faire un style neuf et d'une profonde originalité. La volonté de libérer l'Église de la tutelle de pouvoirs séculiers, les croisades, la reconquête chrétienne en Espagne avec l'effondrement ducalifat de Cordoue, la disparition du mécénat royal ou princier font de l'art roman l'art de toute la chrétienté médiévale.
L'architecture romane s'est développée sur un vaste espace qui s'étend depuis la moitié nord de l'Espagne jusqu'à l'Irlande, l'Écosse et la moitié de laScandinavie. L'Est de l'Europe, les pays slaves de laPologne à laSlovaquie, laBohême et laMoravie, laHongrie et laSlovénie adoptent aussi ce style comme l'ensemble de l'Italie avec ses îles. Cet espace correspond à l'influence de l'Église romaine au Moyen Âge, à la grande famille des peuples romano-germaniques, des Slaves de l'Ouest et de quelques reliques ethniques.
Les premiers foyers d'art roman se manifestent déjà vers l'an mille, enCatalogne sur les contreforts nord et sud de la partie orientale desPyrénées, enLombardie étendue de la plaine centrale duPô à l'Italie du sud, en Bourgogne dans la zone fluviale de laSaône, enNormandie près de la Manche, sur le cours inférieur duRhin jusqu'à la Moselle, la hauteRhénanie deBâle àMayence et laBasse-Saxe entre l'Elbe et la Weser.
Sur le plan technique, on passe de la pierre cassée au marteau à l'appareil de pierre taillée et la mise au point de la pile composée. Sur le plan architectural, l'art roman introduit la façade harmonique, lechevet àdéambulatoire, lesvoûtes en berceau plein-cintre et brisé, lavoûte d'arêtes et lacroisée d'ogives avec leurs contrebutements.
La terminologie « art roman » apparaît en France pour la première fois en1818. Les spécialistes allemands font remonter la naissance de l'art roman après l'art ottonien et réservent le terme style roman à la dernière phase de l'évolution architecturale. L'architecture romane est en Angleterre traditionnellement dénomméearchitecture normande.
En 1818Charles de Gerville dans une lettre àAuguste Le Prévost a l'heureuse idée d'employer le termeroman pour cet art qui coïncide avec l'époque où les langues romanes commencent à se dégager du latin et où, pourArcisse de Caumont, l'architecture des premiers siècles deMoyen Âge offre tous les caractères de l'architecture romaine dans un état de dégénérescence avancé. L'architectureromane remplace rapidement les appellations usuelleslombarde,saxonne ouanglo-normande, comme première tentative d'unification artistique de l'Europe.
Après avoir défini des limites dans le temps,Arcisse de Caumont cherche à définir des caractères communs dans l'espace et esquisse sur le territoire français sept régions monumentales définies en particulier par la nature du sol mais aussi par des différences de goût et d'habileté qui ne peuvent venir que d'écoles.Jules Quicherat,Viollet-le-Duc, Anthyme Saint-Paul,Auguste Choisy ont repris et complété l'idée.
En 1935, un architecte catalan,Josep Puig i Cadafalch, définit unpremier art roman réalisé par des peuples différents qui s'étend sur une grande partie de l'Europe avant que des écoles particulières ne s'y soient développées[4],[5].Pierre Francastel en 1942 remet en cause les écoles régionales, remplace le terme depremier art roman par celui depremier âge roman qui intègre les idées deJean Hubert etMarcel Durliat. PourLouis Grodecki, il existe un bloc d'architecture charpentée, une sorte depremierart roman du Nord distinct et symétrique opposé aupremier art roman méridional[6],[7],[8].
En 1951, les bénédictins de l'abbaye Sainte-Marie de la Pierre-qui-Vire fondent leséditions Zodiaque et la collectionLa nuit des temps spécialisée dans l'art roman qui publie sur l'ensemble du monde roman 88 ouvrages entre 1954 et 1999.
Toute définition de l'architecture romane est nécessairement réductrice dans la mesure où cette architecture recouvre des réalisations d'une grande variété et construites sur une longue période. On attribue parfois le qualificatif deroman à des édifices dont la datation est très incertaine, simplement parce qu'on y retrouve des techniques ou une ambiance qui semblent romanes à l'observateur moderne : voûte en berceau, arc en pleincintre ou chapiteaux historiés par exemple... En fait, il existe des édifices romans charpentés et non voûtés, tandis que le berceau en plein cintre est plutôt l'exception par rapport à l'arc légèrement brisé. Enfin, bien des chapiteaux romans ne sont pas historiés.
On peut donc définir l'architecture romane sur des critères plus subjectifs, plus ou moins bien étayés par ce que nous croyons savoir des interprétations religieuses de ces époques. On pourrait donc dire, même si cette présentation s'applique mal au caractère ascensionnel des grandes églisesauvergnates, que l'architecture romane, notamment dans les édifices de petite taille, procure au visiteur le sentiment d'une certaine massivité qui évoque plus l'ombre, la pénombre ou cette « lumière profonde » dont parleYves Bonnefoy, que les envolées lumineuses des verrières gothiques.
Une interprétation veut que cette architecture ne relève pas d’une ascendance pour une finalité glorieuse, mais plutôt d’une « transcendance vers le bas », d’une forme cryptique et initiatique par une ambiance de mystère originel. En fait, l'expérience de la lumière dans l'église chrétienne est décidée dès la construction des premièresbasiliques chrétiennes, mais la poussée due au choix de lourdes voûtes en pierre (remplaçant les voûtes à charpente dans les grands édifices ou pour échapper aux incendies des charpentes en bois) oblige à renforcer les murs et y percer des baies étroites : cette « lumière profonde » résulte donc plus d'une contrainte technique que d'un choix liturgique. Ainsi, lors dudeuxième âge roman différentes voûtes sont créées (voûte d'arête, voûte encroisée d'ogives) et renforcées avec différents contrebutements (demi-berceaux des tribunes) ou épaulements (contreforts), ce qui permet de faire entrer la lumière en perçant de plus grandes baies dans les surfaces murales[9].
Les historiens de l'art ont cependant tenté de caractériser l'architecture romane par ses modes de couvrement (voûtes en berceau et en arête, coupole), de supports (murs épais pourvus ou non d'arcatures et percés généralement de petites fenêtres en plein cintre, murs renforcés de colonnes engagées à l'intérieur ou de contreforts à l'extérieur) et sa grammaire décorative (répertoire d'oves, de perles, de frettes, palmettes et rinceaux, roses et feuilles d'acanthe, chapiteaux ioniques et corinthiens)[10].
Après une période de recherches et de développement parfois tortueux, les grandes composantes classiques méditerranéennes etpaléochrétiennes se sont définitivement unies avec les apports germaniques dans l'art roman. L'architecture romane trouve ses sources dans l'art préroman et en particuliercarolingien et se développe en parallèle de l'architecture ottonienne. Cette gestation est au cœur de la tentative d'organisation germanique duVIIIe au Xe siècle par lescarolingiens et lesottoniens.
La reconstitution de l'unité occidentale se développe dans trois directions: au sud-est en Italie, au sud-ouest vers l'Espagne et à l'est en Germanie. L'horizon germanique et singulièrement saxon attire Charlemagne vers l'est. Il a surtout le souci de rétablir l'ancienempire romain dont il serait le chef.
Après la mort deCharles le Gros en 888, c'est la faillite rapide de l'unité carolingienne. EnFrancie occidentale, la royauté redevenue élective fait alterner des rois carolingiens et des rois de la famille d'Eudes,comte de Paris, héros de la défense de Paris contre les Normands en 885-886. En Germanie, la dynastie carolingienne s'est éteinte en 911 avecLouis IV l'Enfant et la couronne royale échoit par élection au ducConrad de Franconie. Il la transmet àHenriIer et son filsOttonIer fonde une lignée impériale en reprenant la politique carolingienne et avec l'aide du pape instaure leSaint-Empire romain germanique.
La religion chrétienne s'est adaptée à son environnement et s'est "barbarisée", puis l'Angleterre entre dans la chrétienté et des moines irlandais créent des liens avec le continent qu'empruntent pèlerins et marchands. Le Rhin, l'Escaut et la Meuse sont des voies de pénétration et le premier commerce atlantique marque le début d'une nouvelle époque. C'est surtout la Gaule au nord de la Loire qui profite de ces échanges.
Grimoald maire du palais d'Austrasie fonde des monastères et y installe parents et proches. Il marque une politique que suivront tous les Carolingiens: posséder des abbayes, avoir des moines qui prient pour la famille et les aident dans leurs entreprises[11],[12],[13].
Parallèlement l’Église connaît une forte organisation hiérarchique : les idées réformistes marquent l'épiscopat et le monachisme, et l'expansion fulgurante des abbayes en est la parfaite illustration. L'Église tient une grande place dans le conseil des princes, et le rôle matériel et spirituel du monachisme est indéniable. Prouesses architecturales, les monuments se placent dans l'héritage de la dynastie carolingienne tout en intégrant des influences byzantines. Les ateliers monastiques deviennent à l'origine de tout l'art ottonien : sculptures, peintures, orfèvrerie,enluminures. Le culte des reliques s'élève, et lescryptes viennent se placer de plain-pied avec la nef. La composition des édifices est modifiée, tout comme le développement de la liturgie. Les grandspèlerinages s'organisent[14].
Autour de l'an mil, le signe le plus éclatant de l'essor de la chrétienté reste la célèbre phrase du moineRaoul Glaber qui parle dublanc manteau d'églises qui couvre surtout laGaule et l'Italie. Ce grand mouvement de construction joue un rôle capital par sa fonction destimulant économique, la mise au point d'outillages, le recrutement de la main-d'œuvre, le financement et l'organisation des chantiers. C'est le centre de la première et presque la seule industrie médiévale.
Cette activité de construction qui marque le démarrage de l'Occident est lié à la démographie, la fin des invasions, le progrès des institutions qui réglementent les périodes d'activités militaires et mettent les populations non combattantes sous la protection des guerriers. Cet essor est aussi lié à la terre qui auMoyen Âge est la base de tout et c'est à cette époque que la classe dominante se ruralise, devient une classe de grands propriétaires où la vassalité s'accompagne d'un bénéfice, le plus souvent une terre donnée aux paysans contre des redevances et des services. Pour satisfaire ces obligations, ils améliorent leurs méthodes de culture ce qui entraîne une révolution agricole entre leXe et leXIIIe siècle qui est aussi une intense période de défrichement.
Les zones de grande densité d'abbayes clunisiennes.
Cette expansion intérieure du christianisme se double d'un mouvement de conquête extérieur avec le recul de ses frontières en Europe et lescroisades en pays musulmans. LaPologne, leDanemark, laNorvège et laSuède deviennent chrétiennes. Les Normands s'installent enItalie du Sud, prennent laSicile aux musulmans, chassent les Byzantins d'Italie. LaReconquista espagnole est menée par les rois chrétiens aidés par des mercenaires, des chevaliers et des moinesclunisiens français qui soutiennent l'essor dupèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle et jouent un rôle de premier plan[11].
Cette transformation radicale de la société fait apparaître de nouveaux besoins. Dans une multitude de fiefs les seigneurs construisent des mottes féodales, des tours qui deviendront des châteaux forts et s'assurent la protection divine par des dons aux monastères ou créent des collèges de chanoines[4].
Évolution de l'Occident de la période carolingienne au gothique
Les composantes structurelles de l'architecture romane, les chevets, la façade et l'espace occidental, les articulations de la nef avec ses modes de couverture et ses supports, les transepts, les travées droites du chœur et le traitement des parois extérieures sont en germe dans l'architecture paléochrétienne etpréromane.
L'évolution du chevet roman desXIe et XIIe siècles est liée à la multiplication des autels pour des prêtres de plus en plus nombreux. Ils sont de deux grands types avec des absidioles alignées ou échelonnées de chaque côté de l'abside ou rayonnantes sur un déambulatoire. Une solution expérimentale est présente dans son état duVIe siècle à labasilique euphrasienne de Poreč où la conservation de trois autels paléochrétiens et de mosaïques font croire à leur localisation dans trois hémicycles. Toujours enCroatie mais enDalmatie, on connaît quelques chevets tripartis auxVIe et VIIe siècles.
Les besoins qui font évoluer la partie orientale des églises sont liés au nombre de prêtres toujours plus nombreux et au cheminement des fidèles vers les reliques sans perturber la liturgie. La première réponse consiste à multiplier les chapelles en juxtaposant de part et d'autre de l'abside axiale des absidioles alignées. C'est l'organisation adoptée à l'abbatiale de Saint-Michel de Cuxa en Roussillon avec une construction commencée en 956, l'autel consacré en 975 et àChâtillon-sur-Seine où l'église Saint-Vorles entre 980 et 1016 respecte ce plan qui ne résout pas le problème des circulations. Le chevet à chapelles échelonnées est une solution plus élaborée que l'on trouve au début duXIe siècle enNormandie àBernay et au prieuré dePerrecy-les-Forges qui dépend de l'abbaye de Fleury près d'Orléans.
La réponse au problème d'une circulation indépendante des fidèles pour accéder aux reliques passe par la création d'un déambulatoire autour du chœur isolant les célébrations de l'autel majeur et permettant de distribuer des absidioles rayonnantes avec des autels secondaires. Si l'exemple de lacathédrale de Clermont-Ferrand qui a servi de modèle à lacollégiale Saint-Aignan d'Orléans n'est connu que par des fouilles, sa crypte est une ébauche de celle de l'égliseSaint-Philibert de Tournus consacrée en 1019 dont le chevet est en partie encore existant. Il est construit sur une crypte de même plan où le chœur et l'abside sont ceinturées par un déambulatoire desservant des chapelles quadrangulaires.
Le déambulatoire à chapelles rayonnantes défini àSaint-Philibert de Tournus n'a pas été remis en cause dans l'architecture romane. Seuls le nombre et la forme des chapelles, les passages visuels entre le déambulatoire, le chœur et les chapelles, les proportions des volumes composant le chevet varient.
Le plan des églises est le plus traditionnel et reprend celui des basiliques deRavenne. Pour répondre aux nouvelles demandes de la liturgie, les architectes minimisent la longueur et la hauteur des transepts mais s'attachent à couvrir de voûtes toutes les parties des édifices pour les protéger du feu et grâce à la réverbération des voûtes créer une ambiance miraculeuse.
La construction des voûtes sur tout l'édifice entraîne une profonde mutation esthétique car le support des voûtes organisées sur des travées juxtaposées engendre une architecture articulée. Le premier art méridional développe un type original de crypte , une salle à colonnes, basse et voûtée d'arêtes sur le même plan que le chevet. Les premières cryptes articulées avec le chœur apparaissent enLombardie vers l'an mil à labasilique Saint-Vincent de Galliano, San Vincenzo in Prato à Milan, San Pietro d'Agriate puis se développe enPiémont, enSavoie àSaint-Martin d'Aime, en Suisse àAmsoldingen etSpiez, en Catalogne et Roussillon, et dans la Vallée du Rhône à l'abbatiale Sainte-Marie de Cruas[22],[23]
Si la tour octogonale sur coupole élevée à la croisée du transept permet un étagement harmonieux des volumes du chevet comme àSainte-Marie de Ripoll et Saint-Vincent deCardona[24], ce qui caractérise le mieux cette architecture, c'est lecampanile. Sur le plan liturgique ils reçoivent des chapelles souvent dédiées à l'archange saint Michel permettant d'élever la prière, de mettre des cloches pour l'appel à l'office divin mais ils constituent aussi un espace de décoration où on utilise tout le répertoire du premier art roman méridional. ÀSaint-Michel de Cuxa et à l'abbaye de Fruttuaria, une lésène centrale traverse les panneaux pour accentuer la verticalité. Le plan circulaire deRavenne se diffuse en Italie centrale mais le plan carré employé àMilan et sa région est largement préféré pour son aspect massif. Le triomphe du premier art roman méridional passe par des œuvres réellement originales et prometteuses comme lemonastère de Sant Pere de Rodes[25],[26].
L'évolution des chevets passe par une augmentation des ouvertures entre le chœur, le déambulatoire et les chapelles qui apporte une certaine légèreté. On recherche une meilleure harmonie des volumes extérieurs par un étagement modulé des éléments.
La travée-cellule si importante pour l'architecture romane est parfaitement définie dans la crypte de lacathédrale Saint-Étienne d'Auxerre datée de 1023-1035. La pile composée remplace la colonne. Le noyau carré reçoit les retombées des arêtes des voûtes et les colonnes engagées les grandes arcades et les arcs doubleaux qui reçoivent untore dans la partie centrale de la salle.
Le rez-de-chaussée est ouvert des trois côtés par de triples arcades, celle du milieu étant plus large que les deux autres, et est fermé à l'Est par le mur de la nef. Ces arcades en plein-cintre à doubles ressauts portent sur des piles rectangulaires au nord et au sud, et cruciformes à l'ouest. Elles sont renforcées d'une demi-colonne sur chaque face et par de puissants contreforts aux piles des deux angles. Vers l'est, les colonnes s'appuient sur d'importants ressauts avec dans l'épaisseur les escaliers à vis. De chaque côté de la porte centrale, des arcs en plein-cintre de 6,10 m de hauteur ont été bouchés. Le porche est divisé en neuf travées couvertes de voûtes d'arêtes en blocage séparées par de larges doubleaux en plein-cintre.
À l'abbaye Saint-Philibert de Tournus, lagalilée construite vers 1035-1040 est le premier témoin de ce type. Elle s'inscrit dans la suite des massifs de façade carolingiens avec un sanctuaire souvent dédié à saint Michel au-dessus d'une salle basse. Le plan basilical présente vingt mètres de longueur par dix-sept de largeur, sur deux niveaux, une nef de trois travées et des collatéraux. Au rez-de-chaussée, le vaisseau central est vouté d'arêtes et les collatéraux de berceaux transversaux. À l'étage, la nef centrale haute de 12,50 m est voutée en berceau et contrebutée de chaque côté par des voûtes en demi-berceau[29].
L'abbaye de Jumièges en Normandie fait partie du groupe d'architecture charpentée que l'on retrouve dans l'architecture ottonienne duSaint-Empire romain germanique. Leduché de Normandie est aussi avec l'empire le seul État stable de l'époque avec des frontières biens définies. Les ducs reconstruisent les monastères détruits par leurs ancêtres puis les grands seigneurs dotent de nombreuses abbayes.
Le massif occidental est précédé d'un avant-corps qui évoque le weswerk carolingien de l'abbaye de Corvey. Il comporte trois niveaux, le premier donne accès à la nef, puis une tribune est largement ouverte sur l'église et le troisième stabilise les deux tours de 45 m de hauteur.
La technique normande du mur épais utilisée dans le transept de l'abbaye de Jumièges proche de l'abbaye de Bernay qui semble porter le prototype et dont l'influence de lacathédrale Saint-Bénigne de Dijon est vraisemblablement à l'origine de cette première application normande du principe de la coursière se retrouve plus tard dans le transept de l'église Saint-Étienne de Caen et a ensuite été systématiquement utilisée dans les constructions du monde anglo-normand.
Cette association d'un allègement visuel de la paroi avec un renforcement de fait de la structure est une des réussites majeures des constructeurs normands. Elle a favorisé le lancement de voûtes encore lourdes même si à Bernay et à Jumièges, il n'y eut pas d'intention de voûtement à l'origine. La conception même des murs est parfaitement adaptée à un voûtement ultérieur[30],[31],[32],[29].
AuIXe siècle le modeste et presque inaccessiblemonastère de Conques dans leRouergue vivote mais à la fin du siècle ses moines organisent le rapt des reliques de Sainte-Foy àAgen. Après un siècle sans miracles, ceux-ci se multiplient etBernard d'Angers écritLe livre des miracles de Sainte-Foy qui assure sa notoriété. Devant l'affluence des pèlerins, une nouvelle abbatiale est construite vers 1030-1050. Son plan qui a servi de prototype aux églises de pèlerinages est conçu dès le départ dans son ensemble. Il a une nef à trois vaisseaux, un transept très saillant et un chevet à déambulatoire avec trois chapelles rayonnantes associées aux chapelles échelonnées des croisillons du transept. Des tribunes destinées à reprendre les poussées horizontales de la nef sont elles aussi prévues et seront construites un peu plus tard mais l'escalier d'accès est construit dans la même campagne de travaux que le transept. Elles apportent une lumière indirecte au vaisseau central.
Avec la nouvelle abbatiale de Conques, on entre dans une nouvelle époque de la sculpture. Les chapiteaux du transept sont d'un type carolingien à entrelacs pour évoquer l'ancienneté du lieu et s'inscrire dans l'antiquité de la religion chrétienne. Dans le déambulatoire et les entrées des chapelles, on utilise des chapiteaux d'un type nouveau encore grossiers parfois sertis d'entrelacs, de palmettes concaves, de feuillages maladroitement traités où sont introduites des figures humaines, un centaure dans la chapelle axiale et des quadrupèdes affrontés dans la chapelle sud du déambulatoire. Du chevet jusqu'au portail on peut suivre la progression de l'art de la sculpture de 1050 à 1130 environ et son entrée dans l'ère des chapiteaux historiés[18],[33].
L'architecture ottonienne s'est constituée seule, presque en vase clos en faisant évoluer les modèles carolingiens tout en résistant aux apports du premier art roman méditerranéen. Les zones de contacts en Bourgogne jurane et dans les Alpes montrent que la fusion entre ces deux mondes de formes est difficile. La progression de l'architecture du sud a été arrêtée par la zone d'influence ottonienne qui ne lui a emprunté que des éléments de décor pour les transformer et ce n'est qu'après 1050 dans un Empire déclinant que des éléments de décors et de sculptures méridionaux s'infiltrent dans les édifices germaniques.
L'influence de l'architecture ottonienne sur l'Europe du nord peut être sentie dans des monuments des zones nord-ouest et ouest de la France et on peut se demander si on ne peut pas regrouper dans un même ensemble formel les différents types régionaux de l'Océan à l'Elbe et de lamer du Nord à la Loire.
Les transepts bas deMorienval et les églises de l'Aisne viennent probablement de la Meuse, les chevets harmoniques deSaint-Germain-des-Prés, deMelun et deMorienval dérivent sans doute de Lorraine. EnNormandie la façade deJumièges avec son massif occidental et sa tribune, la façade disparue deFécamp montrent une composition semblable auxwestwerks carolingiens et ottoniens, le porche deSaint-Nicolas-de-Caen est de type rhénan. En Champagne, entre la France royale et l'Empire s'est développé vers l'an mil une architecture différente par certains caractères typiquement français mais semblable dans sa structure et dans ses origines carolingiennes[6],[34],[35].
Pour animer les murs, on trouve surtout enItalie et enCatalogne deslésènes ou petits arcs sur des pilastres peu saillants que l'on appellebande lombardes. Dans leVal de Loire, des plaques et des frises sculptées ornent les parois extérieures. Des œuvres rares sont présentes à l'église Sainte-Radegonde de Poitiers avec un Christ bénissant et sur les linteaux des portails du Roussillon et en particulier celui de l'abbaye de Saint-Génis-des-Fontaines.
Les progrès techniques entraînent une multiplication des emplacements disponibles pour les chapiteaux. Au début duXIe siècle, les motifs végétaux dérivés des chapiteaux corinthiens utilisés dans l'architecture carolingienne sont remis en cause. Certains préfèrent un aspect plus massif et nu qu'ils obtiennent par un simple épannelage des corbeilles en abattant les angles ou des chapiteaux cubiques composés par la pénétration d'une sphère dans un cube. D'autres redécouvrent le corinthien antique et des modèles gallo-romains.
Dans la deuxième moitié duXIe siècle s'ouvrent de nouveaux espaces pour l'architecture romane. Laconquête normande de l'Angleterre en 1066 parGuillaume le Conquérant, le recul de l'Islam dans le nord de l'Espagne et le développement des pèlerinages, les relations du Sud-Ouest de la France resté isolé avec le Poitou et les provinces espagnoles, les apports financiers des possessions anglaise et une réforme de l'église catholique donnant plus de moyens aux communautés entraînent une explosion des constructions et une évolution du style architectural roman.
Parallèlement à unpremier art roman méridional qui cherche à voûter les édifices, on peut penser qu'il existe unpremier art roman du nord[6] qui reste très fidèle pendant un certain temps à l'usage de la charpente surtout pour les nefs simplifiant ainsi les problèmes de l'élévation.
Construite vers 1049-1057, la petiteéglise Saint-Étienne de Vignory a une nef charpentée sur une élévation parfaitement articulée avec des piles couronnées d'une imposte et une surface murale présente avec trois niveaux d'ouvertures pour l'alléger sans avoir la justification d'une tribune[18].
Lesducs de Normandie sont marqués par un profond besoin spirituel et il faut combler le vide laissé par les invasions des Vikings dans cette région où de nombreux établissements préromans n'ont pas survécu, et où les fondations nouvelles tardent à s'épanouir.Guillaume le Conquérant choisit Caen comme deuxième capitale de son duché. Il s'engage avec sa femme à y fonder deux monastères qui vont être déterminant pour l'architecture normande. À sa mort il a construit 17 couvents de moines et 6 de religieuses. Il veut que les édifices auxquels il attache son nom surpassent en magnificence ceux qui s'élèvent de tous côtés[36].
Le 25 décembre 1066, Guillaume le Conquérant est couronné roi d'Angleterre et l'extraordinaire réussite matérielle des Normands paraît dans l'église Saint-Étienne de Caen. Si le plan ambitieux a sans doute été conçu avant la conquête de l'Angleterre, le succès foudroyant de 1066 a permis son exécution rapide car Guillaume n'a pas hésité à spolier au profit des abbayes de Caen la principale fondation d'Harold, à Waltam (Essex)[37].
En Angleterre, après 1066, la reconstruction complète descathédrales saxonnes d'Angleterre par les Normands représente le plus important programme de constructions ecclésiastiques de l'Europe médiévale et les plus grandes structures érigées dans l'Europe chrétienne depuis la fin de l'Empire romain. Toutes les cathédrales médiévales d'Angleterre sauf Salisbury, Lichfied et Wells ont des traces d'architecture normande. Lacathédrale de Peterborough, lacathédrale de Durham, et lacathédrale de Norwich sont presque entièrement normandes et dans les autres, il reste des parties importantes: les nefs de lacathédrale d'Ely, de lacathédrale de Gloucester et deSouthwell Minster, le transept de lacathédrale de Winchester[39].
La façade de l'abbatiale Saint-Étienne de Caen qui frappe d'abord par son épure et sa rigueur, est le premier exemple d'une formule appelée à dominer la construction des plus grandes églises d'Occident : lafaçade harmonique normande. Celle-ci consiste en deuxtours occidentales d'élévation identique plantées sur la premièretravée descollatéraux, alignées sur la porte principale de lanef, de sorte à créer une façade rectiligne.
Les trois niveaux inférieurs de la façade forment un bloc carré, contribuant à l'aspect massif de l'ensemble. Excepté quelques ornements géométriques aux voussures des trois portails et aupignon de la nef, la nudité de ce bloc est frappante : l'impression d'ensemble est soumise aux lignes architecturales, aux quatrecontreforts massifs d'abord, qui accompagnent le regard du sol vers les tours ; aux dix grandes fenêtres ensuite, dont la base est prolongée par des cordons saillants.
Initiée à l'abbaye de Bernay[40] la technique normande du mur épais est développée à l'abbatiale Saint-Étienne de Caen dans les années 1070-1080. Elle bouleverse toutes les données traditionnelles et consiste à créer des passages à l'intérieur des murs au niveau des fenêtres de la nef, du transept, de la façade occidentale et même du chevet. Ces coursières qui facilitent les circulations permettent des effets de transparences inconnus dans l'architecture romane grâce au dédoublement des murs et à la multiplication des supports, colonnes et colonnettes engagées dans les piles composées. Dans le même temps, les architectes normands délaissent les élévations à deux niveaux pour celles à trois niveaux intégrant un niveau de tribunes charpentées ou voûtées. Avant l'architecture gothique, les recherches normandes portent plus sur les éléments de structure que sur les murs[30],[31],[32],[41].
C'est dans le monde anglo-normand où les nefs sont traditionnellement charpentées et où existe une alternance des piliers forts et faibles depuis l'abbatiale Notre-Dame de Jumièges qu'apparaissent les premières voûtes d'ogives parfaitement constituées avec une disposition diagonale des nervures qui se croisent pour retomber aux angles des travées.
Les voûtes d'ogives de l'abbaye Sainte-Trinité de Lessay, en Normandie, dans le département de laManche, que l'on peut dater avec certitude d'avant 1098 par l'inhumation dans le chœur de l'abbatiale d'Eudes au Capel fils du fondateur et sénéchal deGuillaume le Conquérant présentent des maladresses qui attestent des recherches un peu empiriques car c'est en cours de construction que la volonté de voûter le transept est prise en insérant très maladroitement la retombée des nervures.
Lacathédrale de Durham en Angleterre construite vers 1093 par l'évêqueGuillaume de Saint-Calais, ancien abbé de l'abbaye Saint-Vincent du Mans et conseiller des ducs de Normandie et rois d'AngleterreGuillaume le Conquérant etGuillaume le Roux offre des supports assez maladroitement conçus pour recevoir les nervures, mais la complexité des moulures et la perfection des formes montre qu'elle a bénéficié d'essais antérieurs. Ces deux chantiers ont dû s'inspirer de réalisations antérieures et sans doute bien différentes[42].
La volonté des architectes de construire des édifices voûtés plus importants est limitée par les efforts horizontaux engendrés par les voûtes. La solution passe par l'emploi de nouvelles techniques de contrebutement avec des collatéraux voûtés et des tribunes. Ces solutions éliminent les fenêtres hautes et l'éclairage direct de la nef. Pour assurer la stabilité du vaisseau central couvert d'une voûte en berceau, on utilise des collatéraux voûtés d'arêtes ou en demi-berceaux.
En ajoutant un niveau à l'élévation de la nef centrale et en superposant une tribune voûtée en demi-berceau, qui permet d'améliorer les circulations et peut avoir une fonction liturgique, sur un collatéral voûté d'arêtes parfaitement stable, on assure la stabilité de la voûte centrale. Des collatéraux de grande hauteur permettent d'augmenter considérablement la hauteur des nefs centrales et on peut aussi doubler les collatéraux comme à labasilique Saint-Sernin de Toulouse. ÀSaint-Philibert de Tournus, on trouve une variante originale où le vaisseau central est couvert de voûtes en berceaux transversaux avec des collatéraux voûtés d'arêtes.
Les constructions des architectes sont de plus en plus variées et particulièrement les chevets dans les plans, élévations, espaces internes, passages visuels et la lumière. Le chevet deSaint-Benoît-sur-Loire offre une interprétation originale du plan à déambulatoire avec un allongement important du sanctuaire. Il est probablement justifié par la volonté de construire un chevet-reliquaire autour de la châsse de saint Benoît fondateur du monachisme occidental. Les colonnes de l'hémicycle et les travées du déambulatoires ont des intervalles réglés sur les ouvertures et en particulier la fenêtre axiale[41],[43].
La fin duXIe siècle est marquée par l'apogée de la puissance de l'abbaye de Cluny qui atteint vers l'an mil un millier de prieurés répartis dans toute l'Europe avec dix mille religieux : rien n'est trop beau pour magnifier la maison de Dieu. En réaction à cette débauche de moyens, une crise traverse le monachisme avec la création de nouveaux ordres souhaitant renoncer aux biens de ce monde par des constructions d'une grande pauvreté. Ce nouvel état d'esprit a une grande importance sur la création artistique et vers 1130-1140, un nouvel idéal esthétique prend forme dans ces communautés.
L'abbaye de Cluny III est à l'échelle et à l'image de la puissance de l'ordre. Elle doit pouvoir accueillir les deux à trois cents moines résidents, les convers, le personnel et les visiteurs. S'il ne reste aujourd'hui que le bras sud du grand transept, trois travées du collatéral et deux chapelles, des plans et des fouilles nous montre une église de 187 mètres de longueur avec l'avant nef. Le parti architectural est d'une grande ambition avec un chevet à déambulatoire et cinq chapelles rayonnantes, double transept dominé par quatre tours, nef et chœur à cinq vaisseaux comme àSaint-Pierre de Rome. C'était le plus vaste édifice de l'Occident et son abbé qui dépendait uniquement du pape était un des plus importants personnages de la chrétienté.
Labasilique du Sacré-Cœur de Paray-le-Monial est une réplique relativement fidèle de l'abbaye de Cluny avec des dimensions réduites et un parti architectural moins ambitieux. Comme à Cluny, son déambulatoire est plus étroit que le collatéral correspondant et il existe une forte dénivellation avec l'abside. Les voûtes du chœur et des bas-côté ont une hauteur identique à celle de la nef et du transept. L'hémicycle reprend le type de hautes colonnes de Cluny, les deux niveaux de fenêtres, les arcatures et les colonnes engagées. Paray-le-Monial comme Cluny est caractérisé par son austérité extérieure en opposition avec une recherche plastique intérieure d'une grande richesse.
Une différence importante apparaît avec Cluny où l'architecte a la volonté de réduire la portée du vaisseau central d'une hauteur sans précédent dans l'architecture romane. Il crée un porte-à-faux par des cordons en forte saillie à chaque niveau de l'élévation et emploie des ordres superposés avec des pilastres cannelés. Cette superposition des ordres que l'on retrouve à Paray-le-Monial sans avoir le souci du porte-à-faux est souvent reprise en Bourgogne et au-delà.
En Auvergne, les architectes restent fidèles à la voûte en berceau avec un intérêt particulier pour les surfaces murales inarticulées et les arcs diaphragmes séparant la nef du transept ajourés de baies. La crypte qui tend à disparaître reste présente dans certains édifices auvergnats. La diffusion de la lumière est particulièrement élaborée comme la décoration extérieure avec l'assemblage de pierres différentes et des jeux d'appareils empruntés auhaut Moyen Âge. Labasilique Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand possède une crypte et un chevet avec un décor de pierres polychromes.
Au début duXIIe siècle, les architectes utilisent dans plusieurs édifices de Bourgogne, du Berry, du Sud-Ouest àSaint-Pierre de Chauvigny et d'Auvergne la couverture de transepts puis de nefs par des voûtes en berceaux brisés. Constitués de deux arcs de cercle qui se rejoignent sur une clé, ils réduisent les efforts horizontaux et sont donc plus faciles à contrebuter tout en permettant de créer des ouvertures plus importantes dans les murs. Ils remplacent rapidement la voûte sur berceau en plein cintre. L'arc brisé s'impose aussi pour les arcades et les arcs doubleaux. Cette nouvelle technique marque un tournant important dans l'architecture médiévale. Elle entraîne l'abandon des tribunes de contreventement et le succès des églises à trois vaisseaux de hauteurs presque identiques avec des collatéraux voûtés d'arêtes qui reprennent les efforts horizontaux de la nef centrale au pied des berceaux brisés comme àNotre-Dame de Cunault enAnjou.
À partir de 1100-1110 se développent en Aquitaine des édifices à files de coupoles. Elles permettent de couvrir de grandes surfaces pour rassembler et visualiser une foule dans une région traversée par des mouvements hérétiques. Ce type de voûtes engendre peu d'efforts horizontaux, est juxtaposable et en dehors des importants massifs d'angles les parois extérieures ne participent pas à la structure portante. Les caractéristiques du premier édifice roman couvert de coupoles, l'église Saint-Étienne de Périgueux, sont reprises à lacathédrale de Cahors avec une coupole plus importante d'un diamètre de dix-huit mètres et de trente-deux mètres de hauteur. À lacathédrale Saint-Pierre d'Angoulême, les coupoles sont organisées sur une croix latine. La nef de quinze mètres de largeur est composée de quatre coupoles de dix mètres de diamètre, un transept très saillant à absidioles orientées et un sanctuaire très profond avec quatre absidioles rayonnantes.Saint-Front de Périgueux construite à partir de 1120 avec son caractère byzantin prend modèle sur labasilique Saint-Marc deVenise[44].
Labasilique Saint-Denis, une des premières cathédrales gothiques avec lacathédrale de Sens, conserve certains éléments caractéristiques de l'architecture romane, qui révèlent une époque de transition : c'est le cas du plein cintre des porches et des arcades de la façade.
Parallèlement, les nouveaux ordres monastiquescisterciens,grandmontains etchalaisiens définissent une architecture idéale aux formes épurées avec une attention particulière portée sur la qualité de la maçonnerie de pierre. Ils diffusent dans leurs réseaux d'abbayes ces principes indépendants des modes locales et créent une architecture romane intemporelle défiant le temps par sa qualité de construction[46].
Mais la simplicité voulue à l'origine de la création des ordres est vite adaptée à de nouvelles réalités. Seuls lesChartreux respectent l'idéal originel et conçoivent un plan type pour leur vie de cénobites et d'ermites. Les cellules indépendantes des moines sont constituées de trois pièces : l'Ave Maria; l'oratoire avec une stalle, un bureau et un lit dans une alcôve; un atelier avec un jardin. Ces cellules sont distribuées par le cloître de lamaison haute. La deuxième partie du monastère est réservée à la vie commune des religieux avec l'église, un petit cloître, la salle capitulaire, le réfectoire et sa cuisine. Les bâtiments desconvers et les annexes de fonctionnement sont assez éloignés[4].
Robert de Molesme décide en 1098 de fonder un nouveau monastère qui prend le nom de Cîteaux. Le succès entraîne la création de nouvelles abbayes qui sont réglées par une charte définissant les buts du nouvelordre cistercien qui devient un des rameaux de laRéforme grégorienne. Lescisterciens vivent au désert, assurent leur subsistance par le travail et refusent le superflu. Au début, ils se contentent de vivre dans des bâtiments en bois puis saintBernard de Clairvaux imagine une organisation suffisamment souple pour s'adapter aux contraintes locales mais si les édifices ont des caractéristiques communes, il n'existe pas de plan type.
Dans le monastère cistercien vivent dans la simplicité et le confort, deux communautés humaines, les moines de chœur qui ne sortent pas de l'abbaye et lesconvers. Ils se réunissent dans l'église séparée en trois parties, le sanctuaire, le chœur des moines et les travées occidentales des convers. L'abbaye est organisée autour d'un cloître avec à l'ouest le bâtiment des convers. L'abbaye cistercienne ne possède pas de reliques et ne reçoit pas de laïcs.
Dès 1130-1140, les premiers cisterciens construisent des bâtiments en dur avec une sobriété poussée à l'extrême, refusant la courbe, recherchant la pureté de la ligne sur laquelle la pensée glisse mais avec une qualité extraordinaire de la pierre. À part un crucifix de bois peint, il ne doit y avoir dans l'église ni peinture ni sculpture et les vitraux doivent être incolores et non figuratifs. Les clochers en pierre sont interdits.
L'abbaye de Fontenay est construite en 1139-1147 et celle duThoronet en 1160-1175. Elles utilisent des formes romanes et le berceau brisé sur arcs doubleaux. Entre les deux abbayes on passe d'une église à chevet plat avec une abside et des chapelles quadrangulaires alignées à des chapelles hémisphériques alignées dans un chevet plat avec une abside semi-circulaire.
Après la mort de saint Bernard en 1153, des modifications sont apportées au schéma initial : le sanctuaire semi-circulaire ou rectangulaire est remplacé par un chevet à déambulatoire et chapelles comme àClaivaux et àPontigny. Les abbayes cisterciennes en Europe sont filles deCîteaux,Clairvaux,Morimond,Pontigny etLa Ferté[43],[4],[46],[47],[48].
Pendant un siècle et demi d'architecture romane chaque génération d'architectes et de commanditaires invente sans aucune barrière ni limite dans un monde où règne une grande liberté d'imaginer, d'innover et de créer. Tout est mis au service de l'idée, les techniques, les formes et les moyens. L'architecture romane exprime son époque et n'est que la partie visible de la société tout entière.
Elle reste fidèle au mur comme l'architecture romaine mais travaille sur les rythmes, les articulations, les espaces, les passages visuels et lumineux, l'appareil de pierre. Ces développements conduisent à l'architecture gothique et la disparition du mur. Ils traduisent un profond changement sociétal et une nouvelle manière d'appréhender le bâti[43].
Prisonniers de leurs interdits, les moines laissent aux évêques et aux chapitres des cathédrales la responsabilité des innovations dans le domaine architectural dans un monde profondément différent de celui des monastères: celui des villes. Le rationalisme de lascolastique qui cherche à appréhender les mystères divins par les seules ressources de l'intelligence constitue le système de pensée dans lequel se forme le style gothique appelé à se substituer au style roman[49].
Cet intérêt pour l'image évoque le temps des premiers chrétiens avec une grande différence, c'est qu'elle sort du lieu de culte pour s'affirmer à l'extérieur. Avant cette explosion, le décor peint ou sculpté est réservé aux espaces les plus sacrés des édifices mais sa grande diversité impose une certaine prudence dans l'interprétation. Les fresques deSaint-Savin-sur-Gartempe unifient l'espace intérieur, les mosaïques de lacathédrale de Cefalù ou de laBasilique Saint-Marc de Venise tentent de renouer avec l'architecture paléochrétienne et lacathédrale de Monreale en est l'exemple le plus abouti.
À la fin duXIe siècle, laréforme grégorienne avec ses modifications liturgiques transforme profondément l'autel et son environnement. Desantependium deviennent des retables avec la nouvelle position de l'officiant. L'alliance des retables et des reliques trouve un prolongement dans les autels-tombeaux. Les réceptacles des restes saints deviennent parfois des statues-reliquaires à l'image du saint, souvent posés à côté de l'autel. Cette nouvelle position du prêtre impose une réorganisation du chœur avec un déplacement des moines dans les travées orientales de la nef et la création de stalles. Cette séparation entre les religieux et les fidèles entraîne la construction d'ambons et dechancels.
Si le décor intérieur renoue avec la tradition des premiers lieux de culte chrétiens, laréforme grégorienne donne une portée triomphale à l'image en l'inscrivant à l'entrée des édifices de culte. Le portail devientla porte du Ciel et la liaison avec le monde profane. Il n'est plus systématiquement à l'ouest de l'église mais peut aussi être dans l'axe d'une rue principale ou d'un accès privilégié. Pour les religieux à l'intérieur des monastères l'image est souvent limitée aux chapiteaux historiés et parfois sur des piliers dans les cloîtres et les salles capitulaires[4].
Les principaux créateurs exercent dans des centres privilégiés. Le sud-ouest de la France et le nord-ouest de l'Espagne sont marqués par deux générations d'artistes dont la première s'inspire des arts mineurs, les ivoires et enluminures et des motifs paléochrétiens et même païens de sarcophages. L'artiste est à la recherche de gestes et d'une attitude expressive pour définir la figure romane et les chapiteaux historiés. La deuxième génération fait la synthèse des centres artistiques importants entreMoissac etSaint-Jacques de Compostelle en passant parToulouse etLeón. Ils définissent un type de portails porteurs de l'iconographie souhaitée à l'époque et apportent un nouveau style aux sculptures des cloîtres. Le maître du portail deMoissac a une influence importante dans leQuercy,Cahors,Souillac et dans le Limousin àBeaulieu etYdes. Le travail du maître de l'abbaye de Silos en Espagne est remarquable.
La Bourgogne est marquée par l'auteur des chapiteaux de Cluny. Il emprunte à l'Antiquité le nu et l'acanthe, rejette les contraintes du cadre architectural et son style est caractérisé par des étoffes qui se retroussent et s'envolent. Cette agitation est un des traits de la sculpture bourguignonne. L'iconographie reprend le symbolisme de la culture monastique clunisienne.
Jusqu'au dernier quart duXIIe siècle, l'Italie du Nord est le troisième grand centre de création avant de relever les défis de lasculpture gothique. Deux grands artistes, peut-être le maître et l'élève semblent avoir orienté la production sculptée. Vers 1110-1120, le premierWiligelmo offre à lacathédrale de Modène un programme de façade avec un portail précédé d'une sorte de baldaquin d'un aspect très léger qui s'oppose aux porches massifs des églises languedociennes. Son disciple Nicoló que l'on peut suivre à la Sacra di San Michel de Plaisance et de Ferrare à Vérone respecte l'enseignement de son maître mais charge les portails et les porches de sculptures. Pour la première fois en Italie, il décore les tympans.
Le portail marque le passage entre le profane et le sacré et porte la symbolique dela porte du Ciel. Pour l'exprimer, les sculpteurs des années 1100 explorent les possibilités offertes par le tympan sculpté sur toute sa surface. Un des plus anciens témoignages de ce travail en France est le tympan du portail occidental de l'église de Beaulieu-sur-Dordogne. C'est une dalle monolithique semi-circulaire de 3,12 m de diamètre avec un Christ dans unemandorle accompagné de deux anges posée sur un linteau avec les douze apôtres. Cette composition harmonieuse d'unemandorle dans l'espace semi-circulaire du tympan sera reprise dans un grand nombre de portails bourguignons jusqu'à la fin de l'architecture romane.
À partir de 1120, pour pallier les limites imposées par la portée des linteaux, on installe au centre de l'ouverture du portail un trumeau qui permet de doubler la largeur du tympan et atteindre une largeur pouvant aller jusqu'à 6,80 m àVézelay. Pour garder des proportions correctes, ce changement d'échelle entraîne une plus grande hauteur destrumeaux et despiédroits et un champ plus important utilisable par les sculpteurs. Les programmes iconographiques s'enrichissent de nouveaux thèmes, de nouveaux personnages occupent complètement les surfaces disponibles.
À l'abbaye de Moissac le Christ est au milieu des Écritures, àBeaulieu c'est la Parousie du Christ à la fin des temps etMâcon, l'abbaye de Conques etAutun proposent trois interprétations duJugement dernier. ÀVézelay le programme iconographique qui s'étend à trois portails est d'une grande cohérence, peut être à l'image de l'abbaye de Cluny dont il ne reste que quelques vestiges[52]. Le thème retenu de laPentecôte est fourni par le tympan central. Le portail sud représente des scènes précédant la naissance du Christ, l'Annonciation, la Visitation, laNativité, l'Adoration des mages et au nord, les scènes précédant son Ascension, les pèlerins d'Emmaüs sur le linteau et l'apparition aux Apôtres sur le tympan.
Au cœur de la clôture monastique, le cloître est un lieu de prière, de méditation et de détente. C'est aussi un espace de liaison entre lasalle capitulaire qui doit être ouverte sur le cloître pour que personne n'ignore une réunion, le réfectoire avec le lavabo, les dortoirs proches de l'église pour les offices de nuit, le chauffoir, la bibliothèque et les lieux d'études.
Le cloître historié de l'abbaye de Moissac daté de 1100 est le plus ancien exemple de cloître entièrement conservé. Les galeries sont appuyées aux angles et au milieu de chaque côté sur des piliers quadrangulaires reliés par des arcades soutenues alternativement par des colonnettes simples et doubles. Les piliers sont revêtus de plaques de marbre sculptées de grands personnages à l'effigie des Apôtres et d'un abbé du monastère, ce qui constitue une des grandes conquêtes de la sculpture de ce début de siècle. Les chapiteaux historiés sont associés à des chapiteaux ornementaux et figurés.
Dans les églises, les chapiteaux historiés sont de plus en plus nombreux au début duXIIe siècle mais il est difficile d'y développer des thèmes sauf dans les édifices pourvus d'un déambulatoire comme àNotre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand, l'église de Saint-Nectaire ouSaint-Pierre de Chauvigny. Si les chapiteaux historiés se multiplient, certains sculpteurs s'inspirent des modèles de l'Antiquité pour les chapiteaux figurés. On voit aussi une renaissance du chapiteau corinthien utilisé à l'abbaye de Cluny III accompagné de pilastres cannelés faisant référence à l'art de la Rome antique[53].
L'Ascension,Le Mans. Plus ancien vitrail sur site.
Dans l'architecture romane, la peinture est faite pour instruire et répondre à une certaine recherche de la beauté mais elle peut être aussi pour certains une injure au dénuement des pauvres et une source de divertissement. À l'époque romane l'attrait esthétique irrésistible de la couleur est justifiée par sa valeur symbolique et joue le rôle que prendra la lumière dans l'architecture gothique.
Les édifices romans offrent de vastes surfaces à la peinture qui est le plus souvent présente dans les lieux les plus sacrés, les chœurs et les absides avec le thème du Christ ressuscité. Les compositions en l'honneur des saints se développent près de leurs reliques, l'Ancien et le Nouveau testament décorent la nef, leJugement dernier est souvent proche de la façade, à l'opposé des absides.
Les artistes se déplacent et on peut suivre un peintre par ses œuvres des deux côtés desPyrénées ou par les textes, par exemple un artiste deTours réalise deux cycles sur l'Apocalypse et leJugement dernier à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire vers 1030. Les régions duBerry, duPoitou et de la Vallée duLoir ont recueilli l'héritage commun d'un certainart carolingien finissant etPoitiers autour de l'an 1100 devient un véritable foyer artistique avec une influence sur l'abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe et peut-être jusqu'enHaut-Aragon et enCatalogne. En Bourgogne, l'esprit clunisien et le raffinement de sa culture transparaît dans les réalisations picturales qui intègrent des apports artistiques divers et en particulier byzantins qui sont aussi présents dans des peintures du sud-est de la France.
EnItalie du Nord, la décoration de l'abside de labasilique Saint-Vincent de Galliano est datée de 1007 avec des influences antiques, byzantines et ottoniennes. Vers 1100, San Pietro al Monte de l'abbaye de Civate présente des éléments byzantins très moderne et cette influence est encore plus visible àSant'Angelo in Formis près deCapoue où un ensemble de fresques est le plus complet et le mieux conservé de l'Italie du Sud.
À Rome, vers 1100, les papes désirent faire passer leur message réformateur et exercent un mécénat important avec des artistes de haut niveau. Une iconographie riche, une palette claire et vive, une certaine typologie des visages et un goût minimum de l'ornementation caractérisent cette école qui existe encore en 1255 mais avec une altération liée au gothique.
Le vitrail roman a des fonctions religieuses et spirituelles liées au verre qui laisse passer la lumière qui ne peut être qu'une manifestation divine. Dans l'architecture romane, les ouvertures sont rares et petites et on utilise du verre clair ou sans couleurs traité par de la grisaille. La préciosité de l'exécution rappelle les travaux d'orfèvrerie, les autels portatifs et les retables émaillés.
Le plan des églises correspond à l'espace nécessaire aux différentes fonctions et aux différents groupes de personnes. Plusieurs solutions sont trouvées par les architectes romans afin de répondre, pour les églises les plus grandes, à deux contraintes : disposer les autels secondaires dans des chapelles dédiées et favoriser la circulation des fidèles et des officiants autour de ces autels et des reliques. Les principaux dispositifs retenus sont leplan basilical sans transept à une ou trois nefs (premier âge roman) ; le plan en croix latine avec la nef suivie par un transept saillant, un chœur à chapelles alignées ou à chapelles orientées et échelonnées (typique duplan bénédictin ; le plan en croix latine avec chœur à déambulatoire et à chapelles rayonnantes. C'est ce dernier dispositif, particulièrement adapté pour les églises de pèlerinages et favorisant la superposition harmonieuse de volumes depuis les absidioles jusqu'au chœur, qui aura la postérité la plus grande.« S'inspirant peut-être de certaines basiliques romaines, les constructeurs romans mettent au point un plan répondant à la fois aux nécessités de la liturgie et à des considérations pratiques de circulation »[57]. Ce plan cruciforme avec un transept saillant est issu de lointains prototypes basilicaux de Rome (basilique Saint-Paul-hors-les-Murs etSaint-Pierre) ou de Thessalonique (Hagios Demetrios) qui disposent d'un transept dès leIVe siècle[58].
Ces différentes types d'élévations permettent de nuancer la vision de l'église romane relativement sombre en raison de l'épaisseur de ses murailles percées d'étroites meurtrières et de la parcimonie de ses ouvertures, opposée à l'église gothique baignée de lumière[61].
La façade typique,occidentale, est du type façade àpignon avec une composition en quadrillage divisée en troisregistres rythmés par des lignes horizontales (bandeaux, corniches, larmiers). Son registre inférieur s'ouvre sur un portail unique enplein cintre et à voussures. Le second registre est un mur percé d'ouvertures (oculus, fenêtre voirerosace polylobée ou à remplage rayonnant, ouverte dans l'axe de la nef) ou d'arcatures et amorti par un pignon qui forme le registre supérieur. La grande invention de l'architecture romane a consisté à animer le soubassement et le portail d'une importante décoration sculptée (linteau, trumeau pour donner à l'accès plus de largeur, tympan souventhistorié)[64]. Lespiédroits sont particulièrement sculptés et peuvent constituer à eux seuls les articulations de l'entrée solennelle. Les églises modestes ont un portail unique, les plus importantes l'encadrent par deux portails secondaires. Les architectes romans ont joué avec l'épaisseur du mur de la façade, pour repousser la porte à l'arrière-plan et créer des plans successifs afin d'obtenir desébrasements. Dans le deuxième quart duXIIe siècle, les artistes romans substituer aux colonnes des ébrasements des statues. L'arc de décharge dont la fonction est de soulager le linteau est progressivement transformé en plusieurs arcs, lesvoussures de plus en plus larges vers l'extérieur et qui meublent les ébrasements. La multiplication des voussures fait saillir les portails au-devant des façades et aboutit auporche à ébrasement à ressauts. La sculpture, d'abord limitée aux chapiteaux des colonnes des ébrasements, envahit tout le portail à la fin duXIe siècle[65].
Dans la composition de ce quadrillage, interviennent lescontreforts, éléments verticaux. Généralement massifs, ils peuvent être plats, saillants ou façonnés en forme de colonnes engagées simples ou couplées[64].
Les maîtres d'œuvre romans optent parfois pour lemassif occidental, l'église-porche ou la façade harmonique (façade symétrique à trois portails, le central plus large, les deux latéraux surmontés de tours abritant les cloches) inventée par les architectes normands et qui sera reprise dans toutes les grandes cathédrales gothiques. Certains choisissent unefaçade-écran ou unclocher-porche.
Les fenêtres n'ont, en général, ni tympan, ni remplage. Les architectes utilisent le simple ou double ébrasement pour que la lumière pénètre davantage dans l'édifice. Elles sont fermées par des châssis de bois vitré ou des vitraux, parfois elles sont closes de simples dalles de pierre ajourées appeléestransennes[66].
En Angleterre les édifices existants sont rares mais il existe àLincoln une ancienne maison duXIIe siècleJew's House connue sous le nom deMaison au juif dont la porte supporte une cheminée au premier étage placée entre deux fenêtres.
L'escalier de la King's School deCanterbury est un des exemples les plus remarquables qui existent de cet art plein d'originalité. Il est précédé d'un porche carré et éclairé de chaque côté par une galerie de cinq arcatures posées sur le mur d'échiffre. Les profils des bases sont variés et d'une très grande finesse[67].
Lechâteau d'Oakham dans lecomté de Rutland, est construit entre 1180 et 1190. Le grand hall est la seule partie restante d'un manoir fortifié. Il comprend une nef et deux allées à arcades, chacune avec trois colonnes de pierre.
La ville deCluny, enBourgogne conserve également un ensemble rare de maisons romanes dispersées dans la ville, dont certaines ont été restaurées, comme celle du 15, rue d'Avril.
Lechâteau des comtes de Flandre àGand est construit à la fin de l'époque romane en 1180. Un grand donjon en pierre de trois étages (33 mètres de haut) est érigé au centre de l'emplacement de l'ancien château et sert de résidence pour les comtes de Flandres jusqu'auXIVe siècle.
EnEspagne laMuraille d'Ávila est une enceinte militaireromane qui entoure le noyau ancien de la cité d'Ávila. Elle a 2 516 m de périmètre, 2 500créneaux, 88grosses tours et 9portes avec ayant une superficie d'environ trente trois hectares. La hauteur moyenne des murs est de 12 mètres et leur épaisseur moyenne est de 3 mètres et toute l'enceinte est parcourue par un chemin de ronde.
Lechâteau de Chambois enNormandie représente un modèle largement reproduit dans le monde anglo-normand. Le donjon commande les défenses du château et il est indépendant avec des issues masquées. En temps de paix, il renferme les trésors, les armes, les archives de la famille, mais le seigneur n'y loge pas. Il ne s'y tient que s'il faut appeler une garnison dans l'enceinte du château.
Il assure des fonctions d'accueil. La porte haute située six mètres au-dessus du niveau du sol dans la tour de la façade sud était probablement desservie par une passerelle amovible aboutissant à une tour d'angle[73]. Un vestibule étroit, éclairé par une fenêtre divisée en deux par un meneau succède à cette porte et précède un vaste appartement qui occupe tout le donjon au premier étage au-dessus du rez-de-chaussée. Une vaste cheminée dont le manteau est couvert de moulures en losanges, attire les regards au milieu de cette pièce. Les deux autres étages n'offrent pas les mêmes décors que dans la grande salle du premier étage qui était le lieu de réception. Dans les tourelles d'angles, un oratoire se trouvait dans celle du Nord-Est, un cachot dans celle du Sud-Est dans lequel on descendait par une trappe et la partie supérieures servait de colombier[74].
En Angleterre après la conquête de 1066, et pendant les quinze années suivantes, c'est le plus grand partage de dépouilles du monde laïc que l'on ait vu au Moyen Âge Les grands barons sont installés par le roi, une grande majorité deNormands, mais aussi desBretons, Flamands, Français etPicards. Il réintègre aussi l'Angleterre du Nord dans le giron de l'unité anglaise[75],[76].
Guillaume le Conquérant pourvoit5 000 à 6 000 chevaliers de terres au détriment des traitres et profite des nombreuses révoltes pour annexer à la Couronne des territoires nouveaux. Il garde 1 422 manoirs pour lui et en donne795 et439 à ses demi-frèresRobert de Mortain etOdon de Bayeux. Ces chevaliers forment la nouvelle noblesse anglaise[77]. La terre concédée par le roi s'appelle l'honneur et en son centre est le château.
En Angleterre se sont succédé divers types de fortifications :
motte avec tour de bois ;
shell keep (structure en pierre entourant le sommet d'une motte) ;
Le bois a prévalu durant un demi-siècle après la conquête car l'insécurité demandait de faire vite et un donjon en bois sur motte avec sa basse-cour peut être construit en quelques semaines. Leur fonction est différente du donjon en pierre qui est autonome, capable d'abriter de fortes réserves et ses capacités de résistance sont sans communes mesures avec les tours en bois. Dans le périmètre d'un gros château de pierre est souvent basée une troupe de cavaliers capable de raids offensifs redoutables. Dans la stratégie et la tactique de Guillaume le Conquérant, le château de pierre est utilisé dans l'attaque et la défense[78]. La construction de nombreux châteaux est l'effet d'un quadrillage systématique du territoire et de sa mise en surveillance[79].
Lechâteau d'Oxford construit en 1074 comporte une motte avec une tour et une crypte reconstruite avec les piliers et chapiteaux normand.
Les principaux donjons royaux de cette époque: lechâteau de Norwich, bâti entre 1100 et 1135, lechâteau de Rochester vers 1130, Scarborough dans le Yorkshire entre 1159 et 1168, Newcasthe entre 1172 et 1177, lechâteau de Douvres 1180-1190.
La capacité de résistance de ces grosses tours suffit encore en 1150 mais s'affaiblit beaucoup à la fin du siècle en raison des progrès de l'art des sièges[80].
L'esprit de l'architecture romane conçu par l'Église comme un moyen d'évangélisation mis au service de tous s'est diffusé dans l'Europe entière jusqu'au plus profondes campagnes. Les grands courants artistiques ont propagé très loin les principaux caractères architecturaux. L'extraordinaire liberté de création ignore l'imitation passive mais crée grâce aux diverses contraintes rencontrées des variantes infinies dans les milieux locaux les plus homogènes confrontés aux réalités artistiques qui traversent ces deux siècles romans.
Dans cette grande diversité, on peut trouver l'existence d'orientations régionales liées à un terroir ou un milieu particulier, un passé, des liens historiques, des différences sociales ou des espaces politiques plus ou moins stables mais on ne peut pas enfermer l'architecture romane dans des cadres trop rigides dans une histoire en devenir[70].
L'abbatiale de l'abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe est une église-halle voûtée de type poitevin. Sa nef est marquée par un désaxement entre les travée orientale couverte par une voûte en berceau avec des collatéraux voûtés d'arêtes. Cette configuration permet un éclairage direct des fresques de la voûte. Les travées occidentales possèdent des arcs doubleaux fractionnant l'espace.
Une version agrandie et plus tardive d'une église de pèlerinage,Saint-Sernin de Toulouse commencée en 1075, 25 ans après l'abbatiale Sainte-Foy de Conques, a des collatéraux doubles avec un collatéral dans le transept permettant une circulation périphérique au niveau des tribunes.
EnAuvergne, le part architectural de la basilique voûtée, à tribunes et à déambulatoire avec des chapelles rayonnantes est reproduit avec une grande ferveur jusqu'à une cinquantaine de kilomètres autour de labasilique Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand. Les églisesSaint-Austremoine d'Issoire, deSaint-Nectaire, labasilique Notre-Dame d'Orcival et l'abbatiale de Mozac[81] dont le chevet a été détruit par des tremblements de terre auXVe siècle sont traitées avec les mêmes caractéristiques particulières. ÀNotre-Dame-du-Port, le chevet posé sur une crypte de même plan possède un déambulatoire entourant le chœur et l'abside avec quatre absidioles rayonnantes. Les arcades de l'hémicycle reposent sur des chapiteaux ornés d'un important programme iconographique. Le transept est inscrit dans un volume barlong surplombant les toitures dans lequel par une construction savante, une coupole est stabilisée par de hautes voûtes en quart de cercle. À l'extérieur, les volumes richement décorés s'organisent dans une harmonieuse progression jusqu'au transept et au massif de la coupole.
Cette époque marque le sommet de l'histoire normande et à la différence des aspects régionaux de l'art est à un degré éminent l'art d'un état et seul l'art ottonien manifeste un lien quoique plus lâche avec un cadre politique. On y trouve la même volonté de faire exprimer par les grands monuments une conception idéologique fondée sur une étroite collaboration des cadres politiques et ecclésiastiques.
L'art roman normand dépasse les limites du duché et les aventuriers et bannis normands, à partir de 1020, s'emparent de l'Italie du Sud et de la Sicile et y emportent quelques traits de leur architecture qui sont associés aux apports byzantins et musulmans. Après 1066 et laconquête normande de l'Angleterre parGuillaume le Conquérant et jusqu'en 1204, c'est un va-et-vient constant d'hommes, d'argent et même de matériaux entre le royaume d'Angleterre et le duché de Normandie qui n'ont connu qu'un seul art normand[82],[83].
Dans leduché de Normandie, c'est àNotre-Dame de Bernay que l'on trouve les premières traces de l'architecture romane dans un monastère fondé quelques années avant 1017 par l'épouse du duc Richard II sous la protection deGuillaume de Volpiano et de l'abbaye de la Trinité de Fécamp. L'église comporte une nef charpentée de sept travées avec des collatéraux, un transept saillant à absidioles orientées, une tour lanterne à la croisée, un chœur de deux travées avec une abside et deux absidioles pour former un chevet échelonné et très développé. L'élévation est à trois niveaux avec des arcades sur des piles quadrangulaires, des baies géminées et des fenêtres hautes. Dans le croisillon sud apparaît une innovation, une circulation à l'intérieur du mur au niveau des fenêtres hautes que l'on peut voir à travers d'étroites arcades.
ÀCaen,Guillaume le Conquérant et son épouse fondent pour des motifs religieux et politiques deux monastères avec à l'ouest l'église Saint-Étienne et à l'est l'église de la Trinité. Le duc confie en 1063 la construction deSaint-Étienne àLanfranc puis le nomme abbé de Saint-Étienne en 1066 etarchevêque de Canterbury en 1070 où il reconstruit lacathédrale de Canterbury. L'église Saint-Étienne est construite entre 1065 et 1083 et son influence est déterminante pour l'architecture du duché et du royaume d'Angleterre. Elle marque l'aboutissement des recherches régionales antérieures dont l'abbaye de Bernay et l'abbaye de Jumièges et les portions qui restent de l'église Saint-Étienne sont semblables en plan et en arrangement aux portions correspondantes de lacathédrale de Canterbury. Dans la nef des colonnes engagées assurent une division en huit travées avec en alternance des piles faibles et fortes par l'ajout d'un pilastre. L'élévation a trois niveaux avec des tribunes dont les baies occupent la largeur de la travée. À l'étage des fenêtres hautes, une coursive expérimentée à Bernay et Jumièges trouve un nouveau développement. Elle occupe le milieu du mur et s'ouvre sur la nef avec une grande légèreté. La nef charpentée est couverte de voûtes sexpartites surcroisées d'ogives vers 1125 et cette logique architecturale ouvre la voie vers l'architecture gothique. La façade occidentale austère mais d'une grande harmonie exprime la structure intérieure par de puissants contreforts et des ouvertures sur trois niveaux. La croisée centrale du transept portait une énorme tour-lanterne et les travées des croisillons ont des tribunes comme à l'église Saint-Nicolas de Caen et à l'abbaye Saint-Georges de Boscherville.
L'abbatiale deCerisy-la-Forêt fondée en 1030 par le ducRobert le Magnifique pousse très loin l'allègement des murs par des ouvertures sur toutes les élévations et l'abbatiale de l'Abbaye Sainte-Trinité de Lessay renferme probablement dans le croisillon sud de son transept la premièrecroisée d'ogives que l'architecture romane normande léguera au style gothique.
L'architecture romane en Angleterre est introduite par le roiÉdouard le Confesseur à l'abbaye de Westminster consacrée en 1065. Laconquête normande de l'Angleterre de 1066 et l'invasion entraînent la naissance d'un art roman anglais qu'il ne faut pas confondre avec celui s'épanouissant en Normandie continentale.Guillaume le Conquérant devenu roi d'Angleterre organise ce pays et en retire de grandes richesses qui financent de nombreux chantiers en Angleterre où de nombreux religieux normands sont mis à la tête d'importants diocèses[84]. L'influence normande forte après l'invasion intègre progressivement la culture anglo-saxonne.
Après les invasions danoises de 1013 et les problèmes économiques, une vague de construction s'amorce entre 1042 et 1066 avecÉdouard le Confesseur dont la mère est normande qui introduit l'art roman en Angleterre, les modestes églises en appareil réticulé sont remplacées par des édifices plus importants orientés vers l'Est. Le plus ancienmonastère d'Angleterre,Canterbury est érigé en 1049 et est encore inachevé en 1059[84].
L'église Saint-Étienne de Vignory à l'est de la Champagne tient une place importante dans le développement de l'église à déambulatoire. Son chevet construit vers 1051-1057 est marqué par de nombreuses hésitations sur le parti architectural à tenir. Le déambulatoire avec trois chapelles rayonnantes est très archaïque.L'hémicycle est composé alternativement de colonnes et de piles carrées surmontées de chapiteaux décorés de quadrupèdes d'allure romane.
L'égliseNotre-Dame de Morienval dans l'Oise est célèbre pour ses voûtes d'ogives archaïques qui se comportent encore comme des voûtes d'arêtes et montrent surtout la rusticité des techniques en Île-de-France avant l'ouverture du chantier deSaint-Denis.
Aux limites du royaume de France, lacathédrale de Tournai, participe à la découverte d'une nouvelle esthétique et sa nef est une des plus grandioses de l'architecture romane. Son élévation est à quatre niveaux avec une volonté de souligner l'horizontalité, sans éléments verticaux rompant ce parti où la travée devient inutile. Ces tribunes avec des baies non recoupées reprennent les recherches effectuées dans le monde anglo-normand. À l'extérieur, on retrouve la prédominance des horizontales avec trois rangées de fenêtres et des contreforts larges et peu saillants. Cette réalisation reste un modèle pendant un demi-siècle.
Dans le pays de la Meuse, berceau de la dynastie carolingienne et celle du Rhin, les invasions duIXe n'ont pas brisé la continuité de l'architecture carolingienne qui se prolonge dans celle desottoniens. Cet art de l'époque romane, contrairement aux autres régions peut-être à l'exception du monde anglo-normand se développe dans un espace plus homogène que celui des espaces fracturés par les multiples décideurs de l'Europe romane.
L'abbatiale de Morienval dans son état duXIe siècle peut être rattachée au même courant architectural que lacollégiale Sainte-Gertrude de Nivelles dont le massif occidental duXIIe siècle remplace un autre chœur carolingien ou ottonien. On peut dater les débuts de construction vers l'an mil avec une consécration en 1046, le transept vers 1050 et le chœur oriental peu après. Son organisation reprend les caractéristiques de l'architecture carolingienne avec des volumes bien distincts aux extrémités Est et Ouest de l'édifice et l'absence d'entrée dans l'axe de la nef. Entre les deux chœurs, la nef est rythmée par des piles rectangulaires avec au milieu une rupture par un arc diaphragme sur des piliers cruciformes. Sous le sanctuaire une crypte-halle de six travées voûtée d'arêtes était entourée d'un déambulatoire. À l'église Saint-Pierre-et-Saint-Paul d'Ottmarsheim l'admiration pour l'ère carolingienne va jusqu'à reproduire au milieu duXIe siècle lachapelle palatine d'Aix-la-Chapelle deCharlemagne dans une version simplifiée avec le goût et le décor du premier art roman.
Dans la région du Rhin moyen, au milieu duXIe siècle s'opère le passage progressif de l'architecture ottonienne à l'art roman. Il est particulièrement visible à l'abbatiale de Limbourg-en-Hardt dans le Palatinat fondée en 1025 parConrad II et consacrée en 1042 puis abandonnée en 1504 à la suite d'un incendie. Elle imagine l'ère romane et on peut y voir des influences du chantier de lacathédrale de Strasbourg et deMersebourg. Elle est liée à lacathédrale de Spire fondée aussi par Conrad II. Ces églises appartiennent à la fin de l'époque ottonienne sous ladynastie franconienne. À Limbourg, le parti architectural d'ensemble reste celui de la basilique à transept charpentée avec des alignements de colonnes supportant de grandes arcades. L'innovation passe par la présence à la croisée du transept d'une tour-lanterne autour de laquelle s'organise le chevet, les croisillons et le sanctuaire de plan carré et de même hauteur.
Après l'abbatiale de Limbourg, Conrad II reconstruit lacathédrale de Spire dès 1030 avec des dimensions exceptionnelles d'une longueur de 133 mètres et un transept de 50 mètres. Son plan reprend les dispositions du chevet, du transept et probablement de la tour-lanterne de Limbourg. Le chœur d'une travée droite avec deux tours de part et d'autre adopte le parti du chevet harmonique et une vaste crypte-halle est destinée à la sépulture impériale. Le traitement de la nef où on cherche à créer un nouvel ordre colossal est scandé par des colonnes engagées dans des piliers rectangulaires recevant de grandes arcades. Cette impression de travées dans un bâtiment charpenté est contemporaine du développement des travées voûtées du premier art roman méridional.
Dans cette même ville deCologne, la belle composition de l'église Sainte-Marie-du-Capitole est reprise en 1172 pour reconstruire l'église Saint-Martin et auXIIIe siècle celle desSaints-Apôtres. Le rayonnement artistique deCologne s'exerce hors de la ville et le plan tréflé à croisillons arrondis, porteur d'un certain état d'esprit alliant une grande sensibilité et un conservatisme rare se retrouve dans la chapelle du château de Schwarzrheindorf. Construite à partir de 1127 comme une chapelle castrale à plan centré, elle est prolongée par une nef pour devenir l'abbatiale d'un monastère de femmes.
AuXIIe siècle après la disparition de ladynastie franconienne les nouveaux mécènes, les nobles et les ecclésiastiques utilisent pour l'abbaye de Maria Laach les avancées techniques des l'époque impériale. Son plan est de type carolingien avec deux chœurs à transepts, celui de l'Est étant le chœur liturgique. Cette abbatiale de la fin de l'évolution de l'architecture romane surprend par son austérité qui se manifeste dans le plan, les élévations et le décor. Cet archaïsme peut marquer une fidélité au style primitif ou la recherche d'une dynamique entre le pittoresque des tours et des volumes simples et robustes.
Lacathédrale de Mayence et celle deWorms prennent la suite de réalisationsottoniennes prestigieuses qui leur donnent une grande force d'attraction. Cette origine dicte leurs proportions, 112 mètres de longueur à Mayence et 132 mètres à Worms mais perturbe leurs reconstructions partielles avec des imprécisions, des hésitations et des contradictions. Le chœur de lacathédrale de Worms présente à l'extérieur avec son chevet plat une grande parenté avec l'église de l'abbaye de Murbach en Alsace. On retrouve le même dessin d'ensemble, la composition et le décor qui reprend le répertoire du premier art roman[90],[6],[70].
Dans les grandes plaines du Nord de l'Allemagne, l'influence de l'architecture ottonienne est très importante voire contraignante. Les variantes régionales de cet art et particulièrement celles de Saxe complétées par des apports italiens et byzantins nourrissent l'architecture romane de cette région. Au chœur de la patrie ottonienne l'école saxonne est la plus cohérente et probablement définie auXe siècle avec Magdebourg etGernrode qui vers 960 a des traits typiquement saxons. Au début duXIe siècle, on trouve l'église Saint-Michel de Hildesheim et Mersebourg où s'élabore un type d'église reproduit pendant deux siècles. Ce style se caractérise par un plan basilical à transept et travée régulière, un chœur allongé à absidioles orientées, une nef à trois travées, des supports alternés colonnes et massifs rectangulaires. Les proportions sont massives, carrées et le type de façade ne se retrouve qu'en Saxe.
De fondation impériale l'église de l'abbaye deKönigslutter am Elm est reconstruite à partir de 1135 pour devenir le lieu de sépulture du nouvel empereur. Cette construction comporte deux parties bien différentes. À l'Est le chœur monastique de tradition clunisienne avec un large transept divisé en trois carrés égaux. Ce carré sert de base au tracé régulateur de l'ensemble du plan. À l'extérieur le chevet échelonné reçoit un décor de petits arcs d'inspiration italienne dans le goût du premier art roman méridional. Le massif occidental contient une chapelle basse et une tribune ouverte sur la nef dont l'accès n'est pas axial mais sur le collatéral et le croisillon nord. Le cloître garde des chapiteaux dérivés du corinthien que l'on trouve dans les cathédrales italiennes de Ferrare, Modène et Vérone.
EnSuède comme enRhénanie et dans les grandes plaines du nord, on retrouve la présence d'architectes et de sculpteurs italiens qui ont contribué au développement de l'architecture romane germanique. Dans l'archevêché de Lund qui est le premier des pays nordiques à être créé vers 1103, l'octroi de cette dignité entraîne une reconstruction de lacathédrale de Lund avec une consécration en 1145. Comme à lacathédrale de Spire, une vaste crypte s'étend sous le chœur et le transept avec une belle abside semi-circulaire et des absidioles rectangulaires. Le tracé régulateur est donné par la crypte et le transept divisés en carrés égaux, principe qui se prolonge dans la nef. Le décor italien est présent des portails aux chapiteaux avec la marque des maîtres de la sculpture romane deFerrare et deVérone.
Le plus souvent en Europe, c'est l'architecture de pierre qui prévaut dans les constructions religieuses. La technique dubois debout est utilisée, au nord du continent, dans les îles britanniques, laNormandie, laHollande, leDanemark et le long de lamer Baltique jusqu'àStockholm. Le caractère dominant de ces régions est l'absence d'arbres droits de grandes tailles les forêts étant essentiellement composées de feuillus, un climat assez doux mais venteux qui fait que l'on s'abrite plus de la pluie et des orages que du froid. Ces pays bénéficient de l'expérience des charpentiers et des sculpteurs dans l'édification des habitations et la construction navale. En Norvège, cette technique devient très élaborée dans la construction des églises dont 1 300 sont connues et encore 25 existantes, la plupart édifiées entre 1150 et 1350.
Les origines desstavkirker sont largement controversées. Elles sont un mélange compliqué de différentes traditions européenne et du Moyen-Orient ainsi que des anciennes pratiques locales de la Norvège. Lorentz Dietrichson soutient que l'église en bois debout est la traduction ingénieuse de la basilique romane en pierre, l'église à nef avec des influencespaléochrétiennes etromanes anglo-saxonnes[93], surtoutnormandes romanes et irlandaises avec des toits représentant les traditions locales. En 1854, N. Nicolayen dans son ouvrage sur l'art médiéval en Norvège y trouve des influences de l'architecture byzantine[94]. Peter Anker pense que l'influence de l'architecture étrangère en pierre se retrouve plutôt dans les détails décoratifs[95]. Pour Anders. Bugge, les églises en bois ont suivi le développement des églises en pierre[96].
La tradition dans ces lieux de culte tant sur le plan spirituel que liturgique de l'élévation vers le ciel implique une augmentation de la hauteur de la partie centrale formant ainsi une surélévation semblable à la nef des basiliques. La caractéristique des églises avec centre surélevé est la présence d'une galerie périphérique contrairement aux seuls bas-côtés et au déambulatoire d'une église de type basilical. Sur une fondation en pierre est posé un cadre rigide fait de solives qui dépassent aux quatre coins d'un à deux mètres où reposent les murs de la galerie. Les mats centraux portent le toit et les efforts horizontaux sont repris à mi-hauteur par cette structure. Un grand principe qui se dégage de ces constructions est l'emploi de cadres rectangulaires horizontaux ou verticaux qui sont assemblés de façon à former une structure cubique dont les différents éléments s'étayent les uns les autres.
Le défi pour les constructeurs destavkirker est de réaliser des bâtiments élevés capables de résister aux tempêtes. Une construction de cette hauteur est exposée aux vents violents, la stabilité du bâtiment est précaire même muni d'une charpente de comble élaborée. Il faut donc avoir recours à certaines techniques de la construction navale comme le « Kne » ou coude joignant les chevrons et les assises. Pour résister aux tempêtes, il reste certains éléments de renfort de toit à mi-hauteur des mats. En les liant les uns aux autres, sur tout le périmètre de la construction, on obtient une rigidité suffisante pour résister aux vents les plus forts.
Le chapiteau le plus courant est le chapiteau roman rhénan, une portion de sphère pénétrée par un cube. Il est employé dans la région germanique et par les normands enNormandie et enAngleterre. Dans lesstavkirker ils sont reliés par des archivoltes formées de deux corbeaux 1/4 de rond adjacents. À lastavkirke d'Urnes ils sont décorés d'animaux distordus et d'uncentaure[96],[97],[98],[99].
Après les débordements de luxe et de richesse des clunisiens, le besoin de retour aux origines de simplicité et d'austérité dans la construction des édifices religieux déjà visible à Vézelay est conduit jusqu'au dépouillement par les cisterciens à l'abbaye de Fontenay. La construction débute en 1139 avec une consécration en 1147 en présence de saint Bernard. Son plan a la forme d'une croix latine avec une nef, des collatéraux et un vaste transept avec dans chaque croisillons deux chapelles à font plat. Un sanctuaire rectangulaire remplace le chœur et l'abside devenus inutiles par le déplacement des moines dans la partie Est de la nef, (l'Ouest étant réservée auxconvers. L'ensemble est voûté, la nef par un berceau sur doubleaux contrebuté par des berceaux transversaux. Ce procédé est repris par les cisterciens dans toute l'Europe. Dans les autres bâtiments monastiques plus tardifs, l’austérité est moins rigoureuse et lacroisée d'ogives apparaît.
Dans la région auvergnate, dix églises duPuy-de-Dôme permettent de définir l'architecture romane auvergnate. Construites par les moinesbénédictins deLa Chaise-Dieu ou dans un style défini par eux, elles semblent avoir pris pour modèle l'ancienne cathédrale romane deClermont-Ferrand, aujourd'hui remplacée par un édifice gothique. Ces églises se caractérisent par une façade occidentale peu soignée, car soumise aux intempéries avec une entrée petite et peu décorée. Lechevet est constitué par la juxtaposition de plusieurs volumes, les chapelles rayonnantes, le déambulatoire, un massif barlong (surmontant le transept et assurant la stabilité de l'édifice) et le clocher octogonal. La décoration extérieure élégante, mais discrète, souvent d'inspiration byzantine avec une polychromie des matériaux. L'intérieur est sobre et invite à la méditation spirituelle : le fidèle est conduit de l'obscurité de la nef vers la clarté et la splendeur du chœur, de la misère du monde vers la vie éternelle. les chapiteaux historiés sont soumis à des conventions de représentation particulières.
À l'époque romane il n'y a pas de frontière entre la population, la langue et la culture du Roussillon et de la Catalogne au nord et au sud des Pyrénées mais un seul pays catalan. Il possède des traditions architecturales propres avec au début de l'architecture romane un courant artistique que l'on retrouve dans l'abbatiale dumonastère de Sant Pere de Rodes. Ce pays catalan est certainement celui qui en Europe fait le meilleur accueil au premier art roman méridional venu d'Italie du Nord et étouffe les recherches locales.
Sur une ancienne église préromane, l'abbatiale dumonastère de Sant Pere de Rodes consacrée en 1022 possède un chevet archaïque avec crypte et déambulatoire sans chapelles rayonnantes, séparé du chœur par un mur percé d'ouvertures. La forme du chœur et de l'abside est évasée. Le transept sans véritable croisée a des croisillons avec des chapelles orientées. Dans un premier temps la courte nef devait être charpentée puis est voûtée en berceau avec des demi-berceaux sur les collatéraux. Pour réduire la portée du vaisseau central, l'architecte construit de fortes piles avec un haut piédestal en saillie porté par des colonnes superposées. Les sculptures des chapiteaux sont rares en Catalogne avec une série se rattachant au corinthien et une autre aux chapiteaux cubiques couverts d'entrelacs et de rinceaux.
L'abbaye Saint-Martin du Canigou marque le début du premier art roman méridional en Roussillon où il offre tous les caractères d'une expérience[20] et renseigne avec précision sur l'état de l'architecture à cette époque dans cette région.
Si son plan reste archaïque, des changements de structures s'imposent par la volonté de couvrir de pierre l'ensemble de l'édifice. À diverses reprises dans l'église inférieure de la Vierge et une fois dans l'église supérieure de Saint-Martin, les supports deviennent cruciformes pour recevoir correctement les arcs doubleaux. Cette évolution entraîne la division de la nef en travées et permet de nouvelles avancées dans la hauteur et l'éclairage des bâtiments. L'architecte de Saint-Martin du Canigou n'emploie pas encore la totalité des nouvelles connaissances architecturales mais il suffira de quelques années pour que dans la région catalane on réalise des constructions romanes parfaites avec une liaison intime du plan et de son système de couvrement. Un acte de consécration de 1009 mentionne les trois églises de la Vierge, saint Martin et saint Michel. La datation est controversée : 1009 peut correspondre à la construction de la partie Est sur les deux niveaux avec la suite des travaux avant 1014 ou 1026[101],[102],[103].
La collégiale Saint-Vincent deCardona comme Saint-Martin du Canigou bénéficie de recherches comparables mais plus hardies du premier art roman de Catalogne et en est l'expression la plus aboutie. Elle offre une grande cohérence d'ensemble sur un plan probablement de 1030 avec une consécration en 1040. Le parti architectural est lié aux besoins liturgiques des chanoines. Le chœur surélevé sur une crypte utile à la pompe liturgique que l'on trouve en Italie du Nord est constitué d'une abside et d'une partie droite. Le transept peu saillant accueille deux chapelles orientées et une croisée couverte d'une coupole basse prolongeant visuellement le chœur. La nef couverte en berceau avec des arcs doubleaux repris par d'énormes piles a des collatéraux bas, voûtés d'arêtes qui permettent au vaisseau central d'être éclairé par des fenêtres hautes.
Lemonastère de Sant Llorenç del Munt dont l'abbatiale est consacrée en 1064 possède une coupole sur la travée centrale de la nef et son plan est un compromis entre le type basilical et un plan centré à coupole que l'on trouve dans les églises orientales. Sa façade n'est pas encore travaillée comme celle de l'église du monastère deSant Jaume de Frontanyà. La fidélité dans cette région catalane aux principes du premier art roman méridional s'étend jusqu'au début duXIIe siècle et en particulier à l'église Sant Climent de Taüll consacrée en 1123.
La reconstruction de lacathédrale Sainte-Marie d'Urgell à partir de 1116 nous a laissé un document de 1175 où le commanditaire de l'œuvre passe un marché pour couvrir la coupole et élever les clochers à un maître d'œuvre aidé de quatre maçons lombards. Ce document confirme l'importance des maçons italiens dans l'énorme effort de construction enCatalogne à l'époque romane. Son plan est caractérisé par un long transept avec deux chapelles orientées sans saillie sur l'extérieur dans chaque croisillon. Dans la partie haute du chevet, une circulation à l'intérieur du mur permet d'installer une galerie comme celles que l'on retrouve enItalie du Nord à Saint-Michel de Pavie et à labasilique Santa Maria Maggiore de Bergame[70].
Avant de s'ouvrir au premier art roman méridional qui n'a d'influence qu'à l'Est, aux limites de la Catalogne, cette région doit abandonner sa vieille liturgie et adopter le rite romain utilisé par l'ensemble de la chrétienté. Le roi d'Aragon en 1071, par une cérémonie donne le signal de cette mutation et malgré des réticences, l'ancienne liturgie est abolie dans toute l'Espagne en 1080.
Lepèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, grâce à un important travail d'organisation et de propagande transforme un modeste sanctuaire éloigné en lieu de rassemblement majeur de la chrétienté. Sa portée est sociale et religieuse, vecteurs de communication, les routes et plus particulièrement leCamino francés sont porteurs d'échanges artistiques. Par ces chemins et ces cols, le premier art roman méridional s'étend sur l'ensemble de l'espace chrétien du nord de la péninsule[70].
L'Aquitaine, entre l'architecture romane et le gothique primitif a inspiré les concepteurs pour la réalisation de créations très originales, les tours-lanternes de lavieille cathédrale de Salamanque, de la collégiale deToro (Zamora) et de lacathédrale de Zamora.
Toujours sur le même chemin, la chapelle du Saint-Sépulcre deTorres del Río montre sur un plan octogonal des influences musulmanes avec la présence de nervures s'entrecroisant sous la coupole.
La chapelle Vera Cruz deSégovie est un édifice très particulier. Le plan centré est prolongé vers l'Est par trois absides. Le noyau central a douze côtés, deux niveaux dont l'étage est occupé par un sanctuaire et une crypte. On y accède par quatre portes desservies par un déambulatoire[50].
Les ruines de l'abbaye d'Alet-les-Bains restent mystérieuses. L'emploi du petit appareil fait croire à la construction vers 1100 d'une nef avec des collatéraux voûtés d'arêtes sur des supports alternativement rectangulaires et circulaires. Une deuxième campagne en moyen appareil concerne un transept étroit, peu saillant et une abside remarquable avec une ressemblance étonnante avec celle de l'église Saint-Jacques de Béziers.
Sur un terrain difficile, l'église Notre-Dame de l'abbaye de Montmajour possède une crypte, véritable église inférieure comme celle que l'on trouve à l'abbaye Saint-Martin du Canigou ou Saint-Gilles du Gard. Son plan est constitué à partir d'une rotonde couverte d'une coupole avec une entrée et un déambulatoire voûté en berceau annulaire à absidioles rayonnantes à travée droite. Sur les croisillons d'un long transept étroit s'ouvrent des absidioles orientées. Au-dessus de cette crypte, l'église reproduit le type provençal du milieu duXIIe siècle.
L'art roman provençal par sa rigueur renouvelée par l'influence antique est en harmonie avec les recherches de simplicité et les grandes qualités de construction développées par l'Ordre cistercien. Les trois sœurs provençales, les abbayes duThoronet,Sylvacane et deSénanque en sont des réalisations les plus authentiques[70].
Le site deSaint-Vincent de Galliano construit aux environs de l'an mil conserve une église mutilée consacrée en 1007 dotée de fresques remarquables et un baptistère. Ce baptistère est très caractéristique de cette architecture romane naissante avec de fortes influences carolingienne inspirées par la chapelle de la Piéta près deSaint-Satyre de Milan. Son plan s'articule à partir de quatre colonnes aux angles d'un carré dont les côtés règlent quatre hémicycles. L'élévation montre une tribune et une couverture avec une coupole sur trompes. Puis l'art roman méridional se développe très vite dans un ensemble constitué d'une église et d'une chapelle à l'abbaye de Civate ou à la grande basilique Saint-Marie Majeure deLomello avec une nef à dix travées et un transept bas peu saillant.
Un élément très important pour le parti architectural de cette région est apporté par lecampanile dont l'origine et la datation sont fortement controversées mais que l'on peut peut-être trouver à labasilique Saint-Apollinaire in Classe deRavenne. Souvent isolés, de plans circulaires ou carrés, leurs ouvertures sont de plus en plus importantes au fur et à mesure que l'on s'élève. On passe de baies en plein cintre aux fenêtres géminées puis aux triplets. Un décor de bandes lombardes et une justification des niveaux par des dents d'engrenages terminent le clocher type de cette architecture romane dont celui de l'abbaye de Pomposa est un des exemples le plus abouti. Le clocher à plan carré peut aussi avoir desbandes lombardes reposant sur des pilastres, deslésènes ou des colonnettes comme à Fruttuaria,Saint-Satyre de Milan,Saint-Abon deCôme, à lacathédrale d'Ivrée, l'église Saint-Côme deRezzago,Torcello,Basilique Sainte-Marie-et-Saint-Donat deMurano, Saint-Samuel et Saint-Jacques dell'Orio àVenise.
Labasilique Sant'Abbondio deCôme reste attachée à la tradition à une époque où l'architecture romane est dans sa phase de maturité. La nef à doubles collatéraux est couverte d'un plafond, les parois sont nues. Le sanctuaire prolonge le vaisseau central par deux travées carrées voûtées et une abside semi-circulaire. Les collatéraux sont terminés à l'Est par des absidioles creusées dans le mur. Cet ensemble en forme de Tau montre la volonté de multiplier les autels et d'agrandir le chœur des églises. Deux petits clochers sur les absidioles des collatéraux donne au chevet un aspect rhénan. La façade exprime le plan, des contreforts marquent les espaces et un décor dérivant des bandes lombardes du premier art roman méridional l'anime. Dans le même esprit, l'abbatiale Saint-Sauveur deCapo di Ponte montre l'importance donnée à la liturgie. Dans une construction rustique, une nef charpentée met en valeur un sanctuaire avec une abside voûtée en cul de four et une coupole sur trompes épaulée par deux croisillons de transept et surmontée d'une tour octogonale. L'harmonie de ce chevet rappelle ceux deCatalogne du premier art roman méridional.
Si les architectes lombards n'ont pas connu la véritable voûte d'ogive sur croisée d'ogive dont les arcs, ogives,doubleaux,formerets, composés de claveaux et indépendants de la voûte qu'ils renforcent, ont des clés sensiblement sur le même plan, ce qui ramène aux quatre points de retombée, les pressions que l'on pourra facilement épauler par des contreforts, des murs et des arcs-boutants permettant d'ouvrir de vastes intervalles entre les supports.
Les voûtes de lacathédrale d'Aversa antérieures à 1080 sont très intéressantes mais les nervures retombent sur des supports disposés diagonalement. Les premiers exemples lombards de voûtes sur croisée d'ogives:Rivolta d'Adda, Saint-Anastase d'Asti, Saint-Savin de Plaisance, San Giovanni in Borgo de Pavie, les églises de Milan Saint-Nazaire, Aurora,Saint-Ambroise, Saint-Eusteurge, sont nettement plus tardifs[106].
Lacathédrale de Modène reconstruite en 1099 par Lanfranc Beccari est un édifice charpenté à l'origine avec trois nefs et trois absides, une élévation à trois niveaux avec des arcades sur des supports alternativement forts et faibles, des baies tripartites ouvrant directement sur les collatéraux et des fenêtres hautes. La tour est de 1169 ou 1179.
Lacathédrale de Parme et son baptistère représentent un ensemble urbain dans une ville devenue indépendante. Elle est reconstruite après les tremblements de terre de 1117 avec un chevet très particulier et des influences transalpines. Les croisillons du transept sont des carrés de la même dimension que la croisée et sont pourvus chacun de deux absidioles. Le chœur rectangulaire prolonge la croisée et est terminé par une abside. Une vaste crypte voûtée d'arêtes s'étend sur toute la surface du chœur et du transept. Le plan du chevet crée des volumes harmonieux complétés par une tour-lanterne octogonale sur la croisée et un décor de galeries. Le baptistère est une grosse tour commencée en 1196 avec une élévation à trois niveaux couverts d'une coupole[70].
En Italie centrale et méridionale, l'architecture exprime la violence du choc culturel de la soumission du Sud de l'Europe par la domination politique et économique du Nord. Cet espace byzantin et islamique où survivait la civilisation urbaine héritée de Rome est confronté à l'époque romane à un Occident dynamique et conquérant. Les grandes cités maritimes,Venise,Pise,Gènes,Ancône etRaguse, la féodalité franque avec le mythe et l'émotion desCroisades en tireront les plus grands bénéfices.
Cette mutation importante et durable pour le sort de l'Europe agit sur des milieux culturels très différents. Le clergé romain souhaite le retour des principes paléochrétiens, les marchands et marins sont avides de profits, les chevaliers et le clergé normand défendent un idéal féodal, les derniers représentants de l'Église grecque et les musulmans vaincus deSicile résistent à la latinisation et au christianisme.
Au sud d'Ancône, l'abbatiale Sainte-Marie de Portonovo construite vers 1050 est un exemple de la colonisation artistique de la région par le premier art roman méridional par sa parenté avec l'église dumonastère de Sant Llorenç del Munt enCatalogne. On y retrouve une coupole au centre d'un plan résultant d'un compromis entre une croix grecque et le type basilical. L'extérieur est décoré de bandes lombardes et d'une tour octogonale.
La conquête normande met fin à l'autorité de Byzance en Italie. Labasilique Saint-Nicolas de Bari prise par les normands en 1070 et l'arrivée des reliques de saint Nicolas provoque un important pèlerinage. On construit alors une église dont la crypte est consacrée par le pape Urbain II en 1089 avec une consécration finale en 1196. La nef étroite à trois niveaux et le transept peu saillant sont très élevés. On retrouve l'alternance des piles faibles et fortes de l'architecture romane normande entre de grandes arcades, des tribunes aux baies tripartites et des fenêtres hautes de hauteur limité. Le principe du transept est repris à lacathédrale de Trani.
En Sicile, lacathédrale de Cefalù est le résultat d'influences diverses. En 1145, le roi Roger II décide d'en faire son lieu de sépulture. Son chevet échelonné s'inspire de celui de l'abbaye de Cluny II avec des apports anglo-normands. Sur un transept très étroit et saillant se greffent au centre deux travées droites avec une abside semi-circulaire qui reçoit un décor de mosaïque en 1148 et de part et d'autre une travée rectangulaire et une absidiole orientée. Sur la façade, un oculus contemporain des premières roses de France est un des plus anciens de Sicile.
À Palerme, le mécénat des rois normands est ostentatoire, au service des besoins religieux et monarchiques avec des influences multiples. Lachapelle palatine consacrée en 1140 est terminée en 1189. Son plan basilical a un transept non saillant très profond et une nef charpentée. Le décor est somptueux, la nef a un plafond à caissons d’inspiration musulmane, les murs sont couverts de mosaïques byzantines réalisées par desgrecs et dessiciliens.
Le même décor somptueux se retrouve à lacathédrale de Monreale fondée avec des moines clunisiens par Guillaume II (1166-1189). Cet édifice de 102 mètres de longueur adopte un plan fréquent dans le royaume avec une nef de basilique et un important chœur en croix grecque. Des marbres polychromes recouvrent les sols et les bas des murs, 6 500 mètres carrés de mosaïques tapissent les murs pour faire un ensemble digne desMille et une nuits terminé au milieu duXIIIe siècle[70],[108],[109].
EnTerre sainte, l'architecture romane s'exprime à travers une société de type colonial issue descroisades et de la création desÉtats latins d'Orient. Elle représente l'emprise culturelle de l'Occident grâce aux principales réalisations des croisés dans l'architecture religieuse avec leSaint-Sépulcre et l'église Sainte-Anne à Jérusalem, les cathédrales deGibelet et de Tortose, la chapelle Saint-Phocas d'Amioun. L'architecture militaire de l'époque romane est présente dans lekrak des Chevaliers, les châteaux deSaône,Kerak de Moab et laforteresse de Margat.
La plus importante réalisation architecturale, leSaint-Sépulcre dans l'enceinte sacrée duGolgotha est construite à l'époque de Constantin, le premier empereur romain chrétien. Il comporte une rotonde sur le tombeau du Christ, une basilique et deux cours bordées de portiques. Détruit en 1009, il est en partie reconstruit vers 1030-1040 par l'empereur byzantin avec l'accord des musulmans. L'espace de la basilique entre les deux atriums reste en ruine et les croisés choisissent d'unir sur l'emplacement de l'atrium une imposante contre-abside à la rotonde. À partir du bâti existant qui définit dans un souci d'harmonie les techniques et les proportions, ils construisent une petite église avec un transept saillant, un chœur et une abside à déambulatoire avec trois chapelles rayonnantes. À l'origine, une tribune permettait une circulation périphérique au niveau de l'étage. L'ensemble est complété par les bâtiments et le cloître deschanoines du Saint-Sépulcre[70],[69],[110].
L'abbaye Saint-Pierre de Beaulieu-sur-Dordogne, la plus grande deCorrèze possède un des plus beauxtympans sculptés de l'art roman français. Représentant une parousie (qui précède le Jugement Dernier), le style graphique est largement inspiré de l'école languedocienne.
L'abbatiale de Vigeois, de l'époque romane ne subsiste que le chœur et les chapelles du transept. L'abside centrale a conservé de splendides chapiteaux historiés dont quelques-uns ont conservé des traces de polychromie.
L'abbatiale d'Uzerche, est un bel exemple d'église de pèlerinage. Sa crypte remontant auXe siècle est de plan circulaire, rarissime en Limousin. La croisée du transept est coiffée d'un beau clocher limousin.
L'église deCollonges-la-Rouge possède un superbe clocher limousin et un tympan en calcaire blanc représentant l'Ascension ou laParousie. Néanmoins, l'intérieur de l'édifice a été fortement remanié au cours des siècles
L'église Saint-Robert, la nef avec ses neuf travées a disparu au cours des Guerres de Religion. Nous conservons cependant le chœur et le transept qui témoignent de la superbe et de la grandeur de cette église prieurale très largement inspirée de l'abbatiale de Beaulieu-sur-Dordogne.
L'abbaye Saint-Pierre-Saint-Paul de Solignac est la seule église du Limousin à être couverte de coupoles. L'influence périgourdine est sans conteste, l'harmonie des proportions et les chapiteaux des arcatures aux sculptures étranges et encore indéchiffrables en font l'une des plus belles églises romanes du Limousin.
La collégiale deSaint-Junien a été construite en plusieurs étapes successives ce qui est à l'origine de sa forme étrange et de son chœur plat. Elle conserve néanmoins deux chefs-d’œuvre de l'art roman limousin : les peintures de la nef représentent les douze vieillards de l'Apocalypse et les rois d'Israël autour de l'Agneau de Dieu ; le tombeau de saint Junien est l'unique chef-d’œuvre encore conservé de la sculpture romane limousine; sur deux de ses côtés figurent les vieillards de l'Apocalypse entourant l'Agneau de Dieu et une Vierge en Majesté, un troisième côté est décoré d'un Christ de gloire entouré des symboles des apôtres.
L'église desSalles-Lavauguyon, ancien prieuré abrite l'un des plus beaux ensembles de peintures romanes de France. En effet, le revers de la façade ouest, les murs nord et sud de la nef sont recouverts de splendides représentations de la Création, de la vie de saint Eutrope, de saint Martial ainsi que des premiers prieurs des Salles.
La collégiale deSaint-Yrieix-la-Perche avec son clocher roman et son chœur gothique qui lui donne l'allure d'une cathédrale.
Basilique Saint-Remi de Reims (Reims, Marne), nef et transept de style roman, édifice classé Monument Historique et inscrit sur la liste du patrimoine mondial par l'UNESCO
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