Arcs-boutants deNotre-Dame de Paris. Leschéneaux s'écoulent par unegargouille sur l'extrados de la volée, creusé en canal qui traverse la culée, l'évacuation deseaux pluviales s'achevant par une autre gargouille.Structure typique d'une cathédrale gothique.
Unarc-boutant[N 1], ouarcboutant[N 2], est un organe de contrebutement formé d'unarc surmonté d'un petit mur aux assises horizontales et au faîte généralementrampant. Cet élément d'ossature neutralise par sa propre poussée une partie des poussées localisées d'une voûte ou d'un autre arc. Il forme ainsi une sorte d'étai enmaçonnerie qui joue un rôle primordial dans l'architecture gothique en contre-butant la poussée latérale desvoûtes àcroisée d'ogives des vaisseaux des églises et des chapelles, et les achemine vers le pilier deculée oucontrefort. Ce dernier est le plus souvent couronné d'unpinacle, ce qui permet, en constituant un poids important au-dessus de l'étai, d’asseoir vers le bas la poussée transversale reçue via l'arc-boutant, tout en allégeant visuellement ce dernier. Notons enfin que l'intérêt structurel de tels pinacles est principalement lié au fait que la structure est en assemblage de pierres de taille, empêchant ainsi le glissement latéral de celles-ci vers l'extérieur de la macrostructure (l'édifice).
Le principe des arcs-boutants permet aux architectes gothiques, dans leur course d'espace et de hauteur, de réaliser leur rêve d'élever de plus en plus haut des voûtes de plus en plus légères, avant qu'ils ne transforment ce contrefort de secours en élément décoratif. Le développement de lamétallurgie auXIIIe siècle permet en effet un emploi très nouveau du fer, sous la forme detirants dans lesappareils ou dechaînages[N 3] ceinturant les murs des édifices qui peuvent alors se contenter de contreforts au lieu d'arcs-boutants[1].
« Nous ne connaissons pas toutes les fautes qui escortent dans l’ombre la réussite. On en trouverait sans doute des exemples dans l’histoire de l’arc-boutant »
Le chantier médiéval fait appel au bois d'œuvre (échafaudage, étais, cintres, piquets de cordes…) mis en œuvre par plusieurs équipes de charpentiers. Les étais extérieurs obliques, utilisés pour contrebuter les poussées des voûtes, sont supprimés à la fin du chantier mais pérennisés dans la structure de l'architecture gothique sous la forme des arc-boutants en pierre (Dagobert visitant le chantier de la construction deSaint-Denis, enluminure deRobinet Testard dans lesGrandes Chroniques de France, 1471).Présence voyante de tirants métalliques fixés entre les culées des arcs-boutants qui soutiennent les murs du chœur de lacathédrale de Beauvais[N 4].Au niveau du chevet de l'église Notre-Dame de Vétheuil, les contreforts à ressauts successifs sont percés d'étroits passages.Viollet-le-Duc y a vu la préfiguration — plus esthétique que technique — des arcs-boutants[3].
Inventés vers la fin de la périoderomane dans l'architecture normande, ils sont alors dissimulés sous la toiture dans les combles par desmurs-boutants, comme lechevet duPrieuré Saint-Martin-des-Champs àParis. Les arcs-boutants sont d'abord utilisés par les architectes gothiques pour consolider les églises romanes qui menacent de s'effondrer quand leur voûte principale est trop haute, puis ils transforment ce contrefort de secours en un élément architectural et décoratif, destiné à assurer l'équilibre des hautes voûtes nervées. Cependant, leur utilité fait débat chez les premiersmaîtres d'œuvre de l'époque gothique qui oscillent entre son rejet et son adoption. L'historien anticléricalMichelet qui dénigre l'art gothique[4], considère ces contreforts comme des « béquilles architecturales[5] ».Ernest Renan, en écrivant que « les arcs-boutants sont une forêt de béquilles », a bien compris que cet élément, lorsqu'il est envisagé comme permanent, devient un organe esthétique[6]. Ainsi, l'arc-boutant est un organe moins consubstantiel à l'architecture gothique qu'il a été supposé[7].
Les premiers arcs-boutants sont dits simples ou à simple volée : l'arc repose directement sur laculée. Au fil des siècles, la course d'espace et de hauteur, témoin dudynamisme urbain, du goût de l'exploit et de l'émulation des commanditaires (notamment les évêques), peut conduire les architectes à construire des arcs-boutants à double (peut-être, dans le parti primitif de la cathédrale Notre-Dame de Paris, dès les décennies 1160-1170)[10] voire à triple volée avec la construction de piliers intermédiaires avant la culée : l'arc trouve ainsi un appui contre une culée intermédiaire, ce qui permet d'assurer lemur gouttereau au point où celui-ci reçoit le maximum de la poussée exercée par la voûte, et de le stabiliser en partie supérieure, là où la pression du vent est très forte. Deux ou trois étages superposés peuvent être disposés à chaque travée. Le plus bas reprend l'essentiel de la poussée de la voûte maîtresse au voisinage de sa retombée, les plus hauts recueillent la poussée qu'exercent sur les gouttereaux les charpentes et la toiture[11],[12].
Pour les chrétiens, la voûte des sanctuaires évoque un navire retourné, la toiture la coque et l'église elle-même un bateau soutenu par ses rames (les arcs-boutants). Ils voient ainsi l'église comme un navire flottant sur les eaux célestes, si bien que le terme denef s'est vite imposé par métaphore[13].
Au chevet de lacathédrale Saint-Julien du Mans, les arcs boutants sont à triple volée, formant une véritable forêt.La façade occidentale de lacathédrale de Noyon, marquée par des contreforts qui soulignent les divisions verticales, est précédée par un porche que maintiennent deux arc-boutants ajoutés auXIVe siècleDans lacathédrale d'Évreux, certains arcs-boutants ornés detrilobes et dequatre-feuilles, ont leurrampant muni d'une rigole d'évacuation des eaux pluviales, prolongée par un conduit traversant la culée et par une gargouille.La tête des arc-boutants de lacathédrale de Strasbourg est allégée par le percement d'unoculusquadrilobé et est soutenue par une haute colonnette isolée, reposant au niveau du sommet du triforium sur un contrefort bâti en porte à faux au-dessus de la voûte du collatéral.
↑Dans les années 1960, l’architecteJean-Pierre Paquet constate que les tirants sont distendus, leurs extrémités rouillant à l'endroit où ils pénètrent dans la pierre. Jugeant ces barres inesthétiques et inutiles, il les fait retirer de la partie nord, négligeant le rôle d'amortisseurs des tirants en cas de forts vents. Ces vents créent des turbulences périodiques qui peuvent entrer en résonance avec la fréquence d’oscillation des culées, entraînant des fissures, voire un effondrement. Dans l'architecture gothique marquée par sa course à la hauteur, la prise au vent est en effet plus importante et augmente les risques de déchaussement des assemblages et d’inclinaison desfermes. En 1982, la violence des vents déstabilise les arcs-boutants, si bien qu'un nouvel ensemble de tirants-butons est positionné en périphérie du chevet dans les années 1990. CfGuillaume Jacquemont, « L’acier des cathédrales : squelette ou béquille ? »,Pour la science,no 448,,p. 6 ; Yves Boiret, « La cathédrale de Beauvais, les effets du vent »,Rencontres internationales pour la protection du Patrimoine culturel.2e Colloque – les risques naturels, Avignon,1987,p. 369-373.
↑Jean Pommier, « Michelet et l'architecture gothique »,Études de Lettres : revue de la Faculté des lettres de l'Université de Lausanne,vol. 26,no 1,,p. 33(DOI10.5169/seals-869934).
↑Jules Michelet,Histoire de France. Renaissance, Chamerot, 1855, p. CLVIII-CLIX
↑Andrew Tallon,« Archéologie spatiale. Le bâtiment gothique relevé (et révélé) par laser », dans Arnaud Timbert et Stéphanie Daussy (dir.),Architecture et sculpture gothiques. Renouvellement des méthodes et des regards, Rennes, Presses Universitaires de Rennes,,p. 65-77
↑Louis Grodecki,Le Moyen Age retrouvé: De Saint Louis à Viollet-le-Duc, Flammarion,,p. 101.
↑Alain Villes,La Cathédrale Saint-Étienne de Châlons-en-Champagne et sa place dans l'architecture médiévale, D. Guéniot,, 460 p.(ISBN978-2-87825-226-2),p. 346.
↑BrigitteViolette,La Station d'aide à la navigation de Pointe-au-Père et son phare de béton armé. Centenaire d'une construction audacieuse, 1909-2009, Québec, Parcs Canada,, 91 p.(ISBN978-1-100-92042-9),p. 60-64.
Georges Durand, « La question des origines du style gothique flamboyant ; lettre de M. Georges Durand, à propos d'un arc-boutant de la cathédrale d'Amiens », dansBulletin Monumental, 1909, tome 73,p. 127-130(lire en ligne)
R. Lemaire, « La logique du style gothique », dansRevue Philosophique de Louvain, 1910, tome 66,p. 234-245(lire en liogne)
Jacques Henriet, « Recherches sur les premiers arcs-boutants. Un jalon : Saint-Martin d'Étampes », dansBulletin Monumental, 1978, tome 136,no 4,p. 309-323(lire en ligne)