Né vers319 av. J.-C., Antigone Gonatas est le fils deDémétrios Poliorcète et dePhila Ire ; il est donc à la fois le petit-fils d'Antigone le Borgne et d'Antipater, deux des principauxDiadoques d'Alexandre le Grand. Il est le frère deStratonice, épouse deSéleucos puis de son filsAntiochos Ier, et le demi-frère cadet (par sa mère) de Cratère, fils du général d'Alexandre du même nom. L'origine de son épithèteGonatas n'est pas complètement établie ; elle peut être rapportée à la cité deGónni enThessalie où il serait probablement né, ou alors au termeGonatas désignant une plaque de fer protégeant le genou (gonu engrec ancien). Il est dans sa jeunesse le disciple deZénon, fondateur dustoïcisme.
Durant le règne de son pèreDémétrios Poliorcète enMacédoine, Antigone participe au conflit contrePyrrhus Ier etLysimaque. En288 av. J.-C., il est chargé de défendre laGrèce tandis que Démétrios est défait en Macédoine. Par la suite, il tente en vain d'envoyer des secours à son père engagé enAsie Mineure contreSéleucos. En283, à la mort de son père, captif de Séleucos, il organise de grandioses funérailles àCorinthe et fait ensevelir l'urne funéraire àDémétrias. À cette date, il ne dispose plus que d'une flotte et de quelques possessions en Grèce :Démétrias,Chalcis,Le Pirée,Corinthe. Il est attesté qu'il a pris le titre royal à la suite de son père, probablement à sa mort, mais il apparaît avoir été à cette époque un « roi sans royaume »[2]. Il profite des troubles consécutifs à la mort deLysimaque et Séleucos pour faire en281 une première tentative pour s'emparer de la Macédoine, mais il est repoussé parPtolémée Kéraunos. Sa situation s'aggrave par la défection de plusieurs cités grecques ; il tente alors de se tourner vers l'Asie et de se tailler un royaume dans les anciennes possessions de Lysimaque, sans grand succès.
L'invasion galate de279 qui balaye la Grèce et la Macédoine est une occasion inespérée pour lui de se rétablir. Ayant conclu la paix avecAntiochos Ier[3], il prend pied enThrace où il remporte une victoire retentissante contre lesGalates à labataille de Lysimacheia en277 : il tend une embuscade aux Galates et en une seule bataille parvient à les détruire[4]. Cela lui confère un prestige suffisant pour s'imposer comme roi d'une Macédoine affaiblie par deux décennies de guerres civiles et de pillages ; après la mort dustratègeSosthène, il se débarrasse dans le même temps de ses derniers rivaux,Ptolémée de Telmessos, un fils deLysimaque, etAntipater II Étésias, un neveu deCassandre[5].
Rejetant les politiques asiatiques ambitieuses mais aussi aventureuses de ses prédécesseurs, il se consacre à renforcer le royaume, désormais à l'écart des grands conflits. Il n'y a guère qu'enmer Égée et au sud de la Grèce qu'il se heurte à la puissance de l'Égypte ptolémaïque. Symbole de son retour à la tradition, il ramène la capitale royale àPella, deCassandréia etDémétrias où elle avait été successivement déplacée, hors du cœur historique du royaume. À la suite de son père, il bénéficie des services et conseils deHiéronymos de Cardia qui rédige à sa cour l'Histoire des successeurs d'Alexandre[6].
Le mainmise d'Antigone Gonatas sur laMacédoine est menacée une première fois parPyrrhus, roi d'Épire, rentré d'Italie en275 av. J.-C. pour reconstituer son armée[7]. Pyrrhus envahit la Macédoine, obtenant de nombreux ralliements et Antigone doit se replier sur la côte àThessalonique où mouille sa flotte. Pyrrhus s'aliène toutefois rapidement les Macédoniens en laissant ses mercenairesgalates piller la nécropole royale d'Aigai. Lorsqu'il quitte la Macédoine, laissée à la garde de son fils Ptolémée, pour mener campagne dans lePéloponnèse, Antigone reprend l'offensive. Battu une première fois par Ptolémée, il finit par le chasser de Macédoine en272 et envoie des secours àSparte menacée par Pyrrhus. Celui-ci renonce alors à prendre la cité et se replie vers le nord etArgos où Antigone arrive avant lui, bien qu'ayant dû contourner par la mer les territoires de laLigue étolienne qui lui est hostile. Durant la bataille d'Argos en 272, Pyrrhus est tué[8] ; son fils et successeurAlexandre II doit abandonner pour un temps toute ambition sur la Grèce. Antigone incorpore alors une partie de l'armée de Pyrrhus, probablement les mercenaires, sachant que les troupesépirotes sont renvoyées dans leur pays avec à leur tête un autre fils de Pyrrhus, Hélénos[8].
La domination macédonienne sur la Grèce est toutefois rapidement menacée. L'un des chefs du parti anti-macédonien à Athènes,Chrémonidès, manœuvre avec succès pour rapprocherAthènes deSparte en268 av. J.-C. La première cherche à expulser les Macédoniens de l'Attique, la seconde, sous la férule d'Areus, à asseoir sa domination sur lePéloponnèse. De nombreux États du Péloponnèse (Achéens,Arcadiens,Éléens, etc.) et deCrète se rallient à cette alliance, qui jouit de surcroît du soutien dePtolémée II, inquiet notamment des ambitions de Gonatas sur lesîles Égéennes et soucieux de préserver ses intérêts commerciaux[9].
Les opérations de laguerre chrémonidéenne ont lieu essentiellement autour deCorinthe, le point fort du dispositif macédonien en Grèce, tenu par le demi-frère du roi, Cratère, et en Attique. Sparte tente par trois fois entre267 et265 de prendre Corinthe en vain ; leroi de Sparte, Areus, trouve la mort dans la dernière tentative. Antigone remporte vers262 une grandevictoire navale à Cos contre la flottelagide[10]. Il célèbre cette victoire en offrant en dédicace sonnavire amiral au sanctuaire d'Apollon àDélos, où il est placé dans leNéôrion. Désormais à la tête d'une puissante flotte, Antigone peut s'opposer à Ptolémée II enMer Égée et menacer ses possessions[11]. Antigone Gonatas assiège Athènes qui trouve un bref répit dans une diversion causée par l'attaque en Macédoine du roi d'ÉpireAlexandre II en262 : Antigone doit mener une campagne rapide pour le chasser de Macédoine et d'Épire, avant de revenir mettre le siège devant Athènes qui, affamée, capitule vers 262. Antigone et Ptolémée auraient conclu un traité de paix vers261[11].
Athènes,Le Pirée et l'Attique sont dès lors soumis à une occupation macédonienne[12], tandis que Cratère devient vice-roi de Corinthe. Les Lagides ne peuvent plus s'opposer à l'influence macédonienne en Grèce mais la guerre marque l'essor de laligue étolienne[13].
La décennie suivante voit Antigone Gonatas, assuré de la domination sur la Grèce centrale, mener une politique agressive dans lesîles Égéennes et se mêler aux guerres entreSéleucides etLagides, en allié fidèle des premiers. Selon certaines interprétations, vers250 av. J.-C., une flotte lagide aurait défait les Macédoniens jusqu'à une nouvellevictoire navale d'Antigone, au large d'Andros, en246 dans le cadre de la troisièmeguerre de Syrie qui oppose les deux nouveaux roisPtolémée III etSéleucos II[14]. Antigone célèbre cette victoire, sans lendemain, àDélos par deux fêtes, lesSôtèria et lesPaneia.
La domination macédonienne sur la Grèce centrale est sérieusement compromise une première fois en249 avec la révolte de son neveuAlexandre, le fils de Cratère, à qui Antigone avait pourtant confirmé son commandement de la garnison de Corinthe[15] : il se rebelle et entraîne avec lui les cités d'Eubée en échange de leur liberté. Antigone doit attendre la mort d'Alexandre (peut-être empoisonné) en 245 pour prendre le contrôle de l'Acrocorinthe à la faveur des préparatifs d'un mariage entre la veuve d'Alexandre,Nikaia, et son filsDémétrios II. Les cités d'Eubée rentrent également dans le rang[16].
La fin du règne d'Antigone Gonatas est marquée par la montée en puissance de laLigue achéenne.Aratos de Sicyone réussit en effet à s'emparer de l'Acrocorinthe par un coup de main audacieux en 243, tandis que les cités deMégare, d'Épidaure et deTrézène rejoignent ses rangs. Antigone reste étonnamment passif après ce revers, même s'il se pourrait tout de même qu'il ait été occupé par la menace desIllyriens ou desDardaniens sur la frontière septentrionale[17]. Il se contente donc de faire la paix avec laLigue étolienne qu'il pousse ensuite à attaquer les Achéens entre 243 et 240. Antigone Gonatas meurt au printemps239 ; son fils Démétrios II, déjà associé au pouvoir, lui succède.
Ses contemporains estiment Antigone Gonatas pour son amour des arts et des lettres et pour son attachement à la philosophiestoïcienne[18]. Élève du philosopheZénon dans sa jeunesse, il l'invite ensuite souvent à sa cour et le rencontre à chaque fois qu'il séjourne àAthènes.Diogène Laërce reproduit une série de lettres échangées avec Zénon dans lesquelles Antigone Gonatas demande à son ancien précepteur de se présenter à sa cour pour le guider dans la conduite des affaires. Le roi affirme à ce sujet qu' « instruire le roi de Macédoine et le diriger dans le sentier de la vertu, c'est en même temps mettre dans la voie de l'honnêteté tous ceux qui lui sont soumis : tel est le souverain, tels sont ordinairement les sujets. »[19]. Estimant être trop âgé pour voyager, Zénon envoie à sa place deux de ses meilleurs élèves,Persaios de Kition et Philonide deThèbes. Persaios devient précepteur de l'éducation d'Alcyonée, l'un des fils d'Antigone, mort avant son père. Persaios devient une figure importante de la cour macédonienne. Ainsi, après la prise deCorinthe en244, Antigone Gonatas le place à la tête de la cité en tant qu'archonte. Il meurt en243 en défendant la cité contre l'attaque menée par laLigue achéenne[20]. Après la mort de Zénon, Antigone se serait exclamé : « Quel spectacle j'ai perdu ! »[19]. Il demande aux Athéniens de lui ériger un tombeau dans lecimetière du Céramique et fait don de 3 000 drachmes àCléanthe, le successeur de Zenon à la tête de laStoa Poikilè, dont il a également assisté aux conférences. Le problème de l'influence du stoïcisme sur sa politique a donné lieu à de multiples interprétations, certains historiens modernes faisant de lui un « roi-philosophe ». Il est envisageable que le stoïcisme l'aurait incité à une forme de réalisme politique en n'érigeant pas en principe la « liberté des Grecs »[18].
Antigone Gonatas est mentionné plusieurs fois par Diogène Laërce comme étant également en relation avec des philosophes des écolesmégarique,pyrrhoniste etcynique. Le biographe stipule que de nombreuses personnes ont cherché à le rencontrer lors de ses séjours à Athènes et que des Athéniens lui ont écrit des lettres flatteuses[21]. Antigone Gonatas fait par ailleurs venir à la cour dePella les poètesAlexandre d'Étolie,Aratos de Soles etAntagoras.
Malgré les revers enGrèce des dernières années, le règne d'Antigone Gonatas se caractérise par un retour à la stabilité pour laMacédoine, qui, sans atteindre la puissance des Étatslagide etséleucide, demeure l'État le plus puissant de Grèce continentale. Il n'exerce toutefois plus d'influence enThrace et dans la vallée duDanube. En Grèce, Antigone ne cherche pas à s'opposer de front à laLigue étolienne, mais se contente d'assurer son contrôle sur une série de garnisons portuaires qui lui assurent une route maritime vers le Sud :Démétrias,Chalcis,Le Pirée etCorinthe. La révolte d'Alexandre puis la perte de Corinthe, tombée aux mains desAchéens en243 av. J.-C., représentent un coup important contre ce système défensif. Il s'appuie, surtout à la fin de son règne, sur des tyrans philomacédoniens pour contrôler les cités d'Argos,Mégalopolis,Phlionte etHermione[23]. D'autre part, Antigone Gonatas mène délibérément une politique épargnant les levées militaires à la population macédonienne, ayant recours à la place aux mercenairesgalates,illyriens ou grecs. Il hérite donc d'abord des places prises par son père,Démétrios Poliorcète, et mène une politique essentiellement défensive fondée sur la constitution d'un « glacis protecteur », sans qu'il reprenne à son compte la « liberté des Grecs » chère à son père et à son grand-pèreAntigone le Borgne[24]. Enfin, ses relations avec les Lagides sont jugées à l'aune de laguerre chrémonidéenne et de latroisième guerre de Syrie ; mais en dehors de ces conflits, entretenus par le jeu des alliances, elles apparaissent plutôt pacifiques, bien que non exemptes de « coups fourrés »[24].
↑La présence dePan est assez inhabituelle sur les monnaies hellénistiques. Le type militaire de cette pièce commémore peut-être la victoire deLysimacheia, puisque Pan serait apparu pendant la bataille, faisant peur auxGalates et menant à la victoire d'Antigone Gonatas.