

L'antigaullisme désigne l'opposition organisée augaullisme en regroupant des personnalités, des groupes et des mouvements qui s'opposent aux conceptions tantpolitiques quephilosophiques et jusqu'à la personne physique dugénéral de Gaulle. Loin d'être un ensemble doctrinal rigide, l'antigaullisme est un mouvement aussi bien dedroite que degauche.
L'historienJulian Jackson identifie quatre traditions de l’antigaullisme, plus ou moins véhémentes à l'égard du général de Gaulle et qui parfois se combinent sur certaines questions[1] :
Selon cet historien, l'antigaullismecommuniste, contingent et circonstanciel, ne constitue pas à proprement parler une tradition. De Gaulle et les communistes sont plutôt deux« frères ennemis », rivaux et parfois complices sur certains points comme par exemple l'hostilité envers lesÉtats-Unis.


Durant laSeconde Guerre mondiale, l'antigaullisme en France est né à la suite de la déclaration du général dénonçant l'Armistice du 22 juin 1940, dont la signature est demandée par leMaréchal Pétain. Pour lespartisans de Vichy, legaullisme est associé à laRésistance intérieure française :de Gaulle a ainsi bafoué les valeurs d'ordre et d'autorité qui fondent le métier militaire en s'attaquant par le verbe et par les armes à Pétain, dont le gouvernement le condamne à mort pour « trahison, intelligence avec l'ennemi et désertion en pays étranger »[2],[3]. Le régime collaborationniste mettra sur pied leBureau des menées antinationales, dont un des objectifs est de combattre le gaullisme sous toutes ses formes[4].
En 1940,Charles Platon alorssecrétaire d'État aux Colonies, tente par tous les moyens de s'opposer à des ralliements à de Gaulle[5]. De son côté, legénéral Weygand jugera négativement son départ à Londres[6].
Charles Maurras le dénonce comme un traître, qui s'est vendu auxBritanniques, considérés selon lui comme « l'ennemi numéro un »[3].
Lescollaborationnistes trouvent un nom aux émissions du« général Micro » àRadio Londres, le« Dingaullisme », qu'ils définissent comme« une épidémie caractérisée par une fébrilité frénétique, une agressivité en rupture totale avec la réalité »[7], précisant, dans un humour douteux, qu'il« s'attrape, surtout, par les organes auditifs » et que« le plus souvent, il résulte d’une intoxication chronique par les ondes courtes. Certains malades ne peuvent plus se passer de leur drogue habituelle, et se relèvent, la nuit, pour boire, à Radio Londres, une coupe de messages « stupéfiants ». Il s’attaque de préférence aux natures débiles : femmes nerveuses, collégiennes impubères, vieillards inadaptés aux conditions nouvelles de vie, émigrés déracinés, oisifs de lazone non occupée »[8]. Dans le même temps laPropaganda-Abteilung Frankreich diffuse les tracts dessinés parMarcel Mars-Trick dénonçant sur le même ton la« Dingaullite », maladie honteuse[9],[10].
Chez lesAlliés, le sentiment antigaulliste se caractérise surtout par la méfiance vis-à-vis des positionsantiaméricanistes etindépendantistes de De Gaulle et ses collaborateurs. LaFrance libre fera tout pour avoir une place importante dans les prises de décisions militaires : elle refusera notamment le contrôle de ses territoires par lesAlliés. En 1941, l'archipel français deSaint-Pierre-et-Miquelon est convoitée par leCanada et lesÉtats-Unis pour sa position stratégique. Malgré le véto américain, De Gaulle ordonnera leralliement de Saint-Pierre-et-Miquelon à la France libre[11],[12].
Leprésident américainRoosevelt, qui n'appréciait pas de Gaulle, ne lui reconnaissait aucune légitimé pour représenter la France tant militairement que politiquement et ira jusqu'à tenter de convaincreChurchill de se débarrasser de lui[13],[14]. De son côté, lePremier ministre anglais écrit le 21 mai 1943 une lettre dans laquelle il dit « si nous devons à présent éliminer de Gaulle en tant que force politique. (...) Je suis tout prêt à défendre moi-même cette position au Parlement et je montrerai au monde que le mouvement anti-capitulard français autour duquel la légende de De Gaulle s'est bâtie et la réalité de cet homme vaniteux et même méchant n'ont plus rien à voir ensemble »[15].
Les deux chefs d'états lui préfèrent ainsi legénéral Giraud, qui n'apprécie pas l'homme de l'appel du 18 juin, le qualifiant même defasciste et dont une lutte allait naitre entre les deux pour diriger larésistance française[16],[17].
Pour sa part,Staline jugeait de Gaulle comme une quantité négligeable et n'acceptera de signer untraité d'amitié entre la France Libre et l'URSS qu'avec la promesse que les forces communistes ne seront pas écarté du futurgouvernement provisoire ainsi que de cautionner la mise en place enPologne d’un gouvernement baptiséComité de Lublin[18],[19],[20].
Bien que l'amiralMuselier ait été le premier officier général à répondre à l'appel du général de Gaulle, il aura par la suite de graves divergences politiques avec ce dernier[21].
Arrivé à Londres pour continuer la lutte contre l'Allemagne,André Labarthe y fondeLa France Libre, unerevue fortement hostile à de Gaulle[a] et constitue bientôt, avec les dirigeants du journalFrance et du groupe Jean-Jaurès, ainsi que quelques proches de l'amiral Muselier, un groupe informel d'opposants « de gauche » au général de Gaulle[b].
Plusieurs personnalités dénonceront les exactions de certains membres desForces françaises de l'intérieur, désignant de Gaulle comme principal responsable de ces répressions visant à éliminer de futurs opposants ou à régler des comptes[22],[23].
En 1940,L'Humanité publie un article disant « Le Général de Gaulle et autres agents de la finance anglaise voudraient faire battre les Français pour la City et ils s’efforcent d’entraîner les peuples coloniaux dans la guerre. Les Français répondent le mot deCambronne à ces messieurs »[24].
En 1944,Antoine de Saint-Exupéry écrit plusieurs lettres dans lesquels, il explique n'aimer ni l'entourage de de Gaulle ni ce dernier, ayant une vision rétive du gaullisme[25].

Charles de Gaulle opte dans un premier temps pour l'autodétermination puis s'achemine ensuite vers l'indépendance de l'Algérie[26].
Plusieurs hommes politiques de droite ne s'entendent pas sur les mesures prises par lui lors de laGuerre d'Algérie alors que des partisans de l'extrême droite tels quePierre Lagaillarde etGuy Forzy, créent à la suite de laSemaine des barricades l'Organisation de l'armée secrète (OAS) : une organisation antigaulliste etterroriste clandestine, défendant laprésence française en Algérie[27]. D'autres hommes politiques de droite modérée s'insurgent contre la politique d'autodétermination, telRoger Duchet,conseiller de la République de 1946 à 1959 et animateur duCentre national des indépendants et paysans (CNIP)[3].
Lorsque se tient leréférendum du précédent lesaccords d'Évian, plusieurs dirigeants du CNIP (parti classé à droite) appellent à voter contre[3].
Le, une partie des militaires de l'armée française en Algérie, conduit par quatregénéraux cinq étoilesdéclenchent un putsch en réaction à la politique du président de Gaulle, qu'ils considèrent abandonner l'Algérie française[28].L'Esprit Public va jusqu'à le comparer àHitler[29].
Le l'OAS tente d'assassiner de Gaulle lors de l'attentat du Pont-sur-Seine et le, lelieutenant-colonelJean Bastien-Thiry commande l'attentat du Petit-Clamart, visant à tuer le chef de l'état à cause des accords d'Évian établissant lecessez-le-feu enAlgérie en plus du résultat de deuxréférendums portant sur l'autodétermination de ce pays[30],[31].
Plusieurs décennies après l'indépendance de l'Algérie, des anciens de l’OAS ainsi que des descendants depieds-noirs et d'harkis continuent d'accuser de traitrise l'action du général[32].
Avec l'instauration de la Ve République, l'antigaullisme prend une nouvelle dimension. Il se nourrit des critiques contre la concentration des pouvoirs entre les mains du Président, de l'usage du référendum, et de la politique gaulliste. Des médias qualifient decoup d'État le vote d'investiture du général de Gaulle en 1958, qui mènera par la suite naissance à laCinquième République[33],[34],[35].
Cet évènement politique provoque une division de la droite et certains, commeHenri Dorgères, votent l'investiture du général[36]. D'autres s'y opposent fermement, commeJacques Isorni, déclarant notamment : « Le défenseur deLouis XVI ne peut voter pourRobespierre »[3].
Gaston Monnerville, président du Sénat, accuse Pompidou de « forfaiture » à propos duréférendum sur l’élection du président de la République proposé par de Gaulle en 1962. Faute de pouvoir le renverser, les antigaullistes du centre et de la droite censurent legouvernement Pompidou[37].Paul Reynaud sera le premier à apposer sa signature sur la motion, votée par109 députésCNIP sur 121[3].
Dès 1946, certains des adversaires de droite deCharles de Gaulle apparaissent au sein même duMRP, longtemps présenté comme fidèle augaullisme durant laSeconde Guerre mondiale (ses membres étaient desRésistants), des divergences idéologiques apparaissant, notamment sur l'intégration européenne de la France[38].
Durant le mandat de Charles de Gaulle, certains dénoncent ses politiques économiques et monétaires[39]. Son projet d'instaurer la participation des travailleurs aux bénéfices des entreprises inquiète le patronat et les milieux d'affaires[3].
Jean-Marie Le Pen fut dès le départ un antigaulliste, en fondant sonparti politique en réaction à sa politique même s'il reconnaît au général « son intuition, juste, de la victoire alliée » et admet que « quitter l’Algérie était sans doute inéluctable », en raison notamment de « la démographie »[40],[41].
CertainsPères de l'Europe telPaul-Henri Spaak ouJean Monnet jugent le général de dangereux adversaire et de fossoyeur de l’unité européenne, déplorant sa politique aveugle et dépassée, la jugeant incapable de comprendre les exigences d’uneEurope unie[42].
Bien queValéry Giscard d'Estaing ne quitte pas le mouvement gaulliste, il n'en affirme pas moins l'importance de faire des propositions différentes[43] et incarnera un nouveau style présidentielle loin de la tradition gaulliste-pompidolienne[44],[45].
Contrairement à la droite, lagauche française n'est pas réellement divisée sur les positions vis-à-vis des politiques menées parde Gaulle, notamment car ce dernier est avant tout un homme de droite[46][source insuffisante]. Ainsi, la plupart des hommes politiques de gauche s'opposent aux mesures gaullistes durant laCinquième république[47].
Du côté de lapresse écrite,Le Canard enchaîné sera l'un des premiers à critiquer ouvertement le retour au pouvoir du général, craignant une République aux ordres d'un seul homme[48] et lui consacrera chaque semaine unechronique intitulé « La Cour. Chronique du Royaume » dans laquelle de Gaulle est représenté sous les traits du monarqueLouis XIV[49].
Durant laSeconde Guerre mondiale, plusieurscommunistes français rejoignentCharles de Gaulle dans laRésistance, commeJean Moulin[50]. Néanmoins, les communistes s'opposent plus tard au général sur les pouvoirs de l'Assemblée constituante, sur les institutions et sur la nature même du régime[51]. Quand est créé leRPF, lePCF accuse de Gaulle de n'être ni démocrate ni républicain mais de défendre le capitalisme et le patronat[52]. Jusqu'en 1958, il sera qualifié de « fasciste » ou « d'apprenti dictateur au service du grand capital »[53].
Dès 1947, lessocialistes, et plus particulièrementVincent Auriol, éluPrésident de la République, considèrent leRPF comme un mouvement regroupant entre autres des nostalgiques durégime de Vichy et desfascistes[54]. Plusieurs socialistes se sont ralliés à de Gaulle lors de la naissance de laCinquième République, commeGuy Mollet[c]. Mais la pratique gaullienne va très vite s'éloigner de leur conception parlementaire des institutions et les amener à l'accuser d'exercer un pouvoir personnel et d'ignorer les réalités du pays, s'opposant notamment à la proposition de de Gaulle d'élire leprésident de la République ausuffrage universel direct[3].
Les figures principales de l'antigaullisme de gauche modérée sontPierre Mendès France etFrançois Mitterrand. Ce dernier publie en 1964Le Coup d'État permanent, dénonçant la pratique du pouvoir personnel du général[55],[56], et est le candidat des gauches au second tour contre de Gaulle lors de l'élection présidentielle de 1965[57].
Dans lesannées 1950 et au début desannées 1960, laCGT sera particulièrement active contre de Gaulle, qu'elle accuse d'être le parti américain[58],[59].

Durant les évènements deMai 68, de manière générale, tous les manifestants rejettent le pouvoir gaulliste qu'il jugent tour à tour dictatorial, dépassé et non légitime[60].
Les positionsindépendantistes de Charles de Gaulle vis-à-vis duQuébec, manifestées notamment par son discours« Vive le Québec libre ! » àMontréal, refroidissent le lien entre leprésident de la République et leCanada, et accessoirement, lemonde anglophone. Des politiciens canadiens, comme le chef de l'oppositionJohn Diefenbaker ou le premier ministreLester B. Pearson dénoncent la pratique gaullienne, allant jusqu'à déclarer de Gaullepersona non grata[61]. En réaction, certains journaux anglophones publient des articles antigaullistes, comme leWindsor Star traitant de Gaulle de « dictateur »[62].
Dès l'après-guerre, lescommunistes italiens dénonceront de Gaulle comme un fasciste, le qualifiant d'apprenti dictateur tout en dénonçant régulièrement sa politique européenne voir mondiale[63].
L'URSS parlera de de Gaulle comme d'un politicienmonarchiste etclérical qui préconise l'établissement d'une dictature fasciste[64].
Dans les années 1960, les antigaullistes de pays latino-américains telGermán Arciniegas, atlantiste convaincu, voient dans la politique latino-américaine de la France la tentative d’immixtion de l’URSS dans les affaires continentales à partir deCuba[65].
En novembre 1962, alors que le ministre fédéral allemand de la défenseKai-Uwe von Hassel est en voyage auxÉtats-Unis pour conclure un accord militaire germano-américain, certains parlent d'une opération antigaulliste visant à saper les efforts de rapprochement entre laFrance et l'Allemagne de l'Ouest[66].
En 1967, à la suite d'un énièmevéto de de Gaulle sur l'adhésion de la Grande Bretagne à la Communauté économique européenne, le quotidien néerlandaisNRC Handelsblad publie un article dans lequel il affirme que la Cinquième République du général n'est pas un exemple de démocratie, cherchant à dominer ses voisins en imposant ses idées sur ce que devrait être l'Europe[67].
Vers la fin desannées 1950, dans la crainte de préparation d’activités clandestines visant à préparer un retour illégal de leur chef, les agents du Service de Sécurité de la Défense Nationale et des Forces Armées accrurent leur surveillance des officiers stationnés enzone d'occupation et fichés comme adhérents au gaullisme[68].