L'anticapitalisme regroupe un ensemble de mouvements qui s'opposent aucapitalisme. Les aspects visés diffèrent selon les conceptions et peuvent notamment concerner, sans y être limités, leprofit et l'importance de l'argent, laspéculation, lesalariat, laconcurrence économique, les effets considérés comme des effets néfastes du capitalisme sur la société telles lesinégalités économiques et sociales qu'il entraîne[2],[3] et la considération de son« immoralité » consécutive, la course d'accumulation induite et ses conséquences pour l'environnement[4],[5], ou les formes sociales de base du capitalisme.
Un spectre politique large et très divers s'est réclamé ou se réclame de l'anticapitalisme[6],[7],[8]. En effet, on retrouve aussi bien des courants politiques anticapitalistes àgauche qu'àdroite.
Les idées anticapitalistes se sont développées de pair avec l'essor du système capitaliste.
L'anticapitalisme socialiste naît dans lesannées 1840[9],[10]. Porté par uneclasse ouvrière démographiquement croissante et pauvre, il se développera plus tard au sein de l'Association internationale des travailleurs (AIT, 1864-1872), dont il est le principal courant. L'AIT déclare que « l'assujettissement économique du travailleur au détenteur des moyens du travail, c'est-à-dire des sources de la vie, est la cause première de la servitude dans toutes ses formes, de la misère sociale, de l'avilissement intellectuel et de la dépendance politique ». Elle ajoute que « la lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière n'est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe, mais pour l'établissement de droits et de devoirs égaux, et pour l'abolition de toute domination declasse »[11].
Au lendemain de l'écrasement militaire de laCommune de Paris en1871, c'est la scission entre « marxistes » et « anarchistes » autour de la méthode pour abolir lecapitalisme : les « marxistes » estiment nécessaire de participer aux élections, alors que les « anarchistes » prônent l'abstention. Ces courants sont par contre d'accord sur la nécessité d'une action des exploités eux-mêmes, par une révolution sociale, ainsi que sur l'internationalisme et la lutte contre la société divisée enclasses sociales (pour unesociété sans classe).
Jusqu'en1917, les marxistes étaient souvent dénommés « collectivistes » ou « socialistes ».
Aujourd'hui, l'anticapitalisme est divisé en trois grands courants :
Les marxistes (communistes et socialistes révolutionnaires), dont certains se présentent aux élections.
Les écologistes radicaux (altermondialistes, écologistes sociaux etobjecteurs de croissance), qui choisissent souvent de se présenter aux élections aux côtés des marxistes.
Les anarchistes qui refusent de se présenter aux élections, et prônent le plus souvent l'abstention.
Par la suite, l'anarchisme en tant que mouvement organisé a perdu une grande partie de son influence mais parvient à la fin duXXe siècle à subsister[13].
Karl Marx consacre plusieurs décennies à étudier et expliquer le fonctionnement, l'histoire et le développement dumode de production capitaliste. Son plus célèbre ouvrage sur ce sujet estLe Capital dont le livre premier est publié en 1867[14]. Marx arrive à la conclusion que le capitalisme est un système profondément et par nature inégalitaire, qui contraint les êtres humains à l'aliénation et à la lutte fratricide, qui doit donc être aboli.
Lesmarxistes participent à la fondation et au développement des partissocialistes qu'ils regroupent en1889 au sein de laDeuxième Internationale. Cette dernière explose à la suite de l'éclatement de laPremière Guerre mondiale en1914. Seule une minorité s'oppose à la guerre et maintient des liens internationaux au cours des conférences deKiental et deZimmerwald enSuisse. C'est notamment sur la question de la guerre qu'éclate laRévolution russe en1917, qui aboutit, après un processus derévolution permanente long de huit mois, à la prise du pouvoir par lesbolcheviks. Les divisions apparues lors de la Première Guerre mondiale et les différentes attitudes vis-à-vis de la révolution russe font partie des causes du fractionnement du marxisme en de nombreux courants, aux orientations très différentes :réformisme,léninisme,luxemburgisme,conseillisme, etc.
À la suite des interprétations du « marxisme hétérodoxe » (ou dit marxisme occidental[15]), un nouveau courant théorique distinct de l'ensemble des marxismes, apparaît au tournant des années 1986-1987, d'abord en Allemagne (groupeKrisis), quand dans des versions peu différentes et chez plusieurs auteurs à différents endroits du monde, on voit la publication de nouvelles thèses assez proches dans leurs résultats.
Cette critique du capitalisme se fait non pas du point de vue du travail mais plutôt de la possibilité de son abolition. C'est une critique aussi bien du mode de distribution que du mode de production capitaliste en partant de l'analyse des catégories finalement reconnues comme historiquement spécifiques au capitalisme et que sont la valeur, la marchandise, l'argent, le travail, le capital. La critique est dite alors radicale, car elle analyse de façon approfondie les catégories qui sont à la base (à la racine) de la socialisation, de nous tous, dans le capitalisme. Elle est dite aussi pour cela, « critique catégorielle ».
Lesyndicalisme révolutionnaire s'oppose au capitalisme directement sur le lieu de travail, et souhaite « l'émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l'expropriation capitaliste »[16]. Les syndicalistes révolutionnaires désirent, pour la plupart, remplacer le capitalisme par lesocialisme autogestionnaire.
Certains courants de l'écologie politique sont partisans de la« fin du capitalisme », puisqu'ils l'estiment incompatible avec la protection de l'environnement.André Gorz etJean Zin en sont les auteurs les plus notables.
Une partie d'entre eux se réclament de l'écosocialisme. Depuis peu le mouvement des objecteurs de croissance (et lesdécroissants) remettent eux aussi en cause le capitalisme qu'ils jugent tropproductiviste. En France ils sont représentés par l'Association d'objecteurs de croissance (ADOC) regroupant le Mouvement des objecteurs de croissance (MOC) et leParti pour la décroissance (PPLD). De plus certainsaltermondialistes radicaux (souvent proches des partis communistes ou d'extrême gauche) se réclament anticapitalistes. Même si au départ les altermondialistes ne remettent pas en cause la propriété privée,cette tendance prend de l'importance et, en France, altermondialiste devient de plus en plus synonyme d'anticapitaliste.[réf. nécessaire]
Si les mouvementschrétiens sont généralement réfractaires à l'idée de révolution, et si la lutte contre les idéologies leur a paru plus urgente au cours des derniers siècles, il n'en reste pas moins que certaines traditions chrétiennes s'opposent aucapitalisme.
Le philosopheLuc Ferry écrit ainsi :« On trouvera dans leCatéchisme officiel de l'Église (§ 2424) une explication de ce profond rejet à travers une critique du système capitaliste que Marx aurait pu signer des deux mains : « Une théorie qui fait du profit la règle exclusive et la fin ultime de l'activité économique est moralement inacceptable ». Ce n'est évidemment pas l'argent en soi, a fortiori son partage qui sont condamnés, mais ce glissement inexorable par lequel il devient fin plus que moyen, signant ainsi le passage d'une logique de l'être à une logique de l'avoir »[17].
En France, le philosophe chrétienEmmanuel Mounier et son personnalisme rejoignent également l'anticapitalisme. Il écrivait ainsi dans la revueEsprit en :« L'avenir dira si l'authentique élan anticapitaliste qui anime au moins une fraction active du monde fasciste a l'importance et l'efficacité que nous lui souhaitons »[19]. Le personnalisme chrétien de Mounier se réclame anticapitaliste, critiquant ce qu'il estime être une assimilation de l'être à l'avoir[20]. DansTrois tentations dans l’Église, l'historienAlain Besançon décrit, en s'y opposant, les sympathies anticapitalistes d'une partie de la hiérarchie catholique française[21].
Dans la première moitié duXIXe siècle,Etienne Cabet est un autre représentant de l'anticapitalisme chrétien, qui rejoint le communisme sur de nombreux points, mais pas sur ses prémisses[22]. Pour Cabet, supprimer la propriété et instaurer une société qui revienne à un supposécommunisme primitif, c'est revenir au seul vrai christianisme, corrompu par l’Église catholique. Il propose un système fondé sur la propriété collective, la suppression de la monnaie et le principe « À chacun suivant ses besoins. De chacun suivant ses forces ». L'individualisme est combattu, comme la recherche de la liberté : « la passion aveugle pour la liberté est une erreur, un vice, un mal grave ». Ainsi, pour des raisons différentes des marxistes, Cabet entend revenir à la vraie foi : « Le communisme, c’est le Christianisme […] c’est le Christianisme dans sa pureté, avant qu’il ait été dénaturé par le Catholicisme » (inLe vrai christianisme)[23].
Sans aller jusqu'à une opposition franche au capitalisme,Bernard Perret s'interroge sur le fait que le capitalisme soitdurable[24].
Les premières communautés chrétiennes ont été en outre souvent interprétées comme des ébauches de communautés communistes[25].
Notamment sous l'influence des traditions religieuses, l'aile traditionaliste de l'extrême droite peut voir l'argent comme malsain et corrupteur des valeurs morales ; par exemple, lemaréchal Pétain déclarait à propos de l'argent :« Pour notre société dévoyée, l'argent, trop souvent serviteur et instrument du mensonge, était un moyen de domination »[28].
Par souci denationalisme, certains rejettent l'idée que des étrangers puissent avoir une influence, ou que des citoyens fassent passer leur intérêt financier avant les intérêts nationaux notamment en faisant des affaires avec des étrangers ; par conséquent certains réclament un contrôle fort sur les financiers et les acteurs du commerce international, collectivement flétris comme « apatride », et sur lessociétés de capitaux caractéristiques du capitalisme,a fortiori lorsqu'il s'agit demultinationales. Leur idéal est plutôt lasociété de personnes, ou mieux encore le petit entrepreneur individuel tels que l'artisan, l'agriculteur ou le professionnel libéral (médecin, avocat…).
Cette critique s'accompagne rarement d'une remise en cause de la petite propriété privée même pour les moyens de production, et à ce titre n'est pas vue comme anticapitaliste par des radicaux, mais elle vise bien le grand capital et les structures sociales associées (grandes entreprises, salariat massif).
Bien que le nazisme se réclame du socialisme, il n'entretient pas de rapports avec les mouvements et courants socialistes, et leur voue au contraire une hostilité radicale[30] qui leur vaut d'être réprimés et interdits dès l'accession d'Hitler au pouvoir[31].
Lesnazis estiment que le capitalisme cause des torts aux Nations de par la finance internationale, la domination économique des grandes entreprises et de l'influence supposée desJuifs[32]. Les affiches de propagande nazies destinées aux quartiers ouvriers exacerbaient l'anticapitalisme. Sur l'une d'entre elles était écrit :« Le maintien d'un système industriel pourri n'a rien à voir avec le nationalisme. Je peux aimer l'Allemagne et détester le capitalisme »[33].
Hitler exprimait, autant en public qu'en privé, un profond mépris pour le capitalisme, l'accusant de prendre les nations en otage au bénéfice des intérêts d'une classe derentierscosmopolites et parasites[34]. Il s'opposait à l'économie de marché et à la recherche effrénée duprofit, et souhaitait une économie respectueuse de l'intérêt général[35]. Il n'estimait pas le capitalisme digne de confiance en raison de sa nature égoïste, et lui préférait uneéconomie dirigiste subordonnée aux intérêts du peuple[34]. Hitler affirma en 1934 à un cadre du parti que« le système économique contemporain était la création desJuifs »[36]. Hitler confia un jour àBenito Mussolini que« le capitalisme a fait son temps »[34]. Hitler estimait également que la grande bourgeoisie d'affaires« ne connaissait rien d'autre que les profits. La Patrie n'est qu'un mot pour eux »[37]. Hitler considéraitNapoléon comme un modèle pour son comportement anticonservateur, anticapitaliste et antibourgeois[38].
DansMein Kampf, Hitler témoigne de son attachement aumercantilisme, car il pensait que les ressources économiques liées à un territoire devaient être réquisitionnées par la force. Il croyait que l'application du concept d'espace vital apporterait à l'Allemagne ces territoires précieux pour l'économie[39]. Il pensait que le seul moyen de maintenir la sécurité économique était de maintenir un contrôle direct sur les ressources plutôt que de dépendre du commerce international[40]. Il affirmait que faire la guerre pour s'octroyer ces ressources était le seul moyen de devancer le système économique capitaliste déclinant[39].
Nombreux sont les nazis embrassant des convictionssocialistes révolutionnaires et anticapitalistes, et tout particulièrementErnst Röhm, le chef de laSturmabteilung (SA)[41][citation nécessaire]. Röhm affirmait que l'arrivée des nazis au pouvoir constituait une révolution nationale, mais il déclara avec insistance qu'une« seconde révolution »socialiste était nécessaire pour que l'idéologie nazie soit aboutie[42][citation nécessaire]. LesSA de Röhm attaquèrent les personnes jugées complices du mouvement réactionnaire[42]. Hitler considérait que les actions entreprises par Röhm de sa propre initiative étaient irrespectueuses, menaçaient potentiellement son autorité et mettaient en péril le régime en s'aliénant la sympathie du PrésidentPaul von Hindenburg et de la frange conservatrice de l'armée allemande[42]. Cela conduit Hitler à mener des purges parmi les éléments les plus radicaux des SA, y compris Röhm[43]. Un autre nazi radical, le ministre de la PropagandeJoseph Goebbels affirmait le caractère pleinement socialiste du nazisme, et écrivit dans son journal personnel que s'il devait choisir entre leBolchévisme et le capitalisme,« en définitive »,« il serait préférable pour nous d'aller vers le bas avec le bolchevisme que de vivre dans l'esclavage éternel du capitalisme »[44].
Cependant, selonIan Kershaw, « loin de porter atteinte au capitalisme, Hitler en fit un auxiliaire de l’État »[45].
↑Jean-MarieHarribey etothers, « Le régime d’accumulation financière est insoutenable socialement et écologiquement »,HARRIBEY, J.-M.; LOWY, M. Capital contre nature. Paris: PUF, Actuel Marx Confrontation,,p. 109–121(lire en ligne)
↑Jean-MarieHarribey etothers, « La lourdeur insoutenable du développement capitaliste »,La Pensée,vol. 331,(lire en ligne, consulté le)
↑Michel Lequenne,Le trotskisme, une histoire sans fard, Syllepse, 2005, p. 333
↑Alain Bihr,Le spectre de l'extrême droite. Les français dans le miroir du front national, Éditions de l'Atelier, 1998, p. 157
↑Ruggero Gambacurta-Scopello, « Qui sont les théologiens de la libération ? »,lemondedesreligions.fr,(lire en ligne, consulté le) :
« Le document Libertatis nuntius, établi par la Congrégation en 1984, s’il considère comme louable l’intérêt pour les pauvres, conclut néanmoins que la théologie de la libération est incompatible avec la doctrine de la foi. »
Michel Vakaloulis,Jean-Marie Vincent etPierre Zarka,Vers un nouvel anticapitalisme : pour une politique d'émancipation, Éditions du Félin, collection « Questions d'époque », 2003, 192 p.