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Il est suivi, historiquement, par un autre stade : lemoyen français. Ces distinctions temporelles de l'état de lalangue ont cependant été définies de façon relativement arbitraire et récente par les linguistes. Du point de vue des locuteurs, l'évolution était peu ou pas ressentie, car lelatin a évolué en roman puisfrançais de façon continue et progressive, sans qu'une coupure soit perçue entre les différents stades de cette évolution[2],[Note 2].
L'ancien français est l'ancêtre du français parlé aujourd'hui, mais également, et plus généralement de l’ensemble des langues d’oïl (gallo,lorrain,normand,picard,wallon, etc.). La généralisation du français en France est cependant très tardive. Par exemple, on estime qu'à la veille de laRévolution française, les trois quarts de la population française avaient unparlerdialectal ou parlaient une autre langue.
Importance de l'ancien français dans l'histoire linguistique
Langue de culture et de littérature, l'ancien français est très bien attesté et l'on peut constituer son histoire avec une grande précision (tantlexicalement,morphologiquement,phonétiquement quesyntaxiquement). La série d'évolutions phonétiques ayant conduit de cette langue ancienne à la langue contemporaine est connue avec suffisamment de détails pour qu'une chaîne phonétique partant du latin et arrivant au français puisse être fournie siècle par siècle. L'étude du français et de son histoire ne peut se passer de la connaissance de l'ancien français. Du reste, cette matière (ainsi que son aspect phonétique historique) est obligatoire auCertificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES) et aux agrégations delettres modernes, delettres classiques et degrammaire, concours que l’on passe enFrance pour enseigner la langue et lalittérature française.
Les caractéristiques phonologiques des mots sont représentées suivant le système deBourciez, oualphabetdes romanistes, couramment utilisé dans les descriptions phonologiques de l'évolution du français.
Lelatin classique utilisait dixphonèmesvocaliques différents, distribués en cinq voyelles brèves (notéesă,ĕ,ĭ,ŏ etŭ) et leurs cinq équivalents longs (ā,ē,ī,ō etū [aː eː iː oː uː]). En effet, en latin, lalongueur du son estphonologique, c'est-à-dire pertinente : deux mots peuvent ainsi avoir comme seule différence la longueur d'une de leurs voyelles,vĕnit [ˡwenit] « il vient » est différent devēnit [ˡweːnit] « il vint » ;pŏpulum [ˡpopulum] « peuple » est différent depōpulum [ˡpoːpulum] « peuplier ».
En latin, la plupart des mots ont unaccent tonique, seuls certains mots grammaticaux n'en ont pas. Cet accent se place généralement sur l'avant-dernièresyllabe du mot, un mot accentué ainsi est ditparoxyton. S'il s'agit d'un monosyllabe, l'accent est sur la seule syllabe du mot, c'est unoxyton. Enfin, s'il s'agit d'un mot polysyllabique dont l'avant-dernière syllabe est brève[Note 5] l'accent est placé sur l'antépénultième syllabe, c'est unproparoxyton.
« L'ancienneté du phénomène explique que toutes les langues romanes en aient été marquées (it., esp.,caldo, lardo, sordo…). Toutefois, c'est le gallo-romain du Nord qui a connu les effacements les plus systématiques (et donc l'intensité accentuelle maximale). Mis à part quelques mots savants […], aucune voyelle pénultième ne s'est maintenue, pas mêmea qui demeure pourtant dans les autres positions atones :cál(ă)mum > chaume, cól(ă)pum > coup. Il en résulte qu'auVe siècle, l'accentuation proparoxytonique est pratiquement éliminée en Gaule, alors que l'italien et l'espagnol la connaissent encore aujourd'hui. »
Quand la prétonique interne est una, soit, si elle est entravée, elle persiste[Note 8], soit, si elle est libre, elle devient /e̥/ vers leVIIe siècle[Note 9].
En ancien français les terminaisons peuvent parfois varier, en l'absence de norme. Par exemple, dans les poésies, en français moderne, il n’est pas possible de changer la syllabe finale pour faire rimer la phrase, alors que c'est le cas en ancien français. Les règles d'orthographe ont été précisément fixées par les grammairiens auXVIIe siècle.
Sur le planmorphologique, l'ancien français est encore unelangue flexionnelle[Note 10], mais il présente déjà une grande réduction des flexions par rapport aulatin. Le système du nom connaît déjà les deuxgenres (masculin / féminin) et les deuxnombres (singulier / pluriel) du français moderne, mais conserve également unedéclinaison à deuxcas :
lecas régime, hérité de l'accusatif latin, marque toutes les autres fonctions.
Quelques exemples :
Type I (féminin)
Type II (masculin)
Type III (mixte)
normal
hybride (Ia)
normal
hybride (IIa)
IIIa (masc. en -eor)
IIIb (masc. en -on)
IIIc (fém. en -ain)
IIId (irréguliers masc. et fém.)
sg.
sujet
la dame
la citez
li murs
li pere
li chantere
li lerre
la none
li cuens
la suer
régime
la dame
la cité
le mur
le pere
le chanteor
le larron
la nonain
le conte
la seror
pl.
sujet
les dames
les citez
li mur
li pere
li chanteor
li larron
les nones
li conte
les serors
régime
les dames
les citez
les murs
les peres
les chanteors
les larrons
les nonains
les contes
les serors
Note : Les noms de type I et II étaient de beaucoup les plus nombreux.
En distinguant formellement sujet et complément, la déclinaison bicasuelle permettait d'employer sans ambiguïté des ordres de mots devenus impossibles plus tard :la beste fiert li cuens,si fiert li cuens la beste etli cuens fiert la beste signifient tous sans équivoque « le comte frappe la bête »,li cuens étant marqué explicitement comme sujet. Le cas sujet remplit ici la fonction de sujet, mais il peut aussi remplir celle d'apostrophe ou d'apposition au sujet.
Même si cette déclinaison bicasuelle est vivante dans la littérature, on relève de temps à autre des « fautes » dans les textes. La désagrégation du système est probablement due à la forme phonétique des désinences qui prêtaient à confusion[Note 11], à son caractère incomplet[Note 12] ainsi qu'à l'amuïssement progressif des consonnes finales en français[Note 13]. Cette désagrégation n'a cependant pas été uniforme. Dans un large mouvement de l'ouest vers l'est, ce système a été aboli d'abord dans les dialectes de l'Ouest, ensuite dans le Centre avec la région parisienne pour rester vivant dans les dialectes de l'Est jusqu'auXVe siècle.
Lelexique français actuel hérité de l'ancien français provient généralement du cas régime, le plus fréquent dans le discours. Dans quelques cas cependant, c'est le cas sujet qui s'est conservé[Note 14]. Tel est le cas defils,sœur,prêtre,ancêtre, et de nombreux prénoms. Quelquefois, le cas sujet et le cas régime se sont tous deux maintenus dans la langue moderne, parfois avec des sens différents. C'est le cas pourgars /garçon,copain /compagnon,sire /seigneur,pâtre /pasteur,chantre /chanteur,nonne/nonnain etpute /putain.
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La syntaxe de l'ancien français, présentée notamment par Philippe Ménard dans son ouvrage toujours d'actualité[4], se distingue par une plus grande souplesse que la syntaxe du français moderne. La présence d'une déclinaison à deux cas, les habitudes héritées du latin et l'absence de tradition écrite pouvant servir de modèle contraignant, font de l'ancien français une langue encore marquée par l'oralité et sa liberté propre, ainsi que par un choix plus large que pour le français moderne relativement à l'ordre des mots. Pour autant, les règles en sont suffisamment claires, naturellement, pour la compréhension mutuelle des locuteurs, les usages en sont suffisamment récurrents. Aussi des principes syntaxiques ont-ils pu être dégagésa posteriori. Leur étude, particulièrement intéressante, manifeste la souplesse et la vitalité d'une langue essentiellement utilisée pour les récits et la poésie jusqu'auXIIIe siècle. On peut en tracer les grandes lignes selon la catégorie grammaticale.
Lesubstantif[4] s'utilise soit au cas sujet, soit au cas dit régime.
Le cas sujet[5] remplit les fonctions de sujet, d'apostrophe, d'apposition au sujet ou d'attribut du sujet :Li mortiers sent les aulz (« Le mortier sent l'ail » :Proverbes, 1099) ;Biax fix, as prodomes parlez (« Cher fils, parlez aux gens de bien »,Chrétien de Troyes,Perceval ou le Conte du Graal, v. 563) ;Uns chevaliers sui (« Je suis un chevalier »,Lancelot en prose, III, 195).
le complément d'objet indirect (complément d'attribution ou de destination) :Ne orfelin son fié ne li toldrez (« Et à l'orphelin vous ne prendrez pas son fief »,Couronnement de Louis, v. 67) ;
le complément placé derrière préposition :et fu menez ou chastel (« et il fut emmené dans le château »Laurin, v. 1133) ;
le complément circonstanciel (temps, étendue, spatiale, allure), alors qu'en français moderne l'emploi d'une préposition serait nécessaire :E vint i Carlemaines fut un antif senter (« Charlemagne arriva par un très vieux sentier »,Pèlerinage de Charlemagne, v. 300) ;
les compléments absolus, c'est-à-dire les compléments circonstanciels autonomes qui marquent la manière, la situation, l'accompagnement, etc., à la façon de l'ablatif absolu ou de l'accusatif absolu des langues anciennes :Paien chevalchent... halbercs vestuz (« Les païens chevauchent... à l'abri des hauberts »,La Chanson de Roland, v. 710) ;Cist camp est vostre, mercit Deu (« Ce champ de bataille est à vous, grâce à Dieu »,ibid., v. 2183) ;
parfois les syntagmes purement nominaux (exclamations, formules ou proverbes) :Dex, quel vassal ! (« Dieu, quel guerrier ! », Chrétien de Troyes,Erec et Enide, v. 1249) ;Contre mort nul resort (« Contre la mort point de remède »,Proverbes, 417) ;Les mors as mors, les vis as vis (« Les morts avec les morts, les vivants avec les vivants », Chrétien de Troyes,Perceval, v. 3630) ;
le complément de nom : le cas régime sans préposition est fréquemment employé lorsque le déterminant est une personne. L'ordre habituel veut que le déterminé précède le déterminant :La mere Dieu puet asez plus / Que tuit li saint del ciel lasus (« La mère de Dieu a beaucoup plus de pouvoir que tous les saints du ciel »,Gautier de Coinci,Miracles, I, 6, 89) ;Vos irez a la cort le roi (« Vous irez à la cour du roi »,Perceval, 512) ;Cil qui dort es braz s'amie (« Celui qui dort dans les bras de son amie »,Rondeau, 183, 5). L'ordre déterminant + déterminé est beaucoup plus rare. Il apparaît seulement dans les textes archaïques et ne concerne que quelques formules figées, vite devenues traditionnelles :a la roi cort (« à la cour du roi »,Béroul,Tristan, v. 2498) ;la Deu merci (« grâce à Dieu »,Yvain, 948) ;al seint Denis muster (« au moutier de Saint-Denis »,Pèlerinage de Charlemagne, v. 1), etc. Très vite, on ne trouve plus guère que les mots Dieu et autrui précédant le substantif qu'ils déterminent :Chantent messe et font le Dieu mestier (« Ils chantent la messe et font le service divin »,Raoul de Cambrai, 8533) ;D'autrui cuir large corroie (« Avec le cuir d'autrui large ceinture »,Proverbes, 453).
Mais dans le complément de nom, très vite les prépositionsa etde ont été utilisées pour marquer la détermination. La prépositiona précède le cas régime lorsque le complément de nom est indéterminé, surtout lorsqu'il s'agit d'un nom de personne :Fieus a putain (« Fils de putain »,Jeu de saint Nicolas, v. 134) ;une meisun a un hermite / Trova (« Il trouva un logis d'hermite »,Yvain, v. 2831) ;Tu as la loi au plonc (« Tu as l'apparence du plomb »,Jourdain de Blaye, v. 398). La prépositionde s'emploie devant les noms d'animaux et de choses. Très vite, elle a été utilisée devant les noms qui désignent une classe d'individus, devant les pronoms, et même devant les noms de personnes :La dame du chastel (« La dame du château »,Perlesvaus, v. 1445) ;Li amours de l'oume est ens el cuer plantee (« L'amour qu'éprouve l'homme est plantée au plus profond du cœur »,Aucassin et Nicolette, 14, 18) ;Por l'amor de li (« Par amour pour elle »,Aucassin, 40, 16) ;Ço est li granz dulors por la mort de Rollant (« C'est la grande douleur pour la mort de Roland »,La Chanson de Roland, v. 1436).
Lesdéterminants[7], dans la foulée du latin, ne sont pas toujours utilisés. Les terminaisons des substantifs s'entendant encore, ils n'étaient pas aussi nécessaires qu'en français moderne. Lorsqu'ils sont utilisés, ils sont soumis à la déclinaison à deux cas de l'ancien français. Comme en français moderne, on distingue les articles, les démonstratifs, les possessifs, les indéfinis et les numéraux. Ces derniers n'ont pas de spécificité marquée par rapport au français moderne.
Les articles sont soit absents, soit définis, soit indéfinis, soit partitifs.
L'article est absent :
Devant les noms communs, lorsque le substantif ne s'inscrit pas dans un temps et un espace déterminés, lorsqu'il n'est pas engagé dans une situation nettement spécifiée. L'absence d'article constitue le degré zéro de la détermination. Il en va ainsi pour beaucoup de mots abstraits ou pris en un sens général, pour beaucoup de locutions qui ne font pas référence à un contexte particulier, pour les termes employés dans des comparaisons générales ou unis à des mots ayant valeur générale commetout :Courtoisie passe beaulté (« La courtoisie l'emporte sur la beauté »,Proverbes, 425) ;Qui merci crie merci doit avoir (« Quand on demande grâce, on doit être exaucé »,Guillaume le Vinier, X, 1) ;Blanche ad la barbe cume flur en avrill (« Il a la barbe blanche comme une fleur d'avril »,Roland, v. 3503) ;Toute parole ne fait a croire (« Toute parole ne mérite pas d'être crue »,Proverbes, 2389).
Devant les noms propres (personnes, pays régions, fleuves), car ils sont suffisamment déterminés par eux-mêmes et n'ont nul besoin d'article :Devers Ardene (« Du côté de l'Ardenne »,Roland, v. 728) ;L'oz est sor Tamise logiee (« L'armée campe au bord de la Tamise », Chrétien de Troyes,Cligés, v. 1251).
L'article défini est employé dans les cas particuliers suivants[8] :
L'apostrophe est parfois précédée de l'article :C'as enpensé, li fiex au roi Charlon ? (« Qu'as-tu décidé, fils du roi Charles ? »,Aliscans, v. 3044).
L'article (issu du démonstratifille) peut avoir une valeur démonstrative :Deuz feiz le vout mordre le jur ! (« Ce jour-là, il essaya de le mordre à deux reprises »,Marie de France,Bisclavret, v. 203).
Devant un cas régime, lorsqu'il y a ellipse d'un substantif mentionné antérieurement, les formesle,la,les jouent le rôle d'un véritable démonstratif au sens de « celui », « celle », « ceux » :Lors se parti li rois Mordrains de sa nef et entra en la Nascien (« Le roi Mordrain quitta le navire et entra dans celui de Nascien »,Queste del Saint Graal, 208, 10).
L'article est parfois utilisé de manière expressive pour faire référence à une réalité bien connue, à un type traditionnel (article de notoriété) :Lors lor covint sofrir les tres grans povretés (« Il leur fallut alors supporter les très grandes pauvretés [que l'on connaît en pareille situation] »,Renaut de Montauban, 85, 6).
En ancien français comme en latin, l'article indéfini a parfois le sens fort de « un seul », « le même » :Moult par furent bien d'un lignage (« Ils appartenaient au même lignage »,Roman de Renart, éd. Martin, branche XXIV, v. 92) ;Si crient tuit a une vois (« Ils crient tous d'une seule voix »,Perceval, 2153).
Le plurieluns, propre à l'ancien français, a une valeur collective[10].
Il s'applique à des choses qui vont par deux, qui forment une paire :uns gans, « une paire de gants » ;unes braies, « une culotte » ;unes botes, « une paire de bottes » ;uns draps, « des draps » ;unes joes, « des joues ».
Il s'applique aussi à des choses complexes qui, tout en ayant une unité, sont formées d'une multiplicité d'éléments :uns cops, « une volée de coups » ;unes loges, « une série de loges » ;unes armes, « une armure » ;unes noveles, « des nouvelles » ;uns grans dens, « une grande denture » ;unes praeries beles, « une suite de belles prairies » ;uns dras, « des habits, un habillement » :Et avoit unes grandes joes (« Et il avait de grandes joues »,Aucassin, 24, 16) ;Se donent uns cops (« Ils se portent une volée de coups »,Première Continuation de Perceval, v. 885, manuscritT).
L'article dit « partitif », qui s'applique aux choses qui ne se dénombrent pas par unités, est très rare en ancien français.
Lesdémonstratifscil etcist sont utilisés à la fois comme pronoms et adjectifs (déterminants)[11]. Maiscil s'emploie plutôt comme pronom etcist commeadjectif. Il y a normalement une opposition assez nette entrecil etcist : alors quecist indique la proximité,cil marque l'éloignement dans l'espace, le temps ou la sphère d'intérêt psychologique. En ancien français comme en français moderne le démonstratif a deux grandes valeurs :
a)Cist (maintenu tel quel en wallon contemporain devant une voyelle), étant un démonstratif de la proximité, s'emploie plus fréquemment dans le dialogue que dans la narration au passé :An cestui lit voel ge jesir (« C'est dans ce lit-là que je veux coucher », Chrétien de Troyes,Lancelot, v. 501).
Cist marquant la proximité d'intérêt (d'un point de vue subjectif) peut être un substitut du déterminant possessif de la première personne :Conseiliez cest dolent chaitif ! (« Venez en aide au pauvre malheureux que je suis ! »,Renart, v. 1207).
b)Cil étant un démonstratif d'éloignement est habituel dans le récit qui rapporte des événements passés. Il s'emploie même devant un présent « historique ». On remarquera quecil est constamment utilisé même lorsqu'il y a changement de sujet. Dans ce cas il convient de le traduire par « l'autre » :Li reis apelet Malduit, sun tresorer : / L'aveirs Carlun, est il apareilliez ? / E cil respunt : Oïl, sire, asez bien. (« Le roi appelle Mauduit, son trésorier : Le trésor de Charles, est-il préparé ? L'autre répond : Oui, seigneur, fort bien »,Roland, v. 643).
Cil... cil est courant dans le récit pour marquer l'opposition au sens de « les uns... les autres » :Cil se defendent, cil assaillent (« Les uns se défendent, les autres attaquent »,Première Continuation de Perceval, v. 5755, ms.E).
Cil marquant l'éloignement peut être un substitut du déterminant possessif de la deuxième personne :Ja Dix ne m'aït... se je ne vous fac ja cele teste voler (« Que Dieu se détourne de moi si je ne fais pas voler votre tête »,Aucassin, X, 73).
a) Le démonstratif est parfois une variante expressive de l'article. Au pluriel, on rencontre le cas sujetcil et le cas régimecez employés dans des descriptions traditionnelles pour désigner des êtres ou des choses conformes à un type connu (démonstratif de notoriété) :Ce fu en mai el novel tens d'esté ; / Florissent bois et verdissent cil pré, / Ces douces eves retraient en canel, / Cil oisel chantent doucement et soëf (« C'était en mai, au renouveau de l'été. Les bois fleurissent, les prés [du printemps] redeviennent verts, les douces eaux [du printemps] retrouvent leur lit, les oiseaux [du printemps] chantent doucement et suavement »,Prise d'Orange, v. 39).
b) Le démonstratifcil s'emploie fréquemment avec valeur déterminative devant une proposition relative :Par cel apostre qu'on quiert en pré Noiron (« Au nom de l'apôtre que l'on prie dans les prés de Néron »,Couronnement de Louis, v. 1797) ;S'en fuit par le val molt fort, / Comme cil qui redoute mort (« Il s'enfuit précipitamment à travers la vallée en homme qui craint de mourir »,Fergus, 4, 32).
c) Dans les propositions négatives le démonstratifcil suivi d'un relatif prend une valeur indéterminée. La locutionn'i a celui qui, très fréquente en ancien français, signifie « il n'y en a pas un qui, il n'y a personne qui ». On notera que le pronom relatif n'est pas toujours exprimé en pareil cas :N'i a celui ki durement ne plurt (« Il n'en est aucun qui ne pleure amèrement »,Roland, v. 1814) ;N'i a celui ne face duel (« Il n'y en a pas un seul qui ne se désole »,Béroul, v. 879).
Le déterminantpossessif a des formes toniques (prenant l'accent tonique) et des formes atones (sans accent tonique)[13]. L'opposition entre les deux séries n'existe qu'au singulier, car les formes du pluriel (nostre,vostre etlor) sont à la fois toniques et atones. Au singulier, les formes atones du possessif servent uniquement de déterminants ; les formes toniques s'emploient comme pronoms et comme déterminants.
On notera que les formes atones peuvent porter sur un adjectif ou un participe substantivés :Et puis panse chascuns por lui / C'or a il son paroil trouvé (« Et chacun pense par devers soi qu'il a trouvé son pareil »,Yvain, v. 6207) ;Guerpi ses conissanz (« Il abandonna ses relations »,Thomas Becket, v. 2618).
On notera qu'en ancien français les formesma,ta,sa (élidées) s'emploient toujours devant un substantif féminin commençant par une voyelle ou unh muet, alors qu'en français moderne elles ont remplacées parmon,ton,son :M'amie i dort (« Mon amie y dort »,Guillaume le Vinier, XIX, 44) ;Il trait Almace, s'espee d'acer brun (« Il tire Aumace, son épée d'acier brun »,Roland, v. 2089).
Elles ont assez de corps et d'autonomie pour servir de pronom attribut. Le français moderne utilise plutôt la prépositionà suivie d'un pronom personnel :Cist camp est vostre, mercit Deu, vostre e mien (« Ce champ de bataille est à vous, grâce à Dieu, à vous et à moi »,Roland, v. 2183) ;Meie est la honte (« La honte est la mienne »,Le Roman de Troie, v. 2890).
Elles peuvent être précédées de l'article défini et jouer le rôle d'un adjectif substantivé :Le mien ert abandoné (« Tous mes biens seront mis à sa disposition »,Eenas, v. 614).
Précédées d'un article (défini ou indéfini) ou bien d'un démonstratif, les formes toniques servent de déterminant possessif devant un substantif. Parfois la forme tonique a valeur d'insistance :li miens amis équivaut à « mon ami à moi ». Parfois la forme tonique a la même valeur que la forme atone :li miens amis signifie simplement « mon ami », tout commemes amis :La meie mort me rent si anguissus ! (« Ma propre mort me rend plein d'angoisse ! »,Roland, v. 2198).
3o Le déterminant possessif est parfois employé parpléonasme. Pour des raisons d'anacoluthe la mention du possesseur est faite à deux reprises. Tantôt, le déterminant possessif vient en premier, et il est suivi d'un complément de nom superflu ou d'une relative superfétatoire. Tantôt, l'indication du possesseur vient en tête, et du déterminant possessif devient inutile :Voient lor felonnie, voient lor crualté / Des Normanz et de Rou (« Ils voient la félonie, ils voient la cruauté des Normands et de Rou »,Rou, II, v. 1073) ;Ma dolce niece, donez li, / De voz robes que vos avez, / La mellor que vos i savez (« Ma chère nièce, des robes que vous avez, donnez-lui celle que vous tenez pour la plus belle »,Erec, v. 1350) ;Ne morra nus chevaliers en vostre court de cui vous plaingniés autant sa mort comme de cestui (« Parmi tous les chevaliers qui mourront à votre cour il n'y en a aucun dont vous déplorerez autant la mort »,Huth-Merlin, I, 224).
Il évoque une possession matérielle ou morale. On notera que le déterminant peut aussi bien avoir une valeur objective qu'une valeur subjective. Ainsipour s'amour peut signifier « à cause de son amour (pour moi, pour toi, pour lui) » ou « à cause de (mon, ton, son) amour pour (lui, elle) » :Pur vostre amur perc jeo la vie (« À cause de mon amour pour vous je perds la vie », Marie de France,Yonec, v. 320) ;N'avoit de femme amer envie, / N'avoit cure de lor deduit (« Il n'avait pas envie d'aimer une femme, il n'avait cure de se divertir avec elle »,Escanor, v. 669).
Il peut se charger d'affectivité, notamment dans les appellations (sympathie, affection, déférence, soumission, etc.) :Nos François nel sevent (« Nos Français ne le savent pas encore »,Charroi de Nîmes, v. 1468) ;Ma belle fille, car laissiez le tencier (« Ma chère fille, arrêtez donc vos reproches »,Ami et Amile, v. 423) ;Ha ! messire Gauvain, fet la damoisele, ne me gabez mie ! (« Ah ! Monseigneur Gauvain, dit la jeune fille, ne vous moquez pas de moi »,La Mort Artu, 26, 23).
Les pronoms et déterminants dits « indéfinis » n'ont pas de caractéristiques morphologiques ou sémantiques communes[16]. Alors que certains d'entre eux impliquent une indétermination, d'autres ont une valeur très précise. Pour des raisons de commodité, nous les classerons par ordre alphabétique, bien qu'ils appartiennent à des catégories différentes (qualitatifs de diversité, d'unité, quantitatifs évoquant une réalité positive sous forme d'unité, de pluralité, de totalité).
Al,el : issu dealiud oualid, ce pronom neutre apparaît surtout sous la formeel et signifie « autre, autre chose » :Je ne sui ça venuz por el (« Je ne suis pas venu ici pour autre chose »,Erec, v. 391) ;Si vunt ferir. Que fereient il el ? (« Ils s'en vont frapper. Que feraient-ils d'autre ? »,Roland, v. 1185).
Ame, qui est étymologiquement un substantif (latinanima), s'emploie parfois au sens indéfini de quelqu'un :Et par maintes foiz escouté / Se j'orroie venir nule ame (« À maintes reprises j'ai tendu l'oreille pour savoir si j'entendrais venir quelqu'un »,Le Roman de la Rose, v. 520).
Aucun, conformément à son étymologie (*alicunus), s'emploie comme déterminant ou comme pronom avec la valeur positive de « quelque, quelqu'un ». Au pluriel, il signifie « plusieurs, certains » et peut être précédé de l'article défini :li aucun, « certains » :Mes aucuns quis vit anbuschier / Le corrut au roi acointier (« Mais quelqu'un qui les avait vus s'embusquer courut l'annoncer au roi »,Brut, éd. Pelan, v. 535) ;Aucunes genz dient (« Certaines personnes disent »,Le Roman de la Rose, v. 1).
Auquant (*aliquanti) a la même valeur positive queaucun. Il s'emploie surtout au pluriel comme pronom (précédé ou non de l'article défini) au sens de « certains, plusieurs » :Li auquant dient qu'ele en estoit fuie (« Certains disent qu'elle s'était enfuie »,Aucassin, 20, 6).
Autre présente en ancien français les particularités suivantes :
À la fin d'une énumération avec la valeur de « le reste de » :S'eüssiez or un messaige envoié / Bertran le conte et a l'autre barné... (« Si vous aviez envoyé un messager au comte Bertrand et au reste de vos barons »,Prise d'Orange, v. 1402).
À la fin d'une énumération, alors qu'en français moderne le motautre apparaît seulement devant un terme dont le sens subsume les termes précédents (les boulangers et les autres artisans,l'épervier et les autres rapaces), en ancien français et qui n'appartient pas à une espèce plus générale, englobant les termes antérieurs. En pareil cas, on peut traduire autre par « d'autre part, aussi, en outre ». Mais souventautre est intraduisible :Arrement fist tribler en un mortier / Et autres herbes que connoissoit li ber (« Il fit broyer de l'encre dans un mortier ainsi que des herbes qu'il connaissait »,Prise d'Orange, v. 376).
Devant un terme, lorsqu'il y a comparaison implicite ou explicite avec un terme antérieur. Ici encoreautre est intraduisible :Ja te ferrai do pié com un autre mastin (« Je vais te frapper du pied, comme un chien »,Renaut de Montauban, 376, 10) ;Or fu Guillelmes el palés, sor la tor. / Il en apele ses autres compaignons (« Guillaume était dans la salle, à l'étage supérieur de la tour. Il appelle ses compagnons »,Prise d'Orange, v. 510).
Maint, qui est probablement à l'origine un substantif signifiant « grande quantité, masse », est devenu très tôt un déterminant par suite de son emploi devant un autre substantif. Il s'emploie en ancien français tantôt comme un élément invariable, tantôt comme un pronom-déterminant variable. Il en résulte une situation très confuse dans l'ancienne langue.
a) Comme élément invariable,maint peut être suivi directement d'un nom au singulier ou au pluriel. Il peut aussi être suivi de la prépositionde :En maint maison (« En maintes maisons »,Aiol, v. 7188) ;Maint eves (« Bien des eaux »,Troie, v. 23157) ;Maint des autres (« Nombre d'autres », Villehardouin, 51)
b) Comme élément variable,maint peut s'employer sans complément, être suivi d'un substantif singulier ou pluriel ou bien plus rarement de la prépositionde :Grant duel en font maintes et maint (« Bien des hommes et bien des femmes s'en désolent »,Perceval, v. 4812) ;Mainte joste et mainte estormie (« Mainte joute et maint combat »,Roman de la Rose, v. 1184) ;Maintes bonnes herbes (« Maintes bonnes herbes »,Pèlerinage de Charlemagne, v. 212) ;E pris e morz i oct d'eus mainz (« Il y eut là un grand nombre d'entre eux capturés et tués », Benoît,Chroniques des Ducs de Normandie, v. 6006).
Meïsme,meesme (*metipsimus) est le pronom-déterminant de l'identité et de l'insistance, notions voisines et mal distinguées en ancien français. En français moderne on place devant le nom le déterminantmême qui marque l'identité absolue au sens du latinidem, on place derrière le pronom le déterminantmême indiquant qu'il s'agit exactement de la personne ou de la chose en question au sens du latinipse. Enfin on emploie l'adverbemême au sens de « précisément, aussi » pour marquer un renchérissement ou une concession. En ancien français seul le contexte permet de sentir la nuance demeïsme,meesme.
La place demeïsme n'étant pas rigoureusement fixée, la valeur d'identité et la valeur d'insistance ne sont pas clairement distinguées.
Au sens du latinidem, le déterminantmeïsme précède assez souvent le substantif. Mais il n'est pas toujours enclavé entre l'article et le nom. De surcroît, il peut se trouver derrière le substantif :En meïsme la semaine (« La même semaine », Troie, v. 19799) ;Nuncerent vos cez paroles meïsme[s] (« Ce sont ces mêmes paroles qu'ils prononcèrent »,Roland, v. 204).
Au sens du latinipse, le déterminantmeïsme se trouve derrière un pronom, derrière (ou devant) un substantif :Mult dulcement la pleinst a sei meïsme (« Il la plaint en lui-même, très doucement »,Roland, 2343) ;Sa pel meïsme ci li vent cil li vent (« Il lui vend sa propre peau [de mouton] »,Fabliau du Boucher d'Abbeville, v. 394).
Dans certains cas, le contexte ne permet pas de trancher entre les deux nuances :Cel jur meïsme, aprés midi / Vait Elidus parler al rei (« Ce même jour, dans l'après-midi, Eliduc va parler au roi », Marie de France,Eliduc, v. 1006).
Normalement pourvu d'un-s adverbial, l'adverbemeïsmes ne se distingue morphologiquement du déterminant que dans les cas où ce dernier est dépourvu de tout-s de flexion.
L'adverbe a parfois le sens de « également, en outre, particulièrement » :lié an furent / Nostre parant, si com il durent ; / Liez an fu meïsmes le cuens (« Nos parents s'en réjouirent, tout naturellement ; le comte s'en réjouit également »,Erec, v. 6245).
L'adverbe peut également accompagner un pronom ou un substantif avec les valeurs du latinipse « même, précisément, (mon, ton, son) propre :lui meïsmes en oblie (« Il n'a plus conscience de son propre moi »,Lancelot, v. 715) ;li rois connut lors primes / Que c'estoit sa feme meïsmes (« Le roi découvrit alors que c'était sa propre femme »,Guillaume d'Angleterre, v. 2542).
On (issu du latinhomo), qui apparaît parfois sous la formeon et parfois sous la formeen,an, remplit uniquement la fonction de sujet et désigne l'agent indéterminé (soit un individu, soit un ensemble d'individus dont on ne peut pas ou dont on ne veut pas préciser l'identité).
Dans les anciens textes où il s'écrit encorehom et où il peut précéder un relatif, on assiste au glissement du substantifhom vers l'emploi pronominal :Hom ki la vait repairer ne s'en poet (« L'homme qui va là-bas ne va pas en revenir »,Roland, v. 293).
Même devenu pronom,on peut toujours être précédé de l'article :L'en ne doit pas mectre sa faulx en autruy blé (« On ne doit pas mettre sa faux dans le blé d'autrui »,Proverbes, 1497).
Plusiors (qui apparaît aussi sous la formepluisors, ouplusors) est le pronom-déterminant marquant la pluralité. Lorsqu'il est précédé de l'article défini, il signifie « la plupart » :Mult s'esmerveillent li plusur (« La plupart des gens sont fort surpris »,Bisclavret, v. 204).
Tant s'emploie en ancien français comme déterminant (issu detantus) ou comme adverbe (issu detantum). On notera :
quetant déterminant s'emploie aussi bien devant un substantif singulier (à valeur collective) que devant un substantif pluriel :Tant baron voit et tante beste (« Il voit tant de barons et tant de bêtes »,Renart, v. 1565) ;
quetant adverbe est suivi ou non de la prépositionde :Tant i avra de besanz esmerez (« Il y aura tant de besants d'or fin »,Roland, v. 132).
au singulier,tel est fréquent, notamment dans les groupestels... qui :Telz cuide estre touz sains qui est a la mort (« Tel se croit en parfaite santé qui est tout près de la mort »,Proverbes, 2344) ;
au pluriel,tel se rencontre assez souvent dans le syntagmetels i a oude tels i a qui signifie « il y a des gens », « certains ». En ancien françaistels i a équivaut souvent à un pronom indéfini comme le montrent l'ordre des mots, l'absence fréquente du relatifqui et parfois l'emploi d'une préposition devanttels :Si ot de tex cui molt greva (« Il y eut des gens à qui cela déplut beaucoup »,Yvain, v. 44).
Lespronoms personnels en ancien français ont un statut particulier du fait que l'habitude rythmique de la langue fait constamment débuter une phrase par un élément tonique[17]. Le pronom personnel s'y trouve donc difficilement. Quelques exceptions existent, et se multiplient à mesure que la syntaxe médiévale évolue vers la syntaxe moderne. Afin d'éviter la présence de formes atones en tête de phrase, on utilise des adverbes toniques commesi,atant,adont : « alors »,or : « maintenant, donc »,car : « donc » (avec valeur d'insistance), etc. :Or me dites... (« Dites-moi donc »,Laurin, v. 10105) ;Car le me di (« Dis-le-moi donc »,Huon de Bordeaux, v. 3565).
Le sujet peut êtreinversé ou omis. Quand le régime direct ou indirect se trouve en tête de phrase, le sujet nominal est placé après le verbe. Cette postposition du sujet ou, comme on dit communément, cette inversion du sujet est un trait fondamental de la syntaxe médiévale. La présence en tête de phrase d'un complément direct ou indirect, d'un complément circonstanciel, d'un adverbe entraîne « l'inversion du sujet ». Lorsque le sujet est un sujet un pronom personnel, il est souvent omis :Bien fu armez Guillelmes (« Guillaume était bien armé »,Prise d'Orange, v. 987) ;Aprés mangier se departirent (« Ils se séparèrent après le repas »,Perceval, v. 1923).
L'ordre des mots est en principe, comme en français moderne,sujet, verbe, complément. Néanmoins les séquences suivantes se présentent en ancien français :
Les diverses séquences mentionnées ci-dessus montrent qu'en ancien français le verbe occupe dans la phrase une place médiane[18]. Exception faite des phrases impératives ou interrogatives qui commencent souvent par le verbe, dans les phrases énonciatives le verbe se trouve habituellement en deuxième position, soit à la suite du sujet, soit à la suite d'un adverbe ou d'un complément :Dis blanches mules fist amener Marsiles (« Marsile fit amener dix mules blanches »,Roland, v. 89) ;Adont vint li sires de Malpertuis au seigneur de Gorre (« Alors le seigneur de Maupertuis s'avança vers le seigneur de Gorre »,Laurin, 1860).
Pour les pronoms personnels, il convient de distinguer les formes toniques et les formes atones[19].
a) Les pronoms personnels ont une syntaxe très différente selon qu'ils appartiennent à la série atone ou à la série tonique. Les formes atones, qu'elles soient enclitiques ou proclitiques, ne peuvent se séparer du verbe. Généralement, ellesprécèdent le verbe. Elles ne sauraient ni commencer une phrase ni être coordonnées. Elles n'ont aucune expressivité stylistique. Les formes toniques, par contre, ont la même autonomie que le substantif. Elles s'emploient après préposition. Elles peuvent échapper à l'attraction du verbe. Elles peuvent même commencer une phrase devant les verbes impersonnels à sujet non exprimé.
b) Les formes toniques sont les suivantes :moi,toi,soi (mi,ti,si en picard),lui (masculin),li (féminin),eus,eles. Les formes atones sont les suivantes :me,te,se,le,la,li (masculin et féminin),les, ainsi que les adverbesen eti. On notera que certaines formes sont à la fois toniques et atones. Il en va ainsi au singulier du fémininli, au pluriel des pronomsnos,vos,lor :Uns chevaliers molt avenanz / Que lor a comancié un conte... (« Un chevalier fort agréable qui a commencé de leur raconter une histoire »,Yvain, v. 58) ;Hanstes bessiees, se fierent entre lor (« Lances baissées, ils se précipitent au milieu d'eux »,Mort Aymeri, v. 1241) ;Entr'aus pansent de lour deduire (« Elles pensent toutes deux à prendre du bon temps »,Ysopet de Lyon, XII, 51).
Dans les groupes de mots, le dernier élément d'un groupe rythmique est normalement frappé d'un accent en ancien français.
a) Le pronom personnel se trouve à la forme atone lorsqu'il est à l'intérieur d'un groupe rythmique, à la forme tonique lorsqu'il est à la fin d'un groupe rythmique :Or me di donc... (« Dis-moi donc »,Cligés, v. 694) ;Lesse m'an pes (« Laisse-moi tranquille »,Yvain, v. 1649) ;Di moi quel part tu viax aler (« Dis-moi de quel côté tu veux aller »,Erec, v. 2696).
b) S'il arrive qu'une forme atone doive être placée à la fin d'un groupe de mots - c'est le cas pour le pronom de la troisième personne et parfois pour les adverbes atonesen eti -, elle reçoit alors un accent rythmique. Ainsi, les formes atonesle,la,li,les se trouvent fréquemment dans le décasyllabe (coupé 4 + 6) à la quatrième syllabe, c'est-à-dire à une place marquée d'un accent :Adobez-le a lei de chevalier (« Donnez-lui des armes de chevalier », « Couronnement de Louis », v. 1646) ;Baptisez la, pur quei Deus en ait l'anme (« Baptisez-la, pour que Dieu ait son âme »,Roland, v. 3981) ;Creanta li voiant maint chevalier (« Il lui promit en présence de maints chevaliers »,Narbonnais, v. 5678) ;Tornons nos ent (« Partons d'ici »,Raoul de Cambrai, v. 3962) ;Sire, por Deu, acordez m'i (« Seigneur, au nom de Dieu, réconciliez-moi avec lui », Béroul, v. 517).
Les formes atones sont habituellement placéesavant le verbe[20] :
Les formes toniques des pronoms personnels peuvent se séparer du verbe et possèdent une autonomie qui fait défaut aux formes atones[21]. Elles s'emploient après préposition :Rameneiz o moi (« Restez avec moi »,Florimont, v. 255). Elles s'emploient de façon absolue :Il s'est atornez por movoir, / Soi tierz de compaignons sans plus (« Il s'est préparé à partir avec deux compagnons, sans plus », Marie de France,Lai de l'Ombre, v. 212).
Les formes toniques peuvent se trouver directementaprès le verbe :
5° Après l'impératif, pour les pronoms de la première et seconde personne :Gis teis en peis, si te repose (« Reste couché tranquillement, repose-toi »,Rou, III, v. 308).
6° Après l'infinitif ou la forme en-ant, pour les pronoms de la première et deuxième personne ainsi que pour le réfléchi de la troisième personne. Cette postposition n'est pas très fréquente, mais n'a pas, semble-t-il, de valeur expressive :Il n'a pooir de lever soi (« Il n'a pas la force de se relever »,Queste del Saint Graal, 152, 23).
Les formes toniques peuvent se trouver aussiavant le verbe :
a) Emploi du pronom réfléchisoi en ancien français :
Alors qu'en français moderne le pronomsoi renvoie à un sujet indéterminé et s'emploie surtout derrière préposition, en ancien français le pronomsoi peut faire référence également à un sujet déterminé et même renvoyer à un sujet pluriel :Garde triers soi (« Il regarde derrière lui »,Roman de Thèbes, v. 4898).
Parfois le réfléchisoi s'emploie à la place de l'anaphorique : dans une subordonnée pour renvoyer au sujet de la principale, dans une principale à un nom qui n'est pas le sujet :el demenot grant tristor / De son ami que ele voit / Qui pres de soi combatre doit (« Elle montrait une grande douleur pour son ami qu'elle voit sur le point de combattre pour elle »,Eneas, v. 9314) ;Carados vint devant soi (« Carados vint devant lui »,Première Continuation de Perceval,T, v. 8149).
b) Les pronoms toniques non réfléchislui,li,eus,eles s'emploient fréquemment en ancien français à la place du réfléchisoi. Dans ce cas, seul le contexte suggère que le sujet et l'objet ne font qu'un :Olivier sent qu'il est a mort nasfret. / De lui venger ja mais ne li ert sez (« Olivier sent qu'il est mortellement blessé. Il ne sera jamais rassasié de se venger »,Roland, v. 1965) ;C'est folie de lui vanter (« C'est une folie de se vanter »,Comte de Poitiers, v. 403).
L'élision des pronoms atonesme,te,se,le (ainsi que du pronom sujetje) est normale en ancien français. L'hiatus reste exceptionnel et tient surtout à des raisons métriques. On remarquera les faits suivants :
L'ordre respectif et la coordination des pronoms régimes suivent des règles spécifiques. Le régime direct en ancien français précède toujours le régime indirect, car ce dernier a moins d'importance et peut-être moins de mobilité.
L'adverbeen, issu du latininde, est passé du sens local « de là » au sens anaphorique « de lui, d'elle, d'eux, de cela ». Il renvoie fréquemment à une personne. D'une manière générale,en rappelle ou annonce tout régime introduit par la prépositionde, qu'il s'agisse d'un complément d'origine, de cause de moyen, d'un partitif ou d'un complément déterminatif. L'emploi de en est donc fort étendu en ancien français.
5° En s'emploie parfois par pléonasme, soit pour rappeler un fait déjà exprimé, soit pour énoncer un fait dont il va être question :Del vin e del claret asez nus en donastes (« De vin et de clairet, vous nous en avez beaucoup donné »,Le Pèlerinage de Charlemagne, v. 653).L'adverbei, conformément à son étymologie (ibi), a une valeur locale. Mais il équivaut aussi à « à lui, à elle, à eux, à cela ». Il renvoie souvent à des personnes. Il fait également allusion à des circonstances au sens de « en la circonstance », tout particulièrement devant un grand nombre de verbes de mouvement, d'action, commeferir, etc. :Paien i bassent lur chefs (« Alors les païens baissent la tête »,Roland, v. 3273) ;Se Franchoiz le calengent, nos nos y combatron (« Si les Français le mettent en dispute [par les armes], nous combattrons contre eux »,Rou, II, v. 487).
Lespronoms sujets apparaissent parfois sous forme raccourcie[23] :
pour éviter qu'un pronom atone ou qu'une forme verbale se trouve en tête de phrase :Mais il me mandet que en France m'en alge (« Mais il me demande de m'en aller en France »,Roland, v. 187) ;
pour marquer une corrélation :Ki mult est las il se dort cuntre tere (« Qui est bien las s'endort à même la terre »,Roland, v. 2494) ;
dans les incises, où la citation précédente entraîne l'inversion du sujet, alors que le sujet est omis dans les formules du typece dit parce qu'elles forment un groupe rythmique où l'accent tombe normalement sur la finale, il est exprimé dans les tours du typedist il,fait il,fait se il, car le verbe monosyllabique, suivi ou non du pronom atonese, ne saurait former un groupe rythmique suffisant à lui seul :Dites moi, fet il, la querele (« Dites-moi, fait-il, le motif »,Lancelot, v. 480) ;
en cas de changement de sujet d'une proposition à l'autre dans le récit, le changement est parfois suggéré par un vagueil :Turnus ot la novele oïe ; / L'endemain sot par une espie / Que issuz s'en est Eneas, / A Montauban n'estoit il pas. / Il fut molt liez quant il l'oï / Mais il ne sot noiant de fi / Quel part il an estoit alez (« Turnus l'avait appris ; le lendemain, il avait su par un espion qu'Enée était parti : il n'était plus à Montauban. Turnus fut ravi de l'apprendre, mais il ne savait absolument pas de quel côté l'autre s'en était allé »,Eneas, v. 4825) ;
dans les propositions où se trouve un verbe substitut (faire,avoir,estre) précédé desi ounon, lorsque la proposition marque la conformité avec l'affirmation antérieure, le pronom sujet est généralement exprimé. En revanche, le sujet est généralement omis lorsque la proposition s'oppose à ce qui précède :Or vos soviegne que vos me devez un guerredun. Et il dit que si fera il. (« Souvenez-vous que vous me devez une récompense. Et il répond qu'il la lui donnera »,Queste del Saint Graal, 92, 11) ;Mors n'est il encore pas. - Si est. (« Il n'est pas encore mort. - Mais si. »,Chevalier aux deux épées, v. 3615) ;
Le pronom personnel est parfois remplacé par le motcors[24] : ce substantif (latin :corpus) précédé d'un possessif sert volontiers de substitut expressif au pronom personnel, non parce quecors s'est vidé de son sens, mais parce qu'étant le siège de la vie active et de l'affectivité il est l'image charnelle de l'individu. Il sert donc pour les gens du Moyen Âge à traduire le concept de personne :Ses cors meïsmes ceans nos herberja (« Il nous hébergea ici en personne »,Narbonnais, v. 2139) ;Autretant l'aim come mon corps (« Je l'aime comme moi-même »,Yvain, v. 3792).
L'emploi du pronom personnel au pluriel pour des raisons de politesse et de majesté est connu du Moyen Âge[25].
Les personnages qui ont autorité et qui édictent des mandements parlent parfois d'eux-mêmes à la première personne du pluriel :Nous, Margerite, contesse de Flandres et de Haynau, faisons savoir a tous ceans ki ces letres verront et oront (Charte du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, n° 225, février 1271). Toutefois, le pluriel de majesté est plus fréquent dans les chartes que dans les textes littéraires où les rois et les grands usent couramment duje.
Levous de politesse est bien plus répandu que lenous de majesté.
Entre personnages bien élevés, levous est habituel. On vouvoie ses supérieurs, on vouvoie les dames, on vouvoie ses pairs et parfois même les inférieurs :Alez en cel tertre ou vos trouveroiz un lac et gitez m'espee la dedens (« Allez sur cette éminence où vous trouverez un lac, et lancez mon épée dedans » [le roi Arthur s'adresse à Girflet],Mort Artu, 192, 39).
Toutefois, la politesse médiévale n'a rien de raide et de guindé. Le tutoiement n'est pas toujours un signe de supériorité ou de mépris. On peut tutoyer ses supérieurs, et dans les prières on dit souventtu à Dieu. On remarquera, cependant, que chez les bons auteurs le tutoiement entre égaux ou à l'adresse d'un supérieur est réservé aux moments d'intimité ou d'émotion (requêtes pressantes, adjurations pathétiques, etc.). Seules les classes inférieures usent couramment dutu entre égaux. Chez les auteurs moins délicats, l'alternance dutu et duvous apparaît parfois au sein de la même phrase d'une manière déconcertante, sans qu'on y décèle d'intention particulière :Pere de gloire, tu seies mercïez ! (« Père glorieux, sois remercié ! »,Couronnement de Louis, v. 59) ;Rois Artus, je t'ameign le Chevalier Desirré, celui qui est estraiz dou haut lignage le Roi David (« Roi Arthur, je t'amène le Chevalier Désiré, celui qui descend du haut lignage du roi David » [proclamation solennelle d'un vénérable vieillard],Queste del Saint Graal, 7, 25) ;Ce fis ge por oi esmaier ; / Ensi vos volie essaier (« Je l'ai fait pour vous effrayer ; je voulais par là vous mettre à l'épreuve » [Renart parle à la mésange],Renart, v. 4535).
Autre trait relatif à la politesse ou à son absence, en ancien français, dans les énumérations, à la différence du français moderne, la première personne vient habituellement en tête :Et jo e vos irum (« Nous irons, vous et moi »,Roland, v. 881) ;Et ge et il l'otroierons (« Nous vous l'accorderons, lui et moi »,Lancelot, v. 159).
Lepronom relatif n'est pas toujours exprimé en ancien français[26]. La principale et la relative se trouvent alors juxtaposées. Mais ce fait de parataxe reste rare et tient généralement à des raisons métriques :N'i a celoi a l'altre ne parolt (« Il n'y a personne qui ne parle à son voisin »,Roland, v. 1803) ;Teus est comperes n'est amis (« On est parfois parrain dans une famille sans être ami »,Proverbes, 2355).
Le pronom relatif sujetqui peut être éloigné du nom ou du pronom qui lui sert d'antécédent[27] :Pinte respont, qui plus savoit (« Pinte, qui était la plus avisée, répond »,Roman de Renart, v. 4127) ;La dame fu el bois, qui durement plora (« La dame, tout en pleurs, resta dans la forêt », Berte aux grands pieds, v. 705).
Par attraction inverse, il peut arriver que l'antécédent prenne le cas du relatif. Mais c'est là un phénomène très rare :Feme aime mont la compaignie / De cil qui la tient pour s'amie (« Une femme aime toujours fréquenter le soupirant qui la tient pour sa belle » [on attendraitcelui au lieu decil],Clef d'amour, v. 836).
Le relatif sujet qui s'emploie fréquemment sans antécédent avec la valeur très générale de « tout homme qui, tous ceux qui, quand on, si l'on » :Qui n'a q'un oill sovent le tert (« Quand on n'a qu'un œil on l'essuie souvent »,Proverbes, v. 2010) ;Qui a marastre a dyable en l'astre (« Si l'on a une belle-mère, on a un diable au foyer »,Proverbes, v. 1810).
Au lieu de la forme normalequi, on trouve parfois dans les parlers de l'Est, du Nord et de l'Ouest, la formeque comme sujet (masculin ou féminin, singulier ou pluriel). Mais les textes qui utilisent épisodiquementque continuent d'employer fréquemmentqui :A mavais trop petit sovient / Dou bien que per autrui li vient (« Le méchant ne se souvient guère des bienfaits qui lui viennent d'autrui »,Ysopet de Lyon, 8, 47).
Le cas régimeque s'emploie au masculin, au féminin et au neutre. On notera qu'au neutre l'antécédentce est souvent omis et que la forme renforcéequant que,quanque (quantum quod) « tout ce que » est particulièrement répandue :Et se volez tenir qu'avez covenancié (« Et si vous voulez tenir ce à quoi vous vous êtes engagé »,Thomas Becket, v. 917) ;Quanque l'en fet par mesure si profite et dure (« Tout ce que l'on fait avec mesure est durable »,Proverbes, 1730).
Le relatif neutreque s'emploie fréquemment dans des relatives raccourcies du typeil fait que sages,il fait que fols, etc. :Il fist que proz (« Il a agi en preux »,Roland, v. 1209) ;Vos dites que sages (« Vous parlez en homme avisé », Rutebeuf,Théophile, v. 62). C'est vraisemblablement le relatif neutre que qui introduit en ancien français les propositions du typeque je sache (latinquod sciam),que je puisse,que je soie :Il me faut riens que je sache (« Rien ne me manque, que je sache »,Guillaume d'Angleterre, v. 1631). Le relatifque devient parfois en ancien français une sorte d'adverbe relatif qui marque librement diverses relations et équivaut au français moderne « à qui, où, dont, pendant lequel, dans lequel ». Il développe des compléments de lieu, et surtout de temps :Ce fu en mai que la rose est florie (« C'était au mois de mai, où la rose est en fleur »,Aymeri de Narbonne, v. 1720) ;Et la si a un flun qui fiert en la mer, que on n'i puet passer se par un pont de pierre non (« Il y a là un fleuve se jetant dans la mer, où l'on ne peut passer que sur un pont de pierre » [ici,que a aussi un vague consécutif], Villehardouin, 163). Il s'emploie parfois après n'importe quel antécédent avec la valeur de « à qui, dont ». Cette manière vague d'exprimer le relatif tient à une sorte de confusion entreque relatif etque conjonction marquant la conséquence au sens de « dans des conditions telles que » :Chus vaslés se fu fix l'empereur Kyrsac de Coustantinoble, que uns siens freres li avoit tolu l'empire (« Ce jeune homme était le fils de l'empereur Isaac de Constantinople, à qui son frère avait ravi le pouvoir », Robert de Clari, 17, 12) ;ele menoit duel si fort / Pour un homme que ne savoit / Qui il ert ne dont il venoit (« Elle se désolait tant pour un homme dont elle ne savait ni qui il était ni d'où il venait »,Cléomadès, v. 3574).
Pour le cas régimequoi, il ne renvoie pas seulement (comme en français moderne) à des noms de choses indéterminées. Il s'emploie régulièrement derrière préposition, comme il est normal pour une forme tonique, et il peut avoir pour antécédent des noms de personnes ou des noms de choses déterminés :Marchegai sor coi il sist (« Marchegai [un cheval] qu'il montait »,Aiol, v. 624).
Pour ce qui est de l'adverbe relatif de lieuou, il s'emploie avec valeur relative après les noms de choses, de personnes, les pronoms neutres et même les propositions. Il correspond au français moderne « où, à qui, auquel, à quoi, dans lequel » :Pinte respont, ou mout se fie (« Pinte en qui il a grande confianve répond »,Renart, v. 4262) ;Ne m'as dit riens ou je me teigne (« Tu ne m'as rien dit à quoi je puisse m'accorder »,Renart, v. 4307).
Pour les propositions relatives déterminatives (à valeur d'adjectif), elles sont fréquentes en ancien français comme en français moderne[29] :Tex paroles disoient les letres qui estoient par desus la lame (« Voilà ce que disait l'inscription gravée sur la tombe »,Mort Artu, 63, 14). Les relatives à valeur circonstancielle sont beaucoup plus répandues en ancien français qu'en français moderne. Elles ont :
très souvent une valeur causale :Mult fu lied et joius Carlemaine li ber / Ki tel rei a conquis (« Charlemagne fut prodigieusement joyeux d'avoir vaincu un tel roi »,Pèlerinage de Charlemagne, v. 858) ;
souvent valeur hypothétique :Quin fereit rei, ce sereit granz pechiez (« Si on en faisait un roi, ce serait bien regrettable »,Couronnement de Louis, v. 94) ;
souvent valeur consécutive ou finale :Il n'estoit qui les retenist (« Il n'y avait personne capable de les retenir »,Mort Artu, 181, 49) ;
parfois valeur temporelle (simultanéité ou postériorité) :Li mes s'en vait qi congié demanda (« Le messager s'en va, après avoir demandé congé »,Raoul de Cambrai, v. 155).
Les propositions relatives abrégées à valeur distributive emploient les ligaments relatifsqui... qui,que... que,cui... cui ; ils servent en ancien français à marquer l'idée distributive de « l'un... l'autre », « les uns... les autres », « aussi bien... que ». Dès les plus anciens textes, ces éléments ne sont plus sentis comme des pronoms relatifs, mais comme des morphèmes marquant parallélisme et symétrie :Chascuns a point qui cheval, qui destrier (« Chacun a éperonné sa monture, l'un un palefroi, l'autre un destrier »,Couronnement de Louis, v. 1504) ;De sa lance maint esboele, / Cui perche pis, et cui mamele (« De sa lance il en éventre beaucoup, à l'un il transperce la poitrine, à l'autre le sein »,Perceval, v. 2449) ;Mout i out de roiauz que ocis que naffrez (« Beaucoup de gens du roi furent les uns tués, les autres blessés »,Rou, II, v. 181).
Les propositions relatives indéterminées à valeur concessive sont introduites par les élémentsqui que (parfoisqui qui),cui que (rarementcui cui),qui que onques,quoi que,que que (même après préposition) suivis du subjonctif. Elles ont toujours une valeur adversative ou concessive par rapport à la proposition principale :Qui qu'en ait duel, Yvains est liez (« Quels que soient les gens qui s'en affligent, Yvain est joyeux », Béroul, v. 1228) ;Qui que me tiegne a vil, je me tieng chier (« Peu importent ceux qui me méprisent, moi je m'estime »,Aiol, v. 979) ;Mort l'abat, qui qu'en peist u qui nun (« Il l'abat mort, que les gens en soient fâchés ou non »,Roland, v. 1279) ;jel ferai que qu'il me griet (« je le ferai, quoique cela me soit pénible »,Yvain, v. 6427) ;Quoi qu'en doie avenir, / Ne puis sans li garir (« Quoi qu'il puisse arriver, sans elle je ne puis trouver le salut », Gontier de Soignies, 16, 49).
Les relatives indéterminées introduites parquel... que (français moderne : « quelque... que ») ouquel que suivi du subjonctif ont également valeur adversative ou concessive :Quel part qu'il alt, ne poet mie chaïr (« Où qu'il aille, il ne saurait choir »,Roland, v. 2034) ;Altre bataille lur livrez de meïsme : / De quel que seit, Rollant n'estuertrat mie (« Livrez-leur de même une seconde bataille. Quelle qu'elle soit, Roland ne s'en tirera pas »,Roland, v. 592).
Les relatives utilisent souvent le mode subjonctif, notamment lorsqu'elles ont une valeur finale, consécutive (lorsque la principale est négative ou mise en doute), restrictive (typeque je puisse : « autant que cela m'est possible »), hypothétique (où le subjonctif imparfait marque le potentiel ou l'irréel) ou concessive, ou bien lorsqu'elles font référence à un superlatif ou à un type exemplaire :Atant Eneas a choisiz / Dis chevaliers proz et hardiz / Ki le païs aillent cerchier (« Alors Enéas a choisi dix chevaliers vaillants et hardis pour aller explorer le pays »,Eneas, v. 357) ;Il n'est si bon maistre qui ne faille (« Il n'y a pas de bon maître qui ne se trompe »,Proverbes, v. 935) ;Mes ja par force, que je puisse (« Mais jamais, autant que cela m'est possible »,Yvain, v. 4777) ;Ki dunc oïst Munjoie demander / De vasselage li poüst remembrer ! (« Qui les aurait entendus crier : Monjoie aurait le souvenir d'une belle action de bravoure »,Roland, 1181) ;il le fait por le plus preudome / Qui soit en l'empire de Rome (« Il le fait pour le plus grand honnête homme qui soit au monde »,Perceval, v. 11).
Malgré les progrès de la dépendance grammaticale, les relatives gardent une certaine autonomie et équivalent parfois à des parenthèses. On peut donc trouver un subjonctif de souhait dans une relative :A Damedieu toz vos conmant, / Qui me ramaint si con je soil (« Je vous recommande tous à Dieu. Puisse-t-il me ramener ici comme d'habitude ! »,Renart, v. 1142) ;Dex vos an desfande / Qui aussi boen seignor vos rande / Si com il an est posteïs (« Que Dieu vous en préserve, et puisse-t-il vous donner un aussi bon mari, comme il en a le pouvoir ! »,Yvain, 1609).
L'enchaînement et la coordination des relatives ont des caractéristiques spécifiques.
La frontière entre la relative et la complétive est parfois floue. Contrairement au français moderne, l'ancien français n'hésite pas à enchaîner une complétive et une relative ou bien à substituer une relative à la complétive attendue. Il convient de distinguer deux cas :
Il existe en ancien français des relatives qui sembleraient superflues à un moderne, dans le but de mettre en relief un membre de phrase :Chascuns a son ostel ala ; / Et je qui toz seus remez la / Avoec m'ostesse jusqu'au jor, / Et l'endemain sans nul sejor / Levai matin et pris congié (« Chacun alla à son logis. Moi je suis resté là, seul avec mon hôtesse jusqu'au jour ; et le lendemain, sans m'attarder, je me suis levé et de bon matin j'ai pris congé d'elle », Raoul de Houdenc,Songe d'enfer, v. 90) ;Il a bendé sa plaie qui n'estoit pas garie, / Mais li fains et li sois qui durement l'aigrie (« Il a bandé sa plaie qui n'était pas encore guérie. Mais c'est maintenant la faim et la soif qui le tenaillaient prodigieusement »,Chevalier au cygne, v. 96).
En lieu et place d'une relative, on trouve parfois en ancien français une explicative introduite parcar : « c'est que ». C'est là une façon relâchée de marquer la détermination :De ses autres avoirs li a assez chargié / Quer il a la dame tramis par amistié (« Du reste de ses richesses il lui a confié une grande partie, qu'il a ainsi amicalement envoyée à la dame »,Rou, II, v. 390) ;Et mout durement les assaillent / Od mout grans ars et arbalestres / Car ils ont mis en lor esneques (« Ils les attaquent vigoureusement, à l'aide de grands arc et d'arbalètes qu'ils avaient sur leurs embarcations », Wistasse le Moine, v. 2271).
L'ancien français est l'évolution naturelle dulatin parlé, tout comme les autres langues romanes. Son fonctionnement et son usage nous est connu via desscripta.Il existe quatre grande aires de production de scripta, l'aire anglo-normande, l'aire picarde, l'aire lorraine et l'aire centrale, qui font apparaitre des différences dialectales liés aux pouvoirs politiques et économiques en place. L'évolution vers le français moderne commence à se produire une fois le pouvoir du roi consolidé, permettant la diffusion du dialecte central au détriment des autres. Alors qu'auparavant, dans l'espace chrétien, les grands classiques littéraire provenaient dulatin ou dugrec, l'ancien français est la première langue romane à se constituer un corpus littéraire varié, avec des poètes commeAlain Chartier, des chroniqueurs commeCommines ouFroissart, des auteurs commeJean de Meung, et la composition de grands cycles épiques, avec leschansons de geste et leslégendes arthuriennes.
L'ancien français est strictement phonétique, les scribes ont utilisé un principe simple, celui de noter tout ce qu'ils entendaient le plus directement possible au moyen de l'alphabet latin, assez inadapté car trop peu riche engraphèmes. En effet, en évoluant dulatin vulgaire à l'ancien français, de nombreuxphonèmesont évolué, donnant naissance à de nouveaux sons pour lesquels aucune lettre n'était prévue. Cela crée de nombreuses variations régionales et temporelles au cours de l'évolution de la langue.
Ce n'est qu'au début duXVe siècle que lesHumanistes, à la recherche de modèles plus lisibles et aérés que la gothique, difficile à déchiffrer par les non-initiés, sont revenus à des graphies plus proches de l'écriture courante avec laminuscule humaniste, l'italique. L'imprimerie marquera la fin progressive des graphies calligraphiques au profit de modèles de plus en plus lisibles qui, finalement, donnent ceux qu'on peut lire sur un écran d'ordinateur.
Bien que les graphies puissent être très fluctuantes[Note 22] surtout en raison du grand nombre de moyens trouvés pour dépasser les limites du latin écrit, il existe des usages orthographiques en ancien français, qui font le plus souvent intervenir desdigrammes.
C'est la volonté de respecter les usages latins ainsi que l'origine étymologique des mots[Note 23] qui expliquent certaines difficultés. Le plus souvent, elles naissent du fait qu'une même lettre latine, qui notait alors un seulphonème, en est venue à en noter plusieurs[Note 24]. C'est le cas de la notation non ambiguë de [k] devant [a], [o], [u] avec la lettre /c/ et inversement celle de [s] devant [ə], [e], [i], [y] avec la même lettre latine ou encore l'utilisation de /g/, qui peut valoir [ʒ] ou [g], selon les voyelles. Surtout, il n'existe pas de lettres pour noter de nouveaux sons apparus en ancien français. Il suffit de mentionner l'inexistence en latin des phonèmes [ʃ], [œ] et, des différents timbres de /e/ (tonique – ouvert ou fermé – ou atone) ou de /o/ (ouvert ou fermé) et de lanasalisation.
Parmi les usages retenus et fréquents, on trouve :
pour [t͡ʃ] (devenu [ʃ] auXIIIe siècle, mais a subsisté dans quelques dialectes comme lefranc-comtois ou lewallon), digramme /ch/, à l'imitation du latin qui s'était servi de la lettre muette /h/ pour créer des digrammes permettant de noter des sons étrangers (grecs, principalement) comme /ch/ pour [kʰ] ou /ph/ [pʰ] (devenu [f] dans lesmots d'emprunts à l'imitation de la prononciation grecque médiévale) ;
autres digrammes pour les sons [œ] et [ø] : /ue/, /eu/, par exemple ;
utilisation de /z/ commelettre muette pour indiquer un [e] tonique en fin de mot (digramme /ez/) dans certaines formes (asez pourassez) ; /z/ sert dans les autres cas pour l'affriquée [ts] (neveuz pourneveux) ;
lel palatal (devenu unyod) est représenté de diverses manières dont-(i)ll ou-il (fille) et len palatal par-(i)gn (ainsi,Montaigne n'est qu'une forme parallèle demontagne mais l'orthographe a fortement influencé la prononciation, de même que dansoignon, qu'on entend souvent prononcé /waɲõ/[réf. nécessaire]).
Enfin, les éditeurs conservent l'emploi d'une abréviation très courante, celle de la finale-us remplacée après voyelle par-x. Par exemplebiax équivaut àbiaus, c'est-à-dire lecas sujet de l'adjectifbel (beau).
En conclusion, il convient de comprendre que l'ancien français possède une orthographe quasi-phonétique pratiquée avec un alphabet qui ne s'y prête pas forcément. Cela explique l'abondance de graphies parallèles et l'emploi de diverses solutions plus ou moins efficaces, tels lesdigrammes. Mais, surtout, dès que les prémices de l'orthographe, au sens actuel, font leur apparition l'écriture est en retard sur la prononciation tout en permettant, par l'adoption de conventions, une meilleure reconnaissance des constituants des mots.
Il faut tenir compte des conventions de lecture suivantes en partant du principe que la graphie est normalisée par un éditeur moderne du fait de l'utilisation des lettres ramistes[Note 17], du tréma, de l'accent aigu, etc. Pour le reste les conventions propres au français sont à appliquer. Il est entendu que c'est une approximation donnée à titre indicatif pour une lecture acceptable bien qu'imparfaite :
g devante eti etj devant toute voyelle se lisent /d͡ʒ/ puis /ʒ/ (mêmes dates) ;
(i)ll se lit /ʎ/ (comme l'italiengli) et non /j/ (deyaourt) ;
e non accentué se lit /ə/ (schwa) et n'est pas labialisé, au contraire du« e » caduc actuel (le /ə/ ancien français se lit donc comme en anglais). En fin de mot et atone, il est muet depuis leXVIIe siècle ;
u se lit comme en français moderne /y/ (danslu) ;
la lecture des diphtongues graphiques est complexe car les diphtongues prononcées ont évolué beaucoup plus vite que la graphie. On pourra retenir comme règle de lecture acceptable que les diphtongues se sontmonophtonguées après leXIIe siècle (passant soit à une combinaisonsemi-consonne + voyelle soit à une voyelle seule. Retenir aussi queoi se lit /we/ ou /wɛ/ etue commeeu /œ/ ou /ø/ ;
lesvoyelles nasales, écrites dans les éditions modernes à la manière du français actuel (sans tilde) sont prononcées comme dans le sud de la France : la voyelle nasale est suivie d'une consonne nasale. En ancien français même devant un-e final, une voyelle suivie d'une consonne nasale est nasalisée (dans ce cas, la nasale est redoublée). Par exemple :cheance (chance) /t͡ʃəãnsə/,bonne /bõnə/,chambre /t͡ʃãmbrə/,flamme /flãmə/. La prononciation des voyelles nasales n'a cessé de se modifier. Il serait fastidieux de toutes les signaler. On pourra prononcer comme en français moderne bien que les nasales de l'ancien français soient en nombre supérieur et de qualité parfois différente.
Écrit entre1174 et1250, leRoman de Renart est une collation de poèmes indépendants en octosyllabes appelés branches, composés par des clercs cultivés. Ces contes, en multipliant les anecdotes, forment une vaste parodie des chansons de geste et de l'amour courtois ainsi que de la société féodale, de la justice et de la religion[31]. LeRoman de Renart est source de comique aux dépens des puissants. Dans cette tradition s'épanouissent aussi lesfabliaux destinés à être lus en public et dont le registre plus vulgaire manie des personnages de bourgeois, de paysans, de membres du bas clergé mais aussi de mauvais garçons et de marginaux sortis tout droit des tavernes. Le plus souvent, l'histoire tourne autour du thème de l'adultère : la morale chevaleresque et courtoise semble ainsi définitivement subvertie[31].
↑«..l'idée de dialectes différents en gaulois n'est pas irrationnelle mais elle ne s'appuie pas sur des preuves solides à l'heure actuelle. » in Pierre-Yves Lambert, La langue gauloise, Errance, 1994, p. 19.
↑« C'est de la langue romaine populaire (lingua vulgaris, sermo pleheius) et non de la langue écrite et littéraire qui nous est connue par les auteurs classiques, que sont sorties les langues romanes. Toutes deux, langue populaire et langue écrite, sont issues du latin archaïque, mais la langue littéraire représente un état de transformation plus ancien, que l'écriture et l'action des grammairiens ont maintenu d'une façon artificielle comme langue de la bonne société.Le latin populaire (latin vulgaire), qui était parlé dans les différentes provinces de l'Empire romain, offre, quant à la grammaire, des divergences que l'on doit imputer plutôt à des différences chronologiques qu'à des particularités dialectales. En effet le latin adopté dans les provinces qui furent romanisées les premières, comme la Sardaigne et l'Espagne, représente un état de la langue plus ancien que le latin propagé dans les provinces soumises plus tard, telles que la Gaule septentrionale, laRhétie ou laDacie. La transformation ultérieure du latin vulgaire enlangues romanes s'effectua peu à peu, si bien que « latin vulgaire » et « roman » sont des dénominations qui désignent purement et simplement des phases différentes d'une seule et même langue. Pour des raisons de commodité, l'on s'en tient à ces termes depuis longtemps acceptés dans la terminologie linguistique, et l'on distingue le « roman » du « latin vulgaire » à partir de l'époque où celui-ci a atteint, dans les diverses provinces romaines, un certain degré de divergence dialectale. Or il est bien évident que la destruction de l'unité de l'empire, qui suivit l'invasion des Germains, et la création des nouveaux États, qui s'élevèrent sur les ruines de l'Empire Romain, durent contribuer puissamment à hâter la différenciation dialectale de la langue. Aussi est-on pleinement autorisé à fixer, d'après les événements politiques dont on vient de parler, la date qui sépare le latin vulgaire du roman » (Edouard Schwan et Dietrich Behrens 1913,p. 3 et 4).
↑Écartement des organes au point d'articulation d'un phonème pendant la tenue. (F. de Saussure, Cours de ling. gén., 1916,p. 71).
↑Du moins pas de la même manière, ce sont des variantes contextuelles : en gothique,v s'utilise de préférence en début de mot,u ailleurs, quelle que soit leur valeur, [y] delu ou [v] devie ;j, oui long, sert lorsque des suites de lettre seraient illisibles, commemmi, qui serait, dans une gothique légère, proche visuellement de ιιιιιιι.
DÉCT- Dictionnaire Électronique de Chrétien de Troyes) : lexique complet et transcription des cinq romans de cet auteur d'ancien français, Université d'Ottawa - CNRS.
Dictionnaire étymologique de l'ancien français - DEAF (Heidelberg)[1]